Le seul journal francophone de l’université McGill.
Volume 94, numéro 14
Le mardi 25 janvier 2005
www.delitfrancais.com
Pages collées depuis 1977.
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Le Délit x 25 janvier 2005
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25 janvier 2005 x Le Délit
éditorial
Le Délit
La vengeance de Poison Ivy
Le journal francophone de l’université McGill
Jeunes gens branchés à vos fioles de venin pour une petite séance de «venification».
3480, McTavish, bur. B-24 Montréal (Québec) H3A 1X9
Laurence Bich-Carrière
Rédaction: (514) 398-6784 Publicité: (514) 398-6790 Télécopieur: (514) 398-8318
Y
’avait le tatouage, pigments encrés sous la peau de façon à y laisser une trace, signe ou dessin permanent. Y’avait le piercing – pratique décorative consistant à percer une partie du corps, du lobe de l’oreille au cartilage de l’hélice, de l’aile du nez au nombril en passant par la langue, les sourcils, les mamelons et les organes génitaux, pour y introduire un anneau ou un bijou. Y’avait aussi la scarification, cette petite coupure, cette incision superficielle. C’étaient trois pratiques millénaires – on trouve des hommes des glaces tatoués à la cendre et à l’encre végétale dont les cadavres dépassent le cap des 5 300 ans au carbone 14! – traditionnellement associées à des rites de passage et plus récemment à un simple phénomène de mode: «Le corps, c’est la dernière frontière de l’inconnu, le dernier continent inexploré», expliquait – à un autre propos – l’anthropologue Serge Bouchard. N’empêche qu’il a raison si l’on en croit la tendance à la hausse des bod mod: diverses nouvelles techniques d’altération corporelle pour «modernes primitifs» ont tenté de se tailler une place, notamment parce que le tatouage n’était plus réservé aux initiés et le perçage aux marginaux. Il y a eu l’amputation d’une phalange ou, à la Van Gogh, d’une oreille, les brûlures, la «gravure de peau» au laser ou au couteau, les implants étranges – mammaires chez les hommes, par exemple – les petites cornes, les bosses en silicone sur les omoplates. La dernière tendance serait la «venification», à défaut d’un terme meilleur (on dit aussi venomation en anglais). Les quelques cinquante cas répertoriés sont-il l’effet d’un malheureux hasard ou est-ce une réelle tendance? Mais de quoi s’agit-il? Principe fort simple. Vous appliquez un stencil sur votre peau que vous badigeonnez allègrement d’un irritant, toxine ou poison, carrément, qui la fera gonfler et boursoufler. Appuyez bien fort, il paraît que ça lève. Les motifs sont difficiles à réaliser, paraît-il encore, le plus facile semble encore l’anneau, si l’on en juge par les résultats constatés dans les urgences et les tattoo parlours. Pour l’anneau, vous introduisez le venin grâce à une seringue dans le membre que vous voulez marquer, membre que vous aurez préalablement garrotté afin de mini-
rédactrice en chef Valérie Vézina chef de pupitre-nouvelles Philippe G. Lopez chef de pupitre-culture Flora Lê rédacteur-reporteur Eleonore Fournier coordonnateur de la mise en page David Drouin-Lê coordonnateur de la photographie Éric Demers coordonnateur de la correction Julien Vinot chef illustratrice Jany Lemaire collaboration Alexandre de Lorimier Laurence Bich-Carrière Vo Nghi Nguyen Joël Thibert Marika Tremblay Félix Meunier David Pufahl Agnès Beaudry Olivia Lazard Alexandre Vincent Léa Guez Émilie Beauchamp Pierre Megarbane webmestre Bruno Angeles couverture Éric Demers
miser l’échappement du venin dans le sang. Effet immédiat. Les témoignages sont accablants: pour la Saint Sylvestre, dans le nord-est du Manitoba, un groupe de jeunes (désœuvrés, il va sans dire) a voulu se doter d’un sigle distinctif, celui de l’étoile la plus meurtrière qui soit, celle de la veuve noire. En effet, il existe des rumeurs sur l’effet que la piqûre de la veuve noire marque à jamais la victime en forme d’étoile. «C’est faux», affirme l’infirmière Thalie Nycks, avant de mitiger son propos: puisque le venin se déplace dans le sang, il est possible que le réseau de veines touché ait plusieurs branches, qu’on pourrait apparenter à
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Green Go!
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Le retour de Mohammed
une étoile. Elle se désole de cette nouvelle tendance, plus dangereuse que véritablement esthétique. Résultat de la séance de marquage manitobaine: un mort, la recrue, et deux blessés, «l’empoisonneur» et celui qui a voulu écraser l’araignée avec son pied nu après que celle-ci se soit enfuie. Comme altération corporelle, on a vu déjà plus sain. «C’est hot, ça buzze», raconte une jeune victime qui s’est retrouvée dans le coma après une séance de marquage. Mettre sa tête dans le micro-ondes aussi, ça buzze, ducon! x
gérance Pierre Bouillon publicité Boris Shedov photocomposition et publicité Nathalie Fortune le McGill Daily Daniel Cohen Conseil d’administration de la Société de Publication du Daily: Emily Kingsland, Eugene Nicolov, John Jeffrey Wachsmuth, Daniel Cohen, Valérie Vézina, Joshua Ginsberg
L’usage du masculin dans les pages du Délit français vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
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Lancement de la Navajo et les codes revue Jeu
Les réunions du Délit ont maintenant lieu le lundi. Passez au local B-24 du Shatner, et ce dès 16h.
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Le Délit français est publié par la Société de publications du Daily. Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et illustrations dont les droits avaient été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé par Imprimerie Quebecor, St-Jean-sur-Richelieu, Québec. Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et de la Presse universitaire indépendante du Québec (PUIQ). Imprimé sur du papier recyclé. ISSN 1192-4608
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04 Le Délit x 25 janvier 2005 nouvellesinternational
Face de gringo E Joël Thibert
n théorie, le terme «gringo» ne s’applique qu’aux États-Uniens de souche, c’est-à-dire, ceux qui, aux yeux des latino-américains, ne sont ni asiatiques, ni noirs, ni métissés. Selon les rumeurs, le mot «gringo» viendrait de «green, go», ou «allezvous en, les verts» (le vert ayant été arboré par les soldats américains lors du conflit hispano-américain). Le mot «gringo», à l’origine, n’inclut donc personne d’autre que nos chers voisins du sud. Mais bien entendu, tous ceux qui ont une «cara de gringo» en ont aussi hérité. Moi y compris. En bon Canadien, et par souci de rectitude politique, je préférais au début ne pas reprendre les nombreux Colombiens qui m’interpellaient de la sorte. J’optais plutôt de parler français ostensiblement, et de les impressionner par mon espagnol (qui est loin d’être impeccable, mais nettement supérieur à l’espagnol gringo). Mais peu à peu, j’ai commencé à en avoir plein mon casse, comme qui dirait. Surtout peu après le 2 novembre, je ne supportais plus qu’on me «traite» de gringo, et j’ai commencé à reprendre les gens dans la rue, dans l’autobus, au supermarché, chez le coiffeur. «No soy gringo, soy canadiense», ai-je l’habitude de leur dire, d’un ton sec. (Et vlan, prenez ça en pleine gueule, bande d’ignorants. Il n’y a pas que des gringos, à l’extérieur de la Colombie.) Au début, je trouvais plutôt amusant que personne ne fasse la différence. Puis, peu à peu, je me suis rendu compte du poids que porte ce mot de six lettres. Évidemment, les gens ne l’utilisent plus pour dire «green, go». Mais le mot «gringo» n’en est pas moins
chargé d’émotions contradictoires; on y sent de l’envie, de l’admiration, du dédain, de la colère et du mépris, tout à la fois. Et le comble du comble, c’est que la plupart des gens s’imaginent que tous les «extranjeros» à la peau blanche sont nécessairement gringo. Il faut dire que l’Amérique latine, et la Colombie en particulier, a une relation très ambivalente avec les États-Unis. Ce sont les États-Uniens qui ont financé presque toutes les guerres et les coups d’état sur ce continent, eux qui ont établi les républiques bananières, eux aussi qui consomment presque toute la drogue qui est produite ici et qui financent donc indirectement les guerres des narcotraffiquants. D’autre part, presque tous les Colombiens ont de la famille à Miami ou à New York, et des centaines de milliers d’entre eux remplissent des demandes de visa chaque année, pour «aller là-bas», comme ils disent. Ici, le rêve américain persiste, malgré les républicains, malgré le taux de chômage chez les immigrants, malgré les emplois au noir mal payés, malgré les blocs appartements miteux du New Jersey ou du Queens, et toutes les autres merdes qui les attendent. Même malgré Georges Walker Bush. Je sais bien que dans le fond nous ne sommes pas si différents, nous et les gringos. Nos compagnies pétrolières aussi déplacent impudemment des communautés entières d’autochtones et déversent leurs déchets dans les rivières de l’Amazonie. Les Canadiens aussi supportent les narcos en consommant la coke colombienne. Nous sommes, en quelque sorte, des impérialistes tirant sur le «politically correct»; nous sommes gentils, po-
lis, mais nous n’en sommes pas moins impérialistes. Même si tout ça est vrai, je ne peux m’empêcher de me dire que je ne mérite pas de me faire appeler gringo. Cependant, je sais que je n’ai d’autre choix que de vivre avec. Ciudad Bolivar est le plus grand bidonville de Bogota, situé au sud de la ville, dans les collines. C’est là que beaucoup des familles de «campesinos» déplacés par la guerre s’installent lorsqu’ils arrivent dans la capitale. Il y a toutes sortes de légendes entourant Ciudad Bolivar; certains disent que beaucoup de «guerilleros» s’y cachent, d’autres que des cellules du FARC (le plus grand groupe de guérilla colombien) s’y basent. J’ai rencontré un cinéaste du Vénézuela qui voulait film-
er là-bas, et je lui ai demandé si je pouvais l’accompagner un jour. Il m’a répondu, bêtement, qu’avec ma face de gringo, je me ferais tué en quelques minutes, car les gens qui se retrouvent à Ciudad Bolivar ont souvent été déplacés par une guerre financée par les Américains et des soldats portant des armes américaines. Pour eux, ça ne fait aucune différence si je porte ou non un drapeau rouge et blanc sur mon pack-sac. Une face de gringo, pour beaucoup de gens ici, c’est une face à fesser dedans. Je peux bien continuer à reprendre les gens dans la rue, mais au fond, ça ne change rien. J’imagine que c’est à notre tour de nous faire chier dessus, voilà tout. x
nouvellesinternational
L’héritage de Zhao Ziyang I Vo Nghi Nguyen
AFP
l y a un peu moins d’une semaine, s’éteignait l’une des importantes figures de la Chine post-Mao. C’est probablement à sa mort que Zhao Ziyang aura fait le plus parler de lui. Depuis quinze ans, il avait disparu de la circulation. La grande majorité des étudiants chinois n’ont qu’une vague idée de ce personnage ainsi que des événements de la place Tiananmen. Plusieurs n’ont tout simplement aucune connaissance du massacre de la place Tiananmen. Après l’incident, les autorités chinoises ont préféré effacer son nom des manuels d’histoire. Cependant, à sa mort, le personnage a ressurgi dans les nouvelles et était au centre d’une controverse. Quel est l’héritage que laissera Zhao? Zhao Ziyang était considéré comme un réformiste qui a poussé à une plus grande libéralisation politique et économique sous Deng Xiaoping. Lorsque Zhao s’est opposé à l’utilisation de la force en Mai 1989 contre les manifestants sur la place Tiananmen, le Parti l’a rapidement limogé. Il avait demandé aux étudiants de quitter la Place rapidement. Depuis cet incident, il vivait en résidence surveillée à Beijing. Les médias internationaux se sont empressés de couvrir le décès de Zhao Ziyang.
Aujourd’hui encore, la plupart des Chinois ignorent le décès de Zhao Ziyang.
La presse de Hong Kong et celle de Taiwan ont encensé Zhao comme un grand héros, martyr de la tyrannie chinoise et ont vivement critiqué le gouvernement chinois pour avoir disgracié le réformiste. De leur côté, sans grande surprise, les réseaux d’état chinois ont réservé à Zhao une très brève mention aux
nouvelles du soir. Les journaux locaux ont seulement consacré quelques lignes à Zhao. Les personnes plus âgées, aussi bien en Chine que dans la diaspora chinoise, qui ont vécu le massacre de proche ou de loin, ont condamné l’attitude du gouvernement chinois. Les étudiants chinois quant à eux semblent totale-
ment indifférents à son décès. La jeunesse chinoise a bien changé depuis quinze ans. De nos jours, très rares sont les étudiants qui seraient prêts à affronter l’autorité centrale pour de plus grandes réformes politiques comme l’ont fait les étudiants en 1989 sur la place Tiananmen. Bien que l’économie chinoise croît rapidement, les réformes politiques se font toujours attendre. Malgré les minces réformes depuis les dernières années, le gouvernement central maintient encore un grand contrôle social et politique sur ses citoyens. La liberté de la presse demeure encore très limitée. Les étudiants ne s’empressent pas de descendre dans les rues pour une bonne raison, leurs conditions matérielles d’existence sont bien meilleures. La jeunesse chinoise est beaucoup plus concernée par ses conditions de vie que par les réformes politiques. Avoir une plus grande liberté d’expression n’est donc certainement pas la plus grande priorité pour les jeunes. Depuis le massacre, la Chine a bien changé. Le chinois moyen vit mieux que celui d’il y a quinze ans. La mort de Zhao nous rappelle que les réformes politiques tardent encore, malgré une forte croissance économique. x
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nouvelleslocales
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Révolution tranquille 101
Pour tous ceux qui dormaient pendant le cours d’histoire. Alexandre de Lorimier a semaine dernière alors que je zappais sur mon téléviseur, mon attention s’est arrêtée sur un documentaire diffusé sur Télé-Québec. Ces temps-ci, quand elle ne passe pas des vieilles séries américaines ou des émissions sur le vin (en pleine grève à la SAQ), la chaîne publique québécoise ne cesse de m’impressionner. Le documentaire intitulé «Une Révolution tranquille – Une histoire courte du Québec» comble une lacune dans mon éducation. Voyez-vous, bien que je sois né à Montréal, je n’y ai jamais vécu avant mes débuts universitaires et je n’ai jamais, non plus, fréquenté d’établissement scolaire québécois. D’ailleurs, mes souvenirs
L
du télédiffuseur public datent du Club des 100 Watts, à l’époque où la chaîne s’appelait encore RadioQuébec. Le premier épisode débute avec la mort de Maurice Duplessis en 1959. Le Québec est alors plongé dans la Grande noirceur. Les religieux catholiques contrôlent non seulement les écoles et les hôpitaux, mais ils exercent aussi leur joug sur le domaine familial et la société en général. L’économie, de son côté, est dominée par des anglophones. La mort de Duplessis n’est pas la raison directe du début de la Révolution tranquille, mais elle a exposé une volonté populaire déterminée au changement. Les années suivantes ont été cruciales dans le développe-
ment du Québec que l’on connaît aujourd’hui. Dès l’arrivée au pouvoir de Jean Lesage et la création du Ministère de l’Éducation en 1961, le processus de laïcisation de l’État est lancé. Premier pas de la Révolution tranquille, l’étatisation de l’éducation permet à tous les enfants un accès gratuit et séculier au système scolaire, quelles que soient leur origine, leur religion ou leur langue maternelle. On voit ici le Québec sortir du gouffre. À l’instar des étudiants français de Mai 68, les Québécois adoptent une voie moderne, où la vie de tous les jours n’est plus dirigée par un dogme religieux. Le deuxième épisode de la série met l’accent sur les transforma-
tions culturelles de la société québécoise. L’Exposition universelle de 1967 ouvre le Québec au monde et lui présente de nouvelles cultures. C’est également à cette époque que se renforce le sentiment nationaliste: le Mouvement SouverainetéAssociation de René Lévesque est créé en 1967. Journaliste célèbre et initiateur de l’ambitieux projet de nationalisation de l’électricité alors qu’il était Ministre des Ressources naturelles, Lévesque gagne en popularité pendant les années 60. Son projet de souveraineté prévoit l’indépendance politique et culturelle du Québec, mais une association économique avec le Canada. Un an plus tard, en rassemblant d’autres partis souverainistes, il
fonde le Parti québécois. La Révolution annonce l’avènement de l’État-Providence au Québec. Nos grands-parents ont déclenché cette fièvre contestataire pour ensuite passer le flambeau à nos parents qui en ont consolidé les acquis pendant les années 70 et 80. Qu’ils soient francophones, anglophones ou issus de l’immigration, la diffusion d’une telle série historique rappelle à tous les Québécois leurs origines et le combat qui a créé la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. x Le troisième épisode de la série de quatre sera diffusé ce soir à 22 heures à l’antenne de Télé-Québec.
nouvellescontroverse
Paul Martin et les voyages à l’étranger Cette Cettesemaine: semaine:Félix Félix Meunier MeunieretetMarika Philippe Tremblay G. Lopezs’affrontent s’affrontent dans le ring. dans le ring.IlIlest est àànoter noterque queles les positions positionsexpriexprimées ne sont mées ne sontpas pas nécessairement nécessairement partagées partagéespar par leur auteur. leur auteur.
Chaque semaine, le Délit choisit un sujet controversé. Au hasard sont tirés le nom des journalistes devant défendre respectivement le pour et le contre.
POUR
D
rapeaux canadiens, affichez fièrement vos couleurs aux quatre coins de la planète. Tsunamis en Asie du Sud-Est, protocole de Kyoto ou activisme au sein de la francophonie: toutes les raisons sont bonnes pour dorer l’image altruiste de notre grand pays. Paul Martin semble vouloir renouer avec la tradition «internationaliste» canadienne. Même si Jean portait à l’occasion le casque bleu, son legs en matière de multilatéralisme est maigre… Or, notre pouvoir militaire limité nous oblige à utiliser les bons conseils ou l’assistance internationale pour nous faire entendre. Rappelons-nous alors que nos sourires empathiques et notre volontarisme nous ont probablement valu une bien meilleure réputation que nos épaves sous-marinières… Et oui, qu’on ne se le cache pas, le sourire est l’arme du pauvre! Donc, en plus de servir notre intérêt national à l’étranger, cette approche nous permet de faire des actions tangibles et constructives. J’ai été agréablement surprise d’apprendre que Martin rencontrait les factions tamoules au Sri Lanka et qu’il entrevoyait une implication dans le processus de paix. L’aide financière, conjuguée au poids diplomatique canadien, semble y être de bon augure. Alors, Paul, tendez le sourire à votre prochain! On se doute aussi que le Premier ministre pose en tenue safari autant pour son image internationale que pour ceux «back home». Les Canadiens aiment se voir gambader sur le globe en prêchant la bonne nouvelle, tatoués de feuilles d’érable. Ainsi, on a critiqué la lenteur dans l’intervention du DART et non sa pertinence. Au Québec, on s’est indigné de la faible contribution financière de Charest. Finalement, après un sondage - non méthodologique, je dois l’avouer - auprès de collègues sri lankais, bangladais et indiens, la subtile tactique pourrait bien récolter quelques votes auprès des minorités ethniques... Donc, pour toutes ces raisons, séduisez la planète, cher Canada! x
N
CONTRE
otre vaillant Paul décide alors par solidarité de visiter les pays affectés par le raz-de-marée. À bord de son Challenger, il parcourt pays après pays. Soulignons les efforts de notre PM de tenter de pousser son ambitieux projet de L20 et de réforme de l’ONU avec son homologue indien. Malheureusement pour lui, quelques questions sur le mariage gai ont gaspillé la journée. Des opinions de deux députés de Brampton, l’opinion de notre ministre de la Santé, vraiment, on aurait pu avoir tout ça au Canada... Les journalistes ne sont pas blancs comme neige, mais que va-t-on faire en Inde parler de mariage gai? Exporter le savoir-faire canadien en matière de politique publique? Par ailleurs, le gouvernement srilankais a offert deux hélicoptères au gouvernement canadien pour ses déplacements d’affaires. Je me demande bien qu’est-ce que ces hélicoptères auraient bien pu faire si notre courageux PM ne s’était pas déplacé, encombrant aérodromes et pistes d’atterrissage. Apporter de l’aide humanitaire aux sinistrés peut-être? Je ne suis pas trop certain de comprendre les gains réels (autres que politiques) de telles actions. Notre réseau d’ambassades et de haut-commissariats dans les régions affectées est en mesure de transmettre l’information au gouvernement. C’est sa raison d’être. C’est évident qu’il aurait été encore plus disgracieux que ce soit notre mouton insignifiant œuvrant à Québec qui aille visiter les régions affectées. En attendant, alors que j’étais à l’extérieur du pays pendant le temps des fêtes, j’apprends sur Radio-France Internationale que ohlàlà, la glorieuse, vaste et riche Guinée-Équatoriale a contribué à hauteur de 200 000 $ aux fonds d’aide.Vous riez de moi ou quoi? La Guinée équatoriale traîne aux 157e rang des PIB per capita tout juste entre St.Vincent/les Grenadines et Mayotte. Tout ça pour dire qu’il est évident que notre PM, en traînant par ailleurs une meute de journalistes avec lui, ne fait que montrer aux braves Canadiens par de belles photos qu’il est proactif dans sa «lutte aux tsunamis», alors qu’il aurait été probablement beaucoup plus utile en restant chez lui. x
06 Le Délit x 25 janvier 2005 nouvellesinternational
Médecins sans Frontières demande la dé-spécification des donations
La générosité des donateurs pour le tsunami a excédé les espérances; est-il temps de se tourner vers d’autres problèmes plus urgents?
Eleonore Fournier
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epuis qu’un tsunami s’est abattu sur les côtes de l’Asie du sud-ouest et de l’Afrique, le monde s’est mobilisé pour apporter son aide. Le gouvernement canadien a décidé de donner 80 millions de dollars à la cause, et de nombreuses organisations canadiennes ont fait de même. À titre d’exemple, un petit de neuf ans de La Prairie, Mathieu Rousseau, en faisant du porte-à-porte, a réussi à récolter 360 $. De plus, quatre jeunes de la Mauricie ont marché dans le froid de Montréal à Québec la semaine dernière pour la cause. Des profits de 3 000 $ ont été donnés à la Croix-Rouge. Vendredi dernier, Le Medley a organisé un spectacle-bénéfice Urgent-Orient, mettant en scène des artistes montréalais tels que Manouche, Jean François Lessard et Ta’aora. Bref, tout Montréal a décidé de s’impliquer. La Croix-Rouge est une des organisations qui s’est le plus impliquée lors des dernières semaines. Le Dr. Pierre Duplessis, secrétaire général de la Croix-Rouge au Canada s’est adressé à la presse au quartier général à Ottawa hier, présentant un nouveau programme d’aide pour les prochains mois. 60 millions de dollars seront dépensés dans les trois prochains mois dont 33 millions en matériaux d’hygiène et de purification de l’eau. D’après le Dr. Duplessis, les Canadiens ont déjà donné 128,2 millions de dollars à la Croix-Rouge pour le tsunami et les corporations canadiennes ont ajouté 7 millions de dollars au total. «La Croix-Rouge du Canada financera des programmes pour au moins dix ans». Selon ces prédictions, la reconstruction des régions affectées par le tsunami durera au moins une génération. Pourtant, malgré les 227 000 morts et l’énorme volume de travail encore à faire, il semble que certaines organisations estiment qu’il est temps de se concentrer sur d’autres endroits dans le monde. Le site de Médecins sans Frontières met en garde les donateurs potentiels: «Veuillez noter que Médecins Sans Frontières a reçu suffisamment de dons de la part de ses donateurs pour pouvoir accomplir la première partie de sa mission d’urgence dans cette région, où nous avons plus de 150 volontaires ouvrant à apporter des soins médicaux aux survivants au Sri Lanka, en Inde, en Indonésie et au Myanmar. Nous demandons donc aux Canadiens et Canadiennes désirant aider d’apporter leur soutien à notre Fonds d’urgence que servira à répondre à d’autres crises médicales à travers le monde». Tony Parmar, directeur des programmes de la branche canadienne de Médecins sans Frontières, nous explique que jusqu’au 4 janvier 2005, l’organisation a récolté 100 millions de dollars canadiens globalement. «Nous sommes une organisation
pour les urgences. Nous avons décidé que nous avions assez d’argent pour la phase d’urgence, et nous avons avisé le public de donner à notre Fonds d’urgence non spécifique plutôt qu’à la cause du tsunami». En donnant seulement à la cause du moment, les donateurs oublient les endroits sousmédiatisés, comme la République démocratique du Congo. En décembre dernier, des combats ont eu lieu, causant le déplacement de plus de 150 000 personnes. Des combattants dans la province du Katanga ont brûlé des structures médicales, et il n’y a presque pas de services de santé dans le pays. Médecins sans Frontières s’implique donc à cause du manque d’eau potable et de sanitaires pour soigner le choléra et la typhoïde. D’après M. Parmar, «il y a beaucoup de pays qui ne reçoivent pas assez d’attention, comme la République démocratique du Congo, la région du Darfur au Soudan, la pandémique du
SIDA/VIH, ou le Caucase». La tuberculose à elle seule tue une personne toutes les quinze secondes, soit un million de personnes par an. De plus, en 2003, 2,9 millions de personnes sont mortes du SIDA, soit l’équivalent d’un tsunami par mois. Il y a plusieurs facteurs qui conditionnent les donations individuelles à Médecins sans Frontières. Premièrement, les gens donnent différemment selon la période de l’année. M. Parmar soutient que «trente à quarante p. cent des donations spécifiées se font en décembre. Les gens ont jusqu’au 31 décembre pour demander un crédit fiscal. L’esprit de Noël fait aussi sans doute une différence.» De plus, les crises soudaines et médiatisées reçoivent plus d’attention. «L’année dernière, les gens ont donné spécifiquement au Darfur». C’est évidemment normal que la mort soudaine de 227 000 personnes fasse
réagir le monde. Pourtant, tout comme M. Parmar, l’ancien président de Médecins sans Frontières, Rony Brauman pense que l’enthousiasme international devrait maintenant être utilisé à d’autres fins. Le 14 janvier dernier, il a communiqué au journal Le Devoir son dépit pour ce qu’il qualifie de «jouer à Tintin». Il est vrai que les gouvernements et les organisations humanitaires se battent pour savoir qui donnera le plus et que beaucoup de jeunes décident de partir «aider» en pensant qu’on leur trouvera une tâche. Souvent, le plus important pour la reconstruction d’une zone dévastée est l’implication de la population locale. Bien sûr, l’aide internationale peut être très bénéfique, comme on l’a vu en Asie jusqu’ici. La situation de Médecins sans Frontières est délicate car il est difficile de dicter aux gens comment être généreux, mais il y a aujourd’hui d’autres crises qui nécessitent l’attention de manière urgente. x
25 janvier 2005 x Le Délit
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culturethéâtre
Intervention au théâtre Le cahier de théâtre Jeu nous présente cette année son 113e numéro qui traite du théâtre d’intervention, mettant sous les projecteurs les questions suivantes: Qu’est-ce que le théâtre d’intervention? Quelle est son utilité? Agnès Beaudry
A
près avoir fait place au théâtre d’intervention lors de la publication de son premier numéro en 1976, cahier consacré au théâtre Parminou qui se spécialise dans ce genre, la revue Jeu l’a repoussé en coulisse, sa place habituelle lorsqu’il s’agit des arts de la scène au Canada. En Europe par contre, particulièrement en Belgique, cette forme de théâtre a acquis une plus grande renommée. Sous le nom de «théâtre d’action», étant davantage subventionné, il se voit florissant. Mais au Québec, quelle est la place du théâtre d’intervention? Quel est son rôle et, plus particulièrement, «qu’est-ce que le théâtre d’intervention»? Voilà les questions que nous propose le 113e numéro de la revue Jeu, dont le lancement a eu lieu le 17 janvier dernier au Café Aquin de l’UQAM. La soirée a débuté avec une présentation formelle de la revue qui a été suivie par un court extrait du film (en cour de production) de Myriam Berthelet et Anne-Élizabeth Côté, intitulé provisoirement Liberté conditionnelle. Enfin, une discussion s’est ouverte au sujet du rôle de ce théâtre. Je vous propose une structure semblable… Le numéro 113 nous demande clairement ce qu’est le théâtre d’intervention et, dans une discussion Entrée libre rapportée de la Rencontre internationale de théâtre d’intervention (RITI) de juin 2004, on nous propose une réponse. Un communiqué du RITI daté de 2003 le définit comme suit: «Le théâtre d’intervention c’est… un théâtre populaire et politique, un théâtre lié au développement personnel, social et affectif… un théâtre communautaire qui veut rendre aux gens la parole et l’espoir. Un théâtre pour tous!» Mais voilà une réponse qui n’est ni coulée dans le ciment, ni unanimement acceptée. Des adjectifs tels populaire, politique, engagé et social sont tout de même récurrents dans tout discours sur le sujet. Le théâtre de cette forme semble avoir ce but: celui de se créer «pour que les choses changent». C’est aussi un théâtre qui se refuse à prendre la forme connue de son art, celle du TNM ou encore du Théâtre Quat’sous, ne s’adressant pas au populaire et n’étant pas accessible (pour des raisons surtout économiques) à celui-ci. Je cite Dominique Malacort qui dans son article intitulé «L’autre théâtre» (se trouvant dans le dossier de la revue) le décrit à sa façon: «Le théâtre d’intervention rejoint le monde tout court que le théâtre tout court ne rejoint pas.» La seconde partie de la soirée s’attardait à un exemple précis de cette forme de théâtre, celle du Podval russe qu’ont déterré Myriam Berthelet et Anne-Élizabeth Côté. L’extrait présenté de leur film parlait du Théâtre.doc, fondé par Elena Gremina, figure de proue du théâtre podval russe, ce mot voulant dire sous-sol et illustrant bien le visage de cet art. Théâtre.doc, théâtre «underground» de Togliatti, ville perdue de Russie, veut découvrir les possibilités qu’a la scène, en particulier sous sa forme communautaire, en tant que «marteau d’argent». Ce terme emprunté au dramaturge russe Tchekov veut que ceux qui ont les
moyens, ceux qui ne sont pas dans la misère et qui sont en mesure de la voir se doivent d’agir en tant que «marteau d’argent», ébranlant leurs pairs, leur rappelant sans cesse que la misère existe et ne peut être oubliée, qu’elle doit non être voilée, mais que les choses doivent changer. Un thème grandement exploité par Théâtre.doc est celui de la solitude de l’homme sans moyen face à un monde dans lequel il est seul. Ce théâtre n’est pas confronté à la censure puisqu’il n’a pas de grande influence. Il a été question que la censure ne venait pas des gouvernements, mais des subventions: si le théâtre vend des valeurs qui vont à l’encontre de la politique de profit, on ne le placera pas sur la grande scène. J’aimerais apporter une réflexion se rapportant à l’article de Denise Brunsdon du Daily du 6 janvier dernier, où elle disait: «Young Russians’ lack of political and community engagement disappointed me». Que le théâtre d’intervention réussisse à Moscou, Saint-Pétersbourg et Togliatti démontre peut-être qu’il n’y a non pas un manque de motivation, mais un manque de visibilité, que sous la surface, dans les soussols, elle bouille. Les mouvements politiques et l’effort de conscientiser la population se font souvent à l’insu de la grande scène, de celle dont les spectateurs n’ont aucun intérêt immédiat à ce que les choses changent de toute façon. La discussion a continué sur ce soucis: comment peut-on faire du théâtre autre chose qu’un art? Le théâtre est-il un médium? Peutil avoir d’autres visées que celles esthétiques? La réflexion a été faite par une dame citant une pensée qu’elle avait entendue: «Le théâtre n’est pas un bijoux à mettre dans un écrin, mais une roche à lancer dans la rue». Donc, pour que le théâtre puisse être autre chose qu’un art, puisse avoir une visée politique, il faut le transformer, le rendre dynamique, le sortir de la grande scène et l’apporter au public concerné par la cause, par le changement qu’il propose d’apporter. De ceci découle la question du comment: comment rendre le théâtre accessible à la communauté, avec les problèmes de subvention, comment faire pour que ce ne soit pas seule l’élite qui en ait l’accès. Une représentante du théâtre Parminou dont vivent quatorze comédiens a fait un commentaire remarquable à cet égard: «À la base, il faut vouloir faire un théâtre qui s’adresse à la population». Le théâtre d’intervention, c’est le théâtre du peuple: ceux qui le font doivent avoir le but premier de s’adresser au peuple. Devant ces questionnements et ces doutes sur la capacité du théâtre comme médium, une dame silencieuse jusqu’alors a posé la question suivante sur laquelle je termine cet exposé: «L’art peut-il ne pas être engagé? Peut-il être sans valeur?» x Si votre curiosité est piquée, le sujet est davantage exploré dans Jeu 113, en vente dans les Maisons de la presse, en librairie et à leur bureau à un prix de 15 $. Pour plus d’information: info@revuejeu. org ou www.revuejeu.org.
Le dernier numéro de Jeu est maintenant disponible.
culturebrève
Voix et voies de l’écriture
V
oix et voies de l’écriture reprend ses rencontres avec des écrivains dès le 3 février prochain, avec pour invité le journaliste et écrivain Gil Courtemanche. Gil Courtemanche a publié en 2000 son premier roman, Un dimanche à la piscine à Kigali qui raconte le génocide qui a été perpétré au Rwanda. Il en a obtenu le Prix des Libraires du Québec en 2001. En tant que réalisateur et journaliste, Gil Courtemanche a travaillé dans de nombreuses régions du monde où il a été témoin de drames humanitaires, notamment au Moyen Orient et en Afrique. Il a été correspondant à l’étranger de Radio-Canada, et, ces dernières années, il a tenu une chronique dans les quotidiens Le Soleil de Québec et Le Droit d’Ottawa. Les rencontres procèdent d’abord par une lecture d’extraits de l’œuvre de Gil Courtemanche, suivie d’une période de questions. Les rencontres sont ouvertes aux étudiants et au public, à la salle 116 du pavillon Peterson, 3460, rue McTavish. x Pour plus d’information, contactez Christine Poirier ou Perrine Leblanc à l’adresse suivante: voix_et_voies@hotmail.com.
Gil Courtemanche sera à McGill le 3 février prochain dans le cadre des rencontres Voix et voies de l’écriture.
08 Le Délit x 25 janvier 2005 courrierdeslecteurs
La mouche provoque de vives réactions
J
e lis le Délit depuis assez longtemps et je dois m’avouer fortement déçu des éditoriaux parus cette année. Pourquoi justement parler de l’éditorial de Richard Martineau si c’est seulement pour dire qu’on est d’accord avec lui? Par moments, j’ai parfois l’impression de lire le journal intime de quelqu’un et pas un éditorial de journal. Sinon, bravo pour les dossiers intéressants et les innovations (bande dessinée, Mohammed délit, etc.) Marc Vaudel
B
onjour, Puisque vous nous présentiez une mouche cette semaine dans le courrier des lecteurs, je me suis dit que j’allais me dégourdir les doigts et les méninges un peu ce soir pour vous montrer qu’il y a des gens qui lisent le Délit sur le campus de notre bien aimée université. Après maintes minutes passées à me demander de quel sujet d’actualité trait-
er, je me suis rendue à l’évidence: je n’avais pas envie de parler de G. W. Bu$h ou de la perte des Jeux de la FINA pour Montréal. Je vais donc parler du français à McGill! (Ceux qui lisent le journal Métro ou qui se rappellent d’une précédente édition du Délit se diront que je ne suis pas très originale...) Pourtant, cette fois-ci, je vais critiquer les francophones! Nous qui nous plaignons de la piètre qualité du français employé par l’université, que faisons-nous pour améliorer le statut de cette langue sur le campus? Je lis le Délit fidèlement et je remarque à chaque édition une ou deux coquilles, comme cette fois-ci le mauvais accord dans l’article de David Pufahl (il s’est fait éduquÉ... Un bon truc: le «vendu ou vendre», ça marche...), sans parler de la douteuse façon dont «être fait éduquer» est employé. Loin de moi l’idée de critiquer votre journal, qui me fait réfléchir et présente une vision juste de l’actualité «McGilloise», nationale ou internationale, sans compter son intéressante section culture. Cepensant
(sic), je me questionne sur la pertinence de revendiquer nos droits si nous ne pouvons pas écrire correctement notre langue dans le seul média entièrement francophone de l’université. Voilà! Libre à vous de me répondre et de me remettre à ma place! Mais faites tout de même attention, je suis la seule qui daigne vous écrire un peu! Méliane Larier-Cromp Musique
I
l est vrai que le français de Jack Layton laisse à désirer (re: «Pourquoi Jack Layton parle-t-il le français comme une vache espagnole?» 18 janvier, 2004). Comme membre du NPD, j’ai voté pour lui à la chefferie du parti justement parce qu’il était bilingue; du moins, si on le compare avec Bill Blaikie. Depuis je trouve que son français s’est empiré plutôt qu’amélioré, ce qui est dommage.
Bien que je n’ai pas regardé l’émission de «Tout le monde en parle» avec Jack Layton, je suis pas mal sûr que c’est bien le mot «exhalé» que M. Layton cherchait. Pourquoi? Premièrement, il n’aurait pas dit qu’il n’a «jamais inhalé» parce qu’il l’a déjà admis plusieurs fois. Deuxièmement, il a utilisé le mot «exhale» en Anglais, pour se moquer de la fameuse phrase de Bill Clinton. Dans un article de Cannabisnews du 27 octobre 2001 sur l’usage du cannabis par les conseillers municipaux de Toronto, M. Layton est cité: «I have tried the stuff but I never exhaled». Il ne s’agit donc pas d’une faute de français, mais d’un sens de l’humour mal traduit. David-Marc Newman U1 Sciences politiques
erratum
Concernant l’article sur Le Tribune paru dans la dernière édition, Mark Sward nous demande de l’excuser de s’être trompé dans les chiffres donnés lors de son interview.
culturebrève
Concours de film muet
S
i vous vous identifiez à la communauté gai et lesbienne, et êtes nostalgiques des temps révolus, les Productions OUT vous offrent la chance de voir vos chefs-d’œuvre cinématographiques enfin couronnés. Vous avez jusqu’au 1er mai pour proposer votre court film muet/ vidéo teinté du charme d’autrefois et ayant un contenu pouvant plaire à un auditoire lesbien. Pourquoi un film muet? Car il constitue sans conteste un art distinct qui ne connaît aucune barrière de langage.Votre tâche sera donc de recréer la magie du cinéma d’antan, largement perdue à notre ère du numérique, et de réaliser une œuvre stylisée et charmante. Inspirez-vous de cette parole de la star du cinéma muet Gloria Swanson: «Nous n’avions pas besoin de dialogues, nous avions nos visages!» C’est donc dans le but de stimuler ce style cinématographique hautement théâtral que les Productions OUT ont lancé ce concours dont le gagnant sera récompensé par un prix de 200 $ et de plusieurs possibilités de projections à Toronto et Montréal. On vous suggère quelques thèmes qui peuvent inspirer votre création: images en noir et blanc ou sépia, costumes extravagants, jeu sur la vitesse pour accentuer l’action, mélodrame, surréalisme, musique et effets sonores, sous-titres (bilingues si possible). Si vous êtes intéressés, vous pouvez faire parvenir vos films (format VHS, mini DVD ou DVD) d’une durée maximale de 10 minutes, à l’adresse suivante: Miriam Ginestier Les Productions OUT – Film muet/vidéo A/S Studio 303, 372, rue Sainte-Catherine Montréal, Qc H3B 1A2
25 janvier 2005 x Le Délit
culturethéâtre
09
Détrompez-vous!
Le théâtre d’Aujourd’hui nous épate en présentant La Chanson de l’éléphant, un thriller à la Hitchcock écrit par Nicolas Billon et mis en scène par René Richard Cyr. Émilie Beauchamp
culturethéâtre
donnant un rythme poétique et rimé au texte et aux répliques des personnages. Au cours de l’interrogatoire que lui fait subir le docteur Greenberg, Michael réussit peu à peu à prendre le contrôle de la conversation; enfin il est vraiment écouté, enfin c’est lui qui décide qui doit parler! Les rôles de psychiatrique et d’interné basculent, les rapports sont soudainement inversés et le docteur Greenberg et l’infirmière Peterson ne peuvent que suivre la houle de la folie rusée de Michael, étant dépendants de sa coopération pour retrouver le docteur Lawrence. Le thriller se retrouve au cœur du dialogue de Michael, qui nous mène de fausses pistes en cul-de-sac, mais qui finalement ne veut que se faire entendre. Tout en étant un suspense aux tournures rebondissantes, La Chanson de l’éléphant est aussi une histoire d’amour, de solitude et d’appel à l’aide. Pas seulement pour Michael, mais aussi pour les deux autres personnages, qui eux aussi sont un peu seuls, un peu fous aussi d’ailleurs… De cette pièce, tout respire la fraîcheur. À ma grande et agréable surprise, il ne s’agit point d’un suspense étouffant, dont les indices nous serrent la gorge et
le cerveau en quête d’une ultime réponse à l’énigme, mais plus d’une quête pour la vérité, qui nous vient de diverses branches du dialogue et coule comme de l’eau vive nous désaltérant. En fait, ce que le jeune déséquilibré veut nous dire est une vérité universelle, sa vérité universelle, qu’il cache sous le voile de la folie depuis bientôt neuf ans. Le sentiment de nouveauté et de vivacité nous vient aussi du mélange inusité des participants de la pièce. Le metteur en scène René Richard Cyr, plusieurs fois couronné et désormais bien connu, prête son génie à l’adaptation d’un tout nouvel auteur, Nicolas Billon. Ce dernier, fils du célèbre auteur de scénarios de films et de romans Pierre Billon, a décidé de se lancer dans une allée jamais exploitée de son père, «pour ne pas lui marcher sur les pieds»… Son premier rejeton est quelque chose d’inusité, ce mélange de thriller et de poésie lyrique se confondant dans le dialogue, le tout donnant un résultat que, ma foi, je n’avais jamais expérimenté au théâtre jusqu’à hier soir et qui est de loin ce qui m’a le plus satisfaite en tant qu’amatrice de cet art. D’autant plus que l’interprétation
du jeune Michael nous est donnée par un frais «démoulu» de l’École Nationale du Théâtre, VincentGuillaume Otis. Non seulement apporte-t-il un nouveau visage doué au théâtre québécois avec lequel nous n’associons pas encore certains épisodes de Virginie, Fortier ou Les Poupées russes, mais aussi ce jeune est-il bourré de talent. Bref, La Chanson de l’éléphant est une réussite, une pièce surprenante, avec des personnages attachants et
criants de vérité. Comme quoi tout le monde est un peu fou dans le fond… x La Chanson de l’éléphant est présenté jusqu’au 12 février au Théâtre d’Aujourd’hui, 3900, rue SaintDenis (métro Sherbrooke). Pour plus d’information et réservation: (514) 282-3900 ou consultez le www. theatredaujourdhui.qc.ca.
Yves Renaud
U
n éléphant, ça trompe énormément… Mais le jeune Michael Aleen trompe encore plus que les éléphants! Ce jeune homme de 23 ans, interné dans un hôpital psychiatrique depuis l’âge de 15 ans, aime bien faire des manigances, des blagues et manipuler les gens autour de lui. Mais un soir, son thérapeute, le docteur Lawrence, disparaît mystérieusement après une de leur séance… Alors le jeune Michael, seul à pouvoir connaître la vérité, se retrouve au milieu du mystère, étant le centre de l’attention. Le docteur Greenberg, incarné par Jean-François Pichette, et l’infirmière obèse Miss Peterson, incarnée par Jasmine Dubé, tournent autour de Michael au rythme de l’imagination de celui-ci, qui joue avec eux comme un chat avec deux souris. La folie du jeune patient et son intelligence maligne mènent en bateau les deux autres personnages de l’œuvre… En fera-t-il assez pour les rendre fous aussi? Tout au long de la pièce, Michael joue de métaphores en jeux de mots, faisant des parallèles entre sa vie et les énormes pachydermes dont il fait une obsession, le tout
Le jeune Michaël aime bien mener en bateau le personnel de l’hôpital psychiatrique où il réside...
L’histoire et ses contrefaçons
Le mythe de Persée renaît aujourd’hui de ses cendres grâce à l’étincelle allumée dans les caboches de trois artistes de la pire espèce. Olivia Lazard Or là… Je dois avouer que le résultat est relativement surprenant. Retour à un théâtre qui se contente de rien pour nous faire du joli spectacle. Persée, fable archéo-mythologique est donc l’histoire de trois archéologues en quête de gloire. Tous les trois plus farfelus les uns que les autres, ils finissent par observer dans
Suzane O’Neill
Ç
a faisait longtemps qu’on ne m’avait pas rafraîchi la mémoire sur le mythe de Persée, je dois dire. Heureusement d’ailleurs que la mise en scène ne visait pas seulement cette histoire car sinon la pièce aurait duré bien plus longtemps et ne m’aurait pas vraiment donné l’occasion de rire!
La face cachée de la cruche: Un vieillard barbu… Qui l’aurait cru?
les pierres qu’ils étudient des cellules vivantes. Bien entendu, cette découverte révolutionnaire ne les mène pas moins qu’à la source de la Gorgone Méduse. Mais c’est aussi en un tour de main que nos trois héros nous présentent la fable qu’ils mettent en place. Seulement voilà, quitte à travailler avec l’imaginaire autant l’amuser jusqu’au bout. En effet, les personnages du mythe conté n’ont rien d’humain, ils sont cruches. Honnêtement lorsqu’on voit le héros Persée courir sur deux doigts et se faire rejeter par une demoiselle dans la cour de l’école, la mythologie grecque a de quoi pâlir de honte. Enfin, ça peut peut-être nous donner un peu d’espoir à nous pauvres mortels… Le théâtre d’Aujourd’hui est devenu temporairement l’aire de jeu de ces trois garnements aux idées iconoclastes. La proximité des acteurs avec leurs spectateurs instaure ainsi une intimité qui pourrait parfois faire penser que nous assistons à un spectacle de marionnettes
grandeur nature. C’est à la création imaginative que Mathieu Gosselin, Olivier Ducas, et Francis Monty font appel. Leur décor reste identique tout au long de leur représentation et pourtant on passe d’une cave de recherche de Londres à un désert dont l’emplacement reste encore à définir. Les personnages campés par les acteurs se transforment eux-mêmes en instruments à animer les figurines du mythe. À l’aide d’une simple cruche et d’une mitaine noire, Persée prend vie dans le creux d’une main. La Gorgone, elle, apparaît sous forme de bras de mannequin décomposés et d’un masque menaçant qui louvoient sur scène. Tout ça n’a rien de réel mais c’est surprenant de voir à quel point le spectateur peut se prendre au jeu des trois acteurs. Car oui, je crois pouvoir dire que c’est un jeu. Les personnages créés incitent au rire d’emblée de par leur ridicule sympathique. Ils ne visent pas le sérieux mais la dérision. La troupe du théâtre de la Pire Espèce réinvente
le théâtre à sa manière. Certes, ce n’est pas un chef-d’œuvre mais c’est une pièce qui peut en intéresser plus d’un. Les acteurs ne sont pas là pour crever les plafonds ni plaire aux critiques, ils sont là pour donner le sourire et s’amuser. C’est d’abord leur amour de la scène que ces trois auteurs nous transmettent à travers leur fable. Ils brisent le quatrième mur sans aucun scrupule et attirent le spectateur passif dans un monde créé de toutes pièces pour son plaisir à lui. Cet univers naïf laisse entrevoir trois cœurs battant pour le théâtre qui ne se lassent pas de creuser un peu profond dans les possibilités infinies de la dramaturgie. x Le théâtre de la Pire Espèce présente Persée, fable archéo-mythologique jusqu’au 5 février au théâtre d’Aujourd’hui, 3900, rue Saint-Denis (métro Sherbrooke). Pour réservation: (514) 282-3900. Pour plus d’information, visitez le www.theatredaujourdhui.qc.ca
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Le Délit x 25 janvier 2005
culturelittérature
Ensemble, c’est déjà beaucoup. Chroniques d’êtres uniques en quête de sens et d’amour. Léa Guez
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rois paumés, trois vies de solitude, trois vies différentes que rien ne rapproche, ou plutôt que tout opposerait. Dans son quatrième livre intitulé Ensemble, c’est tout, Anne Gavalda incarne à la fois Camille, une artiste ratée anorexique, Philibert un timide bègue d’une bourgeoisie vieillissante, et Franck un cuisinier macho. Ces personnages, rongés par un même isolement, semblent emportés par une vicieuse spirale où échecs, replis, manque de confiance et idées noires découlent réciproquement les uns des autres. Leur vie est ennuyante, fatigante, décevante. Personne ne les comprend, personne ne les aide. Heureusement, sinon
l’histoire deviendrait sans doute vite morbide, les coïncidences de la vie les amènent à se rencontrer. Ce trio, dépareillé de prime abord, apprend petit à petit à s’apprécier et à se serrer les coudes. Que la taille de ce livre, un pavé de 608 pages, ne vous décourage pas. Ensemble, c’est tout est écrit comme on parle, et c’est loin d’être un défaut. Anne Gavalda semble avoir opté pour des mots simples pour nous conter son histoire sans prétention. Et on peut dire que le résultat est réussi. Ensemble, c’est tout parle de sentiments profonds et de problèmes qui pourraient être ceux de personnes de notre entourage que l’on a parfois du mal à comprendre. Le peu de dialogue
reflète le malaise social de ces personnes qui n’arrivent pas à communiquer leurs sentiments et qui graduellement apprennent à se confier et à recevoir la confiance. À mesure que l’on s’attache à ces personnages originaux, touchants et généreux, on dévore les pages de plus en plus vite. On espère les voir s’en tirer et continuer à nous faire sourire. On voudrait presque défier les lois de la physique et du rationnel, entrer dans la vie parisienne de ce livre pour les encourager à reprendre goût à la vie. Des descriptions de petits détails du quotidien et des réflexions poignantes où cynisme et espoir alternent font de ce livre un fidèle portrait d’une partie de la société française.
Ce récit aurait pu être trop dramatique ou trop ennuyant… mais le tout reste simplement juste, avec un équilibre de crédibilité et de réalisme. On est doucement amené à s’interroger sur le besoin de rencontrer l’être qui nous comprenne, les amis qui nous soutiennent et la nécessité de vivre nos rêves jusqu’au bout. Définitivement un livre à acheter pour se rappeler qu’un rien peut faire basculer dans la détresse humaine mais qu’elle peut aussi se guérir avec peu… x Ensemble, c’est tout d’Anna Gavalda est publié aux éditions Le Dilettante, en 2004.
culturemusique
Quand le charme croise le rock
La formation rock Navajo Code Talkers surprend avec son premier album Heavy Dirty Sound. Alexandre Vincent
B
on, on le sait tous, je le suis, vous l’êtes sûrement tout autant: après Noël, tout le monde est cassé. Par contre, quand on est un amateur de rock à Montréal, on s’en fout un peu. Si j’ai besoin d’une bonne dose de rock, ce n’est pas au Centre Bell avec le retour de Mötley Crue que je vais rassasier mes bas instincts. (Payer quatre fois le prix pour voir un band qui n’est plus que le tiers de ce qu’il était…). C’est plutôt avec la nouvelle formation Navajo Code Talkers, un groupe qui fait du rock. Simplement du rock. Bien que lancé en août 2004, leur album Heavy Dirty Sound fera sûrement jaser en 2005. Tout d’abord, le nom du groupe fait référence aux Indiens employés par l’armée américaine durant la seconde guerre mondiale pour envoyer des messages codés. À une époque où le nom d’un groupe est plutôt une marque de commerce qu’un symbole, ça fait du bien à voir. Dans le rock, ce qui est primordial après le nom, c’est le son. Les Navajo en ont un. Formé de Miss Jet à la voix et la basse, d’Izi Way à la voix et au baryton, de Guillaume Lessard à la guitare et de Mucky Pup à la batterie, la formation apporte un son stoner garage, tout en flirtant avec le blues à forte dose de Rockabilly. À la traditionnelle sauce guitare, basse et batterie, ils ont ajouté un baryton. Non pas un saxophone baryton, mais bien un baryton qui est le nom commun pour euphonium (instrument dans la famille des cuivres qui ressemble à un petit tuba; vous pouvez en
voir régulièrement dans les marching bands aux États-Unis). Assuré par Izi Way, cet instrument vient apporter un son chaud, généralement bluesé, qui permet à la guitare de bien rester rock. L’autre côté original de la formation est la rencontre entre la voix de Izi Way et de Miss Jet. Bien que Miss Jet tienne la basse de façon très respectable, c’est sa voix au timbre charmeur qui ressort le plus. Ensemble, les deux voix sont en parfaite harmonie. Un son entre le sensuel et le rire. Juste assez de nonchalance, juste assez de puissance, malgré le fait qu’on en prendrait un peu plus parfois. Si je n’ai pas nommé Mucky Pup et Guillaume Lessard dans les paragraphes cidessus, ils n’en font pas moins un boulot impeccable. Mucky Pup est solide à la batterie, il ne prend aucun temps de répits, tandis que la guitare de Guillaume nous décoiffe à chaque riff en spectacle. Il est à noter que c’est Turbo Depress qui fait la guitare sur l’album et non Guillaume. L’esprit Rock Dans un monde où certains groupes lancent un disque avant que le groupe ait quinze répétitions dans le corps, les Navajos sont de ceux qui le font à l’ancienne école. Allez jouer à quelques centaines de kilomètres en sachant très bien que le cachet sera très petit, pour ne pas dire inexistant, les Navajos le font, eux qui sont allés jouer à New York à deux reprises: «Nous y sommes allés une fois en mars et une autre fois en octobre, dit Miss Jet, rejointe au téléphone. La deuxième fois,
Navajo Code Talkers, du rock. Simplement du rock.
c’était pour la soirée d’Halloween. On s’est costumé, c’était vraiment hot. On n’allait pas là-bas pour le cash. Depuis qu’ils ont reçu notre disque, ils le font passer en rotation courante. C’est une bonne excuse pour aller leur rendre visite». Départ C’est avec tristesse que j’ai appris au téléphone le départ de Izi Way de la formation montréalaise. Sans demander la raison du départ (parce que le rock, c’est le rock), Miss
Jet commenta: «Certaines pièces n’avaient que très peu de baryton et maintenant Guillaume assure la partie vocale d’Isabelle. Ça va nous permettre d’explorer d’autres côtés». De cet article, oubliez tous les noms et n’en retenez qu’un: Navajo Code Talkers. x Le groupe est à surveiller en février au Café Chaos. Pour plus d’information, visitez leur site www.nctrocks.com
25 janvier 2005 x Le Délit
culturecinéma
En manque de réel
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Le film du réalisateur Yutaka Tsuchiya, Peep TV Show, dresse le portrait cru d’une certaine jeunesse nippone, aliénée et sérieusement en quête de référents au lendemain des événements du 11 septembre. Flora Lê a beauté du progrès technologique, c’est de nous avoir permis entre autres de reproduire à souhait tout ce qui ne nous était auparavant pas accessible. La photographie fait revivre les moments qui sont révolus, la télévision reproduit des images de contrées lointaines, le téléphone transporte la voix humaine sur des kilomètres. On s’entoure de ces médias, fenêtres sur le monde, rallonges de nos yeux et de nos oreilles, qui nous font bien croire un instant que l’esprit peut aller bien au-delà du corps. Mais toutes ces images du réel nous ont fait oublier qu’elles ne sont en vérité que reproductions, imitations, photocopies dont l’original est perdu. Les médias nous ont dépossédés de la réalité, qui nous échappe désormais comme du sable entre les doigts. C’est ce dessaisissement que Yutaka Tsuchiya a voulu dénoncer dans son dernier film aux frontières du documentaire et à l’esthétique dépouillée. Peep TV Show suit l’itinéraire de Hasagewa et de Moe pendant quelques mois, deux jeunes japonais en crise contre leur monde hyper médiatisé. Hasagewa verra sa vie complètement transformée
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culturecinéma
Depuis les événements du 11 septembre, Moe et Hasagewa ne voient plus le monde de la même façon.
après les événements du 11 septembre dont la reprise des images à la télévision le fascinera par leur beauté. C’est le fait de sentir ces images pourtant véritables comme l’œuvre d’une fiction qui éveillera
le jeune homme à un doute quant à sa capacité à sentir le réel. Il réalise alors sont engourdissement, son anesthésie qui le plonge dans une quête aussi passionnée que désespérée, celle de sentir la réalité.
C’est l’été. Assis sur un trottoir passant, Hasagewa se cache la tête sous un chandail et regarde un mini-écran qui lui donne les images des passants retransmises par une caméra posée par terre à ses pieds. Le voyeurisme semble pour lui la dernière chance de saisir quelque réalité qui ne soit pas calculée, embellie, retransmise. Observer les gens sans qu’ils se sentent observés, surprendre leur naturel sous l’emprise de la quotidienneté, c’est ce à quoi s’adonne Hasagewa à cœur de jour. La crise que connaît le jeune homme n’est pas le cas d’un seul individu. C’est celui de toute une génération qui se voit privée d’une vie à l’abri du fabriqué et du maquillé. Pour Moe, une jeune fille sur le seuil de s’abandonner à sa psychose, l’identité est inaccessible dans un tel monde, et c’est la raison pour laquelle elle a adopté le style de «Gothic Lolita» qui fait d’elle un personnage plutôt qu’un individu. Son habillement non adapté trahit bien son désir d’afficher son aliénation; incapable de se libérer, elle choisit de l’exhiber pour mieux se faire violence et ne jamais perdre le sens de sa souffrance. Moe trouvera en Hasagewa
l’écho de son malheur et tous deux deviennent complices dans leur crime de voyeurisme, dernière chance pour cette jeunesse dépossédée de sentir la vie comme elle passe, et peut-être de recapturer leur propre réalité. Leur route traversera celle d’autres individus en semblable crise, comme cet homme qui ne vit que pour dormir. Il endure chaque journée pour ces quelques heures pendant lesquelles il ne pense plus, il ne sent rien. Il y a ce jeune homme complètement replié sur lui-même qui a décidé de ne plus sortir de chez lui. Il vit dans une microscopique chambre (parler d’appartement serait une hyperbole) qu’il n’a pas quittée depuis cinq ans… Peep TV Show est donc un film difficile, cru et immédiat, qui fatigue par son rythme fragmenté et ses scènes parfois obscènes. Il fait de nous le voyeur de cette crise, et sa réalité ne nous est que trop accessible, et certainement désagréable pour un spectateur non averti. Mais la patience des 98 minutes du film en vaut la peine. Une réflexion aussi juste sur notre condition moderne ne s’offre pas tous les jours… x
Projet chéri
Kevin Spacey met enfin en images la vie de Bobby Darin avec des résultats mitigés. David Pufahl
C
ôté cinéma, l’année 2004 fut sans doute l’année des drames biographiques. En effet, il y a eu Ray pour Ray Charles, De-Lovely pour Cole Porter, The Aviator pour Howard Hughes et Ma Vie en Cinémascope pour Alys Robi. Cette avalanche de films aurait pu désavantager la sortie de Beyond the Sea, un autre drame biographique réalisé, co-écrit, co-produit et interprété par Kevin Spacey. Je peux vous assurer en
toute objectivité que son film aurait été mal accueilli dans n’importe quelle circonstance. On ne voit pas ce qui rend Bobby Darin (Spacey), le chanteur américain des années 60 dont il est question, si exceptionnel. Né Walden Robert Cassotto, le personnage principal vécut son enfance dans le Bronx de New York. Les rhumatismes articulaires aigus dont il a souffert lorsqu’il était enfant ont rendu son cœur tellement
Kevin Spacey chante dans Beyond the sea, le dernier drame biographique de l’année 2004.
faible qu’on ne lui donnait qu’une espérance de vie de quinze ans. Néanmoins sa mère l’a encouragé à survivre et, avec l’aide de la musique, à poursuivre une carrière de chanteur lorsqu’il sera plus vieux. Envers et contre tous, il survit à sa maladie et devient Bobby Darin, tombeur de ces dames. Il enregistra plusieurs grands succès dont Splish Splash, Mack the Knife et Beyond the Sea, une traduction en anglais de La Mer de Charles Trenet. Il tente aussi sa chance au cinéma où il rencontrera sa future femme Sandra Dee (Kate Bosworth) lors d’un tournage en Italie. Mais à cause de leurs horaires surchargés, le mariage battra de l’aile dès le tout début. Le tout début de l’histoire nous montre Bobby Darin en train de tourner un film sur sa propre vie. Il veut commencer son film par une simple chanson lors de l’un de ses spectacles. L’enfant qui joue Darin plus jeune n’est pas d’accord avec lui. Il finit par conseiller Darin sur la façon de faire son film. Il s’agit d’un bon point de départ, mais quand Spacey utilise ce procédé narratif plus tard dans le film, cela paraît forcé. En fait, j’ai cru voir Spacey en tant que réalisateur qui demande au garçon comment réaliser son propre film. Je n’ai rien contre le fait qu’il se questionne, mais on ne devrait pas le voir de façon aussi évidente. Je n’ai pas besoin qu’il justifie avec condescendance son œuvre pendant qu’il
nous la montre. En fin de compte, mis à part que Darin chantait et dansait bien, qu’il a épousé une jeune actrice populaire et qu’il est mort jeune, rien de bien intéressant le caractérise. Sa personnalité n’est pas très attachante et à cause de cela, j’ai trouvé les péripéties concernant sa vie privée plutôt ordinaires. Par contre, la mise en images des spectacles de Darin par Spacey est magistrale. La direction photo est très léchée et Spacey nous offre une bonne performance autant du côté chanté que dramatique. Par contre, on l’a déjà vu faire beaucoup mieux dans American Beauty et The Usual Suspects. Quant à Bosworth, elle réussit à nous étonner en dépit du fait que son personnage n’a pas un véritable impact dramatique dans le scénario. Mais elle parvient à nous convaincre qu’elle n’est pas qu’un joli visage. Selon moi, Spacey aurait dû concevoir ou produire un documentaire sur son idole. Cette fiction ne lui rend probablement pas justice. Il est vrai que lorsqu’on a quarantecinq ans et qu’on décide de jouer un chanteur qui, au début de sa carrière, est au début de la vingtaine, on perd un peu de crédibilité. S’il s’en était tenu aux faits sans dramatiser le contenu de manière ennuyeuse, on en aurait peut-être tiré plus de plaisir. x
25 janvier 2005 x Le Délit
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