septembre 2018 - N°11
? I O U Q R POU E N I O MATRIM
FOZ XI
Edito
Es ou sav ? OU SE TROUVENT… 1. le rond point Lumina Sophie : ☐ Rivière-Pilote ☐ Schoelcher ☐ Vauclin 2. le lycée Lumina Sophie : ☐ Rivière-Pilote ☐ Marin ☐ Schoelcher 3. le groupe de 3 statues (Lumina, Telga et l’Insurgé inconnu) commémorant l’Insurrection du Sud : ☐ Rivière-Pilote ☐ Fort de France ☐ Saint-Esprit 4. la place Paulette Nardal à Fort-de-France : ☐ Croix-mission ☐ Bord-de-mer ☐ Lazil 5. le Rond-Point Les Charbonnières à Fort-de-France : ☐ Cluny ☐ Sainte-Thérèse ☐ Bd Gal de Gaulle
Réponses : 1) Schœlcher ; 2) Schœlcher ; 3) Rivière-Pilote ; 4) Lazil ; 5) Ste-Thérèse
Oui, nous avons décidé que cette mi-septembre ne sera pas seulement la journée du patrimoine, mais qu’elle sera aussi celle du Matrimoine. Comme d’habitude, la langue française donne la priorité (voire l’exclusivité) aux hommes. En effet dans le mot patrimoine (biens hérités des parents), nous trouvons la racine « père ». De même, jusqu’en juin 1970, on parlait de l’autorité paternelle, du chef de famille… Les mères ? occultées. Aucune femme - tant autrice, artiste, architecte, comédienne, actrice de notre histoire, qu’anonyme - n’est mise en avant. Honorer le matrimoine c’est rendre visible l’héritage culturel des femmes, leur contribution au développement social, politique, économique, culturel de notre société. Cela permet à leur descendantes d’aujourd’hui de s’emparer de ces histoires, de s’identifier à elles pour continuer à œuvrer et à porter leur pierre à un monde d’égalité et de justice. Nous appelons les autorités politiques, les municipalités à instituer cette journée du matrimoine à côté de la journée du patrimoine. Il faudrait que les administré.es se réunissent, s’organisent et fassent le point sur les femmes de leur commune qui méritent d’être connues, d’être racontées. Combien de rues portent le nom d’une femme dans leur commune ? Quels métiers occupaient les femmes ? Quelles étaient leurs conditions de travail ? de vie ? Quels combats ont-elles menés ? Quel héritage culturel nous laissent-elles ? Pour apporter notre contribution à la connaissance de notre histoire, pour que notre société marche sur ses deux pieds, à Culture Egalité, nous célébrons notre journée du matrimoine en mettant à l’honneur, pour les 170e anniversaire de la naissance de Lumina, trois femmes qui vécurent entre le 18e et le 20e siècle : sa grand-mère Reine Sophie, sa mère Zulma et elle-même, Lumina. Voici leur histoire.
Espace pour les femmes Mesdames, jeunes filles, vous rencontrez une difficulté, vous ne savez quoi faire, vous ne savez où vous adresser, ou bien vous avez besoin de parler ? APPELEZ : 0696 53 71 16 et 0596 35 46 01
Agenda
SAMEDI 15 SEPTEMBRE - 18H Journée du matrimoine et du patrimoine : Veillée littéraire en hommage à Lumina Sophie et l’insurrection du Sud @ Un Œuf MERCREDI 3 OCTOBRE - 18H Projection de film : « Ouvrir la voix » @ Petit théâtre de la ville Croix Mission (TOM) JEUDI 13 OCTOBRE - 17H Carbet de l’égalité (Non mixte) : « Moi Jane, toi Tarzan ! La séduction en question » DIMANCHE 21 OCTOBRE - 8H Randonnée matrimoine « Les femmes en résistance, 1834 Anse Spoutourne- 1923 Habitation Bassignac » @ Trinité MERCREDI 7 NOVEMBRE - 19H Projection de film : « Ne dis rien » @ Un Œuf DIMANCHE 11 NOVEMBRE @ VAUCLIN Célébration des 170ans de Lumina Sophie Marche de niveau 1, rdv. 8h30 Pique-nique // Temps libre et convivial à 12h SAMEDI 24 NOVEMBRE, Table Ronde : Les violences envers les femmes (Mixte) DIMANCHE 25 NOVEMBRE Journée internationale pour l’élimination des violences envers les femmes : « Tu subis sa violence ? Pa rété #Tunespaseule »
De mère en fille, trois femmes fortes
Dans la famille de Lumina, je demande la grand-mère !
Reine Sophie est née esclave, probablement vers 1775, sur l’habitation Baie des Anglais. Par crainte de l’abolition décrétée en 1794 par la Convention, ses maîtres l’emmènent dans l’île de la Dominique. Mais, la loi ne sera pas appliquée à la Martinique, livrée aux Britanniques par les colons. A leur retour vers 1802-1803 (à la fin de l’occupation anglaise), elle est revendue et affectée à l’habitation sucrerie du Lau et de Corn, dite aussi La Broue, située dans les basses terres du Vauclin. A l’Abolition, Reine Sophie est à la tête d’une famille de quatre enfants : Eusèbe William, l’aîné, est charpentier et a pour compagne Niride, couturière ; Joséphine Modestine a pour compagnon Édouard Frédéric, tonnelier ; Raymond Symphor est charpentier et sa compagne, Edwide, est couturière, enfin Zulma, la mère de Lumina, est couturière et cultivatrice. Cependant, malgré ces qualifications, pour conserver la jouissance des cases et échapper au délit de vagabondage, les ex-esclaves sont obligés de se lier à l’habitation par un « contrat d’association » et toute la famille, femmes et enfants compris, doit participer aux travaux de la canne. Mais ce contrat leur permet aussi de continuer à cultiver, sur de micro parcelles, le « jaden bo kay » où les femmes de la famille, sous la houlette de Reine Sophie, récoltent produits vivriers et potagers, plantes médicinales ; ainsi que le « jardin-nègre » où les hommes se livrent, à la lisière de l’habitation, à la culture des gros légumes (fosses d’ignames) et même de caféiers, cacaoyers et bananiers. Cette double activité permet de dégager un petit surplus que l’on peut écouler au bourg où l’on pourra faire l’acquisition de morue, viande salée, saindoux... Reine Sophie meurt sur l’habitation La Broue, le 19 mars 1855, à l’âge de 80 ans. Dix ans après l’Abolition, elle laisse une descendance en voie d’ascension sociale (sauf peut-être Zulma, seule avec ses deux enfants). L’un de ses fils, Raymond Symphor, a même été conseiller municipal pendant l’année 1849.
Et maintenant, la mère ! Marie Sophie dite Zulma est née esclave en 1815, sur l’habitation La Broue. C’est la dernière-née de Reine Sophie. Déjà mère d’un fils prénommé Titus, elle accouche, le samedi 5 novembre, d’une fille, Marie Philomène Sophie, qui sera surnommée Lumina (diminutif de Philomène) et Surprise (peut-être parce que, conçue sous l’esclavage, elle est née libre !) Le 09/04 1949, Zulma acquiert avec le reste de sa famille le nom de Roptus qui devient aussi celui de sa fille. Après l’Abolition, Zulma se loue, avec tout le reste de sa famille, sur l’habitation La Broue de même que Titus (16 ans). A la suite de la mort de Reine-Sophie, qui signe la dispersion de la famille élargie, elle quitte elle aussi La Broue avec ses deux enfants et s’installe sur les hauteurs escarpées du Vauclin, au lieu-dit Champfleury, à la limite du quartier Jossaud de Rivière Pilote. Aussi se considèret-elle plutôt comme pilotine. Dotée d’une énergie considérable, elle a plusieurs cordes à son arc. Elle est couturière de campagne. Elle est « cultivatrice », c’est-à-dire qu’elle cultive son « jaden bo kay », élève quelques volailles mais se loue aussi, parfois, en tant que journalière, sur les habitations voisines. Elle est aussi marchande et vend les surplus de son jardin à Jossaud et au bourg de Rivière Pilote.
Titus s’est installé près d’elle avec sa compagne Honorine Lafortune de qui il aura quatre enfants. Après avoir pu s’acheter une minuscule parcelle de terre, il l’épousera. Surprise, en grandissant, accompagne sa mère les jours de vente au marché, apprend d’elle des rudiments de couture et sait aussi bien pratiquer les travaux agricoles du « jardin » que se louer lors de la récolte de la canne, du café. Faute de moyens, Zulma n’avait pas pu la faire instruire mais elle avait su au moins lui épargner la vie des « petites bandes ». Zulma décède en 1885, soit 6 ans après sa fille. Elle est enterrée au cimetière de Jossaud.
Enfin, Lumina Sophie dite Surprise ! Elle naît le 5 novembre 1848, au Vauclin. Son nom pour l’état-civil est Marie-Philomène Roptus. Mais toute sa vie elle sera appelée simplement de son diminutif, Lumina et même de son surnom, Surprise. Auprès de sa mère, elle a appris la couture, mais aussi à travailler sur les habitations, à cultiver le jaden bo-kay et à en vendre les surplus sur les marchés. Elle loue dans le bourg de la Rivière Pilote une petite pièce qui lui sert de dépôt pour ses travaux de couture et pour les produits agricoles de sa mère. Ce pied à terre est aussi son chez soi, gage de son autonomie. Elle est depuis peu la concubine d’Emile Sydney, issu de ces familles de libres de couleur d’avant l’abolition de l’esclavage. A l’âge de 21 ans, enceinte de moins de deux mois, elle est dotée d’une forte résistance physique qui lui vient de sa pratique quotidienne des longs déplacements à pied. Elle a aussi une forte personnalité, un caractère irascible, une puissante énergie et une grande liberté d’allure… Elle joue un rôle majeur dans l’insurrection du sud. On la décrit stimulant les troupes, menaçant les hésitants, et désignant les habitations à occuper et à brûler. Mais le mouvement est maté dans le sang et elle est arrêtée le 26 septembre 1870. Lors du procès, on la surnomme « la flamme de la révolte », mais on refuse de lui reconnaître son rôle de cheffe. Au jugement du 8 juin 1871, elle est jugée parmi les «incendiaires », les « pillardes », les « sanguinaires » mais aussi comme « blasphématrice » et « meneuse ». On lui reproche surtout de vouloir dominer les hommes et de ne pas se conformer à l’image de douceur, de soumission que doit avoir toute femme. Elle accouche à la prison centrale de Fort-de-France d’un garçon dont on la sépare et auquel l’administration pénitentiaire donne avec désinvolture le nom de Théodore Lumina. Condamnée aux travaux forcés à perpétuité pour incendie, elle est déportée le 22 décembre 1871 vers le bagne de Guyane. Son fils meurt peu après. On la marie avec un bagnard originaire du nord de la France, dans l’espoir qu’elle participe au peuplement de la Guyane ! Mais, épuisée par les dures conditions de vie, elle meurt en 1879, à l’âge de 31 ans. D’après les ouvrages de Gilbert Pago : « Lumina Sophie dite Surprise » et « L’insurrection de Martinique »
Fanm Ouvè Zié'w N°11
Directrice de la publication : Huguette Bellemare Coordinatrice : Huguette Bellemare Mise en page : Gaële Coquille Rédactrices : George Arnauld, Huguette Bellemare, Sybill Fondelot Mail : asso.culture.egalite@gmail.com Tél : 0696 53 71 16 / 0696 34 46 01 // www.cultureegalite.fr culture.egalite
Culture Egalité
Culture Egalité