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L’après-Covid-19 : apprenons de l’expérience chinoise

L’économie de la Chine, en particulier dans la région du Hubei, a connu ces dernières semaines un ralentissement sans précédent dû à la pandémie. La situation sanitaire dans le pays étant stabilisée, les activités reprennent… mais l’économie a changé. Décodage des facteurs de succès et des enseignements à tirer.

Le 23 janvier dernier, la ville de Wuhan se retrouvait coupée du monde en raison du coronavirus. Les mesures restrictives se sont étendues au reste du pays dans les sept jours qui ont suivi. Il aura fallu attendre deux à trois semaines pour que ces mesures montrent leurs premiers effets et près de deux mois pour que le pays commence à apercevoir le bout du tunnel. En attendant, l’économie et la société ont dû se réorganiser. Que peut-on apprendre l’expérience chinoise?

«Le mot chinois «crise» est composé de deux caractères: wei ji: Le premier représente le danger, le péril, la crise. Quant au second , il représente la chance, l’occasion, l’opportunité. Ainsi, la philosophie veut que de chaque crise naît une opportunité. » C’est ce que nous dit Aline Ballaman-Garibian, directrice des Swiss Centers en Chine, que nous avons contactée pour avoir un éclairage de l’intérieur sur la situation économique. Bien que les entreprises aient l’autorisation de travailler depuis le 10 février (à l’exception du Hubei), d’importantes contraintes ne permettent pas à ces dernières d’être complétement opérationnelles à ce jour.

De nombreux employés rentrés dans leurs régions d’origine pour le Nouvel An chinois se sont retrouvés confinés loin de leur lieu de travail, ce qui a eu un impact majeur sur la disponibilité de la main-d’œuvre après les Fêtes. Si une majorité de collaborateurs est aujourd’hui de retour au travail, le redémarrage économique est plutôt lent, car il reste encore des restrictions pour les rencontres professionnelles, les voyages et les grands rassemblements. Cependant, les entrepreneurs et employés sont motivés et attendent de pied ferme les opportunités à venir, sans oublier qu’à l’échelle mondiale, ils feront partie des rares à pouvoir produire à plein régime durant les deux prochains mois.

QUELLE EST LA MARGE DE MANŒUVRE DES ENTREPRISES ?

Un panel d’auteurs du Boston Consulting Group a partagé dans un article récent (HBR, 10 mars) quelques recommandations sur la base de leurs observations en Chine. • Tout d’abord, les entreprises qui ont concentré leurs efforts sur la réorientation de leur business et les rentrées d’argent ont mieux passé le cap que celles qui se sont engluées dans des processus complexes et bureaucratiques de coordination interne. En Suisse, on peut citer l’exemple de ces nombreux petits restaurants qui se sont reconvertis en points de vente à l’emporter. Les entreprises familiales et les PME disposent là souvent d’un vrai avantage en termes d’agilité. • Le leadership joue également un rôle décisif: la direction doit donner le cap, mais les idées provenant des collaborateurs doivent être entendues. Les équipes doivent bénéficier de la souplesse nécessaire pour rapidement s’adapter au contexte sur le terrain, tout en restant connectées aux directives générales de l’entreprise. C’est pourquoi le développement de canaux de communication internes efficaces (topdown et bottom-up) a pu profiter aux sociétés qui ont misé par exemple sur des applications mobiles à usage interne, créant un lien avec chaque employé et permettant de rapidement faire remonter l’information depuis le terrain. • La gestion et l’allocation des ressources a aussi été cruciale en cette période de Nouvel An chinois. Des entreprises ont aussi innové en devenant «porteuses salariales». Des magasins physiques ont réalloué leurs ressources vers la supply chain de e-commerces qui n’arrivaient plus à suivre. D’autres entreprises ont plutôt opéré des réallocations internes en optant pour une transition entre leurs différentes activités et canaux de distribution.

Aline Ballaman-Garibian constate aussi des bouleversements au niveau des PME en Chine. Pour elle, le fait de devoir composer avec les ressources humaines et matérielles limitées a aussi amené les petites structures à repenser leurs processus et leur culture du travail pour être plus efficaces et agiles. Elles ont aussi dû acquérir de nouveaux clients en adaptant leurs canaux de vente, de distribution et de communication. Toutes ces adaptations et l’intégration de protocoles de crise les rendront donc plus résilientes face à de nouvelles crises.

TOUS LES SECTEURS NE SONT PAS LOGÉS À LA MÊME ENSEIGNE

En Chine, le retour à la normale est variable. Il existe de grandes disparités entre les régions et les secteurs d’activité. Pour les exportateurs, la marche des affaires risque de repartir de manière décalée, en fonction de la reprise dans chaque région d’approvisionnement, de production et de distribution. C’est aussi un facteur à considérer dans l’allocation des ressources. En Chine, «l’effet de rattrapage», après plusieurs semaines de fermeture, a nécessité de redéployer rapidement toutes les ressources disponibles dans l’industrie. Toutefois, ce redéploiement souffre aujourd’hui de la crise mondiale. Dans les secteurs du tourisme ou des transports, toujours soumis à des restrictions par ailleurs, la reprise s’avère plus lente.

Le SECO a publié le 19 mars ses projections conjoncturelles pour 2020 en Suisse et prédit une récession (recul de 1,5 % du PIB). Ce qu’il faut comprendre derrière ce chiffre, c’est qu’il s’agit d’une moyenne: tous les secteurs et toutes les régions ne seront pas concernés par ce recul de la même manière. Le tourisme, les transports, l’événementiel ou les petits commerces, qui auront été à l’arrêt pendant trois mois, n’auront (presque) pas d’effet de rattrapage, contrairement à de nombreux autres secteurs qui subissent un ralentissement momentané. D’ailleurs, comme en Suisse, le gouvernement chinois met en œuvre des mesures de soutien à son économie pour passer la vague, comme celles observées ci-dessous par Aline Ballaman-Garibian:

• suspension de la quote-part employeur quant aux charges sociales, et les montants à verser pour l’assurance maladie et l’assurance chômage sont réduits de 50% pour une durée confirmée de cinq mois (février-juin) ; encouragement auprès des secteurs immobiliers gouvernementaux d’annuler les paiements des loyers des deux derniers mois (février, mars) ; abaissement des taux d’intérêts pour des prêts bancaires, en particulier pour les PME; prolongation des échéances de remboursement des prêts contractés; injection d’environ 163 milliards de francs suisses par la Banque centrale chinoise afin de soutenir le redémarrage économique.

ET APRÈS, TOUT REDEVIENDRAT-IL COMME AVANT ?

Selon Howard Yu, professeur en stratégies d’innovation à l’IMD et auteur du best-seller LEAP que nous avons interrogé, «pour la première fois, les consommateurs se rendront compte qu’une grande partie de la consommation sur site n’est en fait pas indispensable, qu’il s’agisse de consultations juridiques ou de divertissement. Certains consommateurs, qui jusqu’ici étaient réticents aux services en ligne ou de livraison à domicile, vont finalement passer le cap et adopter ces nouveaux modes de consommation, mais surtout les considérer après la crise comme la nouvelle norme. Cela signifie une accélération du développement des canaux numériques et de l’innovation dans les modèles d’affaires liés. Le temps que la pandémie disparaisse, les nouveaux comportements et attentes des consommateurs, eux, seront bien ancrés. Les entreprises qui pensent pouvoir sortir de la crise actuelle et revenir aux pratiques d’avant se retrouveront probablement démunies dans ce nouveau monde. La crise actuelle est en train d’accélérer le rythme de la numérisation. »

Xavier Comtesse, mathématicien et ancien directeur d’Avenir Suisse abonde en ce sens dans l’Agefi du 17 mars: «Avec la crise du coronavirus et des nouvelles contraintes de ‹distance sociale›, émerge une nouvelle économie dont les caractéristiques observées notamment en Chine peuvent être résumées ainsi: e-business, production hyper locale et usage de toutes sortes d’apps pour le reste (loisirs et divertissement, culture et éducation, télémédecine, télétravail, etc.). C’est une économie où l’on agit à distance, sans magasin mais avec des producteurs locaux. Un exemple-clé de cette économie est l’arrivée des imprimantes 3D, qui permettent d’imprimer hyper localement des objets ou même des pièces manquantes dans une chaîne de production industrielle. Le côté concept global du produit et de l’usage hyper local se retrouvent dans la plupart des apps actuellement disponibles sur nos smartphones».

Economiquement, il est ainsi fort probable que la crise du Covid-19 ait les mêmes effets qu’en Chine, à savoir une accélération de l’adoption de modes de consommation numériques et décentralisés. La conséquence sera alors un repositionnement des différents acteurs, avec de nouveaux entrants ayant su saisir des opportunités, et la disparition des enseignes qui auront échoué à adapter rapidement leurs canaux de distribution et leurs structures à cette transition. Pour Aline BallamanGaribian, «durant cette période de crise, les entreprises suisses essaient d’éteindre des feux et de maintenir actif ce qu’elles peuvent. S’il y a un pays aujourd’hui qui ne demande qu’à réactiver son économie, c’est la Chine. C’est peut-être l’occasion d’actionner des leviers de négociations pour des projets et des commandes.» C’est une opportunité à saisir, d’autant plus que les relations sino-américaines ne sont pas au beau fixe.

Politiquement, le virus laissera probablement aussi des traces, notamment dans les démocraties occidentales où le bilan des autorités face à la pandémie sera critiqué. Dans certains pays, une crise institutionnelle et structurelle avec des implications économiques pourrait bien voir le jour et retarder la reprise des affaires.

Dernier élément à considérer, et non des moindres selon la presse internationale: l’éventualité d’une résurgence de foyers épidémiques ou d’une nouvelle pandémie en fin d’année. Les perspectives économiques à moyen terme pourraient bien dépendre de l’arrivée d’un vaccin, et notre compétitivité de la capacité des autorités suisses et des entreprises à réagir efficacement à une nouvelle crise.

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