Le journal du PDC suisse, octobre 2010

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Sommaire

TITres

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inveStir danS le futur l’art vu par deS perSonnalitéS SuiSSeS SouS la Coupole fédérale nollywood de viCtor Hugo à andré gluCkSmann l’art, la politique, la CommuniCation la CHapelle de mark rotHko Communiquer, paS Si Simple leS enfantS et l’art loi Sur l’enCouragement de la Culture la plaCe de la muSique une Stratégie Claire pour l’armée de demain 29 leS muSiCienS, génieS ou HurluberluS

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reNDeZ-VOus

15 Hünenberg, Zg VOTATIONs

18 initiative du pS: de la poudre aux yeux 19 gloSSaire Sur la fiSCalité 31 Contre-projet à l’initiative Sur le renvoi

Impressum

EDITEUR Association LA POLITIQUE ADRESSE DE LA REDACTION LA POLITIQUE, Case postale 5835, 3001 Berne, tél. 031 357 33 33, fax 031 352 24 30, courriel binder@cvp.ch www.la-politique.ch REDACTION Marianne Binder, Jacques Neirynck, Yvette Ming, Simone Hähni, Lilly Toriola, Rudolf Hofer, Manuel Trunz TRADUCTION Yvette Ming, Isabelle Montavon GRAPHISME, ILLUSTRATIONS ET MAQUETTE Brenneisen Communications, Bâle IMPRIMERIE UD Print, Lucerne ANNONCES ET ABONNEMENTS tél. 031 357 33 33, fax 031 352 24 30 Courriel abo@die-politik.ch, abonnement annuel CHF 32.–, abonnement de soutien CHF 60.– PROCHAIN NUMERO novembre 2010

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COUvERTURE

mare Imbrium (mer des pluies) 2009, photographie, série de 4 photos (photo 3 sur 4): La jeune artiste Verena schmocker (née à Berne en 1983) a étudié à la Haute école des arts ainsi qu’à l’Université de Berne. Ses travaux sont philosophiques formels, géométriques, abstraits et se traduisent par des installations, des objets tridimensionnels, des dessins et des photographies. Ses œuvres ont notamment été exposées à la Kunsthalle de Berne. La photo de couverture «Mare Imbrium» est un travail de 2009 montrant une assiette qui a été recouverte de pollen durant une année. Ce sont des gouttes d’eau qui ont fait apparaître ces cratères lunaires. Verena Schmocker commente son oeuvre «Mare Imbrium»: «Les astéroïdes et les comètes sont pour la lune, ce que les gouttelettes d’eau sont pour la terre. Il faut beaucoup de temps pour que la pluie devienne une mer. On attend. La poussière lunaire et les précipitations produisent la structure caractéristique. Les images sont la preuve d’un phénomène météorologique, une forme de prise de vue privée. Bientôt une réalité? Est-ce que la lune sera bientôt un sujet immortalisé dans nos caméras digitales, par des touristes effectuant un vol dans l’espace autour de la terre? 2009, le 40ème anniversaire du premier atterrissage sur la lune! A-t-il vraiment eu lieu? Le ballon suspendu dans le ciel garde son secret et sourit doucement la nuit venue. Les photographies permettent de donner une illusion d’optique au cerveau humain. Une douce poésie. La lune et la terre sont issues du même noyau brillant. Alors que nous tournons sur orbite, nos rotations sont synchronisées. La lune est notre premier point fixe dans le grand saut vers l’univers.»


eDITO – Marianne Binder, Rédactrice en chef

aux antipodeS Pourquoi un magazine politique consacre-t-il un numéro à «l’art»? La politique est communément considérée comme un monde aux antipodes du bien, du vrai, du beau. Ou peut-être pas? Trouve-t-on des éléments artistiques dans l’activité politique courante? Est-ce qu’un bon discours politique présente des qualités esthétiques? Est-ce que les politiciens sont des comédiens et les artistes des sismographes qui bousculent la société? Faut-il que l’Etat encourage la culture? Qu’est-ce que la culture? La politique? «La politique est l’art du possible» disait Bismarck. Depuis Hirschhorn, nous savons aussi que l’art donne la possibilité de dénigrer la politique. Avec les deniers publics. Il y a de bonnes raisons de s’en énerver. Mais la politique ne doit pas pour autant dicter le contenu de l’art. Car comme le relevait Johann Nestroy: «La censure, c’est l’aveu vivant que font les dirigeants qui bottent les fesses d’esclaves abrutis mais qui ne peuvent pas gouverner des peuples libres.» En préparant ce numéro, j’ai eu l’impression que de nombreux artistes préféraient rester à l’écart de la politique. Je remercie ceux qui ne nous ont pas répondu négativement en disant: «Nous ne voulons rien avoir à faire avec la politique.» La Suisse existe. Il est facile de réfuter ceux qui se taisent. D’ailleurs qu’il s’agisse des artistes ou des politiciens, la bonne volonté n’excuse pas le mauvais travail. Churchill. Vous avez en mains le dixième numéro de LA POLITIQUE nouvelle formule. Nous souhaitons attirer votre attention sur la possibilité que vous avez d’offrir un abonnement à notre magazine en complétant le bulletin ci-joint. Vous soutiendrez ainsi le travail de la rédaction et le PDC suisse.

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Jean-Frédéric Jauslin, Directeur de l’Office fédéral de la culture

l’enCouragement de la Culture, un inveStiSSement danS le futur Les opinions sur l’encouragement de la culture sont aussi variées que le sens de la notion de culture elle-même. Pour certains, elle doit garantir que les institutions publiques entretiennent et préservent notre patrimoine culturel. D’autres la considèrent comme un investissement en temps de crise: la culture doit alors apporter un soutien à la collectivité. Quatre bonnes raisons parlent en faveur de l’encouragement de la culture aujourd’hui. – Expression de l’identité sociale Autrefois, l’encouragement de la culture par l’Etat permettait à celui-ci d’affirmer son existence et d’entretenir son patrimoine culturel. Mais en raison de l’accroissement de la mobilité et de la globalisation, le débat politico-culturel est dominé depuis les années 80 par des aspects économiques et socioculturels. Ces derniers s’expliquent par le fait que la cohabitation de personnes d’âge, de sexe et d’origine différents a renforcé le besoin d’une identité régionale, d’une cohésion nationale et d’un rapprochement des peuples. C’est la raison pour laquelle la création d’une identité par la culture est devenue une composante fondamentale de notre société. – Contribution au développement démocratique La culture permet à l’individu non seulement de se comprendre lui-même et son entourage mais également de développer une réflexion et de s’exprimer. C’est pourquoi notamment la conscience émotionnelle et intellectuelle de nos perceptions sensorielles – par exemple le fait de regarder un tableau – est importante pour l’ensemble de la société. Cela contribue à ce que les gens s’informent sur le plan culturel afin de pouvoir respecter leurs droits et obligations civiques. – Cadre réglementaire pour les travailleurs culturels La politique culturelle de l’Etat ne se limite pas au soutien financier d’institutions, d’établissements et de projets culturels. Faisant partie intégrante de la société, les travailleurs culturels ont besoin d’un cadre réglementaire. Dès lors la notion de politique culturelle implique également la défense des intérêts des travailleurs culturels. C’est pourquoi il importe d’intégrer l’encouragement de la culture par l’Etat également dans des domaines tels que la politique fiscale et finan4

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cière, le droit d’auteur ou le droit des assurances sociales afin de soutenir les travailleurs culturels dans leur activité.

– Importance économique La culture revêt non seulement une importance sociale, mais elle apporte sa propre contribution à l’économie réelle. Cette constatation s’est imposée au cours de ces dernières années. La culture dégage un bénéfice accessoire dans la mesure où l’offre culturelle génère des valeurs positives au niveau de l’image qu’elle véhicule. De fait, un large éventail culturel est susceptible d’améliorer la qualité de vie de la population d’une ville, d’une commune ou d’une région et d’influencer ainsi favorablement des entreprises économiques dans le choix d’un lieu d’implantation. De même, la culture sert de moteur au développement économique dans les domaines de l’emploi, de la consommation de loisirs, du développement urbain, etc. L’utilité directe de la culture réside dans son insertion dans un cadre économique qui s’établit durablement en secteur de croissance. Le Musée suisse de l’habitat rural de Ballenberg et ses partenaires en est un exemple classique: avec un chiffre d’affaires de 15 millions de francs, l’entreprise globale réalise directement une plus-value brute de 7,4 millions de francs ce qui équivaut à une centaine de postes de travail à plein temps. D’autres secteurs culturels, tels que la musique, le livre, le film ou le design exercent une influence sur l’économie générale d’un pays, sans parler du caractère innovant de l’économie culturelle et créatrice, dont l’impact sur notre économie et société, toutes deux fondées sur le savoir, est susceptible d’augmenter dans le futur. Conclusion: ceux qui encouragent la culture investissent dans la société et dans son futur! ■


Qu’est ce Que L’art?

«Pour moi, l’art est avant tout une œuvre (picturale, musicale, artisanale, peu importe) que l’on reconnaît comme belle, que l’on a envie de voir, d’entendre, de toucher, de goûter et de partager. L’art a trop longtemps été réservé à une élite. Depuis une trentaine d’années, il est devenu accessible à un large public, ce qui a fait le succès de la Fondation Pierre Gianadda qui a accueilli à ce jour plus de 8 millions de visiteurs.» Léonard Gianadda, Président de la Fondation Pierre Gianadda, Martigny

Il y a autant de définitions de la culture que d’auteurs. La culture est un mode d’expression. C’est une manière d’expliquer un monde, un pays, une réalité. La culture c’est l’une des nourritures de l’âme, car elle nous permet d’accéder à des réalités qui nous transcendent. La culture est le patrimoine génétique d’un pays, ce qui constitue son identité réelle, sa raison d’être et d’espérer. Christophe Darbellay, Président du PDC suisse

L’art, c’est ce que fait l’artiste. Mais cela ne dit pas encore si l’art est bon ou mauvais. En général, il est bon lorsqu’il est le fruit d’une grande passion et d’une compétence élevée. Il est mauvais quand il ne répond qu’à des critères esthétiques. Heinrich Gartentor, Artiste de performance, premier ministre de la culture élu virtuellement en Suisse

«L’art exalte le sens et nos sens. Sans l’art, nous voyons mal, nous n’entendons que peu de sons, nous sommes plus loin de nous-mêmes. L’art nous ramène à l’essence de l’existence à sa fragilité, sa violence, son mystère. L'art attise et nourrit nos perceptions du vivant, formule les questions que nous ne nous posons pas et qui constituent l’infini de notre humanité. L’art est un ailleurs inespéré. Un horizon sans limite qui nous sauve de nos prisons intérieures et sociales.» Anne Bisang, Directrice de la Comédie de Genève

«L’art est un besoin fondamental de l’être humain. L’art est une passion, presque une sorte d’élixir de vie. Pour moi personnellement, c’est un besoin de remettre en question les choses, de les modifier, de les déformer et de les reformer. La spécificité de l’art est qu’il est inutile. L’art n’a pas à remplir une tâche directement traduisible de façon rationnelle. Dans son absence de sens, l’art constitue toutefois un contrepoint nécessaire à la vie qui doit sinon être toujours et partout remplie de sens.» Frank Bodin, Publicitaire et pianiste

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rudolf Hofer, Bümpliz

tHéâtre SouS la Coupole

Il n’est pas rare d’entendre au café du commerce la remarque: «ce qui se déroule sous la coupole fédérale est digne d’une pièce de théâtre.» cette affirmation est devenue réalité le 2 mai 1991 à six heures du soir. La comédie «Hercule et les écuries d’augias» de Friedrich Dürrenmatt a été jouée dans la grande salle devant l’assemblée fédérale. L’auteur y parodie la légende antique. A Elide, le fumier s’entasse depuis des années. Le Parlement décide de charger Hercule de nettoyer en une journée ce fumier qui s’amoncelle dans son pays. Pour l’évacuer, le héros propose de dévier deux rivières. C’est alors que le Parlement d’Elide entre en scène. Chaque membre émet ses doutes. Le fumier est un produit d’exportation important. Il pourrait cacher des trésors que l’eau risquerait d’endommager. A chaque objection, le Parlement déclame en chœur: «C’est déjà décidé, nous formons une commission.» A la fin Hercule part et le fumier reste. De fait, il n’est besoin ni d’acteurs ni d’une scène improvisée pour que les parlementaires se croient au théâtre. Dans le cadre du débat sur la grève nationale de 1918, le Conseiller national Rikli a qualifié l’intervention du social-démocrate 6

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Greulich de «théâtre de marionnettes». Dans la discussion sur l’acquisition du char de combat Léopard, Barbara Gurtner (Poch) est intervenue, vêtue d’un tailleur-pantalon imprimé léopard qu’elle a confectionné elle-même.

Présentation de la politique Le théâtre n’est pas la vraie vie. Après la représentation, Gessler – qui vient de mourir sur scène – salue le public. Le théâtre est une représentation de la réalité. Celui qui prétend que les membres du Parlement ne font que «jouer du théâtre» part de l’idée qu’il faut faire de la politique au Parlement au lieu de la mettre en scène. Il part de l’idée que le Conseil national et le Conseil des Etats rassemblent 246 personnes intelligentes qui votent objectivement après un examen circonspect des opinions entendues.


Les parlementaires sont certes intelligents, ils ne sont par contre pas dénués de préjugés. Ils ont déjà déclaré pendant la campagne électorale ce qu’ils pensent des grandes questions politiques. Ils connaissent les propositions que leurs partis et associations ont mises en consultation. Les spécialistes dans les différents domaines ont discuté à fond des objets au sein des commissions concernées. Les groupes ont débattu des questions délicates et déterminé une ligne directrice. Un débat mené en plénum ne saurait guère changer l’opinion.

Théâtre et démocratie Alors pourquoi les parlementaires s’expriment-ils toujours et ne votent-ils pas directement? Les arguments sont exposés au peuple qui est souverain. C’est le cas en particulier lorsque le dernier mot revient impérativement ou – grâce au référendum facultatif – vraisemblablement au peuple. Le parlementaire ne s’adresse pas à ses collègues, mais il clame ses paroles pour le peuple qui se trouve à l’extérieur. La politique n’est pas faite dans le cadre des sessions plénières. Elle y est mise en scène à l’intention du peuple. D’ailleurs, entre 1891 et 1971, seuls les procès-verbaux des débats tenus sur des objets susceptibles de donner lieu à une votation populaire ont été publiés sous forme écrite. Les interventions parlementaires s’adressaient en fin de compte aux citoyens. Le Parlement discutait à la place du peuple qui votait ensuite. Comme le théâtre, le Parlement vit des échanges entre diverses personnes et opinions. Lorsqu’il n’y a pas affrontement entre des avis divergents nous sommes face à des parlements de façade tels que le Reichstag sous Hitler ou le parlement soviétique. Ce type de théâtre est ennuyeux. Le parlementarisme présuppose que la position de l’adversaire est jugée fausse mais que sa prestation est légitime. Le Parlement est concerné par ce que Hegel a dit au sujet de la tragédie, à savoir qu’elle met en scène «une opposition entre deux parties qui, considérées séparément, ont leur raison d’être.» C’est à ce niveau que se situe également la sévérité du règlement des Chambres fédérales. Le parlementaire est libre de dire ce qu’il veut. Le cas échéant, il doit en assumer les conséquences politiques. Mais c’est le règlement qui détermine le moment et la manière de le faire. Au Parlement, la maîtrise de l’art théâtral consiste à savoir formuler et présenter son opinion à l’intérieur de ces limites de façon à ce qu’elle soit comprise non seulement par le Conseil mais également par les médias et par le peuple, qu’elle soit convaincante et accrocheuse. ■

Missing Link

L

es fresques à l’intérieur de la chapelle degli Scrovegni de Padoue est une des créations les plus magistrales de l’art occidental. Giotto a reçu le mandat d’Enrico Scrovegni, dont le père Reginaldo accumula une fortune énorme en pratiquant l’usure, ce qui lui a toutefois valu une réputation douteuse. Dante a placé avec raison Reginaldo dans le septième cercle de son Enfer, un univers peu confortable où pleut le feu. La construction de la chapelle devait permettre à la famille Scrovegni de s’assurer son salut après la mort, en dépensant pour la plus grande gloire de Dieu une partie de la fortune acquise de façon suspecte. Dans sa représentation du Jugement dernier, Giotto place le noble donateur, vêtu de l’habit de pénitent de couleur violette, du côté de ceux qui sont sauvés. Un bon retour d’investissement pour Enrico. Sept cents ans plus tard, nous apprécions toujours l’indulgence exprimée dans l’œuvre d’art financée par des usuriers, sans doute mal à l’aise de posséder autant d’argent. On pourrait se demander si ce ne serait pas aussi un modèle de financement pour l’art contemporain de pointe. Ainsi on pourrait obliger les entreprises ou les dirigeants, qui ont essuyé un échec tel sur le plan moral que seuls les contribuables peuvent encore les aider à sponsoriser l’avant-garde artistique. Deux questions restent ouvertes: premièrement, celle de savoir si les hauts dirigeants d’aujourd’hui ont peur pour le salut de leur âme, ce qui suppose l’existence même de l’âme. Deuxièmement, celle de savoir si les œuvres d’art parrainées aujourd’hui pourraient être auréolées de gloire pendant les 700 prochaines années. Or, ce qui compte avant tout c’est qu’elles soient de qualité même si leur durée de vie est plus courte. De fait, la renommée d’un Giotto ne dépend certainement pas de la générosité de ses sponsors. –Gerhard Pfister La PoLitique 8 Octobre 2010

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Lilly toriola

filmS à SuCCèS d’un autre monde ces mélanges fous entre policiers, films d’action, d’épouvante et d’horreur, film à l’eau de rose et comédies qui portent des titres tels que «I want your wife», «angel of my Life» ou «Village on Fire», sont des films à succès d’un autre monde qui fascinent des millions de spectateurs. Mais en dehors de la diaspora africaine, rares sont les personnes à avoir remarqué le phénomène de «Nollywood», alors que l’industrie cinématographique trépidante du Nigéria a dépassé depuis longtemps Hollywood. Le trafic de drogues, l’escroquerie sur Internet et à la rigueur le pétrole: voilà les attributs associés au Nigéria. Or l’Etat le plus peuplé d’Afrique est également la patrie d’une des industries cinématographiques les plus vivantes. Ce n’est que récemment que l’Unesco l’a déclarée deuxième puissance cinématographique au monde, compte tenu du nombre de films produits. Elle se place derrière Bollywood, l’industrie cinématographique indienne. Il y a belle lurette qu’Hollywood a été relégué à la troisième place, sans que le monde occidental ne s’en rende compte. 8

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L’industrie cinématographique nigériane «Nollywood» – appelée ainsi par la chaine télévisée CNN en référence à Hollywood – produit une vingtaine de films par semaine, ce qui correspond à plus du double de la production hollywoodienne. Il s’agit de cassettes vidéo, un croisement hybride entre cinéma et télévision. Ces films à petit budget ne sont pas projetés dans les cinémas, mais ils sont vendus par milliers dans les rues. On les regarde chez soi en compagnie de proches, d’amis et de connaissances.


Soyinka, le premier lauréat africain du Prix Nobel de Littérature. Selon lui «Nollywood» n’entend pas répondre à des exigences artistiques mais veut avant tout divertir. La plupart des films sont tournés en moins de sept jours, dans les rues ou dans des appartements privés. Une petite caméra numérique suffit, le metteur en scène et les acteurs sont pour la plupart des amateurs, le budget de production ne dépasse que rarement les 15’000 US dollars. Les DVD sont ensuite vendus au prix de 1 à 2 dollars la pièce.

Un pays sans statistiques précises Au cours des quinze dernières années, «Nollywood» s’est transformée en une industrie qui offre du travail à quelque 200’000 personnes et qui réalise un chiffre d’affaires annuel de 95 à 680 millions d’euros. On ignore le montant exact. «Le Nigéria n’établit pas de statistiques précises», affirme Makin Soyinka. Ce qui est toutefois certain c’est qu’entre-temps «Nollywood» est devenu le deuxième plus important employeur derrière l’industrie pétrolière. Les films à succès sont vendus à 200’000 exemplaires. Ces films à petits budgets atteignent un million de spectateurs au Nigéria – qui compte 150 millions d’habitants – et dans l’ensemble de la diaspora africaine. Ils sont vus par des téléspectateurs kenyans, ghanéens et camerounais, de même qu’aux Caraïbes. Il y a longtemps que ces DVD sont en vente en Europe et aux Etats Unis. En Grande Bretagne, plusieurs chaînes diffusent des films «Nollywood» 24 heures sur 24. Outre la technologie numérique qui a permis de produire en masse et à bas prix des DVD et des cassettes vidéo, le déclin des cinémas nigérians est à l’origine de cet essor. Pendant la crise économique des années 80, ces derniers ont perdu progressivement leur public. Et enfin les salles de cinémas ont dû fermer définitivement leurs portes durant la dictature militaire.

Films de masse Depuis le milieu des années 90, «Nollywood» inonde le continent noir de films qui séduisent le public africain. Ils traitent de sujets tels que la famille, l’amour, l’honneur, la richesse, le pétrole, le HIV, la sorcellerie, l’escroquerie, la corruption, le rêve d’une vie meilleure. La production adopte la maxime: la quantité en lieu et place de la qualité. «Nollywood produit des films à petit budget, tournés à toute vitesse, qui font penser à des feuilletons plus qu’à des longs métrages», affirme le réalisateur nigérian de documentaires Makin Soyinka, fils de Wole

Mélange insensé des genres Le fait que ces films n’aient guère éveillé d’intérêt à l’extérieur de la diaspora africaine tient à la qualité technique et au mode de narration. «Nollywood» a développé un nouveau genre narratif auquel le spectateur occidental a de la peine à se familiariser. Les principales caractéristiques sont selon Makin Soyinka le rythme soutenu, les dialogues détaillés, les multiples actions secondaires et le mélange fou des genres. La plupart des films sont conçus selon le même schéma: ils mélangent un peu d’action et de policier, quelques éléments d’épouvante et d’horreur avec un peu de sentimentalisme, de drame, de sorcellerie et de comédie. Ces films durent en moyenne trois à quatre heures. La plupart du temps ils sont produits d’un seul coup et comportent deux ou trois parties. C’est typique pour «Nollywood», car comme le souligne Soyinka: «Cela permet d’économiser les coûts.» ■ La PoLitique 8 Octobre 2010

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Jacques Neirynck, Conseiller national

leS éCrivainS romandS ne font paS de politique Ce ne fut pas le cas jadis. Si l’on remonte à Jean-Jacques Rousseau, Benjamin Constant de Rebecque, Germaine de Staël, pour ne pas citer l’illustre émigré Voltaire, la Suisse romande a joué un rôle décisif dans le déclenchement de la Révolution française et l’émergence de l’Empire. Mais cela provenait du décalage politique entre la France, monarchie archaïque de droit divin, et les républiques helvétiques, qui servirent de modèle prophétique à la jonction des XVIIIe et XIXe siècles. Depuis lors, on peut encore citer Gonzague de Reynold et Denis de Rougemont, aux deux extrémités de l’échiquier politique en 1940, obligés de prendre position, car les temps étaient troublés et la démocratie en débat.

Une certaine distance Et puis c’est tout. La politique est tenue à distance, dans la presque totalité des cas. Charles Ferdinand Ramuz, Jacques Chessex, Maurice Chappaz, Yvette Z’graggen, Nicolas Bouvier, Philippe Jaccottet, Georges Haldas, Daniel de Roulet, Anne Cuneo, AnneLise Grobéty, Etienne Barilier ne sont pas intervenus et n’interviennent pas dans la politique de façon significative. Beaucoup d’écrivains apparaissent comme indifférents à la cité, ce que personne ne songe à leur reprocher en Suisse romande. Il n’y a au Parlement fédéral que deux Romands qui avouent une vocation d’écrivain: Oskar Freysinger et Jacques Neirynck. Mais ce sont des auteurs excentrés par rapport au milieu écrivassier, peu portés sur le chipotage littéraire. Ils sont dépréciés comme écrivains par suite de leur engagement politique et dévalués comme politiciens par la puérilité présumée de toute activité culturelle. Dans le contexte actuel, on ne peut pas être les deux à la fois. Un sujet littéraire de choix En France, Victor Hugo et Emile Zola, Sartre et de Beauvoir, Camus et Mauriac, Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann n’ont pas cessé de battre l’estrade et d’influencer, sinon les événements, du moins l’opinion éclairée des bobos de droite et de gauche. Les présidents de la République, Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand se seraient sentis inférieurs à leurs destins s’ils n’avaient pas simultanément publié des livres. Encore de nos jours, la politique est un sujet littéraire de choix chez nos voisins. On doit se demander si certains hommes d’Etat français ne sont pas d’abord des romanciers ou des tragédiens, qui ont envie de se mettre en scène plutôt que d’agir en gestionnaires. 10

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Dictionnaire du représentant du peuple La candidate n. f. ou le candidat n. m. au Conseil fédéral est une personne qui aspire à la fonction de membre du gouvernement. Les candidats peuvent être classés en plusieurs catégories. D’abord, les favoris qui remplissent tous les critères: compétences, expérience, charisme, âge, sexe, région linguistique. Puis, les impatients qui attendent depuis des années, qui sont dans leurs starting blocks à chaque vacance. Ou encore les opportunistes qui sont candidats uniquement pour faire parler d’eux, de leur parti et de leur canton, pour se montrer dans les médias et assurer ainsi leur réélection à Berne ou dans leur canton. On trouve encore les «sauveurs de la nation» qui se sacrifient pour leur parti ou qui se sentent investis d’une mission. Sans parler des non-candidats qui, se croyant indispensables, n’attendent que d’être désignés par leur parti mais qui, à force de tergiverser, ne seront jamais candidats.

Une routine satisfaisante Pourquoi cette différence? Parce que la politique suisse ne se prête pas à une mise en scène poétique, tragique ou comique. Yann Lambiel avoue que ses imitations cocasses de Pascal Couchepin ou de Moritz Leuenberger sont des créations de personnages fictifs, qui ne sont pas identiques aux originaux. Le pouvoir helvétique est à ce point diffus qu’il est impossible d’épingler une personnalité, qui l’exercerait de travers puisque personne ne l’exerce à lui seul. Les institutions sont tellement archaïques et compliquées que personne ne les comprend vraiment et qu’il est inutile de railler à leur sujet. Et au fond des choses, la Suisse est un pays qui ne connaît pas son bonheur: chômage faible, budget en équilibre, hygiène et prospérité, ordre et consensus. Comment construire une intrigue captivante sur une réalité qui est répétition inlassable d’une routine satisfaisante? Comment parler lorsqu’il n’y a rien à redire? Comment crier lorsque l’on a la bouche pleine? Cela explique l’incommensurable ennui des romans ou des films suisses. Un artiste décrit la réalité au plus fin de sa perception. Et il n’y a à découvrir en Suisse romande que l’anorexie psychique de citoyens, ennuyés d’être tellement satisfaits. ■


CArTe bLANChe

Voyage en Syrie Une délégation de la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats a fait un voyage d’information en Syrie au début du mois de novembre 2009. Il y a évidemment eu une partie officielle dense, particulièrement riche et passionnante, avec notamment une visite de courtoisie chez le Président de la République, Bachar el-Assad. La délégation a visité Damas, Alep et Palmyre, dans le cadre d’un périple captivant. Damas et Alep comptent parmi les cités les plus anciennes du monde. Palmyre et son oasis sont classées au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Trois lieux inoubliables, dont l’histoire et l’architecture sont fascinantes. La vieille ville de Damas possède une citadelle, des souks et une mosquée remarquables. La Grande Mosquée, ou mosquée des Omeyyades, avec ses superbes

mosaïques à fond or, compte parmi les plus vénérées de l’islam. Le quartier chrétien et ses nombreuses églises témoignent de la présence de minorités chrétiennes en pays musulman. Alep abrite des souks très réputés, en grande partie couverts, qui forment un labyrinthe d’une dizaine de kilomètres. La Grande Mosquée et son superbe minaret, les caravansérails et la citadelle, véritable chef-d’œuvre, contribuent à faire de cette ville un lieu extrêmement attachant. Enfin, contempler Palmyre, son site antique et sa nécropole au coucher du soleil, depuis le château arabe, avec l’appel à la prière des muezzins comme fond sonore, est un spectacle prenant et de toute beauté! La Syrie, si importante pour la paix au Proche-Orient, mérite vraiment un long détour… –Anne Seydoux

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Louis Bosshart, Professeur des sciences de la communication et des médias, Université de Fribourg

l’art de la CommuniCation politique Déjà le titre de cette contribution contient trois notions lourdes de sens dans une société contemporaine: l’art, la politique, la communication. Je les présenterai individuellement avant de montrer la complexité de leur interaction. La communication La communication n’est pas seulement importante pour les individus. Elle est également indispensable pour les groupements sociaux, voire même pour les sociétés entières. Une société ne peut exister que grâce à la communication, dont la nature détermine la qualité de cette société. L’horizon d’observation des gens s’est élargi grâce aux médias. La communication s’est accélérée. Dans les sociétés démocratiques, l’ensemble des connaissances est en quelque sorte à disposition de tous ses membres. Désormais les capacités de la mémoire de données sont presque illimitées. Nous vivons dans un monde formant un réseau global. Nous sommes déjà passés d’une société industrielle à une société de l’information et de la communication.

L’art, la politique et la communication La communication politique, qui se déroule prioritairement en public, pose problème. Elle donne lieu à un échange d’informations et d’opinions entre inconnus. De par son hétérogénéité, le public a des attentes fort variables. Le public est fragmenté en divers camps, la répartition du savoir varie grandement. Les instances chargées de la communication politique, à savoir les mass médias, ont pour objectif de réduire cette complexité. Les économies réalisées progressivement au niveau des médias ont engendré une uniformisation grandissante des contenus. Les sphères privées et publiques se fondent entre elles.

La politique

Au vu du rôle très important que les mass médias jouent dans les sociétés hautement développées, il est étonnant de voir que les mass médias créent presque autant de problèmes qu’ils n’en résolvent. Dans des processus de communication de masse, il est difficile d’attirer l’attention du public. Les médias se battent pour y parvenir. Pour améliorer leur propre position concurrentielle, ils ont développé des stratégies susceptibles d’attirer et de captiver le public. Il est vrai que les médias ont pour tâche importante de rendre pleinement compte de la réalité. Mais ils ne s’y tiennent pas fidèlement. Par manque de place et de temps, ils le font de manière très sélective. Les thèmes éphémères, simples, inattendus et dont le potentiel émotionnel et de personnalisation est important, ont le plus de chance de passer entre les mailles du filet de sélection des rédactions. Ce genre de critères de sélection engendre régulièrement des débordements: les choses importantes cèdent aux choses attirantes, le quotidien est masqué par ce qui sort de l’ordinaire.

On entend par politique l’art de l’administration. Il s’agit notamment de la conception de la collectivité publique, en particulier de l’action de ceux qui concourent au développement de la collectivité publique ainsi qu’à son organisation. La communication politique englobe le secteur de la communication sociétale qui implique la prise de décisions contraignantes pour la collectivité.

Comment soulever un sujet, attirer l’attention et gagner l’approbation dans une confusion pareille, dans un contexte qui est, entre autres, dominé par des mots clés? L’orientation vers des groupes cibles peut apporter une première solution. Il vaudrait en tout cas la peine d’essayer de définir au niveau des relations publiques des segments clairs dont s’occuperaient des commu-

L’art Au niveau du sens, la notion d’«art» est très proche de celle de savoir-faire, respectivement d’artisanat. Ce savoir-faire permet de créer un produit qui est, à son tour, à même d’attirer l’attention du récepteur par un moyen d’expression attractif (contenu et forme). L’œuvre d’art devient le vecteur de symboles, à savoir le porteur de sens à décoder. C’est le récepteur qui décide du décodage de toute communication, aussi adroite soitelle. Le sens du message reçu dépend toujours de l’interprétation du récepteur (F. Schulz de Thoune). De ce fait, l’art de la communication politique doit satisfaire des exigences élevées.

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s a n s

nicateurs crédibles. Ces derniers seraient en mesure de s’exprimer dans la langue du groupe cible. Ils connaîtraient leur jargon, leurs connaissances préalables ainsi que leurs motivations. Cela correspondrait finalement à une adaptation permettant une communication avec le moins de pertes possibles. Mais cela impliquerait également de créer des incitations au niveau de la réception comportant des messages compréhensibles et intéressants. Une segmentation des relations publiques nécessiterait la formation et l’engagement de communicateurs sensibles à ces segments. Les sections jeunes de certains partis ont déjà fait un premier pas dans cette direction. Néanmoins, l’ensemble de la population pourrait être segmenté et traité selon d’autres variables. Sans doute Internet représente le meilleur moyen pour déterminer les groupes cibles importants. Il peut s’adresser aux électeurs, aux partisans, aux jeunes, aux non électeurs ou aux professionnels des médias. Au niveau du contenu, il est également possible de mettre des accents conformément aux groupes cibles. Bien que dans la communication via Internet un canal de diffusion technique soit interposé entre le communicateur et le récepteur, une certaine proximité personnelle peut être suggérée. Il est possible de créer des communautés en ligne. En particulier les «médias sociaux» offrent la possibilité de former des communautés virtuelles susceptibles de renforcer des sentiments d’appartenance et la motivation. Les dialogues donnent l’impression d’un lien direct. Dans les clavardages sur le web (chat) la communication se déroule pratiquement sans décalage temporel. Il est vrai que les consultations en ligne demandent un gros investissement mais elles offrent aussi la possibilité d’avoir un contact direct avec les électeurs. Le clavardage sous forme d’entretien privé développe la «proximité avec le client». Les médias en ligne sont à mêmes de renforcer sensiblement le niveau relationnel entre émetteurs et destinataires en comparaison avec les mass médias traditionnels. Au niveau de la communication politique, ils peuvent servir de lien direct avec les électeurs. De ce fait, la maîtrise de ces outils virtuels fait partie des compétences requises par les acteurs de la communication politique. Internet offre à l’art de la communication politique un support stimulant l’esprit d’innovation et de créativité. ■

a P P E L

Je ne suis pas contrariée en lisant «Mesdames, Messieurs» ou «Chères collaboratrices, chers collaborateurs», mais en qualité de femme je me permets de dire à voix haute ce que de nombreuses personnes pensent tout bas: limitons les mentions cumulatives de la forme féminine aux seules formules épistolaires. Sinon nous mettons en danger notre langue. Par ailleurs, l’émancipation n’a rien à voir avec l’utilisation des formes féminines, telles que contremaîtresse, auteure, sapeuse-pompière, etc. Dans le cadre d’une conférence de presse relative à la réforme du gouvernement à Berne, trois messieurs se sont donné la peine de parler chaque fois de «la Conseillère fédérale ou le Conseiller fédéral» ou de «la Présidente de la Confédération ou du Président de la Confédération» dans le but d’honorer notre potentiel. Cela fait preuve de leur bonne éducation mais c’est pénible à écouter. Une seule forme suffit, la forme masculine convient parfaitement. Compte tenu du fait que nous avons cette année une Présidente de la Confédération, qu’il en sera de même l’année prochaine et que les femmes formeront bientôt la majorité du gouvernement de notre pays, nous ne craignons pas la réintroduction du patriarcat. Je cite un extrait du nouveau Code de procédure civile, art. 47: «Les magistrats et les fonctionnaires judiciaires se récusent dans les cas suivants: (…) b. ils ont agi dans la même cause à un autre titre, notamment comme membre d’une autorité, comme conseil juridique d’une partie, comme expert, comme témoin ou comme médiateur; c. ils sont conjoints, ex-conjoints, partenaires enregistrés ou ex-partenaires enregistrés d’une partie ou de son représentant (…)» Nous pouvons nous estimer heureux que le texte français n’ait pas été traduit littéralement de l’allemand ce qui donnerait: «(…) notamment comme membre d’une autorité, comme conseillère ou conseiller juridique d’une partie, comme experte ou expert, comme témoine ou témoin, comme médiatrice ou médiateur; ils sont conjointes ou conjointes, ex-conjointes ou ex-conjointes (…)» Nous assistons à un procès qui ne porte plus sur l’émancipation mais sur des formulations alambiquées. C’est à nous d’y mettre un terme, car les hommes n’osent pas intervenir. Déployons judicieusement nos énergies en matière d’égalité des sexes et non pas là où elle nous agace. –Marianne Binder La PoLitique 8 Octobre 2010

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Lucrezia Meier-Schatz, Conseillère nationale

Mark rothko «I was always looking for something more»

Le 26 février 1971, des représentants des Eglises catholique romaine, juive, bouddhiste, musulmane, protestante et orthodoxe grecque se sont réunis à Houston pour participer à la cérémonie de consécration d’une chapelle unique en son genre, la Chapelle de Mark Rothko.

vue extérieure de la chapelle avec la sculpture de barnett newman, intitulée «broken obelisk ».

Certains historiens de l’art font des comparaisons avec la Chapelle Sixtine de Michel-Ange à Rome ou avec la Chapelle du Rosaire de Matisse à Vence au Sud de la France. Et pourtant le caractère unique de la Chapelle Rothko réside dans sa fonction d’exemple au niveau de la rencontre interreligieuse. 14

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En qualité de fondateur de l’expressionnisme abstrait qui s’est, lui aussi, inspiré de l’œuvre de Michel-Ange, Rothko a réalisé une chapelle octogonale au service de toutes les religions. Elle éveille un sentiment de transcendance extraordinaire. Mais surtout, les peintures sombres aux murs créent un lien entre les hommes du monde entier et éveillent en eux une source d’inspiration. Bien que les trois triptyques et les cinq autres peintures se fondent sur la passion du Christ, ils créent de l’espace, un espace intérieur familier aux hommes de toutes les religions. Peut-être que l’essence du lien entre les religions réside dans la forte réduction de sa peinture, dans le renoncement au rouge et au jaune intense, dominant autrefois. Car le lien est présent dans la dominance du noir et du brun châtaigne dans ces peintures ainsi que dans la profondeur spatiale de l’architecture. Cette chapelle dégage une force méditative décrite par des personnes de toutes les religions. Elle suscite des émotions et crée un espace pour le dialogue interreligieux aussi bien que pour le dialogue intérieur. Le noir ne doit pas être interprété uniquement comme symbole de la mort imminente du peintre mais il est devenu plutôt l’une des couleurs les plus riches dans sa création artistique. Rothko cherchait depuis de longues années la réduction à l’essentiel. La concentration, le jeu de variation de l’application d’une seule et même couleur. C’est précisément de ce jeu qu’émanent la paix, la dimension tragique, les sources de lumière et les émotions que dégage cette chapelle. Les peintures ont une aura méditative, paraissent intemporelles et intimes. Elles confèrent à cet espace des religions une certaine harmonie, une plénitude dans le sens jungien et donc une fusion entre la finitude et l’infinitude. Dans la mesure où nous consentons à nous ouvrir à cette dimension, cette chapelle nous interpelle, elle nous provoque, elle nous invite à pénétrer dans l’univers de cette peinture, elle transmet un sentiment de profondeur et elle nous rappelle que nous aussi sommes constamment appelés au dialogue et à la recherche personnelle – ici et maintenant. Dans la vie politique courante nous sommes aussi incités à chercher toujours les liens, la créativité au service de tous! ■


reNDeZ-VOus Peter Bieri, Conseiller aux Etats

«FOur à pAIN», HüNeNberg, Zg Autrefois, il était courant que plusieurs familles voisines disposent d’un lavoir commun alimenté par l’eau de la rivière la plus proche. Une fois par mois, elles chauffaient l’eau au bois et lavaient leur linge en lin sur des planches à laver. C’est ce qui se passait sans doute aussi dans le petit lavoir à côté de notre maison. Les anciens de Hünenberg racontent que jusqu’au milieu du siècle passé ce lavoir abritait la cuisine réservée aux troupes militaires. Il y a près de vingt ans, notre famille a pu l’acheter. Grâce à notre idéalisme et – dans la mesure de nos capacités – nous avons rénové la bâtisse de nos propres mains. L’ancien lavoir a ainsi été transformé en un «Four à pain». Il y a une bonne trentaine d’années, lorsque la commune rurale de Hünenberg, composée de quelques hameaux mais dépourvue d’un centre, s’est développée pour devenir un village de dimension importante, quelques femmes motivées ont eu la bonne idée de cuire du pain ensemble et d’entretenir leurs relations amicales dans le cadre de repas pris en commun. Ces dernières années le «Four à pain» – comme nous l’appelons – est devenu le lieu

de rencontre privilégié de notre village. C’est ici que se retrouvent les seniors aussi bien que les groupes d’élèves. Ils y cuisent du pain ou des pizzas. De nombreux moments de rires, de fêtes et sans doute aussi de gentilles disputes se passent autour de la table ronde. Le «Four à pain» ne fait l’objet ni de rendement ni de spéculations. C’est au contraire un endroit où les gens se réunissent dans un but précis: cuire du pain ensemble, s’asseoir à la même table et cultiver la convivialité. A une époque où nous risquons de vivre chacun dans son coin, ces rencontres sont particulièrement précieuses. Les commères méprisées n’existent plus. Notre village, qui atteint bientôt la taille d’une ville, se réunit à leur place pour faire la fête et pour entretenir des amitiés autour du «Four à pain». Si vous me demandez ce que j’entreprendrai lorsque je me serai retiré de la scène politique, je vous réponds en toute tranquillité: mes capacités ne suffiront vraisemblablement pas pour devenir boulanger. Par contre, je serai capable de bien chauffer le four le matin tôt – non plus avec des arguments politiques, mais avec du bois sec. ■ La PoLitique 8 Octobre 2010

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Affiches de votation de

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es 100 dernières années

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Le fédéralisme sur le banc d’essai L’imposition minimale revendiquée par l’initiative «Pour des impôts équitables» lancée par le Ps vise à limiter drastiquement la marge de manoeuvre des cantons au niveau de la fixation de leur taux d’imposition. cela signifie que les cantons présentant des conditions d’imposition attractives seraient obligés d’augmenter leurs impôts alors que leur offre et leur capacité contributive ne justifient pas une telle hausse. Du point de vue démocrate-chrétien, il est fondamentalement absurde d’alourdir les impôts dont le besoin n’est pas avéré. Cette exigence entraînerait inéluctablement une augmentation de la quote-part de l’Etat, puisque les cantons concernés utiliseraient ces fonds supplémentaires à leurs propres fins ou pour améliorer leur offre. Ils chercheraient des possibilités d’éviter de verser ces fonds sur le compte de la péréquation financière fédérale. Voilà pourquoi l’initiative du PS n’est en définitive que de la poudre aux yeux. Non seulement elle induirait une hausse de la quote-part de l’Etat, mais elle aurait pour effet de renforcer la centralisation et de remplacer la compétition fiscale par une concurrence au niveau de l’offre. Il s’agit d’enrayer une telle évolution par un rejet clair et net de cette initiative. Elle est contraire aux principes démocrates-chrétiens du fédéralisme et de la subsidiarité. Mais l’initiative du PS s’avère également superflue parce que les mesures nécessaires ont été prises durant les vingt dernières années en matière de politique financière. D’une part, la Confédération a édicté une loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes, posant ainsi les bases d’une harmonisation formelle du système d’imposition en Suisse. Même si la mise

en œuvre de cette harmonisation présente diverses lacunes, cette loi a fait ses preuves durant les vingt dernières années. Il n’y a pas lieu de compléter l’harmonisation fiscale formelle par une harmonisation matérielle. Avec le nouveau système de péréquation financière, adopté par le peuple à une large majorité, la Confédération a créé un instrument efficace pour répartir équitablement les charges dans notre pays. Les différents outils ne manquent pas d’efficacité. Les incitations fixées aussi bien pour les cantons pourvoyeurs que pour les cantons bénéficiaires sont correctes. Notre pays est marqué par la présence de cultures et de structures différentes. Il n’y a pas lieu aujourd’hui de remplacer cette diversité par l’uniformisation prônée par le PS. C’est pourquoi l’initiative du PS mérite d’être clairement rejetée, car elle vise à affaiblir sensiblement notre système fédéraliste, à accroître la centralisation et à augmenter la quote-part de l’Etat ainsi que la charge fiscale. ■ –Benedikt Würth, Maire de Rapperswil-Jona, Président du Groupe PDC, Député au Grand Conseil de Saint-Gall

impôtS pluS élevéS pour touS,

CanTons aFFaIbLIs 18

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gLOssAIre sur LA FIsCALITé eN LIeN AVeC L’INITIATIVe Du ps Initiative «Pour des impôts équitables»

L’initiative du PS «Pour des impôts équitables» provoquerait un changement du système d’imposition pour les personnes physiques en Suisse. La souveraineté fiscale des cantons et par conséquent la concurrence fiscale entre les cantons et les communes serait fortement réduite. A cette fin, le taux d’impôt marginal des impôts cantonaux et des impôts communaux devrait être fixé à 22 pour cent dans toute la Suisse pour les personnes seules touchant un revenu imposable supérieur à 250’000 francs. Pour les personnes possédant une fortune imposable supérieure à 2 millions de francs, le taux d'impôt marginal des impôts cantonaux et des impôts communaux devrait s’élever à 5 pour mille au minimum. La limite du revenu et de la fortune pourrait être plus élevée pour les couples imposés en commun et les personnes avec enfants. Taux d’impôt marginal

Le taux d‘impôt marginal indique quelle est la modification de la charge fiscale en cas d’augmentation ou de diminution du revenu imposable ou de la fortune imposable. Prenons l’exemple d’un employé marié qui gagne 70’000 francs par an et paie 6’000 francs d’impôt sur le revenu. Si son revenu augmente de 5’000 francs pour atteindre les 75’000 francs, il devra payer au total 6’500 francs d’impôt. Ainsi une augmentation de salaire de 5’000 francs entraîne un supplément d’impôt de 500 francs. Le taux d’impôt marginal est alors de 10 pour cent. Equité fiscale

La notion d’équité fiscale a une charge politique incontestable et sa signification est interprétée différemment selon les points de vue. Avec son initiative fiscale, le PS vise à limiter la concurrence fiscale qui existe actuellement entre les cantons et les communes. Les initiants estiment que la concurrence est préjudiciable. Ils ne se rendent pas compte que certaines retombées de l’initiative ne sont guère compatibles avec l’exigence d’équité accrue. En cas d’acceptation de l’initiative, 16 cantons devraient opérer des augmentations massives d’impôt – aussi pour les revenus bas et moyens car on doit s’attendre à ce que certaines entreprises et des personnes ayant des revenus élevés quittent la Suisse. Par ailleurs, on retirerait aux petits cantons ruraux la possibilité de compenser des désavantages comparatifs en menant une politique fiscale attrayante. Harmonisation fiscale/Autonomie fiscale

La Constitution fédérale prévoit que la Confédération fixe les principes applicables en ce qui concerne l’harmonisation des impôts directs de la Confédération, des cantons et des com-

munes. Toutefois, les barèmes fiscaux et les taux d’imposition sont expressément exclus de l’harmonisation. En fixant des taux d’impôt marginaux uniques sur le plan national, l’initiative du PS contrevient aux principes du droit constitutionnel en matière d’harmonisation fiscale. Elle porte fortement atteinte à l’autonomie fiscale des cantons et des communes. Si l’initiative est acceptée, les citoyennes et citoyens des cantons et des communes ne pourraient plus déterminer eux-mêmes le montant de leurs impôts. Si ça se trouve, ils percevront des impôts qui ne sont vraiment pas nécessaires pour fournir les prestations publiques que l’on attend d’eux. L’initiative ignore la structure fédéraliste et la démocratie directe, des principes qui ont fait leurs preuves en Suisse. Concurrence fiscale

L’autonomie fiscale des cantons et des communes entraîne la concurrence fiscale qui existe aujourd’hui dans notre pays. Par son initiative, le PS entend la limiter. Grâce à la concurrence fiscale, les autorités dépensent l’argent des contribuables avec parcimonie et sens des responsabilités. De façon générale, c’est grâce à la compétition fiscale que le niveau des impôts est peu élevé en Suisse. Et la position de notre pays dans la concurrence internationale que se livrent les places économiques se trouve ainsi renforcée. Péréquation financière

Tout le monde est d’accord pour reconnaître qu’il faut empêcher une concurrence fiscale à tout crin et ruineuse. A cet effet, la Suisse dispose déjà d’un instrument efficace et suffisant: la péréquation financière. Cette dernière veille à ce que les recettes et les dépenses soient équitablement réparties entre les cantons. La compensation des ressources et des charges constitue l’élément clé de la péréquation financière. La péréquation des ressources doit permettre d’assurer que les cantons à faible potentiel de ressources disposent de moyens financiers suffisants pour assumer les tâches qui leur sont confiées. Ceux-ci reçoivent de l’argent des cantons à fort potentiel de ressources et de la Confédération. Quant à la péréquation des charges, elle est destinée à indemniser les cantons pour des charges structurelles sur lesquelles ils n’ont pas d’influence et qui sont dues notamment à des facteurs géo-topographiques ou socio-démographiques. La péréquation des charges est financée entièrement par la Confédération. L’initiative fiscale du PS demande que les cantons qui devraient augmenter leurs impôts (en cas d’acceptation de l’initiative) versent une partie de ces recettes supplémentaires dans le fonds de la péréquation financière. –Manuel Trunz La PoLitique 8 Octobre 2010

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Michel chevrolet, genève

l’art de la CommuniCation Il est des compétences qui relèvent de la capacité d’analyse, d’esprit critique ou du calcul. On range généralement ces qualités dans la catégorie «quotient intellectuel». Mais où trouve-t-on la faculté de communiquer dans le QI? Nulle part. Communiquer – pas si simple C’est Daniel Coleman, un psychologue diplômé de Harvard, qui a redonné sa légitimité à cette compétence humaine dans un livre désormais fameux: «L’intelligence émotionnelle». Son idée était d’encourager la prise de conscience sur le rôle que jouent nos émotions dans les décisions que nous prenons et les réflexions auxquelles nous nous livrons. Et savoir communiquer représente un réel travail sur nos émotions, c’est un art. Travailler son message et le rendre accessible représente un vrai travail. Faire preuve d’empathie et de pédagogie, se mettre à la place du récepteur, voici les éléments qui me semblent indispensables pour bien communiquer. Il n’a évidemment pas fallu attendre la fin du XXe siècle pour réaliser cela. Les orateurs antiques, tel Cicéron, l’avaient bien compris. La rhétorique a posé les jalons de cet art de communiquer, comme manière de structurer ses idées et de les exprimer. La pratique est d’ailleurs toujours enseignée, souvent dans les facultés de droit. Mais qu’en est-il aujourd’hui? Avec Facebook, Twitter, Skype, certains diront que la rhétorique va passer aux oubliettes. Je ne dirais pas cela. Ces outils ne sont que de nouvelles courroies de transmission, qui ne modifient en rien le fond du message. Mais la forme certainement. On ne défendra pas une idée de la même façon sur un forum internet ou dans un débat public, et c’est normal. S’adapter au contexte et à l’auditoire est un fondement dans l’art de communiquer. Se plaindre que «ce n’est plus comme avant» avec ces nouvelles technologies, cela peut défouler, mais ne sert à rien. Facebook par exemple, est un formidable outil de diffusion instantanée des idées – et gratuit – qui permet à n’importe quel utilisateur de réagir, à égalité avec les autres. On peut créer un groupe de soutien, prendre position ou organiser un événement grâce à ce réseau social. 20

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Autant utiliser ce que la rhétorique nous apprend: travailler son message et faire le tri entre les idées. Car dans le flot parfois étouffant d’informations que nous offre la technologie moderne, un peu de distance s’impose.

Communiquer en politique… Candidat, élu, membre d’association, citoyen… celui qui s’intéresse à la chose publique doit savoir communiquer. Pour convaincre, il faut argumenter; pour négocier, il faut discuter; pour être élu, il faut aller à la rencontre des gens. Seulement expliquer notre action, même avec beaucoup de pédagogie, ne suffit pas. Rester à l’écoute des citoyens et de leurs préoccupations doit rester une priorité des acteurs politiques. Il arrive trop souvent que la communication politique soit imaginée de façon verticale et hiérarchique, avec, tout en haut, les élus. Heureusement que le système suisse garantit le contraire, avec les droits populaires. Je crois qu’il faut renforcer cette approche. C’est pourquoi, à Genève, en tant que candidat à l’exécutif de la Ville, j’ai lancé avec mes camarades de section l’idée d’un bus pour discuter avec les habitants. Au lieu de faire un stand et de les obliger à venir vers nous, c’est nous qui venons les chercher, en bus. Dans cette même campagne, nous organisons aussi des «pasta party» (gratuites bien sûr!), dans chaque quartier de Genève, et ce toujours avec le même objectif d’échanges. Enfin, des soirées de rencontres avec les groupes (associations, entreprises, milieux culturels) sont prévues durant toute l’année. Loin de moi l’idée de donner une leçon de communication, j’espère simplement transmettre quelques idées, qui puissent être reprises dans d’autres sections et cantons, dans un même but: faire avancer les idées de notre parti. ■


COLOnnE LiBRE

COURRIER DES LECTEURS Retraite forcée? Le 1er janvier 2010 j’ai atteint l’âge de la retraite – quelles paroles! Comme je suis en pleine forme et que j’aime le contact avec les gens et relever des défis, j’ai la chance d’avoir pu conclure un contrat de collaboration indépendante avec mon ancienne entreprise. Mon taux d’occupation actuel de 40 à 50% me permet d’aménager mes heures de travail de manière flexible et d’être également à disposition en cas d’urgence. Bon nombre de personnes sont dans une situation semblable. Elles désirent décider elles-mêmes de l’âge de leur retraite. Elles peuvent par exemple épauler les plus jeunes dans leur activité professionnelle, s’engager dans le domaine social ou continuer à s’impliquer dans le processus de travail. Lorsque j’analyse les arguments de celles et ceux qui s’opposent à toute augmentation de l’âge de la retraite, j’ai l’impression que d’une manière générale le travail est considéré comme une chose à combattre. Ce n’est pas valable pour moi. Le travail est une activité gratifiante pour moi. De plus, je continue à apporter une certaine contribution à l’AVS – ce que je fais volontiers. «Les anciens deviennent de plus en plus âgés», lit-on dans la presse et le jour viendra où nous ne serons plus en mesure de financer les rentes. C’est pourquoi il serait souhaitable que chaque employé-e puisse déterminer à partir de 65 ans quand il souhaite se retirer de la vie active. Peut-être vous ai-je donné l’envie de vous pencher sur cette question. Toujours est-il que la situation actuelle me convient parfaitement et que j’espère qu’il en sera de même à l’avenir. Christiane Prokesch 1945 Votre avis nous intéresse. Envoyez-nous vos lettres de lecteurs à LA POLITIQUE, Case postale 5835, 3001 Berne ou redaktion@die-politik.ch ou commentez un article paru récemment sur notre site Internet www.la-politique.ch.

«L «La a fe femm mme e en bleu bleu lisa lisant nt un une e lett lettre re»» Le peintre que j’aime le plus est Johannes Vermeer; chaque tableau est pour moi une émotion et en particulier «La femme en bleu lisant une lettre». La jeune femme venant de recevoir une lettre est au centre du tableau entourée de pauvres choses: une table, trois chaises et un mur l’entourent; elle est inondée de lumière. Ses yeux, sa tête, ses mains sont pris par la lecture; est-ce une lettre d’amour? est-ce une mauvaise nouvelle pour cette jeune femme à la robe bleue, qui pourrait être enceinte. Le mystère est total et l’émotion aussi. Ch Chia iara ra Si Simo mone nesch schii-Co Cort rtes esi, i, Co Cons nsei eill llèr èree na nati tion onal alee

Une élection pour quoi faire?

Le 22 septembre, l’assemblée fédérale a fonctionné comme une machine à la Tinguely bien huilée: au terme de neuf scrutins qui ont occupé toute une matinée, deux nouveaux membres du Conseil fédéral ont été élus dans le strict respect de la formule précédente. Les assistants avaient les larmes aux yeux, tant les partants ont été loués comme ils ne l’ont jamais été durant leur magistrature et les arrivants fleuris comme ils ne le seront plus jamais avant leur départ. Mais pour quoi faire entretemps? Il ne s’agit que du replâtrage d’une formule gouvernementale dépassée par les événements: fonds en déshérence, bradage de Swissair, déconfiture d’UBS, évanouissement du secret bancaire, enlisement des relations bilatérales. On nous explique que le maintien de l’unité du pays repose sur la concordance du Conseil fédéral, même et surtout si ce terme bizarre dissimule une discorde perpétuelle. C’est une façade nécessaire et suffisante. Comme le Conseil fédéral ne prend pas de décision qui ne soit entérinée par le peuple tacitement ou par le biais d’une votation, il ne risque pas la récusation, mais une molle impopularité. On lui reproche d’être ce que l’on a voulu qu’il soit. Cela a eu marché, cela ne marche plus. La concordance arithmétique ou politique est morte le 10 décembre 2003, lorsque Christoph Blocher a violé la pratique selon laquelle on ne contestait pas le siège d’un conseiller sortant, en l’occurrence Ruth Metzler. Par application d’une justice immanente, il perdit son siège le 12 décembre 2007. La formule magique ne jouit plus de sa vertu d’enchantement. Le concept de Conseil fédéral est pour l’instant en déshérence, comme une maison promise à la destruction dans laquelle campent provisoirement sept squatters. Qui reconstruira une nouvelle maison sur ce chantier? –Jacques Neirynck

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Prendre au sérieux les enfants et leur art présuppose que nous soyons prêts à prendre en compte leur façon de penser et de ressentir, leurs formes d’expression dans nos décisions et notre vie quotidienne. Veronica Blöchlinger

enfantS, art+ Co. ses connaissances et son savoir-faire ont poussé l’artiste bernoise Veronica Blöchlinger à créer un atelier artistique pour enfants. elle les initie à l’art de la gravure et les encourage de manière ludique à user de leur créativité.

Les enfants fabriquent un stock d’imprimés avec le matériel approprié avant de faire des expériences extraordinaires avec la grande presse à bras. Ils réalisent des eaux-fortes, des gravures en pointe sèche, sur linoléum ou sur bois ainsi que des lithographies. Les multiples techniques de gravure permettent non seulement de développer le sens des formes, des matériaux, des structures et des surfaces, mais également de découvrir, de se faire l’œil et la main, et d’aiguiser leur perception. Les processus d’impres-

sion complexes favorisent la pensée systémique et éveillent la curiosité. La reconnaissance de l’art des enfants qui s’expriment au sein d’un groupe d’artistes extraordinaire tient à cœur à Veronica Blöchlinger. Plusieurs artistes connus du siècle passé et présent ont exploré la créativité des enfants, ils l’ont admirée et l’ont considérée comme une importante source d’inspiration. ■ –La Rédaction

cette année, l’atelier «KINter, KuNst + cO» (enfants, art + co.) fête ses vingt cinq ans d’existence. 22

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Je n’ai pas l’impression d’être seule à intercéder en faveur de la force et de la beauté de l’art des enfants. C’est un droit fondamental de la Convention des enfants. Les enfants ont droit à leur propre culture. Veronica Blöchlinger La sensibilisation musicale fait depuis longtemps partie du cursus de formation des enfants grâce aux écoles de musique et aux conservatoires bien établis qui bénéficient du soutien financier des cantons et des parents. au niveau des arts visuels, qu’il s’agisse de la peinture, du dessin, des créations en trois dimensions voire même de la gravure, de la vidéo ou de la photo l’offre est encore peu développée. Veronica Blöchlinger La PoLitique 8 Octobre 2010

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Jacques Neirynck, Conseiller national

la Culture Comme objet de ConteStation politique comme tout le monde a éprouvé la torture d’un caillou minuscule dans une sandale, les promenades d’été ne se déroulent bien que sur des voies pavées. tel est le rapport entre la politique et la culture. Les artistes agacent les politiciens, qui préféreraient qu’il n’y en ait point du tout. aussi la loi sur l’encouragement de la culture adoptée le 11 décembre 2009 a-t-elle été dénigrée par les principaux intéressés comme une loi sur le découragement de la culture. De fait, elle fixe les règles de gestion des modestes subsides de la confédération sans affecter quelque ressource nouvelle que ce soit à ce domaine. La thèse est l’attribution du rôle moteur de la culture aux cantons, aux villes et aux mécènes.

Bien entendu, cette règle fédéraliste ne peut pas être appliquée aveuglément. Ainsi le soutien au cinéma suisse, les musées nationaux, l’action à l’étranger confiée à Pro Helvetia, ne peuvent fonctionner que si la Confédération s’engage. Sinon le concept même de Suisse nationale disparaît au bénéfice d’une vague organisation faitière, gérant ce qui ne peut absolument pas être régi à un autre niveau. La culture est un objet marginal dans la perception du parlementaire moyen. Il gagne les élections en s’engageant sur l’équilibre budgétaire, la protection sociale, la santé, voire la formation. Il y a plus grave. Les artistes s’en prennent parfois aux politiciens. Par exemple le happening de Thomas Hirschhorn au Centre culturel suisse en 2004 où un comédien faisait mine d’uriner sur le portrait du Conseiller fédéral Blocher. Le résultat fut double: d’une part la presse parla abondamment 24

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de l’artiste qui atteignit ainsi son objectif; d’autre part le Parlement réduisit d’un million le budget de Pro Helvetia. L’artiste put en plus se draper dans les haillons du génie incompris et persécuté. Du coup, il fut appelé à représenter la Suisse à la Biennale de Venise en 2011. L’anecdote illustre l’abîme d’incompréhension entre un artiste chéri par les critiques internationaux et le peuple suisse: l’objet du divorce est bien la définition de la culture. Est-ce l’ensemble des manifestations qui attirent le public? Ou bien les manifestations novatrices destinées à une élite internationale? Entre un tas de ferrailles baptisées œuvre d’art et une fanfare campagnarde, il y a tous les intermédiaires: le ballet Béjart, l’orchestre de la Suisse romande, les romans de Jacques Chessex, les chansons de l’abbé Joseph Bovet, les dessins de Hans Erni. Comment choisir? Faut-il soutenir ce qui réussit à attirer le public, en aidant l’artiste qui est rarement capable de vivre de son art? Ou bien faut-il se concentrer sur les artistes qui n’ont aucun succès public, sinon dans un cercle restreint? Ce qui est étroitement national ou bien ce qui est apprécié à Paris? Celui qui chante les louanges de la Suisse ou bien celui qui la décrie? Pour répondre à ces questions, il faudrait qu’un consensus existe sur ce que la Suisse a de plus précieux à offrir au monde. Il faut répondre à la question éminemment politique de savoir quel est le sens de ce pays, pour ses citoyens mais aussi pour le reste de la planète. La culture exprime la part la plus significative de la politique et dévoile parfois que celle-ci n’a pas de sens. Elle constitue donc un aiguillon, le caillou dans la sandale qui invite à choisir un autre chemin. Pas à s’arrêter. ■


Brigitte Häberli, Conseillère nationale, Membre de la CsEC et membre du comité d’initiative

Donnons à la musique la place qu’elle mérite! La musique favorise l’acquisition de compétences sociales et développe l’intelligence des enfants et des jeunes. L’importance accordée à la musique dans le paysage suisse de formation n’est toutefois pas celle qu’elle mérite. L’initiative populaire «jeunesse + musique» qui a été traitée au conseil national lors de la session d’automne vise à améliorer cette situation. L’initiative populaire «jeunesse + musique» a été déposée le 18 décembre 2008 pourvue de 153’626 signatures valables. Elle vise à améliorer la place de la musique dans le paysage de formation et demande: – que les enfants et les jeunes reçoivent, au cours de leur scolarité obligatoire, un enseignement musical de qualité similaire à celle des autres branches; – que les enfants et les jeunes suivant une formation en école de musique bénéficient de soutien; – que les enfants et les jeunes particulièrement doués sur le plan musical bénéficient d’un encouragement.

Par cet article constitutionnel en faveur de la musique, la Confédération obtient la compétence d’encourager la formation musicale. On donne ainsi à la musique l’importance qu’elle mérite. Comme l’initiative ne prévoit que de fixer des principes, la souveraineté des cantons en matière de formation n’est pas contestée. La mise en œuvre concrète se fera dans le cadre du «plan d’enseignement 21». Les activités musicales ont un effet positif sur l’ensemble du développement de l’être humain. Jouer ensemble de la musique favorise le développement social et l’intégration des enfants et des jeunes ainsi que l’épanouissement de la personnalité. L’enseignement musical permet d’acquérir des qualifications clés relevant de l’école obligatoire. ■

Lors de la session d’automne, le Conseil national s’est prononcé nettement en faveur de l’initiative (par 126 voix contre 57) et il entend soumettre l’initiative au vote populaire sans contre-projet.

Un article constitutionnel pour la musique Avec l’article constitutionnel, la musique obtient son propre article dans la Constitution fédérale – ce qui est déjà le cas depuis longtemps pour le sport et le cinéma. La promotion du sport est par exemple inscrite depuis 40 ans dans la Constitution sous l’article «Jeunesse et sport».

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«L «La a mu musi siqu que e es estt né néce cessair ssaire e à mo mon n éq équi uili libr bre e et à mo mon n bo bonh nheu eur. r. Je pe pens nse e au aujo jourd urd’h ’hui ui à la Sym Sympho phoni nie e du No Nouv uvea eau u Mo Mond nde e de Dv Dvor orak ak,, en ente tend ndue ue «e «en n vr vrai ai»» pa parr un or orch ches estr tre e im impo posa sant nt,, al alor orss qu que e j’ j’av avai aiss 12 an ans. s. Le Less co cont ntra raste stess co colo loré réss de l’ l’œu œuvr vre e qu quii am amèn ènen entt en so soup uple less sse e de la tr trad adit itio ion n à la mo mode derrni nité té no non n se seul ulem emen entt cha charm rmen entt me mess or orei eill lles, es, ma mais is to touc uche hent nt mo mon n cœ cœur ur et me to toni nifi fie e da dans ns mo mon n tr trav avai ail. l.»» Thérèse Meyer-Kaelin, Conseillère nationale

De l’absence de vision à une stratégie prospective Les jérémiades sur le financement insuffisant de l’armée ont atteint leurs limites. s’il est légitime d’attirer l’attention sur des lacunes, on doit pouvoir attendre davantage de la part de la direction du DDPs et du commandement de l’armée: l’armée doit se fixer un objectif de développement qui mette un terme au louvoiement paralysant entre passé et avenir et qui impose une stratégie claire pour le futur. Tâches de protection prioritaires Depuis plusieurs années, l’armée se trouve dans une phase de transformation d’un instrument de défense territoriale en un instrument de lutte contre de nouveaux dangers de diverses natures. La protection de la population et des infrastructures critiques se situe au premier plan et la Suisse a besoin d’un effectif important au niveau des forces de sécurité pour assumer les tâches de protection, de surveillance et de sécurité. L’armée agit alors en collaboration avec des partenaires civils et apporte son soutien aux autorités civiles (WEF, Euro 08). Comme une menace terroriste est bien plus vraisemblable qu’une guerre traditionnelle, il faut que l’armée accroisse sa disponibilité dans ce genre de situation. Il convient de définir clairement le genre de prestations que l’armée doit assurer dans le cadre du système de sécurité actuel et face aux futures menaces. C’est la seule façon de justifier les besoins financiers de l’armée. Intégration dans le réseau suisse de sécurité Parallèlement, il y a lieu de clarifier le rôle que l’armée est appelée à jouer au sein du système de sécurité suisse. Les interventions de l’armée pour assurer la protection lors de conférences et d’autres grandes manifestations, sa disponibilité en cas de catastrophes et de menaces sur la sécurité interne, de même 26

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que ses contributions aux mesures de promotion de la paix de la Suisse ne constituent pas des erreurs en matière de politique de sécurité mais elles sont l’expression d’une gamme de prestations modernes. Il y a lieu de définir dans le cadre d’un dialogue mené entre la Confédération et les cantons un profil des prestations répondant aux besoins réels tout en tenant compte des scénarios de risques actuels. Ensuite, on pourra établir les lignes directrices du développement de l’armée en terme de taille et d’équipement matériel.

obligations militaires et principe de milice Le service militaire obligatoire garantit l’ancrage de l’armée dans la population. Il s’avère toutefois nécessaire de l’adapter à notre temps. Ainsi, une hausse modérée du pourcentage de soldats en service long ne représente pas un affaiblissement du principe de milice mais elle est nécessaire afin d’augmenter la disponibilité dans des situations de danger inattendues. Il en va de même pour une certaine professionnalisation. Nous avons besoin d’une armée qui puisse réagir rapidement et qui soit capable de résister. Une telle armée obtiendra alors non seulement le soutien des milieux politiques et économiques mais également celui des citoyens astreints aux obligations militaires. ■ –Urs Schwaller, Conseiller aux Etats et Président du Groupe PDC-PEV-PVL


A propos de l’esthétique d’un spot publicitaire de la Bahnhofstrasse Avec sa campagne actuelle, l’UBS cherche à inspirer un sentiment que nul ne peut acheter: la confiance. Les groupes cibles sont probablement les PME, les commerçants et les clients privés dont la fortune est si peu importante que le banquier typique de la Bahnhofstrasse ne se laisserait pas déranger pour si peu. Mais voilà! Nous apercevons des images de vedettes: Ursula Andress, Claude Nobs, Denise Biellmann, Zoé Jenny, Le Corbusier, Russi, etc. Et nous lisons le message: «Nous n’aurons pas de répit tant que vous n’aurez pas réussi.» Ah bon? Nous n’en demandions pas autant. De fait, la plupart des travailleurs ne deviendront jamais des vedettes, tant il est vrai que leur activité professionnelle ne leur en laissera pas le temps. Suite aux protestations des milieux juifs, Le Corbusier a entretemps disparu des publicités. L’antisémitisme du Corbusier était aussi grand que son architecture était novatrice. A vrai dire, on pourrait supprimer tout le spot publicitaire car il ne contribue en rien à la culture occidentale. Au lieu de subventionner des agences publicitaires très chères, il suffirait que les chefs zurichois permettent à leurs directeurs de succursales à travers le pays de soutenir les entreprises et de conserver des postes de travail, comme le font

les banques régionales ou cantonales, au lieu de leur réduire les limites de crédits. Mais cela signifierait que la maximisation du profit soit repensée, qu’une culture d’entreprise fondée sur la confiance soit mise en place et que l’on cesse de penser que seuls les bénéfices à court terme ont un intérêt. Cela supposerait qu’au moins un membre de la direction se pose la question dans un moment fortuit de réflexion, par exemple en jouant au golf, de savoir si quelque chose a raté au cours de ces dernières années et dans quelles circonstances. Cela impliquerait aussi qu’il évite de faire des promesses peu crédibles ou de proférer des menaces du genre: «Nous n’aurons pas de répit.» Mais franchement le calme serait le bienvenu! Il serait suffisant que l’UBS soit plus calme mais aussi plus sérieuse au lieu de mettre en scène sa gloire qui ne repose que sur des fonds empruntés. La bande sonore qui accompagne les images: un air de «Gianni Schicchi» de Puccini. Le héros principal de cet opéra falsifie des testaments pour s’enrichir – voilà en plus un joli lapsus freudien de la part des stylistes en marketing. Il y a peu de temps l’UBS était presque en faillite. Or, si on prend au sérieux ce spot publicitaire on constate qu’elle est sérieusement en train de s’abêtir. Gerhard Pfister

Toute la merveille des saveurs suisses.

Des fruits soigneusement sélectionnés, du bon lait suisse et une préparation des plus minutieuses – tel est le secret d’un délice divinement onctueux. Un petit pot plein de fraîcheur:

Toni à la framboise d’Emmi.

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Barbara Zürcher, Directrice de la Maison de l’Art, Uri

la magie de l’art Qu’est-ce que l’art? En qualité de commissaire dans une institution d’art contemporain je suis régulièrement confrontée à cette question. Celui qui y répond s’expose aux critiques! Celui qui la pose doit s’attendre à être qualifié de naïf et à être rejeté violemment. Mais pourquoi cette question embarrasse-t-elle? Qu’estce qui la rend apparemment plus délicate ou plus dérangeante que d’autres questions similaires telles que: qu’est-ce que la justice? qu’est-ce que l’amour? qu’est-ce que la liberté? Ces notions sont également difficiles à définir et pourtant nous sommes fascinés par le défi intellectuel consistant à les définir au plus près. Wolfgang Ullrich compare l’art à une «princesse sans royaume», montrant par cette métaphore combien il est difficile de déterminer ce qui est encore de l’art et ce qui ne l’est plus. Son analyse historique de la notion d’art montre que notre difficulté à répondre à cette question est intimement liée à notre enthousiasme pour l’art. C’est en quelque sorte l’une de ses caractéristiques que de nous laisser sans voix. Ce n’est qu’au début du XXe siècle que l’histoire de l’art est considérée comme une histoire du vouloir plutôt que comme une histoire du savoir-faire. Cette nouvelle conception de l’art

a permis d’une part à l’art de se libérer de la contrainte de devoir offrir, au même titre que la technologie ou les sciences, une histoire du progrès et, d’autre part, de considérer par exemple des sculptures de tribus africaines avec le même sérieux que les peintures de plafond baroques. «Au début était l’Art: comme les hommes n’ont jamais vécu sans art, ils ne savent pas ce que cela signifierait de devoir y renoncer» écrit Jean-Christophe Ammann. La curiosité est une qualité fondamentale. Celui qui n’est pas curieux est puni par la vie. Celui qui apprécie les arts selon le critère ça me plaît ou ça ne me plaît pas l’est tout autant, car les arts véhiculent des contenus qu’il est impossible de transmettre par d’autres moyens. Nous avons besoin des arts: ils nous permettent d’explorer notre monde intérieur et de nous ouvrir à des dimensions plus larges. Les arts éveillent nos émotions et nos passions, ils nous confrontent avec la Création, ils nous mettent en lien avec notre propre imagination et ils mobilisent en nous des forces donnant accès à la connaissance du monde. La sueur d’angoisse que cette question suscite à chaque fois est l’une des preuves les plus fortes de la magie de l’art. ■

la maison de l’art d’uri avec une œuvre extérieure d’anastasia katsidis (exposition a l'ombre des pyramides, 2009). 28

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christoph Merki, Musicien, Haute école de musique et d’art, Zurich

la muSique ne vient paS de la lune Il n’y a pas de doute: en suisse, les ennemis de la musique sont aussi peu nombreux que les brins d’herbe lunaire. rares sont ceux qui osent dire publiquement que la musique les laisse indifférents. Il en va de même sur le questionnement concernant Dieu: seule une personne maladroite ose se déclarer ouvertement athée, les renégats inspirant la crainte. en musique, il n’en va pas autrement. L’âme de celui qui se déclare insensible à ses vibrations est considérée comme dure. En Suisse, on joue de la musique par monts et par vaux. Sur les étuis des enfants, on peut lire: «I love music» et les émissions de télévision consacrées aux chanteurs en devenir sont très suivies. Et il y a aussi Toni Brunner, le président de l’UDC. Lorsque le rockeur alémanique Gölä a fait dernièrement la une du «SonntagsBlick» par son discours politique, Brunner a aussitôt profité de l’occasion pour proposer publiquement la candidature de Gölä au Conseil national. Nous pouvons donc en tirer la conclusion suivante: il suffit d’être musicien en Suisse pour avoir du succès! Malheureusement le contraire est souvent le cas. Il est vrai que la Suisse n’est plus une terre infertile pour la culture comme le prétendait jadis Gottfried Keller. De nombreuses personnes s’engagent en faveur de la musique au sein de notre société. Mais il y a de faux amis de la musique et en particulier de la musique populaire. Ceux qui utilisent cette dernière à des fins populistes. Et ils sont les premiers à mettre les pieds contre le mur lorsqu’il s’agit d’investir quelques francs dans la musique. Ces gens n’attachent aucune importance au soutien de la musique par l’Etat, ils s’opposent à toute aide financière apportée aux institutions de musique, ils affirment en quelque sorte: nous aimons la musique, alors laissez-nous ne pas lui apporter notre soutien! La musique – qui oserait prétendre le contraire – peut simplement procurer détente et plaisir à la fin

d’une journée de travail. Seul un puriste oserait s’opposer à la musique populaire. Pour éviter de dévaloriser la musique, il importe toutefois de lui accorder également le rôle d’éveiller des sensations ou d’exprimer des sentiments profonds: le saxophoniste de jazz Archie Shepp proteste contre les conditions qui règnent aux Etats Unis en jouant des mélodies effrénés; les chants grégoriens des moines bénédictins traduisent la certitude de leur vision religieuse du monde; la musique punk nous donne un aperçu d’un désir irréductible de liberté; dans la musique classique, on trouve des symphonies du destin et de l’esprit de fraternisation … une musique qui pénètre au plus profond de notre être. Et c’est peut-être ce genre de musique qui, dans notre pays aussi, amène de nombreux musiciens à travailler durement tout au long de leur vie. Pour ces musiciens, le populisme dans la musique populaire est une insulte. En tant qu’auditeurs nous sommes appelés à déceler le sens profond de la musique. Plus nous pénétrons dans la musique, même dans des formes incompréhensibles à prime abord, plus grand est le bénéfice que nous en retirons. Nous entendons progressivement des choses et des messages qui nous étaient imperceptibles auparavant. Le fait qu’il y ait en Suisse des musiciennes et des musiciens exceptionnels n’est pas lié au fait que tout fonctionne comme sur des roulettes dans notre pays. Bon nombre de musiciens vivent au jour le jour. Il y aurait lieu de mettre en place un système de promotion de la musique digne de ce nom. La musique est une activité sérieuse exercée par des personnes sérieuses. Nous ne devrions pas d’une part élever les musiciens au rang de génies et de l’autre les mépriser en les qualifiant d’hurluberlus, de «poids légers» au sein de notre société. La musique n’existe pas par elle-même, elle ne pousse pas toute seule comme l’herbe. Elle est le fruit d’une création, d’un travail de longue haleine. Nous devrions donc lui aménager un terrain plus propice à son épanouissement que celui que l’on trouve sur la lune. ■ La PoLitique 8 Octobre 2010

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En généraL, on ConnaîT LE 7èME arT MaIs qUELs sonT LEs aUTrEs?

IL Y A 10 ANs…

1Er 2èME 3èME 4èME 5èME 6èME 7èME 8èME 9èME

Durant l’année 2000, le conseil fédéral a eu de multiples entretiens et il s’est réuni à maintes reprises afin de traiter de manière approfondie les divers aspects de la création d'un gouvernement à deux niveaux, soit le conseil fédéral (niveau supérieur) et des ministres (niveau inférieur) appelés à décharger les conseillers fédéraux de nombreuses tâches. au printemps 2000, il fixait à 15 voire 20 le nombre de membres du gouvernement. Par ailleurs, il envisageait la possibilité de lier la réalisation du modèle de gouvernement à deux niveaux avec un renforcement de la fonction présidentielle. Le 25 octobre 2000, le conseil fédéral s’était réuni en séance spéciale afin de se pencher sur cette réforme et notamment sur trois modèles possibles soit: –le modèle de la suppléance (un seul membre du gouvernement du deuxième niveau; pas de domaine de compétence délimité, mais une distribution des tâches au cas par cas); –le modèle du compartimentage intégral (au moins deux membres du gouvernement du 2ème niveau; subdivision du département en domaines de compétence attribués aux membres du gouvernement du 2ème niveau); –le modèle des points forts (un ou deux membres du gouvernement du 2ème niveau; subdivision partielle du département en domaines de compétence attribués aux membres du gouvernement du 2ème niveau).

arT arT arT arT arT arT arT arT arT

l’architecture la sculpture la peinture la musique la littérature et la poésie les arts vivants le cinéma les arts médiatiques la bande-dessinée

Grincheux Il ressort d’un sondage effectué récemment que 72 pour cent des suisses ignorent à quelle saison poussent les tomates et plus de la moitié d’entre nous ne sait pas quand a lieu la cueillette des cerises ou du raisin. Même si le fait de trouver toutes sortes de fruits et de légumes toute l’année sur les étals des magasins peut entretenir la confusion, nous avons une très grande marge de progression. afin d’éviter que les suisses passent pour des idiots si un institut de sondage devait avoir l’idée de mener une enquête internationale et de faire des comparaisons – une sorte de BIO-PIsa – voici une liste non exhaustive des fruits et légumes qui poussent en octobre: la pomme, la poire, le coing, le raisin, la châtaigne, le brocolis, le poireau, la carotte, la bette, le haricot, le chou, le navet, la laitue, la citrouille, le topinambour.

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suite à cette séance, le conseil fédéral informait que sa prochaine tâche consiste dans la préparation de sa décision de principe concernant l’aménagement d’un gouvernement à deux niveaux. Dix années ont passé. Qu’en sera-t-il dans dix ans? (ym)


Ferme, mais juste: le contre-projet à l’initiative sur le renvoi L’initiative populaire «Pour le renvoi des criminels étrangers» et le contre-projet direct seront soumis en votation le 28 novembre 2010. Que veut l’initiative? Les initiants veulent expulser les étrangers ayant commis certains délits. parmi ces infractions, on trouve des délits graves mais aussi le simple vol ou la perception abusive de prestations des assurances sociales ou de l’aide sociale. La marge d’appréciation dont disposent actuellement les autorités pour demander un renvoi serait supprimée.

résumé Le contre-projet vise le même but que l’initiative. Les étrangers criminels qui ne respectent pas notre Etat de droit et commettent des délits graves doivent pouvoir être renvoyés.

Que veut le contre-projet? Le contre-projet prévoit que les étrangers ayant commis des délits graves tels qu’un assassinat, un meurtre, un viol ou une infraction grave ayant trait à l’aide sociale seront renvoyés. Comme le contreprojet fait aussi figurer sur la liste les lésions corporelles graves ainsi que les escroqueries d’ordre économique, il est plus cohérent et va même plus loin que l’initiative. Contrairement à l’initiative, le contreprojet respecte les principes de la Constitution et du droit international. De plus, des dispositions concernant l’intégration complètent ce contre-projet.

Le contre-projet respecte le principe de la proportionnalité. Il s’agit d’un principe fondamental de notre Constitution et il protège les individus contre l’arbitraire. Avec l’initiative, la proportionnalité serait abolie.

Dans le contre-projet, le catalogue des délits est clairement défini, structuré et plus complet que celui de l’initiative. Contrairement à l’initiative, les délits graves et les cas bénins ne sont pas mélangés.

Le contre-projet renferme des dispositions ayant trait à l’intégration. Une politique prospective en matière de migrations et d’étrangers vise à prévenir les problèmes possibles tels que la criminalité.

C’est pourquoi il faut dire NON à l’initative, OuI au contre-projet, question subsidiaire: contre-projet.

Ferme, mais juste

au contre-projet

Non à l’initiative sur le renvoi La PoLitique 8 Octobre 2010

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