Estonie 2015

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Estonie, mai 2015 En mars, alors que j’étais encore en Thaïlande pour mon stage Divemaster, je reçois un mail d’un certain M. qui a vu mes simulations numériques de sauna sur internet, et il me dit qu’il est intéressé. Il enseigne les mathématiques appliquées (méthodes numériques) à l’université de Tartu, en Estonie. Il trouve que c’est un bon sujet pour essayer d’intéresser ses élèves estoniens, très portés sur le sauna. On discute un peu et, au bout de quelques mails, il m’invite en Estonie pour présenter mes travaux de simulation numérique de sauna. C’est intéressant mais quand même éminemment bizarre : il propose de tout me payer, billets d’avion, bouffe et hôtel, le tout pendant une semaine. Qui lâcherait ~1000€ pour inviter un type même pas universitaire (ni même docteur) pour venir donner une conférence totalement obscure sur un sujet tout de même un peu idiot (il faut bien l’avouer) faite par un ingénieur lambda tout seul dans son coin ? Bon, il se trouve que mes travaux sont faits sérieusement, que l’ébauche d’article que j’ai uploadée sur arXiv n’est pas débile, que je suis quand même loin d’être une burne, mais objectivement, vu de loin, personne ne peut en juger franchement, et le sujet reste quand même assez franchement débile. Donc, je m’interroge, j’essaye de comprendre. M. continue de me dire de manière ingénue que c’est pour intéresser ses élèves. C’est un grand Kenyan de 2 m de haut (je l’ai checké sur Google) qui n’a pas l’air méchant mais c’est quand même foutrement bizarre. Et puis, l’Estonie, c’est à quelques kilomètres de la Russie, et je travaille dans le nucléaire, donc je me demande si c’est pas un coup tordu… Mais bon. Je me laisse tenter. Je pose une semaine de congés, et à moi l’Estonie. Il y a un vol de ~3 h pour Helsinki en Finlande, puis encore 45 min de vol dans un petit coucou à hélice pour rejoindre Tartu en Estonie. Il n’y a que 3 passagers dans l’avion. On nous sert du jus de myrtille. Il fait un temps extraordinaire.


À l’arrivée, mon sac n’est pas là. Je sais que quand les services secrets montent un coup, c’est une façon de fouiller tes affaires. J’ai pris l’avion des dizaines de fois dans ma vie si ce n’est plus et je n’ai jamais eu de problème de bagages à l’arrivée, et là j’en ai un. Sans être parano outre mesure, ça renforce mes interrogations. J’avais mon ordinateur-tablette sur moi, donc il n’a pas disparu avec mon sac. Je suis seul à l’aéroport, un petit vieux me file un kit de « survie » avec une brosse à dent, un t-shirt, un caleçon, un rasoir et une pochette pour iPad… Il me dit qu’on me livrera mon sac plus tard à l’hôtel (ce fut effectivement fait le lendemain). Je prends le bus pour la ville, je trouve l’hôtel facilement. C’est grand, propre, bien, assez classe. Je suis plus ou moins le seul client, apparemment.

M. me rejoint et paye l’hôtel pour la semaine. On part boire un coup et dîner dans un petit resto sympa et pas cher du tout (c’est l’Estonie). M. est très sympa, tout à fait normal (si on fait abstraction du fait qu’il vient d’inviter un inconnu pour une semaine dans un pays étranger pour des motifs tout à fait bizarres). Le lendemain, on visite un peu l’université, il me présente quelques collègues, mais c’est globalement très vide : l’année scolaire est plus ou moins terminée. Il a prévu la fameuse conférence sur mes travaux, la visite d’une usine de saunas à bois en forme d’igloo (Iglusaun), à quelques kilomètres de Tartu, une séance de sauna à fumée avec un de ses collègues dans un ancien sauna « noir » à la campagne, et c’est à peu près tout. Je vais pouvoir glander fort cette semaine, marcher un peu dans la ville et profiter du super centre de sauna du coin. Bref, tout va bien, mais ça reste super bizarre. Il m’emmène déjeuner dans un resto chinois assez immonde. Puis il a des choses à faire, donc je pars me balader en ville.


À l’hôtel, je suis le seul client, comme je l’ai dit. Le personnel est rare, rase les murs, très fantomatique. Drôle d’ambiance. Au petit-déjeuner, il y a des montagnes de bouffe, préparée pour moi seul sous forme d’un buffet géré par une vieille grosse à l’air patibulaire, qui ne dit pas un mot mais qui m’observe, et semble furax quand je me lève pour me servir, comme si la bouffe était là juste pour faire joli et que je ruinais son œuvre. Grosse pression… C’est parti pour la « conférence ». C’est dans une partie de l’université un peu excentrée, loin du centre historique. On traverse la ville. Des maisons modernes côtoient des maisons en torchis encore habitées issues de l’ère soviétique… C’est vraiment curieux. On arrive à l’université. C’est gigantesque, classe, beau, ultra moderne (et payé par l’Union européenne). Il y a un autre intervenant, Vahur Zadin, qui présente la simulation d’un procédé de séchage du bois, mais il fait court car aujourd’hui, la « star », c’est moi ! Enfin, star, c’est un bien grand mot : il n’y a pas grand-monde, il doit y avoir une dizaine de personnes à tout casser. Je ne suis pas surpris. Le chef de M. est malade et n’a donc pas pu venir. La présentation est filmée et disponible sur internet. Tout ça n’a aucun sens, mais tant pis, je déroule ma présentation sur une heure environ. Le (rare) public est conquis. Les slides de ma présentation sont ici. Le rapport principal de base est ici. Le lendemain, visite d’Iglusaun. M. n’a pas son permis international à jour, et moi je n’ai pas mon permis tout court, donc on y va en bus. Je m’attendais à ce que ce soit une vraie galère, mais bon, easy, même si les routes de campagne sont quand même bien déglinguées. Iglusaun a réquisitionné une vieille usine de tracteurs soviétiques. L’atmosphère est étrange, mais les saunas sont vraiment classes, la visite est très sympa.


Malheureusement, ils ne sont pas intéressés par mon approche scientifique du sauna, eux ils construisent et vendent puis basta. Mais je m’en doutais, c’est le contraire qui m’aurait étonné. Je leur montre quand mêmes mes simulations, ils croient que c’est de l’imagerie thermique alors que c’est totalement virtuel, comme quoi, c’est déjà ça : c’est hyper réaliste.


On rentre en taxi. Le coffre du mec est rempli de saucisses, non réfrigérées, normal, quoi. Tartu est envahie par d’énormes oiseaux noirs, des corbeaux je dirais. De vraies nuées. C’est impressionnant, la ville est comme prise d’assaut. Les volatiles ne sont pas sympathiques du tout, il règne une vague sensation de peur sur la ville. Très bizarre. En résumé : à l’hôtel, c’est Shining, et dans les rues, c’est Les Oiseaux ! Bonjour l’ambiance… donc je me réfugie au sauna ^_^. Le dernier jour, je déjeune avec M. et son chef, qui tenait quand même à me rencontrer après la conférence qu’il a manquée. C’est sympa, on discute de choses et d’autres, on parle un peu nucléaire (mais je ne dis que des généralités). C’est M. qui invite. Je rentre donc en France après ces quelques jours éminemment bizarres mais tout de même fort sympathiques.


Depuis l’Estonie, j’ai travaillé avec l’université de Tampere en Finlande à faire de la validation physique du logiciel Fire Dynamics Simulator sur une véritable expérimentation de sauna, scientifiquement maîtrisée. Le draft de l’article que j’aimerais publier à terme est ici, et ça commence à être du sérieux – bien plus que ce que j’ai présenté à Tartu. Ci-dessous un copié-collé de mails envoyés aux potes, en forme de compte-rendu de saunas. ### Premier sauna en Estonie aujourd’hui, donc. Il y a une partie cul nu (signalée par un slip barré sur la porte, très drôle ^_^), non mixte et une partie « habillée » mixte. Dans la partie non mixte on est tous à poil, donc, ce qui est très bien. Il y a quelques irréductibles, mais bon. Gros jacuzzi bien bouillonnant (@Bulk : laisse tomber comment je me suis fait poulper la gueule). Petit sauna gay à 45°C. Oui, sauna, pas hammam. Globalement très nul, à part une aspersion d’huile essentielle aux herbes japonaises toutes les 5 min, mais rien de transcendant. Bon gros hammam à 45°C avec


une vapeur à couper au couteau, de la belle céramique, pas de plastique, bref, pas mal. Et puis, le sauna. Le vrai. 5 m sur 4 m sur 3 m de haut. Quadruple étage de bancs. Un distributeur de sous-culs à l’entrée, que tu jettes en sortant. 85°C bien tapés. Des Estoniens qui foutent trois louches toutes les minutes. Des vapeurs colossales. Et une putain de maîtrise du geste : ils jettent les louches à deux bons mètres de distance, dans un geste façon fouet, et ne foutent rien à côté, le « bloc » d’eau se translate sans la moindre déformation depuis la louche jusqu’aux pierres. Propres, les mecs. On sent la maîtrise ancestrale. Pas de bain glacé mais des douches très froides dont une douche au bucket : tu tires une cordes et 50 litres glacés te démontent la gueule. Excellent ^_^. Dans la partie mixte, indiquée par un slip non barré sur la porte : un sauna à 60°C. Tu rentres, et tout de suite tu te dis : « Pfff, c’est nul, ici. » Puis tu t’assoies. Et là, tu pleures : la céramique à 60°C ça te cuit le fion mon gars. Serviette non obligatoire mais difficile de faire sans. Lumière verdoyante, musique zen. Pépouze. En dehors du sauna : une petite allée d’eau glacée avec des galets qui massent les pieds. Chelou. Puis une zone pour glander, bien calé sur un siège en céramique, face à une baie vitrée devant le centre-ville. Tout le monde dehors te voit en slip, donc. Strange. Musique zen et bruit de mouettes enregistrés. Strange mais stylé. Bref, c’était sympa. 6,50€ la séance. Et ça ferme à 22h. Eux, ils respectent le client, ça change des saunas français qui ferment à 17h45... ### Bon alors hier soir on est allé au sauna à fumée, avec M. (l'universitaire qui m'a invité, un kenyan très sympa) et X (on va l'appeler comme ça, son prénom est imprononçable), un de ses collègues géographes (@Bulk : un pur clone physique de #Sushec ^_^), qui conduisait comme un vrai connard, on a failli se mettre au tas sévère plusieurs fois. C'était paumé dans la pampa, du coup, bah… on s'est paumé. En même temps, c'est un vieux bâtiment centenaire comme tout le reste dans la campagne, avec zéro indicação, donc bon. On est arrivé avec deux heures de retard vu qu'on a pas mal loosé dans la journée. Le sauna était heureusement encore chaud. Il prend 8h à chauffer. Le four recrache toute la fumée dans le sauna. Une fois très (très) chaud, la fumée est évacuée et on peut y aller. Il y a des dépôts noirs partout et ça sent super fort. Pas mauvais, mais super fort quand même. Et évidemment ça pique un peu les yeux. En fait, c'est un peu comme un sauna à bois classique qui se mettrait à fumer... du coup bah c'est un bon délire mais c'est pas le type de sauna que je préfère. Et je me demande si 10 minutes làdedans c'est pas l'équivalent de 10 cartouches de clopes...


En plus on n'avait pas d'eau car X qui devait tout gérer n'avait à peu près rien géré (il avait quand même amené des venickis, mais des frais, pas séchés, donc bon). J'ai bu dans la rivière, avant qu'un voisin du champ d'à côté ne vienne nous livrer un grand bocal d'eau de 5L, sympa! En plus de la salle chaude, il y avait une grande salle tiède, avec table, chaises, et le bac d'eau chaude (brûlante) chauffé par le four qui est chargé côté salle tiède. Pour les louches : on utilise une vieille casserole déglinguée (le bruit aurait beaucoup plu @Züb). Tu ouvres une trappe du four et tu fourres la flotte direct dedans avec ta casserole en essayant de "viser le fond" (paye ton explication...) Ensuite, il faut reculer très vite car la vapeur brûlante te fonce dessus en ressortant. Enfin, ça, c'est la théorie, là il devait pas être ultra chaud, c'était pas dangereux. Pis ça chauffait pas beaucoup. Alors j'ai mis 2, 3... 5 casseroles. Et là on a pleuré nos mères, surtout que le nuage reste super longtemps vu que le truc est super bien étanche... La rivière : à environ 30 m, donc tu te refroidis déjà pas mal avant d'y arriver, c'est chiant. Ensuite, c'est très peu profond, genre 50 cm, donc tu peux pas sauter. Pis y a des cailloux qui niquent les pieds. Bref, c'est décevant, rien n'a été aménagé sérieusement de ce côté. On est resté 2h30 pis on a décidé qu'on avait notre dose et on est rentré. Aujourd'hui, après deux douches hier et une today, je sens encore la fumée. La chambre de l'hôtel empeste, j'ai beau aérer, ça part pô! Bref. Je suis allé me faire fumer.


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