BIOGRAPHIE Dany Marique, né en 1949, belge. Diplômé en Biochimie et en Environnement, ancien chercheur en cancérologie. (Université Libre de Bruxelles). Journaliste et conférencier de tourisme. Fondateur de l’ASBL Géodyssée (www.geodyssee.be ) Animateur occasionnel sur des thèmes d’éthique et d’écologie du tourisme (écoles de tourisme, université), et membre de jury de festivals - national et international - de vidéos amateurs. Le voyage m’est venu assez tard, mais très vite essentiel. Hiver 76-77, mon premier grand périple, le bout du monde, le Chili. Depuis un virus me contraint à la mouvance… Seule condition : la rencontre des populations et le respect de la diversité. Et quelques destinations préférées tout de même : Tuva (en Sibérie), l’île de Pâques, la Patagonie, l’Australie, le Sahara et tous les déserts. Philosophie du vrai voyage oblige : au retour, il doit y avoir plus dans la tête que dans les bagages. Jusqu’en 2010, mes reportages audiovisuels étaient réalisés sous forme de polyvision informatisée et pilotée par ordinateur. Une vingtaine de réalisations au total sur divers pays et peuples du monde. La plupart ont été présentées dans des cycles de France et de Belgique (Voir le Monde). Entretemps, je suis passé de la photo à la vidéo, avec des documentaires sur l’Île de Pâques, l’Ecosse, le Bénin, le Maroc, les USA – et bien sûr les Déserts d’Égypte !
RESUME du FILM « Déserts d’Egypte » Quand on parle de l’Égypte, on n’imagine souvent que le Nil, ce creuset d’une extraordinaire civilisation. Mais le Nil n’est en fait qu’une longue oasis qui a réussi la traversée du désert. L’Égypte est bordée à l’Est par la mer Rouge. Le passage vers l’Asie se fait via le Sinaï. C’est la Terre de la Turquoise, exploitée par les Pharaons. Hathor y possède son temple, à Serabit al Khadim. Pour l’histoire des religions, le Sinaï est une montagne sacrée. Au sommet, Moïse renouvelle le concept de dieu révélé, à la source des monothéismes. Pas loin, le monastère orthodoxe de Sainte-Catherine Il défie le temps : la 1ère chapelle date de 330 apr. J.-C. Ce Sinaï est toujours habité, par des tribus bédouines maintenant soumises aux pressions d’un monde qui les dépasse. À l’ouest du Nil : le désert libyque, le vrai Sahara, une frontière de sable et de roche. Les Pharaons en connaissaient les oasis, y compris la lointaine Siwa, oasis berbère et non bédouine comme Farafra ou Dakhla. Ces oasis fournissaient la vallée du Nil en fruits, blé et légumes, et même en vin. Mais les sables recèlent bien des mystères. À commencer par le fameux verre libyque cher à Théodore Monod. On y parle encore de l’armée engloutie de Cambyse, de la mythique ville de Zarzoura – rêve fou de tout explorateur, d’antiques dépôts de jarres d’eau (stations-service de l’antiquité), de l’oracle d’Amon qui couronna Alexandre le Grand, de la Grotte des Nageurs (Gilf Kebir, à la frontière du Soudan et de la Libye.) Car ce désert était vert et habité jadis... Le Sahara a connu des épisodes de sécheresse, un changement climatique qui a forcé les hommes dans une longue migration vers l’eau, contribuant certainement à l'éclosion de l’Égypte pharaonique. Ce film d’exploration suit quelques traces laissées par l’homme dans cette migration. Mais il exprime aussi l’attraction immodérée et le plaisir intemporel qu’offre un des déserts les plus arides de la planète.
Pourquoi les DESERTS d’EGYPTE ? Sur les bancs d’école, dans les émissions culturelles, les livres d’histoire ou les bandes dessinées.., l’Égypte se résume principalement à la « civilisation des Pharaons » ! Tout petit, elle nous faisait rêver - adulte, elle ne cesse de nous enchanter. Le voyage en Égypte est devenu quasiment obligatoire (sauf depuis le « printemps arabe » et les évènements d’après). Il est de tous les catalogues d’agences. Un axe classique : Le Caire – Louxor - Assouan, et Abou Simbel en option… Bref, le Nil, l’éternelle vallée du Nil. Grand-papa des journalistes, Hérodote s’est contenté de visiter le delta du Nil mais il a beaucoup relaté. On lui doit la phrase célèbre : « l’Égypte est un don du Nil ». Pour moi, ce n’est qu’une partie de la vérité… Evidemment, ce Nil est une autoroute fluviale. Avec des vents dominants vers le Sud et le courant qui remonte au Nord... Peu de problèmes de transport donc : on s’y arrête où l’on veut. De plus, c’est un fleuve nourricier. Ses crues annuelles apportaient le limon fertile, l’agriculture, la prospérité, la mise en société. Mais qui a examiné la carte pour comprendre pourquoi ce Nil a été ce gigantesque creuset de civilisation ? A y regarder de plus près, le Nil est une longue oasis verticale qui a réussi la traversée du Sahara. Mais d’où venaient les premiers hommes pour peupler cette vallée ? A priori, du Sud. Ils auraient suivi le courant. Et si certains avaient aussi traversé le Sahara – horizontalement cette fois ? Après avoir bourlingué un peu partout dans l’Égypte classique, ce sont les questions que je me suis posé. Depuis toujours, le désert fascine. Me fascine en tout cas... Car il a une dimension qui surpasse l’homme. Et ce n’est pas seulement par son étendue physique ou géographique, car l’océan pourrait avoir le même effet. C’est aussi l’étendue psychique, la place spirituelle qu’il offre par sa frugalité certaine, par son austérité minérale. Le désert permet de se retrouver, de se ressourcer. Il permet aussi de mieux écouter les autres. Je dirais – curieusement - que le voyage au désert agit comme un remède contre la sédentarité et contre l’isolement dans une société « de communication ». Et puis, en vous invitant à y venir, j’espère vous démontrer à quel point le désert contribue à l’évolution et à l’histoire de notre humanité. Dany MARIQUE
Petit cours de GEO Terres cultivées et/ou habitées : 3,6 % (avec 96 % de la population). Fin 2015, la population totale d’Egypte est estimée à près de 90 millions d’habitants. Superficie en eau : 0,6 % (Nil, lac Nasser, lac Qaroun (Fayoum) et petits lacs dans le delta). Superficie des déserts : 95,8 %. En gros, l’Egypte est un pays carré (mille km de côté = un million de km2). Il est traversé du sud au nord par un unique fleuve : le Nil. Seule la bande fertile du Nil, qui devient un delta avant de se jeter dans la Méditerranée, et quelques oasis à l’ouest ont permis l'implantation humaine. La géographie générale de l’Egypte ne s’est guère modifiée depuis l’antiquité. Trois des quatre frontières sont naturelles (eau salée et sable) : la Méditerranée au Nord, la mer Rouge à l’est et le Sahara à l’ouest. Seules les frontières du nord-est (passé le Sinaï) et du sud (la Nubie) ont fluctué, et cela en fonction des conquêtes pharaoniques. Actuellement, la frontière au sud, avec le Soudan, se trouve plus bas que la 1ère cataracte du Nil (Aswan), à hauteur d’Abou Simbel.
LES DESERTS d’EGYPTE Sur la carte, près de 96 % du territoire égyptien est donc couvert de désert. Du point de vue égyptien, le Nil coupe le désert en deux. A l’Est du côté de l’Arabie, le désert arabique ou oriental. Et à l’ouest du côté de la Libye, le désert libyque ou occidental. Jusque là, c’est facile. Cependant, il ne faut pas oublier la péninsule du Sinaï… Le Sinaï : 61.000 km2, soit 6 % du territoire. 400.000 habitants, majoritairement des bédouins. De forme triangulaire, on le situe sur le continent Asie, et non en Afrique comme le reste de l’Egypte. Avec le canal de Suez à l'ouest, le golfe d’Aqabah à l’est et la frontière avec Israël au nord-est, le Sinaï reste une zone tampon à problème. Le point le plus élevé d’Egypte s’y trouve : le mont Sainte-Catherine (2.641 m). A côté, le mont Sinaï ou Djebel Moussa est - d’après la Bible - le lieu où Moïse aurait reçu les Dix Commandements lors de sa fuite d’Egypte durant l’Exode. Le désert Libyque : 700.000 km2. Quelques particularités topographiques remarquables : - Au Sud-ouest, le plateau du Gilf al-Kabir, altitude moyenne de 1 000 mètres, - La Grande mer de sable : elle s’étend entre l'oasis de Siwa et le Gilf al-Kabir. - La dépression de Qattara, le point le plus bas d’Egypte à -133 m sous le niveau de la mer. - Une zone appelée « désert blanc », recouverte de calcaire et de gypse. - Une chaîne d'oasis qui jalonnent ce qu'on a cru être un ancien cours du Nil, appelé maintenant la Nouvelle Vallée : Kharga, Dakhla, Farafra, Bahariya. - L'oasis de Siwah, près de la frontière avec la Libye, isolée du reste de l’Égypte. Le désert Arabique : 200.000 km2 environ. Il ne contient pas de grandes oasis. Cependant, le littoral de la mer Rouge est une attraction touristique de premier plan, en raison des sites de plongée sousmarine (Hurghada, Marsa Alam, etc.) Les anciens Egyptiens puis les Romains ont exploité des carrières de pierres : porphyre, marbre, serpentine, granit… Ce désert cachent aussi les monastères Coptes de Saint-Paul et de Saint-Antoine, des ermites chrétiens du 3ème siècle.
Carte Générale des Lieux Habités par les Pères des Déserts (1738, extr.) Une des premières bonnes cartes à représenter l’Egypte. Les centaines de lieux d’ermites dispersés dans le désert cherchent à démontrer la richesse du christianisme passé.
HISTOIRE du CLIMAT L’histoire du climat au Sahara égyptien atteste d’une progression de phases qui intervient dans les occupations humaines : - 100 millions d’années d’ici : le Sahara est en partie couvert de mers intérieures. On y retrouve encore plein de fossiles d’origine marine. Pas d’occupation humaine attestée. - 40.000 ans : Présence de grands lacs résiduels. Sahara peuplé de semi-nomades. - 18.000 ans : Phase d’aridité importante. Le Sahara n’est plus habité. - 10.500 à 8.500 ans avant notre ère : Période humide, pluies, lacs et rivières, végétation abondante, faune de la savane africaine. Peuples de chasseurs cueilleurs. Communication entre le Sahara et la vallée du Nil. Révolution néolithique : transition vers l’agriculture et la sédentarisation. - 8.500 à 5.600 : Baisse progressive des pluies, évaporation des nappes de surface. Un réseau de pistes caravanières (des ânes.., le chameau vient plus tard) se créée entre les oasis et la vallée. - 5600 à 2700 avant notre ère : Fin des pluies de mousson, basculement vers l’aridité, transformation de la savane en steppe. Migration vers les oasis et le Nil, ce qui favorise l'émergence de sociétés plus complexes (Kerma au Soudan ? Civilisation pharaonique ?) - De 2700 av. JC à nos jours : Période sèche. Le Sahara tel que nous le connaissons. Parfois, de violentes tempêtes de sable brûlant, le khamsin, viennent balayer toute vie. C’est l’hypothèse de la disparition de l’armée de 50.000 hommes envoyée par Cambyse vers l’oasis de Siwa. Autre phénomène observé : la migration de barkhanes (dunes en demi-lune), au point qu’il faut parfois asphalter une nouvelle route pour remplacer l’ancienne complètement envahie. Un bel exemple de barkhanes se trouve le long de la route au Nord-ouest de Dakhla vers Farafra.
CLIMAT et VOYAGE Le Sahara égyptien est particulièrement aride. Alors que le Sahara global reçoit en moyenne cent millimètres de pluie par an, le désert Libyque en reçoit moins de cinq. Ce Sahara égyptien se caractérise par une température moyenne annuelle très élevée ; des précipitations quasi nulles ; l'absence de précipitations pendant plusieurs années consécutives ; une durée d’insolation supérieure à 4.000 h par an ; une exposition solaire parmi les plus intenses du monde ; une sécheresse de l'air forte (vents secs) et une humidité relative très basse… Tous des facteurs dont il faut tenir compte, sans oublier la différence de température diurne – nocturne, puisqu’il faut bien passer la nuit dehors, souvent plus de 20° d’écart. En été, la moyenne jour et nuit confondus atteint les 38°C. En hiver, elle descend à 13°C environ, avec des maximums de jour autour de 20-23 °C. Janvier est toujours le mois le plus froid au Sahara. Dans les oasis, si l’humidité atteint et parfois dépasse 40 %, la température moyenne devient plus clémente, elle oscille entre 4 à 21° la nuit, et 12 à 38° de jour. Péninsule du Sinaï : En été, la température moyenne de jour atteint 30°C. En hiver, elle descend autour des 16°C. Assez fraîche en été, la nuit peut carrément devenir frigorifique en hiver. Mieux vaut le savoir en grimpant sur le mont Sinaï : la neige peut vous y attendre… Conclusion pour le voyage saharien : parmi l’équipement conseillé, mieux vaut ne pas oublier un bon sac de couchage, une veste coupe-vent et un pull chaud, un foulard et/ou un couvre-chef (pensez aussi à la nuque), une gourde pour une réserve permanente d’eau, une bonne crème solaire, une autre contre les coups de soleil, des gouttes pour les yeux (et lunettes de soleil bien sûr), un spray pour hydrater le nez et un gros stick pour les lèvres… Mais pour quelle raison l’aime-t-on ce désert !?
Désert Blanc
EGYPTOLOGIE Les relations Vallée du Nil – Désert Seth est le « dieu rouge », maître du tonnerre, de la foudre et du désordre. Il est le dieu du désert. A leur naissance, tandis que son frère Osiris reçoit les terres fertiles, Seth reçoit la terre stérile. Seth est donc associé à la Haute-Egypte, à l’aridité et au désert, aux « pays extérieurs ». Il représente la nature brutale et hostile, le chaos, tout ce qui n’est pas régenté par les autres dieux. Ainsi, le Khamsin, ce fameux vent de sable brûlant qui déferle du désert, est symbolisé par le dieu Seth. En opposition, Osiris est le dieu de la Basse-Égypte, associé à la terre nourricière, à l'agriculture et à la fertilité du delta du Nil dont les dieux contrôlent les crues. Jaloux, Seth tue son frère Osiris. On pense évidemment à Caïn et Abel. Seth est ensuite associé au mythe de la vengeance d’Horus (fils d’Osiris). Cependant, les anciens Égyptiens le vénèrent tout en le redoutant. S’ils allaient dans le désert, ils se plaçaient sous sa bienveillance et sa protection. Mais.., de la même manière qu’ils avaient peur de naviguer en haute mer, les Égyptiens n’aimaient pas voyager dans le désert. La Vallée du Nil était leur seule référence de vie. Aussi se contentaient-ils souvent d’aller d’oasis en oasis, des lieux de vie plus confinés…
Oasis de Dakhla, momies de béliers sacrés.
Le Sinaï et les oasis du désert étaient bien connus des Égyptiens. Les Pharaons y faisaient cultiver le blé, les fruits, la vigne. Et dans les déserts, ils exploitaient des mines (or, porphyre, turquoise, cuivre, marbre, granite, albâtre). Le Fayoum, étant une excroissance de la vallée du Nil, ne sera pas considéré ici comme une oasis.
Siwa est l’oasis la plus éloignée du Nil. Les tombes et les édifices découverts attestent d’une administration pharaonique remontant au moins au 8ème siècle avant JC. Siwa s’appelait alors l’oasis d’Amon (Ammon, le Zeus Ammon des Grecs). Ce dieu possédait ici son oracle, c’est-à-dire un sanctuaire dans lequel on venait l’interroger – moyennant offrande - sur sa destinée. Oasis de Dakhla, tombes de Muzzawaka.
Ayant conquis l’Egypte, le roi perse Cambyse II, que l’oracle d’Amon n’a pas daigné reconnaître comme pharaon et maître de l’Egypte, veut se venger. Il décide d’envahir et de briser Siwa. Mal lui en prit : son armée de 50.000 hommes disparait sous les sables, vers 525 av JC, balayée sans doute par un orage de khamsin...
Par contre vers 330 av. JC, Alexandre le Grand visita le temple de l’oracle et se fit couronner « fils de Amon », c’est à dire Pharaon. Mais il partit ensuite vers d’autres aventures, laissant à ses acolytes le soin de diriger l’Egypte. Il se raconte cependant, que sur son ordre, il aurait été enterré à Siwa. Bien qu’en ruine, le temple de l’oracle existe toujours et peut se visiter. Avec quelques 22.000 habitants, Siwa est réputée aujourd’hui pour ses dattes, ses olives et son eau minérale. Point remarquable : Siwa est l’oasis berbérophone la plus orientale du monde berbère (du Maroc à la Lybie). Les Siwis appartiennent à la tribu des Zanata.
Bahariya, Farafra, Dakhla et Kharga : une chaine d’oasis étapes sur lesquelles viennent se greffer plusieurs pistes antiques. Cette chaîne en boucle (voir la carte) s’appelle aujourd’hui la Nouvelle Vallée, et les oasis sont reliées par une route asphaltée (parfois ensablée).
Oasis de Dakhla, tombes de Muzzawaka.
Les fouilles témoignent d’une occupation pharaonique remontant à la 6ème dynastie (Ancien Empire, de 2700 à 2200 av. notre ère). Avec une eau abondante et une bonne terre, les oasis sont particulièrement fertiles : de vrais greniers à blé pour la vallée du Nil. Mais pas seulement. Elles servaient aussi de garnisons et de lieux de réclusion pour les nobles et les princes trop « turbulents ». Ecartés du pouvoir central, ils étaient nommés gouverneurs, chargés de surveiller les frontières de l’empire. Et ils en profitaient pour taxer les caravanes commerciales de passage. Pour la vallée du Nil, les oasis produisaient du vin, des dattes, des céréales, des agrumes et des légumes, des oignons et de la volaille - dindes et canards surtout (le foie gras était déjà apprécié des Pharaons). A l’époque, l’âne était l’animal de bât utilisé par les caravaniers, qui en fournissaient aussi aux fellahs (paysans) du Nil. Le dromadaire (en arabe gamel = chameau, d’où la confusion) est introduit en Egypte - via la conquête assyrienne - au 7ème siècle avant notre ère. Ce « charmant » camélidé est surtout devenu utile sous l’occupation romaine. Et donc faire le tour des pyramides à dos de chameau n’a rien de pharaonique ! La nécropole pharaonique d’al-Muzzawaka (oasis de Dakhla) est particulièrement intéressante. Les tombes décorées datent de la période gréco-romaine de l’Egypte. Les canons pharaoniques s’estompent peu à peu. Une certaine dégénérescence de style, une obsolescence d'une culture touchée par de nouveaux mondes. La transition des civilisations s’observe bien mieux dans les oasis.
Plus tard, les oasis verront s’installer des communautés chrétiennes, les Coptes, fuyant le plus souvent les persécutions romaines. Selon leurs traditions, ces communautés auraient été fondées par l'évangéliste Marc. Eglises et cimetières abondent, dont l’exemple le plus célèbre reste la nécropole de Baggawat (près de Khargha) avec plus de 260 chapelles funéraires. Actuellement, ils existent toujours des monastères coptes en activité. Outre ceux de Wadi Natroun (dont St Macaire), les plus connus sont dans le désert oriental : celui de St Antoine (considéré comme le plus ancien monastère chrétien au monde) et celui de St Paul Ermite. Oasis de Khargha, nécropole de Baggawat
La piste du Darb el-Arbain, ou «chemin des quarante jours», descendait du Darfour au Soudan sur Assiout et la vallée du Nil, en passant par l’oasis de Kharga. Le Darb el-Arbain est certainement une des plus vieilles pistes caravanières sahariennes. Son existence est attestée depuis l’Ancien Empire (env. 2500 ans avant notre ère) jusqu’à la fin du 19ème siècle. Sur 900 kilomètres en quarante jours, elle servait au transport de marchandises précieuses venues du sud et d’esclaves africains. Sur sa partie égyptienne, les Romains ont « consolidé » cette piste par une série de forteresses douanières le long de l’oasis de Kharga jusqu’au Nil. Ces châteaux forts du désert peuvent se visiter.
Dans le désert arabique (oriental), il n’y a pas de grandes oasis. Par les Pharaons, et plus tard par les Romains, il était davantage exploité pour ses mines (or, porphyre, turquoise, cuivre, marbre, granite, albâtre). Depuis le 25ème siècle avant notre ère, ce désert était régulièrement traversé pour rejoindre les ports de la mer Rouge puis le pays de Pount. L’expédition la plus connue est celle de la reine-pharaon Hatchepsout (env. 1470 av. JC). Elle envoya son expédition vers le Pount pour ramener l’or, l’encens et la myrrhe (on songe aux Rois mages), de l’ivoire, des bois précieux, des parfums, des peaux de léopard, des armes, des arbres à encens... De nombreux pétroglyphes et hiéroglyphes attestent de ces voies antiques de passage (wadi Hammamat par exemple).
Chamelier sur le Darb el Arbaïn
Entrée du monastère copte de St Antoine.
ACTUALITES : la situation complexe du SINAÏ Le 31 octobre 2015, le Sinaï a été de nouveau la cible du terrorisme. Après avoir décollé de Charm el-Cheikh, un avion de tourisme russe explose en plein vol… Aucun survivant. La succession d’attaques précédentes contre le tourisme date des années 2004-2006 (Taba, Charm el-Cheikh, Dahab). Chaque fois, le gouvernement égyptien a fait la traque aux terroristes, pour les éliminer mais surtout pour tenter de rassurer les partenaires internationaux. Il est vrai que le tourisme est une industrie vitale à la survie économique de l’Egypte. Cependant les ONG actives sur le terrain mettent l’accent sur deux points : la violation des droits humains dans les méthodes policières, et la déplorable gestion socio-économique du Sinaï et de ses habitants, essentiellement des bédouins. Au nord du Sinaï particulièrement, la naissance d'un mouvement terroriste - qui n’existait pas avant - est symptomatique des tensions et des conflits. Auparavant, les attentats ne visaient que l’armée et les forces de police. Désormais, les terroristes ne se soucient plus des dommages causés aux civils. Du côté des forces de l’ordre, les exactions à l’égard des civils demeurent également impunies. Tout leur est permis et pardonné : arrestations arbitraires, déplacement forcé, destruction et incendie d’habitations, arrachage des plantations, fermeture forcée de commerces, meurtre de femmes et d’enfants… Les Bédouins du Sinaï vivent un véritable cauchemar.
Une route supposée de l’Exode (carte de 1834).
L’Egypte reste aveugle et sourde aux appels des bédouins, elle les ignore tout en exploitant au maximum le Sinaï pour développer son tourisme national. Frontière à la jonction de l'Afrique et l'Asie, le Sinaï a toujours été un couloir stratégique entre le Nil et ses voisins orientaux. Géographiquement et historiquement, il apparaît comme « détaché » du bloc égyptien… Une zone de transit, de trafics, de migrations, de pèlerinage et d’exode. Une ancienne frontière et un carrefour entre les civilisations. Une région « clé » dans le Moyen-Orient. Sur son flan ouest et le canal de Suez, le Sinaï assure la liaison entre le bassin Méditerranéen et la mer Rouge. Sur son flan est (golfe d’Aqaba), il dessert et surveille l’accès au Moyen-Orient. Sa situation géopolitique (aux frontières d’Israël et de Gaza) le rend aussi très sensible aux problèmes israélo-palestinien. De plus, l’identité égyptienne de sa population est loin d’être assurée…
Populations du Sinaï. Sur une superficie de 61.000 km2, le Sinaï abrite environ 400.000 habitants, dont plus de 300.000 dans le nord. Il est 15 fois moins densément peuplé que l’Egypte. Si on excepte les parties désertiques, cette proportion augmente encore… Une minorité importante est palestinienne d'origine. Bien que souvent née sur le sol égyptien, cette minorité reste très consciente de son identité, et entretient des liens avec les populations de Gaza et la Cisjordanie. La majorité des habitants sont les « Bédouins », une identité tout aussi distincte du reste de l’Egypte. Les Bedouins. Originaires historiquement de l’Arabie (alors que la majorité des Egyptiens n’est pas arabe d’origine), ils sont installés depuis longtemps sur la péninsule. Une petite partie d’entre eux vit encore sous la tente. Les Bédouins appartiennent à des tribus dont on retrouve les racines en Israël, en Palestine et en Jordanie. Et comme ils ne se s’inscrivent ni dans l’héritage pharaonique ni dans l’Egypte moderne, ils se tournent plus volontiers vers l’est que l’ouest... Pour eux, les frontières ne sont pas considérées comme des obstacles. En témoigne un trafic de toutes sortes de marchandises (nourritures, médicaments, ciment, cigarettes, drogues, armes...) qui s'est installé dans le nord. Les Bédouins ont connu l’administration militaire égyptienne de 1949 à 1967, puis l’occupation israélienne de 1967 à 1982, et ensuite la force multinationale de sécurité FMO (Traité de paix qui fait suite à Camp David). Redevenu territoire égyptien dès 1982, l’état n’a pas assuré le développement socio-économique attendu. Au contraire, l’Egypte a patronné l’installation de migrants venus de la vallée du Nil, afin - par exemple - de développer au plus vite les enclaves touristiques (au profit du Caire et des investisseurs). Une stratégie discriminatoire et inefficace qui ne répond en rien aux besoins réels locaux. Au détriment de leurs traditions, et ne s’incluant pas dans le « patrimoine pharaonique », les Bédouins estiment, et pas à tort, avoir beaucoup perdu à « réintégrer » l’Egypte, y compris leur simple droit au sol.
Des richesses au Sinaï ? Des gisements de pétrole, de fer et de manganèse sont exploités dans le nord et dans le centre-sud. D'anciennes mines existaient déjà à l’époque pharaonique. Historiquement, le Sinaï est la terre des Bedu, les gens du désert (un terme considéré comme péjoratif). Principalement, ce sont des tribus originaires de la péninsule arabique et des pays du Levant. Une quinzaine de tribus au total, qui se partagent des territoires délimités et régis par des accords coutumiers. Il est difficile d'estimer le nombre de Bédouins du Sinaï. Quelques chiffres donnent cependant une estimation d’au moins 200.000. Ils sont majoritaires au Sinaï. La plupart de ceux qu’on appelle « bédouins » sont maintenant sédentarisés comme fermiers, pêcheurs, commerçants ou fonctionnaires. Ou sans travail du tout… Dans le sud, ils peuvent occasionnellement être guides touristiques ou exploitant de structures destinées au tourisme. Le nomadisme et le pastoralisme, activités considérées comme traditionnelles, ne sont plus pratiqués que par quelques marginalisés dans les montagnes. Comme pour les amérindiens des USA ou les aborigènes d’Australie, l’identité bédouine ne s’exprime plus par un mode de vie spécifique, anciennement le nomadisme, mais par l’appartenance à une tribu. Même s’ils constituent une mosaïque ethnique, les Bédouins se distinguent nettement des populations riveraines du Nil. Dans le sud, zone la plus touristique, les groupes majoritaires sont les Tuwara, une confédération de tribus établie dans les régions de Charm El-Cheikh et de Dahab, y compris dans les montagnes de l'intérieur. Un autre groupe du sud, les Tarabin sont implantés autour de Nuweiba, mais ils sont également dans le nord, et jusqu’en Israël ou en Cisjordanie. Le groupe le plus célèbre mais qui reste minoritaire : les Jebeliya. Leur célébrité leur vient d’être attachés depuis toujours au Monastère Sainte Catherine. Contrairement aux autres Bédouins, la légende les fait venir de Valachie (Roumanie). Ils auraient été sédentarisés là au VIème siècle sur ordre de l’empereur Justinien (Constantinople) pour assurer la sécurité des moines orthodoxes installés au monastère. Bien que convertis entretemps à l’Islam, la fidélité des Jebeliya au monastère Ste Catherine est restée sans faille jusqu’à aujourd’hui. Parmi les autres habitants du Sinaï, il faut distinguer les Palestiniens (entre 50 et 100.000, surtout dans le nord), les « Egyptiens » de la vallée du Nil, attirés par de bons salaires et des emplois (exploitation minière, cimenterie, tourisme), et, curieusement, les « Bosniaques » ! Pour la petite histoire, une garnison d’origine bosniaque a été installée dans le nord du Sinaï par les Ottomans. Et ils sont restés là, les plus « européens » des autochtones du Sinaï…
Le Sinaï Bleu, une oeuvre paysagiste de l’artiste Jean Verame.
TOURISME. La plus grande richesse du Sinaï est le tourisme ! Avant les attentats de 2004-2006, le sud du Sinaï accueillait plus d'un tiers des touristes d'Egypte. Ce tourisme est incontestablement l'activité économique vitale de la région. Les zones les plus visitées sont d’une part la côte sud-est (entre la pointe sud, Ras Mohamed et Charm Al-Cheikh jusqu’à Taba à la frontière israélienne) et d’autre part, le centre montagneux autour du monastère Sainte Catherine. Charm el Cheikh & Taba. Aujourd'hui, Charm el Cheikh dispose d’un aéroport international, de larges routes goudronnées, de complexes hôteliers sur des kilomètres, d’un hôpital moderne et d’infrastructures coûteuses (dessalement des eaux et traitement des déchets) pour servir une clientèle internationale. Tout cela pour bénéficier des fonds marins exceptionnels et d’un climat qui ne l’est pas moins pour un tourisme balnéaire. Même l'achat d'une villa ou d'un appartement était un investissement lucratif… Le niveau de vie est à peu près comparable à l'Europe, et la ville a été littéralement vidée de ses habitants initiaux, les Bédouins. Ils y ont perdu leurs terres, ils ont été consignés dans la montagne… Seuls quelques uns ont le droit de promener les touristes sur leurs chameaux ou de servir de guides non officiels pour des randonnées dans l’arrière-pays… La « Riviera » égyptienne s’étire aussi dans la zone de Taba, le long du golfe de Aqaba, pour attirer le tourisme rémunérateur d’Israël. Nuweiba & Dahab. Pour ma part, j’ai toujours préféré séjourner dans la région de Dahab, éventuellement celle de Nuweiba. Ces deux villes n’ont pas (pas encore) été « traumatisées » par le développement touristique anarchique. Avec son port face à la Jordanie et à l’Arabie Saoudite, Nuweiba sert de zone de transit pour les marchandises, les pèlerins vers La Mecque et l’émigration vers les pays arabes, ou comme lien maritime pour visiter la Jordanie au départ d’Aqabah.
Nawamis (tombes-tours du 4ème millénaire av. JC.)
Au nord de Nuweiba existe également un développement touristique à suivre : la station de Tarabine. Elle est intéressante en ce qu’elle est une initiative de la tribu bédouine Tarabine. Dahab, ancienne palmeraie villageoise convertie en petite ville, a conservé une dimension humaine. C’est la station balnéaire préférée des Egyptiens, du moins ceux qui ne sont pas riches comme Crésus. C’était aussi, il y a une vingtaine d’années, une station à l’ambiance baba cool pour un tourisme européen sac à dos et chevelu... Dans les cartons des investisseurs étrangers et égyptiens, il y a bien d’autres projets balnéaires, le long du golfe de Suez cette fois. Mais les évènements récents y ont mis – pour un temps seulement – un frein.
La montagne et le monastère. Autour de Ste Catherine, englobant le mont Sinaï (ou gebel Musa : 2285 m) et le mont Sainte Catherine (sommet le plus élevé d’Egypte : 2641 m), c’est un protectorat classé par l'UNESCO comme patrimoine mondial. Pour l’Egypte, c’est aussi un parc national. Et une ressource touristique d’importance… Le protectorat héberge plus de 7.000 bédouins de six tribus différentes. Nous avons vu que les Jebeliya sont les plus connus, car ils sont attachés au monastère depuis près de 1500 ans. Ils en assurent l’entretien et la protection.
Monastère Ste Catherine, carte de 1885
Vie des Jebeliya. Cultiver des vergers est plutôt rare parmi les populations nomades, mais les Jebeliya font exception. Certainement à cause de leurs origines, mais aussi parce que les moines leur ont appris l’horticulture : pommes, poires, coings, abricots, prunes, raisins, dates, figues, amandes, noix, olives… Et des légumes, un peu de céréales, des herbes médicinales. Moutons et chèvres fournissent le lait, le fromage et plus rarement la viande. Le troupeau est un capital. Il est donc rare que le Bédouin en mange la viande ! Jadis, ces bêtes donnaient aussi leur laine (toiles de tentes), et leur peau (outres pour l’eau). Les autres produits de nécessité - thé, café, sucre, huile, lentilles, farine… - doivent être importés. Pour cela, il faut des sous… Surtout qu’avec le tourisme, le coût de la vie au Sinaï a augmenté deux fois plus vite comparativement au restant de l’Egypte. A l’exception de guider les touristes et de travailler au monastère Sainte Catherine, il y a peu d’alternatives. Dans le film « Déserts d’Egypte », je parle de l’association Sheikh Sina qui cherchent à favoriser tous les aspects possibles du tourisme local, de l’artisanat pour les femmes jusqu’au trekking en montagne. Mais à l'heure actuelle, le tourisme est en déclin. Personne pour acheter l'artisanat ou gravir la montagne. Des familles entières subsistent avec un peu de pain, de pommes de terre et de thé. Une sous-nutrition deux fois plus grave que pour les égyptiens continentaux. Sans oublier un faible accès à l’électricité, à l’eau, à l’éducation et à la santé… Aussi quelques Bédouins se tournent vers la contrebande – et plus souvent maintenant – vers la drogue qu’ils cultivent dans les jardins oasis. D’une manière générale, la situation des Bédouins dans le Sinaï est dramatique. Et l’Etat égyptien ne se sent pas concerné.
Bivouac dans le Désert Blanc
SAHARA Il y a 70 millions d’années, la mer recouvrait le Sahara. De nombreux fossiles en attestent. On y a déterré des baleines, des tortues marines, des requins, des poissons, et même – découverte annoncée en 2005 - un squelette entier de baleine dans le Wadi Hitan… Puis la mer se retire. Entretemps, il y a 7 millions d’années d’ici, l’homme se fait un plaisir de naître en Afrique, dans le désert du Djourab (au Sahara tchadien) : ce sera notre ancêtre hominidé, baptisé Toumaï. Ce nom de Toumaï est particulièrement bien choisi : c’est celui donné aux enfants goranes nés juste avant la saison sèche… Et effectivement, depuis plus de 70.000 ans, le Sahara ressemble à ce qu’il est aujourd’hui, sec, aride et minéral. Sauf.., qu’il y a environ 12.000 ans, un épisode climatique le modifie suffisamment pour que l’homme revienne s’y installer. Certains pensent qu’une fluctuation de l'axe terrestre a permis au régime des moussons de monter plus au nord. Toujours est-il que le Sahara est devenu humide, vert et habité par une faune très vite suivie par l’homme. Cet épisode ne dure pas. Il y a 4.000 ans, la zone redevient désert, et l’homme est reparti. Le Sahara vert a vécu. Pourtant, il en reste quelque chose. Des traces, des archives du passé, des pages d’histoire à découvrir, des recherches à mener…
Fresques de «nageurs» (grotte du wadi Sura, Gilf Kebir)
ACTUALITÉS : les découvertes dans le désert Égyptien ! À l’époque pharaonique, le désert – la « Terre rouge » inculte - était toujours opposé à la « Terre noire » nourricière de la vallée… Dans ce désert hostile règnent les puissances néfastes, le chaos. C’est la demeure de Seth, une des plus anciennes divinités égyptiennes, dieu de la confusion, du désordre, de la perturbation, et accessoirement le meurtrier d’Osiris. L’Égyptien, pas plus à l’aise dans le désert que sur l’océan, ne s’y aventurait guère. Seules exceptions, les oasis habitées, des points de ralliement et de sécurité, des étapes sous contrôle. Dans le désert libyque, les oasis importantes sont au nombre de cinq. Les 4 premières - Baharia, Farafra, Dakhla et Khargeh – forment un chapelet sur le lit d’un ancien fleuve depuis longtemps disparu. La cinquième oasis, Siwa, se trouve isolée à la frontière avec la Libye, 700 km à l’ouest du Caire. C’est la plus originale, pour sa population berbère et ses coutumes différentes des autres. Cependant, la plus intéressante et accueillante oasis reste pour moi Dakhla. Ces oasis sont très tôt contrôlées par l’Égypte pharaonique, une présence attestée qui remonte au moins au 3e millénaire av. J.-C. Chacune des oasis a donné lieu à des fouilles archéologiques, chacune a fourni ses quotas de découvertes. Les guides de voyage et internet inventorient ce qu’il est permis de visiter. Tôt ou tard, les passionnés d'égyptologie visiteront les oasis, car c’est souvent à la marge de la vallée du Nil que se trouvent les meilleurs signes de la civilisation pharaonique… Les oasis ne sont que les îles du désert, elles surnagent, elles flottent comme des icebergs sur la surface des sables… Et en dessous ? Pour l’archéologue, le désert a conservé d’innombrables traces de l’homme, des temples, des tombes, des forteresses, des villes peut-être… Jusqu’à aujourd’hui, et ce n’est pas faute d’avoir essayé, le désert égyptien n'a pas livré tous ses secrets. Les expéditions. Explorateurs et aventuriers ouvrirent la voie aux scientifiques et archéologues. Quelques noms seulement, une liste très loin d’être complète : Gerhard Rohlfs en 1873, Laszlo Almasy en 1932, Carl Bergman en 1991, Théodore Monod en 1993, Ahmed Mestikawi en 2002…
Laszlo Almasy, découvreur de la grotte des Nageurs
Oasis principales du Sahara d’Egypte.
L’armée retrouvée ? Selon Hérodote, l’armée du roi perse Cambyse se serait « noyée » dans le Sahara en 525 av. J.-C. Une gigantesque tempête de sable... Cette armée de 50.000 hommes était en route sur l’oasis de Siwa pour détruire le temple de l'oracle d'Amon dont les prêtres avaient refusé de légitimer Cambyse en pharaon d’Égypte ! À remarquer qu’en 332 av. J.-C. - rendu prudent sans doute, l’oracle n’a pas fait tant d’histoire pour introniser Alexandre le Grand. Il faut dire que le conquérant s’est déplacé en personne. Les premiers explorateurs (comme Laszlo Almasy) et les archéologues ont considéré cette histoire d’armée perdue comme un simple mythe, jusqu’à ce que... … deux chercheurs italiens, Angelo et Alfredo Castiglioni, disent avoir retrouvé les restes de l’armée perdue (annonce faite en novembre 2009). À environ 100 km au sud de Siwa, ils ont « désablé » des armes de bronze, un bracelet d’argent, une boucle d'oreille et des centaines d’ossements qui dateraient de l'époque de l'armée perse. Ces chercheurs ont également mis à jour des puits artificiels desséchés et des dépôts de poteries (voir Abou Ballas plus bas) qui auraient bien pu servir de point relais dans le désert. Pour arriver à leur découverte, les deux frères sont émis l’hypothèse que l’armée de Cambyse, partie de Thèbes (actuelle Louxor), a tenté de rejoindre Siwa via le Gilf Kebir puis plein nord dans la Grande mer de sable, et non en suivant la piste classique des oasis Khargeh, Dakhla et Farafra. La raison du choix de Cambyse - disent-ils - aurait été d’éviter d’avoir à combattre dans chaque oasis et de bénéficier de l’effet de surprise… Mais les soldats seraient tombés sur un autre ennemi, le khamsin, ce vent de sable sec et chaud qui souffle en tempête sur l’Égypte à partir d’avril. Siwa. C’est l’oasis la plus isolée d’Égypte. 80 km d’est en ouest et 20 du nord au sud, un grand lac, de nombreuses sources, des villages, une archéologie intéressante : la « montagne des morts », le temple de l’oracle d’Amon, et peut-être… Coucher de soleil sur le lac de Siwa
Alors que tout le monde supposait qu’Alexandre le Grand avait été enterré à Alexandrie (ville qu’il a fondée), un égyptologue égyptien (on dirait un pléonasme) annonce la découverte de sa tombe près de Siwa (février 1995). Cela correspondrait en tout cas au vœu émis par le conquérant macédonien à ses généraux : se faire enterrer près de son père Zeus-Ammon à Siwa. Depuis, plusieurs autres tombeaux supposés d’Alexandre ont été « découverts »... Un feuilleton très people. Aujourd’hui, Siwa se caractérise par sa population berbère, la tribu des Zanatas à relier à certaines tribus du Maroc lointain. Ces Berbères parlent une langue distincte, le Siwi. Ils sont agriculteurs. Productions essentielles : les dattes et les olives (d’excellente qualité), un peu de vannerie. Les anciennes maisons des Siwi sont construites de sel, les routes également. Aller à Siwa demande un certain effort et un peu de temps. Mais il faut y séjourner plusieurs jours pour goûter cet étrange sentiment d’être au milieu du Sahara dans l’oasis la plus typée du monde. Une bonne période : la pleine lune d’octobre, occasion de festivités à la foi profanes et religieuses. Trois jours, trois nuits pour célébrer les récoltes (un vin de palme sert aux libations), mais aussi l’amitié et la réconciliation entre les clans et les hommes.
Récolte des dates à Siwa
Berbère Zanata de Siwa
Grande mer de sable. La plus grande étendue de sable de la planète s’étend entre l’Égypte et la Libye : 72.000 km2, des cordons dunaires de 100 mètres de haut, des dunes de 100 km et plus de long. Un obstacle difficile à passer. On peut y observer toutes les formes dunaires souhaitées : en croissant (barkhane), alignées, plissées, étoilées… Les plus belles couleurs se développent au coucher de soleil : rose de loin, puis orange et enfin dorée lorsqu’on bivouaque dedans. Abou Ballas, le « père des jarres ». À quelque 200 km au sud-ouest de Dakhla, une colline isolée a été redécouverte en 1917 par des Britanniques : tout autour des centaines de jarres d’eau et de tessons de poterie. D’où son surnom. Qui, quand, comment et pourquoi ?
Dans les sables de la Grande Mer
Les datations par thermoluminescence définissent une période autour de 1.500 av. J.-C., donc 1.000 ans avant le passage supposé de Cambyse (mais il pouvait être au courant !) Cette date précoce pose problème… Car jusqu’à récemment on considérait qu’il s’agissait d’un dépôt pour les raids de Toubou (venus du Tchad et du Gilf Kebir) vers les oasis de Dakhla ou Khargeh. Il pourrait aussi s’agir d’un réseau commercial de l'époque pharaonique, des points relais pour les caravanes d’ânes et plus tard de chameaux. Un petit verre ? Dans la partie ouest de la Grande mer de sable, une petite région cache une des pierres les plus étranges : le silica glass. Composition : 98 % de silice qui semble fondue… Le verre le plus pur au monde ! Il n’existe nulle part ailleurs.
La magie du bivouac saharien
Pour plusieurs scientifiques, il résulte de l’impact d’une météorite dans le sable. On n’est donc pas certain que cela soit une gemme naturelle. Considéré comme une pierre précieuse cependant, puisqu’un exemplaire s’est retrouvé sur un bijou du fameux Toutankhamon !
La grotte dite des « nageurs ». Découverte en 1933 par le comte hongrois Laszlo Almasy dans un wadi du nord-ouest du plateau du Gilf Kebir (littéralement « la grande barrière »). Le lieu a été nommé le « wadi Sura » = oued aux images, par Almasy. C’est une zone assez difficile d’accès, et pour laquelle des autorisations spéciales sont nécessaires. Explorateur et aventurier, Almasy recherchait en fait la mythique oasis de Zarzoura, une expédition qu’il mène en avion et en camions Ford T. D’un style semblable à celles qu’on trouve en Libye, en Algérie, au Tchad.., les fresques de la grotte confirment l’existence d’un Sahara vert et la présence d’une faune de savane (girafes, gazelles, antilopes, autruches). Mais plus rare, elles représentent aussi des hommes qui paraissent nager… Il y a 8 à 10.000 ans, le Sahara était non seulement couvert de végétation, mais aussi d’étendues d’eau et de rivières. Les herbivores remontent de l’Afrique centrale, leurs prédateurs les suivent, et l’homme chasseur-cueilleur aussi. C’est ce que racontent ces peintures sur les Grotte des «Nageurs» de loin parois. Lorsque cet épisode climatique propice à la vie humaine s’estompe et que le désert réoccupe le territoire, entre -3000 et -1000, l’homme migre vers la vallée du Nil, et contribue ainsi au développement de l'Égypte pharaonique. Dans les années qui suivent sa découverte, Almasy mènera encore plusieurs expéditions archéologiques avec l'ethnologue allemand Léo Frobenius. Le film romancé Le Patient anglais se base sur une partie de la vie controversée de Laszlo Almasy.
Grotte des «Nageurs», détails.
La grotte « des Bêtes » ou grotte Mestikawi-Foggini. La grotte des Bêtes est un des plus importants abris sous roche ornés du Néolithique saharien. Découverte en avril 2002 au nordouest du Gilf Kebir, pas très loin de la grotte des Nageurs, par Ahmed Mestikawi, ancien responsable militaire de la surveillance du désert libyque, une découverte que s’attribue également Massimo Foggini, un homme d’affaires italien qui faisait partie du groupe de voyageurs conduit par Mestikawi. Le surnom « des Bêtes » lui vient des animaux sans tête représentés plusieurs fois sur les parois. Des « bêtes » qui semblent avaler des hommes. C’est la grotte la plus riche en peintures rupestres de la zone, mais surtout celle qui pose le plus de questions sur la vie et la mort de l’homme du Sahara... On commence seulement à mesurer l’importance de cette découverte.
Grotte Mestikawi - détails.
Il est difficile de savoir si ces dessins se réfèrent à des rites chamaniques ou initiatiques, à des passages de mort, à des requêtes aux dieux ou aux ancêtres. Certains chercheurs y trouvent les prémisses de la religion pharaonique. Dans tous les cas d’hypothèse, ces fresques nous révèlent un monde spirituel et culturel très riche, et plus ancien que la civilisation pharaonique. Il est cependant regrettable que quelques archéologues veulent se réserver ces sites pour eux seuls et pour leur gloriole personnelle, des lieux qui appartiennent à l’humanité. Mais il est tout autant évident que ces lieux doivent être abordés avec respect, humilité et sans dégradation quelconque.
Grotte Mestikawi - détails
Depuis les premières études sur les gravures et les peintures du Sahara, elles sont observées maintenant partout : au Tibesti et dans l’Ennedi au Tchad, en Libye, en Algérie, au Niger, au Soudan… Les similitudes sont grandes, les filiations possibles. Mais sous les mêmes abris rocheux, les fresques se superposent souvent, les étapes d’occupation restent floues, les datations difficiles. On peut seulement affirmer que, sur quelques millénaires, le Sahara a été largement habité par l’homme. On peut même parler de civilisation du désert. Et lorsqu’il est redevenu inhabitable, l’homme s’en est allé. Vers où ? Quelle surprise nous réserve encore ce désert ?
CHUTE du TOURISME en ÉGYPTE. Juste avant les premiers soubresauts du Printemps Arabe, le tourisme représentait encore près de 12% du Produit Intérieur Brut. Il fait vivre tout confondu près de 15 millions de personnes et constituait encore la première ressource en devises de l'Égypte. La fréquentation de cette toute grande destination touristique avait déjà baissé, d’abord avec la première guerre du Golfe (1990-1991), puis les attentats de 1997 (Louxor, temple d’Hatchepsout) et 2004 (Sharm el Cheikh). Avec la révolution de 2011 et les évènements qui ont suivis (démission de Moubarak, destitution de Morsi, etc.), la chute devient brutale : 70 % de touristes en moins. Chiffre officiel, pour ne pas faire peur - dans la réalité bien plus. Malgré qu’il existe des zones sécurisées (pour les besoins de l’économie nationale), les sites archéologiques du Caire, Louxor ou Assouan, sont ceux qui ont le plus souffert. Depuis octobre 2015 (avion russe au Sinaï), la chute continue… Pourtant, la population d’Égypte est l’une des plus accueillantes qui soit. Ce pays dispose d’un capital culturel et historique immense pour toute l’humanité. Malheureusement, la « peste noire » risque – si nous ne réagissons pas – de tuer cette part d’humanité qui est en nous.
Désert Blanc
Plus classique : Louxor, temple de Karnak
Voyage ou expédition ? Les voyages sont des déplacements vers des lieux généralement éloignés, mais pas nécessairement inhabituels ou inhabités. Par contre, les expéditions se caractérisent par l’éloignement du monde habituel et habité, par l’isolement dans un environnement inconnu et par l’autonomie que ce déplacement implique. En gros, une expédition, c’est lorsqu’il n’y a plus de pistes indiquées sur la carte… Depuis les photos satellites, Google Earth et les GPS, les territoires inconnus ne sont plus si inconnus, la planète s’est considérablement rétrécie. Jadis les expéditions cherchaient des réponses aux questions « où et quoi ». Aujourd’hui, elles cherchent plutôt les « comment et pourquoi ». Mais cela n’enlève rien à leur caractère d’expédition. Elles impliquent toujours une rupture et la prise en charge de son autonomie. L’eau, le carburant, la nourriture, les pièces de rechange, etc. sont calculés pour 3 à 4 fois le trajet aller simple, selon la difficulté estimée. On se donne aussi des moyens modernes de communication : balises GPS, téléphone satellitaire... Pourquoi voyager dans le désert ? Il est presque enfantin d’associer désert et océan, oasis et île. Pour les anciens égyptiens, le désert était d’ailleurs tout aussi « dangereux » que la mer. Pour nous, s’il reste un danger relatif, il est surtout fascinant. Pas d’hôtel, mais mille étoiles et des milliards de grains de sable, rien d’autre. Le désert se définit par ce qu’il n’a pas. Pas de pluie, pas d’eau, pas de vie : c’est un désert. Je ne sais pourquoi, mais le désert m’a toujours attiré ! Est-ce dû au réveil d’un vieux gène nomade résiduel ? Peut-être aussi parce qu’il offre des luxes oubliés ou introuvables dans la grande ville : l’espace, le temps et le silence. Très utiles pour se ressourcer. Pour libérer le cerveau. Le désert permet de faire le vide là où il y a de la place. Il est une forme de sobriété, d’ascétisme. Absence des flashes urbains, des bruits de klaxons, des éclats incongrus, des couleurs tonitruantes, des odeurs provocantes… Un espace davantage monocolore, mais jamais monotone. Un silence intense et différent : le sable qui crisse, le vent parfois. Sans perturbation, sans agression, le désert permet de regarder, écouter, sentir. D’écouter les autres, plus simplement, plus amplement. De s’écouter aussi. Se réfléchir à nouveau. Le désert incite à la sagesse et à la patience. Pour certains, le désert a même été à la source de la philosophie et de la religion. Et il faut relire Le Petit Prince, car il y a ce puits mystérieux qui attend quelque part…
www.zarzora.com - agence de A. Mestikawi