LAPONIE, le Peuple du renne

Page 1


Superficie estimée à 283.000 km2 (sans la partie russe). Population totale : 1.250.000 habitants (environ 10 % de Saami). Plus haut sommet : Mont Kebnekaise, 2.111 m en Suède. Plus grand lac : Inari en Finlande, 1040 km2. Record de froid : -51,5 °C (Kittilä, Finlande) Température moyenne en janvier : -11 à -19 °C Température moyenne en juillet : +12 à +19 °C Température plus clémente le long des côtes (Gulfstream).

Trois pays considérés dans cette brochure : Norvège, Suède, Finlande. Trois parlements samés. Nombre estimé de Saami dans chacun des pays.


Pour moi, pour ma qualité de vie, le voyage est essentiel. Pas nécessairement en milieu extrême ou désertique.., mais ça aide à vivre le voyage plus intensément ! Cette fois, j’ai choisi la Laponie. Ce n’est pas si loin, juste derrière le cercle arctique..! La région boréale, le nord de l’Europe.

Pourquoi la Laponie ? Parce qu’elle représente d’abord un condensé de certains voyages en Patagonie et en Sibérie. Ce ne sont pas des pays. La Laponie non plus. C’est une région, une contrée, un ensemble d’écosystèmes… Une terre paradoxale, coincée sur l’année entre le soleil de minuit et la nuit polaire, entre 24 heures de clarté et 24 heures d’obscurité. Et la Laponie subit d’autres phénomènes cosmiques : le vent solaire, les aurores boréales... De quoi fantasmer. Entre toundra et taïga, c’est une nature foisonnante, parfois engourdie, parfois rebelle. Des Rjords et des vallées glaciaires, des îles karstiques, des rivières sauvages et des lacs endormis. La région la plus secrète d’Europe… Tellement secrète, que le Père Noël y a trouvé son refuge. Bien sûr, je sais : le Père Noël n’existe pas. C’est lui qui me l’a dit ! Que serait le voyage s’il n’y avait la rencontre des hommes ? La Laponie abrite la seule minorité aborigène d’Europe : les Saami ou Lapon (*), ethnie colorée et amicale. Les « indiens » de l’Europe, sur le terrain depuis au moins 10.000 ans. Les Saami sont réputés pour l’élevage du renne – animal emblématique, capable de migration de légende. Entre eux, une relation fusionnelle s’est installée, mais elle est mise à mal par un monde qui se cloisonne tout en se mondialisant… Un paradoxe de plus. Je suis arrivé au voyage un peu par hasard, une suite d’obstacles et de rencontres. Mais je savais que ce n’était pas futile. Qu’il fallait en sortir quelque chose, en témoigner. A ce mot « voyage », j’associe beaucoup de mots. Liberté, silence, espace, curiosité, diversité, respect, rencontre, engagement… Et un questionnement : comment l’homme - ici et maintenant - résout-il pour lui et les siens les exigences vitales : un abri, la nourriture et la sécurité ? En Riligrane – évidemment - la grande et triple question existentielle : d’où venons-nous, que sommes-nous, où allons-nous !? On apprend toujours en voyage. Car les réponses varient et impliquent tellement de points de vue et de disciplines : philosophie et religion, histoire et archéologie, ethnologie et écologie (relations entre les êtres vivants et leurs milieux naturels). Le voyage est devenu ma seconde patrie. Un mode d’expression. Une exigence de diversité. Pour ne pas nourrir mon cerveau d’un même pain trop quotidien. Pour connaître le monde dans lequel je vis, et comprendre où il va.

Dany Marique

(juillet 2018)

(*) On peut écrire saami, samé ou same. Cela reste le même peuple. Le terme « lapon » est porteur de connotations négatives ; il dérive du terme « lapp », d’origine incertaine, et qui renvoie à l’idée de gens en guenilles, de misérables aux habits rapiécés. Il est donc considéré comme péjoratif. Il n’empêche que « Laponie » reste.., sans connotation, un terme devenu purement géographique.


Définition de la Laponie. En Europe, toutes les terres au Nord du cercle polaire (longitude 66°33’) constituent la Laponie. C’est donc la région boréale européenne. Elle se déploie entre quatre pays : Norvège, Suède, Finlande et Russie. (Carte) Mais de la partie russe (la péninsule de Kola – capitale Mourmansk), nous ne tiendrons pas compte ici. A la longitude 71°10’, le Cap Nord est considéré comme le point le plus septentrional d'Europe (en réalité, il est situé sur l’île norvégienne de Magerøya). Par définition, le pôle Nord se trouve à 90°00’. Différence entre les trois pays. La Finlande fait partie de l’Union Européenne (UE) et de la zone Euro. La Suède fait aussi partie de l’UE, mais pas de la zone Euro. Sa monnaie est la couronne suédoise (Kröne SEK). La Norvège emploie également la couronne (NOK, quasi même valeur que la SEK), mais elle refuse à la fois l’UE et l’Euro. Elle peut se le permettre : elle est 1ère à l’Indice de Développement Humain. Ceci dit, la Norvège se réserve un accès privilégié au marché européen au travers de l’Espace Economique Européen et de l’Espace Schengen. L’Europe, c’est simple, non ?! Attention : les Etats scandinaves sont la Norvège, la Suède et… le Danemark ! Pas la Finlande. Facile à retenir : les états scandinaves ne sont pas dans la zone Euro, et ils ont tous des couronnes...

Lors de la Seconde Guerre Mondiale, les menaces sur les trois pays sont l’Allemagne d’Hitler et l’Union Soviétique de Staline. Mais les situations diffèrent d’un pays à l’autre. Ainsi la Finlande subit l’offensive soviétique. Par défaut, son allié devient donc l’Allemagne. La Suède, pour conserver sa neutralité officielle, doit faire des concessions aux Nazis. Par exemple leur donner l’accès aux mines de fer et au réseau ferroviaire qui permet l’attaque contre la Norvège. Cependant, dans le même temps, la Suède a mis en place une politique d'accueil des juifs et des réfugiés européens. Enfin, la Norvège s’est fermement opposée aux Allemands. La bataille la plus historique du pays reste l’attaque contre le port de Narvik. Autre définition de la Laponie. C’est le territoire des Saami ou Same. Le nom Laponie vient de « lapons », mais ce dernier terme est donc péjoratif. Ils sont le seul peuple indigène ou autochtone d’Europe. Certains les surnomment même « les Indiens de l’Europe ». Et c’est vrai que si vous remplacez le bison par le renne, ça tient la route… En tout cas, ils sont dans la zone depuis plus de 10.000 ans. Les Saami auraient inventé les skis il y a 5.000 ans, et le ski attelé (probablement tiré par des rennes) quelques 500 ans plus tard. Ils auraient également conçu le principe du sauna il y a 2.000 ans.


Histoire humaine de la Laponie. Elle remonte à la fin des glaciations, il y a plus de 10.000 ans : des vagues de migrations venues de l’Est et du SudEst, peut-être même de Sibérie. Des peuples nomades qui ont suivis la faune. Des trappeurs, des pêcheurs qui survivent, s’installent ou bougent selon les saisons… Ces ancêtres des Saami inscrivent leur histoire dans la roche : les gravures rupestres d’Alta (Norvège) en attestent. Un site découvert en 1972 et classé au Patrimoine Mondial par l’UNESCO. Plus de 5000 gravures, entre - 5000 et – 500 avant notre ère. On peut y lire l’élevage du renne, la navigation en mer, des cultes chamaniques. Chasseurs et trappeurs, les Saami ont lié leurs déplacements aux transhumances du renne, et sont devenus semi-nomades. Au moyen-âge, les Saami vivaient dans les siidas ou petites communautés avec chacune son territoire. Au moyen-âge toujours, arrivent les Vikings, anglo-saxons à la fois pirates, commerçants et explorateurs. Ils écument et font trembler l’Europe, mais ils découvrent aussi l’Amérique avant Christophe Colomb. Sous leur pression, les Saami remontent vers le nord, tout en commerçant avec eux. Ils échangent fourrures, peaux, bois de rennes, que les Vikings – plus mobiles en navigation – vont revendre au Sud. Plus tard, l’expansion des royaumes scandinaves pousse les Saami davantage au Nord. Cette fois, c’est la colonisation en bonne et due forme : accaparation des terres, les « terra nullius » des colons comme si personne n’y vivait, hormis les bêtes sauvages… Les colons viennent piller l’or, le bois, les fourrures, la terre. Ils remontent les rivières l’été, établissent leurs comptoirs qui servent aussi de camps de base pour aller plus loin. Les richesses pillées redescendaient les mêmes rivières. Avec les colons viennent les pasteurs, pour piller les âmes. Les Saami sont évangélisés, parfois de force. Quelques églises s’implantent vers 1100, mais l’œuvre de conversion s'intensifie réellement au 17ème siècle. En 1542, Gustav Vasa, roi de Suède, proclame que « les terres non habitées en permanence appartiennent à Dieu, à nous et à la Couronne suédoise, et à personne d'autre ». De son côté, Christian IV, roi du Danemark et de Norvège, estime insupportable le manque d’évangélisation du nord, notamment parce que les Saami échappaient ainsi à l’impôt. Début du 17ème siècle, il décrète que tout Saami qui ne se convertirait pas, serait condamné à mort.


Sous la protection double de l’Eglise et de la Couronne, les colons et les fermiers s'implantent dès le 17ème siècle. Ils tirent leurs revenus de l’agriculture, au contraire des activités traditionnelles locales. Les colons habitaient des maisons, produisaient du beurre, de la laine et du lait, des denrées que les Saami trouvaient utiles. A l'inverse, beaucoup de colons adoptèrent la culture autochtone : coutumes, vêtements, nourriture et usages domestiques. Vers l'an 1850, on commença à faire des réformes, et en premier lieu le système scolaire. Les enseignants reçurent pour consigne de limiter l'usage du samé. En 1889, la Norvège interdit aux Saami de parler leur langue, chanter leurs chants (le yoïk), de pratiquer leur religion. Elle construit aussi des internats pour enlever et isoler les enfants de leurs familles, et ainsi éradiquer leur langue. A partir de 1902, il est interdit de vendre des terrains à quiconque ignore le norvégien. La « norvégianisation » est alors en plein essor. Entre les deux guerres mondiales, cette politique fut même appliquée très brutalement. Contraints et forcés.., ou emprisonnés, les Saami ont dû collaborer. Sont venus progressivement les frontières nationales, les routes, les voies ferrées, les exploitations forestières, les barrages hydrauliques… Chaque fois, leur liberté s’amenuise. La Laponie possède également des richesses minières : prospections et forages s’intensifient, des mines gigantesques s’ouvrent. En quelques décennies, un peuple à l’occupation plurimillénaire est déstabilisé. Difficile de conserver ses racines dans le béton…

Selon les Nations unies, quatre critères définissent un peuple autochtone : il descend des habitants présents dans la région avant la colonisation ; il conserve, dans ses pratiques économiques et culturelles, des liens étroits avec sa terre ; il souffre, en tant que minorité, de marginalisation économique et politique ; il se perçoit lui-même comme autochtone.


Environ 1.250.000 habitants résident en Laponie, sur une superficie d’un peu moins de 300.000 km2. Soit 4 habitant au km2 (20 fois moins que l’ensemble de l’Europe). Parmi ces habitants, la minorité Saami compte pour environ 10 % du total.

Répartition des Saami entre les pays. Au total, ils seraient entre 85 et 135.000. En fait, c’est assez peu clair : la définition de Saami (imposée par les états) n’inclut pas - par exemple - les Saami des bois en Finlande. Et puis, pour des raisons économiques, beaucoup se sont exilés au sud et échappent aux recensements. Outre les trois pays considérés, il faut ajouter 2.000 Saami russes sur la péninsule de Kola, et aussi une diaspora d’environ 30.000 Saami émigrés en Amérique, essentiellement en Alaska et au Nunavut. Ethnologiquement parlant, les Saami sont divisés en plusieurs groupes : * Les Saami de la Côte, les plus nombreux, vivent de pêche et d’agriculture le long des côtes de Norvège. Certains se sont installés le long des fleuves, appelés alors les Saami des Fleuves. * Les Saami de la Montagne. Ils habitent dans la partie intérieure de la Laponie. Ce sont les vrais héritiers de cet ancien peuple semi-nomade qui a lié sa vie à celle du renne. * Les Saami des Forêts habitent en Laponie suédoise. Ils en existent aussi en Finlande. * Les Saami d’origine russe ou Skolts : vivent dans la péninsule de Kola et au Nord-Est de la Finlande. Définition du Saami selon les Etats. Un Saami est une personne qui a : le samé comme langue maternelle, ou, dont un des parents ou grands-parents a le samé comme langue maternelle, ou, qui se considère comme Saami et vit selon les règles de la société samé, et qui est reconnu par la communauté samé comme l'un des siens.

Langue. Le samé fait partie des langues fino–ougriennes, liées au finnois. Au contact des populations rencontrées, plusieurs langages samés se développèrent. Les chercheurs ont pu en identifier plus d’une dizaine. Neuf variantes survivent encore, ce qui permet aussi de différencier les Saami entre eux. Mais aujourd’hui, moins de la moitié des Saami parlent encore sa langue… Remarque importante : malgré les variantes de langages, un mot commun désigne à la fois le peuple et sa terre : le « Sápmi ». Religion. Un peuple qui vit entre la nuit polaire, l’aurore boréale et le soleil de minuit grandit forcément dans une vision très spécifique de la création. Il se tient à l’écoute des forces en présence dans la nature. Trois mondes se côtoient : le céleste (les dieux et les esprits), le terrestre (les mortels) et l’inframonde (les ancêtres, les morts). Dans le monde céleste : le soleil et la lune bien sûr, le tonnerre, le vent et les aurores boréales... Du terrestre, les Saami reçoivent tout, à chasser ou à cueillir. Ils reçoivent aussi le renne, dont ils doivent s’occuper. Pour survivre, ils sont obligés de partager les ressources. Existait aussi un culte à l’ours, animal royal qui symbolise la puissance. A l’aide du tambour de cérémonie et du yoïk (chant guttural à capella), les chamanes ou « noaidi » sont chargés de communiquer avec les esprits, les ancêtres et les divinités. Ils sont chargés aussi de guérir les maladies, perçues comme les effets pervers de l’équilibre nature – cosmos. A sa découverte, ce peuple possède déjà une longue histoire, un passé complexe.


Chamanistes et animistes à l’origine, les Saami furent contraints à la conversion dès le milieu du 16ème siècle. Au début cependant, ils s’arrangeaient avec leur statut de nomades pour éviter l’office dominical et les grandes fêtes (Pâques, Noel, Annonciation). Malgré les tentatives très rudes des missionnaires luthériens - tambours brûlés, langue et yoïk interdit, amende, prison, mise à mort pour sorcellerie - le chamanisme perdurait. A partir de 1826, le pasteur Laestadius, lui-même d’origine samie, crée un mouvement évangélique assez rigoriste et puritain, mieux adapté à l’âme samé. De nos jours, les Saami sont moins à l’écoute de la nature. Cependant, bien que très peu pratiqué, on constate une certaine renaissance du chamanisme. Explicable peut-être par les difficultés que rencontrent les Saami dans la vie moderne, mais aussi par la reconnaissance ethnoculturelle. Mariage et famille. Le mariage joue un rôle important dans la société samie. Les rennes et la famille sont les premiers piliers d’une décision de mariage. Jadis, il se pratiquait entre cousins, avec l’idée de se conserver le troupeau et les pâturages, ou de renforcer les liens de solidarité entre éleveurs. Cependant la richesse relative, l'éloignement du clan ou un taux d'endogamie trop élevé intervenaient aussi dans les décisions. Aujourd’hui, bien que les contacts soient plus faciles, plus nombreux et plus libres, les mariages en dehors de la communauté samie sont rares. Le sentiment identitaire reste très fort. Le mariage s’officialise généralement après la naissance d'un enfant, c’est la preuve que la future épouse est fertile. Au 20ème siècle, un quart des enfants naissaient encore avant mariage… 4 ou 5 enfants par couple est l’idéal pour les Saami. Davantage serait épuisant pour la mère, et compliqué pour le partage de l'héritage et du troupeau. Mais moins d’enfants n’est pas non plus avantageux : en cas de décès des parents, ils se retrouveraient sans collaboration ni solidarité : « Un enfant unique est comme l'arbre isolé, seul contre le vent, il n'a pas l'appui de la forêt ».


Avancées et amélioration. Malgré une histoire dramatique, les Saami ont conservés un fort sentiment d’identité. Leur culture est très spécifique : des coutumes vestimentaires, des légendes, un artisanat, quelques croyances animistes, une musique et des chants (yoïk), l’élevage du renne. Un Conseil transnational Sami est fondé dès 1956. Les Saami de chaque pays y envoient leurs représentants. Depuis 1971, ils ont reçu des droits spécifiques de pêche, de chasse et de passage dans certaines zones protégées. Il existe également un Parlement Saami dans chacun des trois pays (Finlande en 1973, Norvège en 1989, Suède en 1993). Trois pays, trois parlements, mais un seul peuple : les Saami doivent se débrouiller avec ça… Ça, c’est le côté officiel, car les Saami sont toujours traités en citoyens de seconde zone. Ils restent un peuple fragile sur leurs propres terres. Les nombreux projets miniers, gaziers, pétroliers ou hydroélectriques obligent fréquemment les états à les déplacer. En compensation, les états cherchent leur adhésion par des avantages économiques. Aujourd’hui, les Saami ont une espérance et un niveau de vie comparable à l’ensemble des populations nordiques. L’ONU et les Peuples Autochtones En 2007, l’ONU adopte la Déclaration des Droits des Peuples Autochtones. Elle s’intègre à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Parmi 45 articles sont reconnus : le droit à l’autodétermination, le droit d’usage collectif sur la terre ancestrale et ses ressources, le droit à préserver les liens spirituels avec leur environnement. Sont prévues aussi des Drapeau du peuple saami restitutions, des indemnisations. En Laponie, malgré que les trois pays considérés sont parmi les plus avancés de la planète (indice de développement humain (IDH) : Norvège 1ère, Suède 14ème et Finlande 23ème en 2016), on est loin du compte. Dans un rapport de janvier 2011, la commission sur les Droits des Peuples Autochtones développe une critique éloquente des politiques nationales à l’endroit du peuple samé en Norvège, Suède et Finlande. On y trouve trois sujets de préoccupations majeurs : le manque de pouvoir décisionnel réel des parlements samé, le manque de protection et la question de l’appartenance des terres traditionnelles, et le manque de moyens mis en œuvre pour protéger la culture et la langue. Il fait savoir aussi qu’une trop faible partie des Saami bénéficie d’une éducation et de services publics dans leur langue maternelle. Les trois parlements saami remplissent surtout des fonctions consultatives et administratives. Ils peuvent s’occuper des politiques de sauvegarde culturelle et linguistique. Mais pas de la gestion de leurs terres ni des ressources, qui restent aux mains des parlements nationaux. Ils ne reçoivent pas les moyens pour assurer leur représentativité ni pour travailler sur les projets de l’Etat central les concernant. Cette dernière remarque du rapport s’adresse surtout à la Suède où le parlement samé de Kiruna est souvent forcé d’appliquer des réglementations nationales qui s’opposent à sa vraie mission. La propriété des terres traditionnelles est une question difficile entre toutes. L’Etat norvégien s’en est déchargée par un décret transférant la possession et la gestion des terres du nord à un corps administratif local. En Suède, il faut prouver 90 années de présence continue pour se voir attribuer légalement un terrain. S’agissant de peuples nomades, on pourrait presqu’en rire ! En Finlande, l’Etat est propriétaire de plus de 90 pour cent du territoire saami, et le gère à sa guise. La Finlande n’a aucune intention de signer la Convention n° 169 relative aux peuples indigènes et tribaux (Organisation Internationale du Travail, 1989).


L’élevage du renne. Malgré les contraintes et les règlementations nationales, l’élevage du renne existe toujours. Mais il ne se pratique plus de la même manière. L’élevage est menacé par les autres activités économiques : exploitation agricole, déforestation pour le bois, projets miniers et éoliens, barrage hydroélectrique, réseaux routier et ferroviaire, et bien sûr toutes les pollutions liées. La catastrophe de Tchernobyl a failli aussi porter un coup fatal à l’élevage. Des milliers de bêtes ont dû être abattues suite à l’ingestion de lichen radioactif. Dans un premier temps, le taux « toléré » de radioactivité pour la viande de renne a été relevé à 6.000 becquerels par kilo (actuellement redescendu à 3.000). Pour la viande en général, il est de 600 bq/kg dans l'Union européenne. 30 ans après Tchernobyl, les éleveurs soumettent encore régulièrement leurs élevages à des relevés. Parfois, les tests atteignent les 2.100 bq/kg. Les rennes sont toujours radioactifs... (Voir encart *). Aujourd’hui sédentarisés, les Saami encadrent les rennes avec des motosneige et des hélicoptères, à l’image des cow-boys d’Australie. Cependant, la transhumance de printemps se fait toujours à l’initiative des rennes femelles qui calquent ce voyage sur la mise bas et la protection de leurs nouveaux nés. Un rythme de transhumance imposé par les cycles de la nature… (*) Tchernobyl. Plus de la moitié du césium137 – isotope inconnu à l’état naturel, durée de vie moyenne de 30 ans – émis par l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl (avril 1986) a été transportée vers les pays européens. En Suède, Norvège et Finlande, l’aire contaminée atteignit 28.000 km2 (quasi la Belgique). Les taux en césium137 dans les terres de surface indiquaient des valeurs 10 à 50 fois plus élevées que le taux résiduaire lié aux essais nucléaires des années 1950 (sources : rapport de Greenpeace en 2006). Forêts et tourbières de Laponie ont accumulé ce césium137 - entre autre dans les lichens, la nourriture favorite des rennes. A l’époque, il a fallu abattre des bêtes trop contaminées... On a du modifier l’alimentation des rennes avec des agents complexants pour accélérer l’élimination du Cs137. Mais les forêts, les tourbières et les marais ont stocké et concentré le césium, devenant des réservoirs de radiations. De ce fait, les aliments d'origine forestière (champignons, fruits, baies sauvages, lichens, mousses, gibier) ont été aussi contaminés et participent au cycle lent qui aboutit finalement à l’homme. Le taux sanguin et musculaire des Saami en Cs137 était 50 fois plus élevé que la moyenne. Des taux de naissance réduits, des malformations et des prématurés ont été observés. « Tchernobyl a été un tournant tragique mais important pour l’AIEA », a expliqué Mohamed El Baradeï, ancien directeur général de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique). « Cela nous a amené à consacrer des ressources et des énergies pour les victimes dans une quantité jamais égalée. Et cela nous a amené à tout faire pour qu’un tel accident ne se reproduise pas. » Ne rêvons pas : Kychtym, Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima. Quatre accidents nucléaires graves. Ça peut donc encore arriver. Pourquoi des politiques irresponsables maintiennent-elles à bout de bras cette industrie ? Pourquoi accepter que l’Homme en soit pour des générations le dommage collatéral ?


Sédentarisation des rennes. Autre changement important dans la vie des Saami : la « sédentarisation » forcée - pour ne pas dire imposée par la loi des rennes, la création de parcs à rennes. Cela implique également de modifier l’alimentation des bêtes. Mais la concentration des rennes dans un lieu clos attire les prédateurs. Les loups, les ours, les lynx déciment plus facilement les troupeaux sans fuite possible, et privé de la défense des chiens et des hommes. Et ces prédateurs sont intouchables.., car ils font partie de la faune sauvage protégée. Seul animal à se nourrir principalement de lichens, le renne participait à tout un écosystème qui risque maintenant de disparaître. L'élevage du renne ne fait plus vivre qu'une minorité de Saami (moins de 10 %). Eleveur de rennes, un statut autrefois estimé dans leur société… Mais méprisé par les Norvégiens pour qui ils restent les paysans de l’arrière-pays. Le renne est surtout élevé pour sa viande et sa fourrure, sur des territoires délimités et réglementés. En Norvège, cela représente chaque année 2.500 tonnes de viande – même pas un pour-cent de la production nationale, mais vital pour les familles d’éleveurs. Auparavant, outre la nourriture, les Saami en tiraient une quantité de produits dérivés : la peau et la fourrure pour les tentes (lávvu), les vêtements, les couvertures, les tendons pour la couture des vêtements, les os et les bois pour la fabrication d'ustensiles et d'outils divers. La nature, la famille, les rennes : les trois piliers essentiels de la survie des Saami... Si l’un fait défaut, l’équilibre est rompu. Aujourd’hui, ils craignent ne plus pouvoir transmettre une tradition fière et viable à leurs enfants… D’être en fait la dernière génération. Mais ils ont également découvert qu’ils avaient une valeur touristique. L’artisanat spécifique en est le plus bel exemple. Ils mettent à profit leur habilité à travailler la peau, l’os, la laine, le bois. Les couteaux et les bols ansés sont des souvenirs appréciés des touristes. Des Saami se sont spécialisés pour encadrer les groupes d’aventures en recherche de terres plus sauvages. Avantages pour eux : le lien profond conservé avec la nature, et l’utilisation des rennes ou des chiens pour les traineaux… La pratique de l’écotourisme permet également de sensibiliser l’opinion publique à leur cause. Parfois aussi, ils mettent en scène leur vie nomade d’autrefois pour le plaisir des passagers des croisières. Les rennes, c’est plutôt bon pour le tourisme...


Climat et saisons. On trouvera dans les guides de voyage ce qu’il faut savoir sur la température, la pluviométrie et l’ensoleillement des régions de Laponie. En résumé, la température varie de -40 en hiver à + 30 °C l'été. Le Gulf Stream tempère la météo sur les côtes, ce qui fait que même en hiver, la mer n'y gèle jamais et les ports restent utilisables. La végétation locale est essentiellement de taïga ou de toundra, en fonction de l’altitude et de la latitude.

Phénomènes climatiques et cosmiques spécifiques. Aurore boréale. Elle passe d’est en ouest, et indique donc la région nordique, en tout cas vue de Laponie. Une nuée verdâtre qui s’installe discrètement... Une gouache qui fuse et se déforme… Comme la buée qui envahit la fenêtre. Un fantôme drapé, une hallucination dans le ciel étoilé… Car déjà, il doit faire dégagé pour une aurore boréale. En réalité, sauf à être très intense, on la devine plus que de la voir à l’œil nu. L’appareil photo, lui, peut la capter (temps de pose long). Question de sensibilité et de longueur d’ondes sans doute. Mais elles s’installent, rampent ou serpentent, en sarabande ou en cavalcade, drapé luminescent, convulsion évanescente. Magique ! Et c’est la faute au soleil ! Ce phénomène étrange nait des collisions des particules solaires chargées (éruption ou tempête solaire) et transportées par le « vent solaire », avec les molécules de notre haute atmosphère. Le vert phosphorescent provient des photons (lumière) émis par les molécules d'oxygène ionisées par ce bombardement. D’autres couleurs peuvent apparaître (bleu, violet, rouge), en fonction de l’altitude et de la masse des molécules ionisées. C’est déjà un peu moins romantique ! Comment ne pas y voir – comme les peuples premiers - un dieu qui régente la vie ? En tout cas, ce soleil est responsable de la renaissance annuelle que nous appelons le printemps... En Laponie, le simple retour du soleil après la nuit polaire est en soi un événement fêté. Un conseil : installez une application (gratuite ou payante selon les cas, pour smartphone ou tablette) qui permet de prévoir l’apparition des aurores boréales. Exemple : Aurora Forecast.


Nuit polaire. La nuit polaire se définit au-delà du cercle polaire. Logique. Sa durée varie selon la latitude, en gros une quarantaine de jours autour du solstice d’hiver (21 décembre) : pas de soleil visible. Pour le soleil de minuit, c’est le contraire : le soleil reste dans le ciel 24 h sur 24 autour du solstice d’été. Il ne se couche pas : un mois avant, un mois après (selon la latitude à nouveau), autour du 21 juin. Il rase l’horizon vers minuit mais ne disparaît pas. Et tout ça a des conséquences sur nos organismes. Rappelez-vous : l'hiver approche, les jours raccourcissent, et on déprime... Une dépression saisonnière, même sous nos latitudes ! Les études épidémiologiques montrent que plus on s'éloigne de l'équateur, plus le nombre de personnes atteintes de troubles augmente. Envie de dormir, impression de dilatation du temps, infections plus fréquentes, migraines, etc. Ce n’est pas très neuf : le soleil nous est indispensable. A notre santé psychique et physique. La nuit polaire, c’est l’obligation de vivre trop longtemps dans des journées éteintes. Une sorte de calamité imposée aux humains. D’ailleurs, pour compenser l'absence de lumière, certains portent des lunettes spéciales ou allument des lampes restituant la lumière du jour… Luminothérapie. Comme s’il fallait conjurer la nuit. Notre mode de vie moderne nous a déconnecté des rythmes naturels. Ce que perçoivent les yeux ne sont pas tout : il y a aussi l’impalpable, les signes que nous adresse la nature à travers la course des saisons. Les Saami – comme les Inuits et les autres peuples du grand Nord – n’avaient pas besoin de cela auparavant. Ils s’adaptaient. Si le soleil n’est pas là, la lune est davantage présente (vieille rengaine). En Laponie, la lune est considérée comme une présence vivante et protectrice qui veille sur le sommeil. Mais elle sert aussi de lampadaire à la nuit polaire…

Soleil de minuit au Cap Nord par un jour nuageux

Soleil de minuit. Le réveil du soleil fait fondre les neiges et revenir les oiseaux. Une renaissance annuelle, attendue, cosmique… Fêtée par les feux de la Saint-Jean. Mais ici, le soleil revient en force. Plus tard certes, mais plus vite. Et bientôt l’obligation de vivre des jours allumés, des journées interminables. Une autre malédiction… Avec aussi des impacts sur l’organisme bien sûr. La notion du temps est perturbée. Comment savoir - sans la montre - si c’est la fin du jour ou l’aube du jour suivant ? Difficile à supporter dans la vie urbaine. Mais agréable et joyeux en vacances… La respiration silencieuse de la nature associée aux rayons revitalisants du soleil constitue un remède infaillible pour soigner le moral en berne. C’est le moment des balades, des parties de pêche et des barbecues prolongés.


La räkkä et les rennes. Mais attendez… En été, il y a la « räkkä » : invasion estivale d’insectes piqueurs et mordeurs. Moustiques, taons, mouches voraces et moucherons suceurs de sang… Il peut faire chaud en Laponie, entre fin juin et début août, jusqu’à des 30°C. Et il peut faire humide, autour des lacs, des marais, près des cascades… La räkkä est désagréable. Puis, on apprend vite à s’en prémunir (vêtements, moustiquaires, répulsifs, antiseptiques). Cependant les rennes en liberté n’ont qu’un seul moyen de défense : la fuite. Des siècles et des siècles de fuite… Qui ont finit par produire cette transhumance annuelle. Ce sont les femelles qui - pour protéger leurs nouveau-nés encore fragiles - donnent le signal de départ de cette migration saisonnière. Le temps que ça passe, les rennes vont pâturer là où il y a davantage de vent, vers les steppes de toundra, vers les côtes, sur les îles. Puis, pour des raisons d’alimentation, les manades remontent vers la taïga et les lichens frais qui auront repoussés entre-temps. La forêt leur permet aussi d’être à l’abri des prédateurs. En résumé : si les Saami ont survécu des siècles durant grâce au renne, ils le doivent d’abord aux moustiques ! Une très belle illustration de l’interaction positive entre la nature et l’homme. L’été indien de Laponie : la ruska. Pour des raisons évidentes, la « ruska » est très prisée des photographes. C’est le début de l’automne : toute la végétation - conifères, arbres à feuilles caduques, baies sauvages et lichens confondus - se révèle dans une explosion de couleurs, vert, marron, orange, rouge, jaune. Un flamboiement végétal de deux semaines maximum. Septembre est également le mois le plus propice aux randonnées (pied, VTT). Les températures sont plus clémentes, la räkkä est terminée, les rennes se préparent à surmonter l’hiver, les oiseaux migrateurs filent vers le sud. C’est aussi le début de la saison de la chasse et de la pêche. Et le bon moment pour se constituer le « garde-manger » et la « trousse à pharmacie » de la nature arctique : les baies riches en vitamines dont la camarine noire, les champignons qui aromatisent la nourriture, les herbes qui aident à la guérison... Les huit saisons du renne. Faune et flore de Laponie démontrent bien comment le climat et la nature ont façonné la culture des Saami. Ils tiennent compte de 8 périodes saisonnières différentes. On les appelle « les saisons du renne », sans date très précise, car elles reflètent surtout les cycles liés à l’élevage (naissance, migration, reproduction, comptage et tri, marquage…) L’année commence avec la fonte des glaces. En gros, d’avril à début mai. Pour éviter la räkkä qui vient avec les bourbiers, les rennes recherchent des pâturages plus secs. Ils muent et récupèrent leur fourrure. Les femelles donnent naissance aux faons. Puis survient la grande migration vers la toundra plus ventée, pour protéger les faons. Les jours plus longs permettent la réparation des enclos. En juillet, les faons nés au printemps sont marqués. Puis fin août, vient la récolte des foins pour l’hiver, la cueillette des baies, des champignons. La migration de retour a lieu aussi en automne, vers la taïga où les lichens se sont reconstitués. Aux premières neiges (octobre) s’opère un tri sélectif : répartition entre propriétaires, choix des bêtes pour l’abattage ou la reproduction, marquages, traitements médicaux contre les pandémies et les parasites. Les ramures arrivent à maturité et la période de rut et de reproduction commence. Puis vient la longue période hivernale, une certaine léthargie, qui se termine dans une sorte de pré-printemps, lorsque les journées se rallongent de nouveau.


Changements climatiques. En parlant des altérations du climat, on cherche surtout à prouver la responsabilité de l’homme avec ses pollutions. Mais inversons la question ! Quelle action un climat qui se modifie peut-il avoir sur la faune, la flore et sur les hommes !? L’ensemble des êtres vivants occupe sur la surface terrestre, un volume très faible comparé à celui de la planète entière. Cette abondance de vie, d’une densité voisine à celle de l’eau, est soumise aux pulsations du ciel (cosmos, soleil) et de la terre. En cherchant à s’adapter aux variations du climat, consciemment ou non, les êtres vivants interagissent et ajustent leurs activités pour en tirer le meilleur profit. L’homme n’échappe pas à cette règle. A l’écoute de la nature, les peuples indigènes - de l’Amazonie à l’Arctique, des déserts australiens aux savanes africaines - sont les premiers et les meilleurs experts en matière de changement climatique. Depuis longtemps, ces peuples premiers ont pratiqué des modes de vie durable. Leur empreinte écologique est la plus faible qui soit au monde. Mais ils sont aussi les plus vulnérables au dérèglement climatique. Ils en sont même les premières victimes, y compris dans les mesures palliatives dites « vertes » telles que l’expansion agricole des biocarburants, les barrages hydroélectriques, les projets de conservation de la nature et sa mise en « parcs naturels... » Avec eux disparaissent des pans entiers de compétences sur la nature et l’environnement. En Laponie, les Saami sont les premiers à éprouver des changements climatiques brutaux : variations imprévues de température, pluie verglaçante à la place de neige, météo irrégulière avec des redoux imprévisibles suivi de regel rapide. Tout gèle en surface. Les rennes sentent le lichen sous le verglas, mais peinent à casser la couche trop dure. Se nourrir par eux-mêmes devient difficile. Pour les Saami, s’adapter signifie nourrir les rennes au fourrage et aux granulés (en 2012 pour la 1ère fois !) Mais granulés et compléments vitaminés, ça coûte. Et ça change – dit-on - le goût de la viande. Sans parler des risques sur la santé, du genre « vache folle ». Pour les Saami, c’est un non-sens : « ce n’est pas à l'homme à nourrir le renne, mais au renne à nourrir l'homme... » Les Saami sont en première ligne. Jadis, ils pouvaient lire la nature, la comprendre, prévoir le temps. Ça devient plus difficile. Ils observent des rythmes saisonniers perturbés... L’hiver plus court et plus humide, l’été précoce, la terre qui se réchauffe trop vite. Ils en subissent les conséquences. Par exemple, les lacs : tout a reculé d’un bon mois ! Si les premières glaces se formaient en octobre, à présent il faut attendre décembre. D’où problème de sécurité, et problème pour pêcher. Sans compter les redoux à répétition qui perturbent les cycles de reproduction, alimentaire et migratoire des poissons. Tout ça complique la vie, le travail, les déplacements. Le choix coûteux - entre motoneige et quad devient primordial. Et de plus en plus cher : le carburant, les machines, la nourriture de substitution.


Résumons le problème... Aujourd’hui, nous avons deux systèmes qui s’opposent. Un système minoritaire, l’autre de « fuite en avant ». Le système minoritaire est l’équilibre rythmé entre la nature, les rennes et les Saami. Le système de fuite en avant est fait de possession et d’exploitation. Il se protège et s’impose par la loi et son pouvoir économique : la nature doit se domestiquer, les rennes se sédentariser et les Saami s’intégrer. Mais cette exploitation de la nature par des barrages, exploitations minières et forestières, monocultures intensives.., se paie en dévastation et pollution. Les raisons qui poussent les Etats et les Marchés à « concentrer » les Saami et les rennes sont les mêmes qui conduisent inexorablement au réchauffement climatique. Sous les contrôles du FMI, de la Banque Mondiale, de l’OMC et des traités de libreéchange, l’agriculture et l’alimentation subissent les effets du réchauffement. Les projections pour 2050 annoncent que la moitié de la planète sera exposée à la faim ! La survie de l’humanité est compromise, car le changement climatique empêchera d’atteindre l’autonomie alimentaire d’une population en augmentation permanente. Selon le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, prix Nobel de la Paix en 2007), la hausse des températures va entraîner une baisse de rendement terrestre de l’ordre de 10 à 25 %. Pour les océans, la baisse de capture des poissons estimée sera de 40 %. Rappelons qu’en 2015, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) évaluait l’augmentation nécessaire de production alimentaire à 70 % d’ici à 2050 (aujourd’hui, 800 millions d’êtres humains ne mangent pas à leur faim). Et malheureusement, le cortège de solutions miracles - transformation génétique, semences améliorées, engrais de synthèse et autre glyphosate - ne fera que nuire davantage à l’environnement et à la biodiversité, et contribuer au réchauffement climatique. Mobilité, autonomie et diversité. Commencée il y a 22.000 ans, la dernière période glacière a pris fin – 10.000 ans plus tard - par une hausse de 4°C et une élévation des océans de 130 mètres. L’homme en a profité ! Il accordait ses migrations sur l’accès à l’eau et à la nourriture (rennes, bisons.., saisons de chasse et de récolte). Les premiers hominidés étaient forcément nomades. Grâce à ses pieds, l’homme a évolué. Le gros cerveau lui servait Chasse photographique en hiver. pour décider de la marche d’une saison à l'autre. Voilà peut-être là le secret du “sixième sens” : savoir déceler les modifications du climat. Si ce climat est stable, l’espèce se sédentarise plus facilement. L’individu commence alors la défense du territoire, la compétition, le « struggle for life ». Mais si le terrain est difficile et la météo contraire, il cherchera à s’en sortir sans combattre. De fait, les espèces migratrices se révèlent moins agressives que les sédentaires. L’homme a toujours fait cela : la recherche de nourriture et de sécurité, pour lui et les siens. Dès le milieu du 19ème siècle, la révolution industrielle a produit des gaz à effets de serre, que l’atmosphère a emmagasiné. Depuis le milieu du 20ème siècle, la population humaine a triplé, la richesse globale a décuplé, l’impact de l’homme sur l’équilibre des écosystèmes a centuplé. Il suffit d’ouvrir les yeux : avec le réchauffement du climat, une nouvelle sélection « naturelle » est en marche. Plus pressée et rapide. Mal répartie. Et à terme, nocive pour l’homme…


Effets de la météo sur la santé. Nous devons tout au soleil. Sans lui, la terre n’aurais jamais porté la vie. Nous n’aurions pas eu l’oxygène, la station debout et l’évolution, les pigments de nos peaux, les religions, les sciences, le calendrier et la boussole, le feu et les panneaux solaires... Pas de marées non plus, pas de vents, pas de combustibles fossiles. Sans le soleil, nous n’existerions tout simplement pas. C’est notre bonne étoile… (enfin, pas toujours…) La biométéorologie médicale étudie et prévoit les effets de la météo sur la santé humaine. Le temps qu’il fait dehors agit à l’intérieur de notre corps. Ne parlons pas ici des épisodes orageux, des froids intenses ou des fortes chaleurs… Ne parlons pas non plus de l’irritabilité, de la fatigue chronique, des dépressions saisonnières ou du manque de lumière naturelle... Mais il est connu que la météo peut aggraver certaines maladies, telles que la migraine, l’arthrite, l’asthme, les allergies ou le risque d’infarctus. Ainsi, il survient davantage de crises cardiaques létales en période de froid que de chaleur. Les bulletins journaliers mettent en garde les personnes plus sensibles sur les risques liés à la météo. Mais la hausse des températures promise pour les années à venir entraînera des risques bien plus importants… Nouvelles migrations. Cette hausse - variable selon l’écosystème et la latitude - est évaluée à 2°C d’ici 2050. Pour le 20ème siècle, la hausse globale a été de 1°C. Ballotées entre des écarts de climats, les espèces vivantes vont devoir - ou s’adapter, Lofoten (Norvège) ou migrer, ou disparaître. Pour certaines, le processus est en cours, nous en voyons déjà les effets. Mais le processus pourra aussi s’étaler sur plusieurs générations. Une “nouvelle sélection naturelle” ! L’homme, lui, va devoir réinventer ses modes de (sur)vie… Quinze ans après l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto, contesté par les lobbies économiques, la question n’est plus de prouver le réchauffement planétaire. Il est là.., irréversible. Turbulences aériennes et tornades, vortex polaires et épisodes caniculaires, vagues géantes dans les océans, retrait des glaciers, montée des eaux, sécheresses et pluies torrentielles, inondations urbaines… Les climatologues prévoient une accélération de ces phénomènes. Transports maritime et aérien en subiront les premières conséquences, avec l’impact économique qu’on peut deviner. Un scénario catastrophe qui provoque déjà des exodes vers les centres urbains et les zones humides (souvent les côtes plus vulnérables). On assiste à de nouvelles migrations, pour des raisons climatiques, économiques et politiques (mais n’est-ce pas un peu la même chose !?) Aujourd’hui, ces nomades, émigrés, apatrides, sans-papiers, déplaisent aux Etats, c’est bien connu. Par principe, les pouvoirs préfèrent les pantouflards ! Mais ce refus de la diversité et de la mobilité, conduit à une perte d’humanisme. Ce refus va à contre-courant de l’évolution même de l’humanité. A l’horizon 2050, on estime à 200 millions les futurs réfugiés du climat. Certaines régions deviendront invivables. En gros, les pays du Sud seront les plus touchés, et les pays du Nord les plus impactés par l’arrivée des migrations climatiques. Les grands flux migratoires convergent déjà vers l’Amérique du Nord, vers l’Europe, et dans une moindre mesure vers le golfe persique.


Le futur des Saami

En août 2013, la police suédoise a évacué de force des Sáami qui protestaient contre des forages pour une nouvelle mine de fer (près de Jokkmok). Depuis, tous les jeudis, un groupe de Saami manifeste à Stockholm, en demandant au gouvernement l’arrêt des mines et des prospections sur leurs terres ancestrales. Près de 90 % du fer produit dans l’Union européenne provient des sous-sols de la Laponie suédoise…

En Laponie, d’ici la fin du siècle, on prévoit une hausse de 9°C. Soit plus de quatre fois les Dans les années 1970-80, à la construction du barrage sur la rivière Alta objectifs définis par la (Norvège), d’importantes protestations s’élevèrent, y compris des actes de COP21. La température désobéissance civile, car les pâturages historiques des Saami ont été ouvertement méprisés. Les manifestants ont été évacués de force et le moyenne grimpe deux village samé de Mazé a été englouti. Mais cet épisode fondateur des fois plus vite en Laponie mouvements Samé a été appelé la « controverse d’Alta ». qu’ailleurs. Les cycles naturels de la faune et de la flore sont déjà perturbés. Ce que nous observons chez nous – par exemple des bourgeons trop précoces - se répète au centuple en Laponie. Pourquoi les poissons ne mordent plus en hiver : les eaux sont trop chaudes. Pourquoi les prédateurs rodent-ils près des fermes : ils cherchent la pitance facile. Des espèces habituellement inconnues – végétales ou animales – s’installent. D’autres disparaissent ou migrent vers des écosystèmes qui leur convient mieux… La nature ne se trompe pas. Elle change les règles du jeu. Elle s’adapte. Semi-nomades par tradition, les Saamis sont éleveurs. Des siècles durant, ils ont su s’adapter à la nature et au climat arctique. Une sagesse, une connaissance et un équilibre entre l’homme et la nature. Les piliers fondamentaux de leur culture. Pour eux, le renne est plus qu’un animal, il est leur mode de vie, leur liberté. Mais ce pastoralisme est devenu très compliqué. Aujourd’hui, plus que 10% des Saami restent éleveurs. Sur leurs propres terres ancestrales, les Saami sont déjà des réfugiés, et nous sommes en Europe. Alimentation, commerce et climat. La disparition du « renne en liberté » symbolise notre relation à l’alimentation. Grande question alors : comment gérer notre équilibre et notre autonomie alimentaire ? Il semble évident que produire la nourriture à proximité de chez soi comporte de nombreux avantages. Déjà une alimentation plus fraiche, plus saine et plus facilement contrôlable. Un circuit court avec des avantages socioéconomiques immédiats. Mais nos politiques cèdent devant l’agro-industrie, ses monocultures, ses élevages intensifs, ses réseaux de distribution. De fait, la grande distribution – de plus en plus alliée à l’e-commerce - s’est réservée la part du lion du commerce Aurore boréale sur le fjord de Lyngen.

alimentaire mondial. Avant de débarquer dans nos assiettes, les aliments prennent l’avion ou le bateau : avocats du Pérou, tomates du Maroc, bananes d’Equateur, crevettes du Vietnam, fraises du Chili. Les producteurs sont étranglés mais les actionnaires satisfaits. Ce 21 juin 2018, un rapport d’Oxfam dénonçait les pressions de la grande distribution sur le commerce alimentaire («Derrière les code-barres, des inégalités à la chaîne»). Si le commerce équitable est synonyme de qualité, il ne représente qu’environ 0,1 % du marché international. Dans la pratique, acheter équitable est un engagement personnel, citoyen, un choix conscient et responsable. Consommer est un acte politique, le seul vrai bulletin de vote… Car là aussi ce manque de courage politique, qui impacte notre alimentation, risque d’amplifier – rétroaction – l’urgence climatique.


Il n’y a pas que l’homme : les biomigrations. En août 2012, un article de la revue Sciences révèle qu’en parallèle au réchauffement, les animaux et les plantes migrent vers les pôles ou vers des altitudes plus élevées. En moyenne, les espèces déplacent leurs habitats à raison de 17,6 kilomètres et/ou de 12,2 mètres d’altitude par décennie. Les plantes se déplacent au même rythme que les insectes, les oiseaux et les mammifères. Certaines espèces migrent plus vite que Une augmentation de température de 1°C correspond d’autres, comme le papillon commun en en France à un décalage des zones climatiques Grande-Bretagne qui a migré de 220 km d’environ 200 km vers le nord. En dix générations, la vers le nord en deux décennies. date de floraison des betteraves de l’ouest de la Evidemment, des espèces ne pourront pas France s’est avancée au niveau de celles d’Afrique du « migrer » aussi vite. C’est le cas des Nord (Académie des Sciences - France juin 2017). arbres, dont la reproduction lente est un handicap à l’adaptation. Les arbres pourraient donc ne pas survivre, ce qui est gênant quand on pense à leur rôle comme stockage de biomasse, de régulateur du climat ou dans la dépollution de l’atmosphère, sans oublier leur fonction d’écosystème de la faune aviaire. Plusieurs études américaines pointent ainsi que la moitié des espèces d’oiseaux d’Amérique du Nord est menacée d’extinction (Université McGill, National Audubon Society, Nature Canada - 2014). Un rapport conjoint du WWF et du Tyndall Centre for Climate Change (Univ. East Anglia – GB – mars 2018), sur base d’études dans 35 régions du monde à la biodiversité reconnue, un réchauffement global de 4,5°C pourrait conduire à la disparition de 48% des espèces vivant dans ces zones. Même limité à 2°C, la perte serait de 25% de ces espèces. A tous les coups, on reste entre le pire et le moins pire, car on ne parle pas encore d’extinction des espèces… Il y aurait extinction que dans le cas où l’espèce « en fuite » ne retrouve pas un écosystème qui lui convient. Dans les océans, qui recouvrent 70 % de la surface terrestre, les modifications du climat produisent les mêmes conséquences. Mais dix fois plus rapidement. Le réchauffement n’est peut-être pas seul en cause : on constate aussi une acidification des eaux, par absorption du C02 plus abondant dans l’atmosphère. Résultat : dans les filets des pêcheurs d’Islande, une diminution du cabillaud, remonté vers le pôle, et une augmentation des maquereaux. Face à ce constat, l’Islande a d’ailleurs modifié sa politique des quotas. Ce n’est pas tout : plus de C02 dans l’eau, ça veut dire moins d’oxygène : les poissons ont tendance à maigrir. Bien sûr, tout est question de chaîne trophique. Le poisson suit sa nourriture… Sur base de 208 études sur 857 espèces marines, il s’est calculé que le phytoplancton migre de 470 kilomètres, les poissons de 277 kilomètres et le zôoplancton de 142 kilomètres par décennie. En queue de peloton, les crustacés, les mollusques et les algues vivant au fond des mers, qui progressent tout de même de plusieurs dizaines de kilomètres par décennie. Ce constat est d'autant plus alarmant lorsqu’on sait que l'océan absorbe 80 % de la chaleur produite par les gaz à effet de serre, alors que sa surface se réchauffe trois fois moins vite que les écosystèmes terrestres. La question se pose : à quelle vitesse un végétal ou un animal peut-il modifier son cycle de vie pour survivre ? Cela implique son horloge biologique, la prédation, la symbiose ou le parasitisme, la reproduction. On sait que les insectes présentent une capacité d’adaptation exceptionnelle. Est-ce un hasard si on nous propose des insectes dans nos assiettes !? Mais qu’en est-il des plantes et des animaux ? Il est certainement temps de reconfigurer les ressources alimentaires qui permettront à l’humanité de survivre. A lire, les trois excellents polars d’Olivier Truc qui mettent en scène la Police des Rennes, les problèmes réels de la minorité Samé et une intrigue policière : Le détroit du Loup – Le dernier lapon – La Montagne rouge.



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.