Les Aventuriers de l'Amérion

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Les aventuriers de l'AmĂŠrion



À mon chien. K. M.

À la vôtre.

S. F.



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PrĂŠmices

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23h42, heure universelle. Le temps s’écoule plus lentement dans l’espace que partout ailleurs, pensa le capitaine Tipek. Trois mois depuis le début de cette énième mission, et toujours aucun signe de l’astroport tutuvien qui devait leur donner les coordonnées du prochain saut télémétrique. La Tutuvie est une région bien plus lointaine qu’il n’y paraît, se dit finalement Tipek. Laissant là ces intéressantes considérations sur la relativité du temps et de l’espace, le capitaine actionna les propulseurs à effet de Glouk, et régla le micro-onde sur "décongélation". Quittant le poste de commande, il emprunta un corridor qui menait vers le carré de l’équipage, qui, fantaisie du constructeur, était rond. Le carré, pas le constructeur. Quelques mois auparavant, le contre-colonel Fnou’fnouf avait clairement défini les enjeux de l’ultime mission de l’USS Amérion, croiseur interstellaire de dissuasion massive (et nucléaire) : "Vous aurez le destin du monde entre vos mains, capitaine". Rien de plus clair, en effet. "Accompagné de l’équipage de votre choix, vous devrez rallier le point n°458 alpha au large de la galaxie Tutuvienne, où vous recevrez de nouvelles coordonnées de saut." Les cachotteries étaient monnaie courante dans le milieu, mais Tipek flaira le traquenard. Encore une chance que l’Amérion leur ait été confié. Équipé de radars à balancement contre-amorti et de fusibles à têtes trouveuses, ce croiseur pouvait atteindre la vitesse fabuleuse de douze fois la vitesse d’un noyau de kakeene craché par un klouklouk à poils renâclants, ce qui n’était pas rien, que diable. Seulement voilà, l’Amérion était arrivé au point 458 depuis maintenant trois bonnes semaines sidérales, et toujours aucune nouvelles du QG concernant la prochaine destination. C’était problématique à plusieurs points de vue. Premièrement, l’Amérion 2


était en guerre – ou du moins c’est ce qu’avait supposé Tipek –, ce qui l’obligeait à passer en mode furtif. Or, le brouillard d’invisibilité protonique de l’Amérion ne fonctionnait qu’en mouvement, le vaisseau se voyait donc contraint de tourner en rond autour du point 458, et tout l’équipage commençait à se plaindre du mal de l’espace et du vecteur de gravité inertielle. Ensuite, bien que l’Amérion fût équipé de piles à photo-combustible mixte de type nucléaire, la dépense énergétique due aux néons et autres guirlandes à flux concomitants installés pour les fêtes de fin d’année commençaient à entamer sérieusement les réserves inergétiques du système de mixage. Enfin, et peut-être surtout, qu’est-ce qu’on se faisait chier au point 458 ! Lieu mythique de la Guerre des Trouneuhars, universellement connu pour son équilibre gravitationnel entre les deux lunes de la planète Kamar-O, le point 458 n’en était pas moins d’un ennui mortel. Harnaché dans le fauteuil de contrôle des moteurs métamorphiques, Tipek consulta d’un œil morne les écrans thermodactyles de la salle de commandes. Il se faisait tellement chier qu’il passait ses journées à contrôler la température des sondes plasmiques dont la coque extérieure était revêtue. Révolutionnaires en leurs temps, ces sondes étaient aujourd’hui complètement obsolètes, et ne servaient plus à grand-chose d’autres qu’à enclencher les systèmes anti-incendie dans la salle des archives. Les sprinklers avaient été déconnectés depuis longtemps, mais les techniciens n’avaient toujours pas réussi à faire taire les avertisseurs sonores associés. L’équipage était ainsi fréquemment sorti de son sommeil par le Pon ! Pon ! Ponponpon ! de l’alarme. Elle avait hurlé vingttrois fois la nuit précédente. Excédé, Tipek avait failli déclencher un véritable incendie pour en finir une bonne fois pour toutes. Dans cette atmosphère saturée d’oxygraugène pur (forme métastable à 5 atomes), l’Amérion aurait été consumé en moins de trente 3


secondes et Tipek aurait enfin eu droit à la paix éternelle. Mais, se dit-il, ce sera pour une autre fois. Tipek activa les commandes rétro-actives de l’Amérion puis il retira son harnais en fibres de duroglonk. D’une picheunette, il flotta dans la faible gravité qui régnait dans cette zone du vaisseau. Il se laissa porter sans heurts jusqu’au poste de tir. Il inspecta une énième fois les commandes des blasters à double cadence asynchrone, jugea qu’elles étaient OK, puis il porta son attention sur le canon principal de l’Amérion. Baptisé Bamak pour d’obscures raisons connues de l’artilleur seul, il s’agissait d’un canon conventionnel de calibre 1290, balançant des pruneaux de douze tonnes dans l’espace intersidéral à une vitesse proche de celle de la lumière, quoique ramenée à la racine de deux. Tipek était très content du Bamak, bien qu’il eût aimé pouvoir le remplacer par une pièce plus récente. Il avait fait toutes les démarches nécessaires pour se procurer un modèle de type Sekobab, mais au moment de l’installer, le mécano de l’astroport lui avait expliqué que l’Amérion n’était pas muni du nouveau système de fileutage nécessaire à la stabilité du viseur en halogénure d’alkyle. La mort dans l’âme, Tipek avait dû se résoudre à garder le Bamak. Mais qu’importe. Il en avait déjà troué une chiée avec son canon, et il ne comptait pas s’arrêter là. Si le monde devait être sauvé, Tipek ne doutât pas que le Bamak puisse calmer un trou noir. ‘chec ! marmonna Tipek. Il avait failli oublier de resynchroniser le générateur de Higgs à molette réglable, nécessaire à la lubrification des obus en carbonite de graulaunium. Tipek appuya sur le commutateur, qui commuta, puis émit un faible son, toujours aussi imbitable ("pfeuf !"). Tipek contempla l’immensité glacée de l’espace, se demandant combien de temps ils allaient encore devoir peuharoter là. Il but une dernière gorgée tiédasse de graumito, 4


regarda sa montre à induction, puis décida qu’il était temps d’aller se glisser dans sa couchette anti-roulis. ***

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Équipage

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Le recrutement n’avait pas été chose facile, surtout en ces temps troubles où les petites annonces cachaient parfois de véritables pièges à ours, au sens figuré, bien entendu. La vie sur la planète Terre réservait cependant des surprises de taille, si l’on considérait l’engin de manutention qui tenait désormais lieu de mécanicien de bord à l’Amérion et à Tipek dans la foulée. D’une hauteur d’environ deux mètres et soixante dix centitoumètres, ce qui correspond à la même chose en centimètres, le première classe Klebz, de la coalition Bonn-Bäte, s’apparentait aux regrettés animaux de compagnie de l’homme du XXe siècle, les chiens. Mais un très gros chien. Humanoïde, par là-même, et marchant sur ses deux membres postérieurs. Et moins velu, aussi (quoique). Enfin, le première classe Klebz, malgré une parfaite adaptation à la vie sur Terre, que ce fut aux us et coutumes ou au langage, le première classe Klebz, donc, se surprenait tout de même parfois à tirer la langue en agitant frénétiquement son appendice caudal, dans une manifestation joviale et tout à fait spontanée du plus vif contentement (dans le cadre de côtes de bœuf au petit-déjeuner, par exemple). Bref. Ancien commando d’élite du corps défendant de la Niche, consortium commercial de Bonn-Bäte et de ses alentours immédiats, atomicien à bord du Triomphant, fameux tout-marin nucléaire, et finalement première classe dans la Région Étrangère, Klebz s’était tourné vers la location de ses services au plus offrant, ce qui constituait selon ses propres dires une façon parfaitement légitime de subvenir à ses besoins (notamment en côtes de bœuf). D’un naturel plutôt cabot, le première classe savait toutefois maintenir en ordre un groupe de connards en proie à la panique à bord d’un tout-marin nucléaire, ce qui représente un sacré tour de force, d’un point de vue humain. Le capitaine Tipek était assez content de son choix, notamment parce qu’en cas de foutage sur la gueule inopiné, 8


Klebz serait un précieux atout. Autre atout, celui-ci pour le moral de l’équipage lors de longues virées, l’intendant. Assuré avec brio, le poste d’intendant se révélait moteur pour la combativité et l’état d’esprit des troupes, mais, si l’intendant faillissait à sa mission première, à savoir préparer la bouffe, RIEN n’allait plus. Fort de son expérience, Tipek avait désigné pour ce poste un vétéran des Guerres du Climat, l’année où il a fait si froid. Le sergent Von Dutch, dont le nom n’avait d’égales dans le ridicule que les tenues vestimentaires, savait toutefois fort bien se tirer de la majeure partie des guet-apens culinaires et autres chausse-trappes gastronomiques. Flegmatique et détaché, le sergent vouait un véritable culte à ses ancêtres, au point de savoir sur les bout des doigts une foultitude de citations plus bigarrées les unes que les autres, mais ne s’appliquant généralement pas à la situation présente. Le sergent Von Dutch, donc, constituait une force de frappe gustative non négligeable, et il le disait d’ailleurs lui-même: "Mon aïeul m’a toujours dit de ne pas mettre mes mains dans mes poches". Bon. Troisième membre de cet équipage bigarré, le sergent-chef Hank Brossard, ex-agent du KKO et spécialiste en armement conventionnel et exotique. D’un point de vue purement administratif et logistique, le recrutement de Brossard n’avait pas été du gâteau, sachant qu’il opérait sur des installations classées pourpres (principalement liées aux propulseurs à spin convertible, d’après les rapports) dans le système Anavar de la constellation de Schérazade. Mais le capitaine Tipek, faisant jouer ses relations, avait toutefois réussi ce tour de force, et Brossard s’était réjoui de travailler à nouveau avec son capitaine d’instruction. Originaire de la planète K-Ramäl, le sergent-chef possédait toutes les caractéristiques des habitants de cet étrange lieu où la gravité atteignait parfois trois 9


fois celle de la Terre, principalement le quatre de chaque mois du calendrier universel de la galaxie d’Afnor. Un faciès épais, des traits marqués, une stature courtaude et de larges épaules démarquaient Brossard de ses compagnons, à l’exception de Klebz qui, lui, ne ressemblait pas à grand chose, sauf à un gros chien, mais on l’a déjà dit. Brossard, donc, présentait plutôt bien, d’un point de vue général, et n’attirait pas l’attention. Cette capacité à se fondre dans le décor, étroitement liée à sa petitesse lui valait fréquemment au début de sa carrière d’être assigné aux missions de reconnaissance tactique en milieu hostile ou urbain. Une très forte appétence pour les rixes de bar fit cependant un tort certain à sa carrière et la compromit même en de nombreuses occasions, ce qui à terme lui valut le surnom de tronche de cake, d’une part, et d’autre part le cantonna à des missions de combat rapproché, d’interventions rapides et de bourrage de pif en règle. Le sergentchef Brossard manifestait cependant à ses heures perdues un fort intérêt pour les équipements expérimentaux développés dans certains services à propos desquels le gouvernement en place, la Cellule, se faisait très discret. Persuadé que Brossard ne manquerait pas l’occasion d’essayer plusieurs de ses jouets favoris, Tipek n’hésita pas longtemps avant d’effectuer les demandes administratives nécessaires à la mutation du sergent-chef sur l’Amérion. Un outillage non-conventionnel ne pourrait être qu’un avantage... Pour compléter cet équipage haut en couleurs, un étrange personnage s’était joint à la compagnie. Né sur la planète afroquantique Esklapion, et recueilli tout petit par une tribu de bernardl’hermites à l’instinct grégaire, Hal Yababoua avait développé à leur contact de surprenants pouvoirs psioniques. Il faut préciser que les champs azéotropes avoisinants Esklapion provoquaient des mutations aléatoires sur certaines espèces, notamment sur les bernard-l’hermites, et avaient placé les cochons d’inde au 10


sommet de l’évolution. Plus psychiques que physiques, les fameux cochons d’inde d’Esklapion transcendaient le temps et l’espace, poursuivant un but connus d’eux seuls. Mais c’est un peu hors contexte. Au terme de son initiation psionique, Hal Yababoua avait appris à capter les ondes de flux qui surnagent à la surface de l’esprit de quelqu’un, afin d’en lire la substance. C’est lors d’une mission sur la planète-cirque PindÄr que Tipek avait découvert cet être baroque, seul représentant de l’avenir possible de l’être humain en tant qu’improbable combinaison du retour à la nature et de l’éveil de l’esprit. Employé par un cirque ambulant, Hal l’enfantgoyave (car tel était son nom de scène) menait une existence simple. Troublé par ce petit être au teint d’avocat, le capitaine Tipek avait décidé de ramener Hal sur Terre pour qu’il y reçoive une éducation digne de ses talents. Lisant dans les pensées de ses enseignants plus vite que ceux-ci n’expliquaient, l’humanoïde longiligne aux oreilles effilées et aux yeux globuleux n’avait pas tardé à exceller dans tous les domaines, et les plus prestigieuses institutions se l’étaient arraché, ses études à peine achevées. Hal avait donc eu la chance de devenir employé des PTT (Protonics Tourist Transducers). Les communications cryptées avec l’état-major ainsi qu’avec les autres unités tactiques présentes sur le champ de bataille faisaient l’objet d’une tâche à part entière assumée par le caporal Lumi, diplômée en sciences des communications floues et titulaire d’un doctorat en interactions onde-antenne. Ayant effectué ses classes sur la planète Gheegnaule, le caporal avait contracté une maladie peu connue mais non-léthale, l’exotique syndrome de Latcha’tche (du nom de son découvreur, Emile Latcha’tche). Ce syndrome, rapproché par certains spécialistes des maux de l’espace et de tête du syndrome de TourÄtte provoquait chez le sujet des troubles du langage qui amènaient parfois à l’isolement total de l’individu. 11


Heureusement le traitement expérimental dont avait bénéficié le caporal Lumi au titre de ses exceptionnels états de service limitait fortement les symptômes. De plus, l’isolement total de l’Amérion rendait le rôle de Lumi plus qu’accessoire, voire complètement inutile. Malgré ses troubles du langage, le caporal ne manquait pas d’attirer les convoitises, de par son physique avenant principalement. Ses mensurations idéales devaient certainement jouer un rôle aussi. Quoiqu’il en fut, Lumi demeurait le seul individu femelle du vaisseau, et ce depuis le début de la mission. L’inactivité n’aidant pas, quelques membres de l’équipage s’était vus ramenés à l’ordre et à l’infirmerie de bord après d’infructueuses tentatives de séduction sur la personne du caporal. L’équipage de l’Amérion comprenait donc une demi douzaine de membres confirmés, venus d’ici et d’ailleurs, et il serait sans doute aussi long qu’inutile de tous les mentionner ici. Tipek avait tenu à emmener un maximum de monde, histoire que si ça chauffe, il y ait suffisamment de fusibles à cramer. En revanche, impossible de parler de l’Amérion sans mentionner Wall-ID (Wireless Artificial Legacy Limiter with Intern Disruption), petit robot autoporteur à clavette escamotable et dérailleur en pipe de douze, véritable extension de la conscience artificielle du vaisseau. L’Amérion était en effet un des premiers vaisseaux équipés d’une I.A. digne de ce nom. Par "digne de ce nom", on entendait par là "intelligence artificielle" et non pas "incompétence artificielle" comme celle, tristement célèbre, qui causa la catastrophe légendaire du vaisseau amiral Koor-Booïon. Ce-dernier s’était en effet mangé un soleil, en raison d’une erreur de calcul au moment du saut dans l’hyperespace. Une sombre histoire de conversion toumétrique... L’histoire de l’astronautique ne manquait pas de crash sur géantes gazeuses ni de boîtes lunaires en lien avec l’I.A. Enfin bref, l’Amérion était doué d’une conscience, un peu vague mais efficiente, et 12


Wall-ID était pour ainsi dire son réceptacle mobile. Il s’agissait d’un petit robot, de type R2Mé2, monté sur roulettes à coussins d’air filtré (en cas de vent de sable) et équipé de sustentateurs positroniques en iridium massif. Haut d’un petit toumètre, en forme de kagubu claveuté, Wall-ID était aussi équipé d’un petit bras flexible faisant office d’aspirateur. Limité par sa RAM et son unique port USB, Wall-ID s’exprimait à l’aide de phrases simples. Tipek se souvenait notamment d’une escale sur la planète Kraignaule-12, où l’équipage s’était fait péter le bide à grands coups de dessert local. Et Wall-ID de s’exclamer : "Tipek manger coco". Personne ne comprenait jamais grand-chose à ce qu’il racontait ; nombreux étaient ceux qui se foutaient de sa gueule pour cette raison. Mais pas trop quand même, car la menace planait, diffuse : Wall-ID étant le système d’exploitation de l’Amérion, il ne fallait pas trop le faire chier non plus. Des rumeurs couraient sur une injection "malencontreuse" d’huile d’olive fermentée dans le système de douche. On parlait même d’inversions subites du vecteur de gravité au niveau des urinoirs... Wall-ID ne s’en était jamais expliqué, se contentant d’un incompréhensible "Mo pa fé". ***

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JournĂŠe ordinaire

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"Gaaaaaarde à vous !" Ce matin comme tant d’autres, le capitaine avait décidé d’inspecter ses troupes. Probablement dans le but non-avoué de les maintenir en éveil, Tipek vérifiait ainsi la tenue et la réactivité de son équipage, dans des conditions d’état d’alerte (car l’Amérion était en guerre, rappelons-le). Sous l’œil aiguisé de Wall-ID, Tipek vérifiait donc la bonne tenue du personnel, l’entretien des équipements, conformément au code d’éthique de l’Arme Spatiale dicté par la Cellule. Passant sur l’inévitable décolleté plongeant du caporal Lumi pour des raisons évidentes (éviter la mutinerie générale), Tipek ne put passer outre la tenue du première classe Klebz.

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Klebz, qu’est-ce que c’est que cette tenue ?

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C’est mon bleu de travail, mon capitaine.

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Il est marron, votre bleu, Klebz.

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C’est à cause du chocolat, mon capitaine.

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Qu’est-ce que vous foutiez avec du chocolat, Klebz ??? Z’êtes mécanicien de bord, je vous le rappelle !

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Oui mais c’est le sergent Von Dutch qu’a essayé de mettre une poule dans la machine à chocolat, mon capitaine, et du coup après il m’a demandé de l’aider à la faire sortir. C’est mon supérieur direct, vous comprenez !

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Klebz, la prochaine fois que je vous chope avec une tenue pareille je vous mets aux légumes pendant une semaine. VON DUTCH !!!

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Mon capitaine ?

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Cette histoire de poule, là, c’est quoi c’bordel ? Et où avezvous ramassé ces blessures ?


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Et bien c’est un peu délicat, mon capitaine... Comment vous dire...

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Accouchez, Von Dutch, je perds patience.

Et l'intendant de narrer le pourquoi du comment de cette fabuleuse aventure à base de poule et de chocolat. Tout avait commencé au petit matin lorsque le sergent, sortant difficilement de sa torpeur cryogénique thermo-régulée par biosphère de confinement à flux réduits, s’était dirigé vers le mess pour y préparer la popote quotidienne. Vivant difficilement le fait de se lever deux heures avant tout le monde pour finalement glander tout la sainte journée, le sergent avait laissé s’exprimer sa hargne par une bordée de juron, quotidienne elle aussi. En arrivant devant le plan de travail vierge et bien briqué, un doute s’était insinué dans son esprit encore embrumé par Orphée : "Qu’est-ce que je vais bien pouvoir leur faire à manger à ces casse-pieds ?" Il est vrai qu’à l’heure où blanchit la campagne les idées se font plutôt rares (et en l’occurrence la campagne aussi, ce qui n’arrangeait rien). Il avait donc décidé de descendre dans la cambuse du pont 3 de l’Amérion réservée au stockage des denrées alimentaires, des acides non-volatiles employés pour la convection bio-maintenue des régulateurs d’assiette et des animaux vivants. Comme dans les antiques vaisseaux de la marine, le stockage de bêtes vivantes se révélait délicat mais nécessaire aux voyages au long cours, ne serait-ce qu’au travers de l’aspect affectif de la chose (et aussi en termes de débarquement et d’installation durable sur une planète quelconque). "Voyons voir... Un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras... Des travers de klouklouk sauce madäre, peut-être ? Hmm non, trop riche..." Le choix de Von Dutch s’était finalement porté sur une poule 17


innocente, qui n’avait d’autre objectif pour la journée que de picorer benoîtement son grain et, éventuellement, de caqueter une ou deux fois avec ses congénères. L’affectueuse bestiole s’était néanmoins débattue becs et ongles lorsque l’intendant avait voulu la saisir, ce qui avait occasionné plusieurs blessures qui ne manqueraient pas de s’infecter. "De dieuuu" s’était exclamé l’intendant en empoignant une pelle à grain posée contre la paroi. "C’est pas à un vieux singe qu’on apprend à amasser de la mousse, moi j’te l’dis !" De l’autre côté de la soute, Klebz se dirigeait paisiblement vers le stock de clefs à molette de 96, étant donnée la très relative solidité de ces outils entre ses pattes d’ours. Sa moyenne depuis le début du voyage était de deux clefs à molette par jour. "J’vous jure capitaine je force pas en plus !" Bref. Le destin étant ce qu’il est, un vilain farceur, Klebz était entré dans la trajectoire de la pelle à grain manipulée par Von Dutch, ce qui avait eu pour effet deux actions bien distinctes. En premier lieu la poule de l’histoire s’était vue épargnée par l’apparition du mécanicien providentiel, et Von Dutch s’était subitement trouvé dans la trajectoire de la clef à molette brisée de ce dernier, furieux de s’être ramassé un coup de pelle injustifié. N’appréciant que moyennement la légèreté de ces deux zoziaux, le capitaine Tipek décida de faire un exemple. Von Dutch fut mis aux arrêts dans sa cuisine, avec interdiction d’en sortir avant d’avoir terminé d’éplucher le stock de patates reconstituées par laser matriciel. Klebz fut quant à lui mis à la soupe de légumes en tutubes pour la même durée avec interdiction permanente d’aboyer avant six heures du matin, heure de la Côte Ouest. Tipek était fier de lui. La terrible sentence calma tout l’équipage, si bien que personne ne la ramena pendant aux moins trois plombes. L’Amérion devint, l’espace de quelques heures, une espèce 18


de vaisseau fantôme, plongé dans un doux silence seulement troublé par le bercement de la thermo-ventilation à double flux perpendiculaire. ***

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Saut

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L’Amérion continuait son manège circulaire autour du point 458 depuis douze semaines et demie, et toujours aucune nouvelles du QG. Le moral de l’équipage était au plus bas. Pour tenter de remotiver ses troupes, Tipek n’avait eu d’autre choix que d’accepter l’organisation d’un trophée de gobage de Flamby dans les compartiments à impesanteur, situés dans l’ancienne zone de quarantaine de l’Amérion. Klebz avait brillamment remporté la partie, usant de sa formidable capacité de gobage, mais la finale qui l’opposait à l’inévitable Brossard avait été des plus serrées. Tipek avait assisté au spectacle avec un nœud à l’estomac, priant pour que ces deux abrutis pesant douze tonnes à eux deux ne perforent la coque à grands coup de pattes, griffes, clé à molette ou l’un des autres objets farfelus plus ou moins autorisés dans l’arène. Tipek avait gardé la main à proximité du contacteur de quarantaine, prêt à isoler la zone en cas d’accident, condamnant irrémédiablement l’équipage, mais unique moyen de sauver l’Amérion d’une ouverture accidentelle sur l’espace intersidéral. Tout s’était finalement très bien passé, Brossard n’écopant que d’une légère contusion de la troisième molaire supérieure, suite à un contact direct avec une clé de 96 qui, apparemment, ne faisait que "passer par là". Klebz avait quant à lui été victime d’une entorse de l’appendice caudal, ce qui ne mettait pas en jeu son diagnostic vital, mais lui causa de très vives douleurs à tel point que la pauvre bête dut être mise sous voltarène à ADN végétal natif. Cette blessure fut un moment difficile pour Klebz, car elle lui interdisait d’être content – le bonheur étant chez la race de Klebz inséparable d’une agitation frénétique de la zone touchée. C’est donc avec un bonheur tout relatif que Klebz entendit, en ce jour de 23 konkombrier de l’an 290 de l’ère Tul-Hulutt, la déclaration du capitaine Tipek : "Avons reçu les coordonnées du 22


prochain saut télémétrique. Que tout l’équipage se tienne prêt. Tous à vos postes. Utilisez les harnais de 12". Le contact avec le QG avait donc enfin été rétabli. Conséquence directe : l’Amérion allait enfin pouvoir quitter ce trou du cul intersidéral, pour aller sauver le monde via des contrées probablement inexplorées. Bien qu’aucun ordre de tir n’ait été lancé, c’était le branle-bas de combat général sur le pont principal de l’Amérion. L’équipage était pris d’une folle euphorie et tout le monde y allait de son petit commentaire ("Putain, qu’est-ce qu’on va leur mettre !" hurla notamment Brossard). Von Dutch se rua sur son siège hyperspatial, déplia son accoudeuhar, tapa quelques lignes dans l’invite de commande, puis le harnais de 12 surgit de derrière son dos, l’agrippant plus vivement qu’un casöar. L’instant d’après, il était complètement contraint, au bord de l’étoutouffement. En inspectant son équipement, Brossard entendit un "kouï !" familier. Il soupira. Klebz s’était encore coincé la queue dans son filet anti-G. --

Paré à l’hyperpropulsion ? hurla Tipek dans les vocodeurs ultrasoniques de l’Amérion.

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Yes, sir ! répondit l’équipage à l’unisson.

Avec un sourire satisfait, Tipek enclencha la procédure de saut. L’Amérion trembla de toute sa structure, pendant que les générateurs d’ondes quantiques à effet casimir chauffaient dans la cale. Tipek fit signe à Wall-ID de commencer le process de sauvegarde-équipage. Tout le monde fut alors affublé d’un casque de survie de type Baukval qui descendit du plafond, se fixant hermétiquement à la combinaison avec un bruit de chuintement humide. Klebz se retrouva, comme d’habitude, avec la truffe collée contre le ptiplexiglas du casque qui n’était pas à sa taille. Il émit un 23


grognement de frustration et se retrouva aussitôt perdu dans un nuage de buée. ‘chec, pensa t-il en constatant qu’il ne voyait plus rien. J’me suis encore fait niquer. Tipek observait l’écran de contrôle principal où Wall-ID faisait défiler la trajectoire différentielle calculée à partir des coordonnées de saut, jusqu’à "accrocher" la cible située dans la galaxie Prauxima du Grauzaure. Un grondement bestial monta depuis la cale ou les générateurs d’ondes se donnaient à fond. Tipek vit la charge des propulseurs clignoter, indiquant qu’elle était maximale. Il prit une grande inspiration puis walida l’ordre de saut. D’un coup, d’un seul, le spin des bosons de jauge de l’Amérion fut inversé, enveloppant le vaisseau d’un paquet d’onde neutronique déformant le tissu de l’espace-temps. Suant à grosse goutte et n’y voyant strictement plus rien, Klebz entendit le mut-mug de l’ordinateur de bord qui s’affolait, indiquant l’imminence du saut. Il fut écrasé contre le fond de son siège, manquant d’avaler sa truffe et de rendre son petit-déj’. Il faillit défaillir à l’idée de mourir noyé dans son Baukval, mais la poussée du vaisseau était déjà terminée. Klebz se sentit propulsé vers l’avant, retenu par son harnais élastoplastique en fibre de duroglonk qui ajustait l’effort via capteurs interposés. Ça y est, se dit-il. Ils y étaient. Klebz fit tourner son casque, non sans y laisser un filet de bave gluante, puis il l’abandonna au système de retrait automatique. Le casque rentra dans son réceptacle avec un bruyant "Slöööp Tuut", et Klebz se sentit soudain plus léger. Tellement léger... Boïng boïng bunk ! Klebz se rendit compte qu’il n’était plus sanglé dans son siège, et, l’apesanteur n’aidant pas, la plupart des membres du vaisseau était allée se brêler le caisson sur différentes aspérités internes du pont principal (qui un moniteur, qui un autre membre de l’équipage...). Tout cela 24


n’était pas normal. L’Amérion était en principe conçu pour ne pas se trouver dans ce genre de situation. Les harnais n’auraient pas dû s’ouvrir, d’ailleurs ils ne s’ouvraient automatiquement qu’en cas de... qu’en cas de PANNE GÉNÉRALISEE DU SYSTÈME !!! Diantre, on n’était pas dans la merde. Plus un bruit, plus un cliquetis dans tout l’astronef ultra-perfectionné... Seul Wall-ID continuait de folâtrer, visiblement insensible à la situation car auto-alimenté par ses batteries LiPau. --

Wall-ID, quelle est la situation ?

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Mo ka pa savé Missié.

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Ah bon ? Mais depuis quand ?

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Tipek niké danlku ?

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Fichtre, nous allons devoir travailler d’arrache pied pour remettre en fonction le générateur de distorsion à flatulences concaves droit...

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Tipek brêlé caisson !

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Ah bon ? C’est le gauche qui est pété ???

Car Tipek parlait couramment la langue de Wall-ID, d’ailleurs il avait même reçu les enseignements d’Otto Radiau au lycée. --

Capitaine, capitaine !

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Oui, caporal ? Euh, avant toute chose passez un pantalon caporal Lumi je vous prie, vous distrayez l’équipage.

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Très bien, mon capitaine. J’y vais mon capitaine. Voulez-vous venir avec moi ?

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Non Lumi, hem hrm, ça ira je vous remercie. 25


Sur ces bonnes paroles, Tipek alla directement se renverser le bac à glaçons dans le froc (les glaçons étaient d’ordinaire réservés aux Mojitos, ces indigènes nomades de l’espace, marchands renommés pour lesquels le glaçon est le plus pur des cristaux – ces andouilles se demandent encore pourquoi il fond), émettant du même coup un gros nuage de vapeur et un profond soupir : Fschhhhhhh euââââââr... Le capitaine Tipek, remis de ses émotions, rassembla ses esprits ainsi que son équipage et hurla à la cantonaise : --

Klebz Lumi Brossard Yababouaaaaa ! Au rapport sur la situation actuelle !

Entre temps, Wall-ID avait déployé une longue tige micro depuis son carénage jusqu’à la bouche de Tipek afin de relayer sa voix via le système de transmission sonore dont était équipé l’Amérion. Avec des auto-radios à chaque étage munis de la technologie toute récente d’impédance au néon, le son ressortait avec toutes ses nuances jusqu’au moindre recoin du vaisseau. Cependant, le sympathique petit robot avait probablement été secoué pendant le saut, ce qui l’induit en erreur dans le calcul de la trajectoire du micro qui finit sa course dans la narine droite du capitaine. Le résultat ne se fit pas attendre, et l’on put entendre avec une netteté d’opéra une longue plainte suivie d’une bordée de jurons nasillarde qui provoqua l’hilarité générale. Sauf peut-être celle de Wall-ID qui se vit botté en touche à destination de la lucarne du sas donnant sur le couloir. Et but. ***

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Environs

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Klebz ? Comment va le vaisseau ?

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Nous n’avons pas subi de dommages internes ni externes, mon capitaine, tout semble opérationnel mais rien ne fonctionne. C’est incompréhensible.

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Wall-ID ?

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Mo ka pa savé.

--

Ok, merci. Brossard ? Avez-vous une explication ?

--

C’est très étrange mon capitaine, l’Introducton à variateur démultiplié aurait dû prendre le relais, mais la diode de commutation n’a pas...

--

Commuté, oui bon. Yababoua ? Où sommes-nous ? Quelle est notre position ? Donnez-moi du concret, mon vieux !

--

Et bien, tout semble indiquer que les vecteurs champs liés à la carlingue du vaisseau ne sont pas constants ni même uniformes, et la plupart des matrices d’inertie (réduites en bases simples, s’entend)...

--

Oui bon, faites plus simple car... car Klebz est largué, là !

--

Je... non ! protesta ce dernier.

--

Et bien, pour être franc... L’Amérion bouge, mon capitaine. Nous dérivons lentement vers une planète qui n’est pas répertoriée dans ma mémoire interne. La position des étoiles, leur configuration, n’a jamais été observée par quiconque depuis... (il émit un faible chuintement qui signifiait l’accès aux données système) depuis toujours. Nous ne savons pas où nous sommes pour la bonne raison que personne n’est jamais venu ici.


--

En clair, nous sommes perdus ?

--

Hmmmm... oui.

--

Bien. Klebz, préparez les nacelles de survie. Je ne veux pas que nous nous trouvions coincés dans un gros tas de ferraille sans possibilité d’évacuation. Von Dutch ?

--

Capitaine ?

--

Allez faire à bouffer, j’ai faim. Et laissez tomber les poules et le chocolat. Caporal Lumi, effectuez dès que possible une analyse transitionnelle des facteurs de surface de cette foutue planète. Vérifiez si elle est habitable. Nous nous trouverons peut-être dans l’obligation de débarquer. Brossard, démerdezvous pour rétablir l’alimentation en énergie de l’Amérion. Yababoua, trouvez où nous sommes, et faites moi un rapport sur la dernière émission du QG tutuvien. Je veux savoir ce que nous foutons là, bon sang ! Faites-vous aider par le caporal Lumi si besoin est. ET RÉTABLISSEZ MOI CETTE PUTAIN DE PESANTEUR ! cria-t-il en évitant de justesse une godasse importune qui croisait au large du panneau de contrôle.

Le caporal Lumi se mit immédiatement à la tâche. Elle prit appui sur le sol carreulé, s’élança vers son pantalon qu’elle enfila en un frontflip élégant – non sans faire front-flipper le regard de l’ensemble de l’équipage –, puis elle se dirigea vers les commandes du vaisseau. Comme elle s’y connaissait plutôt bien en cinématique, et qu’elle avait une connaissance encyclopédique de l’Amérion, elle parvint à remettre en marche les mini-impulseurs anti-moukmik du vaisseau. Ces moteurs ne servaient principalement à rien (c’était d’ailleurs l’unique raison pour laquelle ils étaient encore en service), mais dans ce cas précis elle put les incliner d’un angle de précession suffisamment retorse pour faire tourner l’Amérion 29


sur lui-même, et à une vitesse angulaire suffisamment potable pour ramener un semblant de gravité. Bon, d’accord, le vecteur n’était pas constant, il évoluait même de manière fortement nonlinéaire depuis le centre de la salle des commandes jusqu’à la cale, écrasant les poules dans leur tas de foin, mais c’était le seul moyen de limiter le bordel sur le pont principal. Klebz se brêla le caisson d’une hauteur de 3 mètres, ce qui n’était pas beaucoup pour lui, mais il reçut un Brossard sur la tête. Il le prit avec une philosophie toute relative, lâchant une flopée de jurons tout ce qu’il y a de plus canins. --

Bien joué, caporal Lumi, éructa Tipek qui s’était emmêlé dans le dispositif anti-vomi que Yababoua avait laissé retomber sur sa gueule. Maintenant, allez me scanner cette foutue planète de mes deux !

--

Yes, sir ! répondit-elle.

Lumi rejoignit les commandes de scan au pas de course. Elle s’installa confortablement, essayant de ne pas coller ses gros nibards sur le clavier de la console. Elle entra quelques lignes de code connues d’elle-seule, probablement du Tepacap/++, enclenchant ainsi la procédure de scan de la planète. Encore une chance que le scan n’ait pas été coupé en énergie. Tout l’équipage était venu se coller derrière Lumi, certains pour regarder l’écran, d’autres pour... eh bien, autre chose, manifestement. Enfin bref. Sur l’écran défilaient un maximum d’infos plus ou moins bitables. Klebz tenta de lire la teneur en côtelettes de la planète, mais il fut noyé dans un vocabulaire technique pour le moins abscons. Les capteurs de flux à induction variable pouvaient renseigner sur le nombre de rongeurs à la surface de l’objet céleste, tandis que les sondes infra-rouge retournèrent la teneur en oxygraugène de 30


l’atmosphère. --

C’est pas bon, fit Lumi. L’atmosphère est irrespirable.

L’échec, pensa Klebz. Sans atmosphère respirable, il n’y aurait probablement pas de cautelettiers (animal pouvant servir à refaire le stock de côtelettes). Les infos continuaient de défiler. Les transducteurs à effet chtonk indiquèrent une possible présence de vie, en raison de teneurs élevées de composés carbonés et silicatés dans l’atmosphère verdâtre de la planète. --

Si c’est une vie à base de silicium, on n’est pas dans la merde, maugréa Brossard. Et sans oxygraugène, en plus ! Ça va encore nous donner de sacré bestioles !

Lumi ignora la remarque, et braqua les antennes à rémanence inertielle sur l’équateur de la planète, y recherchant d’éventuelles émissions radios, principaux signes de l’existence d’une civilisation digne de ce nom. Il n’y en avait pas. Et puis... plus rien. L’écran de scan tomba en rade en émettant un râle poussif. Une émission radio inhabituellement puissante avait-elle pu griller les antennes ? Sans doute pas, pensa Lumi. C’était plus probablement une panne générale de l’Amérion. Elle décida de ne rien dire au reste de l’équipage. C’était déjà suffisamment le bordel comme ça. Tipek resta un long moment, prostré devant l’écran devenu désespérément noir. Après de longues minutes, il demanda : --

Eh bien ? C’est tout ? Pfff ! P’tit scan !

Lumi n’osa pas trop la ramener. Tipek rompit de nouveau le silence. --

Yababoua ?

--

Oui, mon capitaine ? 31


--

Pouvez-vous poser l’Amérion sur cette foutue planète ?

--

Ça s’annonce chaud, sir. Klebz devra remettre les inverseurs de poussée en service. Au minimum.

--

Pas forcément, coupa Brossard. ***

32


6

Approche

33


--

Hein ? fit Tipek, pour le moins exaspéré.

--

On n’a qu’à déclencher la procédure de crash contrôlé.

--

Vous êtes devenu fou, Brossard ? hurla Tipek.

Mais tout le monde avait compris. Sans ordinateur de bord, et sans moteurs, il était illusoire de tenter une rentrée atmosphérique classique. Voyant le regard entendu de ses hommes, passant sur celui de Klebz qui n’y comprenait rien, Tipek dut se résoudre à l’évidence. La gravitation allait inévitablement précipiter l’Amérion sur cette fichue planète. Et pas moyen de se poser. Alors, autant utiliser la procédure de crash contrôlée. Ça n’avait jamais été tenté, par aucun vaisseau de la flotte de la coalition. Jamais. Et les experts étaient peu d’accord sur la validité des calculs effectués pour cette manœuvre hautement risquée, mais avaient-ils le choix ? Probablement pas. L’air grave, Tipek demanda : --

Quand ?

--

Maintenant, fit Brossard. Il reste juste assez de jus dans les batteries de Wall-ID pour enclencher la procédure. Ça va être rude, mais ça va marcher, je le sais. On pourra recharger WallID sur place, avec ses panneaux-solaires à effet de nuit. Ou pas. C’est vous qui voyez.

--

Faites-le, conclut Tipek.

La procédure de crash contrôlée était éminemment osée. Basée sur une rentrée atmosphérique de type "à fond à fond à fond" avec ouverture d’un gigantesque parachute façon chapiteau, la manœuvre reposait en fait principalement sur le déclenchement d’un airbag monumental quelques picosecondes avant l’impact. S’il s’ouvrait trop tôt, il grillerait contre la coque portée au rouge du vaisseau. S’il s’ouvrait trop tard, ben... Voilà, quoi. 34


Klebz se chargea du câblage de Wall-ID, puis Lumi vint vérifier le montage. Le mécanicien avait fait du bon boulot. Il avait mis les coupe-circuits en dérivation de l’alimentation, puis il avait monté le contacteur de l’airbag en étoile avec les processeurs de Wall-ID, évitant ainsi de couper totalement le dernier élément de l’Amérion encore capable de calculer le temps d’impact. WallID avait ainsi la lourde tâche de déterminer l’instant précis où il devrait faire commuter le contacteur de l’airbag, se débranchant lui-même de son alimentation, en un ultime sacrifice qui ne lui plaisait pas du tout. Mais bon. C’était ça, ou finir compacté au sol. Avec un grésillement électronique nasillard, Wall-ID indiqua qu’il était OK. Brossard vint à son tour checker le système. La gueule du montage, à base de diodes de commutation et de thyristors à retard réglable soudés à l’arrache, ne lui plaisait guère. Mais ils n’avaient plus le temps. Tout l’équipage se rassit, dans un silence de mort. Klebz tenta de mettre son harnais en mode manuel, mais la chose n’était pas aisée. Brossard préparait l’équipement de survie au sol nécessaire à la future sortie extravéhiculaire. Tipek le regarda s’affairer avec les combinaisons à Baukval, les réserves d’oxygraugène sous pression et les armes à contacteurs de proximité. Quand il eut fini, et que tout le monde fut enfin sanglé, il vint filer à tout le monde une espèce de combinaison rose fluo. Klebz le regarda d’un air vague, partagé entre l’exaspération et la plus profonde désespérance. Il flaira un instant la combinaison, puis déclara d’un air peu amène : --

C’est quoi encore, ce bordel ?

--

Équipement NBC. L’airbag de crash est rempli avec dix mille mètres cubes de fréon méthané, en moins d’une picoseconde. 35


--

Pas possible. Ne me dis pas que...

--

Si.

--

Nan. Ce n’est quand même pas...

--

Si. Une bombe nucléaire, conclut Brossard avec un air grave.

Ainsi donc, Klebz découvrit en quoi la procédure n’était pas sûre. L’airbag était gonflé à l’aide d’une déflagration nucléaire de type C. Ça n’était pas le modèle le plus puissant, mais ça allait quand même bien secouer. ‘chec, souffla t-il avec sa truffe. --

Et t’aurais pas pu nous le dire avant qu’on se sangle ? aboya Klebz d’un air mauvais, en découvrant ses canines grandes comme des couteaux de plongée.

Brossard ne répondit pas et enfila sa combinaison ridicule. Il fallut à Klebz et aux autres membres d’équipage dix bonnes minutes pour s’extraire de leur fauteuil. Découvrant sa combinaison, Klebz poussa un "kouï" terrorifié. Non seulement elle n’était pas du tout à sa taille, mais en plus elle ne comportait pas d’extension caudale. Rhâââ, grommela t-il en pliant sa queue en douze le long de sa jambe, avant de tenter de s’enfiler dans la combarde qui, heureusement, était extensible. La combinaison le moulait, c’était horrible. Il lui fallut encore dix bonnes minutes pour se ressangler, la poitrine comprimée et le souffle court, avec la désagréable impression de ressembler à un télétubbies émasculé. Vint enfin, ultime humiliation, l’épisode du Baukval. Plongé dans le brouillard de son casque, Klebz se sentit soudain seul, très seul, et se mit à espérer que cet enfoiré de Brossard n’avait pas fileumé toute la séquence à l’aide de son microtransducteur portable. Attendant la suite des opérations, Lumi entendit soudain son oreillette grésiller. 36


--

Caporal Lumi ? demanda Yababoua via le communicateur privé.

--

Oui ?

--

Le scan, lorsqu’il s’est arrêté...

--

Eh bien ?

--

Nous savons tous les deux pourquoi il s’est arrêté.

Ne comprenant pas où Yababoua voulait en venir, elle ne répondit pas. Puis elle se souvint qu’il était sensible aux ondes psioniques et autres conneries de ce genre. --

Je vois, Yababoua. Qu’est-ce que c’était ? demanda-t-elle sans laisser percer son inquiétude.

--

Une onde surpuissante. De type pulsar. J’en ai encore mal au crâne. ***

37


38


7

Impact

39


Klebz n’en menait pas large. Sanglé dans son harnais, queue comprise, le première classe était complètement contraint. Le supplice du Baukval était insoutenable, et l’angoisse du crash, imminent, n’aurait pu être atténuée que par des allers et retours frénétiques entre sa couche et le capitaine. Malheureusement le bon sens voulait qu’il reste dans son fauteuil, et il fallait bien se faire une raison, tout le monde étant logé à la même enseigne. ‘chec, pensa-t-il, pas de côtelettes. La truffe sèche et l’œil humide, Klebz posa finalement une papatte affectueuse sur le genou de Brossard, en signe d’ultime réconciliation avant ces quelques instants qui seraient peut-être les derniers à vivre. Brossard n’y prêta qu’une attention toute relative, perdu dans ses pensées. Il aurait bien aimé avoir une femme, histoire d’y penser un peu, se dit-il. Sa dernière tentative de séduction s’était soldée par un échec cuisant, à base de vomi de petit-déjeuner sur les genoux de la demoiselle en question (qui s’était enfuie sans demander son reste, on la comprend). Portant son regard sur la délicieuse Lumi, il sentit monter en lui l’envie de lui coller un bon coup d’antenne dans la parabole. Laquelle Lumi, attachée dans son siège, sa lourde et opulente poitrine comprimée, les cuisses offertes sur le cuir noir du fauteuil, attendant peut-être que... euh... Hrm bref. Lumi, donc, ne cessait de repenser à la conversation interrompue avec Hal. Où allaient-ils, tous ? Quel étrange destin les attendait ? On court droit à la catastrophe, hurlait en son for intérieur Tipek, comme pour répondre à Lumi. De toutes façons, cette mission pue la mort depuis le début. Le capitaine, au poste de pilotage (même s’il ne pilotait plus grand chose), portait la lourde responsabilité d’un équipage confiant. Et il avait transmis cette responsabilité à l’être le plus vil et le plus débile de la création, Wall-ID. Yababoua, quant à lui, captait toutes ces bribes de pensées et, fort de son intelligence supérieure, avait bien compris qu’ils étaient tous dans 40


le pétrin. Seul cet abruti de Wall-ID pouvait sauver la mise, et ils se retrouveraient dans le meilleur des cas perdus sur une planète inconnue, sans ressources... Le vaisseau brassait de plus en plus l’équipage et la tension se faisait palpable, pour sombrer dans le lieu commun. --

Paré pour le lancement de la procédure, Wall-ID ? éructa Tipek.

--

Mo ka paré, kapitaine !

--

Quand tu veux !

--

Oké. 5, 4, 3, 0 !

Une terrible déflagration à base de tritium se fit entendre à l’arrière du vaisseau, soumis à d’infernales contraintes de dislocations coin. L’ensemble de la carlingue ondula afin d’absorber l’énergie de déficit (liée au mouvement linéaire de restriction cinétique). L’instant critique était arrivé. Encaissant plusieurs dizaines de milliers de G, l’Amérion entama une descente vertigineuse, quittant sa position semi-orbitale pour piquer vers un continent incertain, à demi masqué par la couverture nuageuse de la planète mystérieuse. --

On va trop vite, capitaine, hurla Brossard, les équipements ne vont pas résister !

--

Wall-ID, fais quelque chose !

--

Mo ka pa savé, kapitaine, mo ka met musik ?

--

Mais non ! Lumi, quelle est notre altitude ?

--

Elle change tout le temps capitaine !

--

Bon, alors lancez l’ouverture des parachutes de secours ! 41


--

Bien reçu !

Le vacarme étourdissant qui régnait dans le cockpit fut ponctué par l’ouverture de la trappe ventrale de l’Amérion, laissant sortir trois énormes voiles en polypropyl-2,5-ol-3-ène. --

Alors, Lumi, est-ce qu’on ralentit ?

--

Non capitaine, au contraire, on accélère, on a gagné du poids en larguant les parachutes !

--

Damned. Tant pis, préparez-vous à l’impact !

La verrière du cockpit fut soudainement entièrement obturée par une sorte de gros ballon rose (la couleur avait été choisie par la femme du designer, une sombre histoire de pot-de-vin) d’environ 80 kilotoumètres de diamètre. Du coup on ne voyait plus rien, et l’attente se fit de plus en plus insoutenable. Les secondes défilaient avec autant de lenteur que des heures, Klebz faillit poser une terrine dans sa combinaison, et Lumi se mit à gémir (ce qui détourna quelques instants l’attention de l’équipage). Puis ce fut l’impact. Terrible. BOUM. Enfin, pas tout à fait boum... Quelque chose de plus mou... Flonf, peut-être. Puis un énorme bruit, long, qui oscillait avec hésitation entre le ronflement de Von Dutch après une grosse caisse et les flatulences langoureuses de Klebz en sortie de cassoulet. L’airbag de crash se vidait, répandant ses dix mille mètres cücübes de fréon méthané dans l’atmosphère et faisant parvenir du même coup une effroyable odeur de pet aux narines des membres de l’équipage qui n’avaient pas fermé leur Baukval. Cette exhalaison passait à travers tout, y compris la carlingue de l’Amérion qui tirait un peu la gueule, il faut bien le dire. Un véritable miracle, cet atterrissage forcé. Par sympathie et en signe de détente, Klebz laissa échapper un pet cuivré et louvoyant, étouffant un petit rire avant de percuter que sa combinaison de 42


confinement n’en ferait profiter que lui-même. Tout le monde lutta pour s’extraire des fauteuils à moitié défoncés par l’impact. La première chose que fit Klebz fut d’enlever sa combinaison. Il s’extrait avec bonheur de son espèce de malabar rose gluant de sueur, fit une grimace en se tordant la queue, puis envoya bouler son équipement dans la gueule de Wall-ID qui traînait dans un coin, les roulettes en l’air, désactivé. Brossard expliqua à tout le monde qu’il valait mieux ne pas traîner pour enfiler les équipements de sortie. Il y avait effectivement tout lieu de penser que la coque de l’Amérion avait été percée à l’impact, au moins partiellement, et les gaz irrespirables de cette foutue planète s’infiltraient dans l’habitacle, non sans charrier les résidus de gaz radioactifs de l’airbag. --

Rhâââ, on n’est pas encore sorti que c’est la planète qui vient à nous, râla Von Dutch. Ça commence bien.

Il ne pouvait pas savoir à quel point il avait raison. ***

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8

Surface

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Il faisait une chaleur à crever dans l’habitacle. La rentrée dans l’atmosphère avait dissipé en chaleur plusieurs mégatonnes d’énergie cinétique, transformant l’Amérion en un gigantesque four à pain. Et d’après les premières estimations de Lumi, l’atmosphère extérieure était saturée d’humidité. Ce fut donc dans une chaleur moite, étouffante, que chacun dut enfiler un énième costume, un peu moins ridicule cette fois-ci. L’équipement Pro/E, pour Professional External, conçu par la société Gügo, était effectivement de toute première qualité. Le modèle RJ-45, qui nous intéressait ici, était un scaphandre de sortie extravéhiculaire élaboré autour d’une armature légère en carbonite de titane. Le revêtement, souple et agréable, était en polypraupüläne renforcé de fibres de kalviar. Les chausses ressemblaient vaguement à des après-skis en titane. Klebz se rua pour inspecter le casque. Merde, encore un Baukval, ronchonna t-il. Mais celui-ci était en ptiplexiglas traité, renforcé par une matrice en acétate antibuée. C’était toujours ça de pris. Et puis, comble du luxe, il y avait une poche caudale plutôt généreuse. Cela suffit à arracher à Klebz un "fnouf fnouf" de contentement. Brossard fila à tout le monde une triple bonbonne d’oxygraugène pur à 200 bars, qui s’enclenchait facilement en faisant un chtonk rassurant. Klebz entendit aussitôt la soufflerie se mettre en marche derrière sa nuque, brassant le gaz avec un "Ouuuuuïïïïïïïnnnn" pour le moins insupportable, mais au moins il y avait la clim. Klebz vérifia son niveau d’oxygraugène, ainsi que la charge de ses batteries LiPaurtatives. Pas question de tomber en rade de clim, se dit-il. Tipek mit son équipage au garde-à-vous. --

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Notre unique priorité est de réparer les dommages qu’a subis l’Amérion durant le crash. Je veux que tout le monde suive


les ordres de Klebz, le cas échéant. Plus vite l’Amérion sera retapé, et plus vite nous serons repartis. Von Dutch ! --

Yes, sir ?

--

Si jamais nous sommes amenés à nous éloigner du vaisseau, vous restez monter la garde, en cas de contact avec les indigènes. Vous ne devez vous éloigner de l’Amérion sous aucun prétexte, c’est bien compris ?

--

Yes, sir !

--

Parfait ! Brossard, ouvrez le sas. Que la fête commence !

Brossard s’exécuta. L’iris de la grande porte s’ouvrit, relâchant un flot de fumée dans l’habitacle, puis la passerelle descendit en ronronnant. Tipek porta sa main au petit clavier de contrôle situé sur son avant-bras, puis il enclencha le mode pärebrïse, et son casque se teinta de bleu anodisé, filtrant les UV. La classe, pensa t-il. Les autres firent de même, puis chacun s’avança sur la passerelle, d’un pas lourd d’appréhension. Lumi observa l’humidité se condenser sur son scaphandre. En quelques secondes, tout le monde fut trempé. Groumf, ronchonna Klebz. Le système antibuée ne marchait pas du tout. Il jeta un coup de langue baveuse sur le ptiplexiglas pour essuyer ce bordel, mais la bave n’offrait pas une plus grande visibilité, loin de là. La truffe comprimée, Klebz décida que c’était vraiment un casque de merde. Tipek fut le premier à descendre de la passerelle qui grinçait tout ce qu’elle pouvait. Il posa un pied sur la surface de la planète. Le sol était meuble, spongieux. Son pied s’enfonça, puis il eut un peu de mal à l’extraire. De l’argile. Le sol était en pente douce et pourrait se révéler glissant. La terre, d’un gris verdâtre, luisait sous l’éclairage du double soleil qui en mettait plein la gueule à tout le monde, malgré l’activation du pärebrïse. Surtout, ne pas se brêler devant 47


tout le monde, se dit Tipek. Ce serait vraiment trop la loose. De part et d’autre de ce couloir de terre luisante, il y avait une végétation dense, d’un vert jaunâtre. De toute évidence, le couloir de boue était le sillage laissé par l’Amérion lors de l’impact. --

Pas question de s’enfoncer dans la jungle, fit Tipek. Prenons de la hauteur et allons en haut de la colline, là-bas.

L’équipage progressait lentement sur la pente, faisant bien gaffe à ne pas se boîter. C’était déjà fait pour Klebz, qui était recouvert d’une épaisse couche de merde qui, non content de l’alourdir de plusieurs tonnes, s’était étalée sur l’extérieur de son Baukval. Le mécanicien n’y voyait, par voie de fait, rigoureusement plus rien. Il était tellement lourd qu’il s’enfonçait de près d’un mètre à chaque fois dans ce qui ressemblait de plus en plus à un gros merdier qu’à autre chose. Klebz décida donc de se mettre à quatre pattes. Retrouvant son esprit d’enfant, et la posture naturelle de ses ancêtres, Klebz se mit à cavaler gaiement, rejoignit Tipek puis tourna une bonne dizaine de fois autour de son capitaine, le maculant copieusement de merde, avant de foncer en haut de la colline en cavalant joyeusement. Il fut vite rejoint par Tipek qui se retourna pour contempler l’Amérion. Le vaisseau gisait, enfoncé d’au moins vingt mètres dans cette foutue terre gluante. Le crash avait défoncé la jungle alentour, la ratiboisant sur plus de 400 mètres de long et près de 200 mètres de large. L’équivalent de trois terrains de basseuket, pensa Hal. Les résidus de l’airbag battaient furieusement dans le vent, faisant flap-flap contre la coque. Des morceaux entiers s’étaient barrés dans la jungle, ponctuant cette immensité verdâtre de quelques touches de rose fluo d’un goût douteux. Lumi reprit son souffle, puis sembla se diriger vers la jungle, braquant vers les arbres toute une chiée de capteurs à impédance 48


résiduelle. De toute évidence, elle voulait en savoir plus sur la flore de cette planète, que Klebz proposa de dénommer Coteless-1, en raison de sa faible teneur supposée en côtelettes. Le barda de Lumi émit une longue plainte de pépiements électroniques, clignotant dans tous les sens. Tipek la rejoignit, essayant d’avoir l’air profondément pénétré par "l’importance de la découverte de cette flore de silicium", mais il n’y panait définitivement rien. Von Dutch retourna au vaisseau, se souvenant des ordres qu’il avait reçus. Brossard avait braqué son fusil à rétrogluons vers la cime des arbres les plus proches, sans doute occupé à ré-étalonner son viseur à effet Doppler. Yababoua semblait profondément concentré, comme s’il écoutait la forêt. Mais à part ce foutu vent qui hurlait comme un dément, il n’y avait rien. Bref, ça glandait dur. En plein cagnard, Klebz était en train de penser que la clim, c’était quand même vachement cool, lorsqu’il entendit un feulement bizarre. Une odeur d’électronique brûlée envahit aussitôt ses nasaux. Klebz commença à paniquer comme une chienne en bas âge, lorsqu’il se rendit compte, la mort dans l’âme, que son ventilo venait de cramer. Et la clim avec. En se retournant vers les autres membres de l’équipage, Klebz put constater aux volutes de fumée noire s’échappant de chacun des systèmes de ventilation qu’il n’était pas seul dans ce cas, bien au contraire. TOUS les systèmes de ventilations ainsi que les systèmes d’amarrage inductif des combinaisons étaient en rideau. Les lampes taurches, fusils à rétrocondensation et autres télémètres analytiques étaient tombés à terre, décrochés des ceintures multifonctions. --

Klebz pour Tipek, Klebz.

--

Tipek à l’écoute. 49


--

Capitaine, c’est la merde !

--

Merci Klebz, j’avais remarqué. À tout l’équipage, sortie extravéhiculaire achevée. Ramassez vos jouets on rentre chez maman, je répète, on rentre chez maman.

Tipek n’utilisait le langage codé de la Cellule qu’en cas de crise (d’où les cellules de crise), et l’équipage comprit rapidement qu’il ne badinait pas. Something’s coming, pensa Von Dutch. Lumi poussa tout à coup un hurlement guttural. Yababoua gisait à terre, inconscient, et il vomissait plus ou moins dans son Baukval. Quelle déchéance, pensa Von Dutch. Il prit l’infortuné sur son épaule, tenant son fusil bio-mécanique avec son bras libre, et jeta un regard autour de lui. Ses compagnons, médusés, se tenaient muets et immobiles. La flore environnante semblait crépiter, comme agitée de l’intérieur par un phénomène qui dépasse l’entendement. Des teintes chamarrées passaient fugitivement dans le ciel, et la couverture nuageuse s’étendra toute la matinée sur la majeure partie du territoire. Bientôt le groupe reprit la marche, devancé par Klebz qui ne souhaitait qu’une seule chose : rentrer. Tipek, qui ne regardait pas où il mettait les pieds, glissa et se boîta, mais, comme la marche du petit groupe était inversée, il était en arrière et réussit à rester discret. Les larges traînées de boue olivâtre qui maculaient la combarde du maladroit capitaine témoigneraient néanmoins de l’inavouable gaufre. La "nature" tout autour se faisait de plus en plus menaçante. Les arbres se courbaient, et certains gênaient même la marche du groupe. Ici et là, la traînée laissée par l’Amérion lors du crash se faisait moins visible, moins nette. Des déflagrations crépitèrent dans l’atmosphère, lointaines au début puis de plus en plus bruyantes. -50

Lumi, héla Tipek, que se passe-t-il ? Quel est cet étrange phénomène ?


--

Je ne sais pas capitaine, hurla Lumi dans l’intercom de plus en plus perturbé par les explosions. On dirait bien un orage magnétique, mais normalement ce type d’orage ne se rencontre pas à si faible altitude. De plus la nature semi-conductrice de la végétation tend à laisser passer les différences de potentiels, ce qui n’arrange rien ! Il faudrait peut-être se préoccuper de l’effet Tao, vous savez !

--

Euh... Oui, bon... En avant !

Ça m’apprendra à poser des questions stupides, pensa Tipek qui, s’agissant de Tao, ne bitait généralement pas grand chose (on ne l’en blâmera pas). L’équipage retrouva Brossard inquiet sur la passerelle de sortie. L’atmosphère se faisait de plus en plus électrique, et la carlingue de l’Amérion luisait par instant d’une lumière bleutée, entourée d’étincelles. Une fois l’ensemble de l’équipage en sécurité, Tipek actionna la fermeture de l’iris et entreprit de restaurer en grauxygène le sas de décomprimage. Pchout. L’interface de bio-support médicalisée implémentée dans chaque combinaison avait eu le temps de dresser un bilan carbone du malheureux Yababoua. Il n’était qu’inconscient, et ne tarderait pas à retrouver ses esprits. Klebz, quant à lui, tentait vainement de se défaire de sa combinaison. L’humidité ayant aggloméré ses longs poils (on était en hiver sur sa planète natale), le polypraupüläne de la combarde collait comme un chouinegaumme au mécanichien. Il réussit cependant à extraire son tronc de l’infâme vêtement, et entreprit d’en sortir sa patte postérieure droite. Arrivé au niveau de la cheville proprement dite, coinss ! Une patte libre et l’autre emprisonnée, Klebz se mit à sautiller dans tout le sas, bousculant les uns et les autres en tentant toujours de virer cette foutue combinaison. Le mécanichien vint ainsi terminer sa course dans une paroi dudit sas, ayant accidentellement accroché une partie 51


de la fourbe combarde dans un coin d’une grille de sol tordue. Il n’eût que le temps d’étouffer un couinement de douleur mêlée d’indignation. Traître destin... Lorsque Lumi entreprit de retirer sa combinaison, le temps sembla suspendre son vol. D’un physique déjà avantageux toute habillée, le caporal n’était vêtue sous sa combinaison que de bien peu de tissu aux endroits stratégiques, et Klebz oublia bien vite sa chute pour se mettre à baver, sans que personne ne s’en aperçoive, d’ailleurs. --

Je vais prendre une douche, capitaine, je suis trempée de sueur !

--

Euh... Je... Krxzptw... C’est ça allez-y... Vite...

Putaaaaaain, pensa Tipek. Bon, passons à autre chose. Yababoua se remettait doucement de son malaise, et fit redescendre tout le monde sur terre en dévissant son Baukval plein de vomi. Une odeur âcre se répandit et s’insinua dans les narünes de ses coéquipiers. La truffe bionique ultrasensible à capteurs débrayables de Klebz faillit péter sous le choc, mais les alliages thermo-canins de ladite truffe résistèrent à l’impact nauséabond. --

Que vous est-il arrivé, Hal ? demanda le capitaine.

--

Oui, c’est vrai ça, que t’est-il arrivé, bordel ? renchérit Von Dutch, jamais à court de paroles utiles.

--

Je ne saurais le dire, mais je crois que ça a un lien direct avec la cause de la défaillance de l’Amérion, juste après le saut.

L’épisaude douloureux de la mise en orbite puis du crash resurgit dans la mémoire de chacun. -52

Mais comment est-ce possible ? questionna Brossard.


--

Et pourquoi donc ?

--

Pis d’abord on est où ? Tu dois bien le savoir, toi, avec tes grosses antennes vertes !

Yababoua avait en effet deux grosses antennes vertes qui surplombaient sa tête, mais c’est pas trop le sujet pour le moment. Les questions se succédaient à un rythme de plus en plus souteunu, et, comme pour décompresser un bon coup, l’équipage agressait Hal d’interrrogations diverses et variées. --

Mais pourquoi sommes-nous tombés, alors ?

--

Et qui a tué M. Lenoir dans la bibliothèque avec le chandelier ?

--

Aimes-tu l’avocat vinaigrette ?

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STOOOP brailla Tipek. Foutez-y la paix, un peu. Von Dutch ?

--

Capitaine ?

--

Allez faire à bouffer. Brossard ?

--

Capitaine ? Hé ! Von Dutch pendant que tu y es, tu peux allumière ?

--

Vous poutaire, sergent ? Je vous parle ! Allez avec Klebz et suivez ses instructions pour tenter de réparer les combardes. Faites ça loin, à l’atelier par exemple. Et si j’en chope un avec la gueule esquintée je mets l’autre à fond de soute, c’est clair ?

--

Chef oui chef ! scandèrent les deux frères ennemis.

--

Bon, Hal, racontez-moi.

--

Merci capitaine. Comme vous le savez je suis sensible aux ondes psioniques de surface (principalement générées par les 53


effet de POO). J’en ai déjà parlé brièvement avec le caporal Lumi... Yababoua expliqua alors à Tipek comment une onde surpuissante avait perturbé le champ de confinement biomécanique de l’Amérion lors de la mise en orbite automatique qui suit chaque procédure de saut. Une sorte de trigger non-inverseur colossal généré par le noyau dur de la planète s’était propagé le long des supraconducteurs de l’Introducton, normalement protégé par le champ de confinement, et avait complètement déréglé les routines de calcul probabiliste permettant le saut. En d’autres termes c’était la grosse louze. Les ondes rémanentes plénipotentiaires résiduelles avaient causé son malaise pendant la sortie extravéhiculaire.

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--

Mais si l’Introducton est endommagé, alors... Alors on ne peut plus effectuer de saut !

--

Et bien en théorie si, capitaine. Les paramètres de semirégulation à téléguidage cacophonique sont implémentés nativement dans l’interface de contrôle des indicateurs de stabilité, mais le système de microguidage en base propre, lui, est composé à 89% de particules fileutées à fouinage autonome.

--

Euh... Oui, c’est évident... Donc...

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Donc en gros on peut sauter, mais on ne sait pas où. Sans doute pas dans la matière, étant donné que l’univers est composé de vide essentiellement (et heureusement je dirais).

--

Bon. Bin on n’est pas rendus. Pas un mot à l’équipage, même à Lumi. Prétextez n’importe quoi pour votre malaise, je ne veux pas le savoir. Nous ne devons pas céder à la panique. Il faut avant tout trouver une solution.


--

C’est malheureusement impossible, capitaine. L’Introducton est définitivement endommagé et nous ne trouverons pas les pièces qui vont bien sur cette planète.

--

So we are... LAUST IN SPÄCE... ***

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56


9

Coteless-1

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Après le cuisant échec de la première sortie extravéhiculaire, tout l’équipage, désespéré, avait décidé d’aller se couchec. Un suppo et au lit, avait lâché Von Dutch. Fusillé du regard par les autres, Von Dutch avait vite compris qu’ils n’iraient quand même pas se coucher sans avoir graillé un bout. Ce soir là, Von Dutch prépara donc un bon gros koukous agrémenté d’une sauce à la kaleubasse. Et, enfin, tout le monde dormit. Ayant réglé le réveil de son tube cryogénique une bonne heure avant tout le monde, Tipek fut réveillé sur le coup des 06h30 par un courant sinusoïdal déphasé lui traversant l’hypothalamus. Son tube chuinta un bon coup, manquant de réveiller tout le monde, puis s’ouvrit dans la noirceur de la zone de repos. Tipek se leva et, sur la pointe des pieds, se faufila dans le sas. Il chercha sa combi, qui traînait dans un coin, puis fonça dans le compartiment des laveries. Là, il passa une bonne demi-heure à laver les traces de son lamentable échec de la veille. Le cleaner à nanopompes cradophiles toussota un peu en aspirant la merde, mais le nettoyage à sec par laser hydroponique lustra la combinaison comme au premier jour. Personne n’avait remarqué sa vautre... et maintenant plus personne n’en saura jamais rien, pensa Tipek en laissant échapper un bon gros "gniark gniark" bien de circonstance. Le petit-déjeuner se composa essentiellement de gore-flakes à la banane reconstituée et de quelques burples décongeulés. Tout le monde mangea avec entrain, et Klebz ne fit même pas la gueule. Tipek était fier de son équipage, de le voir ainsi capable de se montrer plus fort que la louze. Brossard fut le premier à s’habiller, bien décidé à coller la branlée à quiconque se mettrait en travers de son chemin et de celui de l’Amérion. Klebz lui emboîta le pas, puis il passa quelques minutes à réparer les systèmes de ventilation tombés en rade. Il identifia rapidement le coupable : un 58


petit transistor de type "toupouru", bien connu pour sa durée de vie n’excédant pas les dix minutes et qui n’aurait jamais dû être installé dans des combinaisons destinées à un vaisseau comme l’Amérion. Klebz sortit sa caisse à outils, en sortit une bonne grosse clé à molette, et se mit au travail. En moins de deux, le matos fut comme neuf. En descendant de la passerelle, Tipek grinçait des dents et serrait les fesses. Pas question de se prendre une branlée comme la veille. Lumi avait bricolé une mini-hotte à transfert d’induction, censée générer un effet semblable au kagubu de Faraday, capable de protéger l’équipage pendant les réparations de l’Amérion. Klebz menait les opérations avec efficacité, poussant un "groumf" de ci, de là, indiquant les réparations à effectuer et expliquant les procédures qualité associées. L’air était atrocement électrique, irradiant une lueur bleu orangée. Bien à l’abri sous la hotte, il n’y avait aucun danger, mais Lumi expliqua que si l’on restait trop longtemps exposé aux rayons, on risquait d’être victime de l’effet kassoulé, comprendre : d’être cuit comme un œuf. Et il n’y avait que deux places sous la hotte. Tipek décida de laisser Klebz et Lumi réparer les avaries. Ils avaient l’air de gérer. Pendant ce temps, lui, Yababoua, Von Dutch et Brossard iraient inspecter les environs, bien à l’abri dans la forêt dont l’aspect semi-conducteur semblait limiter les effets des rayons. --

Et Wall-ID mon capitaine ? s’enquit Von Dutch.

--

On le réactivera au retour. Ça nous fera des vacances.

--

Ah ? Bon.

Munis de tronçonneuses de poche à inverseurs multiphasés, les quatre hommes pénétrèrent la forêt et avancèrent à vive allure, taillant la zone avec entrain. Les arbres de la forêt s’avérèrent 59


particulièrement cassants. Même les feuilles se pétaient comme des assiettes lorsque Klebz était de corvée vaisselle. Intrigué, Brossard brandit son scanner à télémètre multifonctions et entreprit de passer au crible la végétation. Celle-ci s’avéra être essentiellement constituée de borure de silicate. Comme personne n’était spécialement calé en chimie végétale, Tipek contacta Lumi par l’intercom.

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--

Tu t’y connais, en... borure de silicate ? demanda t-il.

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Pourquoi ?

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Ben, euh... la forêt semble faite de cette matière ! fit Brossard.

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Et j’imagine que les végétaux sont plutôt fragiles ? interrogea Lumi.

--

Comment tu le sais ? s’étonna Yababoua.

--

C’est normal. C’est dû à la structure cristalline à invariance d’échelle du borure de silicate. Les contraintes générées par les efforts transverses ne peuvent être compensées par les effets de couche limite, à viscosité nulle j’entends.

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Et alors ?

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C’est tout.

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Je vois, fit Tipek comme s’il avait compris le pourquoi du comment.

--

Oui. C’est pour ça. Bon, maintenant, c’est pas que j’ai du boulot, mais les soudures à effet zig-zag sont rendues difficiles par toute cette activité électromagnétique, et je doute de pouvoir terminer la mise en kanban de...


Tipek avait coupé la communication. ‘commence à me lourder, celle-là, pensa t-il. --

Continuons, fit Tipek d’un air viril pour se donner un peu de contenance.

Et les quatre hommes de continuer de massacrer tous ces pauvres arbres, prenant un certain plaisir à les voir s’effondrer dans un nuage de poussière brillante. Une heure plus tard, ils arrivèrent dans une drôle de clairière. Il n’y avait plus un seul arbre, mais une douce pente concentrique, donnant sur... ben, c’était pas très clair. Tout ça ressemblait à une espèce de cratère, mais Tipek n’en était pas bien sûr. Au fond, il faisait tout noir et, pourtant, une étrange lueur semblait briller quelque part, en dessous. Brossard sortit instinctivement une corde de son barda et, avant que Tipek ait pu dire quoi que ce soit, les quatre hommes étaient reliés les uns aux autres par ladite corde via les points d’ancrage de la combinaison RJ-45. Brossard marchait en tête – après tout, c’était lui qui avait eu cette idée à la con. Les quatre hommes descendaient lentement dans le cratère, comme terrorifiés par ce qu’ils allaient trouver au fond. La pente se faisait de plus en plus raide, et la surface de plus en plus glissante. Pour ne rien gâcher à l’affaire, une épaisse fumée sortait du fond du cratère, plongeant notre joyeuse équipée dans un brouillard plus épais qu’une sauce à la Von Dutch. Tipek marchait précautionneusement, pas question de se boîter comme la veille. Mais ce fut Yababoua qui chuta. Glissant sur on ne sait quoi, Yababoua dérapa. Et là, l’intérêt de la corde qui reliait nos quatre gugusses fut des plus limités. En temps normal, ladite corde permet aux hommes restés maîtres de la situation de rattraper celui qui s’est brêlé. Manque de bol, Yababoua s’étala tellement comme une grosse merde, et le terrain était tellement glissant, 61


que l’effet de la corde s’en trouva douloureusement inversé. Au lieu d’être stoppé par ses camarades, Yababoua entraîna tout le monde avec lui. La chute fut longue, pas tout à fait dénuée de fun, ponctuée d’une avalanche de "merd’merd’merd’merde !" et autres "putain, ‘chier" non sans oublier un long "‘cheeeeeeeeeccc !!!". Quelques instants glissants plus tard, les quatre bougres débouchèrent dans une salle de grandes dimensions (environ.) par le plafond percé en son centre, et tombèrent d’une dizaine de mètres jusqu’au sol recouvert d’une épaisse couche de boue locale. Leurs armures à rigidité variable se durcirent afin d’absorber la violence de l’impact, puis reprirent leur souplesse initiale. De bonnes combardes, ça, au moins, pensa Brossard, bougon. Le plafond de l’exotique caverne était ponctué d’innombrables champignons bioluminescents qui conféraient au tout une ambiance un peu lounge à base de lumière feutrée et pulsante, de couleur variable. Pour un peu on aurait commandé un mojito au taulier, si taulier il y avait eu. L’ensemble du sol de la caverne n’était pas sans rappeler les antiques légendes des Abaures du Laukvhal, habité par l’infâme Canditaure (cf. Les très riches heures du chasseur Röh-Lan, des mêmes auteurs). Il était couvert d’une couche de boue à l’exception des côtés qui, constitués d’espèce de rives en roche, offraient au voyageur fatigué un halte hospitalière. Quelques bulles perçaient de temps à autre la surface en un gros chloupk glaireux qui laissait échapper une fumée verdâtre. Klebz aurait beaucoup apprécié, pensa instantanément Tipek. --

Capitaine, venez voir !

Yababoua, à quelques mètres de là, contemplait la surface de boue d’un œil attentif. Une sorte de protubérance se formait peu à peu dans la vase, d’environ trente centimètres de diamètre et cinquante de hauteur. Les quatre militaires armèrent leurs fusils 62


Dassault comme un seul homme, et attendirent la suite. Cela prenait forme... Une forme vaguement humanoïde se dessina jusqu’à atteindre la taille des voyageurs égarés. Celle de Yababoua, plus précisément. Des traits plus nets marquaient désormais la forme, et Hal ne put retenir une exclamation. --

Mais c’est moi !

Et en effet, c’était lui. La fange infecte dans laquelle ils barbotaient avait laissé pousser à sa surface une excroissance qui désormais ressemblait comme deux gouttes de limon à Hal. ***

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Rencontre

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--

C’est absolument extraordinaire ! lâcha Tipek.

--

Quelle découverte fabuleuse ! compléta Brossard.

--

Oah ça me troue le cul ! Von Dutch, évidemment.

--

Vos gueules ! Il cherche à communiquer. Je perçois des ondes bio-sympathiques à la surface de son enveulauppe.

Yababoua avait le regard plongé dans celui de l’être qui s’était matérialisé devant eux. Il essaya de pénétrer les pensées de l’étrange créature, mais sa permittivité magnétique devait être proche de zéro (au sens de la moyenne volumique) puisqu’il ne perçut rien, pas même la signature de jauge d’un champ de Higgs. Ce qui n’était vraiment pas normal. Intrigué, Hal s’approcha. La formation de terre visqueuse fit de même, puis lui tendit la main. Mais Hal avait beau être sur le cul, il n’était pas complètement con pour autant. Ça puait le trakeunar des steppes à plein nez. Alors, il fit un pas en arrière, observant la réaction de son double tellurique. Celui-ci s’immobilisa, en une posture énigmatique. --

C’est quoi ce délire ? éructa Brossard.

--

T’as mis des champis dans la bouffe, Von Dutch ? s’enquit le capitaine.

--

Je... non ! répondit l’intéressé.

--

Alors, c’est réel, conclut Brossard d’un air sombre.

Oui, c’était réel. Foutrement réel. Le faux Yababoua boueux se mit à onduler, enfin pas vraiment, mais presque. La boue dont il était fait devint brillante comme de l’huile de gröl, presque étincelante, et émettait une vague lueur pâle, d’un vert un peu dégueu, du genre à vous foutre la nausée. 66


--

Des micro-organismes bioluminescents, souffla Brossard.

Tipek opina du chef en silence. Non seulement cette boue était vivante, mais en plus les micro-organismes qui la composaient semblaient intelligents. Ou plutôt, par un procédé de logique floue, leurs multiples interactions locales semblaient créer un effet plus global, macroscopique même. --

C’est un comportement émergent, lâcha Tipek, très fier de lui.

--

Un quoi ? s’étouffa Von Dutch.

Et alors que Tipek se tourna vers lui pour lui faire pompeusement la leçon et lui expliquer qu’ils venaient de découvrir une nouvelle entité (que Tipek allait proposer d’appeler yaba-boue), il tourna le dos au monticule de terre macro-intelligente. Monumentale erreur. Le yababoue fondit sur lui tellement vite que Brossard n’eut pas le temps d’activer son fusil à rétrocondensation. Il ne put qu’assister, impuissant, à la mise à mort de Tipek. Le capitaine fut attrapé par derrière, en une posture pour le moins douteuse, eut quelques instants l’air vachement surpris, puis il fut englouti par un raz-demarée visqueux. Un hurlement plus tard, c’était fini. Von Dutch resta scotché. Yababoua et Brossard se ressaisirent vite, armèrent leurs fusils à génome, puis ils tirèrent chacun deux douzaine de bastos dans la boue, avant de se dire que si Tipek s’en était tiré, ils venaient peut-être de l’achever. Un peu looseux, Brossard essaya de joindre Klebz et Lumi, mais la paroi semblait avoir un effet d’atténuation trop important pour laisser passer les ondes du communicateur à résonance biconcave. Résigné, il sortit de son sakado pressurisé un scan à effet de sol, puis entreprit de sonder la zone où Tipek avait disparu. Les ondes à compression périodique révélèrent la géométrie du sous-sol, mais pas la moindre trace du capitaine. C’est alors que Von Dutch, une fois n’est pas coutume, 67


fit une remarque pour le moins judicieuse. --

Eh mais putain, les mecs, on est encore accroché ! Y a qu’à tirer la corde !

--

C’est pas faux, fit Brossard. En plus, il doit pas être bien loin, vu que nous n’avons pas été entraînés à sa suite.

--

À moins que la corde n’ait pété, lâcha Hal, terrifié.

Les trois hommes se jetèrent donc sur le vieux bout de corde qui dépassait, puis ils entreprirent de tirer dessus aussi fort qu’ils étaient bêtes. Mais ça ne bougea pas. --

On n’est peut-être pas assez bête ? hasarda Von Dutch, qui ramassa une tarte de Brossard dans la gueule.

--

Non, tirons plus lentement, proposa Hal.

--

T’en veux une aussi ? Arrête d’être con ! s’énerva Brossard.

--

Mais non, écoute. Si cette foutue boue est viscodispersive, sa réponse en traction est fonction de... ben, de la traction. Si on y va plus lentement, elle résistera moins. En toute rigueur (et au sens strict), si on ne tire pas, la résistance est nulle.

--

En clair, si on n’en rame pas une, le capitaine va se sortir de là tout seul ?

--

Presque. Mais on ne peut pas raisonner par limite en zéro, parce que la boue n’est pas dérivable. Elle n’est peut-être même pas continue.

Jugeant qu’il avait déjà dépassé de très loin le capital patience de Brossard, Hal décida qu’il n’était pas nécessaire d’épiloguer, puis il en vint à la conclusion. 68


--

Hem brÄf. Laissez-moi faire.

Hal se pencha, prit le bout de corde puis il tira. Tout doucement. Et ça venait. Quelques instants plus tard, le capitaine était hissé sur la berge. Ses capteurs biomédicaux et autres sondes à diagnostic autonome étaient en panne, pas moyen de savoir s’il était encore en vie. Mais la ventilation thermo-régulée fonctionnait toujours. Brossard frotta la visière de Tipek et désactiva son päre-brïse, dans l’espoir de voir son visage et là, ce fut le soulagement : Tipek était en vie. Tout le monde poussa un grand soupir de contentement – nul doute que si Klebz avait été là, il se serait péter la queue en la secouant –, puis Tipek essaya de dire quelque chose. Son vocodeur grésilla, puis transmit une voix faible, hésitante : --

Les... les... do...... domi... nautes !

--

Hein ? Quoi ? fit Yababoua.

--

Fuyez ! FUYEZ !!! hurla Tipek en saturant les enceintes.

Il se releva à toute vitesse et s’enfuit vers la paroi. La terre se mit à trembler, puis les champignons bioluminescents clignotèrent en rythme avec une espèce d’horrible hululement. Tout le monde faillit faire dans ses chausses, puis se jeta à la suite du capitaine. Tipek arma son harpon à déphasage angulaire, tira vers le haut de la paroi, puis enclencha le rétracteur magnétique, se propulsant vers la roche. Ses compagnons décollèrent à la suite. La corde prit super cher dans sa gueule et fut violemment sollicitée en traction, mais elle tint bon. En plein vol, Tipek fut retenu par l’inertie de ses hommes, mais il ne se démonta pas et arma son second harpon, puis visa un peu plus haut. En l’espace de quelques bonds bien ajustés, Tipek était sorti du trou et, à la force de ses pecs suractivés par l’adrénaline, il hissa ses hommes comme une grappe de konkombres. En bas, il vit un immense tourbillon se 69


former. Le hululement se mua en un hurlement. Ça, c’est pas bon, pensa Tipek. ***

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Les dominautes

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P'tain, il est quand même balèze le captain, pensa Brossard en levant les yeux. Tipek était une trentaine de pieds au dessus de lui, et il les tractait avec la force d’un grauzaure par un soir de pleine lune. Ce qui n’était pas rien. Brossard pouvait l’entendre hurler et ahaner, tractant ses équipiers. Ouais, balèze, le keum. Tipek était donc en train d’en chier comme pas possible, se promettant de foutre tout le monde au régime s’ils sortaient vivant de ce plan pourri. Une chance que Klebz n’ait pas été là, se ditil, en repensant à ce qu’il avait vécu quelques instants plus tôt, prisonnier sous la boue. Encore qu’il n’était pas sûr d’avoir vraiment été là-dessous. Il se souvenait plutôt d’avoir fait une espèce de trip mystique, comme s’il avait pris un graubédau à l’arsenic. Il s’était vu flotter dans l’espace, entouré de lucioles et autres conneries dans le genre. Une voix monstrueuse, caverneuse, s’était alors adressée à lui :

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--

Tipeeeek...

--

Gné ?

--

Tahaar ta göööl...

--

Hein ? Kékecé ? Un lüder ?

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Nous sommes les dominautes...

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Les quoi ?

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Le peuple millénaire de cette planète...

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Ah. Cool.

--

Toi et ton équipage...

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Plaît-il ?


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Vous vous êtes posés sur une planète sacrée...

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Ah ?

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Vous avez crashé votre vaisseau sur le cimetière de nos ancêtres...

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Merde alors !

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Vous avez rasé la forêt divine...

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Ben...

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Vous avez abattu nos arbres-totem...

--

Ah merde...

--

Vous avez profané le puits des Sages...

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Rhâââ l’échec !

--

Et pour finir...

--

...

--

VOUS AVEZ REFUSÉ CONCIERGE !!!

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Meeeeeeeerde... Et c’est grave ?

DE

SERRER

LA MAIN

DU

À en juger par la situation un brin bordélique, oui, c’était grave. En fait, c’était même carrément la grosse louze, et le capitaine Tipek flairait que ça n’allait pas s’arranger. Il en était à peu près à ce stade lorsque ses compagnons l’avaient tiré de ses réflexions en même temps que de la boue, rompant ainsi toute communication caverneuse avec le représentant de l’étrange peuple des dominautes. Le pied à peine posé sur la terre ferme, les explorateurs furent 73


propulsés de plusieurs mètres en avant lorsqu’une partie du sol se souleva puis s’affaissa mollement, non sans laisser échapper par le trou béant des volutes de gaz et quelques glaires de yababoue, évoquant un renvoi gargouillant, mais à l’échelle tectonique. --

Tout va bien ? Personne n’est blessé ? cria Tipek, qui avait repris du poil de la bête et rassemblait son équipe.

--

C’est bon capitaine, tout le monde est sain et sauf !

--

Avez-vous une idée de ce que c’était, Yababoua ?

Mais comme Hal s’apprêtait à répondre, le hurlement se fit entendre à nouveau. Tipek s’aperçut qu’il n’avait d’ailleurs en fait jamais cessé, mais juste perdu en intensité, jusqu’à présent où il devenait presque insupportable. Le tumulte, vaguement animal, semblait couvrir toutes les gammes de fréquences, sans exception. Un rapide coup d’œil au spectre du signal via les capteurs à effet Muttin de sa combinaison apprit à Tipek qu’effectivement, le vacarme était omniprésent, au sens fréquentiel du terme. Quelle étrange créature pouvait bien émettre un tel son ? Au loin, comme pour répondre à cette interrogation, la clameur dévoila bientôt son origine : un nuage sombre et mouvant s’approchait vivement des quatre infortunés. --

Mais bordel c’est quoi encore ça ? Un autre type d’orage local, celui qui défonce les oreilles ? brailla Von Dutch, mécontent.

--

Pas de panique, on fait demi-tour, direction l’Amérion. Si c’est hostile, on n’a aucune chance sans arme lourde, vu la taille du bestiau !

Entamant à regret son deuxième rebroussement de chemin depuis le crash, la fine équipe ne traîna pas longtemps des pieds. Le nuage gagnait du terrain comme dans un mauvais film (ou pire, 74


comme dans une mauvaise série sur TF1). Pendant ce temps, quelques kilomètres plus loin, à l’arrière de l’Amérion, Klebz et Lumi achevaient les dernières réparations. Du moins, de celles qui étaient envisageables. En effet, remettre en route le téléprompteur à variables séparées s’était révélé impossible, notamment parce que quelques cochons malicieux avaient profité du trouble survenu après le crash pour manger la majeure partie des cartes de contrôle (qui se trouvent dans la soute, à l’instar des cochons). Ainsi, la veille réglementaire Qualité ne pouvait plus être tenue à jour, et Klebz avait catégoriquement refusé un processus n’incluant pas les variables Qualité. Lumi avait donc rangé ses nibards ainsi que ses arguments, et repris le travail. Globalement, donc, l’Amérion était opérationnel, et on pouvait même envisager de redémarrer les propulseurs subthermiques en flux tendu. Mais l’oreille aiguisée de Klebz ne lui permit pas de céder au même apaisement que Lumi lorsqu’ils eurent terminé. Il percevait en effet, à la limite des fréquences audibles, le gros bordel qui faisait fuir ses compagnons en excursion. Une oreille se dressa, puis l’autre. Il se passait des trucs graves, là-bas. --

Caporal ! Hâtons-nous ! Je perçois des ondes sonores assez peu engageantes. Voyons ce qu’en disent les capteurs de l’Amérion !

--

...ok ! se contenta de répondre Lumi. Elle ne voyait pas très bien où le mécanichien voulait en venir, car elle n’entendait rien, la bougresse.

Arrivé devant le terminal de l’atelier, le caporal Lumi et Klebz en restèrent comme deux ronds de Glükh’. Le progiciel d’exploitation des données sonores intégré au système de navigage de l’Amérion, habilement manœuvré par Lumi, ne laissait en effet plus aucun 75


doute. Grâce aux correcteurs en base 10 à triturage des données extrêmes, l’algorithme Son/Mètre© (s.m-1 dans le langage courant) couplé aux puissants programmes de synthèse vocale de l’USS Amérion retranscrivait en paroles intelligibles les résultats obtenus. La voix douce et synthétique annonçait avec détachement qu’un organisme semi-intelligent de la taille d’un boïng de la planète 747 fonçait droit sur l’Amérion, et en concluait que l’Amérion n’avait aucune chance de résister à l’impact. Le groupe en sortie serait écrasé comme un insecte sur le passage du bestiau. --

Klebz ! KLEBZ ! Reprenez-vous, mon vieux, tâchons de dégager avant d’être aplatis !

Hélas, le brave première classe ne répondit pas. Abattu par la nouvelle, il n’entendait plus que la voix de Son/Mètre qui débitait des données brutes, à présent. Un filet de bave d’une couleur douteuse gluait de la bouche entr’ouverte du brave Klebz. Toutes ces émotions, c’en était trop. Lumi ne savait plus quoi faire. Elle aurait sans doute besoin de Klebz pour démarrer l’Amérion. Il connaissait par cœur les petits caprices de l’engin, et lui seul comprenait le fonctionnement de ses récents bricolages (essentiellement à base de clef à molette de 96, certes, mais tout de même compliqués). Soudain, un éclair de génie la traversa. N’écoutant que son courage, elle traversa l’atelier en courant vers l’escalier B. Mais si, l’escalier B, voyons, celui qui mène aux soutes thermo-régulées. La douce Lumi se souvenait en effet d’une vieille côtelette tombée derrière un panneau déflecteur usagé stocké là depuis quelques mois. Allongée sur le sol, le bras tendu sous une caisse de truques de la planète Pauquère, Lumi sentit son cœur bondir lorsqu’elle toucha ladite côtelette. Revenue dans l’atelier, elle avisa Klebz, toujours prostré devant le moniteur, et lui agita sa trouvaille sous les naseaux. La côtelette périmée eût l’effet 76


escompté sur la truffe hyper-sensible de l’infortuné mécanichien, qui recouvrit ses esprits instantanément. --

Hmmm !!! CHARAL !!! aboya soudainement Klebz, en faisant un sort à la côtelette moisie en à peine une demi-seconde.

Requinqué par ce mets de choix – cru et légèrement pourri, donc délicieux –, Klebz aboya quelques ordres qui ne firent sens que pour lui, puis il s’installa devant le système de décollage à émission télescopique. Lumi se mit aux commandes des variateurs de poussée asynchrone, calcula de tête la vitesse de glissement du stator, puis appuya sur "Start". ***

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La horde

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Tipek et ses hommes couraient à en perdre haleine sur le chemin du retour. Von Dutch se brêla le caisson deux ou trois fois, se contrôlant la gueule comme une merde dans les arbres cassants comme de la fibre de verre. Il se planta de nombreuses échardes dans la combarde qui se mit à fuir et à hurler comme une cocotte minute, ce qui rendit sa course encore plus casse-gueule. Bon dernier à la course, Brossard se retourna pour voir où en était ce foutu nuage. L’atmosphère était grise, électrique, parsemée d’éclairs. C’était la louze la plus totale. Plissant les yeux pour mieux y voir, puis actionnant sa longue vue à balayage électronique, Brossard fit un zoom vectoriel sur la formation nuageuse. Et ce qu’il vit lui écartela le fion à travers sa combinaison. --

Ouuuh putain l’échec ! souffla t-il.

Le nuage, gros, noir, tourbillonnant, électrique et menaçant, enfin bref complètement flippant, n’était en fait pas un nuage. C’était une masse de silhouettes agglomérées, gesticulant en tous les sens, assemblage aussi monstrueux qu’improbable de créatures ailées grosses comme autant de Koubiaks. Le "nuage" précipita comme un dosage acido-basique, répandant une pluie de démons sur le sol, pile là où Tipek et toute sa bande s’étaient vautrés. Les bestiaux surgis des enfers replièrent leurs ailes calleuses puis se mirent à charger. Brossard savait que la partie était perdue, mais il n’entendait pas passer pour une tarlouze. Il dégaina son fusil à rétrocondensation, enclencha une cartouche de praupane, puis se concentra sur l’animal de tête. Son viseur lui révéla une tête ignoble, informe, munie de trois yeux oranges, gros comme des ballons de rugueuby. La bestiole renifla, jetant sa tête en avant et en claquant des dents, révélant une gueule aussi large qu’un landeurauver. Le viseur localisa l’un des gros yeux à l’aide d’un algorithme de fileutrage à moyenne mobile ; "Target Acquired" clignota sur 80


l’affichage tête-haute de Brossard. Celui-ci confirma l’acquisition des données en envoyant un fax avec accusé de réception, puis il fit tourner la molette de mise à feu. La cartouche de praupane fut percée par une micro-détonation, accélérant un projectile qui vint buter contre un détonateur à hydrogène, enclenchant aussitôt une réaction de fusion plus ou moins contrôlée. Brossard sentit le canon de son arme vibrer comme un congélateur frappé de sénilité, puis le fusil envoya un projectile rougeoyant, accompagné par un tonnerre du feu de dieu. Brossard fut renvoyé deux cents mètres en arrière, percutant Hal au passage, puis les deux hommes allèrent s’encastrer dans Von Dutch qui n’en demandait pas tant. Le projectile, rougeoyant et fumant comme une haleutère en chaleur, subit une accélération tonitruante en allumant le deuxième étage de propulsion, puis il vint s’encastrer dans la gueule du dominaute qui fut aussitôt rasé de la carte. L’impact fut détecté par l’accélérotoumètre, mettant à feu une bonne grosse charge de graulaunium. L’instant d’après, une pluie de feu s’abattit sur la horde démoniaque, à la façon d’un holocauste nucléaire de poche. De loin, Brossard contempla son œuvre et poussa un "gnark" à la limite du sadisme, les gants soudés au fusil par la chaleur du tir. Mais, loin de les arrêter, le tonnerre de feu rendit les bestiaux encore plus cinglés. C’était donc à une armée de saloperies déchaînées et foutant le feu à tout sur son passage qu’ils allaient maintenant avoir à faire. Brossard émit un triste "‘chec" pour la circonstance, se dit que Wall-ID aurait sûrement sorti un bon gros "mo ka pa savé" dans la même situation, puis il se remit à courir comme un couillon vers le vaisseau, les paluches toujours scotchées sur le canon. Les dominautes étaient décidément de sacrées saloperies, pensa t-il en se pulvérisant une burne contre 81


la crosse de son fusil. À bord de l’Amérion, Klebz passait en revue pour la douzième fois la checkeuliste, pendant que Lumi mettait en marche les paires de pôles du compresseur. L’ordinateur de bord continuait de déclamer son oraison funèbre à l’aide de sa voix synthétique, affirmant que tout était perdu. Mais Klebz avait décidé de ne pas se laisser faire. Il vérifia la pression dans la chambre de combustion du propulseur avant droit, mais constata qu’elle n’avait pas encore atteint les mille livres par pouces carrés nécessaires à la mise en eau du condenseur. Même si Tipek et les autres se magnaient le train – ce dont il ne doutait pas, vu le bordel au dehors – ils ne pourraient pas encore décoller avant plusieurs minutes. Bien décidé à se battre, Klebz défit son harnais, dégagea sa queue, puis courut se mettre aux commandes du Bamak. D’un coup de truffe rageur, il fit commuter la diode du viseur, qu’il pointa en direction de la forêt, là où ses potes avaient disparu. Là où ils devaient réapparaître. Eux, ainsi que toute une chiée de saloperies, à n’en pas douter. Klebz n’avait pas la moindre idée de ce qu’il allait bien pouvoir découvrir, mais il n’allait pas se laisser marcher sur la queue sans faire parler la poudre. Lorsque, quelques instants après l’irruption de l’équipe en sortie, la horde de bestiaux fit son apparition, le première classe Klebz (aux états de service irréprochables) pressa la détente du Bamak sans même y réfléchir, tant il était concentré et tendu à l’extrême. L’énaurme canon fut agité de soubresauts et vomit son flot de mort en direction des enneumis. Composés à 93% de positons à spin différentiel et à 5% de matière sombre (les 2% restants sont encore un mystère), les projectiles crachés par le Bamak faisaient mal. Très mal. En fait, ils téléportaient tout ce qu’ils touchaient dans une autre dimension, et étaient conçus pour ne jamais 82


toucher dans son ensemble une cible. Tipek et ses compagnons furent pour le moins soulagés en entendant le bourdonnement bref et sourd de chaque salve tirée par Klebz, et Brossard eût même le courage de jeter un coup d’œil en arrière. Les projectiles du Bamak, impalpables, laissaient dans leur sillage une traînée de chaleur qui déformait les perspectives. Ils ne provoquaient, en touchant leur cible, qu'un bref vrombissement, mais semaient une sacrée pagaille. Des bouts de volatiles restaient, interdits, car brusquement privés qui d’une moitié de corps, qui d’une tête ou d’une aile. Mais ils vont où les autres bouts ? se surprit à penser Brossard, vaguement amusé. Doit y’avoir une autre galaxie où depuis des années on envoie de la viande hachée... Hélas, plus Klebz envoyait du gros, plus la masse monstrueuse, morbide et maléfique se mouvait, semblant mêler mépris et menaces de mort à l’encontre des infortunés fuyards. Arrivés à la passerelle d’embarquement du vaisseau, Tipek, Brossard, Von Dutch et Yababoua ne se firent pas prier pour monter à bord. Yababoua actionna d’un coup de poing sec le bouton pousseuhar de fermeture d’urgence, et Von Dutch eut tout juste le temps de se glisser à l’intérieur, non sans insulter copieusement l’extraterrestre au teint olivâtre qui avait l’espace d’un instant sérieusement compromis ses chances de survie. Prenant vivement le combiné du téléphaune intérieur, Tipek se mit au courant de la situation. --

Klebz, vous avez bien fait. Vous aurez un susucre. Lumi ? Enclenchez la procédure de démarrage et tenez-moi au courant. Bah d’ailleurs en fait non, j’arrive sur le pont supérieur. Enfin dans le cockeupit, quoi !

Un peu désœuvrés, Brossard se cala dans un coin du sas d’entrée, se sangla, et ne bougea plus. Si le capitaine avait besoin de lui, 83


il n’aurait qu’à le dire. Yababoua et Von Dutch suivirent Tipek, et, arrivés dans le cockpit, s’installèrent chacun dans un siège de commande. Ça va chier, se dit Yababoua, peu coutumier pourtant du langage familier. --

Lumi, on en est où de la procédure ?

--

Bah vous savez mon capitaine, les procédures...

--

Oui bon mais concrètement on décolle dans combien de temps ?

--

Dans quatre minutes environ.

Et comme dans tout bon film à trois kopecks, le capitaine lui rétorqua : --

Vous en avez deux ! Faites l’impossible, Lumi ! Hal, envoyez les images externes de plusieurs gammes de fréquences sur l’écran principal, je veux savoir où nous en sommes. Klebz ?

--

krrrrrr oui -krcapitaine ?

--

C’est quoi ce bordel avec l’intercom ?

--

C’est -krle Bamak ca-krtaine, il génère des-kr-interféren-kr-es, rien de-krgrave.

--

Bah non mais bon c’est chiant quand même... Bon bref tenez bon mon vieux, on va décoller !

À cet instant précis un bruit terrible rappelant une vague se brisant sur un récif en haute mer par temps de pluie (un lundi matin) fit trembler le vaisseau. La carlingue était attaquée par des milliers de griffes, et les champs de confinement semblaient inopérants. Tout le monde se mit à baliser grave sa mère. Le décollage devenait urgentissime, car l’enveuloppe externe de l’Amérion n’était pas 84


conçue pour se passer des champs de confinement à dérailleur cocyclique. --

Lumi, que se passe-t-il, bon sang ?

--

Je ne comprends pas capitaine, ces foutus bestiaux neutralisent peu à peu le système de protection... Klebz essaie de défendre le vaisseau, mais il ne peut pas tirer dedans, vous comprenez ? expliqua Lumi, étrangement calme.

--

Alors, décollez ! hurla Tipek.

--

C’est impossible. Les ennemis ont bouffé les propulseurs. Je suis navrée, capitaine. C’est fini.

--

NON ! interrompit-tout-le-monde Hal.

Tin tin tiiiiiiiin ! Saut de ligne et chapitre suivant. ***

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Cheat Code

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--

Il reste un espoir, capitaine.

--

Ah bon ?

--

Oui. Et fermez la bouche, vous avez l’air stupide. L’Introducton est endommagé mais fonctionne encore. En couplant les boucliers de confinement aux génératrices de saut, ellesmêmes commandées par les détecteurs de matière, nous pourrions nous en sortir. En d’autres termes, on pourrait sauter dans l’espace, et même atterrir non loin d’une planète. Dans le pire des cas on se téléporte dans l’atmosphère et les champs de confinement nous protègerons. Ainsi nous repousserons la matière aux limites du vaisseau.

--

Bon simplifiez j’ai rien compris là.

--

En gros, nous sauter, nous rien à craindre et nous contents car nous ailleurs ! brailla Hal, dont la remarque fut ponctuée par un grincement qui indiquait que les hostiles volatiles attaquaient une antenne extérieure.

--

Euh, ok, faites-donc ça, Hal ! Vous savez comment vous y prendre ?

Et Hal réfléchit un petit moment. Car il venait de se rendre compte qu’il allait encore passer pour une andouye parce qu’en fait, malgré ses grands airs de donneur de leçons, il ne se souvenait plus DU TOUT de la manip' – bien qu’il fut persuadé que c’était réalisable. Il fit un effort surhumain pour tenter de se souvenir, suant à grosses gouttes, mais il n’y avait pas moyen. Il se souvenait vaguement d’avoir fait ça pendant ses études, ça devait être en TP de chromodynamique quantique en milieu azéotrope mais ça remontait à beaucoup trop loin dans le passé, et il était probablement arrivé en retard encore bourré de la veille. L’échec ! 88


Mais soudain, il eut une idée. Il contorsionna ses antennes, de manière à former un solénoïde plus ou moins infini, se mit un doigt dans le fion (pour amplifier la réception), puis fit appel à toutes ses capacités psychiques. Il remonta le temps par la pensée, flotta à travers l’espace (au sens figuré), puis il se retrouva dans la salle de TP miteuse de son ancienne université. Là, il avisa le banc d’essai sur lequel était en train d’agoniser un rotor bicroisé cocyclique maleumeuné par des élèves peu doués. Il jugea que c’était useless, alors il se dirigea vers le bureau du prof qui n’avait pas l’air de branler grand chose. Hal lui soutira la correction de l’examen. Il effectua une brève photocopie mentale du polycopié, le sauvegarda au format PDF, puis il revint dare-dare à bord de l’Amérion en traçant sa race à travers l’étendue cosmique du tissu de l’espace-temps. --

Bin alors ? Vous rêvassez ? s’impatienta Tipek.

--

Non, c’est bon, je gère. KLEBZ !

--

Wouaf ?

--

Branchez l’altistart en dérivation du générateur de flux de positons ! LUMI ! Sortez le train de décollage en mode sans échec, et faites passer les multiplexeurs en triphasé. VON DUTCH ! Faites-moi un café vanille ! BROSSARD ! Abaissez les commutateurs du faisceau d’antimatière discrétisée !

Tout ce beau monde s’exécuta en silence, ne croyant pas trop à la réussite de cette drôle de manœuvre. Les dizaines de milliers de dominautes s’acharnaient sur la double coque externe de l’Amérion dont les champs de confinement faiblissaient à vue de nez. Et, soudain, lorsque Brossard abaissa le dernier commutateur, ce fut une explosion de feu blanc, puis les dominautes n’eurent plus rien à se mettre sous les griffes. L’Amérion avait disparu. Les bestioles 89


ivres de fureur ne bitèrent rien à la manœuvre et finirent pas se foutre copieusement sur la gueule pour passer le temps. Il leur fallut moins de dix secondes pour toutes s’entretuer et, bientôt, il n’y avait plus une âme qui vive là où, jadis, s’était crashé l’Amérion. --

Ouah putain trop fort, ça a marché ! Vive moi ! hurla Yababoua.

Et en effet, l’Amérion qui, quelques instants plus tôt était secoué par de violentes agressions berçait désormais son équipage d’un lent ballautement. Le fort appel de tension généré par le saut avait laissé l’habitacle sombre et silencieux. Et comme il ne pleuvait pas dans l’espace, bin y’avait aucun bruit. Klebz savoura cette douce quiétude, puis il lâcha une grosse caisse pour détendre l’atmosphère. L’Amérion, qui dérivait paisiblement dans l’espace, trembla de toute sa structure. --

Putain, Klebz, sérieux! T’abuses! grogna Brossard.

--

Va chier, grogna le mécanichien.

Le capitaine sentit à cette réflexion pleine de diplomatie la nervosité qui gagnait l’équipage, malgré les efforts nauséabonds de Klebz. Le courant, qui aurait dû revenir, se faisait désirer, et Wall-ID n’était plus là pour répondre aux éventuelles questions de l’équipage. Klebz alla donc fouiner du côté de Wall-ID pour tenter de le réactiver, et puis aussi un peu pour se faire oublier. Von Dutch s’agrippa aux poignées d’apesanteur et flotta jusqu’à la grande baie vitrée du cockeupit blindé. Là, il scruta l’immensité de l’univers, le visage plaqué contre le quadruple vitrage de ptiplexiglas froid comme l’espace. --

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Y’a pas grand monde, merde... P’têt une planète ou deux... Faudrait remettre le courant, quoi.


Le capitaine enjoignit à Yababoua de se démerder pour remettre en marche les systèmes vitaux de l’Amérion, après quoi il serait chargé de vérifier les paramètres opérationnels du système de navigage. Après tout, c’était lui qui avait eu cette idée, bordel. Von Dutch continua d’essayer de distinguer quelque chose au dehors, mais on y voyait comme à travers une pelle. Yababoua fit mine d’inspecter la console de gestion énergétique de l’Amérion, mais il n’y comprenait rien. --

Lumi? Ça marche comment déjà, les pompes de refoulement de basse énergie?

--

Euh... Normalement il faut évaluer la concordance des énergies (au niveau des unités, essentiellement), mais là je pense qu’il faut plutôt mettre en marche une routine de gestion des stocks. Peut-être.

--

Ah? Bon. Vous croyez qu’en lançant une subroutine de scrutation, on pourrait récupérer un ou deux fonds de batterie protonique.

--

Hmmm oui. Mais déjà nous devons déterminer quels sont les variables extensives du polymère de bio-regénération à double hélice tri-nucléaire

--

Bon, je vais essayer de récupérer quelques vieilles batteries, en attendant que vous régliez ce point. Klebz? Allez pédaler un peu sur l’alternateur basse tension! Les panneaux solaires ne rendent pas assez!

--

Tjeuuuuuu! maugréa ce dernier. Toujours les tâches ingrates.

Il descendit donc l’escalier 31ter (le 31bis était en panne), non sans marcher une énième fois sur sa queue en étouffant un "kouïne" rageur. Sa truffe bioluminescente générait tout juste assez de 91


lumière pour qu’il puisse se diriger. Il n’y voyait donc pas plus loin que le bout de sa truffe, lorsqu’il mit le pied dans une matière gluante et tiède. --

Et meeeeerde! souffla Klebz. L’enclôs du garde-manger est aussi tombé en rade ! Dans quoi est-ce que j’ai encore foutu le pied, moi? Fiente de cochonglier? Déjection de poule?

Klebz s’essuya la patte sur la passerelle, puis il alla se sangler sur le vélo hyperspatial et se mit à pédaler dans la semoule. Un étage plus haut, la situation n’était pas plus reluisante. Lumi galérait avec l’ordinateur qui, faute de courant, présentait quelques dysfonctionnements. Tipek se préparait à changer de tactique en faisant un feu au milieu du cockeupit, lorsqu’il vit un bouton un peu à l’écart du panneau de commandes principal. On pouvait y lire "Bouton de remise en marche des systèmes d’alimentation du vaisseau après un saut foireux". Le capitaine, fort de son expérience martiale, ne céda pas à la facilité. Il décida de faire appel à l’expertise de Lumi. --

Bon, déjà, le bouton ne fait que clugnauter, fit-elle. Ça, c’est paske Klebz est pas foutu de pédaler normalement, à un rythme constant, j’entends. Peut-être que s’il arrivait à stabiliser ses ardeurs, on pourrait tenter d’appuyer dessus. J’ai la notice sous les yeux, mais c’est en japonais sous-titré taïwanais, j’y comprends pas grand chose... KLEEEBZ! Essaie de nous fournir un couple constant!

--

Eh! Oh! Ça va, hein! Déjà que j’attends encore mon susucre!

Je vais faire un démarrage tri-oile étangle, pensa Klebz. Ainsi fut dit, ainsi fut fait. La manœuvre eut pour effet de stabiliser de manière drastique la valeur efficace (voire même crête à crête, 92


mais la pince ampèremétrique était alimentée directement par le vaisseau, du coup on n’en sait rien). Appuyant sur le bouton dès qu’il émit la lueur verte caractéristique, Lumi observa un curieux tressautement sur le panneau de contrôle du générateur principal. Perplexe, elle alla inspecter ce nouveau merdier, puis elle déclara: --

Je le crois pas! Ça a marché! Le générateur principal s’est remis en route !

Une fraction de seconde plus tard, les néons s’allumèrent en grésillant, et le pont principal de l’Amérion fut noyé sous une lumière d’un blanc aveuglant. Trop aveuglant. --

Kleeeebz! STOOOOP!!! Tu crées une surtension!!

--

Ah merde!

Avant que Klebz n’ait le temps de descendre du convertisseur musculo-électrique, un violent et vengeur retour de tension vint directement parcourir le brave Klebz qui n’avait rien demandé (à part un susucre, peut-être). --

Mais j’en ai marre-euh! couina-t-il.

--

Merci Klebz, tu as sauvé l’Amérion une fois de plus! cria Tipek du pont supérieur.

Et de fait, les équipements se remettaient un par un à fonctionner. Toutes les consoles s’allumèrent en bourdonnant, et les ventilos se mirent à produire leur boucan caractéristique et régulier. Pour un peu, on se serait cru dans une salle de serveurs informatiques. Tipek soupira. Ça faisait des plombes que l’Amérion n’avait pas été en si bon état. Tout allait bien. Sauf, peut-être, le fait qu’ils ne pourraient jamais rentrer chez eux. 93


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--

Bon, on est OÙ? perdit-patience le capitaine.

--

Euh... d’après les relevés, on serait pas loin de la galaxie Prauxima du Canditaure, vers les axiomes gazeux du second flux céleste (donc là on est sur des termes qui ne veulent rien dire, hein), capitaine.

--

Merci Hal. Lumi, traduction?

--

Ça veut pas dire grand chose, la densité d’habitation de cette zone étant proche de zéro, on est probablement dans les environs de nulle part.

--

Merde. Y’a pas une planète? On n’a pas eu le temps de faire des provisions de bouffe sur l’autre.

--

De toutes façons, la bouffe minérale c’est pire que le macrobiotique, capitaine, ajouta l’intendant.

--

C’est pas trop grave, fit Tipek. On a encore quelques bestiaux dans la soute, et puis on lancera le générateur de bœuf de synthèse.

--

Euh... justement, au sujet des animaux de la soute, commença Klebz...

--

Eh bien quoi, Klebz?

--

Ah non, hein? C’est pas d’ma faute!

--

Mais quoi, bon sang?

--

Les barrières électro-quantiques se sont éteintes avec la coupure lors de notre atterrissage forcé, capitaine, et je crois que les bestiaux se sont barrés sur Coteless... En tout cas ils ont chié partout en bas. Et c’est pas moi qui nettoierai.


--

Tu veux dire qu’on a plus rien à grailler? s’enquit Von Dutch.

--

Bin, c’est plutôt mal barré, façon échec, quoi.

--

Rhâââ la louze! Et le générateur de synthèse?

--

Bin, il devrait marcher mais ça produit un bœuf avec un arrière goût de nuoc-mam, c’est peu casse-couille.

--

Oui et puis c’est filandreux, capitaine.

--

Bon Brossard commencez pas!

--

Capitaine! Venez voir! Une planète habitable ! cria tout à coup Lumi.

Loin, très loin sur les écrans de contrôle (qui étaient pourvus d’un zoom puissant, néanmoins) se trouvait une petite planète plutôt verdoyante à l’aspect accueillant. Le planétoscope à contrebalancement triconcave indiquait une atmosphère respirable et quelques humains grégaires cavernicoles, encore à l’âge de pierre. Les scientifiques avaient depuis longtemps déterminé que l’humain était une sorte d’entonnoir évolutionnel, constituant un passage statistiquement obligé pour toute forme de vie carbonée vouée à évoluer. Ainsi, on en trouvait sur 99,97% des planètes habitant la vie, et le monde qu’ils observaient avec espoir ne faisait pas exception à la règle. ***

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Interl端de

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Extrait du journal du capitaine de croiseur Iglésio Tipek

Déjà deux jours que nous sommes en orbite large autour de cette planète, en attendant de pouvoir quitter le point de Lagrange sur lequel nous nous sommes matérialisés. C’est bizarre que nous soyons arrivés là, comme ça... Je me demande parfois si tout n’est pas joué d’avance... Une planète habitée, bon sang ! Il doit y en avoir moins de 0,0001% dans l’univers connu ! Enfin c’est une chance, c’est sûrement ce qu’il faut se dire. Ce qui est moins amusant, c’est que la nourriture va bientôt manquer, et je ne sais pas trop comment faire. J’espère que nous n’allons pas devoir bouffer quelqu’un, la dernière fois ça a fait un scandale au retour de mission. Cela dit on est mal barrés pour rentrer je crois. Lumi ne m’a pas trop dit mais je crois bien qu’elle est inquiète à ce sujet, plus que nous autres, même. Elle sait peut-être quelque chose ? Extrait du biorelevé mnémo-sensoriel du caporal Djudju Lumi :

Aujourd’hui je n’ai rien fait du tout... L’inactivité c’est sympa mais je commence à saturer, un peu. Faut dire que les communications dans une région de l’espace et du temps où il n’y a que des hommes des cavernes, y’en n’a pas des louches. Pis alors Klebz, lui, pas de problème, jamais ! Rien à faire ? Aucun soucis, je vais me coucher en rond et je roupille. Tsss... Et le capitaine qui n’arrête pas de me regarder du coin de l’œil... J’espère qu’il n’a pas une idée derrière la tête pour tromper l’ennui, le bougre. Enfin remarque pourquoi pas, il est plutôt beau gosse... Et ça me changera de mon gros cake de copain, sur Terre... ‘pas pressée de rentrer à la maison, moi, c’est pas plus mal cette histoire d’Introducton, finalement. Extrait réduit des ondes cognitives du professeur Yababoua :

...qui sont probablement développés en communautés nomades. C’est incroyable que nous ayons la chance de tomber sur cette planète. Les mécanismes de l’Introducton seraient-ils plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord ? Dans tous les cas il est 98


impensable que nous envisagions de ne pas étudier ces peuplades tribales. Quitte à nous installer quelques temps sur cette planète. Il faudrait lui trouver un nom, d’ailleurs, l’obscur référence de PKL201 ne veut pas dire grand chose. Je devrais peut-être aller en parler au capitaine. Ouh, non, il est perdu dans ses pensées. Tiens d’ailleurs il n’a pas l’air bien en forme... Il semblerait que quelque chose le tracasse. Ah, le manque prochain de nourriture... Il faut espérer que nous pourrons bientôt nous poser sur PKL-201... Normalement d’ici quelques heures il suffira d’une petite poussée pour quitter l’orbite et nous diriger paisiblement vers le continent qui ... Extrait des paroles du première classe mécanicien César Klebz :

Groumpf. ***

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Le Nouveau Monde

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Hal s’avança vers Tipek en affichant une mine réjouie, enfin autant que peut l’être une tronche de concombre avec des antennes. Enfin, ils pouvaient sortir de l’orbite sans griller les maigres réserves d’hydrogène qui restaient. Comble du bonheur, Klebz avait réparé les inverseurs de poussée vectorielle, et la majeure partie des systèmes de calcul du vaisseau fonctionnait. L’atterrissage semblait donc ne présenter aucune difficultés insurmontable. Mieux : ils ne seraient sans doute pas obligés de s’écraser. Bonne nouvelle, pensa Tipek, sarcastique. Avisant Brossard qui glandait dans les parages, il l’apostropha : --

Sergent, veuillez rassembler l’équipage sur le pont supérieur, nous allons nous poser.

--

SIR YES SIR ! cria ce dernier avant de partir en courant.

--

Il me fatigue, celui-là, il me fatigue, marmonna le capitaine en se massant douloureusement les tempes.

Quelques instants plus tard, chacun était à son poste et prêt à manœuvrer. Globalement il n’y avait pas grand chose à faire, mais bon, on ne pouvait prévoir l’imprévisible (par définition et pour le plus grand bonheur des auteurs). Par un heureux hasard, cependant, l’approche puis la descente se firent sans concombres, et c’est par une matinée ensoleillée que l’équipage de l’Amérion posa le pied (la patte, dans le cas de Klebz) sur PKL-201. De doucereuses senteurs parvenaient à leurs narines aguerries par les odeurs d’huile et les pets du mécanicien, et une légère brise balayaient la clairière dans laquelle ils s’étaient posés. La surface émergée était en effet recouverte à 89% de forêts luxuriantes parsemées çà et là de trouées accueillantes. Il faisait bon vivre à cet instant. La première tâche fut de trouver de la nourriture fraîche ainsi que de l’eau douce, et Klebz fut bien évidemment 102


nommé pour la première tâche. Ses instincts canins couplés à son équipement perfectionné feraient de lui un chasseur redoutable. Klebz zonait donc dans la campagne et humait l’air à pleine truffe. Oui car, c’était un coup de bol assez dingue, l’atmosphère était complètement respirable. En même temps, il fallait s’y attendre, vu qu’il y avait des humains primitifs dans le coin, enfin bref, c’était quand même vachement cool. Finies, les enconcombrantes bouteilles d’oxygraugène de 75 kg à se farcir sur le dos. Pareil pour la combarde, bazardée dans la soute de l’Amérion et itou pour le Baukval, abandonné au fond de la niche. Klebz portait un costume plus adapté à la chaleur moite de la jungle : un bon gros Marcel bien moulant, un vieux futal troué au niveau de la queue, et les pattes enfin libres ! Le capitaine Tipek avait quand même insisté pour que chacun garde un maximum de bordel sur le dos, des fois que... Lourdement équipé, portant notamment deux fusils Snipeuhars sur le dos ainsi qu’une dizaine de gourdins de lancer à la ceinture, Klebz était parti à la chasse. Il espérait surtout coincer quelques graulaviandes, bestioles reconnues d’utilité publique, et qui avaient toutes les chances de grouiller dans le coin. Kebz trimbalait donc son appendice nasal un peu partout, espérant tomber sur un fumet caractéristique, et il avait toute foi en ses capacités. Parce que primo, il avait toujours été balèze à ce petit jeu, et que secundo, il était équipé d’une biotruffe à vasodilatation génétiquement modifiée et, enfin, parce qu’il crevait la dalle comme pas possible. Suivant une piste éminemment prometteuse – une odeur de graisse douceâtre, mélangée à des sécrétions animales avec un brin de klouklouk, caractéristique d’un regroupement de graulaviandes –, Klebz arpentait au pas de course ce qui semblait être un petit sentier traversant la forêt. L’odeur délicate et parfumée éveillait chacun de ses sens, et Klebz fnoufnoufait avec bonheur lorsque le son d’un cours d’eau fit se lever son oreille droite. Trop 103


bien ! De la bonne eau fraîche, pensa t-il, tout content, ce qui eût pour effet immédiat de faire dresser son oreille gauche. Klebz sentit sa queue s’agiter et fouetter le feuillage touffu qui bordait le sentier. De bien belles plantes d’ailleurs, probablement une variété de palmotruffier à feuilles persistantes. Il y avait également quelques joncs de canarasucre qui perçaient, çà et là, dans la végétation moite. À petites foulées, Klebz atteignit le cours d’eau qui miroitait sous un soleil étincelant. La petite rivière était agitée, l’eau bondissait sur un fond rocheux et probablement aussi un peu caillouteux. L’eau était d’un marron rougeâtre, mais transparente et pleine de petites bulles sympas, faisant inévitablement penser à du koka. Klebz plongea une nanosonde à osmose inverse et vérifia le taux de pautabilité de l’eau avant d’y plonger la tête et d’entreprendre de vider la rivière à grands coups de langue. Et, lorsqu’il releva la truffe, ce qu’il vit fit se dresser ses oreilles encore plus haut vers le ciel. Un troupeau de graulaviandes, souffla t-il en essayant de calmer sa grosse queue de 25 kg qui était en train de hacher menu les maigres buissons qui bordaient la rivière. Klebz se releva discrètement et se planqua sous une grande feuille de bakoïa. Là, il évalua rapidement la situation : une trentaine de bestiaux glandait paisiblement de l’autre côté de la rivière, broutant les herbes hautes, bien à l’abri de la chaleur sous la canopée. Il s’agissait probablement d’un troupeau de graulaviandus pulupei, animal plutôt stupide mais inoffensif, dont la viande n’avait rien à envier à celle des cautelettiers. La décision était prise : Klebz allait faire un carnage et ramènerait au bas mot trois semaines de gras à bord de l’Amérion. Il sortit du couvert végétal, avisa que la rivière n’était pas bien profonde et, sans se soucier des Snipeuhars impermétiques, se mit à l’eau. Il fit quelques pas, s’enfonça rapidement jusqu’aux genoux, et réfréna un "kouï" lorsque ce 104


fut aux tours des valseuses de prendre l’eau. Klebz avançait précautionneusement, mais comme tout se passait abusivement bien, il perdit soudainement l’équilibre en marchant sur un poisson plat tout gluant, et se ramassa comme une merde. Floutch kloutch aïe merd’ putaaaain !, fit bien malgré lui l’infortuné chasseur en se brêlant dans la flotte. Le troupeau de gras, alerté par le vacarme, prit la fuite à vive allure, et Klebz se retrouva la truffe dans l’eau, bredouille. Amusé par sa mésaventure, il mit son orgueil et son équipement de côté et pataugea gaiement dans l’eau, tentant d’attraper d’invisibles poissons par de grands claquements de gueule. Décidément, la nature avait du bon. Pendant ce temps, Tipek se hasardait vainement à la remise en fonction de Wall-ID, malgré les mises en garde répétées et pleines de bon sens de Von Dutch, toujours prêt à la ramener. --

Mais non mais capitaine sérieusement il va mal le prendre ! Ça fait quand même cinq jours qu’il s’est sacrifié et aucun de nous n’a pensé à le réactiver... Je vous dis que c’est une mauvaise idée ! Vous vous souvenez de ce qu’il avait fait à Klebz, le jour où il lui a marché dessus ?

Oui, le capitaine se rappelait très bien le bruit de tôle froissée qui l’avait fait rire pendant des jours, ainsi que l’expression vexée que la botte de Klebz avait imprimée sur la caboche du petit robot. Celui-ci avait pourtant assez mal digéré la plaisanterie, et avait intoxiqué le mécanicien au bolonium (les fameuses pâtes bolonium). Le malheureux s’en était tiré avec une bonne semaine de diarrhées aiguës, mais il aurait pu en claquer si le susceptible robot avait forcé la dose. --

C’est bon, Von Dutch, lâchez-moi ! Allez donc vous promener, et tâchez de faire une bonne flambée bien cancérigène 105


sans mettre le feu au vaisseau. Après avoir passé autant de temps dans une boîte de conserve à bouffer... des conserves, justement, je suis sûr qu’un petit retour aux sources ne nous fera pas de mal. Vous cuirez donc ce que Klebz ramènera à la broche, et on mangera même dehors ! Exécution ! Ravalant une bordée de jurons, Von Dutch sourit en son for intérieur. Après tout le capitaine avait raison : cela ferait le plus grand bien à l’équipage. Tipek était un bon bougre, il le savait bien, et il n’ouvrait sa grande gueule que parce que c’était plus fort que lui. Bon, il me faut du bois, pour commencer, pensa-t-il. Il contourna le nez de l’Amérion et passa à côté du caporal Lumi, qui étudiait le climat local en bikini vautrée par terre. Il se força à imaginer des trucs mous et répugnants (la truffe de Klebz, par exemple). La vue de la sémillante jeune femme ainsi laissée à sa merci lui fit penser qu’un jour elle finirait par avoir des ennuis d’ordre corporel, et il dut sérieusement prendre sur lui, une fois de plus. Un bref coup d’œil alentour lui apprit qu’il n’y avait malheureusement pas le moindre glaçon à proximité, et Von Dutch en fut pour ses frais. Abasourdi, il détourna vivement le regard lorsque Lumi, qui n’avait pas spécialement percuté la présence de son équipier (quoique... jusqu’où va se nicher la perversité des femmes ?) dégrafa le haut de son maillot afin de bronzer plus... intégralement. C’en était trop, décida l’exacerbé cuisinier. Il reprit péniblement son chemin en tentant de penser à autre chose jusqu’à retrouver un nombre de jambes convenable, et reprit finalement sa quête de petit bois. Décidément, la nature était cruelle... Klik bzz tüt tüt tülülüt kloutz flonf ! Après plusieurs minutes de codage en natif dans le BIAUS de Wall-ID, Tipek avait réussi à instancier la sous-routine de démarrage à redondance multifruits. L’extension mobile de l’Amérion reprenait vie. Une mise à jour 106


système de quelques Gigos lui apprit les récents événements, des brèves explorations de Coteless-1 jusqu’à l’atterrissage sur PKV-201. Connecté à l’automate, un terminal de commande à l’affichage vert et blanc permettait de suivre en verbose mode les évolutions du démarrage chaotique. Le capitaine semblait anxieux, et lorsque le tilalalère caractéristique et plus ou moins mélodieux se fit entendre, il pressa vivement la touche retour chariot (alors qu’il n’y avait même pas de chariot !) du terminal afin de valider la commande en cours. --

Yesss ! Brossaaaard ! BROSSAAAAAARD !

--

Oui capitaine ? cria-t-il du haut d’un arbre.

--

Vous faites quoi, là-haut, Hank, vous repérez les environs ?

--

Heu... Oui oui !

Le soleil aveuglant força Tipek à plisser les yeux au maximum. Brossard était juché sur un arbre qui ressemblait à un glairier à feuilles tombantes, à la différence près que ses fruits de la taille d’un ballon de rugueuby affichaient un rouge vif et appétissant. Manifestement le sergent-chef tentait d’en décrocher un bien mûr du bout du bras, et, trébuchant tout à coup, il se rattrapa de justesse à sa branche non sans agiter comme par grand vent l’arbre fruitier qui protesta par un froutch froutch caractéristique des arbres sous le vent. Un silence s’ensuivit, et les deux hommes observèrent le gros fruit mûr se balancer au bout de sa branche, puis se décrocher, et la fin de l’histoire ne put être observée que par Brossard, le capitaine ayant reçu le corpulent agrühm sur la tronche dans un pleurftch assez peu ragoûtant mais très amusant pour le sergent, qui ponctua la mésaventure d’un éclat de rire moqueur. La nature était décidément une sacrée farceuse, pensa Brossard en descendant de son arbre aussi promptement que 107


l’homme descend du singe. À quelques kilaumètres de la scène, Klebz avait repris la chasse. Dans un silence lourd et ponctué uniquement par les piaillements de quelques volatiles, l’air semblait palpable tant il était chargé en humidité. Plein de sueur et assailli par des moukmiks friands autant que lui de chair fraîche, le première classe n’en menait pas large. La nature devenait plus hostile au fur et à mesure qu’il s’enfonçait dans la djeungueule, et les animaux plus vigilants. Ramener du gras à bord ne serait en fin de compte pas si aisé que ça. Tout à coup, un animal à poil mi-long de la taille d’un gros sanglochon coupa la route de Klebz en beuglant de toutes ses forces. Le chasseur n’eût pas le temps de réagir, mais cela n’augurait rien de bon. Les profondeurs de l’étrange forêt devaient abriter bien plus que de simples herbivores... Il arma donc son fusil à lunette en ayant une pensée amusée pour Von Dutch qui avait fièrement sorti un jour de combat urbain : "Fusil à lunette... fusil à quéquette!". Le sol était de plus en plus spongieux, et Klebz s’enfonçait maintenant jusqu’aux balloches dans une sorte de vase qui était tout de même bien plus accueillante que celle de Coteless-1. Celle-là sentait l’humus et le sous-bois. Bon elle était quand même gluante, hein, c’était de la vase. Un deuxième animal, plus gros celui-là, coupa la route de Klebz en meuglant lui aussi. La bête n’était pas sans rappeler un kolautrin à cornes mouchetées, mais un peu plus petit (celui-là ne devait pas peser plus de trois tonnes). Décidément ça sentait la merde de plus en plus fort. Un gros carnivore n’allait sans doute pas tarder à débouler. Klebz arma son fusil, régla le potar de charge sur maximum et se mit à attendre. Il n’eût pas à patienter très longtemps, car une sorte de pinosaure à trompe fouisseuse mais sans trompe débarqua en grognant férocement. Il cherchait visiblement la trace du bestiau précédent. Le courageux première classe épaula, visa, puis... rien. Enfin, si, l’arme fit une espèce de 108


"klük" poussif, mais c’était tout, là où on se serait plutôt attendu à un gros "baoum" tonitruant. Rhâââ l’échec, pensa Klebz, j’ai oublié d’enleuver la sécurité à molette réglable, ch’uis vraiment une truffe. Et, le temps que Klebz réarme son fusil, le pinosaure avait disparu. C’était vraiment la louze. Le première classe mit deux plombes à s’extraire de la vase, s’agrippant à qui mieuxmieux à une espèce d’herbe coupante comme un razoar et munie d’épines plus grosses que des cure-dents pour titanosaure. Les deux mains en sang et le corps couvert de merde, Klebz rengaina son fusil dans le dos, puis repartit à la chasse. Il suivait les traces du pinosaure qui devait quand même être un sacré bestiau, à en juger par sa capacité de pénétration arboricole. La végétation ne faisait effectivement pas le poids face à cet engin de terrassement qu’était le pinosaure. La situation était assez cocasse, pensa Klebz, il était couvert de boue façon Schwarzy dans Predator, ce qui lui rappelait d’ailleurs son stage d’entraînement au C.R.A.D.E. (Commando de Recherche et d’Action en DjeungueulE) où il avait appris à repérer, traquer puis tuer ses ennemis en milieu hostile et sans laisser de traces. Oui, Klebz était un pur, un dur, de la trempe d’un John Rambo laissé pour mort en pleine forêt birmane. Enfin bref, Klebz avançait à vive allure et, il le sentait, il approchait du pinosaure. La viande ne serait pas aussi bonne que celle d’un bon gros herbivore juvénile, mais ça serait déjà pas mal, rien que par rapport à la taille de l’engin. Klebz arriva dans une petite clairière. L’herbe était basse, presque inexistante sur le sol ratiboisé comme si une armée de tondeusaures était passée par là. Ce qui ne serait pas plus mal, songea Klebz, puisque le tondeusaure était complètement comestible. La clairière était vaste et, en plein milieu, Klebz aperçut une énorme bestiole, à peu près aussi haute que l’Amérion en caleusèche. Apparemment, le pinosaure n’était pas rentré braucouille, vu qu’il était en train de se 109


repaître sauvagement d’un animal devenu difforme, complètement décalqué par le prédateur. C’était peut-être bien un sanglochon, mais c’était difficile à dire, tant la pauvre bête n’était plus qu’un amas de ripaille sanguinolente. Le pinosaure mâchait avidement la viande molle, et Klebz pouvait entendre les dents riper sur les os. Sûr de lui et de son fusil Snipeuhar, Klebz s’approcha un peu, puis mit la bestiole en joue. Ce coup-ci, il vérifia que la sécurité était bien désactivée, puis il envoya un gros pruneau qui fendit l’air en sifflant. La tête du pinosaure éclata en une gerbe proprement immonde, et le corps du prédateur s’affaissa lourdement. Alors, c’est qui, le Master Chief ? Tu fais moins le malin, hein ? pensa Klebz en remuant la queue. Le première classe rangea son fusil – il n’y avait aucun risque que le pinosaure se relève, vu comment il avait pris cher – et s’approcha du tas de viande au pas de course. Il fit une rapide estimation, et en conclut que l’équipage n’aurait plus à se soucier de la becquetance pour un bon moment. À condition de dépecer convenablement la bête avant qu’elle ne pourrisse – ce qui n’était pas gagné avec ce cagnard et ces grosses mouches bleues dégueulasses qui commençaient déjà à tourner autour du trophée. Klebz avait appelé Brossard via l’intercom pour qu’il se ramène vite fait avec un convoi de mobiles réfrigérés autoporteurs pour convoyer la barbaque. Attendant son équipier, Klebz commença à découper le bestiau à l’aide de son gourdin-laser. Mais soudain, il se sentit épié. La forêt était silencieuse. Il s’interrompit. Une forte odeur de trakeunar flottait dans l’air. Il observa la jungle alentour, anormalement calme. Ça n’était pas bon signe. Car généralement, quand toutes ces saloperies d’oiseaux jacqueteurs et autres singes pinailleurs ferment leur gueule, c’est qu’il y a du gros dans les parages. Klebz rangea son gourdin et reprit son fusil à deux mains. Soudain, à la lisière de la forêt, une nuée de 110


konlubrus à plumes moucheutées prit son envol. Les arbres, haut d’une cinquantaine de mètres à l’aise, frémirent. Un hurlement proprement monstrueux surgit du couvert végétal qui fut pris de convulsions. Le sol trembla et le ciel s’obscurcit carrément, tant la bestiole était mastoc. Klebz baissa les oreilles, se mit la queue entre les jambes, puis poussa un "kaï" plaintif. Il n’en croyait tout simplement pas ses yeux. Brossard était en train de configurer le convoi frigorigène, attelant les mobiles autoporteurs les uns aux autres, et entrant les coordonnées que Klebz lui avait communiquées. Il finit d’entrer la topologie du terrain dans les unités de calcul vectoriel autonome du véhicule de tête, puis il appuya sur ‘ON’. Wall-ID, d’humeur joyeuse, prit place sur la laukaumautive autoportée. Le petit-train se mit en branle avec un bourdonnement, s’éleva à environ un mètre du sol, puis prit la direction de la forêt par le petit sentier en avançant comme une grosse chenille en frétillant du cul. WallID poussa un "tülülüt" d’amusement. Mais soudain le sol se mit à trembler comme pas possible, et Brossard faillit se vautrer. Le convoi, quant à lui, prit brusquement de la vitesse sur un glissement de terrain. Wall-ID émit un son étrange, une espèce de terreur électronique, et le convoi alla se boîter la gueule dans un vieux tas de bousin. Un hurlement lugubre se fit entendre au loin. Diantre, qu’est-ce que Klebz avait encore fait comme connerie ? Quelques centaines de mètres plus avant dans la jungle, ledit Klebz serrait contre lui son arme. Un grognement guttural le fit sursauter. Derrière lui, quelque chose avait bougé. Il sentit une haleine fétide à quelques centimètres de sa nuque, ponctuée d’un funeste claquement de mâchoire... Il se tourna comme un seul homme – normal – et tira dans le tas sans viser ni rien tout en roulant sur le côté, comme John Rambo. Le seul résultat valable 111


fut qu’il se retrouva dans un buisson cul par dessus tête. Lorsqu’il émergea, la présence avait disparu de son champ de vision. Et meeeeeerde, pensa Klebz. Il se mit à regarder dans toutes les directions de façon frénétique, dans cette mimique familière de nos amis canins. Rien. Il n’était pas de taille... La même frousse bizarre lui parcourut l’échine lorsqu’il flaira à nouveau les exhalaisons pestilentielles à quelques centimètres derrière lui. Comprenant qu’il n’avait pas le moindre espoir de surprendre son adversaire, il se retourna lentement, à la loyale. Ce qu’il vit le remplit de terreur. Une créature mi-bête mi-molette le toisait de toute sa hauteur, soit plus d’une fois et demi celle du mécanicien. D’un aspect gluant, le bestiau possédait une mâchoire impressionnante, trois yeux globuleux et quelques oreilles bouffées aux mites (d’ailleurs les mites d’oreilles de cette bestiole devaient plutôt être costaudes, vu la tronche des oreilles). Un beuglement suraigu fit couiner Klebz, et il eut de la peine à esquiver le coup de mandibules de l’animal. Une patte aux griffes acérées déchira sa chemise et ses chairs alors qu’il tentait de se mettre hors de portée, et le mécanicien pensa tout à coup qu’il n’aurait peut-être pas l’heur de bouffer du gras avec ses collègues. Il reprit rapidement ses esprits, épaula et tira une rafale de pruneaux supersoniques à dilatation pluriazimutale en direction de son assaillant. Les projectiles, qui normalement arrêtent un bus scolaire en plein course ricochèrent sur l’épaisse carapace de la bête qui avait adopté pour se protéger une posture proche de celle du coureur dans les starting-blocks. Aucun effet. Là, là je suis dans le caca mais sévère, songea Klebz. L’animal bondit tout à coup sur lui, et Klebz eût tout juste le temps de parer le coup, ses poignets croisés sous la gorge du bestiau. Il évita ainsi un fatal coup de mâchoire. Les crocs longs de 10 centimètres luisants de bave effleuraient sa peau et ses poils (les fameux poils de Klebz), et il crut vraiment son dernier instant 112


arrivé. La lutte était inégale et ça sentait sérieusement le sapin. C’est heureusement ce moment que choisirent Brossard et WallID pour débouler, redonnant ainsi un peu d’espoir à Klebz. Hank n’hésita pas longtemps : il saisit le bazooka dont il ne se séparait jamais depuis son deuxième mariage, régla la temporisation de la roquette sur thermostat 4, via et tira dans le monstre. La roquette non plus n’hésita pas longtemps, et le monstrueux autochtone fut frappé et entraîné par le deus ex machina qui acheva sa course en explosant à quelques dizaines de mètres de Klebz, non sans le recouvrir d’une épaisse couche de glaire verte, façon MIB. La clairière était maintenant une glairière, en fait. Il se détendit d’un coup, la menace envolée, et laissa retomber sa tête sur l’herbe. --

Oohohohoo la vaaache, brailla-t-il.

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Rien de cassé, Klebz ?

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Non c’est bon, Hank. Il était moins une ! Merci du coup de main, je maîtrisais la situation mais bon... C’est sympa quand même !

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C’était quoi ce truc ? Un alien ?

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Tiens oui ça ressemblait... Boarf un prédateur quelconque. J’espère que c’était le plus gros, parce que dis donc il était coriace hein !

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Pourquoi tu lui as pas tiré dessus ???

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Hé ho j’suis pas une bille je l’ai fait, hein ! Aucun résultat, rien, que dalle, que tchi, des nèfles, peau d’zob...

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Oui oui, rien, quoi !

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Voilà. 113


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Bon... Et ta viande, là, elle est encore comestible avec cette merde verte dessus ?

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Bin... Chais pas... C’est peut-être à la menthe ? ajouta Klebz en remuant la queue qui fouetta l’herbe, visiblement content de sa plaisanterie.

Brossard soupira, dit à Wall-ID d’atteler le gros-la-viande au convoi et s’assit à côté de Klebz. Il y avait eu plus de peur que de mal. Cette fois. Ce monde-ci était finalement bien éloigné des planètes domestiquées de la Cellule, et s’il n’était pas aussi hostile que le précédent, il fallait quand même faire gaffe. Qui pouvait savoir quelles étranges créatures chassaient la nuit ? ***

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Contact

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Klebz et Brossard furent accueillis en héros, juchés sur leur convoi de gras. Von Dutch se mit aussitôt au travail, et prépara une tonne de grauchettes à la sauce kupuk qu’il fit griller au dessus d’une bonne flambée. Tipek ayant carrément décidé que c’était jour de fête, il fit sauter les kadeunas de la réserve de graudka, le seul alcool autorisé en mission hyperspatiale, et tout le monde s’imbiba la gueule à n’en plus pouvoir. Wall-ID s’était changé en enceinte mobile, diffusant de la musique douce bien sympa jusqu’au bout de la nuit. L’équipage avait ainsi festoyé comme des gorets, et chacun avait fini par s’effondrer dans sa couche à la belle éteuhale – oui, parce que Klebz avait installé un tupu de plein air tout équipé, c’était une espèce d’abri sommaire offrant quelques hamacs en fibres de touptulus pour dormir. Klebz et Brossard furent bien évidemment les derniers couchés, après s’être jeté des troncs dans la gueule pour le fun, saouls comme des barriques, avec douze grammes de sang par litre d’alcool dans les veines. Au petit matin, vers midi bien tapé, une alarme se mit à gueuler. Brossard, qui avait dormi avec son fusil – il s’était d’ailleurs tiré une balle dans le pied pendant la nuit –, fut le premier à se lever en beuglant : --

ALAAARRMMAAAAA !!!

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Hein ? Quoi ? s’étrangla Klebz.

Le première classe se tira de son hamac puis courut vers Brossard.

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Putain mais c’est quoi ce bordel, sérieux ?

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J’ai installé un périmètre de sécurité, avec détection par granulométrie en phase gazeuse. Et il vient de se mettre en route ! Il y a intrusion !


Brossard rugissait, comme à son habitude, scrutant les alentours, inquiet. Il n’était que midi, mais la chaleur était déjà étouffante, et la jungle plus moite que jamais. L’alarme stoppa. Klebz soupira, se retourna vers le tupu, et vit Lumi s’extraire discrètement du hamac de Tipek en embarquant un vieux string usagé ainsi qu’un soutif de la taille d’un parachute. Le première classe mit ça sur le compte de l’alcool qu’il avait encore dans le sang, d’après ses premiers relevés biométriques du matin, qui indiquaient : "ÉTAT CAISSEUX – INTERDICTION DE PILOTER OU DE SE SERVIR D’UNE ARME, MÊME QUELCONQUE – PRENEZ UN DAULUPRANE". Klebz s’humidifia la truffe, puis goba un cachet d’anticaisséïne gros comme une plaque d’égouts. --

Nan mais kestu racontes là, Brossard ? Quel périmètre de sécurité ? Tu te crois où, sérieux ?

--

J’ai installé ça cette nuit, pendant que tout le monde ronquait.

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Et tu crois sérieusement que t’as pas fait que de la merde cette nuit ? Laisse tomber, t’as sûrement mal étalonné les transducteurs thermoptiques. À tous les coups, les capteurs ont vu une musaraigne. Vachement flippant, comme intrusion...

--

Je te dis que y a kekchose. Je le sens.

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Hého tu suintes l’alcool, et t’as dormi par terre, dans les restes de grauchettes carbonisées, c’est ça que tu sens. Allez, coule toi un dauluprane, checke tes relevés biométriques et va te recouchec.

--

Mouais. Chuis pas convaincu.

Deux minutes plus tard, Brossard ronflait dans son hamac comme une marmite. Tipek, qui ne s’était pas réveillé, marmonna quelque chose d’incompréhensible finissant vaguement par "‘loope" en 117


cherchant quelque chose d’absent, près de lui. Une heure plus tard, alors que tout le monde ronquait à poings fermés, Tipek sentit quelque chose le chatouiller. Il ouvrit les yeux, lentement, pensant voir Lumi, mais au lieu de ça, il se retrouva nez à nez avec une espèce d’ahuri en peaux de bêtes. --

AHHHHH !!!! Kékecé ??? hurla Tipek avec une voix de gonzesse.

La capitaine se boîta de son hamac, non sans se coincer un pied dedans. Il essaya de se traîner vers son arme, mais il était fait comme un rat. Au sol, il se retourna vers l’être primitif qui tenait une énorme massue dans sa main, mais qui n’avait pas l’air de savoir comment s’en servir. --

Super. Un blaireau des cavernes, soupira Tipek.

Klebz, qui avait l’ouïe fine, se leva d’un bond, et mis en joue le visiteur imprudent avec son canon à protons. --

Kestu fous là, gros naze ? aboya Klebz. T’aimes ça, les protons au p'tit déj’ ?

Le primitif émit un borborygme complètement imbitable. --

Wall-ID ? Tu peux traduire ? demanda Tipek, qui se souvenait que le droïde de protocole avait plus d’un milliard de langues en mémoire, même les plus primitives.

Wall-ID répondit par un pépiement à peine plus compréhensible. --

Hein ? fit Klebz, en se tournant vers Tipek.

La communication s’annonçait compliquée, si le capitaine devait systématiquement repasser derrière chaque traduction wallidienne. 118


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Bin alors ? redemanda Klebz à Tipek.

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Il dit qu’il s’appelle Röh-Lan.

Et Klebz d’assister à un exposé complètement improbable, à la limite fluctuante du bitable, où ledit Röh-Lan disait "ngrouk", traduit par Wall-ID en "touptülulüht" et rectifié par Tipek en "euh...". Attiré par ce curieux bordel, le reste de l’équipage se réveilla lentement, la gueule pâteuse, et avec un relevé biométrique pour le moins douteux. Von Dutch prépara une bassine de café micropercolé enrichi en aspurune et vint poser à tout le monde une voie centrale de réhydratation. C’était vraiment la grosse lutte. En plus, il fallait se concentrer pour essayer de biter quelque chose à ce que racontait le primitif. C’était vraiment sport, mais après une bonne après-midi passée à tailler la bavette – dans les deux sens du terme –, l’équipage avait finalement passé un très bon moment en compagnie de ce drôle d’ahuri, même si personne n’était bien sûr d’avoir compris. Il était notamment question d’un "graugaudh perdu", d’un "canditaure du laukval", d’une tribu de "jabalos" et autres imbitableries pour le moins concombrues. Apparemment, Röh-Lan était un jeune con au passé mouvementé, mais il semblait s’être quelque peu assagi. --

Mais qu’est-ce qu’il fout là, déjà ? redemanda Hal. J’ai pas tout compris.

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Apparemment, il s’est paumé pendant une chasse de nuit, répondit Tipek. Une histoire de kraukeboules phosphorescents, si j’ai bien suivi. Mais j’ai pu me tromper.

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C’est quoi un kraukeboule ? s’enquit soudain Klebz, qui n’aimait pas du tout ce mot.

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Je sais pas, c’est lié à un rituel graugaudhique, d’après ce que j’en ai compris, fit Lumi.

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Ah ? Bon.

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Mais putain bordel c’est quoi un graugaudh ? s’emporta Brossard.

C’est le moment que choisit Klebz, rendu badin par le dauluprane, pour balancer une grosse koukouye très mûre sur la tronche de Brossard, histoire de mettre un peu d’ambiance. La koukouye est un fruit de la taille d’un barbotier à renoncules persistantes, mais il possède la particularité d’être extrêmement gluant lorsqu’il est bien mûr. Couvert de pulpe de koukouye, donc, Brossard se rua, joueur, sur le mécanicien, et attrapa ce qui traînait, une bouteille vide de graudka, pour la balancer de toutes ses forces dans la tronche de Klebz. Ce dernier, vif comme un kalamarou, esquiva d’une roulade, et finit dans les buissons, comme à l’accoutumée. L’autochtone, qui n’avait rien demandé à personne, examinait la carlingue du vaisseau d’un air circonspect lorsqu’il subit les conséquences de se trouver dans la trajectoire de Klebz. La bouteille de graudka rebondit d’un gleunk sur sa caboche. Il se retourna en se massant douloureusement le cuir chevelu, presque au bord des larmes devant tant d’injustice. Brossard fut bien désolé de voir que la plaisanterie avait tourné court, et entreprit de réparer les dégâts en offrant à l’infortuné visiteur une patte de pinosaure froid avec un peu de mayonnaise. Tipek n’avait pas perdu une miette de la scène, et il enjoignit à ses deux subalternes de ranger tout le bordel d’hier soir en guise de punition.

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Mais capitaine je l’ai pas fait exprès j’vous jure ! couina Brossard.

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Oui moi non plus d’ailleurs ! ajouta Klebz.


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L’œil noir du capitaine fit rapidement comprendre aux deux lascars que l’heure n’était pas à la discussion. L’autochtone, rassuré par sa patte de pinosaure mayonnaise, observait la scène d’un œil intéressé. Il aimait bien cette tribu dans laquelle ceux qui faisaient une connerie étaient justement mais pas trop punis.

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Tu sais qu’un jour avec tes conneries on va finir en cour martiale, Klebz, tu le sais ça ?

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Meuh non arrête un peu ta comédie, t’as aucun humour, vieux cake, rétorqua le canin.

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Ah bin ça c’est la meilleure... Je suis couvert d’un truc douteux et gluant, et je devrais le prendre avec humour ! Tiens attrape ça !

Brossard balança à son acolyte une bassine pour le moins répugnante qui contenait des restes de mülk tchèque (une boisson terrienne aromatisée à base de graudka... enfin d’un peu tout ce qui traîne en fait) et d’autres choses assez glauques. Surpris, le mécanicien n’eût que le temps de tendre les bras pour réceptionner ladite bassine, qui fondit sur lui en suivant une trajectoire non caractéristique mais fortement renversogène. Et de fait, en un juste retour des choses, Klebz se vit barbouillé des reliquats de la veille avant d’avoir eu le temps de dire flonf. L’indigène, qui n’avait pas quitté les deux loustics du regard, partit d’un grand rire ponctué de quelques gronk lorsqu’il reprenait son souffle. Beau joueur, Klebz agita la queue pour signifier qu’il acceptait la défaite. Son compagnon savait cependant très bien qu’il n’attendrait pas longtemps avant de prendre sa revanche... Pendant ce temps, le caporal Lumi, douchée et rasée de frais, mettait sous tension les différents éléments du LBC. Elle avait 121


passé l’après-midi dans la salle de douche, pour des raisons qui échappent à la plupart des hommes. Bref. Le LBC, ce formidable ordinateur, était relié à tous les capteurs externes du vaisseau et envoyait dès l’atterrissage sur une planète inconnue toute une panoplie de draunes destinée à mesurer différentes paramètres, notamment pour affiner les relevés belan (pour before landing). Les premiers rapports arrivaient donc ce matin, avec leur lot de cartes topographique et autres listing des bio-éléments à ADN végétal natif. Lumi prit position dans le fauteuil, chaussa les lunettes à transmission de gluons et activa le système. Elle pénétra instantanément dans une bulle bleutée où son corps flottait en apesanteur dans un océan d’informations et de feuilles Excel. Des éclairs de données paramétriques traversaient son champ de vision, et une voix douce et enveloppante énonça d’un ton clair "Bienvenue dans le LBC. Identifiez-vous." Les nuances viriles et graves du timbre commencèrent à chauffer le caporal, mais elle reprit ses esprits et lui tint à peu près ce langage : "Caporal Djudju Lumi, 4è régiment de génie des systèmes industriels, 3è cohorte, 14è légion, accès jaune n°441, code d’accès 45 tiret 7 tiret oméga tirez pas". Le LBC émit une lueur vacillante quelques instants, puis valida l’identification du caporal. --

Merci caporal. Que puis-je pour vous ?

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Relevés paramétriques organique et minéral des douze dernières heures.

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Et le mot magique, caporal ?

--

S’il vous plaît, soupira Lumi.

Le concepteur de la GUI du LBC était un obsédé des bonnes manières, et il avait programmé son bébé pour que les utilisateurs lui parlent poliment. Heureusement qu’il ne s’agissait pas d’un 122


outil critique ou militaire mais bel et bien conçu à l’origine pour le vaisseau d’exploration du commandant Koos’toh. Les informations défilèrent devant le caporal, si toutefois il existait un "devant" dans cette bulle où elle ne voyait pas son propre corps. Plusieurs points retinrent son attention, notamment la présence de quelques hordes nomades, assez peu belliqueuses au demeurant, ainsi que celle d’animaux sauvage un peu moins amicaux. Certains étaient même de taille à endommager sérieusement l’Amérion, sans commune mesure cependant avec la planète précédente, où ils avaient bien faillit y passer. On pouvait donc trouver sur ce monde certaines espèces de Gronkus Gronkus Flanae communs, mais aussi des spécimens isolés de Canditaurus Rex de bonne taille. La flore était très développée voire omniprésente, et les forêts luxuriantes abritaient de nombreuses espèces d’insectes et de plantes qui piquent, bouffent, mordent, grattent, etc. Le climat tropical sur la plupart de la planète rendait la nature généreuse mais assez susceptible, et l’on pouvait donc facilement se méprendre sur les fruits comestibles. Il conviendrait de faire attention... À l’extérieur du vaisseau, tandis que Klebz et Brossard étaient encore en train de se lancer des trucs à l’aspect incertain voire franchement douteux, Tipek raccompagnait leur visiteur jusqu’à l’orée de la forêt en espérant qu’il reviendrait bientôt les voir. Après tant d’années de service et les événements récents, le capitaine trouvait ce retour aux sources bien agréable. La soudaine absence totale de communication en provenance de la Cellule ne quittait cependant pas ses pensées, et il ne comprenait pas ce qui avait bien pu arriver. --

Von Dutch, héla-t-il comme l’intendant circulait le nez au vent.

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Capitaine ? 123


--

Trouvez Lumi, je voudrais la voir, et allez mettre une baffe à ces deux andouilles, je vous prie, dit Tipek en désignant Klebz et Brossard qui se battaient encore avec le fusil à ultrasons dédié à l’entretien.

--

Bien capitaine.

Wall-ID passa en cliquetant à côté du capitaine, et Von Dutch se prit les pieds dans le petit robot comme il se retournait pour aller engueuler Klebz et Brossard. L’intendant se rêcha le caisson comme une brêle, mais il atterrit dans l’herbe touffue qui, gentiment, amortit sa chute. Sympa, l’herbe, pensa-t-il en reprenant sa course. WallID émit un tülülüt vexé et continua son chemin. Le capitaine resta interdit devant cette scène banale. Il s’attachait à son équipage, décidément. Lumi arriva quelques instants plus tard, et se mit au garde-à-vous devant Tipek, faisant du coup ressortir son opulente paire de nibards. --

Hrm repos caporal ! Dites-moi, toujours aucune nouvelle de l’état-major ?

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Non capitaine, aucune, mais les récepteurs longue portée ont pu ne pas fonctionner pendant notre séjour sur Coteless, en raison des orages magnétothermiques.

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Oui, bon... Que penser de ce silence radio... Que dit le LBC sur cette planète, au juste ?

Lumi résuma brièvement le rapport de l’ordinateur central, en insistant bien sur la synthèse vocale qui la mettait en transe. Elle conclut son énoncé par le fait que, au sens strict, cette planète était assez accueillante. -124

Bien. Merci caporal. Ah non un dernier point. D’après l’autochtone qui s’est pointé tout à l’heure...


Tipek suspendit son récit, s’attendant aux habituelles réflexions pré-nuptiales de Lumi qui chauffait plus à elle seule que l’ensemble des réacteurs à fusion du vaisseau, mais... rien. Rien du tout, juste un regard interrogatif sans la moindre trace de lubricité. L’indigène devait avoir des pouvoirs bien étranges... --

Donc oui, d’après lui, ce coin s’appelle le Boimoisi, enfin cette clairière s’appelle comme ça. Et la planète... Bin il ne sait pas ce qu’est une planète...

--

Étonnant !

--

Oui bon... Donc on va l’appeler Kotfull, par opposition à Coteless, d’accord ?

--

C’est vous le capitaine, capitaine !

Atterré par cette réponse pourtant remplie de bon sens, Tipek congédia Lumi non sans reluquer son arrière-train. Ainsi commença réellement leur séjour sur Kotfull. ***

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Disparition

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Kotfull, c’était plutôt cool. Il faisait beau et chaud. Alors, oui, l’air était un peu numide, mais tant qu’on ne forçait pas trop, c’était tout à fait supportable. Le capitaine semblait apprécier le calme du coin, et décida que quelques jours de bonne grosse glande ne ferait de mal à personne. En plus, même s’il n’y avait aucune technologie sur cette planète – et donc aucune chance de réparer ce foutu Introducton –, les primitifs pourraient toujours leur apporter deux ou trois trucs, peut-être un masque tribal qu’ils pourraient refourguer au musée galactique impérial. Enfin bref, tout ça pour dire que ça glandait dur. Pendant que Lumi cuisait en plein cagnard et que Tipek sirotait du glandito à l’ombre du Bamak, Von Dutch et Yababoua avaient improvisé un terrain de rugueuby. Pour ça, ils avaient d’abord capturé un couple de tondeusaures qui s’ébattait dans le coin, afin d’obtenir les deux millimètres d’herbe réglementaire. Bon, le terrain n’était pas franchement plat, mais ça rajoutait de l’incertitude aux rebonds du ballon, ce qui était clairement dans l’esprit du jeu. Surtout qu’ils n’avaient pas de ballon, et étaient donc contraints de jouer avec une vieille noix de coco que Klebz avait vaguement retaillée avec ses crocs. Brossard était ravi, lui qui n’avait jamais été très fort avec les rebonds, mais très balèze pour coller des gnons avec ledit ballon. Klebz en fit violemment les frais en se foulant la truffe sur la noix de coco, alors que le perfide duo Von Dutch – Brossard s’envolait vers la victoire, par 12 gnons à 9. Klebz n’avait pas démérité, mais son concombre de coéquipier s’était avéré extrêmement peu doué. Vexé, Klebz alla passer sa rage en tabassant quelques koukouyes vertes au bord de la rivière. Brossard le regarda avec un sourire amusé, puis retourna se coucher dans son touptulu. L’après-midi passa vite, dans une chaleur écrasante, et tout le monde glanda plus que de rigueur. Le début de soirée pointait le bout de son nez, et Von Dutch commença à préparer le dîner. Mais quelque chose 128


n’allait pas. Il n’arrivait pas à cerner le problème, mais quelque chose de grave était arrivé, il en était sûr. Paniqué, il alla faire son rapport au capitaine : --

Chef, y a une couille.

--

Encore de la koukouye ? Mais on en a déjà bouffé hier soir !

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Non, non, il y a un problème, chef.

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De quelle sorte ? On ne manque pas de pitance, pourtant !

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Bin non mais...

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Mais alors quoi, à la fin ?

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Bin je sais pas.

--

Von Dutch, si vous ne me sortez pas quelque chose de censé dans les cinq secondes, je vous colle au regraissage des clavettes du protoniseur !

Abasourdi d’horreur par la menace, l’esprit de Von Dutch se mit à carburer sévère. Quel était donc ce terrible problème sans nom ? Et puis, il comprit : Klebz n’était pas venu lui casser les couilles vingt-trois fois pour savoir ce qu’on bouffait ce soir. Il ne lui avait même pas tourné autour pendant qu’il préparait la bouffe, ce qu’il avait pourtant coutume de faire, et de manière plutôt frénétique. --

C’est Klebz, sir ! Il a disparu !

--

Quoi ?

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Bin il est pas venu me péter les burnes de toute la journée aux cuisines, et puis...

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Continuez ! 129


--

Et puis il n’a même pas essayé de dévaliser l’armoire à gras !

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Diantre ! CODE ROUGE ! CODE ROUGE ! On a un code rouge !!! Mais pas de panique, d’accord ? Il faut avant tout mettre en place un plan d’action avec un Gantt suivi, éventuellement.

--

On n’a pas l’temps capitaine bordel ! Si ça se trouve ils sont en train de le manger et tout, peut-être même sans la moindre sauce ! hurla Von Dutch qui perdait tout son calme.

--

Von Dutch, reprenez vos esprits et surveillez votre langage ! D’ailleurs fermez-la, ça sera plus simple. Hal, Combien de temps nous reste-t-il avant la tombée de la nuit ?

--

Environ deux heures et demi.

Tipek brama l’ordre d’aller s’équiper dans le justement nommé local d’équipement. Les quatre foudres de guerre se rendirent au lieu indiqué afin de se préparer à péter la gueule aux méchants. --

Équipement de classe 3 avec riposte automatique, pas de charges nucléaires ni bactériologiques...

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Oooooh pas drôle, fit Brossard, déçu.

--

... armement conventionnel, combinaisons polymorphes, bref, tout ce qu’il faut pour la guérilla junglesque et villageoise (il n’y aurait sans doute pas de guérilla urbaine à proprement parler). En avant !

Hal, Brossard, Tipek et Von Dutch prirent le chemin de la salle d’équipement, où étaient stockées les armes, notamment. On y trouvait tout un arsenal d’explosifs, d’armements lourds pour la guerre de position ou pour la défense de bâtiments, mais également des combinaisons furtives pour l’infiltration. Celles-ci 130


étaient d’un rose fluo excessivement voyant mais invisible aux radars et autres lidars. Un module supplémentaire à base de glaglakouada permettait de rendre la combinaison mimétique, et donc de se fondre totalement dans le décor, aux yeux des hommes comme aux capteurs des machines. Certains combattant s’étaient même perdus dans le décor, et on n’avait bien sûr pas pu les retrouver. Il fallait donc manier ces combinaisons avec la plus grande prudence, et ne les utiliser quand dans les cas extrêmes. La mission pour laquelle se préparait l’équipage n’était pas vraiment une mission d’infiltration, mais Tipek avait bien envie d’essayer ce matériel fraîchement sorti des ateliers de la Cellule. Le capitaine enfila donc le vêtement fluo, non sans se coincer plusieurs fois les poils des jambes dans l’une ou l’autre glissière magnétique. Il fallait à présent s’équiper en armes et autres munitions afin de parer à toutes les éventualités. Les indigènes ne seraient probablement munis que de lances, voir d’arcs, mais bon. Une autre civilisation avait peut-être déjà débarqué sur cette planète, s’efforçant de ne pas troubler les habitants primitifs en minimisant les contacts ainsi que les interférences technonologiques afin d’étudier les primitifs humanoïdes. Et ladite civilisation ne verrait sans doute pas d’un très bon œil l’apparition de l’équipage amérionesque au milieu de son labo grandeur nature. Bref. Brossard, amateur de grosses armes qui piquent, s’équipa donc d’un gros fusil à canon chié calibre 92 et de quelques chargeurs à projectiles perforants. --

Hank vous croyez vraiment qu’on va rencontrer des blindés de catégorie 2? objecta le capitaine, plus pour la forme qu’autre chose.

Il prit également une poignées de greunades au gluon, un couteau 131


moléculaire capable de trancher le diamant comme qui rigole (ou le granit, si on n’a pas de diamant), et enfin un blaster à onde déformante. C’est rigolo, argua-t-il. Et en effet c’était plutôt marrant : une simple pression sur la peau de l’adversaire créait une distorsion spatio-temporelle confinée qui avait pour effet de grossir le corps de manière anarchique et variable pendant deux heures. De quoi ôter toute velléité à l’adversaire, et accessoirement provoquer une franche hilarité chez des êtres aussi fins que Brossard en mission. Tipek choisit quant à lui un fusil Dassault, trois grenades toussogènes, du gros scotch et une casquette à visière, en cas de soleil. Il régla son bio-implant sur "communications tactiques cryptées" et enclencha un chargeur dans son fusil. CHLUK TOUK ! Quelques instants plus tard, tout le monde était armé jusqu’aux dents (sauf Hal qui n’avait pas de dents, par contre il s’était équipé jusqu’aux antennes), pendant que Brossard inspectait la rive, le dernier endroit où Klebz avait été vu en train de faire des conneries. --

Alors, Brossard ? Que disent les traces ? héla Tipek.

--

Bin, il a foutu de la koukouye partout ce con là, on y voit rien. Et puis d’habitude c’est lui qui piste les traces.

--

C’est pas faux. Wall-ID, tu peux faire un bioscan à rémanence pédestre ?

--

Sapapossib.

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'tain mais tu sers vraiment à rien, Wall-ID.

Le robot émit un pépiement frustré. -132

Lumi ? Une idée ?


Djudju était vautrée par terre, couverte de koukouye broyée. De toute évidence, elle cherchait des traces. C’était plutôt sex, pensa Tipek, mais il se ravisa aussitôt. La vie d’un de ses hommes était peut-être en jeu. --

Et ça donne quoi ?

--

La koukouye n’est pas fraîche, mais je discerne des dizaines d’empreintes.

--

Pas étonnant, il a tourné en rond toute la journée.

--

Non, non, ce ne sont pas des empreintes de canidé.

--

Quoi ? s’enquit Von Dutch.

--

Ce sont des empreintes humaines. Des pieds nus.

--

Ah les salauds ! s’emporta Brossard ! Si ces abrutis de primitifs osent toucher à un poil de queue de Klebz, ils vont la sentir passer !

Lumi se releva, extirpant du sol un étrange objet qu’elle apporta à Tipek. On eût dit un rouleau à pâtisserie, ou encore un pilon à mojito. --

Ce serait pas... ?

--

Si. C’est un Graugaudh, fit Tipek entre ses dents.

PON ! PON ! PONPONPON ! --

Bon. Lumi, filez au LBC, je veux savoir où ils ont emmené Klebz, lancez des drones, faits des analyses imbitables, appelez madame Soleil je m’en fous, mais trouvez quelque chose !

La sémillante Lumi partit au trot vers l’Amérion afin de débusquer 133


les dognappers. Connaissant le niveau technologique de leurs ennemis, le caporal (que l’on surnommait "Bonnet H à fumer tout de suite" pendant ses classes) songea que l’affrontement serait vite torché. En revanche les autochtones auraient peut-être déjà tué Klebz, pour une raison connue d’eux seuls. Et malgré tout ça l’ennuyait un peu, car elle aimait bien le gros mécanicien, globalement. Elle emprunta le corridor qui desservait le carré, puis pénétra dans le LBC. Grmlblrgrmbl d’enfoirés d’indigènes à la con... Pour une fois qu’on tombe sur une planète pas en guerre il faut qu’ils en déclenchent une... pensa Von Dutch, occupé à faire les cents pas devant la passerelle du vaisseau. Ces enfoirés d’enfoirés sont vraiment des.. des enfoirés ! Il fallait très vite passer à l’action, Klebz était peut-être – sûrement – en fâcheuse posture. Un poignée de minutes plus tard, Lumi était de retour. --

Ça y est capitaine, je sais où ils sont ! brailla Lumi.

--

Ils sont loin ? Vous avez pu voir Klebz ?

--

Non capitaine, dit-elle. En fait je pense qu’il est enfermé dans une hutte ou un truc de ce genre. À priori ils ne vont pas le bouffer, mais on se sait jamais, il vaut mieux se dépêcher. Dois-je réveiller du personnel ?

--

J’ai bien peur que nous n’ayons pas le temps. Il faut partir tout de suite !

La majeure partie de l’équipage était en effet congelée en soute afin de leur épargner les turpitudes du voyage interstellaire. Les réveiller aurait nécessité trop de temps pour être intéressant, et en plus cela aurait nui à la qualité de l’histoire. Seuls quelques membres étaient réveillés tout au long du trajet, afin par exemple 134


de réagir en cas de problème. Et heureusement. Parce que la procédure de réveil consommait l’équivalent énergétique d’une étoile de type 4 pendant toute une journée, ce qui aurait vite fait de mettre l’Amérion sur les rotules. La consigne était donc de garder le régiment d’élite congelé dans la soute, et de ne le mettre sur ‘décongélation’ qu’une fois le moment de sauver le monde venu. Les ordres étaient on ne peut plus clair à ce niveau, et Tipek n’était pas du genre à passer outre les ordres. On n’allait quand même pas réveiller les Rambo, Naurice, Sigol, Vendam et autres John Spartan tout ça pour un malheureux mécanicien ligoté dans une misérable hutte tissée en fibre de koukouye. ***

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Rituel

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Tipek et ses hommes progressaient à vive allure sous le feuillage. Ils descendaient un petit sentier en pente douce, et eurent tôt fait de débouler dans une clairière. Comme c’était la fin de journée, ils avaient évidemment le soleil en pleine poire, et chacun activa son päre-brïse anti-UV, sauf Lumi qui tenait absolument à bronzer. Sortie du dense couvert végétal, la fine équipe n’était plus franchement furtive, ressemblant à un lâcher de ballons rose fluo en pleine campagne. Tipek donna donc l’ordre d’activer le mimétisme des combardes. Il fallut un peu de temps au revêment polymorphe pour s’adapter à la végétation changeante, mais le treillis nanocristallin à indice de réfraction négatif fit merveille. Tipek et ses hommes n’étaient plus que des ombres furtives absolument indétectables. Par contre, les armes n’eurent pas droit à ce traitement de faveur high-tech. Et si Von Dutch était relativement discret avec son pistolaser compact, Brossard avait, lui, un peu plus de mal à passer inaperçu. En fait, c’était comme si une douzaine d’armes protoniques de gros calibre flottaient dans les airs, à un rythme erratique, traçant la zone dans la clairière. --

Lumi, c’est encore loin ? demanda Tipek tout en maintenant un rythme soutenu à la course.

--

Bin je sais pas trop, le nanotreillis dévie les ondes lumineuses, mais il brouille aussi la réception. Je sais dans quelle direction est Klebz, mais j’ai pas beaucoup plus d’infos.

--

En gros, on est invisible, mais on ne voit rien non plus, résuma Tipek, plutôt blasé.

--

C’est à peu près ça, concéda Djudju.

D’autant plus que pour ne pas être complètement aveugle, en raison de la déviation des rayons, chacun possédait une double caméra grand-angle à stabilisateur, qui retransmettait en temps 138


réel les images stéréoscopiques extérieures sur son HUD. Et, bien sûr, lesdits objectifs n’étaient pas invisibles, sans quoi tout ce bordel n’aurait servi à rien. En bref, en plus d’être un convoi d’armes flottantes, chacun était affublé d’une espèce de tronche de grosse mouche en apesanteur. Bonjour la discrétion. Cela faisait une bonne quinzaine de minutes que tout le monde courrait à toute berzingue sans y voir grand-chose, et Brossard commençait à cracher ses poumons. Le bougre était costaud, mais pas spécialement endurant. Il fit alors une petite pause et, dans le calme soudain, il entendit quelque chose. --

STOOOOOP !!! hurla t-il.

--

Ta gueule, tu vas nous faire repérer ! fit Yababoua.

--

Mais non, écoutez un peu.

Brossard avait raison. Il y avait quelque chose. Une clameur sourde, vibrante, semblait s’élever de la forêt toute proche. De toute évidence, c’était une chanson tribale, rythmée par une espèce de tameu-tam frénétique. --

On est plus très loin, fit Tipek.

--

Ouais, et vu le bordel qu’ils font, pas de risque de se faire gauler si on fait du bruit. On pourrait balancer quelques pruneaux dans le tas sans le moindre silencieux.

--

Oui, on pourrait. Mais on ne le fera pas, fit Tipek. Je ne veux pas de victimes. C’est un ordre, insista t-il pour Brossard.

--

Si on peut plus rigoler... bougonna-t-il.

--

On rigole, on rigole... faudrait pouvoir ! Tu oublies que Klebz est en danger ? fit Lumi. 139


À ces mots, une vieille douleur à la molaire se rappela au bon souvenir de Brossard. En fait, tout son corps fut meurtri des blessures passées que Klebz lui avait infligées lors de leurs élucubrations diverses et avariées. Brossard en eut la larme à l’œil, et il fut bien content d’être invisible, sans quoi il serait passé pour un gros sensible. --

Let’s go, fit Brossard pour conclure.

Le premier, il s’enfonça dans la forêt. Le camp primitif était tout proche, et la clameur enfiévrait la nuit tombante. Il fut immédiatement suivi par ses coéquipiers et, ensemble, ils rampèrent en mode furtif jusqu’au camp. Ce qu’ils virent était une fête primitive classique, où une bonne centaines de types tout nus ou en peau de bêtes dansaient la tekeutonik en remuant du cul autour d’un feu plutôt balèze. Certains étaient couverts d’une espèce de boue rougeâtre qui faisait probablement office de maquillage, mais l’effet était plutôt minable. Il y en avait quelques uns qui étaient parés de masques en terre cuite, et un autre s’était apparemment planté une plume dans le derrière. --

Ils sont vraiment à l’an zéro de la Civilisation, fit Von Dutch. Regardez, c’est à peine s’ils savent se servir d’une broche pour cuire la barbaque, fit-il en direction de quelques gars qui loosaient avec un système pour le moins rudimentaire.

--

Oui, bah, on s’en contretamponne le coquillard, vous divaguerez sur la cuisson primitivo-ethnique plus tard, souffla Tipek dans l’intercom. Trouvez-moi plutôt notre mécanichien !

Tout le monde scrutait intensément la foule, cherchant Klebz du regard. Il n’était pas là. Lumi avisa les flammes, espérant que Klebz n’y était pas déjà, mais comment savoir ? Brossard se mit à ramper vers une hutte, et entreprit de jeter un regard sous la 140


peau distendue qui servait d’entrée. Manque de bol, la mémoire graphique de sa combinaison tomba en rideau pile à ce moment là, ce qui fait qu’au lieu d’être maquillé en entrée de hutte, Brossard arborait une tronche de fougère vert fluo un peu trop visible à son goût. --

Rhââââ la louze ! pesta t-il en se réfugiant près d’une fougère, bien réelle celle-là.

Il stoppa son camouflage optique, vida la mémoire, remit à zéro la FIFO, puis relança Windows. Brossard se mit alors à clignoter comme une guirlande de Noël à l’agonie. Constatant l’étendue de son échec, il se jeta au sol, puis roula derrière une pierre avec un juron. Il dut attendre une bonne minute avant de recouvrer son invisibilité, juste au moment où une voix grésilla dans son intercom : --

Ça y est ! Je le vois ! souffla Hal.

--

Hein ? Quoi ? Il est où, ce con ? fit Tipek.

--

De l’autre côté du feu, sir. Ramenez-vous, tous ! Vous devez ABSOLUMENT voir ça.

Tout le monde fit le tour, dans un état d’extrême anxiété. Qu’estce qu’ils allaient bien pouvoir découvrir ? Des ombres étranges contournèrent la foule de primitifs, avec quelques secondes de lag dans le camouflage optique, produisant un effet fantomatique de chasseurs clignotants. Tipek arriva à la hauteur de Hal, planqué devant une carcasse de pinosaure fumé. --

Bin alors, il est où ?

Hal fit signe avec son bras, avant de se rendre compte que ça ne servait à rien puisqu’il était invisible, alors il prit son arme et la fit 141


flotter en direction d’un groupe de danseurs. D’abord, Tipek ne vit rien du tout. Il dut plisser les yeux et effectuer un zoom bilatéral pour y voir quelque chose. --

Naaaan ! Je le crois pas ! s’étouffa Tipek.

--

Si, fit Hal.

Klebz était affublé d’un costume ridicule, avec des plumes sur la tête, des fleurs de koukouye autour du cou et des noix de coco à la ceinture. Il s’adonnait à une espèce de danse du ventre divinement grotesque, se trémoussant dans tous les sens et agitant sa queue devant une troupe de femelles en extase. Et ce gros abruti de Klebz semblait trouver ça très drôle. --

Mais... Mais... Qu'est-ce qu'il fout ce couillon ??? bredouilla Brossard en arrivant au niveau du pinosaure.

Effectivement la question était de rigueur. C’était même la question à cent tuktuks, et la capitaine Tipek était bien en peine d’y répondre. En tout cas Klebz avait l’air en bonne santé, plutôt guilleret et en aucun cas maltraité. --

Euh capitaine qu’est-ce qu’on fait ? On va danser avec Klebz ?

--

NON Von Dutch. Et arrêtez de dire des conneries ou je vous fous mon pied au derche.

--

Euh oui capitaine c’est noté.

Si Klebz était du genre à déconner facilement, il n’aurait tout de même pas abandonné l’Amérion sans prévenir, surtout avec tout ce gras à bord. Il y avait donc eu une bonne raison, et Tipek décida de la découvrir. Il contourna Brossard qui commençait à s’endormir, vautré dans une fougère, et ouvrit son sakado. 142


--

Hé mais vous cherchez quoi capitaine ? Touchez pas à mon goûter hein !

--

Ahaaa je savais bien que vous emporteriez des charges au gluon, Hank.

--

Bin oui, on ne sait jamais...

--

Bon écoutez moi vous autres...

Les membres du graummando de sauveutage se rapprochèrent de Tipek afin de mieux entendre ses recommandations. En fait seuls Brossard et Tipek étaient concernés, mais bon. Il valait mieux tout bien expliquer à chacun afin d’éviter les embrouilles. Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Brossard et Lumi traversèrent le campement, mais au mauvais moment la combarde de Lumi tomba en rade en crépitant. Il n’en fallu pas plus pour attirer l’attention des indigènes, sachant que les deux militaires étaient au beau milieu de la fête lorsque le caporal apparut, toute moulée de rose fluo. --

Merd’ merd’ merd’ !!! cria Brossard en dégainant son fusil à canon chié.

Tipek et le reste de son équipe décidèrent de ne pas attendre plus longtemps et sortirent des buissons, à découvert, bien décidés à en découdre. Hélas, plusieurs guerriers avaient déjà réagi, et si les membres surentraînés de l’équipage de l’Amérion pouvaient faire face à toutes sortes de situations, ils furent désemparés devant les sarbacanes de leurs ennemis. Enduite d’un peu du venin de mouche krukruk, les dizaines de fléchettes eurent bien vite raison des cinq assaillants, et ils sombrèrent tous dans un profond sommeil, à la merci des indigènes. Ce fut Lumi qui ouvrit les yeux la première. Elle eut bien du mal à se relever, du moins à s’asseoir, car elle était – comme on peut s’y 143


attendre – ligotée de chez ligotée. Quelques instants plus tard, elle avait réveillé tout le monde. Ils étaient enfermés dans une hutte en feuille de froutche à atavisme récurrent, et la porte et les murs étaient renforcés avec des madriers en mabak rouge. Aucune chance de s’évader, donc. Quelques rais de lumière filtraient par les interstices du toit qui ne devait pas être bien efficace pendant la mousson. Une odeur de fumée et de boustifaille rance planait, mais ça sentait pas mal les emmerdes, aussi. Tipek se massa les tempes de ses deux mains liées, non sans accrocher son pif en passant. La journée ne commençait pas très bien, à son sens. --

Hrmeuahaua, bailla Brossard. Putain on a pris une de ces caisses hier soir capitaine, c’était du lourd, non ? Ha non merde c’était y’a deux jours ça... Hé mais je suis attaché !

Tipek soupira et leva les yeux aux ciel. Ils s’étaient fait avoir comme l’enfant qui vient de naître. Quelle bande de brêles, n’empêche. Au lieu d’essayer de la jouer discrète façon combinaison furtive, ils auraient mieux fait de passer les combardes blindées et de foncer dans le tas. Brossard avait raison, tiens, pour une fois. --

Bon personne n’a rien de cassé, tout va bien ? Hal ? Pas d’antenne cassée ?

--

Huhu non capitaine, rigola ce dernier, guoguenard.

Un grand silence s’ensuivit. La situation n’était pas vraiment brillante : les indigènes leur avaient piqué leurs armes, ils étaient attachés, tout ça... Et aucun des cinq prisonniers ne pouvait réprimer un grand sourire... Von Dutch commençait même à se marrer tout doucement dans son coin. Quel était donc cet étrange phénomène ? La porte d’entrée de la hutte claqua comme Tipek s’interrogeait, et un vieil homme pénétra dans la pièce. 144


--

Messieurs dames bonjour, fit-il au grand étonnement de tous.

--

Hein ? Mais... bégaya Tipek.

--

Ouh putain je comprends plus rien, là, compléta Brossard.

--

Je vais vous expliquer. Vous êtes sur la planète Ouk’ouk dans la constellation du Tapir. Oui, nous savons ce qu’est une planète. Enfin moi je le sais. Je suis le dernier être pensant, la dernière mémoire de ce monde. Les autres ont choisi de sombrer dans la plénitude du venin de la mouche krukruk. Nous allons procéder à votre première injection dans peu de temps, et vous connaîtrez vous aussi le bonheur de ne plus rien biter.

Brossard et Von Dutch ne bitent rien de toute façon, donc un peu plus un peu moins, pensa Tipek, amusé. Cependant, les éléments s’assemblaient peu à peu dans le cerveau embrumé de Lumi. Hal lisait ses pensées et acquiescait télépathiquement. Cette planète avait été industrielle, probablement. Les populations, lasses de tous les drames de la vie moderne (pollution, stress, Star Academy), avait finalement sombré lors de l’apparition d’une nouvelle drogue, différente de toutes les autres, celle-là. Et les hommes de redevenir au stade primaire de l’évolution, presque nomades. --

Nous SOMMES l’énigme, comprenez-vous ? termina l’homme. Lorsque vous aurez reçu cinq doses de venin vous serez touchés par la grâce du retour à la nature le plus total. Votre ami, l’homme-chien, a déjà reçu deux doses. Bientôt vous comprendrez.

Il sortit et referma la porte derrière lui. Là, déjà, ça ricanait un peu moins dans la hutte. Il fallait de toute évidence se barrer au plus 145


vite et récupérer Klebz dans la foulée. ***

146


19

Pause de prison

147


Bon, se dit Tipek, on est plutôt mal barrés. Si on veut s’en sortir, il va falloir mettre le paquet. Et vu l’équipe de bras cassés que j’ai pour m’assister, j’ai vraiment intérêt à gérer, conclut-il. --

Les gars ?

--

Yes, sir ?

--

Vous saisissez la gravité de la situation ?

--

C’est pas bien brillant, d’après ce que j’ai compris, hasarda Von Dutch.

--

Voilà, c’est à peu près ça. Une idée pour nous sortir de ce merdier ?

--

Ben... fit Brossard. J’ai du matos dans mon sakado. Ces abrutis me l’ont pas piqué, mais bon en même temps ils savent pas spécialement ce que c’est, un sakado, donc c’est pas si étonnant que ça finalement.

--

Oui, bon, y a quoi dans votre sakado ? fit Tipek, exaspéré.

--

Je sais plus. Et puis j’y ai pas accès, en plus.

--

Rhâââ ! Z’êtes vraiment qu’une bande de moules ! Bon, approchez-vous, Brossard.

--

J’peux pas, je suis ficeulé au mât principal de cette foutue hutte, sir !

--

... Bon, ok, j’arrive, fit Tipek, la mort dans l’âme.

Le capitaine, ligoté des pieds à la tête, mais pas à la hutte, roula à terre, et entreprit de ramper vers Brossard. Il progressait lentement, en ahanant, avec la grâce toute relative d’une chenille aveugle. Il lui fallut bien une dizaine de minutes pour faire les deux mètres qui 148


le séparaient de son équipier, puis il entreprit d’ouvrir le sakado de Brossard avec les dents. --

Brossard...

--

Capitaine ?

--

La combinaison de votre sakado, je vous prie.

--

Euh... 32% capitaine. Bin ouais, on sait jamais. Des fois que Klebz tente de me gauler mon goûter...

Tipek lutta comme une bête, mais il parvint à entrer le code à l’aide de son nez sur les touches biotactiles. Avec les dents, il baissa le zip. --

Bon, voyons ce que nous avons là... Ah ! Un ouvre-boîte laser ! Voilà qui va nous aider !

--

Eh ! Oh ! M’ouvrez pas les veines comme une boîte de thon à la tomate, hein ? brailla Brossard.

--

Je vais voir ce que je peux faire, Brossard ! Vous avez déjà manipulé un ouvre-boîte avec les dents ?

--

Ben...

--

Alors vous la fermez !

Tipek s’allongea, puis il se cala le bordel sous le menton. Tout le monde l’observait, sauf Brossard qui n’y voyait rien et commençait méchamment à faire de l’huile. Tipek se mit à l’aise – façon de parler, pasque niveau confort c’était quand même pas brillant –, puis il entreprit d’activer le laser thermorotatif avec les dents. La chose n’était pas aisée, et Tipek faillit se sectionner la langue, puis le laser, orienté trop bas, alla sectionner le pilier en lieu et place des entraves de Brossard. Celui-ci ne remarqua rien, et Tipek 149


stoppa vite fait le foutu ouvre-boîte. --

Alors ? s’enquit Brossard. Ça donne quoi ?

--

Bin... Je crois que j’ai fait une boulette, marmonna Tipek.

--

Hein, quoi ? Mais j’ai rien senti, bordel !

--

Surtout, ne BOUGE pas, Brossard.

--

Pourquoi ?

--

Ben... J’ai complètement merdé, mais en même temps c’était pas évident.

--

Vous m’avez quand même pas fait un trou dans le futal ?

--

Non, non, rien de grave à ce niveau là. Mais le pilier est sectionné. Au moindre mouvement de ta part, on se prend la hutte sur la tête. Et niveau discrétion, je pense qu’on aura vu mieux comme évasion.

--

C’est pas faux. On fait quoi, alors ?

--

Je vais essayer de libérer les autres, puis on avisera.

--

Trop bien, comme plan ! mareumonna Brossard entre ses dents.

Une bonne heure plus tard, épuisé mentalement et physiquement par tant d’efforts et de concentration, Tipek était parvenu à libérer Lumi. Pourquoi elle ? Par ce que ce faisant, Tipek avait eu une vue imprenable sur le derrière de la dame, et c’était toujours ça de pris. C’était aussi simple que ça. Une fois Djudju libérée, elle put facilement sectionner les liens de Tipek et, quelques instants plus tard, tout le monde était libre. Sauf Brossard. -150

Bon, comment qu’on fait ? demanda Hal.


--

J’m’en fous, mais grouillez-vous ! jura Brossard. Le pilier est en train de se faire la malle, et je dois compenser ! J’ai les grabdos qui flambent, là !

Ni une, ni deux, tout le monde vint soulager Brossard en chopant le pilier, puis Tipek put trancher les liens du pauvre bougre. --

Rhâââ ! Chuis tout naze, capitaine !

--

Cessez de vous plaindre, soldat.

Tipek s’avança vers l’entrée, puis il commença à démonter la gueule de la porte en mabak renforcé. Il ne lui fallut pas longtemps pour l’ouvrir, et en plus l’ouvre-boîte laser travaillait en silence ; c’était d’ailleurs là une remarquable percée technologique par rapport aux appareils électroménagers et autres presse-agrumes du siècle passé. Tipek jeta un bref coup d’œil à l’extérieur, depuis la micro-ouverture qu’il avait pratiquée dans le mabak. Il tomba pile sur le fion d’un type qui montait la garde. --

Bon, évidemment, la hutte est gardée.

--

On s’en branle, s’énerva Von Dutch, on réenclenche les combardes, on défonce un mur, et on s’casse !

--

Les combardes sont mortes, fit Lumi. Apparemment, les nanocristaux ont fait une allergie fatale au venin de krukruk. Il y avait une chance sur dix milliards... c’est vraiment pas d’bol, capitaine !

--

Taisez-vous ! Il se passe quelque chose, dehors !

--

Quoi ?

--

Quelqu’un vient ! Attendez, il... il donne quelque chose au garde ! De la bouffe, je crois ! 151


--

Trop bien ! s’exclama Von Dutch.

Brossard lui lança un regard noir. --

Attention ! fit Tipek. Le garde est en train d’ouvrir !

Tout le monde resta interdit, ne sachant que faire. Les antennes de Yababoua s’agitèrent en tous sens, s’emmêlant en un skoubidou ridicule, ce qui était un signe très clair de panique. Ne parvenant pas à prendre une décision, tout le monde resta à tenir le pilier central puis Tipek, dans un éclair de génie, alla se planquer derrière la porte. Il y eut un bruit de coulissement, probablement une poutre de bamako qui servait de loquet, puis la porte s’ouvrit. Un type habillé en peau de bête fit irruption dans la hutte, resta scié devant les cinq connauds qui tenaient le poteau, puis il reçut un grand coup sur la tête. Tipek démonta la gueule du garde, lui lança un bon coup de pied dans les burnes, puis il referma la porte d’un grand coup de talon. Brossard se jeta sur le pauvre garde, le ligota avec du fil dentaire pour titanosaure qui traînait dans son sakado, puis demanda : --

C’est quoi ton nom, sale fumier de tortionnaire ?

--

Bon BROSSARD ! fit Hal. Comment voulez-vous qu'il comprenne ?

--

Ah merde, ouais, t’as raison !

Et là, l’improbable se réalisa. Skofüld ! Je m’appelle Skofüld ! fit le pauvre homme. *** 152


20

PRISON BREAK

153


Quelques instants plus tard, les prisonniers tenaient un conciliabule à l’écart du geôlier, ligoté par les bons soins de Brossard. --

Bon, que fait-on de lui ? demanda Tipek.

--

Capitaine IL MENT ! C’est beaucoup trop pourri comme nom pour être vrai ! chuchota Von Dutch.

--

Bon Von Dutch pour la dernière fois cessez de dire des conneries !

--

On pourrait peut-être lui demander où se trouve Klebz, proposa Lumi, fort-à-propos.

Tous se tournèrent vers elle, interdits, puis reprirent leur conversation. --

J’ai une super idée ! sursauta Brossard. Si on lui demandait où est Klebz ?

--

Ah ouais !

--

Super !

--

Trop bien !

Lumi leva les yeux au ciel, enfin au plafond, tandis que Brossard faisait volte-face et se jetait pour la seconde fois sur l’infortuné geôlier. Quelques torgnoles inutiles mais cathartiques eurent bien vite raison des scrupules de Skofüld. --

154

Bon je ne devrais pas, c’est mal, mais je vais tout vous dire. Mais vraiment ce que je fais c’est très vilain ! Saâr Causee ne va pas être content !


--

Saâr Causee c’est ton chef, le grand fou, là ? questionna Tipek, qui s’améliorait de minutes en minutes au niveau interrogatoire.

--

Oui oui, c’est lui. Il ne veut pas que vous soyez en contact avec votre ami car cela pourrait interférer avec le processus de neuneuïsation. Bientôt vous serez séparés, vous aussi.

--

C’est c’qu’on va voir, pesta Brossard.

--

Tcht laissez-le finir, bordel ! lui enjoignit Von Dutch.

--

Klebz n’est pas très loin, à quelques huttes de celle-ci. Mais prenez garde : il ne vous reconnaîtra peut-être pas !

Tipek prit note du conseil, et exposa son plan à ses subordonnés, plus pour information que pour accord étant donné que c’était lui le chef, nom d’une pipe. Le plan était le suivant : pas de plan. Brossard fut immédiatement d’accord et entreprit de convaincre Lumi qui émettait quelques réserves. Deux minutes plus tard tout le monde s’apprêtait à sortir, d’autant que l’aube pointait à l’horizon. Skofüld avait en effet révélé à l’équipage de l’Amérion que les indigènes sacrifiaient au rituel de Grhaa’ssmat le dieu biture, et ce tous les matins. Ils étaient donc en mode hamac jusqu’au milieu de l’après-midi pour les lève-tôt. Il faudrait toutefois ne pas faire trop de bruit, sinon c’est pas drôle. Lorsque les cinq mülütÄres furent prêt, Skofüld lâcha la question qui lui serrait les tripes depuis tout à l’heure. --

Dites vous... vous avez pas envie de m’emmener, des fois ? Non parce que bon, la chasse, la nature, bouffer des baies et tout ça c’est sympa, mais à part mon chef et quelques autres, tout le monde est neuneu ici, et je m’emmerde sec. En plus mon chef il est un p’tit peu fou, tout ça... 155


--

D’ailleurs pourquoi n’es-tu pas neuneu, toi ? Le venin de krukruk n’a pas d’effet sur toi ? interrogea Lumi, toujours en quête de connaissances (même si ça ne parle pas de paraboles).

--

Non, effectivement, je suis immunisé. Nous ne sommes que quelques uns comme ça. Ceux qui voulaient bien se rallier à la cause de Saâr Causee sont encore là, les autres ont été soumis à la torture de la Star Academy puis jeté en pâture aux grandes maisons de disques.

--

Hein ?

--

Non rien, laissez tomber.

Après une rapide concertation, Lumi, Von Dutch et les autres ne savaient pas quoi faire. D’où l’intérêt de la concertation, d’ailleurs. D’un côté Skofüld avait l’air plutôt sympathique, et il pourrait leur servir de guide, mais de l’autre ils n’étaient pas spécialement chaud pour embarquer un indigène. Et puis il pouvait très bien être réellement à la solde de Saâr Causee, et se révéler bien plus dangereux que son faciès rubicond ne le laissait suggérer. Tipek trancha finalement, en décrétant qu’ils ne pouvaient tout de même pas laisser ce pauvre bougre entre les mains de ces terrible sauvages mangeurs de chair fraîche et violeurs de poules. Ils emmèneraient donc Skofüld, en souhaitant de tout leur cœur qu’il ne soit pas perfide comme un hobbit. --

Très bien, allons-y, annonça Tipek, façon chef d’équipe.

Ils sortirent de la hutte comme les deux soleils commençaient à poindre à l’opposée l’un de l’autre. Les trajectoires astrales doivent être un sacré bordel, pensa Von Dutch, toujours prompt à la réflexion utile. Un rapide coup d’œil à droite puis à gauche leur apprit que le campement était plutôt calme, et Skofüld fut chargé 156


de guider le petit groupe jusqu’à la hutte dans laquelle Klebz était retenu prisonnier. Ils progressaient en file indienne à pas de blérosaure tacheté, tant ils redoutaient – même Skofüld – d’être surpris par l’un des sbires de Saâr Causee. Un furtif jetage de coup d’œil (le coup d’œil devenait leur arme principale, d’ailleurs c’était leur seule arme) au coin d’une hutte ronde révéla à Skofüld un autochtone, armé d’une sarbacane. --

Plus un mouvement, plus un souffle, plus un reniflement ni rien. Je connais bien cet homme, il s’appelle Hf’ranss IskabrÄl et il s’y connaît en jets de sarbacane !

--

Brossard, chuchota Tipek, neutralisez-le. Discrètement !

L’heure n’était plus à la rigolade, même pour Hank qui d’ordinaire foutait fréquemment les pieds dans le plat. Il savait se tenir. Contournant Lumi, Tipek et Skofüld, il s’approcha sur la pointe des bottes et asséna au garde un middeul-kick de force 3 sur l’échelle de Maschüm en plein dans la nuque. Le misérable s’écroula dans un gronff sourd qui n’était pas sans rappeler le bruit du breuâr à toison soyeuse apprivoisé lorsqu’il s’affale dans son panier. Brossard afficha un sourire satisfait, et fit un signe de la main indiquant que c’était bon, il l’avait séché. Les six larrons reprirent leur chemin non sans piétinier copieusement IskabrÄl, lorsque Hal eût un soubresaut. --

Ha merde !

--

Que se passe-t-il, souffla Tipek, agacé de devoir s’arrêter tous les mètres.

--

Bin... Wall-ID ! Il est où ?

--

Hou merde oui, tiens... Heu... Au vaisseau, peut-être ? Bon, la vie de Klebz est plus importante que celle de ce couillon de 157


robot qui ne sait même pas nous suivre. Nous verrons cela plus tard. Ne perdons pas de temps ! Skofüld reprit la tête du groupe, et ils arrivèrent bientôt devant la hutte qui retenait Klebz, probablement bien dans le cirage. Tipek chargea Von Dutch et Brossard de monter la garde en cas de coup dur, et il pénétra avec Lumi et Hal dans la hutte. Klebz gisait, inconscient, sur un lit de feuilles de calbardier. --

Klebz, chuchota Tipek. Lumi, il est inconscient. Faites-lui le bouche à truffe.

--

Quoi ? Mais pourquoi moi ?

--

Hmm parce que vous avez une bouche à p... euh parce que je vous l’ordonne.

Résignée, le caporal s’approcha de Klebz, puis se retourna vers le capitaine. --

Il dort, capitaine, je l’entends ronfloter. Ce gros cul dort pendant que nous on se fait ligoter et piquouser ! s’emporta-t-elle.

--

Tcht calmez-vous et réveillez-le. Je vais voir si tout va bien dehors.

Tipek se faufila en dehors de la hutte, et alla parler à voix basse avec Brossard et Von Dutch, tenant Skofüld un peu à l’écart. Brossard fit semblant de ne pas trop s’intéresser, mais il flippait quand même grave sa mère que Klebz ne soit amoché. C’était quand même son pote, nom d’un klouklouk à pédoncule renâclant ! Ils n’avaient pas fait leurs classes ensemble, mais c’était tout comme. Ils avaient combattu côte à côte, paumés dans les marécages sur la planète Viaitnahm, et ça n’avait pas été facile. Klebz avait failli y perdre la truffe, lors de cet assaut resté célèbre 158


sur la fabrique de Nuokemahm. Oui, Brossard avait peur. Mais jamais, jamais il n’oserait l’avouer. --

Bon alors, comment va notre mécanichien ? demanda Von Dutch.

--

Je sais pas trop, il est encore dans le coltard, fit Tipek. Il va probablement falloir le transporter.

--

Ok, bon, et qu’est-ce qu’on fait de Skofüld? Z’êtes sûr de vouloir l’emmener ?

--

Oui, ma décision est prise, fit Tipek avec ses grands airs de leader.

--

Mais capitaine, il est chauve, et puis il a des tatouages partout sur le corps, il est tout chelou ce mec, je le sens pas !

--

Brossard, fermez-là !

--

Et puis il est beau gosse, il va vous pécho Lumi, moi j’vous l’dis ! asséna l’intendant.

Bien joué, Von Dutch ! pensa Brossard. Tu as trouvé le bon angle d’attaque ! Tipek hésita un instant, mais campa sur ses positions. --

Capitaaaaine !!!

C’était Lumi. Tout le monde accourut dans la hutte. --

Capitaine, c’est Klebz ! Je l’ai réveillé, mais apparemment ça va pas fort...

--

Comment ça ? Klebz, ça roule, mec ?

--

Oulah... J’ai dormi comme une marmite, les gars !

Tout le monde se regarda en silence, pendant que Klebz se léchait 159


la patte, l’air de se dire que ça n’allait vraiment pas fort, en effet. --

Klebz ! Tu peux marcher ? fit Brossard.

--

Ça va être tendu... J’ai pris une de ces caisses ! Mais on est où, là ?

--

Bon, on va t’aider !

Brossard et Von Dutch prirent le première classe par les aisselles, et ça ne sentait guère la rose, mais ils n’avaient pas franchement le temps de se plaindre. Ce fut donc un convoi exceptionnel qui sortit de la hutte, avec des éclaireurs et des escortes autour d’un Klebz complètement ravagé, uniquement soutenu par Von Dutch et Brossard, qui ne se voyaient pas refaire tout le chemin de la veille comme ça. Le petit groupe fila dans une direction, qui semblait être la bonne, malgré les avertissements de Skofüld. Ils arrivèrent au pied d’une immense muraille en bois de kaleubardier centenaire.

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--

Je le crois pas, ça ! Depuis QUAND y a-t-il une enceinte ici, dans ce village tout pourri ? pesta Tipek.

--

Je vous l’avais dit, mais vous ne m’avez pas écouté ! se défendit Skofüld.

--

Voyons voir, c’est épais comment ? demanda Hal. Capitaine, vous pensez que votre ouvre-boîte...?

--

Non, c’est l’échec ! fit Tipek.

--

Bon, allez, Skofüld, dis-nous tout ! Par où qu’on sort ? s’énerva Brossard.

--

Par là où vous être entrés hier soir.

--

À savoir, môssieur je-sais-tout ?


--

Par la porte d’entrée.

Brossard sentit le doux frisson de la honte lui parcourir l’échine, mais soulever les trois tonnes et quelques neuf cent kilos de Klebz était suffisamment épuisant pour le lui faire oublier, d’autant plus que la gravité sur cette planète était pas mal supérieure à la gravité terrestre. En bref, Klebz était une enclume, poilue certes, mais une enclume quand même. --

Mais QUELLE porte ? hallucina Von Dutch, au bord de l’anéantissement.

--

C’est au nord du village, vous avez eu du bol hier soir, c’était ouvert et vous êtes tombés pile dessus !

--

Bon, ne traînons pas ! fit Tipek en filant vers le nord.

--

Ah oui, mais non, la porte est sûrement fermée !

Ça tourne au plan pourri bien velu, c’t’histoire, pensa Tipek. Heureusement, Skofüld, Maïkeule de son prénom, semblait avoir plus d’une corde à son pagne. Il fit passer le petit groupe par quelques méandres, contournant des cases où ça ronflait dans tous les sens, puis il fit franchir à tout le monde la petite rivière du village où flottaient des restes de barakooda écaillés, et où Von Dutch ne trouva rien de mieux à faire que de s’ouvrir le pied sur une vieille moule faisandée. Arrivés non loin de l’entrée, Skofüld prit un air grave – ou constipé, c’est selon – et fit signe à tout le monde de stopper. Klebz était tellement lourd que Von Dutch n’en pouvait plus et était en train de tourner de l’œil. Hal prit la relève, et Tipek vint épauler Brossard qui galérait quand même un peu lui aussi. --

C’est pas bon, ça, il y a deux sentinelles dans les postes de garde ! souffla Tipek. 161


--

Mais je croyais que vous étiez des attardés congénitaux, en plus d’être des krukrukaïnomanes ? Vous savez monter la garde, et tout ? s’étonna Von Dutch.

--

Bin, on a appris à surveiller le garde-manger et, vous savez, de fil en aiguille...

--

Ah ouais, je vois ! On commence par monter la garde, puis on se fait la guerre et, quelques milliers d’années plus tard, ça finit en bombe atomique.

--

L’Homme dans toute sa splendeur, fit Tipek. Mais, sans déconner Skofüld, comment on se tire de ton village tout moisi ?

Skofüld réfléchit un instant, puis il s’agenouilla et dessina quelque chose sur le sol avec une vieille brindille. Il en prit une autre, qu’il planta et inclina en observant le double soleil, qui commençait d’ailleurs à taper dur. Brossard s’apprêtait à pousser une grosse gueulante, de type hurlement primaire, lorsque Skofüld se mit à marmonner d’étranges formules avec des cosinus et des racines hyperboliques (et quelques tangentes aussi). Maïkeule se releva, l’air sûr de lui. --

Le garde de gauche, c’est pas un souci. D’après mes calculs, d’ici deux minutes et vingt-sept secondes (environ), le double soleil sera à son périgée selon un angle pluriazimutal tel que le garde en sera totalement aveuglé.

--

Euh... ouais ?

--

Quant au second garde, j’ai mon idée. Attendez ici !

Et Skofüld se barra, laissant tout le monde en plan.

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--

Bon dieu de bon dieu mais qu’est-ce qu’il est encore parti faire le chauve ?

Tout le monde commençait à baliser sévère, lorsque Maïkeule revint accompagné d’un drôle de zozo moyennement réveillé. --

Eh ! Mais c’est Röh-Lan ! s’exclama Yababoua.

--

Vous le connaissez ? s’étonna Skofüld.

--

Ben il est passé nous voir l’autre jour, il nous a raconté ses histoires de graugaudh et...

--

Von Dutch ! Taisez-vous ! vociféra Tipek. Skofüld ! Vous pouvez me dire en quoi ce demeuré va bien pouvoir nous aider ?

--

Ben, c’est un bon pote à moi. Pas le genre futé, certes, mais c’est un bon gars. Je vais l’envoyer faire diversion auprès de la sentinelle.

--

Soit.

Et c’est ainsi que Röh-Lan traversa la cour du village, dans le mauvais sens d’abord, puis mit une plombe à monter l’échelle menant au poste de garde en titubant, tombant trois... non, quatre fois. Enfin bref, ce ne fut pas bien rapide, et Skofüld commençait à mouiller dru car d’après ses calculs, c’était maintenant ou jamais. Et une sale odeur de jamais planait dans l’air. La petite troupe assista donc de loin, anxieuse, au petit manège auquel se livrait Röh-Lan avec la sentinelle. --

Comment il va s’y prendre ? demanda Lumi.

--

Aucune idée, fit Skofüld.

--

... 163


--

Trust me.

--

Ah, paske vous parlez anglais, aussi ? s’enjoua Yababoua, avant de ramasser une tarte de Brossard, mettant ainsi fin à cette improbable discussion.

L’attente fut insoutenable, puis soudain on entendit un cri s’élever du poste de garde : --

CHAT-BITE !!!

C’était la voix de Röh-Lan, lequel ne tarda pas à débouler l’échelle quatre échelons par quatre échelons, avant de mordre la poussière et de tracer la zone dans le village avec un rire de dément, poursuivi par le garde. Skofüld esquissa un sourire, puis fit signe à tout le monde de tracer aussi vite que Röh-Lan, mais dans l’autre sens bien sûr. La folle équipée se précipita ainsi vers la sortie, protégée par le double astre solaire. Quelques instants plus tard, ils étaient libres. ***

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21

Poisson Cake & Irritations

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Courant et ahanant, les six... non sept fugitifs s’enfonçaient dans la forêt graupicale, chaude et humide comme Lumi. Ils s’arrêtèrent tout de même au bout de quelques centaines de mètres, confiants en l’absence de poursuivants mais surtout rincés de cette course, d’autant que Von Dutch et Hal trimballaient toujours ce gros Klebz. Ils s’étaient boîtés deux fois depuis le village, et le mécanicien avait ramassé quantité de feuilles mortes, brindilles et autres grauchonneries dans son pelage. Le grip au niveau des chevilles et des aisselles y perdait ce que le camouflage y gagnait, sans doute... Lumi s’écroula, soufflant comme un fumeur de gitanes maïs et rouge comme une peau de gland. Tipek, Brossard et les autres n’étaient pas en grande forme non plus : les semaines d’inactivité à bord de l’Amérion n’avaient pas arrangé leur forme physique. Von Dutch leva les yeux du massif de pikoku à floraison déportée sur lequel il scotchait depuis cinq minutes. Ils étaient dans une sorte de clairière, protégée toutefois des ardents soleils par un semblant de canopée qui laissait passer quelques rayons de lumière... D’étranges flaques lumineuses ponctuaient donc le sous-bois couvert d’une mousse dense et verte. En s’approchant d’une de ces tâches de lumière, Von Dutch n’en crut pas ses yeux. La lumière se déplaçait de façon perceptible tant la course des soleils était longue et les journées courtes. Ainsi, au fur et à mesure que la mousse était exposée aux rayons lumineux, elle se couvrait de minuscules pousses de verdure qui s’étiolaient et se fanaient dès le retour de l’ombre. Des centaines, voire des milliers de micro végétaux naissaient puis mourraient en l’espace de quelques secondes, sous les yeux incrédules de l’intendant de l’Amérion. Il décida de suivre l’une des tâches lumineuse... Tipek, pendant ce temps, voyait ce cornichon de Von Dutch à quatre pattes en train de regarder le sol. Il est de plus en plus touché çui-là, pensa-t-il. Dommage que ce ne soit pas Lumi... 166


Klebz semblait reprendre des forces, il recommençait même à sortir des balgues vaseuses à Brossard qui pouffait, et Skofüld était plongé dans ses pensées, peut-être un peu scrupuleux vis-àvis de son ancien dictateur... Von Dutch vit la tâche de lumière s’approcher d’un cours d’eau profond d’une dizaine de centimètre et large d’environ cinq mètres. L’eau était claire comme... comme de l’eau claire, et la surface très, très calme. Immobile, même. Limite chiante d’ailleurs, pensa Von Dutch. Le plan d’eau tout entier était désert de toute vie, le sol étant fait d’une sorte de roche sombre et accidentée. Lorsque la tâche quitta la terre ferme, l’étrange manifestation continua dans l’eau, mais beaucoup plus intensément. Les végétaux avaient changé de nature, ils étaient désormais bien plus long, affleurant la surface de l’eau, et d’une teinte moins vive. Leur brève apparition ne troublait pas le calme du cours d’eau, mais bientôt un curieux animal pointa le bout de son museau. À quelques mètres de là, Klebz lâcha un gros pet bien sonore qui fit partir Brossard d’un rire aussi gras que les flatulences de son ami retrouvé. Décidément ces deux-là ne se tiendraient jamais tranquilles, pensa l’intendant, tout entier absorbé par son observation du poisson qui avait fait son apparition. L’aquatique bestiau était long d’une douzaine, oah, allez, d’une treizaine de centimètres et possédait un appendice nasal sans doute conçu pour brouter les algues qu’il suivait ardemment. Von Dutch était abasourdi par la beauté de ce qu’il observait. Des rayons de soleil, de l’eau d’une pureté sans fin, des végétaux qui semblaient presque irréels se dégageait un sentiment de pureté et de fraîcheur sans limite... Soudain le paisible animal se tourna complètement vers Von Dutch qui s’était rapproché de la surface de l’eau... et l’intendant partit d’un fou rire qui fit accourir tout le reste 167


de l’équipage. Le poisson était affublé d’une paire de mandibules molles et proéminente qui conférait à l’animal une... tronche de cake, purement et simplement. --

Oah la tronche, rigola Von Dutch. Pauv’bête, tiens, il ressemble à Klebz, un peu !

Mécontent, ledit Klebz poussa l’intendant dans la flotte, et celui-ci bascula cul par dessus tête dans le cours d’eau, affolant du même coup le poisson-cake et ses quelques congénères qui l’avaient rejoint. --

Qu’est-ce que c’est que ce bordel encore, pesta Tipek. Klebz !À peine remis vous foutez déjà le boxon ! Bon Von Dutch, arrêtez de jouer dans l’eau je vous prie.

Klebz, beau joueur, aida le ruisselant à s’extirper de l’eau. --

Mais qu’est-ce que t’as à te marrer comme ça, au juste ? interrogea-t-il.

Skofüld avait avisé ses nouveaux compagnons que l’Amérion n’était plus qu’à quelques centaines de mètres. À cette annonce, Von Dutch s’était empressé de choper un ou deux poissons-cakes, éventuellement dans l’espoir de les bouffer. D’ailleurs ces gros couillons de poissons n’avaient d’autre parade pour faire fuir leurs adversaires que de gonfler, gonfler, gonfler en se remplissant d’eau. Le problème qui se posait immédiatement était celui de la fuite : les nageoires devenaient sous-dimensionnées, et le poissoncake avait l’air.. d’un cake. Von Dutch n’avait donc eu aucun mal à attraper ces bestiaux mais beaucoup plus à les dégonfler pour les ranger. Il s’était contenté d’utiliser la méthode dite du presseagrume, et les poissons-cakes n’avaient pu qu’émettre un pfrblrbl de protestation (ou de dégonflage). C’est vrai, quoi, y’en a marre 168


de la carne, se dit Von Dutch. En plus un train vaut mieux que deux kilos de rats. Skofüld, donc, avertit les fugitifs. Le trajet le plus court serait sûrement gardé, et il faudrait donc passer par des sentiers détournés (façon raccourci qui rallonge, quoi). --

Je vous préviens, annonça-t-il, ces sentiers sont vraiment plus sauvages que ceux que vous avez emprunté à l’aller. Nous devons nous enfoncer dans la forêt, hostile et sauvage comme.. comme une forêt. Ne vous éloignez pas du sentier, ne ramassez rien, ne touchez à rien, ne reniflez rien ! Klebz ?

--

Oui bon ça va... bougonna le mécanicien.

Ils entreprirent donc un voyage de plusieurs heures long et chiant qui n’a d’autre caractéristique que celle d’être long et chiant, à un détail près. Quelques bestiaux croisèrent leur chemin, du plus petit qui couinait, charriant quelques glands et une tripotée de petits, jusqu’au plus gros qui reniflait le sol en gronkgronkant d’un air affairé. Le périple devenait vraiment pesant, et Klebz regardait la nature environnante avec intérêt. Il aurait bien été faire frouch frouch dans les buissons, histoire de trouver des trucs qui sentent bon, n’eût été le conseil de Skofüld. Une branche basse retint son attention. De gros fruits pourpres y pendaient, accompagnés de feuilles d’un vert vif inhabituel si loin de la cime des arbres. Quelques fleurs rouges répandaient leur entêtant parfum dans l’air, tant et si bien que Klebz ne put résister à l’envie de flairer ce végétal qui avait l’air de sentir super bon de près. À l’instant où il approchait sa truffe d’une des envoûtantes fleurs, Skofüld se retourna et cria. --

NON NE...

Trottoir. Klebz avait collé sa putain de truffe sur la branche qu’il avait saisit de sa main gauche libre (l’autre portant le poids de sa 169


connerie, annoncerait Tipek par la suite). Le groupe s’immobilisa, juste à temps pour voir la truffe et la main de Klebz enfler et rougir jusqu’à atteindre la taille d’un ballon sauteur pour l’appendice nasal, et d’un gros claquoir à tapis pour la main. Klebz flippait et surtout il douillait, les gonflements s’accompagnant de vives démangeaisons, expliquait Skofüld d’un ton docte tandis que Klebz couinait. --

Ne vous inquiétez pas, Klebz, dit le guide. Dans quelques jours ça aura dégonflé et vous pourrez à nouveau faire des conneries. Les irritations vont vous tenir éveillé pendant une bonne semaine, par contre.

--

Kouïne, répondit-il piteusement.

--

C’est bien fait, railla Tipek. On vous avait prévenu ! Brossard, vous irez à l’infirmerie de bord avec Klebz afin de voir si on ne peut pas faire quelque chose... On n’est pas des bêtes, quand même...

Quelques minutes plus tard, les compagnons arrivèrent en vue de l’Amrion. Il traversèrent le ruisseau qui courait toujours au même endroit, normal, quoi, et déverrouillèrent les boucliers de protection de l’imposant vaisseau. Skofüld émit un hoooo d’admiration tandis que la passeurelle s’abaissait.

170

--

En route ! Von Dutch, ramassez les quatre conneries qui traînent encore dehors, on a perdu assez de temps comme ça, ordonna Tipek. Dès que vous avez terminé on fout le camp de cette planète. Lumi, Hal, au cockpit, je vais avoir besoin de vous pour le décollage.

--

Euh capitaine, questionna Skofüld, je fais quoi ?

--

Euh bin allez aider Von Dutch, tiens.


--

D’accord. Euh capitaine ?

--

QUOI ?

--

C'est qui Von Dutch ?

--

...

Tipek soupira, désigna l'intendant puis grimpa sur la passerelle, laissant passer Lumi, Brossard, ainsi que Klebz et Von Dutch qui fonçaient vers l’infirmerie de bord. Il posa son pied sur une caisse à Outz qui traînait là, et déclara d’un ton altier : --

En avant, compagnons, en avant vers de nouvelles aventures, et nous n’aurons de cesse que de..

--

Euh capitaine capitaine, l’interrompit Von Dutch.

--

QUOI ?

--

Bin y’a Klebz qui s’est coincé la truffe dans le sas n°8 et il me bloque l’accès au bouton d’ouverture en fait et donc du coup bin...

Tipek leva les yeux, descendit de son promontoire et suivit l’intendant vers le sas n°8. Putain, on n’est pas rendus, pensa-til. ***

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172


22

Espoir

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Depuis le décollage en relative catastrophe de Kotfull, l’ensemble des membres de l’équipage (robot compris) était de nouveau soumis à la vie spatiale. La vie à bord avait donc repris son rythme habituel, à ceci près qu’un nouvel arrivant ne manquait pas d’égayer le quotidien par un certain nombre de maladresses, maladresses qui d’ailleurs n’avaient rien à envier à celle de Klebz. Skofüld s’était donc successivement enfermé dans la chambre froide, viandé dans les escaliers, auto-éjecté dans l’espace (avec son baukval, heureusement), et re-enfermé dans la chambre froide. Ces mésaventures avaient au moins eu le mérite d’amuser la galerie, et Maïkeule était globalement assez bien intégré à l’équipage. Tipek avait pris soin de lui fournir un paquetage complet comprenant une combarde, un baukval, des vêtements militaires et une banane pour deux. Ces quelques tâches domestiques n’offraient cependant qu’un maigre réconfort compte tenu de la situation dans laquelle se trouvait l’Amérion : le mécanisme de saut ne pouvait être réparé, et les vivres n’étaient pas illimités, au même titre que la patience des membres de l’équipage. Tipek en était plus ou moins là de ses réflexions, lorsque Lumi le rejoignit devant la baie d’observation. Ce large panneau vitré en fibre de transparostafa permettait d’avoir un point de vue sur tout ce qui se passait en dessous de l’Amérion, et les micro-champs de gravité générés dans chaque pièce du vaisseau rendaient les notions de haut et de bas très relatives. Skofüld avait d’ailleurs été un peu largué par toutes ces nouvelles choses, au début. Le caporal s’immobilisa devant le spectacle qui s’offrait à elle. Une magnifique galaxie de type Sb s’étendait au loin, et des vents solaires dispersés par les boucliers de confinements du vaisseau illuminaient la passerelle d’observation. Tipek avait diminué l’intensité des néons (Wall-ID avait d’ailleurs émis de vives protestations à ce propos) afin de mieux profiter du spectacle. Lumi, donc, s’arrêta pour admirer la 174


galaxie, l’admira puis, son quota d’émerveillement ayant été atteint pour la soirée, tourna les talons. Tipek consulta son bracelet à séquençage laminaire, qui lui indiqua par le biais de savantes formules l’heure qu’il était. Bientôt l’heure de la bouffe, pensa-t-il. Comme pour confirmer ses pensées, une douce odeur de gras parvint à ses narines. Von Dutch devait être en train de faire à manger. C’est donc au beau milieu de ces pensées ahurissantes d’intérêt et de profondeur que l’impossible se produisit. Un timide bip se fit entendre une fois, puis deux, puis à intervalles réguliers. Émise par la console radar, puis relayée par l’ordinateur de bord jusqu’aux haut-parleurs du cockpit, la faible tonalité était censée attirer l’attention du capitaine ou, le cas échéant, du timonier. Hélas, le timonier, Klebz ce jour-là, était justement parti bouffer, affamé par l’odeur de gras qui flottait, et le capitaine était en train de bayer aux corneilles. Le bip passa donc inaperçu. --

Hé heu Klebz passe moi le... chose là tu sais le truc... bégaya Brossard.

--

Le sel ?

--

Noon le machin, m’enfin tu sais bien le... rhaaa merdeuuu...

--

Bin le poivre alors, CHOMP, fit Klebz en mordant de plus belle dans une épaule de pinosaure.

--

Mais nooooon...

--

Bon Klebz, arrêtez d’emmerder Brossard et passez-lui ce qu’il veut, bon sang, trancha le capitaine.

Le mécanicien, en bout de table, fit glisser à contrecœur la petite fiaule d’extrait de Kipik sur toute la longueur de la table en benelacier à laquelle l’équipage dînait. Von Dutch avait préparé un ragoût fort ragoûtant de racines de tütübh’ à l’huile de jaujaubah, 175


servi bien sûr avec son lot de pattes de pinosaure. Heureusement que les soutes sont pleines de gras, pensa Klebz avec satisfaction. Brossard finit de bâfrer son dîner, puis il partit prendre son quart. Skofüld, lui, était astreint à manger douze kilos de porc de synthèse, et sans sauce en plus. Le pauvre Maïkeule avait en effet fait une nouvelle boulette dans l’après-midi : las de ses mésaventures spatiales à base d’éjections et autres enfermements incontrôlés, il avait décidé de ne plus rien faire, afin qu’il ne lui arrive plus rien. La démarche était plutôt logique, et on aurait pu s’attendre à ce que cela fonctionne bien. Skofüld était donc parti bouder tout seul dans la cuisine. Là, il s’était adossé contre le mur mais la notion de bouton-poussoir n’était pas encore bien ancrée dans son esprit low-tech, et il avait donc malencontreusement démarré la génératrice de protéines de synthèse en s’adossant sur ledit bouton. Von Dutch était fou de rage et avait décrété qu’un abruti apeupréhistorique n’avait pas sa place à bord de l’Amérion – et encore moins dans sa cuisine. Ce à quoi Tipek lui avait répliqué – avec beaucoup de justesse d’ailleurs – que dans ces conditions, un canidé de plusieurs tonnes non plus. Von Dutch était séché. Pour la forme, Tipek avait bien voulu consentir à mettre Skofüld aux arrêts avec sursis, assorti d’une peine de gobage de sa connerie du jour. Désespéré, Maïkeule était donc en train de se battre avec un monticule de viande froide, molle et gélatino-filandreuse, résultat peu appétissant d’un processus de clonage de cellules-souches injectées dans un flux de plasma énucléé puis vaguement passé au micro-onde. Eurk, fit-il en réprimant un reflux gros comme une dent de zabrak. --

Capitaine ! Capitaine !

C’était Brossard. 176


--

Je mange, Brossard ! Ça ne peut pas attendre ?

--

Bin... je sais pas trop. À vous de voir, mais Wall-ID vient d’accrocher un truc gros comme un kalamar sur le radar !

L’annonce de Brossard fit l’effet d’une bombe, puisqu’elle était vaguement synonyme d’un contact civilisé, et donc d’une possible réparation de l’Introducton. Et vu que l’Amérion était méga grave dans la dèche de ce côté-là, c’était une foutue bonne nouvelle. En quelques secondes à peine donc, tout le monde était sur le pont principal, après une course-poursuite dans la salle à manger qui avait bien failli mal tourner. Klebz avait en effet sauté sur la table, défonçant le bénélacier avec ses énormes papattes pleines de griffes, mais surtout il avait précipité le tube de tabaskau en plein sur les antennes de Hal ce qui, chez un terrien, était l’équivalent d’une giclée de piment dans l’œil. Pas glop, donc. Hal resta quelque peu en retrait, agonisant, son teint verdâtre tournant au rouge cramoisi, avec une antenne en rideau. --

Wall-ID ? Qu’est-ce que c’est ?

--

Sa grauh, tré grauh.

--

Mais encore ? Tu as un contact visuel ?

--

Tululüht.

--

Quoi ? fit Von Dutch.

--

Il dit que c’est artificiel, fit Tipek. Lumi ?

--

Yes, sir ?

--

Braquez les caméras de scrutation ! Et activez les objectifs à fouinage autonome !

--

Yes, sir ! 177


Après quelques manipulations sur le tableau de bord, Lumi obtint une image claire, qu’elle retransmit en direct sur l’écran foulacheudé du pont principal. --

Oah ! L’image est vachement bonne ! s’émerveilla Von Dutch. C’est du 1080p ?

--

Non, ça n’est que du 1080i, je n’ai pas pu désentrelacer les vertex, il y a plein de parasites haute-fréquence là dehors, et puis il y a toujours ce foutu 50 Hz, mais c’est déjà pas mal, fit Lumi.

--

VOUS ALLEZ LA FERMER, OUI ? Lumi ! Faites un zoom, histoire qu’on voit ce que c’est ! La résolution est peut-être bonne, mais on y voit que dalle !

Lumi s’exécuta. Elle saisit le joystick analogique, compensa la dérive du vaisseau, puis obtint une image intelligible de l’obstacle. Il y avait de plus en plus de parasites, et l’image tressautait dans un noir et blanc crasseux, mais tout le monde sut immédiatement ce que c’était. Un immense sourire s’esquissa sur chacun des visages de l’équipage. Sauf sur celui de Skofüld qui, lui, n’avait évidemment pas la MOINDRE idée de ce dont il pouvait bien s’agir. Et puis, de toutes façons, il n’avait strictement rien compris à cette histoire d’Introducton. Comment aurait-il donc pu reconnaître une station spatiale de type 42-B flottant dans l’espace ? ***

178


23

CRETAION-1

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--

KLEBZ !

--

Chef ?

--

Prenez les commandes ! En avant, lente, direction la station ! Immersion à deux cents toumètres, sortez le périgrauscope en vue de l’amarrage. BROSSARD !

--

Yes, sir ?

--

Occupez-vous du sas ! Je veux que l’Amérion soit arrimé dans moins de dix minutes !

Brossard s’exécuta en bougonnant. Il était encore de corvée sas. Et il n’aimait pas ça DU TOUT. En effet, la procédure exigeait que l’on fasse le vide dans le sas, puis qu’on le remplisse avec de l’oxygraugène neutre à particules filtrées. Selon les normes TRIZO-9000, toute particule de plus d’un couillème de millimètre devait être éradiquée, ce qui exigeait des filtres sinusoïdaux à effet de porte, d’une puissance pas du tout négligeable. La salle des commandes du sas, qui se faisait vieille, n’était pas tout à fait insensible au gradient de pression provoqué par la manœuvre, et Brossard s’en sortirait encore sourd comme un pot, les oreilles défoncées et les rétines décollées. Hmmmffchier, conclut-il en s’isolant derrière son hublot de transparostafa.

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--

En approche, à deux mètres seconde, sir ! fit Klebz. Mais je n’ai encore aucun contact de la zone d’amarrage.

--

Peu importe, m’en fous, amarrez-vous ! brailla Tipek.

--

Passez en ondes courtes, Klebz, suggéra Lumi.

--

C’est déjà fait, ça ne donne rien.

--

Et la bande FM ?


--

Keud.

--

Quelle distance ? demanda Tipek.

--

Deux cent quatre-vingt dix mètres, sir ! Et toujours en silence radio !

Tipek commençait à trouver ça louche. Cette station, de type 42-B, était sûrement équipée d’un avaloir automatique suffisamment grand pour que l’équipage de l’Amérion monte à bord de cette boîte de conserve intersidérale, mais tout ça n’était pas normal. C’en était même préoccupant. Plus l’Amérion approchait, et plus la station lui semblait étrange. Aucun trafic alentour, pas la moindre éjection d’ordures compactées ni la plus petite vaporisation de fluides d’entretien. Par contre, il y avait cette lumière, d’un bleu aveuglant, qui filtrait par les hublots du côté tribord. Mais, pour autant qu’il pouvait en juger, il n’y avait pas d'activité à l’intérieur. --

Capitaine ! Regardez !

C’était Von Dutch, qui était collé au quintuple vitrage de l’Amérion. --

Eh bien, quoi ? demanda Tipek.

--

La station ! On peut voir son immatriculation !

Tipek escalada prestement l’escalier de mullonciment, puis vint se poster juste à côté de l’intendant. De l’autre côté de la baie transparostafée, la station grossissait à vue d’œil, déployant ses panneaux solaires dans l’espace intersidéral. Et, quelque part sur ce qui semblait être le module principal, la lourde coque portait une inscription faiblarde, sans doute atomisée par des années passées dans le vide de l’espace, soumise à d’intenses irradiations : == CRETAION-1 == 181


Tipek mit quelques instants avant de digérer l’information. Devant son air préoccupé, Von Dutch demanda : --

Mon capitaine ? Vous allez bien ?

--

On ne peut mieux, fit Tipek, en se demandant si son mensonge était crédible.

Car le capitaine connaissait cette station. Ou, plutôt, il avait entendu certaines choses. "L’Affaire CRETAION" était classifiée, mais Tipek avait eu vent de certaines rumeurs. Et ça ne sentait pas bon. Mais avec ce foutu Introducton en carafe, avaient-ils seulement le choix ? --

Sir ! Les capteurs de mouvement de la station nous ont repérés, et je viens de recevoir un fax automatique de prise en charge !

--

La procédure d’amarrage est lancée ?

--

Oui, j’ai envoyé l’accusé de réception, tout est automatisé.

--

Bien ! Je veux tout le monde dans le sas dans cinq minutes !

--

Et, euh... on s’équipe, ou bien ?

--

Vu le silence radio observé par CRETAION-1, je nous considère en état d’alerte. Prenez vous combardes, votre oxygène, vos armes et, surtout, n’oubliez pas vos Baukval !

Et meeeerd’ songea Klebz. Pas le Baukval ! --

ET N’OUBLIEZ PAS VOTRE PIQUE-NIQUE !

Dans le sas, tout le monde faisait de l’huile. Vue de l’extérieur, CRETAION-1 avait plutôt une sale gueule, du style tarentule de métal de 400 mètres d'envergure, et l’absence de contact ne 182


sentait pas bon du tout. Lumi aidait Skofüld à visser son Baukval sur la tête, pendant que Klebz faisait coucou à Wall-ID de l’autre côté du ptiplexiglas. Brossard appuya sur "Vacuum". Von Dutch se retint de faire une remarque sur sa pupille dilatée et son teint rouge comme une peau de gland. Le vide se fit d’un coup, et la combarde de Maïkeule, qui n’avait pas mis la sécurité, se gonfla comme un airbag géant, plaquant tout le monde sur la paroi opposée. --

Rhâââ ! T’es vraiment une bille, Skofüld ! râla Klebz.

Il y eut un drôle de bruit, comme un toc-toc. D’ailleurs, c’était un toc-toc : Wall-ID frappait sur la vitre. Tipek appuya sur l’intercom. --

Quoi encore ?

--

Mo ka réception audio.

--

Hein ? Balance !

Wall-ID fit quelques ajustements, puis il envoya le signal radio à travers les haut-parleurs du sas dépressurisé. Tout le monde attendit comme autant de glands mais, évidemment, on n’entendait rien. Wall-ID bascula sur l’intercom, et diffusa le message de très courte portée qu’il venait de capter : "Ici CRRR Station CRRRRETAION-1. Demandons CRRRRR de toute urgence. RisqCRRRRiologique. Je répèCRRRRR... DemandCRRRR" --

Damned ! fit Von Dutch.

--

Tout juste, compléta Brossard.

--

On est pas dans la merde, conclut Tipek.

L’équipage braqua les yeux vers la passerelle automatique de la station, qui s’avançait dans un silence mortel. La cabine eut un 183


léger mouvement de recul au moment du contact, puis il y eut un léger "pschhout". De la fumée envahit la cabine, avant que la douche de décontamination n’asperge tout le monde. Avec un bruit inquiétant, l’iris externe s’ouvrit en ripant. Une minute, même pas, soixante secondes plus tard, l’ensemble de l’équipage du croiseur intergalactique bifluor USS Amérion posait l’arpion dans le sas bâbord de CRETAION-1. Un silence de mort pesait dans l’entrée de section dodécagonale. Les baies d’amarrage de part et d’autre du sas, vacantes et aux flexibles de connections arrachés, n’auguraient rien de bon. Tipek venait en premier, puis Klebz, Hal, toutes antennes dehors, Lumi, Skofüld qui ne comprenait rien, Von Dutch et enfin Brossard. Wall-ID était chargé de la communication distante avec l’Amérion, en cas de coup dur. Klebz ne faisait pas trop le malin, pour une fois. Ses sens aiguisés l’avertissaient d’une menace latente et omniprésente et un rapide coup d’œil à sa droite lui apprit que toute cette partie de la station poly-orbitale était plongée dans l’obscurité. --

Attention je mets les équipements vitaux sous tension, avertit le capitaine.

Et de fait, il abaissa un commutateur qui... commuta, contre toute attente, et le sas fut éclairé peu à peu par des néons clignotants incertains comme dans un film de Ridley Scott. Ça sentait vraiment pas bon, cette histoire. --

Bon, tout le monde est prêt ? J’ouvre.

Tipek enclencha une commande dans le terminal situé sur le mur près du second iris, et celui-ci s’ouvrit dans un tchhh digne de ce nom, remplissant le sas de vapeur. Il posa sa botte à semelle métallique sur la grille du compartiment suivant, arma son fusil à téléprotons, et se retourna vers son équipe. Les regards inquiets 184


de Klebz et des autres lui firent comprendre que personne ne savait vers quoi ils allaient, mais qu’ils étaient décidés à en découdre pour réparer l’Amérion, s’il le fallait. Klebz pensait d’ailleurs que s’il ne le fallait pas, ça ne serait pas plus mal. Après tout, il ne s’agissait peut-être que d’une panne de secteur. Peut-être. Ou pas. La lampe taurche du fusil de Tipek diffusait dans le couloir une lueur blafarde, parcourant les murs et le plafond à mesure qu'il avançait. Un grincement se fit soudain entendre, insupportable de puissance mais filtré par les baukvals. La structure de CRETAION-1 se tordait, comme animée par une douleur intestine. Klebz pensa fort à propos que la station aurait mieux fait de lâcher une grosse caisse et le coup de pompe d’Hal lui rappela que la tronche d’avocat était télépathe. Si on peut même plus penser c’qu’on veut, télépatho-bougonna le mécanicien. Tipek consulta son neuro-récepteur à écran tactile, fixé sur l’avant-bras gauche de sa combinaison. Le moniteur affichait un plan en 3D de l’étage qu’ils parcouraient, et des points de différentes couleurs matérialisaient les informations utiles : membres de l’équipage, points de sauvegarde, toilettes, drapeau, etc. Un double-clic sur l’icône appropriée pouvait à son gré transmettre l’affichage sur son HUD (Head Up Display, affichage tête haute) intégré au baukval, mais il fallait ensuite double cliquer sur les points de couleurs afin d’obtenir les informations s’y rapportant (rythme cardiaque de l’équipier, etc). Et Tipek avait toujours trouvé ça très con de double cliquer du doigt sur la visière de son casque. Bref. Ils étaient dans la bonne direction. Une dizaine de mètres plus tard, le capitaine et ses équipiers prirent pied sur la passerelle de commandement. Personne. Tous les moniteurs affichaient un écran bleu typique d’un gros plantage.

185


--

Lumi. Rétablissez l’affichage. Nous devons au moins obtenir l’affichage des caméras de surveillance sur ces écrans. Rebootez, appelez la hotline, faites ce qui est nécessaire. Klebz, Von Dutch, vous allez à l’atelier. Si vous trouvez ce qu’il faut pour réparer l’Introducton, avertissez Wall-ID et faites envoyez une nef de maintenance depuis l’Amérion. Restez en contact radio, impérativement. Ne nous éternisons pas ici.

--

Euh capitaine je fais quoi moi ?

--

Vous Brossard ? Hmm... Rien. Vous savez faire, ça ?

Hank se renfrogna. Il n’avait tout de même pas apporté son lanceflammes pour rien ! Lumi s’était installée devant le terminal principal et s’efforçait de rétablir le contact entre la salle des serveurs, le bio-administrateur de la station et la passerelle via toute une série de pings et de pongs. Manifestement ça ne fonctionnait pas des masses, et le caporal commençait à jurer dans sa langue natale. Hal avait été chargé par le capitaine Tipek de récolter le maximum d’informations sur le biotope de la station, à commencer par l’atmosphère. Il n’était pas question de ramener un quelconque agent bactériologique sur l’Amérion. --

Capitaine j’ai quelque chose !

--

Où ça caporal ?

--

Sur l’écran secondaire, là-bas. Pouvez-vous me dire de quoi il s’agit ? demanda-t-elle sans quitter son fauteuil.

Le capitaine s’était tourné vers l’écran en question et affichait une expression de terreur. Les lueurs de l’écran se reflétaient sur son visage rempli d’une peur primaire dictée par son cerveau reptilien. Hal se concentra sur les pensées de Tipek et vomit aussitôt. Dans son baukval, pour changer. 186


--

Mon dieu, c’est épouvantable, murmura Tipek.

--

Que se passe-t-il ? questionna Brossard. Vous êtes tombés sur l’enregistrement du journal de bord et la station a été attaquée par des extraterrestres ???

--

Non Hank. C’est bien pire.

Brossard se rapprocha. --

MON DIEU ! C’EST CHRISTOPHE MAÉ !!!

Lumi avait balancé sans le faire exprès les réceptions radios sur l’écran secondaire, et le CRETAION captait une vieille retransmission d’un programme pour adulte de l’ancienne Terre. Le spectacle était insoutenable, et Brossard, dans un moment de lucidité, éteignit le moniteur qui venait de basculer sur Nikos Aliagas. Ces infernales visions hanteraient le sommeil des aventuriers pendant des mois, à n’en pas douter. Le caporal avait finalement réussi à choper dans la mémoire interne des terminaux de la passerelle les dernières sauvegardes du journal de bord. Le commandant y relatait la coupure soudaine de toute communication avec la Terre, quelques semaines auparavant. La station avait ensuite été infectée par un agent extrêmement toxique rapporté par un des croiseurs stellaires de la Cellule au cours d’une exploration sur la planète NovelStar dans la constellation du Tapir. Une étrange rage s’était alors emparée des grausmonautes, les uns après les autres. Quelques-uns avaient toutefois réussi à quitter la station, non sans abandonner leur commandant qui souhaitait quitter le navire en dernier. Je suis payé à l’heure, vous comprenez, se justifiait-il dans la conclusion de son journal. L’enregistrement s’achevait là, laissant bon nombre de questions sans réponses. Lumi jeta un regard perplexe à Tipek, 187


qui, s’il l’avait pu, se serait bien massé les tempes. --

Bon. Tipek pour Klebz, Klebz. ... Répondez, Klebz.

--

Klebz à l’écoute.

--

Où en êtes-vous, première classe ?

--

Et bien l’atelier à été largement endommagé par une collision avec un corps céleste de type astéroïde bi-latéral, et la plupart du matériel léger s’est barré par la brèche. On a lancé une routine de colmatage sur les parties abîmées, mais le matériel lourd dont on a besoin est trop endommagé pour être utilisable. Désolé capitaine.

Tipek soupira. Quelle plaie cet Introducton en panne. Il faudrait penser à remplir une note d’amélioration continue au retour de mission. Cependant, l’incursion sur CRETAION-1 avait au moins apporté des précisions quant à l’absence de communications depuis la Terre. Manifestement le problème ne leur était pas spécifique. --

Très bien Klebz, prenez ce qui vous semble intéressant mais ne vous encomcombrez pas. On fout le camp.

Skofüld poussa un cri. --

Là, couina-t-il en désignant un coin sombre de la passerelle qui s’étendait sur plus de 100 m². Y’a un truc qui a bougé.

--

RECULEZ Skofüld. Brossard. Allez voir, mais ne prenez pas de risques inutiles.

Et Tipek redoutait de voir ses craintes confirmées, c’est pourquoi il avait adopté cette conduite prudente. Il arma une seconde fois son fusil, inquiet, ce qui n’eût pour effet que d’éjecter une cartouche 188


aux têtra-hydro-bio-liposomes pleine. Mais bon, le bruit était sympa. Chlunk ! Brossard s’avança vers le coin désigné par Maïkeule. Il enclencha le mode disruption volcanique de son lance-flammes qui émit un tuiiiiiiiiiit de chargement de flash. Lumi s’était relevée et avait empoigné elle aussi son arme, un fusil d’assaut à charges neuroinhibitrices. Des projectiles qui rendent couillon, en gros. Dans un feulement déchirant, une bête longue de 70 cm et haute de 50 émergea du noir en braillant. Elle se jeta sur Brossard qui, fort heureusement, ne s’était pas trop approché. Grosse erreur de calcul pour le bestiau. Hank défourailla dans le tas, provoquant un incendie façon soleil sur la carapace brillante de l’animal. Tipek prit alors conscience de la gravité de la situation. --

Klebz, vous vous repliez immédiatement vers l’Amérion, on a un essaim d’aliens de catégorie 3 ! hurla Tipek dans son intercom.

Les rumeurs étaient fondées. La station poly-orbitale CRETAION-1 était suspectée d’abriter les recherches ultrasecrètes de la Cellule sur les souches ADN extrasolaires. Et l’agent bactériologique n’avait pas eu raison de la constitution robuste des aliens. Pire, il les avait rendus plus agressifs, l’organisme extrasolaire avait muté en implémentant la composante bactériologique. L’équipage de l’Amérion devait faire face à des organismes conçus pour traquer, tuer et dévorer leurs proies sans la moindre once de pitié. Bien sûr, toutes ces infos auraient pu être récoltées sur un mourant enfermé dans un laboratoire, genre le scientifique qui avait pigé depuis le début mais qui a résisté assez longtemps pour briefer l’équipe de bourrins qui va flanquer une peignée aux aliens. Tiens d’ailleurs on va faire ça. Retour en arrière, au soupir de Tipek. 189


Tipek soupira. Il allait falloir retourner à bord de l’Amérion sans les composants nécessaires à la réparation de l’Introducton. Quelle plaie.

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--

Bon Klebz vous embarquez ce qui vous semble intéressant et vous dégagez vite fait. Gardez le contact, terminé. Brossard, Lumi, Skofüld, Hal. On fout le camp.

--

Capitaine, j’ai besoin de trois minutes pour sauvegarder quelques données de navigation, répondit le caporal aux gros arguments.

--

Accordées. Hal, l’analyse de l’atmosphère donne quoi ?

--

Nous serions morts depuis longtemps si nous n’avions pas porté nos baukvals, capitaine. L’air est saturé de micro-organismes de type bacille de l’hémistiche, un composé spécifiquement mortel à cette basse pression. Il provoque des saignements des oreilles, des vertiges, de sensations de nausée, consultez votre pharmacien en cas de doute et respectez les doses prescrites.

--

Euh... bon. Merci. Skofüld ne touchez pas à ça ! brailla Tipek à l’encontre de Maïkeule qui tripotait un truc, comme d’habitude.

--

Kschhh Tipek pour Klebz, Tipek.

--

Oui première classe, Tipek à l’écoute.

--

Euh... Vous feriez bien de nous rejoindre, on a trouvé un truc bizarre au labo 4. Je vous envoie immédiatement un goniotraceur à bio-déphasage thermo-icarien.

--

C’est ça, faites donc.


Sous ce sarcasme, Tipek parvint difficilement à masquer son inquiétude. Il sentait sourdre au plus profond de son être un pressentiment malsain, directement lié aux bruits qui couraient sur le compte de CRETAION-1. Quelques instants plus tard, ils arrivaient devant le large panneau transparent qui séparait le couloir du laboratoire, comme dans tout bon film bactériologique ou à contamination. Un pchoutt sympa accompagna l’ouverture de la porte, et Tipek vit Klebz accroupi près d’un homme, lui-même vautré contre une armoire réfrigérée. L’homme était apparemment mort depuis longtemps, mais un notepod tactile était encore serré dans ses mains bleues. Un filet de sang séché coulait de ses narines, et lorsque Klebz retira le notepod des mains raidies du cadavre en blouse blanche, la tête de celui-ci bascula et laissa voir des yeux entièrement noirs. Lumi sentit un frisson parcourir son corps et elle souhaita avoir mis ce matin un soutif blindé. Sinon, le syndrome du téton dressé était à craindre. Mais c’est un peu hors contexte. Sans un mot, le mécanicien tendit le notepod à Tipek, qui le mit en marche. Un hologramme se dressa instantanément au centre du petit groupe. L’homme qui parlait était celui qui gisait désormais aux pieds de l’assistance, et il était déjà couché contre l’armoire à ce moment-là. Il expliquait que CRETAION abritait les recherches secrètes de la Cellule sur les souches extrasolaires d’ADN. L’équipe de chercheurs avait réussi à recréer des aliens, mais ceux-ci s’étaient révélés extrêmement agressifs, et ils avaient été contraints d’en balancer plusieurs dans le vide sidéral. La venue d'un agent bactériologique toxique avait rendu la situation complètement incontrôlable. L’équipe de recherche avait soumis plusieurs spécimens à l’agent bactériologique, qu’ils avaient réussi à isoler dans un premier temps, mais les individus extrasolaires, contre toute attente, avaient implémenté la composante 191


bactériologique dans leur propre ADN. Et là, c’était vraiment parti en banane. De sauvages tueries en traques effrénées, l’ensemble de l’équipage de CRETAION-1 avait succombé, soit plus de cinquante membres. L’homme qui parlait était le seul rescapé et avait réussi à se barricader, mais déjà les cris des infernales bêtes se faisaient entendre, et surtout, surtout, il avait été mordu. Il se savait perdu, voué à une mort atroce en raison des horribles symptômes de la contamination : toux rauque, fièvre, vision de la Schtroumpfette, démence, bave abondante, glaires purulents, accès de rage et sueurs froides. Mais ça n’était encore que la partie fun du processus, parce qu’après, les choses se corsaient : son ADN serait recombiné à celui de la créature par complémentarité des paires de base, puis il se changerait en bio-extraterrestre synthétique. Le pauvre homme se précipita quand même vers la trousse de premiers soins pour se faire une injection de thermoréguloïdes anabolisants – après tout, on ne savait jamais. Ils avaient fait quelques tests sur des skons d’Alaska en laboratoire, et, avant de tous les tuer, ça avait eut l’air de pas trop mal marcher. Alors, il s’était fait la piquouse de la dernière chance. En fait, il espérait surtout gagner un peu de temps, histoire d’envoyer un dernier SMS à sa copine restée sur l'USS Hypérion. Il avait dégainé son Eee-PC à écran flexible en nanotubes de carbone, mais le réseau SFR était tombé en rideau. L’échec ! avait t-il maugréé en balançant la foutue machine qui alla rebondir une douzaine de fois dans la zone de pré-confinement des ralbinos de laboratoire. D’après ses calculs – il était chercheur en ADN animal natif –, il ne lui restait plus que quelques minutes avant que les cytotoxines ne s’attaquent à son bulbe rachidien, et moins d’une demi-heure avant qu’elles ne provoquent la nécrose de son cortex préfrontal. Arrivé à ce stade, il serait redevenu un animal, primaire et bestial, et sans doute assoiffé de sang aussi. Mais, pour l’heure, il n’en était encore qu’au stade de la démence 192


et des hallucinations. Soudainement, il se prit pour une danseuse de ballet et se mit en tête de passer un triple axel sur patin à glace en plein milieu du laboratoire. Mais évidemment, il n’avait pas de patins, et puis il n’était pas spécialement doué en gymnastique non plus, si bien qu’après un demi saut périlleux pour le moins foireux, il alla se contrôler la gueule dans l’armoire à pharmacie. Le nez pété en deux, le scientifique eut un dernier accès de conscience, fourra sa main dans sa poche et en tira un petit caleupin holographique. Enfiévrée et tremblotante, la victime entreprit de raconter sa vie, mais il n’avait pas franchement le temps, alors il se contenta de résumer le dernier épisode de la dernière saison de CRETAION-1. Quelques minutes plus tard, l’injection de thermoréguloïdes lui fut fatale. ***

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GuĂŠguerre

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Tipek se redressa, et scruta le laboratoire. Sur les plans de travail maculés de sang gisaient encore quelques spécimens de gognols disséqués, et les écrans de contrôle intégrés aux murs n’affichaient rien d’autre que des "syntax error" bien peu engageants. --

Lumi ?

--

Capitaine ?

--

Est-ce que vous avez le codes d’accès à la centrale de regardage de CRETAION ?

--

Oui capitaine, vous y avez accès normalement.

Tipek tapota quelques commandes sous le regard circonspect de ses équipiers, puis transmis les données au HUD de chaque baukval. Klebz, Hal et les autres virent alors un plan s’afficher devant leurs yeux, sur lequel figuraient sept points verts regroupés dans une pièce. --

Très bien, déclara Tipek. On passe en 887-2 au transpondeur, communications cryptées par protocole Kadeunah.

--

Pourquoi cela, capitaine ? questionna Klebz, détendu.

--

Klebz, vous avez entendu comme moi les révélations postmortem du tas de viande froide, dit Tipek en désignant le cadavre du laborantin. On a eu de la chance de s’en tirer jusqu’ici, mais les aliens nous ont sûrement déjà repérés. Passez donc en mode tactique sur votre HUD.

Klebz et les autres s’exécutèrent, et ils virent plusieurs points rouges qui se dirigeaient vers eux. Il ne leur restait plus que quelques minutes avant l’assaut. En bons militaires, personne ne céda à la panique, sauf Skofüld qui, rappelons-le, était plutôt indigène que troufion. Klebz le rattrapa de justesse par la combarde alors qu’il 196


tentait de fuir. Un bon coup sur le baukval ramena Maïkeule à la raison, et Tipek put donner les ordres nécessaires afin de parer à l’impact alien VS explorateurs. --

Von Dutch ! Brossard ! De part et d’autre de la porte !

--

Héé mais il va me cramer la tronche avec son soleil portable, capitaine !

--

Mais non mais non. Klebz, Lumi, vous restez en retrait et vous protégez Skofüld, qu’il n’aille pas nous casser les roustons en plein combat ! Hal, avec moi, on se place en façade et on dégomme tout. Si on laisse repartir un seul alien de ce groupe d’éclaireurs, on aura tout l’essaim sur le dos. Et avoir l’essaim sur le dos, ça m’emballe pas, ajouta-t-il en jetant furtivement un regard à Lumi.

Il fallut auparavant barricader soigneusement les lieux, notamment au niveau porte. Les parois vitrées qui séparaient le couloir du laboratoire étaient en transparostafa treize points, et résisteraient probablement à de violents coups. Mais la porte, uniquement conçue pour étanchéifier la pièce, n’offriraient qu’une maigre protection. Encore un truc bricolé par un stagiaire, maugréa Tipek. Chacun prit son poste, et un silence de mort s’abattit sur le local, éclairé par les capricieux néons du couloir. Déjà, les cris des bestiaux se faisaient entendre, au loin dans les couloirs sombres de la station abandonnée. Tipek envoya un SMS à Wall-ID afin qu’il enclenche, une fois de plus, la procédure de repli d’urgence, en précisant bien qu’il ne faudrait l’initier qu’une fois l’ensemble des membres à bord. Avec ce couillon de robot, il fallait toujours s’attendre au pire. Soudain, un choc terrible ébranla les murs en titane de carbone de la pièce. Un feulement aigu transperça les oreilles des embusqués. Tipek agrippa fermement son blaster à 197


ondes transversales périodiques, et regarda Klebz. Visiblement, le mécanicien ne stressait pas trop. Il protégeait de son imposante personne le demi-assommé Skofüld, et regardait tout de même avec attention la porte soumise aux assauts répétés d’un alien visiblement vexé de n’être pas autorisé à carnager comme il l’entendait. Lumi, quant à elle, n’en menait pas large : elle redoutait l’instant où la porte céderait, ce qui est assez logique, finalement. Et comme pour confirmer ses craintes, la fameuse double-porte, l’ultime double-porte céda. En craquant. Un silence de mort succéda à ce craquement, globalement personne ne savait trop à quoi s’attendre. Tipek se doutait qu’il n’y aurait pas trop de bestiaux, mais il ne savait en revanche pas du tout à quoi ils allaient se mesurer. La bio-toxine avait peut-être radicalement transformé l’essaim... Plusieurs paires d’yeux réfléchissaient furtivement la lumière dans l’encadrement de la porte, lorsque Brossard réagit enfin. Il pivota de manière à ne pas trop esquinter Von Dutch, et canarda les sanguinaires créatures. Tipek ouvrit le feu lui aussi, bientôt suivit du reste de l’équipage embusqué. Une charge au grauzarh remplit la pièce d’une lueur aveuglante l’espace d’une seconde, et les visières bio-variables des baukval s’opacifièrent afin de protéger les yeux de l’équipage de l’Amérion. Tipek put toutefois compter sept aliens, dont deux avaient l’air sérieusement amoché. Von Dutch était aux prises avec le plus gros d’entre eux, et manifestement le combat dans l’obscurité n’était pas à leur avantage, malgré les caméras thermiques intégrées à leurs casques. Les aliens étant apparemment des bêtes à sang froid (mais peut-être n’avaientelles tout simplement aucun fluide vital) lesdites caméras ne servaient finalement pas à grand chose. Klebz envoya un gros meuble à roulette non-identifié dans une direction où ça meuglait, et fit mouche. Un de moins, s’exclama-t-il joyeusement. Brossard, 198


qui venait apparemment de descendre son troisième alien, entama le rechargement de son lance-flamme, puis se ravisa. Il sortit un couteau long comme une queue de fleubl’h’bl, et décida de finir le gros qui attaquait le baukval de Von Dutch, d’après les cris et autres appels au secours de ce dernier. Tipek lança une fusée éclairante qui alla directement s’encastrer dans le faux-plafond du laboratoire. Il vit que personne n’avait souffert de l’assaut, relativement bien contenu, se félicita-t-il. Brossard avait sauté sur les épaules du dernier alien et visiblement n’arrivait pas à trouver de faille dans la carapace du gredin, qui braillait tant qu’il pouvait. Le capitaine stoppa net Klebz qui s’approchait du dernier bestiau avec une clef à molette de la taille d’un jambon à l’os. --

Plus un pas, Klebz. Vous risqueriez d’amocher Brossard.

--

Et alors ? plaisanta ce dernier.

--

Klebz !

--

Oui bon...

Brossard finit toutefois par couper l’agresseur en deux d’un coup de machette bien placé, soulageant par là-même ses compagnons. --

Bon, on ne traîne pas dans les parages, les autres ne vont pas tarder et ils ne seront pas de la même trempe, croyez-en mon expérience, affirma Tipek. C’est par où la sortie, Lumi ? Que... Mais qu’est-ce que c’est que ce truc-là encore ?

Au coin de la porte, escaladant les gravats, une espèce de bête sautillait de parpaing en cadavre. Haute d’un mètre vingt environ, le robot – car il s’agissait d’une machine, de toute évidence – possédait quatre pattes articulées et assurait son équilibre en étant constamment en mouvement, un peu à la manière d’un... En fait cet étrange droïde ne ressemblait pas à grand chose, mais 199


avait l’air étonnamment ridicule. Klebz s’approcha prudemment du curieux montage, et le poussa violemment du pied. Le droïde tangua violemment, manqua de se boîter contre un meuble mais se rattrapa finalement. --

Huhuhu c’est marrant ce truc, rigola-t-il.

--

Hal, passez-moi ce truc au scan, ordonna Tipek.

Quelques tülülüt plus tard, Hal affichait sur son HUD l’ensemble des caractéristiques de ce bidule. --

Pas d’armement offensif, capitaine, compléta le verdâtre télépathe. Apparemment cet engin est l’équivalent de WallID pour CRETAION-1, d’après les relevés radios d’entrées/ sorties. Par contre au niveau communication, c’est pas brillant. Il ne sait pas parler, et ça m’étonnerait qu’on puisse lui transmettre de l’information non compilée. En revanche le système de codage est connu, d’ailleurs c’est un standard. Ce qui est plus intéressant c’est son système de pattes. Sûrement un prototype.

--

Capitaine, qu’est-ce qu’on fait ? demanda Lumi. Je vous rappelle qu’on n’a pas beaucoup de temps avant l’arrivée du gros de l’essaim.

--

On plie bagage.

Chacun remballa ses petites affaires, Klebz releva Skofüld et l’équipage se dirigea vers la sortie de la station, ou plus exactement vers l’Amérion. Quelques mètres plus loin, Hal broadcasta : --

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Heu capitaine le bidule nous suit, là. Il missionne un peu mais il tient l’allure.


--

On peut le garder, capitaine ? Je veux dire ce pauvre petit droïde sans défenses, on ne va pas le livrer aux aliens, tout de même ? demanda Lumi.

--

Bon écoutez, on a déjà ramassé un indigène en route, on ne va pas accueillir tous les paumés du cosmos, non ?

--

Merci pour l’indigène, railla Maïkeule.

--

Moi je propose qu’on fasse rien et qu’on voit s’il arrive jusqu’à l’Amérion. De toutes façons ce n’est ni le lieu ni l’endroit pour parler de ça. On pourra toujours l’éjecter par un sas, proposa l’intendant.

Tout le monde se regarda, interdit devant la justesse de la remarque. --

Von Dutch, vous allez bien ? questionna Tipek.

--

Heu bin heu je... répliqua celui-ci du tac au tac.

--

Bon bref. Vendu, on verra à bord. Pour le moment on reprend la marche. Hal, prévenez Wall-ID, tiens, pendant que vous y êtes.

Le petit groupe se remit en marche, mais, quelques instants plus tard... --

Hé mais j’y pense ! fit Klebz.

--

Quoi encore ? soupira le capitaine.

--

Ah euh non, non non rien, pardon.

--

Grmblbl... Le prochain qui nous oblige à stopper la marche, il va voir de quel plastique je me chauffe.

Cet avertissement eût l’effet escompté, vu que le seul à stopper 201


la marche fut un éclaireur extra-solaire égaré dans un couloir. Il fut accueilli à coups de bottes dans la tronche, et ne demanda pas son reste. Un grondement sourd agita toutefois la carcasse de la station, accompagné d’un violent vent qui entraîna dans son souffle toute une variété de trucs, du tabouret de laboratoire aux rations déshydratées périmées en passant par des bouts de cadavres. --

Pas de panique, cria Brossard dans l’intercom. J’ai piégé le laboratoire avec des charges à fusion confinée. L’essaim vient de prendre une bonne fessée !

--

Et vous avez percé la coque de la station, dans la foulée, c’est ça? hurla le capitaine.

--

Euh... Ah c'est possible, tiens !

--

Brossard t’es vraiment qu’un bourrin ! dit Klebz en se gondolant.

Tipek ne put que soupirer une fois de plus devant l’état d’esprit de son équipage. Mais il valait mieux ça qu’une troupe de neurasthéniques, se dit-il. Le courant d’air se calma peu à peu, coupé par les portes anti-souffle qui descendirent avec fracas, jusqu’à permettre au groupe d’aventuriers de continuer la marche. Arrivés au niveau du sas reliant l’Amérion à la baie d’amarrage, ils constatèrent que le finalement sympathique quadrupède suivait toujours. Tipek déclencha donc l’ouverture de l’iris de protection, et l’équipage put regagner le vaisseau, non sans une décontamination minutieuse d’à peu près tout, quadrupède inclus. ***

202


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Good-Dog

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De retour à bord de l’Amérion, tout le monde regagna son poste. Tout le monde, sauf Skofüld qui n’avait pas de poste, et le quadrupède automatique qui ne savait pas trop à quoi s’en tenir, visiblement. Du coup, les deux personnages restèrent à glander dans les environs du sas, et apprirent à faire connaissance. La communication n’était pas aisée – elle était même inexistante, d’ailleurs – et puis en plus le bestiautomatique pesait une tonne et semblait vouloir jouer. Comme un clébard. Car oui, le robot ressemblait à s’y méprendre à un clébard : même morphologie, même gestes stupides, etc. Il ne lui manquait plus qu’une truffe humide, un regard idiot, une langue pendante et de grandes oreilles. Mais non : l’anatomie de la machine se résumait à un tronc flanqué sur quatre pattes. Seul le sens de la marche et l’aspect des membres propulseurs trahissait où aurait dû se trouver la tête. L’engin se mit soudain à bondir en tous sens, puis à tourner autour de Skofüld. Sérieux, on dirait trop un bon chien, pensa t-il. Amusé par ce troublant mimétisme, Maïkeule se hasarda à jouer avec le robot, mais après s’être fait mettre au sol une douzaine de fois et gentiment roué de coups, il préféra retourner se coucher, de peur de mourir broyé sous l’imposante machine. Apparemment désappointé de la perte de son camarade de jeu, le robot se mit en tête de parcourir les couloirs de l’Amérion en rasant les murs. Attiré par un drôle de boucan dans le couloir 290-B attenant à la salle des machines, Klebz sortit sa truffe du générateur à impédance inertielle pour aller jeter un coup d’œil. Il découvrit le robot qui zonait à ne plus savoir que faire, et ses pattes en synthacier résonnait fortement sur le sol en durociment. --

Eh bin t’en fais du bruit, mon gars ! Viens un peu par là !

Apparemment tout content, le robot vint voir Klebz en courant, puis s’assit devant lui et fit le beau. 204


--

Ouah trop fort ! Bon allez, je vais te mettre des coussinets en élastoplasmide, tu feras moins de bruit comme ça. Paske si tu passes près de Tipek en faisant un boucan pareil, c’est direction le sas et hop ! Dans l’espace !

À ces mots, le quadrupède sembla frémir. --

Mais... mais tu comprends ce que je dis ?

Bien que ça ne fut pas super probant, l’engin sembla faire oui avec son corps en se balançant d’un côté sur l’autre. --

Bon allez, je vais essayer de te bricoler, tu m’as l’air d’être un bon gars. Pas comme certains... souffla t-il en pensant à WallID.

Klebz examina la machine de plus près, puis découvrit une trappe sous le tronc, entre les pattes. Il farfouilla à l’intérieur, puis découvrit quatre ports USB et un connecteur ADSL, ainsi qu’un bicroisé RJ45. Curieux, il connecta le robot à son µ-Pod, puis entreprit de coder quelques routines en Visual Natif. Très vite, il activa toutes les routines d’IA du robot qui semblait avoir été bridé. Il parvint même à compiler et acheminer les signaux vers un vocodeur sonique situé quelque part à l’avant de la machine. Il déconnecta son µ-Pod puis alla chercher sa boîte à outils. Quelques coups de meuleuse et de perceuse à angle plus tard, le robot était muni d’un semblant de moignon de queue ainsi que d’une tête de type rottweiler mécanique, flanquée sur un coup à 6 degrés de liberté. --

Tin-din ! hurla Klebz en faisant irruption dans la salle de conférence du vaisseau, où il avait fait réunir tout l’équipage.

Tout le monde resta scotché devant l’espèce de bricolage tout miteux qui avait jadis été un simple robot quadrupède. 205


--

Putain mais qu’est-ce que c’est que ce TRUC ? s’étouffa Von Dutch.

--

Je vous présente Good-Dog ! C’est notre nouveau copain ! IA réactivée, réseaux de borborygmes syntaxiques recompilés, logique neuronale réimplantée et, surtout, apparence de chien retrouvée ! Il est pas beau notre nouveau bestiau ?

--

Euh... hasarda Lumi.

Good-Dog se mit à aboyer et à sauter en tous sens en frétillant de la queue. --

Ouais. Il a l’air marrant, fit Hal, à moitié convaincu. On peut le caresser, tu crois ?

--

Bien sûr !

Aussitôt dit, aussitôt fait. Hal essaya de caresser Good-Dog, qui groumfa de bonheur, avant de se rouler à terre, les quatre fers en l’air. --

Trop bien ! laissa sortir Brossard, conquis.

Good-Dog se releva soudain, fit trois fois le tour de la table en fnoufant, puis alla percuter Tipek pour jouer. Seulement voilà, Tipek était plutôt du genre frêle, et l’impact avec l’énorme museau de Good-Dog fut un gros "Glong" qui, pour le capitaine, fut immédiatement suivi d’un transport sur civière en catastrophe jusqu’à l’infirmerie du vaisseau.

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--

Tipektipekvousmentendezvousmentendez ?

--

Hein ? Quoi ? fit le capitaine en se réveillant en sursaut.

--

Vous allez bien ? s’enquit Lumi.


--

Qu’est-ce qui m’est arrivé ? fit-il, la gueule pâteuse.

--

Ah, euh... OH RIEN ! fit Klebz en annulant dare-dare l’ordre d’éjection du canidé mécanique. Vous... ne vous rappelez de rien ?

--

Je... non !

--

Simple surmenage, glissa Lumi en faisait signe à Brossard d’extraire Good-Dog de sa nacelle du condamné.

--

Bon, fit Tipek. J’ai été assoupi combien de temps ?

--

Oh, juste quelques instants, hurla Brossard depuis le couloir, avant de cavaler avec Good-Dog pour le redescendre à la salle des machines.

--

Bien, bien, je vais donc reprendre mon poste, conclut le capitaine en se relevant.

En voyant Tipek sortir de l’infirmerie, Hal contacta Klebz par pensée interposée : --

Tu as intérêt à programmer vite fait une routine d’évitement du capitaine dans le bioprocesseur de ton nouveau copain, si tu veux lui éviter des ennuis !

--

Oui oui, c’est justement ce que je suis en train de faire, pensa Klebz en laissant Hal lire sa réponse dans ses pensées. Brossard ! Amène moi la clé de douze !

Quelques minutes plus tard, Good-Dog était de retour sur le pont principal de l’Amérion. Il joua quelques instants avec Skofüld, qui retourna bien vite se coucher, puis Wall-ID fit irruption. Les deux êtres mécatroniques se regardèrent longuement, dans un silence de mort. P'tain, merde, j’aurais dû ajouter Wall-ID dans la base de 207


données des entités à laisser tranquille, pensa Klebz. Va y avoir de la tôle froissée. Mais, finalement, tout se passa bien. GoodDog fit le beau devant Wall-ID, qui poussa un pépiement charmé et, quelques instants plus tard, les deux compères étaient potes comme cochons. *Content* pensa Klebz, en regardant Wall-ID s’agripper à Good-Dog pour une partie de rodéo endiablée. Amusé par tout ce cirque, Tipek s’approcha du canidé automatique pour lui faire une petite caresse, mais le robot recula d’instinct. --

Eh ben, gros pépère ? fit Tipek, passablement vexé.

--

Oh, euh... Il doit sûrement sentir, à votre aura, que vous êtes le maître à bord, hasarda Brossard.

--

Et alors ?

--

Il vous craint, capitaine, fit Hal.

--

...

--

C’est un signe de respect, compléta Klebz avec une intelligence qui ne lui ressemblait pas.

--

Soit, conclut Tipek, l’air fier de lui et enjoué, avant de regagner ses quartiers.

Les autres membres de l’équipage attendirent quelques instants, puis Klebz lâcha : --

Pfioouu ! C’était chaud, c’t’histoire. Mais je crois que GoodDog fait définitivement partie de l’équipage ! ***

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DĂŠsespoir

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Après le nouvel échec lié à l’abordage de la station orbitale Crétaion-1, et malgré les facéties du nouveau compagnon de route, le moral n’était pas au beau fixe. Les années-lumière défilaient, et les activités à bord commençaient à faire défaut. Klebz jouait avec Good-Dog, certes, mais... La baballe, même le mécanicien s’en lassait. Tipek voyait donc Lumi glander d’un côté, Hal se tirer sur les antennes de l’autre, et cela ne le rassurait guère. D’un œil circonspect, le capitaine voyait Brossard chipoter le moindre pancake au petit-déjeuner, histoire de faire dégénérer les engueulades avec Von Dutch en conflit ouvert, mais ce dernier ne répondait même pas. En clair : tout le monde s’emmerdait sec. Skofüld, quant à lui, passait ses journées à ingurgiter d’épais volumes de sciences bio-quantiques et autres réjouissances linéaires. Il sortait de ces séances éprouvantes complètement séché, à moitié mort (et à moitié vivant, donc, par corollaire), et il pouvait juste se traîner jusqu’à sa couche histoire de ronquer jusqu’au lendemain. Lumi considérait d’ailleurs cette appétance pour le savoir d’un œil suspect. Mais l’œil de Lumi était toujours suspect (ou lubrique, mais en ce moment c’était plutôt suspect, et en tant que seule femme à bord, personne ne la contrariait). Un matin, Tipek alla consulter les données de thermo-navigation de la nuit et le compte-rendu des réunions de bio-hygiène de bord. Les scientifiques avaient en effet déterminé depuis longtemps que les réunions étaient, d’un point de vue général, beaucoup plus productives sans participants humains, et celles-ci s’effectuaient donc en tâche de fond, la nuit. Le relevé coquelico-azimutal indiquait donc la présence, sur la trace de l’Amérion, de quelques parasites spatiaux manges-matière, rien de bien fôlichon. Un écho attira tout de même l’attention du capitaine. Sur les orbitales négatives du générateur à bio-impulsions, plusieurs points de rebroussement signifiaient la présence d’un corps massif, de la 210


taille de plusieurs planètes gazeuses au moins. --

Lumi !

--

Capitaine ? répondit celle-ci dans l’interphone qui reliait la salle de sports et la passerelle.

--

J’aurais besoin de votre avis sur une trace au radar à gluons.

Quelques instants plus tard, la sémillante navigatrice rejoignait le capitaine, non sans avoir ramassé Klebz et par là-même le gros Good-Dog, qui bayaient tous les deux aux corneilles dans un couloir. --

Regardez, Lumi, dit Tipek en esquivant une baballe pleine d’huile de digestion lancée par Klebz et suivie de près par Good-Dog. Ici, là, juste à côté des sillages de propulsion.

--

Qu’est-ce que c’est ?

--

À votre avis ?

--

Un trou noir ?

--

Non regardez, là, ces impacts à flux turbulo-laminaires, ça ne colle pas.

Klebz lança une seconde fois la baballe gluante, cette fois-ci sur le pupitre de commande des stores à déflection rétractable, ce qui eût pour effet de fermer toutes les baies de naviguage visuel. --

Bon, KLEBZ ! s’insurgea le capitaine, tout insurgé.

--

Oui bon... penauda-t-il.

--

Donc, Lumi, reprit Tipek en ouvrant les panneaux de la baie principale. C’est quoi, à votre avis ? 211


--

Si ce n’est pas un trou noir, et avec ces échos, ça ne peutêtre qu’un engin propulsé... par anti-matière ? De cette taille ? C’est impossible, voyons !

Wall-ID, qui ne s’était pas montré depuis une semaine (on apprit plus tard que ce couillon était tombé en panne de batteries dans la soute, obligeant un drone de maintenance à reprogrammer sa routine de contrôle), fit son apparition au milieu de tout ce petit monde. Attirés par le soudain remue-ménage, Brossard, un taser à la main, ainsi que Von Dutch, une louche dans la pogne, s’approchèrent alors qu’ils passaient dans un des couloirs attenants. --

Captine, moka kapter signal.

--

Il parle de plus en plus mal, çui-là, affirma Brossard en filant un coup de botte dans le robot.

--

tuouiiiit... Krftz üdentüfüÄ voo soo pÄne de dÄstrÜxion...

--

Bordel on comprend rien ! s’exclama le capitaine. Brossard, arrêtez de taper sur Wall-ID, il est déjà suffisamment mal en point : on ne comprend plus rien à ce qu’il dit.

Hal, qui, lui aussi, avait fini par rejoindre l’équipage, interrompit Tipek. --

Euh capitaine, je me demande si ce n’est pas juste une langue étrangère. Voyons, branchons les récepteurs sur l’unité centrale à pentuple algorithme de traductance.

Wall-ID réitéra son étrange message, mais la teneur de celuici n’échappa à personne. Cette langue étrange ne provenait, d’après l’ordinateur de bord, d’aucune planète répertoriée, ni d’aucun peuple connu. Les puissants programmes codés en T++ 212


natif avaient toutefois permis de comprendre le message suivant : si l’Amérion ne s’identifiait pas rapidement, il serait détruit sans sommation. --

Hal, vous pouvez leur envoyer un message ?

--

Je...

--

Très bien. Dites leurs que nous ne sommes pas des ennemis. Je ne sais pas qui ils sont, mais vu la taille de leur bâtiment, on ne fait pas du tout le poids. Chacun à son poste. Et préparez la riposte. Même si c’est mal barré.

Fébrilement, les membres de l’équipage s’installèrent à leur poste. La réponse du terrible engin, invisible pour l’instant, mais bien présent sur les écrans radeuars, ne tarda pas. Traduite, cette fois. Et en dolby digital surround autoradio dans les très-hauts parleurs de la passerelle. --

Désactivez les boucliers de contre-mesures et transmettez à votre équipage. Nous prenons le contrôle de votre appareil. Ne tentez aucune résistance ou on vous pètera la gueule en bonne et due forme. Terminé.

Chacun lança un regard de circonstance, au vu des circonstances. Hélas, le capitaine semblait résigné. La riposte ne serait que pure folie, déclara-t-il. Comme pour confirmer ses dires, les immenses baies de la passerelle furent entièrement occultées par l’appareil qui, désormais, contrôlait le leur. Des caractères barbares passèrent fugitivement devant eux, mais l’équipage de l’Amérion n’eut aucun mal à les déchiffrer. En lettres noires, s’inscrivait la mention AGC-KALÜPSAUH. --

Kalüpsauh ? C’est quoi encore, ce vaisseau ? brailla Brossard. Un astronef de la Confédération du Commerce ? 213


--

Je ne pense pas, répliqua Lumi. Ce vaisseau est beaucoup trop gros. Et beaucoup trop technologique. En fait, je ne crois pas avoir jamais vu un tel niveau de technonologie sur un vaisseau humain.

--

Une autre espèce, alors ? hasarda Klebz, histoire de dire quelque chose.

--

Peut-être bien, fit Hal, l’air grave.

--

Eh ! Oh ! Tronche d’avocat ! Ça suffit, la rétention d’information ! Arrête un peu de te la péter avec tes ondes psioniques à rémanence nucléaire, et dis-nous ce que tu sais, si par hasard tu sais quelque chose, s’énerva Von Dutch.

--

‘suffit ! intima Tipek en séchant tout le monde.

L’Amérion se mit à trembler. Le vaisseau étranger, quel qu’il fut, et de quelque origine qu’il soit, était en train d’aborder. Klebz émit un couinement et rentra la queue entre les jambes. Good-Dog rampa tant bien que mal sous une couchette, tandis que WallID continuait à transmettre le message de mise en garde, tous gyrophares allumés. Des bruits de perceuses à blindage thermo-ignifugé se firent entendre. Wall-ID avait refusé d’ouvrir l’iris avant de tomber en carafe – les gyrophares avaient *encore* vidé ses batteries – du coup les hostiles avaient dû commencer à scier la coque. L’air puait le métal brûlant. Le capitaine avait interdit tout acte de violence, arguant que, de toute façon, l’Amérion ne faisait pas le poids. Klebz alla quand même chercher sa petite carabine à air déprimé et la planqua sous son uniforme. Brossard, lui, alla fureter en douce dans l’armurerie, et récupéra un mini fusil à pompe à mortalité variable. C’était contre les ordres mais après tout, on ne 214


savait jamais. Brutalement, la coque céda. Tout le monde recula, instinctivement, puis l’équipage se réunit au centre du pont principal, attendant l’inéluctable. De la fumée jaillissait de la coque éventrée et, par delà les gerbes d’étincelles, on pouvait distinguer le sas d’amarrage. Ces types là étaient des pros, à n’en point douter. Un bruit de cavalcade retentit, puis des hommes en armure lourde firent irruption sur le pont de l’Amérion, très vite suivis par un homme grand, vêtu de noir. Et puis, évidemment, le type en question respirait un peu comme Dark Vador, enfin pas complètement, mais un peu quand même, quoi. Enfin bref, Tipek fit face, avec anxiété. Sans se laisser démonter, il ouvrit les négociations : --

Capitaine Tipek, commandant de l’USS Amérion. Qui êtesvous pour oser forcer ainsi un vaisseau de la Cellule ?

--

Je suis l’amiral Koostau.

--

Jamais entendu parler.

--

Evidemment, nous venons d’un autre monde, fit Koostau avec dédain, avant de faire signe à ses hommes.

--

Tiens donc ? Quel autre monde ?

--

Une galaxie lointaine, très lointaine. Tellement lointaine que vous en ignorez même jusqu’à son existence...

--

Alors pourquoi vous en prendre à nous ?

--

Vous ? Mais on n’en a strictement rien à carer, de vous !

--

Eh ben ? groumfa Klebz. 215


--

Fouillez-moi ce vaisseau, de fond en comble ! éructa Koostau en se tournant vers ses hommes. Je le veux ! Et je le veux VIVANT !

--

Mais enfin de quoi vous parlez bordel ? craqua Hal.

Koostau soupira. --

J’ignore si vous serez à même de comprendre, mais je vais tenter de vous éclairer.

--

C’est ça, c’est ça, ricana Brossard en caressant son fusil planqué bien au chaud entre ses gros pecs. Ne nous prenez pas trop de haut non plus, hein ?

Koostau ignora la remarque, et reprit :

216

--

Comme vous ne le savez sans doute pas, le genre humain est apparu par gradation un peu partout dans l’immensité froide de l’espace. En fait, nous sommes la forme de vie la plus banale qui soit. À tel point que nous en sommes devenus le matériau de base de la Vie dans l’Univers. Et, comme toutes les matières premières, nous attirons les convoitises.

--

Putain mais de *QUOI* vous parlez sérieux ? fit Von Dutch avec des yeux de merlan frit.

--

Les Moissonneurs, fit Koostau avec un air grave. Ils sont l’espèce la plus évoluée de l’Univers. Ils ont des milliards d’années d’avance sur nous. Et encore, je parle de nous. Vous, vous n’êtes qu’une humanité attardée de seconde zone, tellement peu évoluée que c’est à peine si les Moissoneurs s’intéressent à vous. Vous ignorez donc tout du vrai drame qui attend votre espèce : l’extinction pure et simple.

--

Putain ! fit Brossard.


--

L’échec ! lâcha Von Dutch.

--

Ça n’explique toujours pas ce que vous cherchez à bord de l’Amérion, remarqua Skofüld avec beaucoup de justesse.

--

Eh bien, aussi avancés soient-ils, les Moissoneurs ne sont pas invincibles. En moyenne, nous n’avons aucune chance, d’ailleurs nous ne sommes plus que les derniers vestiges de notre propre humanité, mais il nous arrive d’en sécher un ou deux, à l’occasion. Alors, quand on en tient un, on ne le lâche pas.

--

Ainsi, vous pensez que nous abritons un de ces... "Moissoneurs" ?

--

C’est possible. On lui a vidé un chargeur d’anti-bosons de Higgs dans la mouille l’autre jour. Mais il s’en est tiré, l’enfoiré.

--

Mais comment pourrait-il être ici, enfin !?

--

Votre raisonnement est typique d’humains sous-développés, susurra Koostau.

--

Cessez un peu de nous prendre pour des abrutis, s’emporta Tipek. Si vous voulez jouer à qui a la plus grosse, ok, vous gagnez : votre fichue Kalüpsauh est plus balèze que notre vaisseau, mais enfin, regardez ! L’Amérion, c’est quand même pas une brêle non plus, au niveau technonologie des mécanismes !

--

Il suffit, petit être ! Le jour où vous maîtriserez l’effet cosmodésique, on en reparlera. Pour l’instant...

Klebz était complètement largué. Il jeta un coup d’œil à Lumi à tout hasard, pour voir si elle bitait quelque chose. Elle répondit que ça lui faisait vaguement penser à l’effet Cureuil, qu’elle avait d’ailleurs 217


étudié en thèse, mais tout le monde l’avait prise pour une folle à l’époque, enfin bref, elle n’en savait rien, en fait.

218

--

Les Moissonneurs, reprit Koostau, ne sont pas comme vous et moi. Ce sont des entités bio-artificielles. Capables de traverser la matière et de survivre à l’espace intersidéral. Mais lorsqu’ils sont blessés, ils ont besoin de métal pour régénérer leur conscience. Or, vous êtes le principal réservoir de métal du coin, vous savez. Excepté nous, bien sûr.

--

Et comment vous comptez le repérer ?

--

Leur conscience biotique génère une signature tout à fait particulière dans le spectre des hautes énergies. Il suffit de savoir quelle fréquence chercher. Il s’agit du 107.7 MHz, en l’occurrence. En fait, ils polluent allègrement la bande FM. C’est même comme ça qu’on les a découverts.

--

Comment ça ? fit Hal, vachement intéressé comme d’hab dès qu’il s’agissait d’ondes et autres bidules dans le genre.

--

Eh bien, reprit Koostau avec un maigre sourire, le grand Projet des Archives devait nous mettre à l’abri de l’inexorable dégradation entropique de l’Univers. L’Archive principale était même une avancée technologique sans pareil, puisque nous étions parvenus à stopper l’embellie entropique de la matière. Mais ça, c’était avant que les Moissonneurs ne fassent irruption et ne bousillent tout rien que par la force de leur pensée. On a vraiment joué de malchance : la fréquence propre du noyau central de l’Archive était justement calibrée sur 107.7 MHz. Il leur a suffi de passer dans le coin pour la détruire... C’était vraiment la loose. Mais en fait, on n’aurait pas pu faire autrement.


--

Pourquoi ? s’étonna Lumi.

--

Cette fréquence est LA fréquence. C’est la seule capable de stopper l’entropie des noyaux de graulaunium enrichis.

--

Étrange coïncidence, quand même.

--

Absolument pas. Les Moissonneurs SONT des êtres isentropiques. Ils ont découvert cette technologie suprême il y a déjà des milliards d’années. Toutes les mémoires de tout leurs représentants ont été scannées puis retranscrites en ondes isentropiques.

--

Vous voulez dire qu’ils ont découvert la vie éternelle ?

--

À une rafale de bosons près, oui. ***

219


220


27

Rencontre (eugaine)

221


L’équipage du Kalüpsauh, quasiment entièrement automatisé, comptait plus de soixante dix-milles âmes. Sur cette incroyable quantité, seule une demi-douzaine était consciente, l’autre partie étant congelée jusqu’à des temps meilleurs, affirmait Koostau d’un air mystérieux. Ainsi, les six larrons qui avaient cavalièrement abordé l’Amérion se trouvaient être les seuls êtres conscients de ce gigantesque vaisseau spatial. Brossard pensa instantanément qu’il pourrait les sécher sans problème, et il sortit furtivement son fusil à pompe d’entre ses gros pecs. Bondissant au milieu du cercle d’ennemis, il chargea son arme dans un geste familier des humains depuis bien longtemps. Chlük Tlak ! --

Arrachez-vous ou je vous sèche ! cria-t-il aux envahisseurs.

--

Que... quoi ? répondit Koostau, médusé.

--

Brossard, soupira Tipek, arrêtez vos conneries deux minutes s’il vous plaît. Je vous rappelle qu’on n’a plus aucune nouvelle de la Terre depuis maintenant... sept mois, alors pour une fois qu’on rencontre quelqu’un, on ne va pas lui défourailler dans la gueule, hmm ? D’autant plus que, si vous aviez écouté, vous sauriez qu’ils n’en ont pas après nous mais après le... le quoi, déjà ?

--

Moissonneur, compléta aimablement Koostau.

--

... le Moissonneur, alors rangez votre jouet, et calmez-vous, d’accord ?

Interloqué, Brossard se trouvé un peu couillon. Il pensa un instant à re-recharger son arme, histoire de se donner un peu de contenance, mais non. Il rangea donc piteusement son arme de distraction massive et rentra dans les rangs. Tipek, d’un bref hochement de tête, lui fit comprendre qu’il avait pris la bonne décision. C’était pas 222


le moment d’en rajouter. Il tendit la main ouverte vers Koostau, et se présenta. --

Capitaine Tipek, de la quatorzième (et probablement dernière) section des forces spéciales de la Cellule, Coalition terrestre. Je commande ce vaisseau. Voici le première classe et mécanicien Klebz, l’officier communicatif Lumi, Hal "façon pistache" Yababoua, notre interprète, Von Dutch intendant et commis aux missions, Brossard, responsable dissuasion/ persuasion, et enfin Skofüld, qui... euh... enfin Skofüld, quoi. L’extension de bord, là-bas, c’est Wall-ID. Ne le contrariez pas il est susceptible.

Pendant ce discours, Koostau avait observé sans la prendre la main tendue de Tipek. Il la saisit enfin, au soulagement de l’ensemble de l’équipage de l’Amérion. Il se présenta à son tour. --

Amiral Koostau, déca Sanssukr de la troisième (et dernière aussi) caste guerrière des Nuées du Finfon. Voici Bulk, notre holo-armurier, Steinbock, chargé de cryptage et de repérage, Grauzart, vétéran de la guerre des Pamplemousses (l’année où il a fait si chaud), Pulup, amorcier en chef, et enfin Bronkokodh, spécialiste en assaut frontal sans réflexion.

Quelques instants s’écoulèrent durant lesquels les deux équipages s’observèrent, interdits. Cette rencontre, bien que rendue anodine au vu des passés respectifs de chaque équipe, n’en était pas moins extraordinaire. Pour la première fois, le terrien rencontrait ce qui, probablement, constituerait son futur, avec un peu de chance et pas trop de guerres nucléaires. Et pour la première fois depuis le début de leur long exil, Koostau et ses acolytes rencontraient des êtres primitifs. L’instant, qui n’était pas sans rappeler une fameuse scène d’un film à base de propulsion chenille, était historique. 223


Tous étaient subjugués par la portée de cette rencontre, qui venait brusquement de s’imposer à eux. Mais bientôt chacun reprit ses esprits, et Koostau trancha d’une voix de conquérant : --

Allons. Armez vous, nous ne serons sans doute pas trop d'une grosse douzaine pour venir à bout du moissonneur. Steinbock, que nous disent les relevés coloscopiques ? Où est le fuyard ?

--

Il est a priori à trois toumètres dans cette direction, amiral, répondit le chargé de repérage en désignant de sa main gantée la cambuse. Mais je n’en suis sûr qu’à 87%.

Tiens, ils n’ont que quatre doigts, ces gaziers, pensa Klebz. Hal lui jeta un regard amusé. --

Amiral Koostau, suivez-nous vous et votre équipe, proposa Tipek. Il est probablement dans l’ateulier : c’est là qu’il y a les plus grosses quantités de métal. Armement lourd non-NBC pour tout le monde, cria-t-il à l’encontre de son équipage.

Tous se précipitèrent vers la petite remise attenante à la passerelle, dans laquelle un râtelier sécurisé supportait toute une variété d’armes. Quelques empreintes digitales plus tard, chacun avait son fusil à téléscaphe azimutal et contrebalancement à cryogénie déportée (pour plus de précision lors des rafales). Lorsque tout le monde fut prêt, l’équipée s’engagea dans un graurridor sombre. Klebz avait éteint un néon sur deux, pour des raisons d’économie mais aussi histoire de donner un petit côté flippant à l’ambiance. Ils arrivèrent devant la porte blindée de l’atelier, sur laquelle d’antiques caractères latins figuraient. La porte était un reliquat du conflit de Kanârh, pendant lequel de nombreuses antiquités avaient été saisies, puis utilisées dans la construction, par manque de matières premières. On pouvait lire sur celle-ci "ATELIUM DE 224


REPARATIONEM". Tipek, qui conduisait la marche, ouvrit la porte puis entra. Il était suivi de près par les équipiers extrasolaires. --

Bon, chuchota-t-il à Koostau. On fait quoi ?

--

Pas la peine de se cacher ou quoi que ce soit. Cette entité évolue dans un plan différent mais proche du notre, qui correspond à une réalité légèrement altérée. Néanmoins, les deux plans s’entrecoupent fréquemment lorsque des nœuds d’événements spatio-temporels similaires se produisent, mais c’est transparent pour l’utilisateur. Le truc, c’est de détecter ces rencontres planaires, à l’aide d’une technonologie que vous devriez découvrir d’ici quelques milliers d’années. Elle est basée sur les bosons et sur le protocole téléphonique de votre... vingt-et-unième siècle, acheva-t-il après avoir confirmé sur son terminal portatif. Nous l’appelons la technologie d’Ittie, en hommage au scientifique qui l’a découverte.

Ittie, téléphone, boson... Tout cela rappelait confusément quelque chose à Skofüld, qui s’était assis sur un bidon d’Öl, mais quoi ? Rien d’important, sans doute... Pulup posa son sakado à terre, et en sortit un petit boîtier, assez ridicule, d’ailleurs, qu’il installa sur les grilles du sol, dans le milieu de l’atelier. De part et d’autre de la pièce, plusieurs établis adossés aux murs supportaient des machines-outils de marque Särm ou Mécagraunique. Normalement, le hangar était systématiquement occupé par un engin en panne, mais l’activité récente de l’Amérion n’avait pas vraiment surchargé Klebz, et la pièce était plutôt vide. Pulup installa donc son engin, sous les regards curieux des Amérionautes. Une brève pression sur le boîtier mit celui-ci en route, apparemment. Pulup courut se planquer derrière un barül de koukousse. 225


--

À couvert ! beugla-t-il.

Brossard, un habitué des explosions intempestives, fila directement derrière un établi de soudure müg-mäg. Koostau et ses acolytes étaient déjà bien à l’abri lorsque Tipek, Von Dutch et les autres foncèrent qui derrière un bidon de neutronium lourd, qui derrière la réserve de tôles. Wall-ID, lui, s’abrita aussi, mais devant un engin de manutention. Koostau en fut un peu déconcerté, mais bon. Une seconde plus tard, un énorme cône de lumière jaillit de l’appareil installé peu auparavant par Pulup. La réalité autour de chacun sembla vaciller un instant, comme l’air au-dessus d’un bon barbecue, puis reprit son aspect initial. Lorsque Tipek leva le nez au-dessus de son baril, il eût du mal à croire ce qu’il voyait. Là, en plein milieu de l’ateulier, flottant à quelques centitoumètres au-dessus de la PulupBox (le boîtier de Pulup, quoi), il y avait un... un truc. Une espèce de halo vaguement luminescent, instable et clignotant. Avec, au milieu, un truc plutôt chelou, peut-être une silhouette vaguement trisoïde mais, très franchement, c’était pas clair. Tipek n’aurait pas bien su dire ce que c’était, et puis la PulupBox faisait un bordel pas possible, alors il hurla :

226

--

Brossard ? Keske tu vois ? Ça ressemble à quoi, d’après toi ?

--

Bin... Ché pas trop ! Un graulaupausauridé, non ? Mais en version clignotante, alors !

--

Lumi ?

--

Un Gougard en plein time travel ?

--

Hal ?

--

Un konkombre, peut-être ?


--

Bon, Pulup, c’est QUOI ce machin ? hurla Tipek qui perdait patience. Et puis c’est dangereux, d’abord ?

--

Non, c’est pas hyper dangereux, mais il faut attendre que la matrice de localisation soit convergée. Restez à couvert encore quelques instants... Ayé ! Vous pouvez vous lever !

Instantanément, la PulupBox cessa d’émettre. Klebz, hypersensible aux infrasons wifi, put enfin se déboucher les oreilles. Les amérionautes se levèrent en silence, contemplant le formidable spectacle qui s’offrait à eux. Koostau et ses hommes, vachement plus affairés, déballèrent tout un bordel d’appareillages spintroniques. Tipek s’approcha du halo lumineux, et voulut tendre la main vers la créature immatérielle qui y était semble t-il piégée. --

Ne faites pas ça, malheureux ! rugit Steinbock en lui retenant la main. Vous deviendriez un Ghost, vous aussi.

--

Un Ghost ? Mais je croyais que c’était un Moissonneur ?

--

Bin oui, mais non. Enfin, plus maintenant.

--

Gné ? laissa échapper Von Dutch.

--

Et puis d’abord "Moissonneurs" ?

--

Parce qu’ils nous moissonnent, asséna Koostau avec froideur. Ils nous traquent, nous emprisonnent, nous élèvent. Puis ils nous récoltent.

--

Mais, euh... pourquoi ?

--

Allez savoir. Ils ont tellement d’avance sur nous. Qui pourrait prétendre comprendre leurs motivations ? Tout ce que je sais,

pourquoi

vous

les

appelez

les

227


c’est qu’ils nous récoltent. Ils nous cultivent. Je les ai vus liquéfier les morts, pour en nourrir les vivants. Klebz eut la nausée à cette idée. Liquéfier un humain ? --

Bin quoi ? télépatho-remarqua Hal. Certains font bien mousser des canards !

--

Oui, bon. Certes, télépathogroumpha Klebz en retour.

Steinbock pointa sur le halo une espèce d’antenne hyperbolique (probablement à résonance triconcave, pensa Lumi). D’une main, il semblait chercher le bon angle, comme pour ajuster l’image devant un match de basseuket une nuit de tempête, et de l’autre main, il trifouillait une espèce de potentiomètre escamotable. Le halo se fit immédiatement plus stable, moins clignotant, émettant une lumière moins diffuse. --

BON ! C’est QUOI un GHOST ? vociféra Tipek.

Brossard rechargea son fusil à pompe, ce qui était sa façon de dire qu’il exigeait une réponse, lui aussi.

228

--

Ce que vous avez devant vous, répondit Steinbock très doctement, est une image du Moissoneur.

--

Bin alors ? C’est bien un Moissoneur, donc ?

--

Non. Ça n’est qu’une image de lui. D’où le terme de Ghost. Disons, pour faire simple, que c’est une représentation holographique par lasers matriciels interposés.

--

Et il où alors, le vrai Moissonneur ?

--

Nulle part. Enfin, pas ici en tous cas. C’est ce que je me tue à vous dire.


--

Bon, ça me saoûle, lâcha Von Dutch en récupérant sa louche tombée au sol. Je retourne aux cuisines, moi.

--

Je serai bien tenté d’en faire autant, fit Tipek à l’attention de Steinbock, pour lui signifier toute son incompréhension.

--

Bon, ok, je la refais. Comme on vous l’a déjà dit, les Moissonneurs ne sont que des paquets d’ondes immatérielles. En plus de ça, ils évoluent dans une réalité qui n’est pas exactement la même que la nôtre. Mais il existe quand même quelques similitudes et connexions entre nos mondes – c’est ce qui explique qu’ils arrivent si bien à nous moissonner, d’ailleurs.

--

Et après ?

--

Pour les gauler, on doit d’abord les repérer. C’est assez facile, vu qu’ils laissent dans leur sillage des résidus complexes sur bande FM. Ensuite, il faut les bloquer. Et, en bonus, les visualiser. L’appareillage au sol, là, est d’ailleurs appelé "bloqueur-visualiseur d’ordre zéro".

--

Et comment ça marche ?

--

C’est assez compliqué. En fait, on utilise une mini lentille gravitationnelle pour observer ce qu’il se passe dans l’autre réalité – qui est à onze dimensions – puis on l’interpole dans notre monde pour en obtenir une version intelligible. D’où l’image clignotante. La réception est mauvaise, et l’interpolation imparfaite, puisqu’elle se base sur des géodésiques noneuclidiennes. En plus, on opère sur deux maillages éléments finis décalés, l’un pour la vitesse, et l’autre pour la pression.

C’est à ce moment que Skofüld, devenu plutôt fort en physique quantique, sortit de son mutisme : 229


--

En gros, vous avez coincé le Moissonneur dans sa propre réalité, qui n’est pas ici, mais on peut quand même le voir ?

--

Euh... Oui. C’est ça, fit Steinbock.

--

Et maintenant, on fait quoi ?

--

Maintenant qu’on peut le voir, cela signifie que l’on connaît ses coordonnées dans le plurivers (à une maille près, hein). On peut donc lui envoyer une bonne rafale de bosons dans la mouille. Et le tour est joué.

--

Mais je ne vois toujours pas à quoi il ressemble, fit Tipek, songeur.

--

C’est normal. C’est un être fréquentiel à onze dimensions, qu’on projette vectoriellement dans notre espace classique. Du coup, bin,... Voilà, quoi. Ça ressemble pas à grand-chose, fit Steinbock, désolé.

--

C’est un peu comme une analyse en composantes principales ? essaya Skofüld, sous l’œil émerveillé de Lumi.

--

Euh... oui, voilà, c’est ça : c’est vachement puissant, mais on n’y bite rien.

--

On dirait de l’art abstrait, fit Hal en haussant les antennes.

--

Moui, c’est une vision des choses, accorda Pulup. Chacun y voit un peu ce qu’il veut y voir. Perso, je trouve que les Moissonneurs ressemblent à des hippocampes à dents de sabre, mais ça n’engage que moi.

--

Ah ouais ? J’aurai plutôt dit un flonfidé juvénile.

C’est sur ces intéressantes considérations que Bronkokodh arma son bio-déflagrateur à tétines préhensiles d’un coup sec. 230


CHLÜK POMP ! Passant devant tout le monde, il tira à plusieurs reprises en direction de l’image qui se distordit de douleur et se décomposa façon Matrix. Finalement, cette partie-là n’était pas des plus amusantes, pensa Klebz, toujours fort à-propos. Pulup soupira, puis déclara à l’équipe de traqueurs improvisée : --

Bon, c’est terminé. Le Moissonneur s’est fait moissonné la tronche, donc en voilà un de moins, j’ai envie de dire.

Il s’agenouilla près de la petite valoche qui gisait. Elle ne clignotait plus vraiment, à présent, mais émettait une lueur qui pulsait doucement. Il appuya sur différents boutons, puis referma le capot avec un air de garagiste satisfait. Chacun son air, après tout. ***

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232


28

ApĂŠro avec les Finfoniens

233


Sur ces entrefaits, Koostau et Tipek décidèrent d’un commun accord que les deux équipages avaient bien mérité une petite canette, et cela permettrait de sceller l’amitié entre les peuples et tout ça. Pchitt et glouglou, donc. Skofüld voulut prendre Bronkokodh au sirop pour la toux, et se fit copieusement sécher. Ledit Bronkokodh n’était pas un débutant, comme il l’apprit à ses dépens. GoodDog circulait, alternant bon coups de queue frénétiques dans les bouteilles posées sur la tableubass et glissades sur le plancher thermoformé du carré de l’Amérion. Faudra tout de même que je pense à lui ajouter des coussinets antidérapants, songea Klebz en voyant le robot se bouffer un coin de sas. --

Et alors donc *crouc crouc* vous venez d’un autre monde, questionna Tipek en mangeant des graugrau’ouettes, fort mondain.

--

Hmoui, en quelque sorte. Nous venons d’une autre dimension, en fait. Je vais vous expliquer quelque chose, tenez. Normalement vous ne devriez découvrir ça que d’ici... hmm deux ou trois millénaires, et je ne devrais rien vous dire. Mais bon, d’une part votre civilisation a probablement été détruite, et d’autre part ce sera plus commode pour la bonne compréhension de ce qui va suivre, expliqua Steinbock d’un ton docte.

Lumi tendit l’oreille et constata du même coup que Pulup reluquait ses gros nibards d’un œil interessé. Les différents convives du sympathique apéro se penchèrent sur la tableubass. Les verres et autres récipients s’écartèrent spontanément du centre dans un mouvement fluide et amorti, et la table prit une couleur sombre. --

234

Regardez, poursuivit Steinbock en dessinant de ses pseudopodes des lignes claires sur la tableubass. Vous imaginez


que votre monde et les autres dimensions ne sont en fait qu’un réseau de possibilités, chacune résultant d’un certain nombre – potentiellement infini – de choix, de cheminements. Ces dimensions sont censées, d’après votre modèle, se recouper lors de certains évènements. Elles n’en restent pas moins parallèles, et c’est là que vous faites erreur. Les différentes dimensions, peu importe leur nombre, et vous verrez d’ailleurs que ce nombre est fini et calculable, les différentes dimensions donc, ne sont pas parallèles mais perpendiculaires les unes aux autres. Elles forment un inextricable réseau de réalités orchestrées et rythmées par le schéma global des possibles. Une vague de stupeur parcourut l’assemblée. Enfin, pas toute l’assemblée. Skofüld et Klebz semblaient visiblement beaucoup plus absorbés par les étranges victuailles apportées en guise de présents par l’équipage de la Kalüpsauh. De surprenants morceaux de viande séchée et fumée pendouillaient çà et là, emplissant l’atmosphère d’une doucereuse odeur de gras fumé. Bref. --

Des mondes perpendiculaires, bafouilla Lumi, fascinée. Incroyable...

Hal Yababoua se renfonça dans son fauteuil en méditant aux extraordinaires révélations de Steinbock. Les conséquences d’une telle découverte étaient indescriptibles : depuis les voyages d’une dimension à l’autre jusqu’aux différentes façons de produire de l’énergie, le monde scientifique entier s’en trouverait chamboulé. Une pensée vint toutefois assombrir l’optimisme grandissant du télépathe : il n’y avait probablement plus de monde scientifique. Il conviendrait de tirer cette histoire au clair rapidement, se ditil. L’absence de toute communication en provenance de la Terre ou d’un quelconque monde connu ne présageait vraiment rien de bon, et l’hypothèse de la destruction de la civilisation, quoiqu’un 235


peu alarmiste, lui semblait désormais tout à fait plausible. Il tourna la tête vers Brossard en essayant de capter ses pensées. Le problème avec Brossard, c’est qu’il alternait les périodes d’intense activité intellectuelle lors de la réalisation de tâches nécessitant une attention accrue, comme par exemple peler des pommes de terre ou nettoyer son fusil, et les périodes de vide sidéral entre les oreilles le reste du temps. Et là... Yababoua ne capta que quelques surcroîts d’activité neuronales lorsque Lumi balada son postérieur juste sous son nez pour aller chercher des scrips’n’scraps (qui sont de succulentes petites confiseries à base de gras et de sucre). Le reste de l’apéro se poursuivit de façon tout à fait sympathique, et les relations entre les deux équipages se détendirent du même coup. Au début un peu austère voire dédaigneux, le commandant Koostau entonna gaiement une version a capella du célèbre tube "Pose ta mite sur mon épaule", bien vite rejoint par le reste de l’assemblée. Wall-ID, amusé par le spectacle, ponctuait les contretemps de joyeux tüt tüt. --

Mais vous savez, reprit Steinbock à l’attention de Lumi, les dimensions *euarp* – pardon les dimensions perpendiculaires ne sont pas aussi perpendiculaires qu’elles peuvent l’apparaître au premier abord.

Allons bon, pensa immédiatement le caporal au gros attributs.

236

--

Que voulez-vous dire, questionna Koostau qui ne voyait pas très bien où son subalterne voulait en venir.

--

Et bien si l’on part du postulat que *broooooo* – pardon que les dimensions sont perpendiculaires mais qu’elles sont toutefois linéaires, on suppose que deux dimensions ne pourront se couper qu’une fois (deux selon la théorie d’Akloup Alelz, mais elle n’est pas vérifiée). Finalement ce n’est que *reuuuuaeuuuu*


– il était balèze çui-là – que de la géométrie euclidienne. Bon. Et bien en fait on s’aperçoit expérimentalement, à l’échelle du micron cependant, que ces dimensions se recoupent plus d’une fois, mais pas deux. Le nombre de recoupements n’est pas entier, amusant n’est-ce pas ? --

Je ne vois pas très bien en quoi cela prouve qu’elles ne sont pas perpendiculaires, trancha Lumi qui résistait beaucoup mieux aux alcools de Gruik que son homologue finfonien.

--

Moi non plus, mais quand on voit que deux lignes peuvent se couper 1,5 fois par exemple, on n’est plus sûr de rien, vous comprenez ?

--

Euh...

Brossard tourna la tête vers Grauzart et constata que celui-ci était en train de démonter et de remonter frénétiquement son arme de service, en se retenant visiblement de brailler "FINI" à chaque fois. Voilà un gusse qui m’a l’air bien sympathique, se dit Brossard. Hal observait la scène, et ne fut pas surpris quand il vit les deux compères se donner des claques dans le dos en parlant gros calibres. Seul Tipek paraissait songeur : Lumi parlait dimensions perpendiculaires avec Steinbock, Koostau picolait sévère à présent, Maïkeule et lui entamaient le registre des chansons intergalactiques n°412. Von Dutch préparait des Touptürütauh’ pour Bulk et Bronkokodh, très contents de goûter à cette spécialité terrienne. En lisant les pensées de Von Dutch, Hal perçut un net amusement qu’il comprit vite : le lendemain matin serait difficile pour les deux gaillards. Yababoua changea de graunapé pour venir s’asseoir aux côtés de son commandant de bord qui semblait perdu dans ses pensées. Il se retint d’y lire pour privilégier un contact vocal bien plus 237


révélateur. Tipek n’était pas homme à se laisser télépather comme ça sans protester. --

Pensif, capitaine ?

--

Eh bien... oui.

--

Et puis-je me hasarder à vous demander la teneur de ces pensées ? poursuivit Hal en se retenant d’aller y voir par luimême.

Tipek se leva discrètement et fit un petit signe à Hal : --

Suivez-moi, Hal. Il faut qu’on parle. ***

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29

Mystère et bonne descente

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Hal suivit Tipek qui traçait dans les couloirs de la zone de confinement subspatial. Le capitaine était apparemment soucieux de mettre un maximum de distance entre lui et le reste de la troupe qui beuglait à qui mieux mieux un tube des années 23290, "Toxüsch mon Amour", ou quelque chose d’approchant. Jugeant qu’ils étaient suffisamment éloignés (à partir du moment où l’on n’entendait plus bien les éructations de Steinbock), Tipek s’adossa à la paroi en permabitume.

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--

Eh bien alors, capitaine ? Qu’est-ce qui ne va pas ? s’enquit Hal.

--

Suis-je le seul à trouver bizarre que Koostau, censé venir d’une autre dimension, connaisse par cœur "Pose ta mite sur mon épaule" ? fit Tipek, l’air grave, quoique encore un peu embrumé par les vapeurs d’alcool de Gruik.

--

Euuuuh...

--

Et toc. Séché.

--

Mais euh... s’ils sont si avancés que ça, ils étaient peut-être à l’écoute de nos émissions radio ?

--

Réfléchissez un peu, Hal ! Ils viennent de si loin que jamais ils n’auraient pu capter "Pose ta mite sur mon épaule", et encore moin "Afrücan Konkombru" ni même "Tribal Flex" !

--

Mais peut-être que...

--

Non, je vous vois venir, Hal : ces programmes de catégorie 3 n’ont jamais été émis en ondes supraluminiques. La Cellule n’aurait certainement pas autorisé une telle dépense énergétique.


Hal en restait comme deux ronds de bouïngogélatine, pendant que Tipek se dégrisait en gobant un tube de comprimés effervescents d’antikaisséïne hyperactive. --

Qu’est-ce qu’on fait, capitaine ? demanda Hal, un peu brumeux d’avoir essayé de lire les pensées d’un Bulk sévèrement entamé par le Tooptürütauh’.

--

Pour l’instant, rien. Faisons semblant de ne pas savoir que Koostau et ses hommes ne sont pas ceux qu’ils prétendent être. De toutes façons, ce serait suicidaire de tenter quoi que ce soit. Bourrés ou pas, leur technologie reste mille fois supérieure à la nôtre. On se ferait sécher en un instant, asséna Tipek.

Hal opina du chef, repensant à ce vieux film intitulé Get rich or die dryin’, se disant qu’il ne voulait vraiment pas se faire sécher. Un nœud lui étreint la poche gastrique qui lui servait d’estomac, et il enroula frénétiquement ses antennes atour de ses oreilles, signe que ça n’allait pas fort. Tipek et Hal refirent irruption dans le carré de l’Amérion, où la petite fête battait son plein. Leur petit aparté était passé inaperçu, et tout le monde faisait mime de battre des couilles sur la table en cadence pour encourager Klebz qui s’était lancé dans une audacieuse démo de pekwondo. Lumi, elle, battait ses deux énormes attributs sur la tableubass, non sans faire trembler le distributeur d’apéritifs automatique. Tipek ne pouvait que reconnaître que tout ça était fort plaisant. Il tenta même de chasser de sa mémoire le terrible pressentiment qui l’étreignait à propos de la Kalüpsauh. Il laissa un Von Dutch tutubant lui servir une petite liqueur de koukouye faite maison, et ne put s’empêcher d’applaudir lorsque Steinbock rejoint Klebz sur 241


le générateur à potentiels retardés qui faisait office de dancefloor. Les deux compèrent entamèrent une chorégraphie des plus classieuse, quelque part à mi-chemin entre la teckeutonick et le hüggü’pop tendance underground. Wall-ID et Good-Dog s’étaient eux aussi lancés dans une espèce de rodéo tululutien assez réussi, tandis que Bronkokodh finissait d’achever Maïkeule avec un dernier shooter cul sec au-dessus de l’évier. Et ce qui devait arriver arriva. Tipek détourna son regard pour ne pas voir le pauvre Skofüld vomir ses trippes dans la pompe à vide. Tipek se demandait si tout ça n’allait pas un petit peu trop loin, lorsqu’il vit Pulup et Lumi se faufiler discrètement dans le sas de recombinaison pléiotropique. Trouvant tout ça fort déplacé, il s’apprêtait à intervenir lorsqu’on entendit un terrible hurlement de rage qui fit trembler l’Amérion de toute sa structure. Tout le monde arrêta ses conneries immédiatement, et chacun échangea des coups d’oeils torves mais néanmoins flippés. Les lumières se mirent à grésiller, puis ce fut tout l’Amérion qui plongea dans l’obscurité. Comme toute obscurité subite qui se respecte dans ce genre d’aventures, elle fut suivie d’un terrifiant grincement métallique : la structure de l’Amérion était soumise à rude épreuve. Dans le carré, la joyeuse rigolade avait fait place à un silence dégoulinant d’anxiété. La lumière revint quelques secondes plus tard. GoodDog s’était réfugié sous la tableubass, non sans avoir pataugé craintivement dans le pot de graukamol posé près de l’entrée. Là où en temps normal tout le monde se serait mis à gueuler et à gesticuler, l’ensemble des membres des deux équipages se tenait à carreaux, chacun soupçonnant l’autre. Tipek croisa le regard de Koostau, et celui-ci comprit instantanément que la partie n’était pas gagné d’avance. Tipek eût à peine le temps d’ouvrir la bouche qu’un second grincement beaucoup plus violent que le 242


premier ébranla le vaisseau, au moment même où Lumi et Pulup regagnaient le carré d’un air plutôt satisfait (qui passa toutefois inaperçu dans la stupeur générale). Wall-ID sortit de sa cachette et se mit à couiner. --

Capitaine, capitaine, nous ka péter gueule !

--

Hein ? Heu... Bon tout le monde à son poste ! Et vous, terminat-il à en s’adressant à Koostau, vous, je vous tiens à l’œil, alors PAS DE FANTAISIE, compris ?

--

Je.. non ! répliqua-t-il du tac-au-tac. Nous restons là, n’hésitez pas à faire appel à nous si besoin, Tipek !

Lumi et les autres sortirent en trombe du carré. Klebz en profita pour vomir dans une bassine de graukamol qui traînait là. Décidément, l’alcool de synthèse généré sur l’Amérion n’était pas brillant, sauf peut-être pour foutre mal au crâne, se dit-il en galopant pour rejoindre les autres. Tipek, quant à lui, s’attendait au pire en trottinant vers le cockeupit. L’échange avec Hal lui avait confirmé qu’il n’avait pas fumé la moquette : il y avait bien quelque chose de pourri dans cette rencontre fortuite avec les finfoniens. Un dernier virage et ils arrivèrent au poste de pilotage de l’USS Amérion. Good-Dog, qui était visiblement remis de ses émotions étaient très content de courir avec tout le monde, tellement content qu’il ne négocia pas bien ledit dernier virage et finit sa course dans l’escalier 13 en alternant couinements plaintifs et bruits de gamelles. --

Ok les enfants, reprit Tipek en s’asseyant dans son fauteuil. Qu’est-ce qu’on a ? Skofüld, que disent les relevés ?

--

Lesquels Capitaine ?

243


--

Bin les... les relevés, quoi ! J’en sais rien moi démerdez-vous je VEUX des relevés !

--

À première vue Capitaine, trancha Lumi, nous tombons. Vers une planète non-répertoriée. Mais je ne sais pas très bien pourquoi, tout allait bien il y a peu de temps...

--

Encore une planète à la con, soupira Hal qui s’était sanglé dans son fauteuil en vue d’une éventuelle secousse supplémentaire.

--

Bon mais... Rétablissez moi une alimentation, une propulsion enfin de quoi redressez le tir bon sang !!!

--

Inutile Capitaine, nous sommes accrochés à la Kalüpsauh.

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Que.. quoi ?

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Oui, les logs de bords indiquent que différentes manœuvres ont été conduites lorsque nous étions au carré, et l’une d’elles à mené l’Amérion à percuter la Kalüpsauh.

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Bon sang, grogna Klebz qui venait tout juste d’arriver. Ces enflures de finfoniens nous ont bien b...

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Taisez-vous Klebz ! Hal, envoyez les vidéos de surveillance du cockeupit à l’instant où la commande a été donnée. Je veux savoir qui est l’enflure en question.

Tous se penchèrent sur l’écran principal et virent... Wall-ID jouer avec Good-Dog autour du poste de commande, puis percuter celui-ci et tout éteindre. La vidéo se brouilla et Tipek jeta un regard de désespoir à ses compatriotes. Finalement le problème depuis le début de cette mission, c’était simplement que le vaisseau luimême était trop con pour assumer sa propre survie et du même coup celle de ses occupants. 244


Réprimant une furieuse envie de démonter pièce par pièce cet abruti de robot et son acolyte quadrupède, Tipek calma ses troupes. --

Bon de toutes façons ça fera du bien à tout le monde de prendre l’air. Hal, je veux plus d’infos sur cette planète, voyez avec Brossard et Von Dutch, ça les occupera. Lumi, envoyez sur les écrans secondaires la traque vidéo de chaque membre de l’équipage de la Kalüpsauh : ce n’est pas parce qu’il n’ont rien à voir avec le petit pépin que nous rencontrons actuellement que je leur fais confiance. Informez-les de ce qui se passe, tiens, ça les occupera aussi. Et mettez une chemise, je vous prie. On n’est pas chez mémé. Bon SKOFÜLD qu'est-ce qui se opasse avec ces relevés vous les écrivez à la main ?

--

Non non, tenez Capitaine.

Tipek considéra les papiers tendus par Maïkeul d’un air circonspect, puis les lui rendit en grognant. --

Bon. Euh... Merci. Mais, bredouilla-t-il en consultant les écrans vidéos, mais qu’est-ce qu’ils font les autres là ? Mais ils se barrent ? Et ils embarquent le pot de graukamol en plus !!! déclara le capitaine, outré.

--

Huhu ‘vont pas être déçus du voyage, rigola Klebz.

La conduite de leurs homologues finfoniens devenait plus étrange à chaque instant. C’est à ce moment que Klebz révéla à ses compagnons d’armes qu’il avait subrepticement piqué la barre du poste de pilotage de la Kalüpsauh. Au cas où, précisa-t-il. Tipek n’était pas du genre à encourager ce type d’actions, mais il félicita chaudement son mécanichien : comme ça au moins, pas de surprise. 245


--

Capitaine capitaine ! Nous pénétrons dans l’atmosphère d’AGC-712 ! Je ne suis pas sûr que le sas qui relie la Calüpsauh et l’Amérion tienne le choc !

--

Très bien Skofüld, dans ce cas verrouillez tout ce qui est verrouillable, fermez tout ce qui est fermable, attelez tout ce qui est...

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... à table ?

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NON.

La carlingue de l’Amérion tremblait à qui mieux-mieux. Chacun retenait son souffle. La chaleur augmentait, et au bout d’un moment le sas qui reliait les deux vaisseaux prit feu spontanément, s’éventrant dans un bruit d’enfer. Un premier choc modifia la trajectoire du bâtiment, et un deuxième lors de l’impact au sol mit à mal les absorbeurs d’impact à déformation lamellaire. Chacun sombra dans une inconscience bien méritée. ***

246


30

RĂŠveil

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Hal fut le premier à reprendre connaissance. Il ouvrit un œil, puis l’autre. Encore un peu comateux, il déplia ses antennes qui vinrent lécher quelque chose de froid et vitreux. Hal flippa un instant, mais ça n’était que son Baukval. Dans la panique précédent le crash, il avait eu le bon sens de se visser un Baukval sur la tête. Il jeta un coup d’œil au bioscan de sa combinaison, qui révéla que l’atmosphère était respirable. La coque de l’Amérion était intègre et n’avait donc pas laissé quelque gaz indigène irrespirable s’infiltrer dans la salle de commandes. À l’aide de ses antennes, Hal dévissa son Baukval tandis qu’il se dessanglait avec ses mains à douze doigts. Hal fit quelques pas dans le cockeupit, vérifia les biorelevés azimutaux de ses compagnons, et poussa un soupir de soulagement en voyant que tout le monde était en vie. Il décida de laisser à chacun le temps de récupérer de la cuite et du crash – ça faisait beaucoup, même pour Klebz. En attendant que chacun émerge douloureusement, Hal alla faire un tour dans le carré. C’était inconcevable. De toute sa vie, Hal n’avait jamais vu un tel bordel. Même le Bunker, petit bar clandestin des environs du système primaire g'Habü réputé pour être glauquissime, ne l’avait pas habitué à ça. Il faut dire que la chouille avait été mémorable. Sachant qu’à l’apéro méchamment débridé avait suivi un crash à vitesse pseudo-luminique sur une planète inconnue, le résultat final dépassait l’entendement. Hal tituba jusqu’à l’automate pharmaceutique, souffla dans le ballon à diagnostic autonome, puis vit son état de santé s’afficher sur l’écran plasmoïde. Son diagnostic vital n’était pas engagé, mais tous les voyants secondaires avaient tourné au rouge cramoisi clignotant, synonyme d’une gueuleudeboa persistante. L’automate couina deux bonnes minutes, cherchant une réponse chimique appropriée à la souffrance du patient. Hal 248


se vit prescrire deux tubes de resurrector à prise rapide ainsi qu’un patch de la taille d’un écran 34 pouces à se coller là où il trouverait assez de place. Hal bougonna quelques instants, puis il s’enroula le patch autour du corps, avant de gober les comprimés en ronchonnant. Nom de dieu, que c’était dur ! Hal entendit des bruits provenant du poste de commandement, et devina aux gémissements de douleur que tout le monde était dans un état nauséeux assez ultime. Hal laissa son regard courir sur le sol, contemplant le bordel monstre qui régnait dans le carré : verres brisés, gateaux apéro écrabouillés, graukaouettes éparpillées, flaques de vomi, bouteilles renversées, distributeurs défoncés, soutifs égarés, t-shrits abandonnés, lunettes rectanglulaires paumées, etc. En bref : c’était vraiment la zone. Il y avait du graukamol absolument partout, la sauce avait giclé jusqu’au plafond. En parlant de graukamol... Hal se souvint que les membres de la Kalüpsauh avaient tenté de regagner leur vaisseau au moment du crash, en se barrant avec la bassine de graukamol. Suivant la piste de liquide verdâtre qui maculait les murs, Hal se dit que s’ils avaient réussi à regagner leur vaisseau, il ne devait sûrement plus leur rester beaucoup de sauce. Au détour d’un couloir, Hal aperçut la bassine en question, vide, à deux-trois giclures près. Koostau gisait, inerte, la tronche à moitié encastrée dans une armoire à inductance. Les autres membres de la Kalüpsauh n’étaient pas beaucoup mieux servi. Pulup dormait dans son vomi et Steinbock s’était manifestement pris les pieds dans une clavette escamotable. C’était Grauzart qui avait réussi à se rapprocher le plus du sas, mais ça n’avait pas suffi : il s’était apparemment coincé dans l’iris primaire. Une expression de douleur s’était figée sur son visage, vu que l’iris l’avait chopé au niveau de l’entrejambe. 249


Hal checka tout ce beau monde, et il s’avéra que tous étaient en vie, même si Grauzart allait probablement avoir quelques soucis à établir une descendance. Hal se demanda ce qu’il avait bien pu advenir de la Kalüpsauh et de ses soixante-dix mille âmes cryogénisées. Il ne voulait pas être pessimiste, mais il sentait que tout ça était bien mal engagé. --

Yababoua ? vociféra Tipek. Où est-ce que vous êtes encore passé ?

--

J’suis là, Sir ! fit Hal.

--

Des signes de Koostau et de ses hommes ?

--

Bin justement... Apparemment ils vont bien, mais je ne sais pas ce qu’il est advenu de leur vaisseau.

--

Moi, je sais, fit Tipek en arrivant à la hauteur de Hal.

Le capitaine se fit la remarque que ce cher Yababoua ressemblait à un rouleau de printemps géant, ainsi enturbanné dans son patch. --

Et ? demanda Hal, comme si de rien n’était.

--

Vous feriez mieux d’aller voir ça par vous-même, lâcha Tipek en considérant Koostau qui ronflait comme une machine à laver en plein essorage.

Pas vraiment flippé, mais un peu emmerdé quand même, Hal rejoignit le poste de commande au petit trot. Dans le carré, il croisa Brossard en train de se faire prescrire du resurrector, et Klebz qui luttait avec son patch (la scène allait manifestement tourner à l’épilation grandeur nature). Arrivé dans le cockeupit, Hal trouva Lumi qui s’affairait avec divers joystick à double cliquetis analogique. 250


--

Vous faites quoi, là ? demanda t-il.

--

Je fais la mise au point sur les environs, avec les caméras externes. Histoire de voir ce qui nous attend là, dehors.

--

Je vois. Et, euh... Le capitaine m’a dit qu’on avait des nouvelles de la Kalüpsauh ?

--

Yep.

--

Eh bien ?

--

Vous voyez, ça, là ? fit Lumi en montrant du doigt une montagne fumante sur l’écran de contrôle.

--

Nom de...

Yababoua sentit sa gorge se serrer. La Kalüpsauh gisait à quelques centaines de mètres de la position de l’Amérion, totalement désintégrée, encastrée dans le sol fumant d’une petite planète inconnue. Soixante-dix mille âmes, pensa t-il. Soixantedix mille... --

Je le crois pas. Wall-ID a désintégré la Kalüpsauh.

--

Tout juste. ***

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Fin du mystère

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La nouvelle avait été rude à encaisser. D’abord anéanti et désarmé, puis furieux et enfin consterné, Koostau reprenait peu à peu espoir. Les vidéos haute-résolution que Lumi avait tourné révélèrent, après un visionnage attentif, que le gros de la structure de la Kalüpsauh avaient plus ou moins bien encaissé le choc du crash. Grâce en soit rendue aux décélérateurs à contre-balancement automatique, aux grautomortisseurs progressifs et aux divers compartiments à compactage programmé, avait dit Pulup. En fait, s’il était clair que la Kalüpsauh était définitivement foutue, les compartiments à cryotubes, la réserve de bouffe ainsi que la vaisselle en argent du commandant de bord avaient peut-être été épargnés. Voyant la relative bonne humeur de Koostau, Tipek se décida enfin à aborder les sujets source de discorde : --

Amiral Koostau, une question ne cesse de me hanter.

--

Qu’est-ce donc, Tipek ?

--

Comment pouvez-vous connaître par cœur "Pose ta mite sur mon épaule" et "Ce soir tu vas prendre" ?

--

Quoi ? Ma civilisation est à l’article de la mort et vous me parlez de chansons toutes pourries ?

--

Reconnaissez qu’il y a là un mystère. Puisque vous venez de la Galaxie du Finfon, comment pouvez-vous avoir eu connaissance de ces chansons ?

--

Ok, ok, fit Koostau en levant les bras en signe de rémission. Vous m’avez percé à jour.

--

Je vous écoute.

--

Très bien. Comme je vous l’ai déjà dit, nous avons des millénaires d’avance sur vous, et nous avons exploré l’Univers


sans relâche, suffisamment d’ailleurs pour pouvoir affirmer que l’Univers n’est pas infini, même s’il n’a pas de limites. --

Vous m’expliquerez ça plus tard, voulez-vous ? Revenons-en à "Pose ta mite sur mon épaule"...

--

J’y viens. Au cours de nos explorations, nous avons découvert votre civilisation. Ainsi, même s’il est vrai que vos émissions radio ne sont encore jamais parvenues au Finfon, nous, nous sommes parvenus jusqu’à vous en forant des trous dans l’espace-temps. Nous avons étudié de près votre monde et vos cultures. Nous savons TOUT de vous.

--

Et comment expliquez-vous que nous, nous ignorions tout de votre existence ?

--

C’est très simple : notre Sénat a voté une loi qui fait de votre amas de galaxies une zone protégée. Il nous était interdit d’entrer en contact avec vous. Mais ça ne nous a pas empêchés de danser jusqu’au bout de la nuit sur vos productions musicales tout à fait délicieuses.

--

Oh, ainsi nous étions parqués comme des bêtes ?

--

C’est ça, oui. Un peu comme une espèce protégée que nous n’avions pas le droit d’approcher.

--

Eh bien... tout s’explique, amiral. Je suis content que le malaise soit dissipé.

--

Moui, fit Koostau d’un air calme. Mais maintenant que vous savez tout, si vous le voulez bien... POURRAIT-ON ALLER VÉRIFIER L’ÉTAT DE NOTRE VAISSEAU SACRÉ NOM DE NOM ?!? ET JE VEUX LA PEAU DE VOTRE FOUTU ROBOT !!!


Koostau et son équipe partirent donc à la recherche d’éventuels survivants parmi les déconcombres de leur appareil. Tipek semblait un peu rassuré par les explications de son homologue concernant les troublantes révélations énoncées auparavant. --

Tenez commandant, prenez ces taukees, ainsi que ces quelques Quality Street. Vous pourrez rester en contact avec nous et nous tenir informés de l’avancement de vos recherches (surtout grâce aux taukees).

L’équipage de la Kalüpsauh était rassemblé en bas de la passeurelle de débarquement, et après avoir contrôlé qu’aucune espèce belliqueuse ne traînait dans les parages, ils avaient pu débarquer leurs maigres effets personnels. Pendant ce tempslà, Klebz, Brossard et Von dutch dressaient un campement de fortune. Sauf Klebz qui chassait. Et Brossard qui roupillait. En fait il n’y avait que von Dutch qui... euh non même pas : il dormait aussi, probableument à cause des effets secondaires de l’antikésséïne (somnolence, diarrhée aigüe et lombalgies chroniques parfois accompagnées de spasmes musculaires violents au niveau des membres supérieurs). Lumi inspectait les alentours en compagnie de Skofüld qui, depuis quelques jours, ne se déplaçait plus sans son PCO (Personnal Computer Online). Il travaillait, mais sur quoi ? Wall-ID et Good-Dog, quant à eux, demeuraient introuvables... --

C’est entendu, commandant, confirma Tipek. Si nous n’avons pas de nouvelles d’ici deux jours, nous... attendrons plus longtemps.

--

Euh chef chef, interrompit Pulup, on mangera quoi ?

Tipek et Koostau échangèrent un regard complice. Décidément tous les équipages du monde se ressemblaient... 256


Le petit groupe rescapé de la Kalüpsauh, armé jusqu’aux dents, prit la route en direction de l’épave encore fumante. Tipek sonna, enfin brailla le rassemblement. --

Bon, en un mot comme en cent, quand peut-on partir de cette planète ? L’appareil est-il esquinté ? Skofüld, ça vous concerne aussi !!! Non mais est-ce que vous réalisez que depuis le début de cette mission, c’est à dire presque un an, nous n'avons jamais réussi un seul foutu atterrissage ???

Tout le monde regarda ses bottes, et le silence qui suivit cette judicieuse remarque dura un certain temps. Skofüld le rompit toutefois, à la grande surprise de Klebz, et de tout l’équipage en fait. --

Euh Capitaine, sauf vot’ respect, je crois que je sais ce qui déconne avec l’Introducton.

--

õ___Ö ***

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258


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Introducton

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Alors on parlait de silence chargé de stupéfaction et d’autres sentiments d’incrédulité massive, mais celui qui succéda à cette révélation (une de plus), c’était du silence pour grand garçon, façon agneaux, quoi. Chacun tourna vers Skofüld des yeux ahuris, sauf Klebz qui avait flairé une bonne odeur dans la direction opposée. Skofüld se demanda un instant s’il n’avait pas dit une connerie. Après tout, il n’était sur ce bâtiment que depuis quelques mois, et il n’avait pas l’expertise d’Hal en sciences fondamentales ou de Klebz en technique pure et dure. Cependant... --

Oui, regardez sur ce schéma, expliqua-t-il en déroulant une grande feuille de flexink sur une caisse à outils. Ici, les circuits primaires, et là une dérivation à double potentiel. Bon, et ici, on retrouve plus ou moins la même chose. Et si l’on calcule les fonctions de Proot entre ce qui rentre et ce qui sort, normal, quoi, et bien on tombe sur... T=T/L. Ce n’est pas forcément faux, mais en tout cas ce n’est pas vrai. Et l’erreur pourrait venir de là, non ?

--

Euh capitaine, dit Lumi en interrogeant Klebz du regard. Il se pourrait qu’il n’ait pas tout à fait tort...

Ils virent Tipek passer par toutes les couleurs du spectre (plus quelques unes pour Hal), puis se calmer pour enfin poser l’ultime question :

260

--

Comment on fait, alors ?

--

Il suffit de... supprimer le L, tenez : plus de problème (puisque T=T). Klebz, est-ce que vous pensez que techniquement c’est jouable?

--

Oui caporal, ça doit l’être, en inversant deux trois trucs, oui.

--

Alors au travail tout le monde, ordonna Tipek. Von Dutch ?


--

Capitaine ? répondit celui-ci, prêt à agir.

--

Allez faire à bouffer, et demandez à Brossard de venir avec vous. Euh non, Brossard, cherchez Wall-ID, plutôt. Et flanquez lui un bon coup de pompe dans la turbine de ma part et de celle de Koostau.

--

Aye aye, Sir !

Pendant ce temps, à Budapest, ou plutôt quelques centaines de mètres plus loin, Koostau et son équipe avait pris contact de façon beaucoup plus franche avec la faune et la flore locale. Pulup s’était fait bouffer par une plante plutôt carnivore, et il n’avait dû son salut qu’aux réflexes de Bronkokodh conjugués à la science des armes de Grauzart. Les deux guerriers frappèrent la plante géante avec une violence inouïe, et cette dernière n’eût d’autre choix que de recracher l’infortuné Pulup. Il s’en sortit donc, mais plein de bave. Bulk s’était quant à lui pris les pieds dans une racine quelconque, et s’était donc étalé comme une grosse brêle, le nez dans la mousse du sous-bois. Il boîtait donc, ce qui ralentissait quelque peu l’allure de la petite troupe. Après une heure de marche, ils commençaient à être obligés de faire d’importants détours pour contourner des débris de la Kalüpsauh haut de plusieurs dizaines de toumètres. Les morceaux encore fumants empuantissaient l’atmosphère déjà saturée de vapeurs humides et putréfiées. En gros ça schlinguait velu, quoi. Koostau avait immédiatement ordonné à tout le monde de se munir d’un graumaskagaz, craignant que des vapeurs toxiques ne finissent sournoisement le boulot de génocide brillamment entamé par Wall-ID. Bulk, jamais en panne d’un bon plan, brancha sur son auxiliaire une cartouche d’huile d’hubuskus pour masquer un peu l’odeur fétude qui continuait de circuler dans son graumaskagaz. L’intrigante odeur d’hubuskus lui monta au cerveau, et soudain il se sentit léger, léger... tout intrigué. 261


L’équipée restait circonspecte devant chaque débris de la Kalüpsauh, cramé au n-ième degré, et chacun s’essayait à deviner de quel bout du vaisseau il s’agissait. À ce petit jeu, Steinbock s’était montré le plus finaud, puisqu’il était parvenu à identifier les restes des urinoirs à pression négative, ce qui n’était pas rien. Grauzart poussa un long soupir, au détour d’un gouinassier en fleurs, en retrouvant son casque préféré ainsi qu’un bout de son plumard qui avaient été éjecté de la Kalüpsauh en feu. Il retrouva même son graunaucycle qui avait traversé l’atmosphère à Mach 12 pour venir se loger dans la gueule d’une espèce de tétaré à pattes biseautées qui n’avait manifestement pas vu le coup venir. La bestiole gisait, l’air complètement séché, les neuf pattes en l’air (il en manquait manifestement une, arrachée par la violence de l’impact). --

Capitaine, capitaine ! hurla Pulup qui ouvrait la marche.

--

Qu’y a-t-il ? fit Koostau en se tournant vers Pulup, qui gesticulait dans tous les sens du haut d’un petit promonteuhar en granüt.

--

La Kalüpsau, capitaine ! La voilà ! On y est ! Hourra !

La joyeuse petite troupe se mit au pas de course jusqu’à la position de Pulup, au sortir d’une petit forêt de kagubiers à lianes astringentes. Et là, tout le monde stoppa, dans un moment d’intense recueillement : la Kalüpsau s’offrait à eux, encore fumante et salement amochée, mais toujours fière, dans toute sa splendeur de vaisseau blessé... *** --

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BON KLEBZ ÇA VIENT ? s’impatienta Tipek qui sirotait un peutitéglassé à l’ombre de l’Amérion.


--

Oui chef, ça vient, mais heureusement que Skofüld est là ! Il a du génie ce p’tit gars ! Sans lui on n’aurait jamais débusqué cette erreur dans le code source de l’Introducton !

--

Certes, mais concrètement, on en est où ?

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J’ai fait le câblage, et Lumi vient de vérifier le montage. Il ne reste plus qu’à grauploader le patch que Skofüld a écrit dans le BIOS de l’Introducton, et ça devrait être bon.

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Combien de temps avant qu’on puisse remettre les bouts ?

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Boah vous savez, c’est un OS qui tourne en temps réel avec deux sémaphores, donc ça sera pas bien long. Nan, ce qui va nous retarder, c’est surtout d’attendre Koostau et les autres...

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Très bien, faites ce que vous avez à faire, moi je vais en profiter pour aller faire un petit tour. Von Dutch ? Vous venez ?

Lumi attendit que Tipek et l’intendant se soient un peu éloignés pour se remettre au travail. Elle avait besoin d’être au calme. Non pas que Tipek fut un chieur, mais la complexité de l’algorithme mis au point par Skofüld exigeait une très grande concentration pour son implémentation, aussi voir Tipek et Von Dutch le plus loin possible n’était pas un luxe. Maïkeule vint checker une dernière fois la stucture du programme, puis il fit le transfert de Matlab vers Simulink. Le prompteur de la console se mit à clignoter, puis il comuta, signe que le langage interprété avait bien été compilé. Klebz, Lumi et Skofüld regardèrent les lignes de commande défiler. La fonction de transfert de l’Introduction effectua son initialisation sans encombres, puis la boucle de retour permit de calculer l’erreur statique du process. Avec la première itération, le correcteur d’ordre 4 put prendre le relais : il calcula la transformée de Laplace, puis discrétisa le signal via une FFT dans l’espace 263


des Z, en prenant bien soin de rester dans le domaine de stabilité de Nyquist. L’Introducton se mit alors à vibrer, pas longtemps, juste le temps que le correcteur intègre le signal pour calculer son asservissement dynamique par un filtrage de Shubi-Toumytchev. L’Introducton émit finalement un bruit sourd, signe de son bon fonctionnement. Tout le monde hurla pour saluer l’évènement incommensurable que cela représentait : avec l’Introducton en bon état de marche, ils pourraient bientôt rentrer chez eux. Et tandis que Klebz congratulait Skofüld, Lumi ne put s’empêcher d’adresser un regard enflammé – à la limite de la lubricité – à ce-dernier. Elle était aussi époustouflée qu’émoustillée par la fulgurante réussite scientifique de cet homme qui, quelques mois auparavant, vivait encore dans une hutte toute pourrie et gagnait sa vie en fumant des harengs. ***

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Épave

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Passés les premiers instants d’émoi, chaque rescapé de la Kalüpsauh retrouva un air grave : certes, ils avaient retrouvé leur vaisseau, et celui-ci n’était pas totalement détruit. Il n’empêche qu’il faisait quand même grave la gueule, tout tordu de partout, éventré comme un tutube à essai depuis le niveau 4B jusqu’à la passeurelle du personnel. La coque était vrillée, fumante, et déversait tout un tas de liquides et autres gaz par ses canalisations tranchées. Si, quelques minutes auparavant, Koostau caressait encore l’espoir de revoguer un jour sur sa Kalüpsauh, il ne se faisait maintenant plus d’illusions. Le regard sombre, il fit signe à Pulup d’évaluer les dégats, comme si un diagnostic approfondi pouvait encore révéler une infime chance pour le vaisseau. Pulup sortit son périgrauscope, et entreprit un scan en fausses couleurs de la structure. Il demanda au semiprocesseur intégré à ses jumelles de cartographier les contraintes, actuelles et résiduelles, auxquelles était soumise la structure de la Kalüpsauh. Le verdict était léthal : vrillée par des contraintes de plasticité non conciliantes, ainsi que de dislocations coins avec préméditation, la Kalüpsauh n’était plus maintenant que l’ombre d’elle-même. À cet instant, toutes les pensées des rescapés du vaisseau se cristallisèrent sur un seul être, un petit robot autonome qui n’avait vraiment pas intérêt à la rameuner de sitôt. Mais Koostau, bien vite, passa à autre chose : son unique priorité désormais, c’était de rallier la zone de confinement cryogénisé dans la soute du vaisseau, où soixante-dix mille de ses compatriotes étaient peut-être morts... ou vivants. Koostau ne put s’empêcher de penser que des êtres inférieurs se serait forcément remémorés le célèbre paradoxe du chat de Schrödinger, mais la technologie finfonienne avait triomphé de la physique quantique depuis un bon bout de temps déjà. 266


Koostau fit signe à son équipe de pénétrer dans le vaisseau par la première brèche pratiquable, et d’activer au plus vite les processus d’assistance aux victimes et de réveil d’urgence. L’Amiral avait là une nouvelle bataille à mener, la plus importante de sa carrière : sauver tout un peuple. Son peuple. --

GO GO GO !!! hurla Grauzart en se ruant vers le vaisseau.

En bon techniciens, lui et Pulup repérèrent très vite un point d’accès au vaisseau : la fissure sous le hublot 290 semblait la meilleure option. Consolidée par des jets de plasmousses à haut rendement, la brèche fut rapidement sécurisée. Chacun alluma sa biotorche et Steinbock demanda l’application immédiate de la procédure d’extraction de victimes en milieu hostile. Tipek, tout en regagnant la passeurelle de commandement de l’Amérion, réfléchissait aux évènements des dernières vingt-quatre heures. Qui aurait pu prédire que Skofüld trouverait une solution là où Lumi, Klebz et même Hal avaient échoué ? La réparation de l’Introducton était un miracle, un véritable miracle. En revanche, dès qu’il y avait une sottise à faire, Wall-ID n’était jamais loin, et le cataclysmique boîtage de la Kalüpsauh avait fait les frais de la créativité débridée du petit robot. Tipek se sentit tout à coup détaché de tout ça, comme... éloigné. La soudaine perspective de retourner sur Terre donnait un sens dérisoire à chacune des préoccupations auxquelles les membres de l’équipage s’étaient habitués. Trouver de la nourriture pour plusieurs mois, ou évaluer leurs chances de tomber sur une planète colonisée, tout cela était éclipsé par ce formidable espoir né de l’intuition de Maïkeule. À leur retour sur Terre, il obtiendrait probablement les honneurs de la Cellule. Une pensée frappa le capitaine Tipek. Le silence de la 267


Terre restait encore et toujours une énigme... Et puis cette mission qui les avait emmenés si loin de chez eux, quel en était le but ? Tipek s’assit sur une caisse à Outz déposée par Klebz quelques instants auparavant. Une sonnerie le tira de ses rêveries. --

*ksshhhhh* Koostau à Tipek, Koostau à Tipek.

--

Ici Tipek, parlez Koostau.

--

Nous avons retrouvé le bâtiment, il est trop endommagé pour de quelconques réparations, nous avons donc entamé une procédure de décongélation à base de micro-ondes, à l’ancienne, quoi. De votre côté, quoi de neuf ?

--

Euh... hésita Tipek en voyant Klebz et Lumi fêter la réparation de l’Introducton. Nous... étudions certains aspects des paramètres de navigation de l’Amérion en vue d’une possible retour chez nous, Amiral.

--

Ah... Bon, je reviens vers vous avec Grauzart qui de toutes façons ne sert à rien ici.

Tipek raccrocha comme il entendait Koostau brailler des ordres à l’attention de son bourrin de subalterne. Il héla Hal au loin :

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--

Hal, avez-vous détecté une quelconque vie pensante sur cette planète, avec vos supers antennes, là ?

--

Euh pas vraiment, Capitaine, enfin rien de vivant. Il y a certaines traces énergétiques résiduelles intéressantes à quelques kilomètres au sud d’ici, enfin sauf qu’il n’y a pas vraiment de sud sur cette planète vous comprenez capitaine ? Je veux dire si l’on part du principe que – et je parle là au sens littéral du terme – le haut et le bas ne sont que des notions *extensives*, et bien...


--

Non euh bon bref. Allez voir, coupa Tipek qui finalement était bien content de rentrer prochainement sur Terre. Tenez, allez-y avec Klebz, qui doit pas être loin, et voyez si il y a quelque chose d’intéressant. Après tout, nous aurons peut-être un truc à ramener sur Terre ! acheva-t-il d’un ton badin.

Hal fut un peu pris de court après cet ordre : Tipek n’était pas trop du genre badin, d’habitude. Le retour sur Terre semblait avoir des effets secondaires imprévus, ou tout du moins mettait du baume au cœur à l’équipage. Même lui, l’impertubable Hal Yababoua, se sentait comme guilleret, tout excité à l’idée de raconter ses aventures à ses élèves, dès son prochain cours de physique des éléments mal finis à l’Université de Poskak’a. Il retrouva Klebz dans le hangar D de l’Amérion, où ils armèrent deux patrouilleurs en vue d’une exploration des alentours. Brossard passa en courant derrière Wall-ID dans un couloir en faisant klong klong de ses bottes ferrées sur les grilles du sol. Les deux explorateurs se regardèrent, puis reprirent leur activité. Hal enclencha la phase d’allumage et.. rien. Allons bon, pensa-t-il. --

Euh Klebz, que se passe-t-il avec ces foutus engins ? Ont-ils souffert pendant le crash ?

--

Lequel ? rétorqua ce dernier, amusé.

Le mécanichien fit un rapide tour d’inspection du patrouilleur de Hal, fila deux ou trois coups de pompe dans l’engin qui finalement démarra. Hal et lui échangèrent un deuxième regard interdit. Une fois de plus, l’homme triomphait sur la machine mais... sans savoir pourquoi. Ils décollèrent en trombe sous les regards de Lumi et de Skofüld qui venaient de terminer les ultimes réglages sur la structure propre de l’Introducton. *** 269


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AGC-712

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Klebz fit rugir son grautospüder et s’apprêtait à tenter une roue arrière lorsqu’il se souvint, un peu blasé, qu’il n’avait pas de roue arrière. Ni même de roue avant, d’ailleurs. Son grautospüder était monté sur un système hübride conçu par Synergy Drive : un flux d’air pulsé générait les trois quarts de la poussée, tandis qu’un micro champ de gravitons à spin inversés assurait le reste de la tenue de l’appareil, tout en lui conférant une grande stabilité. Hal, juché sur le second grautospüder, se délectait du confort de l’appareil et semblait parti pour une petite ballade champêtre bien pépère. Klebz aurait préféré un bon vieux podracer à propulsion mécanique bien velue, avec des gros crampons et tout, comme on en faisait encore il y a quelques années, mais à part sur quelques planètes reculées où la technologie semblait ne pas vouloir s’étendre, il fallait bien se résigner : c’était bel et bien terminé, les rodéos mécaniques enflammés ! La mort dans l’âme, Klebz appuya sur le minuscule joystick et s’engouffra dans la forêt de palétutuviers à la suite de Yababoua, qui lui télépatho-annonça : --

Pas de conneries, hein ? Je veux pas qu’on se paume ou qu’il nous arrive encore des pépins à cause de toi, ok ?

--

Très bien, groumfa Klebz en retour. Allons voir ce que cette foutue planète nous prépare... ...

Du haut de la passeurelle d’observation, Koostau contemplait la salle de cryogénie de la Kalüpsauh. Pas peu fier de la technologie finfonienne, l’Amiral poussa un long soupir de soulagement en constatant que quelques cryocapsules étaient encore intactes 272


après le crash. Ça signifiait que la majeure partie de l’équipage congelé avait péri, certes, mais au vu des circonstances, on pouvait déjà s’estimer heureux d’avoir des rescapés. Parmi les cryocapsules encore en état, de nombreuses était bosselées ou fêlées parce que les harnais et la sécurité enfant n’avait pas fonctionné, mais les compartiments de biorégulation n’étaient pas atteints. En clair : il y avait des survivants. Ce qui était déjà très satisfaisant. ... Poussant à fond la turbopompe de son spüder, Klebz doubla Hal par la droite en faisant mugir son engin, déformant le sol avec une pluie de gravitons de haute énergie. Yababoua fut tellement surpris qu’il fit une embardée et alla se contrôler la gueule dans une fougère réticulée, manquant de percuter un tadeuboa séculaire dans la foulée. Klebz pouffa de rire en checkant son rétroviseur holographique, et manqua lui aussi de se manger une branche de palmotruffier, n’eut été son détecteur de proximité à double dérailleur (le dernier modèle de chez Jvu-Shitzu). Furax, Hal enclencha le turbo à nitroglycériméthanol (de chez Sawashié Engineering) et augmenta la poussée de gravitons. Il fit un bond d’une quinzaine de mètres et Klebz dut l’accrocher sur son graudar pour calculer une trajectoire d’évitement. S’ensuivit une course poursuite endiablée au cours de laquelle Klebz avala une quinzaine de mouchamairdes, et s’en coinça à peu près autant dans la truffe. Pliés de rire, les deux compères prirent un virage serré à toute vitesse, et Hal parvint à faire l’intérieur à Klebz. Il s’apprêtait à gagner la course lorsqu’il percuta une pauvre libellöl de deux mètres qui passait par là et qui alla finir sa vie dans le bascôté. Déséquilibré, Hal percuta Klebz, qui rebondit puis revint le percuter, déclenchant une séries de chocs auto-entretenus qui finit 273


par propulser nos deux gaillards dans une mare d’eau stagnante de bonne taille, dérangeant par la même occasion un banc de glouïk à nageoires poreuses qui s’égaillèrent en piaillant. ... Koostau et Grauzart venaient de rallier l’Amérion, après avoir confié à l’équipage du Kalüpsauh la remise en état de ce qui pouvait l’être. Tipek se dirigea vers eux. --

Alors, Koostau, quelles sont les nouvelles ? demanda-t-il sur un ton joyeux.

--

Hélas mon ami, elles ne sont pas très bonnes. Comme je vous l’ai expliqué tout à l’heure, notre appareil est trop endommagé pour envisager une quelconque réparation. Nous avons donc pris une décision : mes hommes et moi restons sur cette planète, pour les raisons suivantes. Nous ne pouvons pas repartir avec le Calüpsauh, ni avec vous : il est impensable d’abandonner nos semblables dans l’état où ils sont. La survie de notre civilisation toute entière est entre nos mains, Tipek. Cette planète me paraît idéale, de surcroît, pour accueillir le berceau du renouveau des Finfoniens. Je la baptise donc FINFONIA LA TÉMÉRAIRE.

Koostau grimpa sur une vieille trogne d’arbre qui gîsait là, et déclama d’une voix conquérante : --

Car depuis l’aube du monde, notre race tente, en vain, de comprendre les choses qui nous entourent, et cela pour encore accroître un savoir existe par lui-même.

Tipek jeta un oeil à Grauzart pour voir si ce dernier comprenait quelque chose. La totale absence du moindre signe d’activité de celui-ci ne permit pas au capitaine de l’Amérion de tirer quoi que 274


ce soit comme conclusion. --

... et c’est pourquoi nous sommes, bien plus que nous ne pensons être. La vrai raison, quelle est-elle ? Et bien en vérité je vous le dis, nous ne saurions vivre en abandonnant nos frères, et nous ne connaîtrons pas de repos tant que la civilisation finfonienne ne renaîtra pas de ses cendres, enfin de son tas de ferraille. Ainsi soit-t-il, et euh... bin voilà.

Lumi et Skofüld, qui s’étaient rapprochés, se regardèrent en silence. Même si leurs nouveaux compagnons de voyage ne les avaient rejoints que peu de temps auparavant, les espoirs fondés sur une future collaboration avaient semblés prometteurs, et la perspective de déjà perdre d’aussi bons compagnons de beuverie avait séché tout le monde. Un vacarme interrompit les réflexions de tout ce petit monde. Quelque chose à l’intérieur de l’Amérion avait provoqué un tintamarre infernal, mélange de gamelles entrechoquées et de couinements frénétiques. Un bruit inhumain, et pas finfonien non plus d’ailleurs. Ressentant l’inquiétude ambiante plus qu’il ne la voyait, Grauzart arma son énorme fusil à bio-détection afro-quantique : CHLUK TOUK ! Oulà, pensa Lumi. M’a pas l’air bien fin celui-là, il s’entendrait bien avec Brossard. D’ailleurs où est-il encore fourré, le Brossard ? Tipek jeta un regard perplexe vers Koostau, qui lui rendit la pareille, en tant que bon gradé. Le capitaine de l’Amérion sortit son arme de service de l’étui fixé sur le côté de son pantalon, le mis sous tension et pénétra dans le vaisseau par la passeurelle. Lumi le suivit, armée d’une clef à molette de 96 que Klebz avait probablement égarée par là. Grauzart, Koostau et Skofüld leur emboîtèrent le pas, bien décidés à tirer au clair cette histoire. Tipek emprunta le corridor qui partait de la plateforme de débarquement pour arriver 275


dans la partie "habitation" de l’Amérion. Quelle sale bête avait bien pu encore se glisser dans les couloirs de leur vaisseau ? Tipek songea un instant que c’était définitivement une bonne chose que d’avoir réparé l’Introducton. Il commençait doucement à en avoir ras la casquette de toutes ces cochonneries indigènes... Le bruit s’était tû, désormais. À mi-distance du bout du couloir, une porte entrouverte laissait échapper un filet de lumière qui découpait une ombre inquiétante sur le mur d’en face. Habituellement, les corridors – éclairés – de l’Amérion n’étaient pas spécialement rassurants, mais là... Globalement tout le monde flippait, et lorsque Von Dutch sortit, une louche dans une main et une gamelle dans l’autre, le soulagement fut général. --

Bin ? fit celui-ci, interdit. Qu’est-ce que vous foutez dans le noir ?

--

Euh.. La lumière est pétée, sergent. Dites-moi, vous n’avez rien entendu de suspect, là, récemment ?

Von Dutch coula un regard en coin à Lumi, histoire de voir si Tipek était le seul cinglé de la bande. L’air tendu du caporal ne rassura pas tellement l’intendant. --

Récemment, non... Faut dire aussi que je préparais une fricassée de graulaviandus, alors avec le bordel que fait le blender, vous savez, quoi.

--

Non. Bon très bien, félicitations, s’exclama Tipek. Restez dans votre cambuse.

Toujours à la recherche de l’origine du vacarme, la fine équipe reprit la marche sous le regard ahuri de Von Dutch. Le retour sur Terre devient vraiment nécessaire, pensa-t-il. Tout le monde sombre peu à peu dans la folie profonde. 276


Tipek déboula le premier dans le carré, en braillant façon commando et en pointant son flingue dans tous les sens. Les autres pénétrèrent peu après dans la pièce ronde. Une pagaille hors du commun y régnait : les sièges étaient renversés, la bouffe répandue par terre, un robinet à osmose périphérique avait cédé, laissant la place à un jet continu de flotte qui arrosait le tout. Les placards étaient éventrés, le frigrauh couché par terre avait pété plusieurs dalles en bénélacier. Et au milieu de ce bordel insondable, Brossard, hagard, menaçait Wall-ID avec un manche à balai pété en deux. Le petit robot, presque à court de batteries lui aussi, chouinait mollement en tentant vainement de se planquer sous un tas de Burples. ***

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La boulette

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Dans le carré de l’Amérion, ça n’allait pas fort. La décision de Koostau de rester ici, sur AGC-712, avait vraiment séché tout le monde. Certes, ça n’était pas forcément une mauvaise idée de rester sur cette petite planète finalement bien sympa, histoire d’y fonder une nouvelle civilisation, tout ça tout ça. C’était même vachement courageux, en fait. Seulement voilà, pour une fois que les membres de l’Amérion avaient enfin réussi à se faire de vrais potes (Good-Dog, aussi sympathique fût-il, n’était qu’une machine après tout), eh bien ça faisait quand même grave chier de repartir tout seul. Bien sûr, l’Amérion serait de retour sur Terre d’ici peu de temps inch’allauh, mais ce serait pas pareil. Du coup, tout le monde faisait la gueule – même Good-Dog boudait dans son coin, c’est dire. Pour contrecarrer cet élan de mauvaise humeur, et tout excité par les extraordinaires possibilités culinaires offertes par la luxuriante AGC-712, Von Dutch avait préparé un méga gueuleton en guise de petit dej’. Mais rien n’y faisait : l’ambiance était glauquissime. Klebz mâchonnait sans grande conviction quelques céréales au graukao, tandis que Hal sirotait son bol de nesgruik d’un œil morne. De son côté, Tipek n’avait même pas touché à ses graukapick. Fou de rage, Von Dutch se leva de table et renversa la kafeutière ainsi que la carafe de jus de konkombre. Personne ne réagit. Soudain, Brossard arriva en courant depuis la cale, tout fier :

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VICTOIRE !!! s’époumona notre gros bourrin préféré.

--

Quoi ENCORE Brossard ? bougonna Tipek.

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Bin, vous savez, Wall-ID, tout ça ! Hier vous nous avez surpris en pleines négociations musclées au manche à balai, et...


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Venez-en au fait, Brossard.

--

Bon, j’ai l’immense plaisir de vous annoncer qu’après une nuit d’intenses tractations au chalumeau (et avec une petite aide de la motopelleuteuse planquée dans la cave), je suis parvenu à un accord avec l’extension domotique de bord.

Tout le monde se leva de table. Même Tipek était scié. Brossard savoura son instant de gloire. --

Mais mais mais... laissa échapper Von Dutch.

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Nom de Dieu Brossard ! fit le capitaine. Vous voulez dire que...

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Tout juste mon capitaine. Wall-ID a enfin accepté d’être relevé de ses fonctions d’extension de bord, Sir.

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Oah ça me troue l’fion ! souffla Maïkeule.

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Qui l’eut cru ? fit Hal en récompensant Brossard d’une bonne grosse tape dans le dos. Notre expert en areumafeu qui parvient à une solution *diplomatique* avec cette calamiteuse extension de bord ? La classe, moi je dis !

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Bon, eh bien... fit Tipek. Je suppose que c’est là une victoire historique pour l’équipage de l’Amérion ! On maîtrisera enfin pleinement le destin de notre vaisseau, sans ce foutu robot de mes [tüüüüüüüt] dans les pattes !

À ces mots, Brossard devint blême. Tipek trouva soudain que ça sentait l’arnaque à plein nez. --

Hébin ? Keskya Brossard ? Vous avez encore fait une connerie, hein ? éructa Tipek.

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--

Bin euh... En fait, vous imaginez bien qu’il y a une contrepartie à la maîtrise pleine et entière du vaisseau.

--

À savoir ? soupira Hal.

--

Wall-ID a obtenu la pleine jouissance de la sono de bord ainsi que l’entretien exclusif des sanitaires. Il a aussi demandé à s’occuper de la liteurie et euh...

Devant l’étendue de ces macabres révélations, personne n’osa dire un mot. Consterné et mortifié, chacun s’imagina tenter de dormir avec de la zique à fond les ballons dans de vieux draps tout collants car maculés de cambouis. Mais surtout, SURTOUT, tous les membres masculins de l’équipage se remémorèrent avec une angoisse mortelle la trop fameuse affaire des inversions du vecteur de gravité dans les urinoirs... --

BORDEL DE [tüüüüüüüt] BROSSARD VOUS ÊTES DORÉNAVANT INTERDIT *À VIE* DE TOUTE NÉGOCIATION QUELLE QU’ELLE SOIT NOM DE [tüüüüüüüt]! ME SUIS-JE BIEN FAIT COMPRENDRE ? hurla Tipek comme jamais il n’avait hurlé.

--

Yes, sir !

Sur ces bonnes paroles, tout le monde vida les lieux, non sans filer un bon gros coup de pompe dans le derche de l’armurier, chacun son tour. Et, comme pour narguer le pauvre Brossard, Wall-ID passa par là en trottinant et sifflotant, retransmettant sur toutes les enceintes autoradiophoniques du vaisseau. Quelques pansements au cul plus tard, dans le hangar n°290... --

Bwoh allez Klebz, quoi, chuis désolé ! supplia Brossard.

Le mécanichien se tortilla de dessous le spüder et vint menacer 282


Brossard avec sa meuleuse autorotative : --

T’es tellement un gros blaireau Brossard ! Keski t’a pris sérieux ?

--

Mais tu me pardonnes, hein, hein ?

--

Hmmmm bon. Ok. Si tu m’aides à réparer ces deux spüder. Ça marche ?

--

Euh. Ok. Tope la.

Brossard s’approcha des deux spüder complètement défoncés. Les deux machines étaient tellement cuites qu’elles semblaient s’être encastrées dans... dans... --

Mais bordel COMMENT vous avez fait pour les mettre dans cet état-là vos spüder ? Tu étais de sortie avec Hal, c’est ça ? C’est pourtant pas le genre à déconner...

--

Si seulement tu savais... soupira Klebz.

--

Rhââââ, et puis ça chlingue en plus ! C’est quoi cette odeur !? Putain mais on dirait de la...

--

De la merde, oui, je sais.

--

Eh ben ?

Et Klebz de raconter comment, la veille, lui et Hal s’était vautrés dans une vieille mare. Mais ça, ça n’était que le début de l’histoire. La vérité c’est que, à peine remis en selle, ces deux gros abrutis avaient repris leur course avant de se retrouver (au détour d’un virage serré et donc de manière on ne peut plus brutale) nez à nez sur deux énormes pachüdermes. Enfin, "nez à nez" n’était sûrement pas la bonne expression, remarqua Klebz dans un soupir. Etant donnée la singulière configuration de la situation au 283


moment de l’impact, il serait plus approprié de dire "nez à cul". Avec deux pachüdermes. Deux. Un chacun. À pleine vitesse. --

Naaaaaan ! fit Brossard avec dégoût. Vous n’avez quand même pas... ?

--

Si, fit Klebz d’une voix éteinte. Oh, que si... ***

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On rentre chez maman

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Tipek observa un instant l’immensité galactique au travers de la baie vitrée jouxtant la passerelle de commandement. Il balaya du regard les corps célestes qui s’offraient à sa vue, puis songea à la précarité de l’espèce humaine. Il alla ensuite se faire un café : fallait tout de même pas tomber dans la philosophie de biscuit chinois, non plus. Au carré, il s’assit en face de Lumi qui rêvassait devant un bol de koukousses frites. Depuis leur récent décollage de la planète AGC-712, la vie à bord avait repris son rythme monotone, à peine troublé par les frasques de Wall-ID. Ce dernier avait bien tenté de mettre de l’ambiance, et ce à plusieurs reprises, mais rien n’y faisait : tout le monde s’emmerdait sévère. Klebz avait ainsi accueilli avec un sourire las le réveil à grands coups de watts au rythme de "Change pas d’frein, j’sens qu’ça tient", réveil ourdi par Wall-ID dans l’espoir de mettre un peu le souk. Il passait ses journées à entretenir les différents appareils de la flotte de l’Amérion, et d’après les statistiques du magasin général de bord, il pétait nettement moins de clefs à molette qu’en début de mission (ce qui n’était pas très bon signe). Sa température de truffe indiquait toutefois des valeurs nominales satisfaisantes qui rassuraient tout le monde. Skofüld, quant à lui, menait des recherches approfondies sur la reproduction des koukouyes en apesanteur. Lumi avait bien tenté de se joindre à lui, non sans espérer approfondir encore un peu l’aspect reproductif de la chose, mais rien n’y faisait : ce blaireau de base était bien parti pour devenir l’un des plus grands scientifiques de la Terre, si toutefois rien ne se passait d’ici là. Brossard jouait avec Good-Dog, qui semblait s’être parfaitement acclimaté à la vie à bord de l’Amérion. Von Dutch cuisinait des trucs curieux, notamment une terrine d’oreilles de kolautrin au Nuh’ Dajajasse assez exotique qui n’avait pas fait l’unanimité. Tipek philosophait, donc, Lumi bullait, et Hal... Et bien Hal restait dans sa cabüne, perdu dans ses pensées, supposaient 286


ses camarades. ... Tipek prit une profonde inspiration, et déclara d’un ton sans appel: --

Il est temps. Chacun à son poste.

Quelques jours seulement s’étaient écoulés depuis leur décollage d’AGC-712, mais Tipek avait préféré rester en orbite géostationnaire, afin d’éventuellement redescendre si Koostau en avait manifesté le besoin. Officieusement c’était aussi pour laisser le temps à chacun de se préparer au retour sur Terre. Cela faisait en effet plus d’un an qu’ils avaient quitté le spatioport de Lag Raushell, et les missions de cette durée était très rares et en aucun cas assignées à des militaires, ou enfin pas tous seuls, du moins. Wall-ID, qui rôdait par-là, relaya le message du capitaine via le système audio de bord. Sans faire de connerie. Klebz sortit sa truffe du moteur à impédances déphasée qu’il ajustait. Von Dutch passa la tête en dehors de sa cambuse. Hal sortit de sa cabüne, tandis que Skofüld éteignait les moniteurs du labo qu’il avait aménagé peu de temps auparavant. Brossard et Good-Dog écoutèrent religieusement le message du capitaine, presque pénétrés par la gravité intrinsèque de ces quelques mots. Hank jeta une dernière fois la baballe pleine d’huile du quadrupède domotique, puis prit le chemin de la passerelle. Lumi suivit Tipek, et tous se retrouvèrent devant l’immense console de commande de l’USS Amérion. --

Bien, Lumi, entrez les paramètres de saut. Klebz, vous surveillerez les différents indicateurs de l’Introducton. Si ça remerde, je souhaite savoir pourquoi. 287


--

Bien capitaine, répondirent-ils à l’unisson.

--

Les autres, reprit Tipek, à votre place. Personne debout pendant le saut, naturellement.

Lumi configura l’Introducton, puis fit signe à Tipek que l’Amérion était prêt. Prêt à sauter à travers le temps et l’espace. Prêt à bafouer une fois de plus les antiques règles de physique qui avaient des siècles durant imposé leur restrictions. Prêt à rentrer sur Terre. Tipek s’assura d’un coup d’œil que ses subordonnés étaient prêts, puis commença d’une voix monocorde : --

5... 4... 3... 2... 1... 0... CONTACT.

L’Amérion fut pris de violentes secousses, tout le monde se cramponna dans son siège, suant à qui mieux mieux dans son Baukval. La gorge nouée par l’émotion, tout le monde pensait aux imminentes retrouvailles avec la Terre. Tout le monde, sauf Klebz, qui suait à n’en plus pouvoir dans son maudit Baukval et avait plus l’impression d’être au sauna qu’autre chose mais bon, passons. L’Introducton se mit à mugir comme une vieille sirène éraillée – contre toute attente, c’était plutôt bon signe – et tout le monde se préparait à l’imminence du saut hyperspatial. Les voyants passèrent tous au vert les uns après les autres et puis... PfÖf. Et c’était tout. --

288

PFÖF ? Comment ça "Pföf" ? pesta Tipek dans son Baukval. Klebz ? C’est quoi encore qui a merdé ? Vous avez les relevés sous la truffe ?


--

Yes, sir ! L’Introducton lui-même s’est parfaitement bien comporté, sir ! Je capte pas !

--

Skofüld ? Puisque vous êtes le nouveau génie de la bande, quel est votre avis ?

--

Sir, j’ai monitoré tous les diagrammes de flux et... apparemment, la modification apportée à l’Introducton a provoqué un appel de courant huit fois supérieur à la norme.

--

Et alors ?

--

Eh ben, l’Introducton a bouffé toutes les ressources du bord, capitaine. Le bobinage n’a pas tenu le coup, les thyristors se sont mis en trigger non-inverseur et finalement les moteurs, privés d’énergie, se sont coupés.

--

Mais quelle bande de [tüüüüüüt] ! Vous êtes en train de me dire que le saut a de nouveau lamentablement foiré ?

--

C’est tout à fait ça, confirma Klebz très calmement.

--

Et que peut-on y faire ?

--

Eh bien, reprit Skofüld, le problème c’est que le composant qui a merdé n’est accessible que depuis l’extérieur, ce qui nous obligerait à effectuer une sortie extraclaviculaire, mais...

--

Mais QUOI ?

--

La faible poussée initiale, avant l’incident, nous a placé sur une trajectoire elliptique très dégradée et...

--

Une trajectoire elliptique ? Mais autour de quoi ?

--

Bin d’une planète, sir, fit Klebz.

289


--

Vous êtes en train de me dire qu’on est encore en train de se crasher ?

--

Yep. *soupir* ***

290


37

La Graux端nelle

291


Ainsi donc, l’Amérion était encore tombé en carafe, entraînant la désormais bien connue procédure de crash contrôlé, suivie d’une sortie au Baukval en milieu supposé hostile, etc, etc. Skofüld bossait sur la réparation de l’Introducton – ou plutôt du composant mis en rade par l’Introduction 2.0. Maïkeule avait promis que ce ne serait pas bien long et que ce crash serait le dernier avant le retour sur Terre en grandes pompes de l’USS Amérion. En attendant que Skofüld finisse de réparer le matos – ce qui risquait d’être long si cette échauffée de Lumi n’arrêtait pas de lui faire du pied –, Tipek et ses hommes n’avaient rien d’autre à glander que de faire connaissance avec la population locale. La flore était tout à fait banale. En revanche, la planète Zamoud abritait tout un peuple d’humanoïdes aquatiques, qui passaient le plus clair de leur temps à barboter dans un lac au milieu de loutridés fort joueurs. Klebz avait l’air de prendre beaucoup de plaisir à faire mumuse dans l’eau avec ces aquamen plutôt cool mais un rien limités niveau langage. Tipek en avait profondément ras le bol de cet état de glande général, et demanda à tout le monde (sauf Lumi et Skofüld bien sûr) de rappliquer afin inspecter les environs. Et l'exploration commença. Au détour d’un rocher jouxtant la plage, Tipek se retrouva nez à nez avec une jolie jeune femme. Le capitaine regarda longuement la jeune aquawoman. Et elle était plutôt pas mal, pensa t-il, bien qu’elle n’était clairement pas humaine. Un peu gauche, Tipek s’apprêtait à dire quelques mots qu’elle n’aurait sûrement pas compris, lorsque la jeune femme lui tendit quelque chose. La réaction de nos chers amérionautes ne se fit pas attendre : Brossard rechargea instinctivement son fusil – pour la trente-quatrième fois de la journée –, Klebz huma l’air, toutes oreilles dehors et, enfin, 292


Tipek fit la gueule. --

Gné ? laissa échapper le capitaine.

--

Sir ! Elle vous tend quelque chose ! Prenez-le ! fit Klebz, plein d’entrain en humant l’air salin.

--

Euh... Oui, bon, fit Tipek en prenant la petite chose, pas plus grosse qu’un caillou.

Devant l’air abruti du capitaine, la jeune femme rougit (juste un peu, puisqu’à la base, elle avait le teint bleu fluo, et au final elle tourna au violet). --

Eh ben alors ? Kékecé ? Kékecé ? s’impatienta Klebz en manquant d’envoyer Brossard au sol d’un coup de queue.

--

Bin... je sais pas trop. Jugez par vous-même, fit le capitaine en tendant à Klebz le caillou qui semblait avoir été peint en rouge.

--

Oah ! Mais c’est une grauxünelle ! fit Klebz, tout content.

--

o_O

--

Bin oui, vous savez bien, une espèce de petit insecte tout sympa avec un corps rouge à pois noirs.

--

Ah ? Oui. Et alors ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

--

Bin je sais pas, mais c’est vachement sympa !

--

Sir ! éructa Brossard.

--

Oui, Brossard, quoi, encore ?

293


--

Faites gaffe, capitaine, j’ai lu un article l’autre jour dans Fusil à pompe magazine qui disait que, chez certaines tribus, l’offrande de grauxünelle était plus ou moins une demande en mariage.

--

Vous vous foutez de moi, Brossard ? Il y a des histoires de grauxünelle et de mariage dans Fusil à pompe magazine, maintenant ?

--

Bin en fait oui, c’était dans le courrier des lecteurs, et en fait la petite histoire a tourné au bain de sang, alors bon... Enfin, voilà, quoi.

--

Hal ? Je fais quoi, d’après vous ? demanda le capitaine.

--

Vous plantez là cette pauvre gamine, on rentre au vaisseau, on file un bon gros coup de pied au cul de Maïkeule pour que ça aille plus vite au niveau de l’Introducton, quitte à ligoter Lumi si nécessaire. Mais ça n’est que mon avis, sir.

--

Vous en avez de ces manières, Hal !

--

Bin désolé capitaine mais là je vous avoue que j’en ai vraiment plein les antennes.

--

Prenez donc votre mal en patience, Hal ! Suivons cette gente dame, et voyons un peu où tout cela nous mène. De toutes façons, je suis en liaison permanente avec Skofüld, il ne manquera pas de nous contacter quand on pourra redécoller.

--

Soit, soupira Hal...

La petite équipée suivit donc Tipek et la jeune femme bras-dessus, bras-dessous, à travers de jolis petits champs de flaoueurzes au bord du lac. Frétillant de la queue, Klebz regardait le capitaine d’un œil attendri, tout en faisant tranquillement la chasse aux papuyons. Brossard passait son temps à inspecter derrière chaque 294


brin d’herbe et n’hésitait pas à sécher le moindre insecte suspect d’un grand coup de taser dans la mouille. Hal quant à lui fermait la marche, d’un air résigné, l’air de vraiment *vraiment* se faire braire. En continuant sur la plage, les aventuriers aperçurent bientôt un petit village sur pülotüh. La jeune femme qui tenait désormais Tipek par la main annonça d’une voix sans appel que... bin personne ne comprit rien, en fait, mais Hal déclara qu’il devait probablement s’agir de son village, ce qui semblait assez logique. Plusieurs mâles de la tribu en question s’avancèrent à la rencontre du petit groupe d’explorateurs. Lorsque Tipek se retourna vers Hal afin que celuici traduise les injonctions des indigènes, Hal marqua un temps d’arrêt puis expliqua qu’il ne comprenait rien. Tipek remarqua aux mouvements qui agitaient les antennes de son interprète qu’il essayait la télépathie, mais sans succès. Étrange, pensa le capitaine. Il se retourna vers le plus grand des autochtones et tendit ses mains à plat, paume vers le ciel en signe de paix, de non-agressivité et de désarmement nucléaire. Le grand être bleu lui tapa dans les mains, visiblement ravi de ce nouveau jeu. --

Ils ont l’air un peu demeurés, quand même, grommela Brossard pour qui une rencontre sans coups de feu ne rimait à rien.

Celui qui, manifestement, était le chef de la troupe de bienvenue tendit une outre à Tipek, avec insistance. Le capitaine consulta sa nouvelle compagne du regard, et le hochement de tête de la demoiselle lui fit comprendre qu’il fallait boire. Il déboucha donc l’outre qui dégageait une forte odeur d’euar, et la porta à ses lèvres. ... tülülüt, tülülüt, tülülüt !!! 295


... tülülüt, tülülüt, tülülüt !!! Tipek ouvrit péniblement les yeux. Il distingua une lueur diffuse au-dessus de lui. tülülüt, tülülüt, tülülüt !!! ... tülülüt, tülülüt, tülülüt !!! Il était allongé. Il tenta de se relever, mais une douleur lui cisailla le crâne. Ses yeux ne parvenait toujours pas à distinguer quoi que ce soit d’autre que la lueur blanche qui, désormais, l’éblouissait littéralement. tülülüt, tülülüt, tülülüt !!! ... tülülüt, tülülüt, tülülüt !!! Il tourna la tête, et aperçut un rectangle sombre, qui s’illumina. Une forme s’approcha de lui. --

Gnaä de hur van de Tuüt ?

Damned, il ne bitait rien. Il tenta de prononcer quelques mots, mais seul un gargouillis inintelligible sortit de sa bouche pâteuse : --

Euaaaar...

Un deuxième forme s’approcha de lui. Il sombra à nouveau dans l’inconscience. ... 296


--

Caporal, il n’a pas l’air bien, là.

--

Je sais, Hal, je sais, fit Lumi d’un ton inquiet. Ha, il se réveille, là, non? Si si, il se réveille.

Hal et Lumi observèrent un instant le capitaine Tipek, amarré sur son médicopod, complètement dans le cirage. Celui-ci ouvrit les yeux. --

Vous m’entendez capitaine ?

--

Euaaaar... fit celui-ci pour toute réponse avant de retourner dans les vappes.

--

Bon, conclut Lumi. Hal, que donnent les analyses thermosensorielles ?

--

Rien, caporal.

--

M’aurait étonné... maugréa-t-elle. Ha... Il revient à lui ! ...

Tipek ouvrit de nouveau les yeux, encore plus dans le gaz que la première fois. Il cligna plusieurs fois pour tenter de distinguer quelque chose parmi ces halos diffus. Il reconnut la silhouette grotesque de Yababaoua, et parvint à articuler quelques mots. --

Hal... Que se passe-t-il, bon sang ?

--

Calmez-vous capitaine. Vous avez subi un sacré choc, vous avez besoin de repos.

--

Oui, renchérit Lumi, vous êtes en sécurité à présent, détendezvous.

--

Mais... Je ne comprends pas, balbutia Tipek. Nous étions sur la plage, et... 297


--

Les différentes analyses de sang que nous avons faites révèlent que vous avez été victime d’une exogénose doublé d’une intoxication aiguë au radicaux OH, trancha Hal d’un ton docte.

--

Euh...

--

En d’autres termes, vous avez pris la cuite du siècle, compléta le mamelu caporal.

--

Mais... Oulà, oui. L’outre, là, c’était ça ? C’est à cause de ça ? Hein ?

Hal et Lumi échangèrent un regard entendu. Lumi prit finalement la parole. --

Vous avez bu une petite gorgée du liquide contenue dans cette outre, puis vous l’avez rendue à l’autochtone. Ce n’est que deux bonnes heures après que les premiers symptômes sont apparus, à savoir délire paranoïaque avec asymptote oblique, vomissements, diarrhées, engourdissement du pied droit, papillotements spontanés des oreilles...

La capitaine révélations. --

écoutait,

complètement

abasourdi

par

ces

Oui, reprit Hal, vous nous avez flanqué un belle pétoche. Skofüld nous a appelé au même moment, je peux vous dire qu’expliquer aux indigènes qu’on décollait n’a pas été une mince affaire.

Tipek se releva de son médicopod d’un seul coup, et sauta à terre, la chemise de nuit laissant voir son fondement à qui voulait. -298

QUOI ? Mais, ce ronronnement... Vous voulez dire qu’on est en route pour la Terre ?


--

Mieux que ça, capitaine. Nous sommes arrivés. ***

299


300


38

Terre

301


Tout l’équipage était au chevet du capitaine, et chacun pensait le voir sauter de joie en apprenant que l’Amérion avait finalement réussi à rallier la Terre. Mais au lieu de ça, Tipek ronchonna. --

Vous êtes en train de me dire que non seulement vous m’avez séparé de cette jolie jeune f... euh, de cette aquawoman fort sympathique, mais en plus je viens de louper le seul et unique atterrissage potable de toute la mission ?

--

Bin euh... C’est-à-dire qu’en fait... groumfa Klebz avant d’être coupé par l’avertisseur de proximité.

PON ! PON !! PONPONPON !!! --

Allons bon, c’est quoi encore ce cirque ? fit Hal en regardant les écrans.

--

Je suppose que la Cellule nous envoie un comité d’accueil, fit Tipek en descendant du médicopod. Ce serait bien la moindre des choses, non ? C’est vrai, quoi, on a risqué notre peau pendant des mois à essayer de sauver la galaxie !

Tout le monde regarda la capitaine avec des yeux de merlan frit. Il y eut quelques secondes de silence gêné, puis Lumi se décida à prendre la parole : --

Capitaine, intercéda le caporal, je me dois de vous rappeler que, techniquement, on n’en a pas ramé une.

Devant l’air interdit du capitaine, Hal crut bon d’ajouter : --

302

Sir, entre les pannes, les crash, le fiasco de Crétaion-1, la destruction du territoire sacré des dominautes, l’enlèvement


sur Kotfull, la quasi-éradication de tout un peuple, je pense même qu’on peut dire que... --

... certes, admit le capitaine en refermant sa robe de chambre. Mais c’est l’intention qui compte, non ? Et si ce foutu Introducton n’était pas tombé en panne, et si la liaison à particules quantiques de la Terre ne s’était pas tue, on aurait sûrement fait de notre mieux !

--

De toutes façon, on va bientôt être fixé, sir ! fit Brossard. Le service technique de l’astroport vient de déverrouiller la porte opposée.

--

Très bien, faites savoir aux émissaires de la Cellule que je n’en ai que pour une petite minute, fit Tipek en se dirigeant vers sa cabine.

--

Euh... Sir, je crois que vous n’aurez pas droit à votre minute, fit Von Dutch d’un air ahuri.

--

Comment ça ?

--

Bin, là ! Regardez les écrans de contrôle du sas !

--

Nom de... souffla Tipek entre ses dents.

Stupéfait, le capitaine regarda le commando de grauïdes de combat prendre possession du vaisseau. Une centaine de robotech d’un blanc luisant avaient en effet infiltré le vaisseau, contrôlant les points névralgiques de l’appareil. Et, déjà, au bruit du pas cadencé martelant le sol en bénélacier, on pouvait entendre le commando arriver dans l’infirmerie. À la tête de l’armée de grauïdes, un homme en combinaison NBC vint à la hauteur de Tipek, qui se demanda si sa robe de chambre n’était pas un peu trop flag. 303


--

Capitaine Iglésio Tipek, matricule HüG-290-GRONK ? fit l’homme à travers son vocodeur sonique.

--

Lui-même, fit Tipek. Puis-je savoir ce que signifie cette intrusion quasi-hostile d’un vaisseau ami de la Cellule, de retour de mission ?

--

Au nom du Sénat Intergalactique et du Parlement de la Cellule, en raison de votre retard de plusieurs mois sur le plan de vol, ainsi que l’absence totale de communication depuis le saut télémétrique du point Alpha, je me vois obligé de vous mettre, vous et la totalité de votre équipage, en état d’arrestation pour désertion et ce, jusqu’à plus ample information.

--

QUOI ? C’est ainsi que vous traitez le meilleur équipage de la Cellule ?

--

Veuillez demander à vos hommes de bien vouloir me suivre sans opposer la moindre résistance, capitaine. À moins que vous ne souhaitiez vraiment compliquer la situation ? fit l’homme derrière son päre-brïse fumé.

--

Hem, non, c’est bon, fit Tipek en voyant l’un des grauïdes de combat se munir d’une grosse corde avant de mettre en place une chaise percée sur le sol de l’infirmerie.

--

Sage décision.

Quelques instants plus tard, tout l’équipage de l’Amérion marchait en file indienne dans un couloir de transparostafa qui donnait sur les pistes de l’astroport de Lag Raushell, lequel s’était encore agrandi depuis leur départ. Comme c’était bon de revoir la Terre ! Quel bonheur inextinguible, malgré cette escorte de grauïdes aussi patibulaires que vindicatifs. Klebz avait eu le malheur d’en regarder un de travers, et il s’était fait électrifier la truffe sans autre 304


forme de procès. Hal, de son côté, était sur un petit nuage : malgré les menottes psychiques qui lui ceinturaient les antennes, il était ivre de bonheur de revoir le monde-capitale, le triomphe de la technologie et de la démocratie qui stabilisaient la galaxie, faisant rayonner la République à travers l’espace intersidéral ! Après trois bons quarts d’heure passés sous bonne garde dans le métro surchauffé, l’équipage de l’Amérion descendit à la station "Parlement" sous la menace des armes qui, elles aussi, semblaient avoir progressé, remarqua Brossard devant un fusil d’un genre nouveau. Tandis que tous ses coequipiers étaient mis au fer dans la zone des prisonniers politiques, Tipek fut mené devant Palpoutine, le Chancelier Suprême de la République. Sans un mot, Tipek essaya de soutenir son regard mais, très vite, il se rendit compte qu’être ainsi menotté et en robe de chambre entrouverte jusqu’au séant ne permettrait pas d’impressionner qui que ce fut. --

On me fait savoir, renifla Palpoutine, que vous avez déserté les rangs de la Cellule, non sans emmener avec vous l’un des fleurons de la flotte, l’USS Amérion ?

--

C’est démentiel, Chancelier ! Je n’ai PAS déserté ! D’ailleurs si c’était le cas, je ne serai pas revenu me poser comme une fleur à Lag Raushell !

--

Comme une fleur ! Vous en avez de bonnes, vous ! Alors que vous avez tellement loupé votre approche que les aiguilleurs ont cru à une tentative de fuite ! Et au moment de l’atterrissage et de l’ouverture automatique des portes, vous avez décapité la tour de contrôle n°4 et pulverisé le terminal 9 !

Tipek ne dit mot. Soudain, tout prenait sens. Klebz avait *encore* 305


loupé sa manœuvre – quel manche à balloches, celui-là ! – mais, surtout, Tipek se souvenait du Terminal 9. À leur départ, ce nouveau terminal de haute technologie capable de placer à lui seul douze trilliards de tonnes en orbite héliosynchrone, était encore en construction. C’était un projet titanesque, pharaonique, qui avait coûté les yeux de la tête, et qui devait être baptisé du nom de... du nom de... bin, du nom du Chancelier Suprême Palpoutine. ***

306


39

Verdict

307


Le capitaine Tipek n’en menait pas large. Tandis que Palpoutine le sermonnait, il réfléchissait aux terribles sanctions disciplinaires des forces armées de la Cellule. La désertion n’était pas tellement le genre de plaisanterie qui amusait la Cour de’Martial, et l’évocation des épouvantables peines encourues lui coupa le souffle. --

... et tout ça pour quoi ? ... Tipek ! Je vous ai posé une question !!! brailla le Chancelier.

--

Hein euh bin euh...

--

J’aime mieux vous dire, capitaine, que si votre journal de bâbord ne révèle rien d’intéressant, même le plus petit fait qui pourrait éventuellement justifier ce long voyage – presqu’un an, excusez du peu –, vous allez passer un certain temps à l’ombre.

Le Chancelier avait retrouvé son calme, ce qui était plutôt mauvais signe. La sentence allait tomber d’un instant à l’autre. Tipek eut toutefois une petite pensée pour son équipage, qui serait probablement relâché sous peu. Il ne savait s’il devait remercier ou maudire l’organisation de la Cellule, extrêmement autocratique, qui désignait un capitaine comme seul responsable de la plupart des exactions commises sous son commandement, mais qui du coup permettait à un supérieur de décider seul du sort des subalternes. En effet, le Chancelier était plus ou moins le supérieur de Tipek, et celui-ci ne pouvait espérer un procès de type civil. --

Ah, voici l’adjuvant Prouprou, qui a décrypté votre journal de bâbord.

Un petit être chafoin pénétra dans la pièce. Il portait un uniforme bleu nuit, et son visage était souligné d’un collier de barbe broussailleuse. Son crâne, presqu’entièrement dégarni, laissait 308


libre cours à l’imagination des mouches qui le suivaient. Il déposa sur le bureau du Chancelier un boîtier noir, composa un code sur la clavier qu’il portait au cou, puis disparut. Tipek commençait à avoir mal aux jambes, à force de rester debout, et envia l’adjuvant Prouprou qui menait probablement une vie bien paisible. Au-dessus du boîtier noir, une image en trois dimensions se forma lentement, imparfaite, révélant une carte spatiale constellée de symboles de navigation. Lorsque l’image fut stabilisée, le Chancelier s’en approcha avec un sourire mauvais. --

Alors... Voyons voir...

Le Chancelier déglutit péniblement. Sa main tremblante agrippa le dossier de la chaise monobloc destinée d’ordinaire aux invités des basses castes. Il tourna vers Tipek un visage incrédule mais terrifié, duquel toute trace de moquerie avait disparu. Tipek soutint ce regard un moment, puis hésita à poser la question qui lui brûlait les lèvres. Le Chancelier chancela, ce qui ne surprit pas vraiment le capitaine, puis contourna son burlingue pour s’asseoir et se servir un grand verre d’une liqueur parfumée. --

Vous êtes conscient de ce que cela implique, capitaine ?

S’abstenant de répondre, celui-ci pensa qu’il ferait mieux de ne pas montrer qu’il ignorait totalement de quoi parlait le Chancelier. Histoire de garder un avantage, à tout hasard. --

Capitaine, vous avez exploré plusieurs mondes, mais aucun de ceux-ci n’est répertorié sur notre système BABAR de reconnaissance des mondes. Savez-vous pourquoi ?

Tipek l’ignorait, mais il savait en revanche que Palpoutine était Chancelier non seulement en raison de ses étonnantes capacités psychiques mais également à cause de sa compréhension innée 309


des sciences et autres techniques modernes. Il avait ainsi une autorité sur la plupart des problèmes de la société actuelle. --

Je l’ignore, Chancelier.

--

Parce que, d’après votre journal, ces mondes n’appartiennent pas à notre dimension.

Les éléments du puzzle s’assemblèrent soudain dans l’esprit de Tipek. L’absence de communication, les rencontres étranges sur des mondes inconnus... Une question restait sans réponse : pourquoi ? Une avarie de l’Introducton avait sans doute été la cause de leur premier saut d’une dimension à l’autre, mais comment diable avaient-ils pu regagner leur dimension d’origine ? Un seul nom lui vint à l’esprit. Maïkeule.

FIN 310


40

Épilogue

311


Tipek arpentait les couloirs du haut-commandement des forces de la Cellule avec anxiété. Encadré de deux grauïdes de combat, vêtu de son uniforme de cérémonie, il envisageait le pire. L’entrevue avec le Chancelier s’étant terminée brutalement, cette convocation ne pouvait signifier qu’une seule chose : le problème relevait de l’Hyper-Conseil, qui s’était sans doute réuni aujourd’hui pour prononcer la sentence. Cette foutue sentence, songea Tipek. Allez, qu’on en finisse, se dit-il en frappant à la porte du bureau du Chancelier. --

Entrez !

Tipek poussa la porte, une antique porte en bois même pas motorisée, et faillit pousser un beuglement de stupéfaction. Son équipage au grand complet était réuni, et là où, logiquement aurait dû siéger l’Hyper-Conseil, il n’y avait "que" le Chancelier qui brassait des papeurasses d’un air affairé. --

Asseyez-vous, Tipek, fit-il sans même lever le nez de son bureau.

Tipek prit place à côté de ses camarades, complètement scié : le Chancelier s’était mué en une espèce de fonctionnaire. --

Capitaine Iglésio Tipek, compte tenu de vos récents rapports ainsi que de ce qu’ils impliquent, et aussi du journal de babord de l’USS Amérion, je me vois dans l’obligation de vous retirer des forces armées de la Cellule...

Dégradé, pensa Tipek en ravalant ses larmes.. Si maman me voyait... --

312

... pour vous intégrer dans le Service Légal d’Information des Basses et Hautes Affaires Régulières. Le SLIBHAR, vous connaissez ?


Tipek releva le nez. Le SLIBHAR était un des plus prestigieux services de rensignement de la Cellule, mais aussi le plus secret. Personne ne savait vraiment qui y faisait quoi, ce qui occasionnait parfois certains problèmes organisationnels. Mais les membres du SLIBHAR avaient, disait-on, carte blanche pour leurs agissements, et aussi des tickets-restaus. --

Vous serez affectés au commandement de l’USS Amérion avec comme première mission l’exploration d’autres dimensions. Vous aurez bien évidemment un rôle de chercheur dans un premier temps, ainsi qu’un rôle de diplomate. Nous avons d’ailleurs composé un équipage à la mesure de votre mission. Tous les détails sont dans ce dossier, termina le Chancelier en poussant une épaisse liasse de papeulards vers le capitaine.

Tipek tourna un oeil ému vers ses compagnons goguenards. Même Good-Dog était là. Il prit le dossier de mission en se levant, ainsi que les clefs de l’USS Amérion, salua le Chancelier, sortit de la pièce suivi de ses compagnons, et prit la direction de l’astroport. ***

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Prémices........................................................................1 Équipage........................................................................7 Journée ordinaire.........................................................15 Saut..............................................................................21 Environs.......................................................................27 Approche......................................................................33 Impact...........................................................................39 Surface.........................................................................45 Coteless-1....................................................................57 Rencontre.....................................................................65 Les dominautes............................................................71 La horde.......................................................................79 Cheat Code..................................................................87 Interlüde.......................................................................97 Le Nouveau Monde....................................................101 Contact....................................................................... 115 Disparition..................................................................127 Rituel..........................................................................137 Pause de prison.........................................................147 PRISON BREAK........................................................153 Poisson Cake & Irritations..........................................165 Espoir.........................................................................173 CRETAION-1..............................................................179 314


Guéguerre..................................................................195 Good-Dog...................................................................203 Désespoir...................................................................209 Rencontre (eugaine)...................................................221 Apéro avec les Finfoniens..........................................233 Mystère et bonne descente........................................239 Réveil.........................................................................247 Fin du mystère............................................................253 Introducton.................................................................259 Épave.........................................................................265 AGC-712....................................................................271 La boulette..................................................................279 On rentre chez maman...............................................285 La Grauxünelle...........................................................291 Terre...........................................................................301 Verdict........................................................................307 Épilogue..................................................................... 311

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Les aventuriers de l'Amérion Lorsque le capitaine Tipek reçoit l'ordre de rallier la Tutuvie pour y sauver le monde, il constitue bien vite un équipage à la mesure de cette ambition. À bord de l'USS Amérion, fleuron de la flotte terrienne, la vie semble paisible et le voyage s'effectue sans encombres. Les alentours de la Tutuvie sont calmes, et nul menace ne semble vouloir les troubler. Mais bientôt, les questions se posent et ne se ressemblent pas. Quel est donc cet invisible péril qui menace les mondes connus ? Pourquoi la Terre observet-elle un silence radio des plus inquiétants ? Et, surtout, comment fonctionne la cafeutière de bord ?


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