Le journal du PDC suisse, février 2013

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Magazine d’opinion. Numéro 1 / Février/Mars 2013 / CHF 7.80 www.la-politique.ch

TRANSITIONS PASSERELLE MOUVEMENT ÉVOLUTION LA POLITIQUE 1 Février/Mars 2013

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SOMMAIRE

TITRES

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CONSTITUTION FAMILIALE VERS LA SUISSE ET AU-DELÀ POINT DE CONVERGENCE REBONDIR ANALYSE CRITIQUE TERRAIN D’ENTENTE PERMANENCE OCCASIONNELLE ILLIMITÉ COL ET VALLÉE RENFORTS ÉTRANGERS RENDEZ-VOUS LOCAL

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27 CAROUGE

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IMPRESSUM

ÉDITEUR Association LA POLITIQUE ADRESSE DE LA RÉDACTION LA POLITIQUE, Case postale 5835, 3001 Berne, tél. 031 357 33 33, fax 031 352 24 30, courriel binder@cvp.ch www.la-politique.ch RÉDACTION Marianne Binder, Jacques Neirynck, Yvette Ming, Lilly Toriola TRADUCTION Philipp Chemineau, Isabelle Montavon GRAPHISME, ILLUSTRATIONS ET MAQUETTE Brenneisen Theiss Communications, Bâle IMPRIMERIE Schwabe AG, Muttenz ANNONCES ET ABONNEMENTS tél. 031 357 33 33, fax 031 352 24 30, courriel abo@die-politik.ch, abonnement annuel CHF 52.–, abonnement de soutien CHF 80.– PROCHAIN NUMÉRO avril 2013


ÉDITO – Jacques Neirynck, rédacteur en chef adjoint

LA TRANSITION du nouvel an 2013 s’est opérée comme à l’habitude et la fin du monde, prédite par des farceurs à l’usage des naïfs, a été annulée. Cela nous a simplement rappelé qu’il y aura un jour une fin du monde et entretemps la fin de certaines sociétés. Or l’ensemble des gens vivent chaque jour comme si il n’y avait rien de nouveau ? Sont-ils conscients du simple bonheur de vivre ? Sont-ils heureux ? Mangent-ils trop d’aliments gras, sucrés, salés et s’enivrent-ils ? Haussent-ils les épaules avec fatalisme devant la vie telle qu’elle leur arrive ? Se lèvent-ils avec l’angoisse du jour et se couchent-ils avec le sentiment d’avoir perdu la journée ? Fument-ils en nourrissant un complexe de culpabilité ? L’Office fédéral de la santé gaspille-t-il l’argent de nos cotisations ? La Caisse de retraite pourra-t-elle remplir ses obligations, l’heure de notre retraite venue ? L’ordre du jour de la prochaine session parlementaire est-il vraiment utile ? Que nous suggère le thème du passage ? Le grand passage de la vie à la mort et le second passage de la mort à une autre vie. Le Saint-Gothard et ses tunnels existants ou projetés comme un symbole pour la cohésion de la Suisse. Les migrations mondiales de ceux qui désirent gagner leur vie ou même ne pas la perdre. Que signifient les frontières comme lieux de transition ? Que va faire la révolution de la Toile pour changer les médias ? Que devient la famille ? Que devient le Parlement avec la croissance du centre ? Cet article est reproduit également en allemand et la Sarine est pour une fois franchie. Au moins d’ouest en est. La transition immédiate est devant nous. Allez voter le 3 mars. Les recommandations du PDC suisse sont deux fois oui et une fois non. Oui à l’article de la famille. Oui à la révision de la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire. Non à l’initiative Minder. Mais surtout allez voter : ne ratez pas la transition.

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Lucrezia Meier-Schatz

Vers une Constitution adaptée à notre temps Le 3 mars 2013, un nouvel article constitutionnel sur la politique familiale sera soumis en votation au peuple et aux cantons. Le nouvel article de la Constitution fédérale est la réponse du Parlement à l’évolution des réalités familiales.

Les réalités familiales ont fortement changé ces dernières décennies. Ces changements requièrent des réponses politiques ciblées. Les familles, qu’elles vivent sur la base d’un ou de deux revenus, qu’elles soient monoparentales ou recomposées, que les rôles au sein du couple soit traditionnels, inversés ou répartis, que les parents soient jeunes ou moins jeunes, qu’elles assument la charge de membres de la génération vieillissante, toutes devraient avoir la liberté de choisir de quelle manière elles souhaitent assumer leurs responsabilités mutuelles. Mais pour garantir ce libre choix, les familles ont besoin de temps, d’infrastructures, de revenu et de soutien. La société, l’économie et la politique doivent concevoir les conditions-cadres de manière à permettre à toutes les familles d’assumer leurs responsabilités envers les générations jeunes et moins jeunes. 4

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Beaucoup de familles dépendent de deux revenus A défaut de compétence constitutionnelle claire, aucune politique familiale cohérente n’a pu être mise en œuvre ces dernières décennies. Avec le nouvel article constitutionnel, la Confédération devra à l’avenir prendre davantage en compte les besoins des familles lors de l’accomplissement de ses tâches. Par ailleurs, les cantons et la Confédération seront appelés à promouvoir la conciliation entre vie familiale et activité lucrative. Notre société accorde une importance toute particulière à cette promotion, car une grande majorité des familles dépend de deux revenus. C’est pourquoi cette conciliation compte parmi les principaux défis de notre proche avenir. Autant les pères que les mères ont besoin de meilleures conditions-cadres pour accomplir leurs multiples tâches. Nous tous, en tant que


fam ille Art. 115a Politique de la dérat ion t de ses tâches, la Confé 1 Dans l’accomplissemen . Elle les besoi ns de la fam ille prend en considérat ion la fam ille. es desti nées à protéger sur me les ir ten sou ut pe cantons encouragent les 2 La Confédérat ion et les té lucraconcilier fam ille et act ivi mesures permett ant de une urvoient en particulier à tive ou for mation. Ils po les et tures de jou r extrafam ilia off re appropriée de str uc parascolaires. t pas, s ou de tiers ne suffisen 3 Si les efforts des canton la pri ncipes applicables à la Confédérat ion fixe les fam ille et permett ant de concilier promotion des mesures er au mation. Elle peut particip act ivité lucrat ive ou for s. es prises par les canton financement des mesur

payants, lesquels gratuits ? Comment trouver l’harmonie dans sa vie (activité professionnelle et vie de famille / activité lucrative et services d’encadrement) ? Les réponses à ces questions donnent un aperçu de l’intérêt que notre société porte aux services rendus à son prochain.

société, risquons de dépendre de plus en plus du travail non rémunéré, fourni par les personnes actives au cours des différentes phases de leur vie : l’éducation des enfants et la prise en charge des personnes dépendantes, ce qui implique que l’on dispose du temps nécessaire à consacrer à sa famille.

Reconnaissance des services d’encadrement Aucune prestation de qualité ne peut être fournie sans y consacrer le temps nécessaire. C’est pourquoi la société, notamment les milieux économiques et politiques, doivent se poser la question suivante lorsqu’ils prennent des décisions : quels sont les effets de nos mesures sur nos enfants, sur les personnes âgées et sur les relations entre les êtres humains ? Qui fournira à l’avenir les services d’encadrement, lesquels doivent être

Cohésion dans la société La reconnaissance de ces services présente d’autres aspects positifs. Dans une société plurielle, elle garantit une certaine cohésion entre des personnes aux parcours de vie très variés, entre les adultes avec ou sans enfants ainsi qu’entre les générations. Il est possible de renforcer la solidarité au sein de la société par la mise en valeur des services rendus à son prochain, sans lesquels cette société ainsi que chacun de ses membres seraient beaucoup plus pauvres et plus isolés. Notre société compte sur les services familiaux. Elle a toutefois manqué jusqu’ici de les reconnaître et de les honorer à leur juste valeur. Lors de la votation du 3 mars, un OUI résolu à l’article constitutionnel permettra de changer cette situation. ■ Lucrezia Meier-Schatz est conseillère nationale SG. LA POLITIQUE 1 Février/Mars 2013

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Pour la famille d’aujourd’hui et de demain : OUI à l’article constitutionnel sur la famille ! De nos jours, tous les domaines de la vie sont traités dans la Constitution fédérale : la politique de la jeunesse et la politique de la vieillesse, la politique de l’éducation et la politique du travail, la politique des transports, la politique régionale ainsi que la politique économique et conjoncturelle – un article spécifique est consacré à chacun de ces domaines. Seule la famille – le noyau de notre société – manque à l’appel. Le nouvel article constitutionnel sur la politique familiale inscrit la conciliation de la vie familiale et professionnelle dans la constitution. La Confédération et les cantons sont ainsi enjoints de prendre des mesures concrètes pour promouvoir la conciliabilité entre famille et activité lucrative.

La possibilité de choisir librement le modèle familial L’article constitutionnel sur la politique familiale permet aux familles de choisir librement le modèle familial qu’elles préfèrent. Concilier famille et activité lucrative est pour beaucoup une nécessité ; tandis que d’autres préfèrent un modèle familial traditionnel. L’absence d’infrastructures ou un délai d’attente trop long pour obtenir une place dans une crèche ne permettent pas de choisir librement. Accorder aux familles la liberté de choisir signifie créer des conditions-cadres qui le leur permettent. Le nouvel article constitutionnel sur la famille assure une offre en structures de jour extrafamiliales et parascolaires répondant aux besoins actuels. L’exigence d’un article constitutionnel pour la politique familiale est au cœur de la politique du PDC, qui s’engage depuis toujours en faveur des familles. L’impulsion de créer un nouvel article constitutionnel a été donnée par l’ancien conseiller national PDC Norbert Hochreutener, dans son initiative parlementaire du 23 mars 2007 « Politique en faveur de la famille. Article constitutionnel.

La position du PDC suisse Le PDC suisse dit OUI à l’article constitutionnel sur la politique familiale ! La révision est soutenue par une large alliance 6

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composée du PS, des Verts, du PEV, du PBD, du PVL et des femmes PLR. En outre, plus de 40 organisations familiales s’engagent en faveur de l’article constitutionnel sur la famille.

Arguments en faveur de l’article constitutionnel sur la politique familiale – Accorder aux familles la liberté de choisir : concilier famille et activité lucrative est une nécessité. De nos jours, de nombreuses familles souhaitent s’impliquer aussi bien dans la vie professionnelle que familiale : de plus en plus de femmes ne souhaitent plus devoir choisir entre profession et famille et de plus en plus d’hommes souhaitent s’impliquer activement dans l’éducation des enfants. Le couple doit pouvoir décider lui-même de l’organisation et de la répartition des tâches ; cette décision ne doit pas lui être imposée par les conditions-cadres relatives à la famille et aux enfants. Le manque d’infrastructures ou un délai trop long pour obtenir une place dans une crèche force au moins l’un des parents à travailler moins. Cela réduit le revenu et menace l’existence des familles. Accorder la liberté de choisir signifie promouvoir des conditions-cadres qui le permettent. – Bon pour la natalité ! Avoir des enfants, c’est possible. De nos jours, nombre de jeunes femmes et d’hommes renoncent à avoir des enfants, alors qu’une majorité en souhaiterait. L’insuffisance des moyens permettant de concilier famille, activité lucrative et formation entraînera, d’une part, un manque de main-d’œuvre qualifiée au sein de l’économie et, d’autre part, un vieillissement accru de la société, qui à son tour menacera la prospérité. Une prospérité qui peut être garantie à moyen terme tout en permettant aux jeunes couples d’avoir les enfants qu’ils souhaitent, à condition que les communes et les cantons investissent davantage en faveur de la conciliation. – Economiquement profitable : la conciliation entre famille et activité lucrative est d’une grande utilité pour toutes les parties prenantes. Ce n’est pas seulement la famille qui profite d’une meilleure conciliation, mais aussi les milieux économiques qui disposent ainsi d’une main-d’œuvre qualifiée supplémentaire. D’un point de vue économique, c’est insensé que les entreprises se plaignent du manque de main-d’œuvre et qu’elles soient obligées de la recruter à l’étranger, bien qu’elle existe dans le pays. Les éventuels frais liés aux structures de jour extrafamiliales et parascolaires représentent donc de l’argent bien investi par les contribuables, parmi lesquels figure aussi l’économie. L’Union patronale suisse n’a


YANNICK BUTTET conseiller national (VS) « La famille constitue la cellule de base de la société et doit le rester. L’évolution actuelle met à mal les familles et pour maintenir ce ciment social, notre pays doit lui réaffirmer fermement son soutien. Le 3 mars, OUI à des familles fortes ! »

THÉRÈSE MEYER-KAELIN présidente de la COFF « Sans enfants en suffisance et sans forces vives au travail, notre pays n’a pas d’avenir. Un OUI à l’article constitutionnel sur la famille donne à la Confédération et aux cantons les moyens de prendre les mesures permettant de concilier vie familiale et activité lucrative ou formation ; ainsi nous travaillons pour le bien des familles et nous assurons aussi le futur de la Suisse. »

FABIO REGAZZI conseiller national (TI) « D’un point de vue économique, il est insensé de devoir renoncer à des collaborateurs bien qualifiés parce qu’ils sont contraints à quitter leur emploi pour s’occuper de leur famille. C’est pourquoi favoriser la conciliation travail-famille est de l’argent bien investi. »

pas décidé de recommander le rejet, notamment pour les raisons susmentionnées. – Evolution démographique : l’évolution démographique représente des défis de plus en plus grands pour la société et les systèmes sociaux, car l’espérance de vie augmente alors que le nombre de naissances diminue. Dans un avenir proche nous ne compterons plus que deux à trois actifs pour un bé-

néficiaire de rente AI, ce qui donne lieu à des manques graves dans certains domaines de l’économie et du secteur tertiaire, tels que celui des hôpitaux. Il est prouvé que les pays offrant de meilleures conditions-cadres aux familles avec enfants enregistrent un taux de naissances plus élevé. L’article sur la politique familiale est susceptible d’encourager un nombre plus élevé de couples à décider d’avoir des enfants. ■ LA POLITIQUE 1 Février/Mars 2013

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Mario Gattiker

LA SUISSE, PAYS D’IMMIGRATION ENTRE CONTINUITÉ ET CHANGEMENT

Depuis des siècles, les thèmes de la migration et des réfugiés préoccupent la Suisse et imprègnent son quotidien. Nombre de migrants ont fui la pauvreté de notre pays pour trouver du travail à l’étranger. Considérés comme les pionniers du commerce extérieur suisse, les confiseurs grisons ont ainsi développé un réseau qui s’est étendu outre-mer et a élevé la qualité suisse au rang de norme internationale. Aujourd’hui encore, environ 11 % de nos ressortissants vivent à l’étranger. 8

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La Suisse n’a cessé d’accueillir les victimes de persécutions, entrant par là-même souvent en conflit avec les pays étrangers. Le 20 mars 1888, le Conseiller fédéral Numa Droz s’exprimait à ce sujet en ces termes : « Le droit d’asile constitue l’un des droits de souveraineté les plus précieux. Depuis toujours, nous avons ouvert nos portes aux réfugiés politiques de la façon la plus libérale possible. Le plus souvent, moins par sympathie pour leur personne ou pour leur savoir que par humanité. Cette politique a maintes fois été la cause d’incidents et elle est, depuis 1815, la seule question sur laquelle nous ayons régulièrement eu à nous entendre avec nos voisins. Mais ce droit de souveraineté, nous avons presque toujours su le sauvegarder, et nous avons la ferme intention de continuer à le faire. »

De l’ouverture à la crainte C’est vers 1900 qu’est apparue la notion de surpopulation étrangère. La proportion d’étrangers augmentait rapidement et équivalait, en 1915, à près de 15 % des habitants, voire plus de 30 % dans les grandes villes. Les craintes s’amplifiaient, les critiques se multipliaient. Ainsi, la Appenzeller Zeitung mettait ses lecteurs en garde dans son édition du 7 septembre 1917 en titrant « Assez et plus qu’assez » : « Aujourd’hui encore, quiconque le souhaite peut entrer en Suisse. Nous ne connaissons toujours pas l’obligation du passeport et nous ne demandons toujours pas non plus d’attestation concernant le motif d’entrée [...]. Cela fait longtemps que le peuple suisse ne comprend plus l’indulgence et l’inactivité de nos autorités vis-à-vis des étrangers. Et plus la pénurie de vivres durera, plus il aura de la peine à le comprendre. » La Suisse, pays d’immigration, a donc toujours été tiraillée entre l’ouverture d’esprit et la crainte de la surpopulation. Que ce soit hier ou aujourd’hui, sa politique a pour tâche de veiller à assurer un certain équilibre et de poser la première pierre d’une politique durable en matière de migration et d’asile.

Situation actuelle Même si les causes et les manifestations fondamentales de la migration restent les mêmes depuis des siècles, le phénomène migratoire connaît aujourd’hui une nouvelle dynamique. La mobilité et la dimension internationale se sont considérablement accrues et de plus en plus d’individus ont maintenant la possibilité de voyager. A l’instar des Suisses d’autrefois, nombreux sont ceux qui, de nos jours, quittent leur pays en quête d’une vie meilleure. La voie légale pour accéder au marché du travail, et obtenir ainsi une indépendance économique et un statut stable dans le pays de destination, est pourtant souvent inaccessible.

Un moyen pour eux de pouvoir rester, provisoirement du moins, en Suisse est de lancer une procédure d’asile. Et plus cette procédure prendra du temps, plus ce moyen sera tentant. Or la raison d’être de la procédure d’asile est tout autre : il s’agit d’octroyer une protection aux réfugiés qui sont persécutés dans leur pays d’origine. Les nombreuses demandes qui n’ont aucune chance d’aboutir compliquent la tâche, car elles ralentissent les procédures, ce qui freine notamment l’intégration des réfugiés. Pourtant, c’est là la meilleure façon de limiter les coûts sociaux. Le voyage, souvent clandestin, étant généralement dangereux et coûteux, la plupart des personnes ayant le plus grand besoin de protection ne parviennent pas à se rendre en Suisse. Aussi la grande majorité des réfugiés dans le monde restent-ils dans leur région de provenance, comme c’est le cas des réfugiés de Somalie, qui fuient en Ethiopie ou de ceux de Syrie, qui se rendent au Liban.

Les passeurs profitent du système Ainsi, celui qui dépose une demande d’asile en Suisse a souvent dû dépenser beaucoup d’argent pour payer les passeurs et braver de nombreux dangers. Il n’est d’ailleurs pas rare que sa famille se soit endettée pour financer son voyage. C’est donc là un investissement dont on attend beaucoup. Et plus la pression de la réussite est élevée, plus la disposition au retour est faible. Lorsque l’intéressé parvient à gagner de l’argent, il s’en sert généralement pour venir en aide à sa famille restée au pays. Ces transferts d’argent décuplent l’aide au développement dans le monde et représentent, pour nombre de pays, une part importante de leur produit intérieur brut. Par ailleurs, l’émigration peut contribuer à atténuer les conflits sociaux. Aussi les pays d’origine sont-ils peu enclins à favoriser les rapatriements de leurs ressortissants. Toutefois, ces Etats ont souvent formé les émigrants à leurs frais. Lorsque ces personnes attendent dans un centre d’asile en Suisse, leur potentiel est gaspillé, tandis que les collectivités héritent de frais élevés. Finalement, ceux qui profitent le plus de ce système sont les passeurs.

Ebauches de solutions Tout d’abord, il y a lieu d’accélérer la procédure d’asile. Cette mesure permettra de réduire son attrait aux yeux de ceux qui cherchent à séjourner temporairement en Suisse, de limiter l’intérêt des demandes qui n’ont aucune chance d’aboutir et de laisser la priorité aux vrais réfugiés. LA POLITIQUE 1 Février/Mars 2013

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Ensuite, il importe d’exécuter rapidement les décisions, ce qui équivaut à opter soit pour l’intégration soit pour le départ. Si ce dernier n’a pas lieu volontairement, il doit, si l’on ne veut pas perdre toute crédibilité, pouvoir être exécuté sous la contrainte. Pourtant, le départ volontaire est toujours préférable, étant donné, entre autres, qu’il revient beaucoup moins cher. C’est là qu’entre en jeu l’aide au retour, qui permet au bénéficiaire de rentrer au pays dans la dignité et de prendre un nouveau départ. Cependant, le retour est difficilement réalisable sans la coopération de l’Etat de provenance. Il convient donc d’entretenir des négociations avec ces pays, qui connaissent, en règle générale, parfaitement la pression politique à laquelle sont soumises les autorités suisses, qui doivent aboutir rapidement à des résultats. Cette situation renforce la position de l’autre partie. Toutefois, des solutions durables requièrent une véritable conciliation des intérêts. Bien que récent, le partenariat migratoire s’avère être un instrument prometteur pour y parvenir. La collaboration avec des partenaires partageant les mêmes intérêts, comme l’Union européenne, est également primordiale.

Protection dans le pays d’origine Mais la Suisse ne doit pas se focaliser uniquement sur le retour. Elle doit aussi agir avant l’entrée des requérants sur son territoire. C’est à cette fin que les programmes visant à prévenir la migration illégale dans les régions de provenance ont vu le jour. L’aide structurelle doit offrir des alternatives à l’émigration et les programmes intitulés « Protection in the region » doivent permettre d’apporter la protection nécessaire sur place. La Suisse peut également ordonner une admission directe en faveur de personnes particulièrement vulnérables. Toutefois, le dilemme fondamental demeure : l’absence de dynamique économique et l’instabilité politique qui règnent dans nombre d’Etats de provenance et la divergence entre le nombre de migrants en quête de travail et le nombre d’offres d’emploi légales dans les pays de destination. Par ailleurs, le vieillissement de la population et le besoin de main-d’œuvre qui en résulte sont des faits incontestés. La politique aura à nouveau pour tâche de trouver ici un équilibre. Personnellement, j’espère que le PDC, dont les conseillers fédéraux ont imprégné sensiblement et continuellement la politique suisse en matière d’asile et de migration, influera également à l’avenir, de manière pragmatique et constructive, sur le cours des choses. ■ Mario Gattiker est directeur de l’Office fédéral des migrations (ODM). 10

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Grincheux Selon l’Organisation mondiale de la santé, 10 % des médicaments vendus dans le monde sont faux. Dans les pays pauvres, ce taux avoisine 30 % alors qu’il n’est que de 1 % dans les pays riches et industrialisés. Ces contrefaçons (antibiotiques, médicaments contre le sida, le paludisme, la tuberculose) représentent un chiffre d’affaires de 75 milliards de dollars et entraînent la mort de plus d’un demi-million de personnes par an. De nombreux pays n’ont ni assurance-maladie ni réseaux de santé dignes de ce nom. Une grande partie des médicaments sont alors vendus par des marchands ambulants ou sur les marchés où leur prix est moins élevé et le risque de contrefaçon d’autant plus élevé. La Suisse n’est pas épargnée par ce phénomène et Swissmedic met en garde contre les anabolisants, les substances dopantes, les médicaments pour améliorer les performances sexuelles ou pour maigrir vendus sur Internet. Plus de la moitié de ces produits pharmaceutiques sont faux ou de mauvaise qualité. Eh oui, l’adage se confirme : mieux vaut être riche et en bonne santé que pauvre et malade ! (ym)


Jacques Neirynck

LE PDC CRÉE LE LIEN QUI FÉDÈRE LA SUISSE POLITIQUE

S’il est bien une constante des votes parlementaires, c’est la présence systématique du PDC dans la majorité qui emporte la décision à 90 %. En d’autres mots, neuf fois sur dix, les lois reflètent les valeurs pour lesquelles le PDC s’engage et sur lesquelles il n’accepte pas de transiger.

riches du monde, de quoi se plaindrait-on ? Mais les défis s’accumulent auxquels il faudra trouver des réponses.

D’une certaine façon, c’est normal parce que le PDC se situe vraiment au centre lorsque l’on consulte le baromètre des votes parlementaires publié régulièrement par l’Université de Fribourg. Parmi tous les partis, c’est celui dont le centre de gravité se situe à exacte distance de la droite ou de la gauche. Ajoutons que les Verts Libéraux, le PBD et le PEV sont dans la même situation. Le PLR recouvre en partie les positions du PDC mais il est entièrement déphasé vers la droite. Aux deux extrêmes se situent d’une part l’UDC et d’autre part le PS et les Verts. Il saute aux yeux que toute majorité doit comprendre le centre sauf dans des cas très particuliers où le PS vote comme l’UDC. Cela arrive mais ce n’est pas franchement sain car ce vote commun repose sur deux analyses divergentes, par exemple en politique sociale où l’un estime que l’on en fait trop et l’autre trop peu. En somme les partis du centre sont les seuls qui constituent le soutien indéfectible du gouvernement, tandis que les extrêmes sont des oppositions qui s’ignorent et qui sont au Conseil fédéral au bénéfice du doute.

Il faut se préoccuper de la baisse de la natalité provenant à la fois de la disponibilité de moyens de contraception et de la nécessité pour les femmes d’entrer dans la vie professionnelle. Comment soutenir la fécondité à un taux raisonnable pour maintenir les générations ? Et si ce n’est pas possible comment définir une politique positive d’immigration ? Où situer l’âge de la retraite et ses modalités face à l’augmentation de l’espérance de vie ?

… souder les familles Il faut réfléchir à l’évolution de la famille qui s’écarte de plus en plus du modèle classique fondé sur un mariage indissoluble et sur la vie en commun d’une fratrie issue de ce couple. Comment préserver le mieux possible ce couple ? Quelle attitude adopter à l’égard de tous les ménages qui s’écartent de ce modèle ? … assurer la relève

Un balancier politique pour… Le PDC est au Parlement et au gouvernement pour créer un consensus hors lequel il n’est pas de gouvernance possible. Un consensus n’est pas un compromis douteux et boiteux entre des idées opposées. C’est la recherche patiente d’un modèle législatif sur lequel peut s’accorder la majorité la plus large. Une loi acceptée de justesse par une majorité de rencontre n’est pas une bonne loi. Aucune idéologie, de droite comme de gauche, ne peut s’exercer sans frein. Le pouvoir économise ses forces et les deniers des contribuables en recherchant ce consensus. Et comme la Suisse est encore un des pays les plus

… reconcevoir la formation Il faudra réfléchir au nouveau rôle de la formation scolaire et de la formation continue. Jusqu’où ces formations peuventelles être centrées sur une formation professionnelle utilitaire ? Comment garantir une formation continue ouverte à tous ? Peut-on l’exiger ? … repenser le système de santé Il faudra donner une nouvelle définition à l’assurance maladie. Quelle fraction du revenu national affecter au secteur de la santé ? Jusqu’où va la solidarité ? Faut-il l’exercer dans un système différent de la mutualisation des risques ? Peut-on rationner les soins de quelque façon que ce soit et faut-il mettre tous les malades sur le même pied ? … et s’entendre ! Il suffit de réfléchir à ces défis pour comprendre à quel point le PDC continuera à se révéler indispensable. La Suisse se gouverne bien au centre, pourvu que ce centre soit fort. Aux électeurs de renouveler et d’élargir ce mandat. ■ Jacques Neirynck est conseiller national VD et rédacteur en chef adjoint de LA POLITIQUE. LA POLITIQUE 1 Février/Mars 2013

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Lilly Toriola

FOYER DE PASSAGE Il y a dans notre pays aussi des personnes sans emploi, sans logement, sans argent. Une visite au foyer d’accueil de l’Armée du Salut à Berne.

Elle n’est pas vraiment le genre de personne que l’on s’attend à rencontrer dans un centre d’hébergement. Gisela S.* porte des pantalons noirs à pinces, un pullover de couleur gris, un collier de perles noires et blanches autour du cou, des boucles d’oreille à perles et une coiffure soignée. Elle arrive à l’interview avec un bloc-notes. Si la rencontre avait lieu au Palace Bellevue à Berne, Gisela S. ne dénoterait pas car elle est très élégante. « C’est si vite arrivé et on se retrouve soudain tout en bas de l’échelle », dit-elle. La Suissesse de 57 ans est l’une des quelque 30 habitants du « Foyer de passage » que gère l’Armée du Salut à Berne.

Des hauts et des bas Gisela S. a, comme elle le dit elle-même, connu tous les statuts sociaux : « J’ai passé par tous les milieux, du plus modeste au plus élevé. Et me voilà ici à présent. » En 1975, elle a ouvert avec son mari de l’époque un magasin d’alimentation : « Notre affaire a très bien marché de sorte que nous avons pu ouvrir rapidement deux autres succursales ». C’est elle qui gérait les trois magasins, tandis que son époux dirigeait un commerce de gros de fruits et légumes. Pendant 18 ans, les affaires allaient bien et le couple a formé neuf apprentis durant cette période. « Matériellement, nous étions très bien lotis », affirme Gisela S. Mais les relations au sein du couple se dégradaient de plus en plus. Les accès de colère de son mari se multipliaient. Il s’en prenait au mobilier et une fois, il a aussi levé la main contre elle. Après leur divorce en 1994 elle a eu une vie chahutée, faite de hauts et de bas. 12

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La dégringolade financière Voulant voler de ses propres ailes, Gisela S. a quitté l’entreprise. Elle a suivi diverses formations continues – école commerciale, gestion des ressources humaines, service externe –, elle a travaillé dans la vente, une fois en tant que gérante d’une succursale, une autre fois dans un centre d’appels. Son objectif était de retrouver une activité indépendante dans le domaine du commerce de détail. « Et j’y suis arrivée », déclare-t-elle sans préciser le domaine dans lequel elle a été active car elle a trop peur d’être reconnue : « Je suis tombée sur les mauvaises personnes en montant ma propre entreprise. C’est ce qui m’a mis finalement sur la paille. » En 2007, Gisela S. a pris la décision lourde de conséquences de tout abandonner en Suisse. « J’ai résilié toutes mes assurances et j’ai aménagé avec le peu d’argent qui me restait dans la ferme de mon frère, situé dans un pays voisin. » Elle voulait faire une pause, « dans la nature et avec la nature », comme elle dit. Elle y est restée pendant cinq ans. Elle se chargeait du ménage de son frère célibataire, de son jardin et l’aidait à s’occuper du bétail sans être rémunérée ni assurée, juste nourrie et logée. Elle allait revivre ce qu’elle avait déjà vécu et être une nouvelle fois confrontée à la violence : « Ma peur augmentait de jour en jour », déclare cette femme frêle. Lorsque la situation a dégénéré l’hiver dernier, Gisela S. s’est enfuie une nuit et elle est revenue en Suisse, emportant avec elle une valise avec le strict nécessaire et 700 euros d’épargne. « Après onze heures de trajet en bus et en train, je suis arrivée à 5 heures du soir à Berne. »


Un toit au-dessus de la tête Gisela S. n’a pas d’enfants, pas d’autres parents non plus. « Mes autres contacts sociaux se sont évanouis lors de ma débâcle financière. » C’est pourquoi, de retour en Suisse elle n’avait pas d’autre solution que de se rendre dans un centre d’hébergement. Elle paie 12 francs par nuitée pour une chambre double dans l’aile réservée aux femmes, petit déjeuner compris. « Ce n’est pas facile », déclare-t-elle. « La sphère privée est très réduite. » La plupart de ses colocataires présentent des problèmes d’alcool ou de drogue, ce qui explique la présence régulière de la police. « Au début j’avais peur des autres locataires, mais entretemps j’ai appris à gérer la situation. » Elle est reconnaissante d’avoir au moins un toit au-dessus de la tête. Il est vrai que cette femme à l’apparence élégante ne semble pas vraiment être à sa place dans la petite salle de séjour du foyer. Gisela S. désire mener le plus vite possible une vie normale. « Je suis à la recherche d’un travail, mais jusqu’à présent ça n’a pas joué. » Elle n’a encore rien reçu de la part de l’aide sociale. La vente de quelques bijoux acquis en des temps meilleurs lui a permis de renflouer quelque peu ses économies qui sont au-

jourd’hui de 1800 francs. Mais l’argent part très vite, surtout en Suisse. « Les repas de midi et du soir ne sont pas compris dans le prix d’hébergement. » Depuis des semaines, elle souffre d’un refroidissement sévère. « La consultation médicale et les médicaments m’ont coûté 100 francs – c’est beaucoup d’argent pour moi. »

Ne jamais perdre espoir Gisela S. ignore de quoi demain sera fait. La durée des séjours dans le foyer d’accueil « Aide aux passants » est limitée et cette femme de 57 ans risque de se retrouver bientôt dans la rue. Au pire elle devra se rendre dans une autre ville où elle cherchera refuge dans un autre foyer pour les sans-abri. Et lorsque les économies seront définitivement épuisées ? Gisela S. hausse les épaules. « Il y aura certainement une solution », affirme-t-elle d’une voix calme. Chaque fois qu’elle a pensé ne plus pouvoir faire face, une porte s’est ouverte quelque part ! ■ *nom connu de la rédaction

Lilly Toriola est membre de la rédaction LA POLITIQUE. LA POLITIQUE 1 Février/Mars 2013

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Mike Bacher

PHILIPP ANTON VON SEGESSER ET LES BASES DU PDC La Révolution française de 1789 et l’époque agitée de la contre-révolution qui a suivi n’a pas seulement fait vaciller des Etats mais aussi des conceptions politiques et scientifiques. Les sciences politiques et le droit furent des domaines particulièrement touchés, entraînés au cœur du cyclone causé par la Révolution et la Restauration et qui furent le champ de bataille des conflits qui ensuivirent. Voici les origines et les bases de la démocratie chrétienne d’aujourd’hui. Le débat sur la codification qui eut lieu en Allemagne en 1814/15 est considéré comme le début de cette nouvelle époque dans l’histoire du droit. C’est le professeur Anton Friedrich Justus Thibaut (1772–1840), de Heidelberg, qui lança le débat sur la question d’une codification uniforme, c’est-à-dire un code civil unitaire pour toute l’Allemagne. Conforme à la pensée du droit naturel du XVIIIe siècle, pour laquelle la raison constituait le principal critère du droit, une telle codification aurait été une création nouvelle d’un législateur. Elle aurait été en accord avec les postulats libéraux de centralisation de l’Etat : égalité et suppression de la conception que l’on avait jusqu’alors du droit. Friedrich Carl von Savigny (1779–1861) – encore peu connu à l’époque – s’opposa à une telle approche. Il ne se contenta pas de la critiquer, il lui opposa un autre modèle et révisa en même temps tout le droit allemand : il créa l’Ecole historique du droit. Cette dernière défendait que le droit ne peut être « inventé » par le législateur, mais qu’il doit être issu de l’histoire d’un peuple, qui le développe et le précise. Ainsi il ne peut exister un droit naturel suprême, identique à tous les peuples et à toutes les 14

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époques. Non, le droit est profondément enraciné dans le peuple qui le conçoit. L’idée maîtresse est le « Volksgeist » (l’âme du peuple) : les convictions communes, les conceptions (du droit) et les valeurs d’un peuple qui sont à l’origine de la loi.

Le leader incontesté des conservateurs Il va sans dire que l’Ecole historique du droit de Savigny allait tout particulièrement dans le sens de la politique des conservateurs. Comme le montre d’ailleurs l’exemple de son plus grand élève suisse : le jeune lucernois Philipp Anton von Segesser (1817–1888), qui s’est voué entièrement à cette école et dont les pensées politiques furent empreintes de cette idéologie. Plus tard, il affirma d’ailleurs : « C’est justement parce que j’appartiens à l’Ecole historique du droit, qui fait procéder chaque état de droit ultérieur du précédent, qui est par nature conservatrice, mais ni stable ni révolutionnaire, qu’il me fallait être démocrate. » Segesser, qui fut membre du Conseil national de 1848 à sa mort, devint très vite le leader incontesté des conservateurs au sein de l’Assemblée fédérale. Grâce à sa formation et ses idées claires – reposant sur l’Ecole historique du droit – il fut capable de réfléchir aux bases et aux principes qui ont fait évoluer l’Etat fédéral et d’extraire les principes directeurs de l’imbroglio politique quotidien. Il ne s’est pas contenté d’interpréter les développements des derniers siècles d’un point de vue historique, mais il s’en est servi pour construire l’avenir. Outre le caractère conservateur, s’ajouta l’élément central : le fédéralisme. Il assura un équilibre des intérêts au sein de la Confédération suivant le principe des « poids et contrepoids » et notamment la protection des minorités face à une « dictature totalitaire ».

La religion est l’origine du droit Pour Segesser, le troisième élément est le principe selon lequel « tout droit et son ultime fondement éthique [s’enracine]

dans la religion ». Cela ne signifie pas que la religion et le droit doivent former une unité. Il défendait au contraire l’idée que pour prévenir les excès d’une dictature (majoritaire), le fédéralisme dût comporter deux aspects : la forme, mais aussi le fond. Pour Segesser, l’histoire et la religion définissent des droits fondamentaux qui s’imposent également à l’Etat. Ces derniers dominent le droit créé par les êtres humains et garantissent une conception équilibrée de l’Etat.

Ses principes : le fondement du mouvement chrétien-démocrate Au XIXe siècle, ces bases solides ont permis à Segesser de reconstruire le parti et de devenir l’homme d’Etat le plus important de la Confédération. Ces disciples politiques ont fait perdurer ses principes qui sont devenus la base du nouveau parti fondé en 1912. Attribuée en 1970, la dénomination Parti démocrate-chrétien souligne tout particulièrement son troisième principe. Les trois principes de Segesser forment la base et l’épine dorsale du mouvement chrétien-démocrate en Suisse. Les similitudes entre le PDC et la CDU d’Allemagne Le PDC et la CDU/CSU sont unis par leur histoire : ils sont tous deux le résultat de l’idéologie enseignée par l’Ecole historique du droit. En 1870, le fils de Savigny, Karl Friedrich von Savigny (1814–1875), a en effet été l’un des cofondateurs de la Deutsche Zentrumspartei, le précurseur direct de la CDU. Toute sa vie, il est resté un ami proche de Segesser et leur principes ont survécu jusqu’à nos jours par-delà les siècles et les tendances pour devenir la base des partis qu’ils ont jadis fondés, directement ou indirectement. ■

Mike Bacher est président du PDC Engelberg. LA POLITIQUE 1 Février/Mars 2013

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NON! à l’initiative Minder ! L’initiative populaire de Thomas Minder prétend vouloir mettre fin aux rémunérations abusives, alors qu’elle n’est en vérité qu’un miroir aux alouettes et n’empêche ni les rétributions excessives ni les bonus. D’autant plus qu’elle menace la place économique suisse. C’est pourquoi le PDC suisse soutient le contreprojet du Parlement qui agit efficacement contre les rémunérations abusives. La position du PDC suisse Le PDC suisse s’oppose lui-aussi aux rémunérations abusives et rejette l’initiative populaire contre les rémunérations abusives ! Une contradiction ? Pas du tout, car le rejet de l’initiative populaire contre les rémunérations abusives fait automatiquement entrer en vigueur le contre-projet du Parlement. Ce dernier agit efficacement contre les rémunérations abusives sans pour autant nuire à la Suisse. Contrairement à l’initiative de Minder, le contre-projet entre en vigueur immédiatement après la votation. 5 arguments contre l’initiative Minder – En fixant 24 exigences, rigides parce qu’inscrites dans la Constitution, l’initiative manque complétement sa cible : au lieu de mettre fin aux rémunérations excessives et au versement de bonus, l’initiative impose aussi bien aux entreprises cotées en bourse qu’à leurs actionnaires des mesures de contraintes. On parle avant tout de surréglementation et de mise sous tutelle, alors que les questions de rémunération restent sans réponse. En cas d’acceptation de l’initiative, il y aurait lieu traiter au niveau de la loi les nombreuses prescriptions détaillées contenues dans l’initiative. Ce processus est extrêmement long et s’étendra dans le cas présent sur plusieurs années. Si l’initiative est rejetée, le contre-projet indirect entre automatiquement en vigueur, mettant un terme aux rémunérations abusives. – Les actionnaires mis sous tutelle : l’initiative ne renforce pas les droits des actionnaires ; elle leur enlève leur pouvoir de dé16

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cision. L’initiative prescrit en détail comment les actionnaires doivent faire usage de leur droits présumés et, au final, les nombreuses règles constitutionnelles les mettent sous tutelle. – L’initiative empêche un développement durable de l’entreprise : une élection annuelle obligatoire des membres du conseil d’administration a pour but de donner plus de pouvoir aux actionnaires. Cela confère avant tout plus d’influence aux actionnaires qui recherchent les gains à court terme. Un horizon temporel limité à 12 mois ne permet pas d’élaborer des stratégies à moyen ou à long terme. – Le conseil d’administration se voit ôter son pouvoir et ne peut/doit plus porter de responsabilité : en ôtant tout pouvoir au conseil d’administration dans des questions centrales, ce dernier ne peut ni ne doit assumer la responsabilité de ses actes. L’actionnaire, qui est dépourvu de toute obligation envers l’entreprise cotée en bourse, devient le garant du sens des responsabilités. Cela n’engendre pas seulement une insécurité du droit, mais constitue une menace supplémentaire à l’égard d’un développement sain et durable de l’entreprise. – L’actionnaire n’est pas forcément un individu plus moral : l’initiative véhicule une vision erronée de l’être humain, de l’actionnaire. Un actionnaire est avant tout un investisseur qui veut faire fructifier son investissement. L’initiative fait le jeu des hedge funds et des gros actionnaires, tandis que le petit porteur suisse, soucieux des valeurs conservatrices, assiste im-puissant au pillage des entreprises traditionnelles de son pays.

5 arguments en faveur du contre-projet indirect – Le contre-projet indirect entre en vigueur immédiatement : le contre-projet indirect est ancré dans la loi et a été approuvé par le Parlement par 235 voix contre 1. Il entre en vigueur automatiquement après le rejet de l’initiative de Thomas Minder. – La possibilité de demander la restitution de rémunérations et de bonus injustifiés : tandis que l’initiative ne prévoit pas la possibilité de restitution, le contre-projet indirect permet de demander la restitution des rémunérations et des bonus injustifiés. En cas de disproportion manifeste entre la


OUI! à l’économie suisse ! DOMINIQUE DE BUMAN conseiller national (FR) « L’initiative Minder ne prévoit nullement la restitution des bonus et salaires injustifiés ; elle doit donc être rejetée au profit du contre-projet indirect que tous les groupes ont soutenu au Parlement. »

JEAN-RENÉ FOURNIER, conseiller aux Etats (VS) « Nous voulons tous lutter contre les salaires abusifs, et rapidement ! Le contre-projet le permet tandis que l’initiative Minder avec son carcan de 24 mesures est un remède qui tue le malade. Elle met définitivement hors jeu nos entreprises et ne résout en rien la problématique des salaires abusifs. Non aux salaires abusifs et vite, c’est résolument NON à Minder pour un OUI au contre-projet. »

URS SCHWALLER conseiller aux Etats et président du groupe « L’initiative exige une densité normative nuisible et sans pareil. Elle est contre-productive pour la place économique suisse. Des élections annuelles du conseil d’administration profitent en premier lieu aux groupes d’actionnaires cherchant à réaliser des gains à court terme. Il n’est pas possible de développer des stratégies à moyenne ou à longue échéance lorsqu’on ne dispose que de 12 mois au maximum. »

prestation et la contre-prestation, une restitution sans délai des sommes touchées est bien plus efficace qu’une procédure juridique longue et coûteuse. – Les actionnaires doivent fixer les rémunérations dans un règlement de rémunération : si le contre-projet entre en vigueur, les sociétés cotées en bourse devront définir leur principes de rémunération dans un rapport y relatif. L’assemblée générale doit nécessairement approuver ce rapport de rémunération et définir ainsi à l’avance le cadre de référence pour les rémunérations de la direction et du conseil d’administration. – Eviter les mauvaises incitations dans la politique de rémunération : l’approbation d’un règlement de rémunération permet de corriger les incitations faites à mauvais escient au niveau de la politique de rémunération.

Thomas Minder ne prévoit aucun règlement de rémunération et met simplement les actionnaires devant un fait accompli, car ces derniers n’exercent aucune influence sur la fixation des rémunérations. – Une répartition équilibrée des compétences : l’assemblée générale décide de manière contraignante des rémunérations du conseil d’administration, tandis que les rémunérations accordées aux membres de la direction sont proposées par le conseil d’administration et confirmées ou corrigées par l’assemblée générale dans le cadre de la procédure d’approbation du règlement de rémunération. Le conseil d’administration ne doit pas pouvoir respectivement devoir confier sa responsabilité en matière de politique de rémunération aux actionnaires. Le dernier mot revient toutefois aux actionnaires. ■ LA POLITIQUE 1 Février/Mars 2013

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SUGGESTION DE LECTURE

100 LETTRES AUX NOTABLES DE L’HELVÉTIE Interview avec l’auteur : Jacques Neirynck Jacques, peux-tu commencer par nous dire comment tu en es venu à écrire régulièrement pour l’Hebdo une lettre ouverte à un notable suisse ? Qui en a eu l’idée ? J’ai répondu à une demande de l’Hebdo en 2004 et ma collaboration s’est étendue sur les huit années suivantes au rythme d’une douzaine de lettres par an soit une centaine au total. Au fil de ton livre, on a plaisir à lire les louanges que tu adresses à certains pour leur courage et les corrections que tu administres à d’autres pour leur incompétence. J’ai souvent eu la sensation d’une grande bouffée d’air. Qu’as-tu ressenti en rédigeant ? Avant tout le soulagement. Il y a des actes politiques positifs ou négatifs dont on parle trop peu dans les médias et toujours en prenant des gants, d’autant plus épais que le personnage est puissant. Pouvoir s’exprimer à ce sujet, librement et sans aucune contrainte, est un privilège. J’ai adoré faire ce travail qui était cependant très prenant. Certaines lettres sont un éloge, d’autres sont cocasses, d’autres encore dénoncent carrément l’incompétence ou la malhonnêteté de certains notables. Tes épîtres ont-elles modifié ta relation avec leurs destinataires ? T’es-tu fait des ennemis, des amis ? Eh bien non, dans la plupart des cas ! Ceux qui étaient visés sont soumis à toutes sortes de critiques ou d’éloges. En particulier en politique, on apprend très vite à durcir sa peau. Et au fond, il n’y a pas d’amitié qui l’emporte face à des choix difficiles. Ton franc-parler nécessite pas mal d’audace, voire de témérité. Je ne puis imaginer que tu l’aies fait sans l’espoir d’obtenir un changement. Y a-t-il eu quelques développe18

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ments positifs que tu attribuerais à l’une ou l’autre de tes missives ? Il n’y a pas moyen de répondre à cette question. Les interventions dans les médias et à la tribune du Parlement changent certainement quelque chose, sinon cela ne vaudrait pas la peine de vivre en démocratie. L’opinion publique ou le consensus politique est l’analogue d’un grand paquebot agité par mille petites vagues, sans que l’on puisse mesurer l’action de l’une ou l’autre. Les attaques se vendent mieux que les louanges ; la proportion est donc en conséquence. Aurais-tu préféré relever plus de bonnes actions ? Non. Le genre lettre ouverte en appelle à une certaine complicité du lecteur et de l’auteur. Le citoyen moyen a davantage envie de critiquer que de louanger. D’une certaine façon, l’auteur est son porte-parole. Je fus du reste le seul parmi les chroniqueurs de l’Hebdo à distribuer quelques rares éloges. Les deux autres, Poncet et Bodenmann, travaillent toujours dans la critique. Y en a-t-il que tu aies regretté d’écrire ? Oui. Celle adressée à Eric Voruz, à l’époque syndic de Morges qui avait autorisé, en toute méconnaissance de cause, le tournage d’un film pornographique lors d’une exposition dans sa ville, avec du reste la complicité des CFF. Il avait été piégé et je lui ai endossé toute la responsabilité. Depuis c’est devenu un excellent ami. Cette lettre n’a pas été publiée dans le volume. Comme bon nombre de tes livres, il vaut mieux ne pas l’entamer si l’on a quelque chose d’important à faire. On a du mal à interrompre la lecture, notamment parce que la réalité est forcément plus prenante que la fiction. Penses-tu que ton livre puisse captiver même les personnes qui ne suivent pas la politique, voire leur donner le goût de s’y intéresser ?


C’est bien mon but. La politique est toujours sérieuse, rarement tragique en Suisse, mais parfois franchement comique. J’essaie d’expliquer au lecteur qu’il a aussi et surtout le droit d’en rire. L’enjeu étant le bien-être des personnes, la politique est une affaire sérieuse. Quelle est selon toi la question la plus grave que tu aies abordée ? Celle de Roland Nef, qui était à l’époque chef de l’armée et responsable au niveau le plus élevé de la noyade de soldats dans la rivière Kander, peu de temps après l’autre drame de la Jungfrau. Il avait tenté de faire retomber la responsabilité sur les miliciens, qui auraient dû – selon lui – refuser les ordres. Cela m’a paru être le comble de la lâcheté. Peu de temps après, il a d’ailleurs fallu le licencier pour son comportement dans sa vie privée.

IL Y A 20 ANS … Nelson Mandela reçoit le prix Nobel de la paix pour sa contribution à la fin pacifique du régime d’apartheid qui régnait en Afrique du Sud. Les USA adoptent un acte sur le congé familial et médical. Le 1er août devient un jour férié chômé dans toute la Suisse. (pc)

D’un autre côté, certaines lettres m’ont vraiment fait rire. Je pense que ma préférée est celle répondant à la Migros, qui te proposait de poser en sous-vêtements pour l’une de ses campagnes de publicité. Quelle est à tes yeux la situation la plus risible que tu aies relatée dans tes lettres ? C’est sans doute celle-là, d’autant plus risible que quelques malheureux candidats se sont effectivement retrouvés sur les affiches de la Migros dans toutes les gares, en petite tenue. Cette tentation de mêler publicité et propagande ne peut venir qu’à des professionnels de la communication commerciale, prêts à n’importe quelle outrance pour vendre leurs produits : les pauvres candidats n’étaient plus finalement qu’un produit parmi d’autres. ■ –Propos recueillis par Philipp Chemineau

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Dominique de Buman

Les bonnes raisons de dire OUI à la loi sur l’aménagement du territoire Par le passé, divers cantons et communes ont défini des zones à bâtir surdimensionnées : comptant souvent des constructions dispersées et de nouveaux bâtiments très excentrés, ces zones aggravent le mitage du territoire. Pour y remédier, la modification de la loi sur l’aménagement du territoire vise à séparer plus clairement les territoires constructibles des territoires non constructibles, à assurer un développement compact du milieu bâti, à mieux utiliser les friches urbaines et à réduire les zones à bâtir surdimensionnées. Par ailleurs, la taille des zones à bâtir devra désormais se fonder sur les besoins prévisibles pour les quinze ans à venir. Le Parlement a adopté la modification de la loi sur l’aménagement du territoire à titre de contre-projet indirect à l’initiative pour le paysage, qui vise à interdire pendant vingt ans l’augmentation de la surface totale des zones à bâtir en Suisse. Le comité d’initiative l’a retirée à condition que la modification de la loi entre en vigueur : si la révision est rejetée, l’initiative pour le paysage sera soumise au vote.

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OUI à la loi sur l’aménagement du territoire Le PDC soutient la révision de la loi sur l’aménagement du territoire notamment pour les raisons suivantes : – La révision freine le mitage du territoire : la modification de la loi sur l’aménagement du territoire garantit une utilisation plus économe du sol. Les dispositions en vigueur poursuivent certes déjà cet objectif, mais sa réalisation s’est avérée très variable selon les cantons. La révision impose désormais aux cantons et aux communes de réduire les zones à bâtir surdimensionnées. Elle contribue ainsi à la sauvegarde du paysage et, partant, à la défense des intérêts du tourisme et au maintien d’espaces de délassement pour la population. Des zones à bâtir surdimensionnées font disparaître de précieuses terres cultivables sous les constructions dispersées. Les nouvelles dispositions mettent un frein à ce gaspillage du sol. Elles évitent parallèlement les frais importants de raccordement (routes, électricité et eau) qu’implique la dispersion des bâtiments. Ces frais sont en effet souvent deux fois plus élevés lorsque le milieu bâti est dispersé, d’où une facture plus lourde pour le contribuable. La révision permet de lutter contre ce phénomène. – La révision est équilibrée : la révision garantit que les cantons et les communes touchent une part de la plus-value découlant du classement d’un terrain en zone à bâtir. Un propriétaire peut en effet voir la valeur de son terrain augmenter fortement, quasiment du jour au lendemain, pour une simple décision d’aménagement du territoire. S’il vend son terrain ou s’il y construit, il peut engranger des gains élevés. Une


partie de ces gains sera désormais prélevée pour indemniser les propriétaires dont le terrain est déclassé. Pendant de l’indemnisation, la taxe sur la plus-value est équitable et elle a donné de bons résultats dans les cantons et les communes qui l’ont introduite. La Conférence suisse des directeurs des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement est du même avis et soutient de ce fait la révision. – La révision ne touche pas à la répartition des compétences : la révision de la loi ne touche pas à la répartition des compétences entre la Confédération, les cantons et les communes : dans le domaine de l’aménagement du territoire, le rôle des cantons et des communes reste prépondérant. La mise en œuvre passera d’abord par une adaptation des plans directeurs cantonaux, puis des plans d’affectation communaux, et enfin par la modification des zones à bâtir. Le temps à disposition est suffisant. – La révision améliore la disponibilité des terrains : la révision aidera les communes à accroître la disponibilité des terrains constructibles. Les communes ne manquent certes pas de terrains, mais leurs propriétaires ne les utilisent pas à des fins de construction, par exemple parce que les parcelles sont morcelées, qu’elles sont mal situées ou qu’elles appartiennent à différentes personnes qui ne parviennent pas à s’entendre sur un projet. Les terrains concernés ne sont donc jamais mis sur le marché, ce qui pousse les communes à classer en zone à bâtir de nouveaux terrains situés à la périphérie du milieu bâti. La révision de la loi améliore la situation en facilitant l’échange de terrains constructibles, ce qui permettra de construire à un endroit judicieux. Elle autorise par ailleurs

les cantons à fixer des délais pour construire sur un bienfonds et lutte donc contre la spéculation et la thésaurisation foncière. Elle empêche ainsi que des terrains situés dans ces endroits prisés ne soient soustraits au marché et n’alimentent la flambée des prix fonciers. – La révision est une meilleure solution que l’initiative rigide pour le paysage : la modification de la loi sur l’aménagement du territoire apporte de meilleures réponses que l’initiative pour le paysage, qui est trop rigide. Accepter l’initiative reviendrait en effet à geler pour vingt ans les zones à bâtir en Suisse. Cette mesure serait erronée, car de nombreux cantons n’auraient plus la possibilité de classer en cas de besoin de nouveaux terrains en zone à bâtir, ce qui pèserait lourdement sur leur développement économique. Lorsque la croissance de la population et l’installation de nouvelles entreprises sont prévisibles, les autorités doivent conserver la possibilité de classer des terrains en zone à bâtir. L’initiative pour le paysage récompenserait les cantons qui ont défini des zones à bâtir surdimensionnées, tandis que les cantons qui ont défini leurs zones à bâtir correctement seraient pénalisés. Le Conseil fédéral estime dès lors que l’initiative est inadaptée. Aussi recommande-t-il de donner la préférence à la modification de la loi sur l’aménagement du territoire en acceptant la révision de la loi, afin de conserver l’attrait de la Suisse comme lieu de résidence et de travail. ■

Dominique de Buman est conseiller national FR.

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Jacques Neirynck

L’ARMÉE DES JOURS OUVRABLES

A force de lire les rapports, les messages et les prises de position, on découvre des choses intéressantes dont on n’imaginait même pas qu’elles puissent exister. Ainsi dans la controverse interminable sur l’achat pour plus de trois milliards des avions Gripen, le département de la défense a publié une note de motivation le 30 novembre 2011. On y apprend que les Forces aériennes assurent une mission de sauvegarde de l’espace aérien durant les seuls jours ouvrables par suite des ressources limitées en personnel et en finance. Les radars en revanche surveilleraient tout le temps. Mais d’abord on ne comprend pas à quoi cela sert puisqu’il n’y a pas de moyens d’intervention disponibles et ensuite, c’est faux. Une visite impromptue voici quelques années à la station radar militaire située sur la Plaine Morte nous apprit qu’effectivement elle ne fonctionnait que durant les jours ouvrables. Mais au département de la défense on ignore ce détail, qui serait certainement connu de nos ennemis potentiels, s’ils existaient. On apprend encore que de toute façon, en temps de paix, abattre un objet volant non coopératif n’est pas une option acceptable. Là aussi le ministre en charge, l’excellent Ueli Maurer, n’est pas au courant. La seule fois, où récemment des avions militaires violèrent notre espace aérien, se produisit pendant la guerre d’Irak : des avions américains, un peu pressés, traversèrent notre ciel sans demander la permission. Interrogé au Parlement sur sa réaction au cas où cela se reproduirait, le ministre affirma froidement que ces avions seraient abattus. Cela procède donc de sa seule imagination et de la pose héroïque qu’il affecte dans le débat politique. Enfin on peut se demander si un Gripen serait capable le cas échéant, les jours ouvrables, de remplir cette mission d’interception, sachant qu’un avion militaire de haute performance 22

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traverse le ciel suisse en huit minutes et que le Gripen n’est pas un avion parmi les plus rapides. Le Rafale atteint Mach 1.8 et le Gripen Mach 1.2. Si la gendarmerie autoroutière fonctionnait comme nos forces aériennes, cela signifierait ceci : les chauffards sont prévenus qu’il n’y a pas de patrouille le samedi et le dimanche. Les jours de semaine, la surveillance est effectuée à bord de vélos avec lesquels les gendarmes prétendent rattraper une Maserati. Le cas échéant, faute d’y réussir, ils établiront des barrages routiers, mais ils promettent de ne pas faire usage de leurs armes. Dans son infinie sagesse, le département de la défense a procédé à une analyse des dangers réels et a conclu qu’ils n’existent pas. En revanche la gendarmerie sait que les chauffards dangereux circulent tout le temps. Pourquoi allons-nous dépenser plus de trois milliards pour nos forces aériennes ? Personne à Berne ne le sait. Il serait temps de prendre au sérieux notre sécurité : acheter les meilleurs avions du monde, les rendre opérationnels à n’importe quel moment. Et si nous n’avons pas les moyens de cette politique, avoir la politique de nos moyens : remettre notre sécurité aérienne à des voisins compétents. ■ Jacques Neirynck est conseiller national VD et rédacteur en chef adjoint de LA POLITIQUE.

o uve rt to us le s jo u rs o uvra ble s!


Elisabeth Schneider-Schneiter

SUR LA NATURE DES FRONTIÈRES On peut réunir beaucoup d’informations sur la création, le déplacement et la suppression des frontières. Lors du Pacte fédéral d’alliance perpétuelle de 1291 sur le Grütli, la Confédération comportait en tout trois communautés. Les parties concernées de l’époque devaient visiblement se démarquer pour faire valoir leurs droits et affirmer leurs libertés. Cette délimitation n’était toutefois pas synonyme d’exclusion, un fait qui fut clair déjà 200 ans plus tard. L’alliance originale s’étendit relativement vite et environ 200 ans plus tard la Suisse existait pratiquement sous sa forme actuelle. Les frontières extérieures de la Confédération furent sans doute encore élargies au cours des années suivantes. En revanche, des frontières internes furent supprimées et surmontées. On étudia la création d’une monnaie unique à l’intérieur de l’Etat fédéré ou l’introduction d’unités de mesure uniformes. Par ailleurs des lois harmonisées, qui tenaient compte de la diversité culturelle des communautés, furent mises en vigueur. Que l’on soit favorable ou que l’on s’oppose à une Europe de plus en plus soudée, c’est un fait que la Confédération a déjà accompli sur plusieurs siècles l’évolution qui est en cours en Europe depuis environ cinquante ans.

Atteindre ses limites Aujourd’hui on ne remarque plus guère les frontières entre les différentes communes et entre les cantons hormis leurs responsabilités et compétences politiques respectives. Les gens perçoivent plus leur appartenance en terme de région comme par exemple la région bâloise. Or, les régions ont elles aussi

leurs frontières. Et à notre époque, il n’est pas moins important qu’en 1291 de définir des limites et de se démarquer. Réfléchir sur ses propres limites et les reconnaître sont des expériences primordiales qu’il convient de renouveler constamment. Il ne s’agit pas seulement de frontières territoriales, mais également de frontières ethniques ou sociétales. Connaître ses propres limites implique aussi de prendre conscience de ses racines et de ses valeurs, de les défendre et, si besoin est, de les redéfinir. En effet, les notions de famille, de culture et de limites peuvent être perméables, afin d’éviter qu’elles ne conduisent au cloisonnement ou à l’exclusion.

Transgresser certaines limites Nous devons appréhender nos limites comme les Confédérés l’ont toujours fait : évoluer tout naturellement au sein d’une société dont on fait partie et qui s’est agrandie au fil des siècles pour devenir un modèle de succès durable qui inspire confiance, car elle saura relever aussi à l’avenir les défis auxquels elle sera confrontée, même si elle devait pour cela franchir certaines limites. ■ Elisabeth Schneider-Schneiter est conseillère nationale BL. LA POLITIQUE 1 Février/Mars 2013

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Anne Seydoux-Christe

DROIT SANS FRONTIÈRES Pendant ces dix dernières années, environ 300 entreprises transnationales ont établi leur siège dans notre pays. Un grand nombre d’entre elles sont actives dans des secteurs à risque en matière de droits humains et d’environnement, notamment dans celui des matières premières. Or, en cas de violation des droits humains et de l’environnement par les filiales, sous-traitants et fournisseurs à l’étranger de ces entreprises, la Suisse court un risque sérieux pour sa réputation.

La campagne « Droit sans frontières », mise sur pied par une cinquantaine d’ONG, a démarré en novembre 2011 par le lancement d’une pétition qui a recueilli 135 285 signatures et a été déposée au Parlement le 13 juin 2012. Elle demande l’adoption par le Conseil fédéral et le Parlement de règles juridiquement contraignantes vis-à-vis des entreprises multinationales ayant leur siège en Suisse, avec un double objectif : d’une part, obtenir que celles-ci veillent au respect des droits humains et environnementaux par leurs filiales, soustraitants et fournisseurs actifs à l’étranger. D’autre part, que les victimes de violations aient accès aux tribunaux suisses pour obtenir réparation des préjudices subis. En effet, dans ce domaine, il ne suffit pas d’encourager les initiatives volontaires prises par les entreprises. Les Principes directeurs élaborés par John Ruggie, ancien représentant spécial de l’ONU pour les questions droits humains et entreprises, adoptés en 2011 à l’unanimité par le Conseil des droits de l’homme, demandent aux 24

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Etats de prendre les mesures nécessaires, via un mélange de mesures volontaires et contraignantes, pour que les multinationales qui y ont leur siège respectent les droits humains partout dans le monde et que les victimes de violations puissent obtenir réparation. Plusieurs interventions parlementaires ont été déposées dans le cadre de cette campagne. Dans ses réponses, le Conseil fédéral privilégie l’autorégulation dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises. Lors de la session d’hiver 2012, le Conseil national a cependant accepté de justesse un postulat demandant au Conseil fédéral un rapport sur une stratégie visant à appliquer en Suisse le cadre de référence « protéger, respecter et réparer » élaboré par John Ruggie (12.3503, von Graffenried). Espérons que le Conseil fédéral fera diligence pour présenter ce rapport aux Chambres dans les meilleurs délais ! ■

Anne Seydoux-Christe est conseillère aux Etats JU.


Yannick Buttet

LES COLS EN VALAIS – UN TRAIT D’UNION AVEC NOS AMIS !

Furka, Grimsel, Nufenen, Simplon, Lötschberg, Gemmi, Sanetsch, Riedmatten, Grand-St-Bernard, Forclaz, Morgins, … autant de noms connus en Valais, en Suisse et même au-delà. Si dans le passé l’importance d’un col était premièrement militaire – Napoléon a d’ailleurs choisi le Valais pour franchir les Alpes et poursuivre ses conquêtes – ces points de passage privilégiés ont également joué depuis de très nombreux siècles un rôle économique. En effet, les échanges commerciaux, que ce soit à l’échelle de la région, du pays, du continent voire de la planète ont profité et profitent toujours de ces endroits favorables au transit. Durant certains siècles, ils ont d’ailleurs permis la prospérité des vallées alentours. La Suisse le sait bien puisque notre pays s’est constitué autour du col du Gothard, lieu de passage principal entre le Nord et le Sud de l’Europe. Ces fonctions historiques restent d’actualité même si l’on a essayé de dompter ou de tromper la montagne en creusant des

tunnels dans son flanc pour éviter d’avoir à l’arpenter. Les cols sont également utiles à la faune puisque nombre d’espèces les utilisent pour assurer leur migration. Les cols du Valais remplissent également toutes ces fonctions mais ils sont aussi pour nous un symbole fort de l’amitié qui unit les Peuples des montagnes d’abord, l’ensemble de l’Europe et du monde ensuite. Ces points de passage dans une nature magnifique mais rude et dangereuse ont permis le contact des Valaisans entre eux, d’une vallée à l’autre, mais aussi des Valaisans avec les autres Confédérés, Vaudois, Bernois, Uranais et Tessinois tout comme avec nos voisins français et italiens. Ces cols font du Valais une région ouverte et interconnectée avec le monde. Finalement, si au premier abord, les montagnes peuvent être perçues comme une barrière ou un obstacle, elles constituent plutôt un lien et les échanges qui en découlent sont un enrichissement pour celles et ceux qui ont la chance d’y participer. ■ Yannick Buttet est conseiller national VS. LA POLITIQUE 1 Février/Mars 2013

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Gerhard Pfister

LES TRAVAILLEURS ÉTRANGERS RENFORCENT L’ÉCONOMIE SUISSE La libre circulation des personnes subit des pressions politiques. La droite veut rompre cet accord signé avec l’UE avant qu’une meilleure alternative ne se dessine à l’horizon. Un retour aux contingents ne tient pas compte des besoins d’une économie suisse efficace et mondialisée. La gauche reproche aux entreprises de pratiquer le dumping salarial et attribue la hausse du coût des logements aux étrangers. Les deux suppositions sont fausses, parce qu’elles mettent la faute sur la libre circulation des personnes, alors que c’est le succès de l’économie suisse qui nous pose problème et suscite l’envie des autres pays. Et la libre circulation des personnes est un facteur important du succès de la Suisse. L’immigration n’est plus la même qu’autrefois. Le nombre de ressortissants d’Etats tiers est resté stable ces dernières années, tandis que celui des Etats membres de l’UE /l’OTAN a fortement augmenté. Pourquoi ? Parce que l’économie, en plein essor, a un besoin urgent de cette main-d’œuvre ! Contrairement à ce qui a souvent été affirmé, il n’y a pas eu d’évincement des actifs indigènes ; le taux de chômage est resté aussi bas parmi les Suisses que parmi les étrangers. Il a même baissé ponctuellement. Une pression sur les salaires n’a pas été exercée non plus, et depuis 2002 les salaires ont connu une augmentation réelle de 0,6 % par an. Durant la décennie précédente – avant la libre-circulation des personnes – cette augmentation était de 0,2 %. Aujourd’hui, 83 % des immigrants sont titulaires d’un diplôme du niveau secondaire II, 51 % sont même titulaires d’un diplôme tertiaire.

Les effets secondaires du succès Ces chiffres nous montrent que le problème ne réside pas dans la libre-circulation des personnes. Le succès de la Suisse a des effets secondaires parce que notre pays constitue un habitat séduisant et un espace économique attractif. En Suisse, le stress 26

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lié à la densité est le défi politique à relever. Mais ce sont, en fin de compte, des défis surmontables ; tandis que dans d’autres pays européens, les dettes s’accumulent et une génération perdue grandit sans perspective d’avenir. Nous avons le choix entre résoudre les problèmes d’un pays riche ou ceux d’un pays qui n’a plus assez de ressources pour nourrir ces habitants. Les premiers sont plus faciles à résoudre que les seconds.

Gagner les votations Ces prochaines années, trois votations relatives à la migration vont nous mettre au défi : – l’initiative Ecopop, un mélange grossier de colonialisme et d’isolationnisme – l’initiative de l’UDC « Contre l’immigration de masse », qui veut révoquer la libre-circulation des personnes sans prendre en compte les conséquences – et l’élargissement de la libre-circulation des personnes à la Croatie. Pour que les résultats de ces votations permettent à la Suisse de préserver sa richesse et son économie libérale, il faut un centre pragmatique à la croisée de l’échiquier politique. Le succès de la Suisse dépend de nous. Nous sommes capables de fournir les solutions qui permettent à la Suisse de rester en tête de la course. ■ Gerhard Pfister est conseiller national ZG.


RENDEZ-VOUS Sophie Buchs, secrétaire générale du PDC Genève

CAROUGE

Je suis fière de vous faire découvrir Carouge, la commune où je vis depuis ma naissance. Carouge est une ville très particulière, tant par son histoire, que par la qualité de vie qu’elle offre à ses habitants et ses visiteurs. Carouge a été construite à la fin du XVIIIe siècle et a longtemps été une ville de passage pour des voyageurs et commerçants. Les Genevois qui fuyaient l’austérité de leur ville venaient y festoyer. Depuis, ma commune a toujours gardé cet esprit d’ouverture et de fête, qui se retrouve dans la mixité de ses habitants et leur amour commun pour les petits bistros de quartier. J’aime également Carouge pour sa vie politique bouillonnante. Un vrai bastion de la gauche de la gauche ! Le PDC a l’occasion d’y exercer une vraie politique communale d’opposition.

Je suis entrée au PDC Carouge grâce à mon père et j’y suis restée, car j’y ai trouvé une équipe de vrais Carougeois amoureux de la politique, mais surtout du PDC. Nous publions quasiment tous les jours un blog où nous présentons nos projet et fustigeons de manière humoristique les drôles d’idées de nos amis de gauche (→ www.pdccarouge.blog.tdg.ch). Si je suis si fière d’être Carougeoise, c’est que ma ville représente non seulement mes racines, mais aussi mon premier attachement à la politique. Il m’est impossible de dissocier ma loyauté au PDC de ma loyauté à mes amis démocrates-chrétiens de Carouge. ■ Vive Carouge, vive le PDC !

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Le 3 mars

OUI à la famille ! OUI à l’article constitutionnel du PDC sur la famille ! www.pdc.ch


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