Volume 94, numĂŠro 12
Le mardi11 janvier 2004
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Fernando passe la balayeuse depuis 1977.
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Besoin de drogues? Amoureux? Nymphomane? Boucher un trou? Une seule adresse: redaction@delitfrancais.com
11 janvier 2005 x Le Délit
éditorial
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Le Délit
Trouver le bonheur
Le journal francophone de l’université McGill 3480, McTavish, bur. B-24 Montréal (Québec) H3A 1X9
Le Temps des fêtes révisé.
Rédaction: (514) 398-6784 Publicité: (514) 398-6790 Télécopieur: (514) 398-8318
Valérie Vézina
N
oël. Fête féerique, où l’on célèbre la naissance du p’tit Jésus. Noël. Occasion unique de revoir les cousins germains du voisin de la chienne de la grand-mère que l’on n’a pas revus depuis qu’on a deux ans, âge auquel les matantes nous prenaient par les joues et nous donnaient deux gros becs mouillés. Noël. Beau trou dans le budget. Magasiner dans des endroits bondés de monde, créditer ses achats et tomber dans les pommes en voyant le compte Visa (qui ne se chiffre pas à zéro comme dans la pub «gagnez vos achats Visa») en janvier. Se casser la tête pour trouver le cadeau au frère qu’on ne peut sentir, pour finalement aller l’acheter avec lui, lequel lors du déballage fait clairement savoir aux autres que vous êtes allés ensemble et que finalement c’est comme s’il se donnait un cadeau à lui-même. Ok. J’exagère, mais à peine. Noël, oui, c’est magique, oui, c’est féerique, mais il y a tant de gens pour qui Noël n’est qu’un fardeau. J’ai déjà assez écrit sur le fait que je suis contre les fêtes du calendrier. Contre, dans le sens où je crois profondément qu’on a perdu ce petit côté magique de chaque événement, qu’on s’est laissé emporter par le commercial, par la «routine». Mais, ce bla bla, je ne vais pas vous le refaire. Laissez-moi plutôt vous raconter une petite anecdote. C’était au jour de l’an, plutôt la veille du jour de l’an. Un ami m’avait invitée chez lui pour défoncer l’année. Je me retrouve au cœur de Westmount, dans une de ces maisons qui vous fait rêver. En jeans, l’allure décontract, je me pointe avec un peu de retard, mais bon! Les autobus durant
rédactrice en chef Valérie Vézina chef de pupitre-nouvelles Philippe G. Lopez chef de pupitre-culture Flora Lê rédacteur-reporteur Eleonore Fournier coordonnateur de la mise en page David Drouin-Lê coordonnateur de la photographie Éric Demers coordonnateur de la correction Julien Vinot chef illustratrice Jany Lemaire collaboration Alexandre de Lorimier Laurence Bich-Carrière Joël Thibert Marc-André Séguin David Pufahl Agnès Beaudry Borhane Blili-Hamelin Pascal Sheftesty Dwight Pommerleau Jasmine Bégin Marchand webmestre Bruno Angeles
le temps des fêtes, c’est plutôt moyen. Les gens présents, que je ne connaissais pas, sont tous très sympathiques (et très chiquement habillés) et c’est en discutant avec l’un deux que j’ai réalisé pourquoi je n’aimais pas Noël et tout. Ça m’a foudroyée. Je les envie. Tous. Tous ceux qui ont du plaisir à Noël, qui aiment, comme lorsque l’on est gamin, développer leurs cadeaux. Je les envie, ceux qui ont de ces familles de rêve, qui ont des parents extras. Je les envie et c’est là mon plus grand problème. Le gars avec qui je discutais lors de ce party me disait justement que je ne devais pas les envier. Certes. Mais, c’est plus facile à dire qu’à faire. Difficile de ne pas envier
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Carnet de La Chine et voyage méxicain Falung Gong
ces gens qui ont tout, qui ont une belle famille, pour qui chaque jour est Noël. Vous direz peut-être que je chiale pour rien. J’ai après tout un toit, de quoi manger tous les jours. Je ne suis pas une victime du tsunami, mes parents ne sont pas morts. Mais s’il y a une chose que j’ai apprise également c’est qu’on ne peut comparer des pommes avec des oranges. Évidemment, il n’y a pas deux oranges semblables et c’est ce qui fait la beauté du genre humain. Néanmoins, bien modestement, je puis dire que ce temps des fêtes m’a révélé cette douce vérité; on ne peut envier les mieux nantis que soi, les gens qui ont une petite famille parfaite, tout comme on ne peut se dire
que l’on n’a pas le droit de se plaindre, car il y en a des pires que nous. À quoi ça rime tout ça? Simplement, au fait qu’il faut accepter sa situation et en retirer le meilleur qui soit. Petite révélation pour moimême, évidence pour la majorité sans doute. Mais il m’a fallu être seule le 24 au soir et me retrouver dans un milieu très mondain le 31 pour enfin comprendre que l’on avait une vie à vivre et qu’il valait mieux la passer à vivre que la passer à penser à la vivre si tout était différent. Je suis moi. Maintenant. Et j’en suis heureuse. Et vous, l’êtesvous? x
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Roche, papier, ciseaux
gérance Pierre Bouillon publicité Boris Shedov photocomposition et publicité Nathalie Fortune le McGill Daily Daniel Cohen Conseil d’administration de la Société de Publication du Daily: Emily Kingsland, Eugene Nicolov, John Jeffrey Wachsmuth, Daniel Cohen, Valérie Vézina, Joshua Ginsberg
L’usage du masculin dans les pages du Délit français vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
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Le bleu et le noir s’épousent
Les réunions du Délit ont maintenant lieu le lundi. Passez au local B-24 du Shatner, et ce dès 16h.
couverture Éric Demers Philippe G. Lopez
Le Délit français est publié par la Société de publications du Daily. Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et illustrations dont les droits avaient été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé par Imprimerie Quebecor, St-Jean-sur-Richelieu, Québec. Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ). Imprimé sur du papier recyclé. ISSN 1192-4608
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04 Le Délit x 11 janvier 2005 nouvellesnational
Au royaume du bonhomme hiver Avec la démission du Bonhomme Carnaval, la syndicalisation du père Noël devra attendre à l’an prochain… Laurence Bich-Carrière
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ouper. «Saviez-vous que 25 p. cent des mascottes ont dû un jour être réhydratées par intraveineuse?» informé-je ma tablée, forte de mes lectures hivernales. - Ben, ça doit pas trop arriver au Bonhomme Carnaval. - Surtout pas cette année, avec la grève. - C’est pas une grève.
Comment ça c’est pas une grève? Le 23 décembre dernier, l’équipe du Bonhomme Carnaval – c’est-à-dire tant les employés qui personnifient la mascotte que les escortes qui l’accompagnent dans ses déplacements (on ne parle pas des «reines» de l’off-carnaval) – obtient son accréditation syndicale. Le choix du syndicat – à savoir, les fameux TUAC qui causent tant de problèmes à McDonald et WalMart – était-il annonciateur de ce qui allait se passer? Car le 30 décembre au matin, Marie-Josée Lemieux, porte-parole syndical, fait connaître la démission en bloc des vingt employés. Surprise! Stupeur! Consternation! Et dire que lorsque la demande d’accréditation avait été déposée le 9 novembre, Jean-François Néron du Soleil commençait son article intitulé Camarade Bonhomme par:
«Serait-il un jour possible d’acheter l’effigie de Bonhomme Carnaval brandissant une pancarte avec l’inscription “en grève” ou encore voir le célèbre personnage du haut
de son palais scander “So-so-sosolidarité” [le Bonhomme Carnaval est la seule mascotte parlante]. Peu probable». En voilà un qui fait figure de Paco Rabane…
nouvellesinterational
À qui remettra-t-on les clés de la ville le 28 janvier? Deux choix s’offraient à Yvon Hudon, le président du Carnaval de Québec: décider que des cadres camperaient le personnage (je les vois bien dans un minibus en train d’ajuster leur bonnet rouge, les genoux dans le front) ou faire passer une petite annonce dans le style «Importante société de divertissement hivernal de la capitale nationale cherche joyeux drille antisyndical pour porter ceinture fléchée en taille empire». Plus sérieusement, le Carnaval de Québec a commencé à examiner les candidatures le 3 janvier: on cherchait vingt «personnificateurs» robustes. Même pas le temps d’écrire «avis aux intéressés»: le 6 janvier, tous les postes étaient comblés. Pour reprendre le credo: «le troisième jour est ressuscité des morts». Tant mieux, on n’aura pas à remplacer Bonhomme par Bob l’éponge. x
courrierdeslecteurs
Trafic d’enfants
Incroyable, mais vrai!
Catastrophe naturelle et humaine en Indonésie
Marc-André Séguin
S
elon le Jakarta Post, le tsunami en Asie du 26 décembre dernier a laissé plus de trente-cinq mille enfants orphelins ou séparés de leurs parents dans la région d’Aceh, en Indonésie. Des responsables de l’État indonésien ont annoncé que plusieurs de ces enfants risquent maintenant de tomber entre les mains de trafiquants. La Fondation Sepakat, située à Medan en Indonésie, a annoncé qu’au moins vingt enfants ont déjà été envoyés en Malaisie afin d’y être vendus. Elle affirme que plusieurs autres enfants orphelins ou séparés de leurs parents sont maintenant portés disparus. Un directeur de la Fondation Sepakat ajoutait: «Généralement, les enfants visés sont des bébés ou des enfants de moins de quinze ans. Le syndicat de trafiquants se présente frauduleusement comme étant une fondation [venant en aide aux enfants]. Ce [trafic] est irresponsable et viole la loi». Il affirme que le risque d’une augmentation des cas de disparition est grandissant, car de plus en plus d’enfants se présentent dans les camps
Le directeur du Carnaval, Jean Pelletier, ne s’explique pas les mesures draconiennes qui ont suivi un premier tour de négociations infructueuses: «Nécessaire, le recours à l’entreprise privée relève de la saine gestion, ce n’est pas une raison pour monter aux barricades».
Qu’est-ce que ça leur donne de démissionner? Théo Klein de GamesXNews se souvient: «Métier dangereux: qui voyait-on se faire donner des coups de casseroles à l’émission Sans limites?» Plus sérieusement, le syndicat a fait savoir que les principaux points en litige concernent la soustraitance et le transport. Lemieux a révélé au réseau LCN qu’en tant «qu’ambassadeur du Carnaval et roi de la joie de vivre depuis 1954, Bonhomme voyage beaucoup et les employés ont besoin d’espace pour s’étirer ou enlever leur costume: c’est un métier éprouvant». Or, les organisateurs du carnaval de Québec auraient décidé de recourir à la sous-traitance pour accompagner la mascotte dans ses déplacements et de diminuer la taille des autobus et ce, sans en avertir les principaux intéressés. Mais à quoi sert donc un syndicat s’il faut démissionner? À alerter les médias? Michel Grant, expert en relations industrielles de l’UQÀM rappelle: «Quand quelqu’un se donne la peine de déposer une requête en accréditation syndicale, c’est parce qu’il réagit à des conditions de travail dont il est insatisfait»: est-ce à dire que les organisateurs l’avaient vu venir? «Sans aller jusque-là, ça traduit un malaise véritable», répondait-il au réseau LCN.
M
embres de l’équipe éditoriale,
de réfugiés de Medan en quête de soins et d’aide. Afin que la situation ne s’aggrave davantage, le ministre de la Justice indonésien s’est engagé à surveiller de plus près les enfants voyageant seuls dans les aéroports et les ports. Le 3 janvier dernier, il a fait adopter une loi interdisant tout Indonésien de moins de seize ans à quitter le pays. «Nous ne pouvons les empêcher de quitter les provinces, mais, dans le cadre de nos efforts pour arrêter un éventuel trafic d’enfants, nous ne leur permettrons pas de quitter l’Indonésie», a-t-il déclaré.
Le Jakarta Post affirme qu’au moins une pseudo-fondation a déjà été démasquée. Cette dernière vendait des enfants à des parents étrangers pour fins d’adoption. Le général Da’i Bachtiar explique que les syndicats de trafiquants opèrent de trois façons différentes. «La première, c’est qu’ils se présentent comme étant les représentants d’une fondation venant en aide aux enfants. La seconde méthode consiste à se présenter comme étant un membre éloigné de la famille de l’enfant voulant s’en occuper. Enfin, ils se présentent aussi comme étant des parents d’une famille d’accueil». x
Je tiens à vous faire part de l’enthousiasme et de la fierté que j’ai ressentis en feuilletant virtuellement les onze derniers numéros du Délit. En tant qu’ex-membre de l’équipe éditoriale, je dois dire que cette cuvée de journalistes dépasse toutes mes espérances. À vrai dire, je me vois même quelque peu embarrassé de la piètre qualité du journal que nous avons produit l’an dernier. Le Délit de cette année est, sans aucun doute, plus mûr qu’il ne l’a été dans les cinq dernières années. Je tiens particulièrement à saluer le travail exceptionnel d’Éric Demers, de Laurence Bich-Carrière et d’Eleonore Fournier.Vous avez démontré, de par la qualité et la pertinence de vos articles, que le Délit a bel et bien sa place au sein de la communauté estudiantine mcgilloise. Bravo! Joël Thibert Rédacteur en chef du Délit - 2003-2004
11 janvier 2005 x Le Délit
nouvellesinternational
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Histoire de narcos Joël Thibert
D
ans les années 80, quand on pensait Colombie, on pensait café. L’icône du café 100 p. cent colombien était à cette époque une marque de commerce en soi, un des trois logos les plus reconnus en Amérique du Nord. À cette époque, aussi, la production de coca colombienne était relativement insignifiante, du moins aux yeux des Présidents américains du moment. Puis, un beau matin, le prix du café a pris une débarque, et les petits producteurs ont été, comme qui dirait, évacués. Le «grano de oro» ne valant presque rien, beaucoup d’entre eux se sont tournés vers la coca. Et vous connaissez la suite. Bien entendu, le début du trafic de drogues en Colombie remonte à bien avant la fin des années 80, mais c’est à peu près à cette époque que la coca est devenue le nouveau trademark de la Colombie. La coca étant devenue la principale exportation de la Colombie, la communauté internationale ne pouvait plus fermer les yeux. Et l’élite colombienne non plus. En 1984, Belisario Betancourt, Président de la Colombie, entreprit des négociations avec les chefs des grands cartels. Le gouvernement colombien voulait que les narcotrafiquants puissent être extradés, et les narcos, eux, ne voulaient pas en entendre parler. Quand il s’est rendu compte qu’il ne servait à rien de négocier, Betancourt a déclaré la guerre aux narcos, guerre qui dura près d’une décennie. Mais il était déjà trop tard. L’argent de la drogue avait déjà pénétré la politique, les banques, les industries, la justice, les concessionnaires Harley-Davidson et même la guerilla. Lutter contre les narcos, c’était lutter contre le système qu’ils avaient eux-même infiltré et corrompu, contre les politiciens, contre les juges, contres les commerçants, et surtout contre le peuple qui vivait de la production et du trafic de la drogue. C’était perdu d’avance. Jorge (un personnage semifictif, inspiré d’une connaissance) a grandi à Cali pendant les belles années du cartel. Les frères Rodriguez, dirigeants du cartel de Cali, avaient une approche très différente de celle de Pablo Escobar, du cartel de Medellin. Au lieu de faire régner la terreur, ils ont décidé d’acheter tout le monde, y compris le maire, les hauts fonctionnaires, la police et la populace. Ils donnaient une chance à tous ceux qui n’avaient pas le talent ou les moyens d’aller à
l’université de se sortir et de sortir les leurs de la misère. Jorge, pour sa part, avait du talent. Il avait décidé de ne pas suivre ses amis, et d’aller à l’université, coûte que coûte. Alors qu’il lui fallait deux heures d’autobus chaque jour pour se rendre à ses cours, ses copains se promenaient en BMW, sortaient tous les soirs et donnaient de quoi vivre aux membres de leur famille qui n’avaient pas d’emploi. C’était injuste, certes, de devoir se botter le derrière alors que d’autres avaient tout, tout de suite. Mais lui savait que pour eux, il n’y avait pas vraiment d’autres alternatives; ils n’entreraient jamais à l’université, et le salaire d’ouvrier, s’ils arrivaient à trouver un emploi, leur permettrait à peine de survivre. Être narco, c’était dangereux, mais il valait mieux vivre quinze bonnes années et aider sa famille que d’en vivre
cinquante dans la misère. Escobar a été tué, les frères Rodriguez ont été capturés, les grands cartels démantelés et beaucoup de narcos liquidés. Mais entre-temps, l’argent de la drogue avait fait du chemin; aussitôt les grands cartels démantelés, d’autres petits cartels, mieux organisés, ont vu le jour. Et la production de coca a continué d’augmenter, malgré les campagnes de fumigation financées par les États-Unis. Quand les grands cartels se sont effondrés, beaucoup se sont retrouvés sans aucun moyen de subsistance. Les narcos, qui tuaient de jour, apportaient de quoi vivre à leur famille, à leurs voisins et à leurs amis le soir. Criminels de circonstance, ces gens ordinaires étaient devenus narcos par nécessité. Tout comme les producteurs de café étaient devenus producteurs
de coca pour survivre. La drogue était le seul espoir pour beaucoup d’entre eux de s’élever, de devenir quelqu’un. Difficile de les blâmer. Jorge, pour sa part, a réussi sans toucher à l’argent sale de la drogue. Il a un bon poste dans une boîte à Bogota, vit relativement bien, et ne se plaint pas de sa situation. Cependant, il ne se fait pas d’illusion: l’argent de la drogue est partout, dans les poches de tout le monde, et beaucoup de ses clients ont certainement à voir, d’une manière ou d’une autre, avec le trafic de la drogue. Mais lui ne peut pas se permettre de dire non à cet argent. Ni personne d’ailleurs. Ce que Bush et Clinton, avant lui, ne semblent pas avoir compris, c’est que pour chaque 100 $US qui vient du trafic de la drogue, seulement 5 $US restent dans le pays producteur. Le reste de l’argent circule de main à main
dans les pays riches, de vendeur à revendeur. Ce qui revient à dire que c’est l’économie mondiale qui dépend du trafic de la dope, et pas seulement celle du tiers-monde. Lutter contre le trafic de drogues, c’est comme labourer la mer. Tant que les gringos continueront à consommer de la coke, les trafiquants trouveront un moyen de la produire et de la faire entrer. Et s’ils arrachent les plants de coca en Colombie, ils repousseront au Pérou ou en Bolivie. Et pour ce qui est de retracer le parcours de l’argent sale, ça équivaudrait à démanteler toutes les institutions de ce pays et de beaucoup d’autres pays. «Que celui qui ne connaît pas l’odeur de l’argent jette la première pierre». x
06 Le Délit x 11 janvier 2005 carnetdevoyage
¡Ya basta! Péninsule du Yucatán, au Mexique. Récit en trois chapitres d’un bref voyage en autostop. Philippe G. Lopez
San Cristobal de las Casas – Chetumal En janvier 1994, après l’entrée en vigueur de l’Accord de LibreÉchange Nord-Américain (ALÉNA), un groupe de rebelles armés, les Zapatistes, prend la mairie de San Cristobal. Cette révolution populaire se verra attribuer l’étiquette marxiste par l’Occident bien qu’elle ne soit pas particulièrement fondée sur une idéologie mais bien sur des revendications. Face à l’indifférence
Aussi attendrissants que coûteux: ces enfants nous ont dérobé 7 pesos (75 sous canadiens).
Iona Fournier
Valladolid – Merida En l’espace de seulement quelques mois, le Mexique a été envahi par la mode du téléphone cellulaire. Sur le coin de la rue, une vendeuse de crème glacée pianote distraitement sur son bidule chromé pendant qu’elle prend la commande d’un client. Le culte du portable, descendu tout droit du Nord, a fait passer l’engin d’objet de luxe à objet de nécessité. Dans les rues de Valladolid, on discutera avec des vendeurs de forfaits cellulaires habillés en uniforme de cow-boy. L’un d’eux, Miguel, apprend l’anglais à l’université et rêve de déménager à Las Vegas. Il ouvrira grand les yeux lorsque je lui avoue ne pas posséder de téléphone cellulaire. Après une heure d’attente sur le bord de l’autoroute, nous décidons de réviser notre stratégie d’autostop. Pour le Mexicain moyen, il y aura toujours quelque chose d’ironique à voir des touristes faire du pouce. Alors autant jouer par l’ironie, se dit-on. Ayant écrit sur un carton «No somos gringos» (on n’est pas
Américains), on se fait embarquer après seulement quinze minutes. Manuel est un vendeur ambulant travaillant à Cancún. Dans une voiture neuve, accompagné de sa femme et de son gosse de huit ans, il nous dit achever ses études en droit. «Au Mexique, il y a encore plusieurs personnes qui doivent se débrouiller avec 40 pesos par jour (moins de 4 $CAN)». Pendant tout le trajet, le garçonnet nous parlera passionnément de Spider Man et surtout de Spider Man 2. Avec Manuel, on aborde un peu la politique. «Actuellement, le problème majeur est que l’opposition n’est pas unifiée. Ils se chicanent constamment, pendant qu’un président sans aucun charisme promet des choses qu’il ne fait pas». Après soixante et onze ans de règne, le PRI (Partido Revolucionario Institucional) a cédé la présidence au PAN (Partido Acción National) en 2000, avec l’élection de Vincente Fox. L’événement aura suscité de grands espoirs, mais cinq ans après, les changements promis se font attendre.
Philippe G. Lopez
barrages érigés par des femmes et des enfants. Après avoir dressé un cordon au travers de la route déserte, ils nous abordent en nous suppliant de leur acheter bananes, oranges pelées ou sacs de noix. Après avoir été contraints de dépenser quelques pesos, la barricade est levée. Une technique de vente sous pression qui s’avérera efficace: après quelques kilomètres seulement, la banquette arrière s’était transformée en rayon de fruits et légumes.
Philippe G. Lopez
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alenque – San Cristobal de las Casas Une petite voiture de location se range sur le côté de la route bordée de déchets. Sur le siège du passager, un drôle de bonhomme aux sourcils pointus nous dévisage. «San Cristobal? –Yeah». Dick et Trevor sont deux ontariens qui voyagent régulièrement ensemble depuis une vingtaine d’années d’Asie en Amérique Latine. Sur la route bordélique qui se tortille dans l’étendue montagneuse, Trevor nous raconte notamment la fois où ils ont frappé une vache en Inde: «They were pretty angry at us». Las Chiapas, longeant la frontière guatémaltèque, constitue la province la plus pauvre du Mexique, où seulement les deux tiers de la population ont accès à l’électricité et moins de 60 p. cent à l’eau courante. Vision surréaliste que de voir qu’à deux mille mètres d’altitude, Pepsi et Coca-Cola se livrent une guerre de marketing féroce dans de minuscules villages. Entre les cochons et les chiens errants, on aperçoit inévitablement les célèbres logos sur les façades de maisons en tôle. Certaines communautés indigènes, ne voyant que des camions de Coke arriver à leur village, ont même incorporé la boisson gazeuse dans leurs rituels religieux. Ainsi, il est fréquent de voir des croyants boire goulûment du Pepsi et ensuite roter afin d’évacuer «les mauvais esprits». Sur le chemin, nous nous faisons régulièrement arrêter par des
San Cristobal de las Casas, Chiapas.
du gouvernement central, les Zapatistas créent cinq Caracoles autonomes, regroupant une trentaine de municipalités indigènes indépendantes de tout pouvoir extérieur. Sur la rue des Insurgentes à San Cristobal, des slogans révolutionnaires sont peints sur les façades. Plusieurs commerces vendent divers produits à l’effigie socialiste, et chaque soir un documentaire sur le Che passe dans une salle de projection différente. Dans la rue, des artisans veulent nous vendre des poupées à l’effigie du Subcommandante Marcos, chef intellectuel du mouvement Zapatiste, devenu malgré lui un personnage culte. Dans une camionnette typiquement brunâtre, deux étudiants québécois nous ramassent quelques secondes après que l’on ait levé le pouce. Tania, étudiante en anthropologie, s’avoue perplexe quant à certaines contradictions entourant le mouvement Zapatiste. «J’ai vu des
membres cagoulés vendre du CocaCola comme activité de financement. C’est beau, les principes», Partout autour du monde, le mouvement Zapatiste a bénéficié d’un appui inconditionnel, notamment de la part de la gauche. À une époque où l’on considère la révolution armée comme une méthode de revendication désuète, le mouvement a fait revivre Emiliano Zapata, José Marti, Simon Bolivar, Bernardo O’Higgins. Un phénomène considéré comme exotique qu’est, au XXIe siècle, une bande de cagoulés agitant des carabines rouillées dans la jungle mexicaine. De retour à Montréal, je revois amis et parents. Ce sera devant des visages jaloux que j’exhiberai l’ensemble des pacotilles achetées. Briquets, pamphlets et t-shirts zapatistes me donneront un peu plus la conviction d’être un grand révolutionnaire moi-même. x
11 janvier 2005 x Le Délit
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nouvellesdocumentaire
Le mouvement Falun Gong Le Falun Gong: une des plus grandes sectes du monde déclarée «agente du mal». Des milliers d’adeptes sont persécutés à travers le monde. Qu’en est-il vraiment? Eleonore Fournier
L
e mouvement Falun Gong, aussi connu sous le nom de Falun Dafa, est une secte basée sur la méditation et le développement du corps et de l’esprit. Elle a été déclarée illégale par le gouvernement chinois en 1999. Selon les représentants du mouvement, elle compte cent millions d’adeptes à travers le monde, dont la plupart en Chine, malgré la persécution subie. D’après le mouvement, près de mille deux cents membres sont morts après avoir été torturés par des membres de la police chinoise. Beaucoup se sont donc retrouvés au Canada, où ils espèrent pouvoir pratiquer leur religion en toute impunité. Pourtant, ceci a créé plusieurs problèmes, car certains se plaignent d’avoir été harcelés par des membres de mouvements anti-Falun Gong et par des diplomates chinois ayant ordre d’abolir la secte. De plus, des militants anti-Falun Gong déclarent aussi s’être fait menacer par des membres de la secte, et l’accusent d’attitudes qui pourraient blesser la société chinoise et les pratiquants eux-mêmes. Quels sont les principes du Falun Gong? Le Falun Gong est basé sur trois principes: la vérité, la compassion et la tolérance. La religion est centrée sur la culture du Falun, situé dans le bas de l’abdomen, et qui serait une version miniature de l’univers. Le croyant essaye d’atteindre un niveau de piété et d’oubli de soi qui lui donnera les faveurs des dieux. D’après le chef spirituel des pratiquants, Li Hongzi, une seule personne a le niveau de développement des dieux, lui-même. Il est présentement en exil aux États-Unis, d’où il dirige l’organisation. Li Hongzi demande à ses adeptes de rejeter la modernité et le capitalisme. Il déclare que l’appel à la médecine est un signe d’impiété, et les croyants méditent plutôt que de prendre des médicaments. Pourquoi la secte est-elle rejetée par le gouvernement chinois? D’après le docteur Sam Noumoff, professeur de sciences politiques spécialisé sur la Chine, il y a plusieurs raisons valables pour condamner la pratique du Falun Gong. En premier lieu, selon le gouvernement, Li Hongzi pose un danger à la santé publique et donc à la société. En effet, certains membres du Falun Gong seraient morts suite à des maladies curables non par la méditation mais par la médecine
moderne. De plus, Li Hongzi soutient que la ségrégation raciale existe au paradis. «Les races mixtes ont perdu leurs racines (…) Elles n’apparaissent nulle part, et aucun endroit ne les accepterait». Li Hongzi fait ainsi preuve d’intolérance face à ceux qui ont plusieurs ethnicités, chose de plus en plus commune aujourd’hui. De plus, il propose qu’il puisse exister une hiérarchie dans les races, chose qui, d’après le docteur Noumoff, serait «une faible reproduction d’une doctrine d’apartheid rejetée qui a justifié la ségrégation raciale en Afrique du Sud en citant les écrits bibliques». Le gouvernement chinois a aussi d’autres raisons pour son refus d’accepter la secte. Selon un rapport publié en 2002 par Human Rights Watch, «les autorités chinoises ont considéré que les groupes les plus menaçants politiquement combinent des éléments de leadership charismatique, un haut niveau d’organisation et une popularité pour les masses». Falun Gong, bien qu’elle prétende être une organisation apolitique, propose en fait l’alternative à l’idéologie du Parti communiste chinois et au système économique mondial. Le gouvernement chinois se sent donc menacé car l’organisation, par sa taille, représente une opposition importante. Quand, en 1999, l’ex-président chinois Jiang Zemin a qualifié le Falun Gong de «secte du mal», il avait donc principalement deux raisons en tête. Premièrement, le rejet de la modernisation menace la stabilité sociale de la Chine et outrepasse le mouvement chinois vers le développement économique. Deuxièmement, le mouvement cause une opposition politique importante qui affaiblit le pouvoir hégémonique du Parti communiste chinois. Répercussions au Canada Depuis 1999, les membres du Falun Gong en Chine ont été envoyés dans des camps de rééducation pendant des périodes allant jusqu’à trois ans. Certains ont été emprisonnés et torturés, et ont été persécutés non seulement par les autorités mais par des civils, incités par la police chinoise. Vivant dans la peur et avec leurs libertés sévèrement restreintes, beaucoup ont choisi d’immigrer, notamment au Canada où la communauté chinoise est assez importante. Pourtant, même ici, ils n’ont pas pu échapper à la persécution. En 2002, M. Xueliang Wang, réceptionniste à l’ambassade chinoise à Ottawa, a été
En Chine, la méditation carcérale gagne en popularité avec la bénédiction du gouvernement.
entraîné dans une pièce et battu par des membres de l’ambassade, alors qu’il essayait de prendre des photos de matériel de propagande antiFalun Gong dans le but de le dénoncer. Plusieurs autres pratiquants se sont plaints d’avoir été brutalisés, et beaucoup ont reçu des lettres du consulat les incitant à renoncer à leur religion. Les Presses chinoises, journal montréalais, a sorti une série d’articles contre le Falun Gong, qui incitaient à l’intolérance. De plus, jusqu’à récemment, le consulat chinois à Toronto exposait en permanence une série de posters mettant en garde les nouveaux immigrés contre les dangers du Falun Gong. D’un autre côté, il se peut que des membres d’organisations antiFalun Gong aient été persécutés par la secte elle-même au Canada, mais il est difficile d’avoir accès à cette information. D’après le docteur
Noumoff: «Je ne peux pas donner de détails sur le harcèlement par le Falun Gong car ceux qui ont partagé cette information sont intimidés par le processus». Quelles sont les réactions de la communauté internationale? Malgré tout, le Falun Gong a reçu le soutien quasi-unanime de la communauté internationale. Human Rights Watch a publié un long rapport dénoncant les violations des droits humains du gouvernement chinois, et a été appuyé par Amnestie Internationale et par la Commission des Nations Unies pour les Droits Humains. De plus, en 2000 et en 2001, Li Hongzi a été sélectionné pour le Prix Nobel de la Paix, dû à sa promotion de la vérité, la compassion et la tolérance. Au Canada, plusieurs députés se sont
déclarés en faveur de la cause du Falun Gong, et les diplomates chinois ont été ouvertement récriminés par le Parlement canadien. Malgré les problèmes qui peuvent être causés par la pratique du Falun Gong, la persécution de cette secte viole les standards internationaux des droits humains dont la liberté d’assemblée, d’association et d’expression. Le Canada devrait continuer à soutenir le désir du mouvement à être reconnu par le gouvernement chinois et par ses diplomates à travers le monde. Il est vrai que si des individus ont des attitudes menaçant la santé et la sécurité de leur entourage, ils devraient être punis. Pourtant, ceci devrait être effectué cas par cas. Personne ne devrait subir de discrimination due à son appartenance à un groupe ou une croyance. x
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Le Délit x 11 janvier 2005
culturethéâtre
Règle de trois
L’auteur de Melbourne, Daniel Keene, est joué pour la première fois au Québec, avec trois courtes pièces réunies sous le nom de Roche, papier, ciseaux… Flora Lê
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idèle à sa vocation de renouveler l’art théâtral et de créer des œuvres inédites, l’Espace libre inaugure sa saison 2005 avec la mise en scène de trois textes de Daniel Keene, intitulés Roche, papier, ciseaux… Si l’auteur connaît déjà beaucoup de succès chez notre cousine France, il est totalement méconnu de ce côté de l’Atlantique. Avec des textes singuliers mais plein d’humanité, on comprend que la prose de Keene ait touché tout particulièrement les deux maîtres d’œuvre du Théâtre Complice, Denis Lavalou et MarieJosée Gauthier. La pièce est composée de trois fragments, de trois récits et de trois vies différentes, mais qui s’harmonisent autour d’un même sentiment, celui de se souvenir. Car c’est dans ce passé révolu que se trouve le remède à l’ennui, à l’absurde du martèlement des jours qui passent, et se ressemblent trop. Le premier tableau est le récit d’un homme itinérant pour qui le souvenir d’un nouveau-né trouvé gisant dans les ordures lui imprégnera le sens de la vie, et celui de la mort. C’est à bout de forces qu’il se traîne ici et là, ramassant des bouts de cigarettes dont il extrait le précieux tabac qu’il enfouit dans ses poches. Asservi à l’automatisme des gestes journaliers, son esprit s’échappe dans le monde des souvenirs et son récit mémorable nous apparaît tout ce qui lui reste d’humanité. Daniel Gadouas est excellent dans ce monologue où la force de la mémoire compense la faiblesse du corps. Il y a ensuite cet homme au chômage, qui retourne incessamment à la carrière abandonnée pour y retrouver le son des pics et des pioches sur la roche. Parmi les petites roches qui tapissent la scène, Denis Gravereaux se dégage un nid familial où se tiendra la saga des siens, combattant le quotidien désolant de la pauvreté et du chômage. Car il ne sait que ça, lui, tailler la roche. Mais la carrière a fermé ses portes et il ne reste à ce père de famille que le sentiment d’être «fini». Avec son copain, il ne leur reste qu’à boire le vendredi soir à leurs rêves déçus et leurs vies déchues. Et enfin il y a cette vieille femme, celle-là à la mémoire chancelante, qui épluche des légumes, et nous raconte comment elle a amassé quantité d’objets que les gens lui confiaient dans une gare de train. Ils partaient par milliers dans des trains
dont on ne savait où ils allaient, et ne pouvaient rien apporter avec eux. Ils lui confiaient donc les petits bagages qu’ils avaient soigneusement amenés avec eux, elle leur demandait en retour s’ils comptaient revenir, mais ils ne sont jamais revenus. Dans ce dernier monologue bouleversant interprété doucement par Denis Lavalou, on découvre enfin ce que la mémoire offre d’humanité à ces personnages dépouillés. Ces souvenirs ne sont pas de ceux auxquels on s’attache égoïstement pour revivre des sensations, mais plutôt ceux qui rappelle ce qu’on oubli trop facilement, qui sont tels des gardiens de la conscience et qui raccrochent, au dernier moment, à la vie. Cette pièce est désarmante par sa simplicité, et l’émotion n’en est que plus vibrante, dénudée d’artifices.Voilà une adaptation heureuse de l’auteur australien, qui fait honneur à un texte par la mise en scène éclairée de Gauthier et Lavalou. x Roche, papier, ciseaux… se joue jusqu’au 22 janvier à l’Espace libre, 1945, rue Fullum (métro Frontenac). Billetterie (514) 521-4191. Pour plus d’information, www.espacelibre.qc.ca
Denis Lavalou interprète merveilleusement une vieille femme qui se bat contre l’oubli.
11 janvier 2005 x Le Délit
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culturethéâtre
Un acteur lyrique aux couleurs des tableaux de Bacon
Deux hommes à la tâche pour peindre la foudre créative de Francis Bacon. Dwight Pommerleau
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en arrière fond, ce qui aurait offert une issue facile pour obtenir une virtuosité esthétique. Au contraire, le décor demeure sobre et laisse l’accent sur le texte et la performance de l’acteur. Bien que la mise en scène réussisse à exploiter les multiples talents de Lavant (d’une agilité et d’une souplesse dignes des troupes de cirque), la présence d’un second acteur sur la scène et ses mouvements demeurent parfois discutables. S’il est difficile de remplir une scène entière pendant plus de quatre-vingt-dix minutes, le symbolisme des actions de ce rôle de figurant ne peut faire autrement que de soulever l’incompréhension du spectateur. Un sens précis est nécessairement imputable à une partie des attitudes du personnage, mais il n’en demeure pas moins que plusieurs gestuelles sont sujettes à questionnement. Un one man show à deux ne peut faire autrement que de rendre dubitatif. La musique et les effets sonores offrent également un contraste au personnage qui s’en sert comme tremplin pour exposer ses
notions sur son art et son rapport avec l’homme et transiter entre ses divers déplacements. Une fin métathéâtrale vient couronner le cycle des provocations et le cynisme de Bacon qui pose le doute dans l’esprit du spectateur: s’adresse-t-il à moi? La pièce est-elle terminée? Bacon/Lavant est-il conscient de la présence de la foule, s’en servant comme d’un confident ou est-il plongé dans ses propres réflexions? Performance sans bavure, Lavant s’époumone et multiplie les
prouesses corporelles sans ne jamais manquer ni de souffle ni de voix pour redonner vie au peintre regretté. L’esquisse se complète dans un agencement tumultueux, chargé de l’énergie extraite des tableaux de Francis Bacon et redessinée sous les traits de Denis Lavant. x
e peintre lui-même se seraitil reconnu? Aurait-il applaudit la pièce, la performance, la mise en scène? Se serait-il adulé? Ou se serait-il désolé comme on le fait si souvent à la suite d’une introspection? Difficile d’évaluer le sentiment qu’un individu peut expérimenter lorsqu’il se voit transcrit sur une scène? Dans cette parfaite mise en scène signée Lucas Hemleb, Denis Lavant entre dans la peau du célèbre peintre Francis Bacon. Dès l’entrée, le discours acerbe dépeint la violence de ses tableaux, pendant que les emportements constants de Lavant illustrent le fondement de la philosophie créatrice de Bacon: l’instinct. Déroulée sans intermission, la pièce transporte le spectateur dans le tourbillon créatif du peintre controversé, Lavant, livrant les théories artistiques de Bacon et les justifications du traitement de la réalité dans son oeuvre. Basé sur de nombreux entretiens, des témoignages et des écrits, le texte de Pierre Charras dresse le portrait d’un homme tourmenté par la
misère humaine, affecté par un conflit générationnel avec le père et dégoûté par les limites de la créativité et de la communication. Dans cette symphonie ludique, caractéristique des délires géniaux, c’est le brio acrobatique et nuancé du jeu de Lavant qui retient avant tout l’attention. Le texte, parfois lourd étant donné l’absence de narratif, demeure difficile à saisir à certains moments, et débité en monologue, une connaissance préalable de l’œuvre générale de Bacon permettrait une mise en contexte essentielle à l’assimilation du discours de Bacon/Lavant. Outre la performance éclatante de l’acteur, la mise en scène et les jeux d’éclairage méritent à eux seuls le déplacement. Une multitude de tableaux (non pas ceux du peintre, mais les scènes comme telles) se succèdent à un rythme déchaîné, alors que les changements de décor s’enchevêtrent aussi rapidement que les réflexions du personnage de Francis Bacon. Tout à l’honneur de la direction des décors, aucune des toiles de Bacon ne sont présentées
culturecampus
Du théâtre au dépotoir (et non pas du dépotoir au théâtre)
Figure sera présenté jusqu’au 15 janvier à l’Usine C, 1345, av. Lalonde. Réservation (514) 521-4493. www. usine-c.com
«Je crois que nos tableaux eux-mêmes savent des choses que nous ignorons.» Francis Bacon
Les frogs se donnent rendez-vous au dépotoir par le biais des Contes Orduriers: une nouveauté écrite par Dominique Henri et présenté par le Théâtre de la Grenouille. Agnès Beaudry
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epuis quinze ans notre chère université, éprise de sa langue saxonne, nous offre, malgré ses tendances pour les angles droits, un théâtre riche en rondeurs afin de satisfaire la faim de sa minorité d’amphibiens. Et justement, voici le temps des mutations, les têtards émergent, le Théâtre de la Grenouille nous présente sa pièce annuelle ! Cette année, point de classique, ou de déjà-vu se disant d’avantgarde, non ! Place à la nouveauté: Dominique Henri, étudiante du département de Littérature française de McGill, nous désigne juges, public choyé que nous sommes, de sa toute première pièce. Les Contes Orduriers prennent sur leurs épaules la tâche de perpétuer l’amour de la langue française et de la création que porte depuis sa création la troupe de la Grenouille. De plus, ils se donnent une seconde mission : celle de sensibiliser le publique à la crise environnementale éminente. Sans plus digresser, je me tasse et vous libère la serrure afin que vous puissiez juger de vos propres yeux (par un panorama rétréci je l’avoue) si la présente vaux la peine
de vous déplacer. Bref, voici un synopsis emprunté : « Jour de Noël de l’an de grâce 2005. Le matin se lève, glorieux, sur le quotidien des habitants du dépotoir. Comme à l’accoutumée, l’odeur des vidanges fraîches qui tombent du camion les tire de leur profond sommeil. Dès lors, chacun s’occupe à sa manière. La chasseuse de vautours et son fidèle acolyte sont à l’affût de proies nouvelles. Mémé accomplit sa promenade journalière dans son panier d’épicerie. Sa fille repasse sans relâche les draps sur lesquels elle dessine ses rêves. Le vieux mangeux de vidanges sort de sa pile de pneus pour satisfaire son estomac capricieux. Madame Lustucru conte ses histoires de pétrole et de laitue, éternellement suspendue dans son hamac. Or, au milieu du jour, la venue subite d’un étranger vient troubler la routine ordurière de la petite communauté du dépotoir. Que penser de ce porteur de nouvelles à l’odeur chlorée? Que faire à la vue des troubles qu’il provoque chez celle dont la folie est porteuse de vérité? Faudra-t-il se taire, faudra-t-il
parler, faudra-t-il rester assis ou se lever, rire ou pleurer face à son récit d’une mort annoncée? » Les Contes Orduriers sont le produit du travail de treize comédiens semi-professionnels et de trois musiciens, tous sous la direction de Dominique Henri, qui travaillent depuis septembre pour nous présenter ce chef d’œuvre (j’assume)
que je nommerais incongru et unique si je n’avais aucun scrupule à vous borner, mais qu’à défaut d’y avoir assisté, je qualifierai en toute bonne conscience de nouveau. Donc afin de pouvoir ensemble utiliser d’autres adjectifs, précipitonsnous ensemble à la salle du Players’ Theater (3480, rue McTavish, au 3e étage) du 12 au 15 janvier. Je vous
donne rendez-vous à huit heure… un peu avant pour avoir de bonnes places car je prédis qu’il y aura foule, avec 6$ en poche si votre carte étudiante si trouve aussi, et avec 8$ autrement. x Pour les réservations, appelez au (514) 398-6813. Pour plus d’information: theatredelagrenouille@hotmail.com.
10 Le Délit x 11 janvier 2005 culturecinéma
Un sourire contagieux
Le film espagnol La Mer intérieure raconte les derniers mois d’un tétraplégique. David Pufahl
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’euthanasie est et sera toujours un sujet délicat dans notre société. Il fut traité dans Les Invasions barbares de Denys Arcand et aussi dans un documentaire présenté tout récemment à Télé-Québec intitulé Manon. Le réalisateur espagnol Alejandro Amenábar propose son point de vue sur la question ou plutôt celui de Ramón Sampedro, le personnage principal de son dernier film intitulé La Mer intérieure, qui est un candidat potentiel pour la prochaine cérémonie des Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger et possiblement dans d’autres catégories. Inspiré d’une histoire vraie, ce film se concentre sur les derniers mois de la vie de Ramón, un tétraplégique cloué sur son lit depuis presque trente ans. Il pourrait se déplacer en chaise roulante, mais il s’y refuse car il croit que cela affecterait la dignité qui lui reste. Il vit avec sa famille composée de son frère, la femme de son frère, leur enfant adolescent et son père. Il veut se suicider pour quitter sa vie qui est, selon lui, sans aucune dignité et pour ce faire, il a besoin de l’aide de tierces personnes ce qui impliquerait une condamnation criminelle pour ses complices. Il est assisté par des membres d’une association qui lui
réfèrent une avocate appelée Julia (Belén Rueda). Elle est atteinte d’une maladie dégénérative tel qu’exigé par Ramon afin qu’elle puisse se mettre dans sa peau plus facilement. Ensemble, ils vont tenter de modifier la loi concernant l’euthanasie en Espagne. Le déroulement des événements fait un peu penser à n’importe quel mauvais téléfilm avec un personnage atteint d’une maladie incurable au début du film et qui, afin d’affronter et de vaincre sa maladie, en vient à se redécouvrir en tant que personne. Le réalisateur américain Todd Haynes avait réussi à traiter ce sujet de manière originale dans Safe, avec Julianne Moore. Dans le cas qui nous intéresse, Ramón a déjà fait cette introspection et est en paix avec luimême. Ce sont sa famille et ses amis qui ne comprennent pas sa décision de mourir à tout prix. Certains la respectent et d’autres ne veulent rien savoir. Cette variante apporte un contrepoids rafraîchissant à ce thème. Le trait de caractère qui déteint le plus chez le personnage principal est son éternel sourire. En effet, peu importe la situation, il sourit presque toujours. Il explique que quand on vit pendant une longue période de temps dans sa condition en étant totalement dépendant des autres,
on apprend à pleurer en souriant. D’ailleurs, j’ai réagi à ce film de la même façon. Bien qu’il traite d’un sujet grave et sérieux, certaines scènes donnent le ton optimiste que recherchait probablement le réalisateur. Javier Bardem domine la distribution avec une performance magnifique. Vu qu’il ne peut faire transparaître ses émotions que par son visage, il faut que l’acteur soit extrêmement doué pour paraître crédible. Dans son cas, l’équipe en charge du maquillage est à signaler. En effet, étant donné que Bardem a trente-cinq ans et que Ramón est dans la mi-cinquantaine, les maquilleurs ont dû le vieillir de vingt ans. Les autres acteurs livrent une performance dans le ton voulu, selon leurs personnages. Est-ce qu’on devrait permettre à une personne saine d’esprit avec une maladie impliquant la perte de facultés de mettre fin à ses souffrances avec l’aide d’autres personnes? Pour ma part, je crois qu’on ne peut répondre à cette question tant qu’on n’a pas vécu une situation de ce genre. La Mer intérieure nous offre des éléments de réponse mais surtout une perspective très personnelle de la question. x
Ramón (Javier Bardem) sourit presque toujours dans La Mer intérieure.
culturerétrospective
Mon pays c’est l’hiver
La Cinémathèque québécoise présente la rétrospective de Francis Leclerc cette semaine, du 12 au 19 janvier. Flora Lê
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algré qu’il n’aborde que le début de la trentaine, Francis Leclerc se voit déjà considéré comme parmi les meilleurs cinéastes de chez nous. Fils de notre grand chanteur national, Francis Leclerc a d’abord consacré ses images à la musique en réalisant une trentaine de vidéoclips pour, notamment, Kevin Parent, Marc Déry, Dan Bigras et Michel Rivard. Cette sensibilité à la musique l’a ensuite mené à développer un cinéma d’une grande force émotive et visuelle. C’est en 2001 que le cinéaste lance son premier long métrage Une jeune fille à la fenêtre. On y découvre Marthe, une jeune fille de la campagne atteinte d’une malformation cardiaque, qui part pour la ville de Québec afin d’y poursuivre des études de piano et de profiter de la vie, tandis qu’il en est encore temps. Il s’agit d’un film intimiste et d’atmosphères, qui révèle le talent de conteur de Francis Leclerc. Il nous ouvre l’univers de Marthe et de son époque avec sensibilité et un sens esthétique certain. Son second long métrage est tout récent,
Mémoires affectives, où cette fois il s’agit d’un homme souffrant d’amnésie à la suite d’un accident, et qui tente de reprendre le cours de sa vie. Mais les bribes de souvenirs qui lui reviennent ne correspondent pas à ce que lui racontent ses proches. Plus encore qu’un hommage à nos origines ancestrales, Mémoires affectives nous rappelle par ses paysages d’hiver la grande époque du cinéma québécois, celle des Brault, Perrault et Jutra. Époque où les cinéastes osaient braver le froid pour immortaliser les splendeurs hivernales. Car élevé à l’île d’Orléans, avec les Laurentides et le fleuve en guise de toile de fond, Francis Leclerc est surnommé le cinéaste de l’hiver. Un des rares à honorer, à illustrer cette saison pourtant si présente dans l’imaginaire québécois, et si absente de sa cinématographie. «Je sais que c’est beau, l’hiver, dit Leclerc. Je me force à vaincre le froid avec toute une équipe pour le saisir. Je ne suis pas un gars de Montréal, rappelle-t-il. Je ne vois pas pourquoi je ne filmerais pas la campagne.» Mais le travail documentaire de Francis
Mémoires affectives est le deuxième long métrage du jeune cinéaste Francis Leclerc.
Leclerc doit aussi être exploré. Tokyo Maigo, par exemple, est un petit document expérimental qui nous fait découvrir Tokyo sous un autre angle. Le cinéaste a capté des images impressionnistes de la métropole nipponne, en dominante nocturne, transformée en ville futuriste. Ce dernier documentaire est d’ailleurs tourné parallèlement aux Sept branches de la rivière Ota, adaptation de l’oeuvre théâtrale homonyme de Robert Lepage, qui se voulait une fresque de sept
heures explorant les séquelles psychologiques de la bombe atomique lâchée sur Hiroshima en août 1945. x La Cinémathèque québécoise présentera la rétrospective de Francis Leclerc du 12 au 19 janvier. La Cinémathèque est située au 355, boul. de Maisonneuve Est (métro Berri-Uqam). Pour plus d’information, (514) 842-9768 ou visitez le www.cinematheque.qc.ca
11 janvier 2005 x Le Délit
Yves Desrosiers Volodia (Audiogram)
Yves Desrosiers Bien que pas très connu,Yves Desrosiers est sans contredit l’une des grandes figures de la scène musicale québécoise. Guitariste exceptionnel, il a collaboré à plusieurs projets importants (Jean Leloup, Rufus Wainwright, Sarah McLachlan, Mara Tremblay, Bïa, Pierre Lapointe, etc.). Réalisateur hors pair, il a aussi pris en charge les projets de Richard Desjardins (Kanasuta), Frederic G. Comeau (Hungry Ghosts), Jeszcze Raz et Lhasa (La Llorona). À quoi bon toutes ces informations? Le fait est qu’après toutes ces années de travail dans l’ombre, il s’est lancé en 2002 dans son premier et seul projet solo: Volodia. Non, ce n’est pas du trop frais – paru depuis deux ans déjà. Qu’importe, il n’est jamais assez tôt pour partager les réussites. Volodia Volodia est le surnom du poète et chanteur russe Vladimir Vysotsky. Artiste engagé, sa carrière a été étouffée par la censure du gouvernement soviétique. Ainsi, du début des années 60 jusqu’à sa mort en 1980, se sont succédés performances et enregistrements illicites pour faire de lui une des icônes de son peuple de son vivant comme par la suite. Son œuvre est lourde de la dérive de sa vie et chargée des éclats de la contestation. Yves Desrosiers: Volodia La particularité marquante des réalisations d’Yves Desrosiers est la suivante: un fragile amalgame de puissance et d’élégance dans une musique touchante bien qu’accessible. À l’instar de beaucoup, il parvient à superposer les couches de sons de façon dense sans pour autant amoindrir l’authenticité du résultat: la musique est donc à la fois complexe et envoûtante; elle coule comme des flots lourds de leur beauté. Les chansons de Vysotsky se prêtent à merveille à son travail: les textes – traduits en français et ensuite adaptés par Bïa Krieger – sont riches, la musique agrippe par les tripes et la voix d’Yves Desrosiers hypnotise. L’album a la force et la majesté d’une tempête de neige glaciale, la chaleur troublante et déstabilisante de l’alcool et la témérité de l’affront (inhérente aux chansons de Vysotsky et peut-être aussi au plongeon en chute libre d’un premier projet solo). Décidemment, il n’est jamais assez tôt pour partager les réussites. x Borhane Blili-Hamelin
bédé
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Pierre Bondu Quelqu’un quelque part (Village Vert)
Également inspiré de la musique de films de Burt Bacharach et d’Ennio Morricone que des mouvements symphoniques d’Hector Berlioz et de la chanson de Gainsbourg, Pierre Bondu nous surprend par ses multiples talents. Auteur, compositeur, interprète, multi-instrumentiste et arrangeur, Bondu fait preuve, avec ce deuxième album solo, d’une grande finesse musicale ainsi que d’une sensibilité poétique parfaitement complémentaire. Quelqu’un quelque part regroupe donc neuf chansons introduites par une pièce instrumentale dans laquelle harpe, orgue et orchestre à cordes aident à créer une réelle atmosphère cinématographique. Cette atmosphère est maintenue tout au long de l’album grâce à l’inclusion de quelques interludes orchestraux similairement évocateurs. L’enchaînement fluide des différents morceaux de l’album en fait une œuvre complète, unifiée et agréable à écouter sans interruption. “Je rêve” est, sans doute, l’une des meilleures chansons de l’album. Avec sa voix douce et rauque, Bondu y aborde les thèmes universels de l’évasion et de l’angoisse du temps qui passe: «… je rêve de ne plus voir se tasser l’envie avec les années… ». De même, la chanson «À côté de moi» est marquée par des mélodies irrésistibles chantées en tandem avec Armelle Pioline et accompagnées par un somptueux arrangement de cordes, cuivres, clavecin et vibraphone. Pierre Bondu est un auteur original, un musicien accompli et, somme toute, un artiste exemplaire. La chanson française contemporaine est grandement enrichie par son travail. x Pascal Sheftesty
12 Le Délit x 11 janvier 2005 cultureartsvisuels
Le Bleu et le Noir Beauté: pure et simple. Ynès Wu
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ême trois tasses de café m’ont été inutiles: à peine quinze minutes passées à lire mes notes de cours, que je voyais déjà les mots me sortir par les oreilles. Je ne comprends plus rien et je gèle devant mes travaux alors qu’autour de moi tout s’enlise dans l’absurdité. Je me sens soudainement si déboussolée que les études semblent n’être qu’une série de tortures amorphes et insensées. Donc au lieu de m’acharner à étudier, je regarde les heures passées alors que mes doigts mijotent des «conversations» sur MSN et que j’essaye de conquérir le monde dans le fin fond de l’univers digital. La dernière chose que je m’attendais à trouver sur Internet, c’était des œuvres d’art spectaculaires et pourtant, par chance, j’ai fait la découverte des photos d’une artiste lithuanienne, Natalie Sautenbajeva qui a pour alias Blueblack. Je ne me souviens pas d’être restée figée devant un écran d’ordinateur aussi longtemps comme je l’ai fait. Je fus alors totalement fascinée par toutes les photos de Blueblack qui captent mystérieusement l’essence de la beauté. Il s’agit du concept de beauté dans toute sa complexité: la beauté sous sa forme paisible et féerique,
Lacuna
Blueblack. Comment définissonsnous l’art? Serait-ce seulement un privilège ou plutôt une appréciation innée? Le talent d’une personne cherche-t-il à se développer davantage lorsque les conditions sont difficiles et des contraintes sont imposées? Face à ces questions, un vers d’un film d’Eliseo Subeila me revint plusieurs fois à l’esprit: «La rébellion est une rose que nos yeux pulvérisent». Quelque chose me disait qu’au fond, l’art serait une rébellion de l’être humain fondamentalement créatif. En fait, on peut tous se sentir perdu, triste et vulnérable mais ce qui distingue Natalie Sautenbajeva, c’est sans doute sa capacité de prendre ses conflits internes, de s’y confronter et d’en distiller quelque chose de frappant, de significatif et surtout quelque chose de beau. x
The Watch
la beauté pure et vulnérable mais aussi la beauté qui fend le cœur en deux. Ses photos sont une constante reconstruction de ses tourments
Wait for my dawn
intérieurs et l’interprétation diverse de ses émotions complexes. L’élément qui réunit toutes les œuvres de Sautenbajeva est un ton bleu très distinct; limpide et froid, aussi profond que léger. Natalie Sautenbajeva habite la Lithuanie. Jeune d’à peine vingt ans, elle fait ses études à l’International Business School. Bien qu’elle déteste ses études, elle explique qu’après les changements au sein du système politique en 1991, la situation économique de la Lithuanie atteignit un seuil si bas que les gens ne se préoccupaient plus des arts. «Tout le monde me disait que l’art ne génère aucun gain, et que seules les personnes qui ne se préoccupent pas de leur futur s’embarquent dans des études en arts» dit-elle. Pourtant, pendant toute sa vie, elle s’est toujours penchée sur les expressions artistiques et a toujours eu le désir de partager sa notion de beauté et de représenter ses pensées à travers le dessin et la poésie. On arrive à peine à croire qu’il n’y a que six mois que Blueblack commença à s’intéresser à la photographie. La plupart de ses photos sont prises d’elle-même, non parce qu’elle est «narcissique» dit-elle, mais simplement parce que «son visage et son corps ne sont que des outils qui l’aident à exprimer clairement ses idées artistiques. Il est d’ailleurs beaucoup plus facile de faire quelque chose avec soi». Il faut dire que non seulement elle n’a pas de studio mais elle crée la majorité de ses œuvres dans sa petite chambre
grâce à un seul appareil numérique et un vieil ordinateur. Je me suis posée énormément de questions après ma découverte de
You’ll smile to me anyhow
Vous pouvez voir une plus grande variété des œuvres de Natalie Sautenbajeva à l’adresse http:// blueblack.deviantart.com. Elle vend également ses impressions à http:// blueblack.deviantart.com/store. Jetez-y un coup d’oeil, vous ne le regretterez pas!