Le Délit

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delitfrancais.com

le seul journal francophone de l’Université McGill

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Un café, s’il vous plaît (4) Débat sur QPIRG (6) Mumford & Sons (15)

Le mardi 1er novembre 2011 | Volume 101 Numéro 8

Fait son cinéma depuis 1977


Volume 101 Numéro 8

Éditorial

le délit

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

Bang bang dans le registre Anabel Cossette Civitella Le Délit

A

lors que le Parti québécois nous donne des sueurs froides (le leadership de la cheffe est menacé, le parti renonce à la publicisation de sa première raison d’être) que le Parti libéral nous donne des chaleurs (encore et toujours la saga du scandale dans le domaine de la construction, la hausse des frais qui tournera bientôt en vinaigre) portons maintenant nos regards vers nos amis du Rest of Canada, ROC pour les intimes, et ayons un aperçu de la dernière action controversée du gouvernement fédéral conservateur de Stephen Harper. Le gouvernement conservateur tient mordicus à abolir le registre des armes à feu et ce, depuis des lunes (disons depuis 2006). Ce n’est toutefois qu’en mai dernier qu’on a pu commencer à croire à la réalisation de ce projet: avec l’élection majoritaire des conservateurs, il y avait de quoi s’attendre à un changement de ce côté. Le 26 octobre, le gouvernement de Stephen Harper, par la bouche de son canon, le ministre de la Sécurité publique Vic Toews, déposait en Chambre son projet de loi abolissant le registre des armes à feu. Ainsi, toutes les armes pourront circuler librement, exception faite des armes prohibées ou à utilisation restreinte (les armes de poing dont la longueur du canon est de 105 mm ou moins est interdite, alors que tout autre arme de poing est restreinte par exemple). Si vous faites l’équation, cela laisse la carabine ou le fusil de chasse ordinaire

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sans condition d’utilisation, libre d’enregistrement, soit 91% des 7,3 millions d’armes en circulation actuellement. Par comparaison, en France, les armes longues de type carabine doivent être enregistrées auprès de la police. Cela a été fait maintes fois, mais il semble essentiel de revenir sur la tuerie de Polytechnique pour expliquer des contestations à cette mesure. Dans son communiqué de presse, polysesouvient.ca, le groupe des étudiants et des diplômés de l’École Polytechnique pour le contrôle des armes, rappelle que c’est une arme non-restreinte comme le Ruger Mini-14 qui a été à l’origine du massacre en 1989, des armes que Stephen Harper qualifie d’insignifiants «fusils à canards». Si l’on fait les comptes, il semblerait que le registre coûte cher à maintenir. Le corps policier le consultait avec succès, mais il n’était pas mis à jour depuis 2006, donc serait vite devenu obsolète de toute façon. Pourtant, le gouvernement fédéral au pouvoir veut non seulement détruire le registre des armes, mais en plus, il veut s’assurer que les données recueillies jusqu’à présent soient réduites à néant. Fini. Finish. Finito. Tout ce qui a été utile, toute la paperasse qui a été recueillie, tous les efforts et, finalement, l’argent investi dans ce registre seront perdus. Pourquoi? Le gouvernement Harper ne veut même pas qu’il y ait transfert des données vers les provinces. Pourquoi? Selon Vic Toews, «nous ne laisserons pas ces données en suspens pour permettre qu’un nouveau registre des armes d’épaule soit créé à la

première occasion venue», soit par le NPD, l’opposition officielle. Le Bloc québécois, lui, soutient fermement sa position contre le nouveau projet de loi. Depuis 2009, le discours n’a pas changé: «tous s’entendent pour dire que le contrôle des armes à feu est un élément essentiel d’une lutte intégrée et efficace contre la criminalité.» Une position qui reflète bien ce que pense une bonne partie de la population québécoise qui en a encore gros sur le cœur avec le drame de Polytechnique, mais aussi avec la fusillade au collège Dawson. La cerise sur le gâteau: le projet de loi C-19 annonce la destruction complète des données de manière impromptue puisque le projet de loi S-5, présenté l’an dernier, n’en contenait rien, tout ça pour s’assurer que personne ne puisse reprendre le travail déjà entamé. Mais la question n’est pas là. Les conservateurs, en adoptant ce projet de loi, montrent que le Québec et l’opposition n’ont à peu près pas de poids dans les décisions. Les conservateurs nous montrent, encore une fois, qu’ils n’ont aucun respect de ce que 24% de la population canadienne pense. C’est en effet rire au nez de tous que d’empêcher la survivance du registre des armes à feu. Alors que le gouvernement Harper prône un pays ultra-sécuritaire avec ses mesures drastiques d'emprisonnement, n'y a-t-il pas là une contradiction flagrante? En fait, le parti promeut l’intervention individuelle plutôt que la prévention collective, une idéologie qui ne sied pas si bien au Québec.x

rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Anabel Cossette Civitella Actualités actualites@delitfrancais.com Chef de section Emma Ailinn Hautecœur Secrétaire de rédaction Florent Conti Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Raphaël D. Ferland Secrétaire de rédaction Alexis Chemblette Société societe@delitfrancais.com Francis L.-Racine Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Xavier Plamondon Coordonnateur visuel visuel@delitfrancais.com Alice Destombe Infographie infographie@delitfrancais.com Coordonnateur de la correction correction@delitfrancais.com Anselme Le Texier Coordonnateur Web reso@delitfrancais.com Nicolas Quiazua Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Collaboration

Émilie Blanchard, Jonathan Brosseau, Martine Chapuis, Rouguiatou Diallo, Laure HenriGarand, Alexandra Gosselin, Nicolas Magnien, Annick Lavogiez, Luba Markovskaia, Margaux Meurisse, Victor Sylvestrin Racine, Lucas Roux, Athéna Tacet, Jean-François Trudelle

Couverture Dessin: Alice Des Montage: Xavier Plamondon bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et Gérance Boris Shedov Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Joan Moses Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Tom Acker, Emilio Comay del Junco, Humera Jabir, Anthony Lecossois, Whitney Malett, Dominic Popowich, Sana Saeed, Mai Anh Tran-Ho, Will Vanderbilt, Aaron Vansintjan, Sami Yasin

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CAMPUS

Franchir le pas

Actualités actualites@delitfrancais.com

Concordia se dote d’un nouveau service pour les victimes d’agressions sexuelles. Athéna Tacet Collaboration spéciale

La plupart des étudiants de Concordia interrogés n’étaient pas au courant de cette initiative. «Je n’arrive pas à croire que Concordia n’ait pas de réelle politique face à ce genre de problème» s’indigne Amina Farhat, étudiante de deuxième année en finances à l’école de gestion John-Molson. «Le centre sera financé par Concordia, c’est-à-dire par nous, les étudiants», souligne David Van Werthe, en dernière année de génie mécanique, «pour une fois, j’aurai l’impression que l’argent que je donne à Concordia et à ses associations sera utile à quelque chose!» De son côté, l’Université McGill a déjà son propre centre depuis 1991: le SACOMSS (Sexual Assault Centre of the McGill Students’ Society), a été créé à la suite d’une affaire de viol au sein de la fraternité Zeta Psi en 1988. x

Université d’Ottawa

uOttawa

PORTES OUVERTES AUX ÉTUDES SUPÉRIEURES Jeudi 3 novembre 2011 au Centre universitaire

APPRENEZ-EN PLUS SUR : » Les programmes de maîtrise et de doctorat » Les critères d’admission » Les bourses et l’aide financière Venez rencontrer les représentants de nos facultés et services lors du salon de l’information.

Jusqu’à 85 $ en allocation de déplacement pour les étudiantes et étudiants qui viennent de l’extérieur pour assister à cet événement à l’Université d’Ottawa. Veuillez vous inscrire à decouvrezuOttawa.ca/portesouvertes.

»

Retrouvez Le Délit chaque jeudi à 7h sur CKUT 90,3

le par l’un de ses professeurs de langues il y a trois ans, de témoigner. «Je devais travailler avec l’un de mes professeurs sur un projet» dit-elle. «Il a fermé la porte de son bureau, ce que les professeurs ne font généralement pas, mais ce n’est que lorsqu’il s’est approché de moi et qu’il m’a touché la cuisse et caressé la main que j’ai compris ce qui se passait. Tétanisée, je suis restée sans voix et incapable de bouger. Je n’ai ensuite pas su à qui m’adresser. J’ai voulu porter plainte mais il m’a fait comprendre que je détruirais sa carrière et sa vie de famille. Je suis rassurée de voir que Concordia commence enfin à prendre ce sujet au sérieux, afin que d’autres victimes aient tous les moyens nécessaires pour exprimer leur trauma et dénoncer leur agresseur.»

rec@delitfrancais.com

E

n vue des problèmes de harcèlement et d’agressions sexuelles que subissent les étudiants, les membres de l’Union des étudiants de Concordia ont voté il y a deux semaines pour la création d’un centre spécialisé dans le conseil et l’aide aux victimes. L’Union révèle qu’en moyenne, au moins une jeune femme sur six a été victime d’agression sexuelle durant ses années universitaires. «Concordia n’a pas encore de politique qui s’adresse de manière spécifique et efficace au problème d’abus sexuel» a déclaré Laura Ellyn, de l’Association des étudiants de Concordia pour une communauté universitaire plus sûre (Concordians for a Safer University Community).

Les règlements de l’université ne soulignent pas présentement la différence fondamentale qui existe entre une agression sexuelle et le harcèlement sexuel. «Cela représente un problème de fond, étant donné que sans l’existence d’une distinction légale entre les deux crimes, il nous est impossible de mettre en évidence le nombre d’agressions qui ont lieu chaque année à Concordia» ajoute-t-elle. Le centre est une initiative d’un groupe d’étudiants souhaitant promouvoir l’égalité des sexes: le 2110 Centre for Gender Advocacy. Il devrait être financé dans les mois à venir par l’administration de Concordia. Il va également permettre à des étudiants comme Sofia B., victime d’agression sexuel-


par McKenzie Kibler

Occupons Montréal CAMPUS

Par et pour vous

L’Association étudiante de l’Université McGill lance un concours: qui seront les créateurs du café dirigé par et pour des étudiants? Anabel Cossette Civitella Le Délit

O

mer Dor est fébrile depuis le lancement de l’Inter-Faculty Case Competition in Sustainability. En tant que responsable du projet, l’étudiant en dernière année de son baccalauréat en biologie est très enthousiaste à l’idée de participer à la sélection de ceux qui élaboreront le premier café étudiant complètement indépendant de McGill, profitable sur le long terme et vert. Le concours implique la participation étudiante de toutes les facultés à tous les niveaux en les invitant à joindre leurs idées afin de créer un business bien à eux. Aux yeux de l’Association étudiante (AÉUM), le café devra remplir trois exigences: il devra être un endroit où il fait bon s’asseoir et se détendre, mais aussi une plateforme d’apprentissage et de réseautage où toutes les facultés pourront y trouver leur compte, le tout dans une optique de développement durable. Une idée sur mesure Avant de parler du café luimême, il est important de construire une base solide. C’est pourquoi l’AÉUM lance un concours pour recueillir les idées des étudiants in-

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téressés. L’application au concours est en fait un court formulaire à remplir, ciblant les plus motivés. En 400 mots, les participants doivent décrire ce qui les passionne à l’idée de participer au premier café étudiant vert et durable sur le campus. Des étudiants de toutes les facultés seront à la tête de ce projet, qu’ils soient familiers ou non avec le concept de développement durable, de marketing, d’architecture ou d’ingénierie. «Ce qu’on veut, soutient Omer, ce sont des étudiants qui sont motivés, qui sont prêts à porter des idées originales.» Une fois les candidatures recueillies (date limite étendue au 18 novembre), le comité de travail les évaluera, et sélectionnera soixantedouze participants qui se démarquent. Ces derniers seront répartis en groupes de six personnes qui élaboreront ensemble la vision qu’ils ont d’un café durable et, surtout, en quoi leurs idées se démarquent des autres groupes. Les membres du comité permanent choisiront les six propositions les plus intéressantes qui passeront en phase deux du projet. En janvier, les groupes seront reformés pour concrétiser leurs idées, notamment en créant un plan financier. Ils seront alors encadrés par des mentors. «Nous sommes très chanceux de pou-

voir compter sur des leaders en développement durable. Ils sont d’ailleurs extrêmement enthousiastes à l’idée de partager leur expérience avec des jeunes!» soutient Omer. Mentors et juges, voilà ce à quoi se sont engagés Henry Sauvagnat, vice-président du département de développement durable pour Cascades Inc., Amélie Piché, en charge des relations communautaires et de la fondation TD des Amis de l’environnement pour le Groupe Banque TD et Jean-Philippe Renaut, conseiller senior de la firme Dessau pour le développement durable et la responsabilité sociale de l’entreprise. Ils seront rejoints par trois autres juges qui restent encore à déterminer. Du neuf avec du vieux Une telle idée ne date pas d’hier. Shyam Patel, le vice-président aux finances de l’AÉUM, rêvait d’un café étudiant avant même d’être élu. Maintenant que l’initiative est annoncée, il pense déjà à la postérité du projet. «Je prépare déjà un dossier pour celui ou celle qui me succédera. Nous nous donnons deux ans, mais je veux m’assurer que le café étudiant se réalisera.» Pour Omer non plus, il ne fait aucun doute que le projet connaîtra une fin heureuse. «Nous

sommes extrêmement enthousiastes à l’idée de bâtir un lieu de rencontre pour tous les étudiants, quelle que soit leur faculté» s’exclame-t-il. Comment peuvent-ils être aussi sûrs de leur réussite? Comment y croire après la mort de Haven Books et la débandade entourant l’Architecture Café qui a lui aussi cessé d’exister l’an dernier sous les pressions de l’administration? «Le Haven Books était dirigé par des étudiants mais n’était pas bien géré» rappelle Shyam Patel. Comme de fait, la librairie étudiante a dû fermer boutique lorsqu’elle a perdu toute profitabilité. Même son de cloche à l’Arch Café, un lieu de rencontre sympathique qui ne rapportait rien à l’école. L’université avait d’ailleurs trop de pouvoir sur l’Arch Café soutient le VP finances. Il clarifie la situation: «Le café étudiant ne sera pas une réponse au Arch Café, mais plutôt une réponse à la demande étudiante». De plus, contrairement à l’Arch Café qui aurait pu être vu comme un compétiteur du service de restauration de McGill, le nouveau café étudiant misera plutôt sur un échange d’idées et une collaboration à long-terme avec les cafétérias mcgilloises. En effet, le service de restauration de McGill

a fait un virage vert ces dernières années (voir «Certifié Vert», édition du 27 septembre dans le Délit) et le nouveau salon étudiant pourra certainement en profiter. Lorsqu’il a discuté avec Maggie Knight, au sujet du futur café étudiant, Olivier de Volpi, Chef exécutif des Services de restauration McGill a manifesté son enthousiasme: «Je suis très heureux de leur initiative. Nous sommes d’accord avec leur vision et avec les changements qu’ils veulent apporter. Ce ne sera pas une collaboration, car c’est vraiment leur projet, mais nous serons prêts à les soutenir.» Le chef cuisinier donne en exemple que les services de restauration pourrait offrir des formations à Midnight Kitchen, la popotte végétalienne du campus. «Ça fait longtemps que McGill critique l’AÉUM de ne pas avoir ce genre d’endroit. Maintenant que nous avons les fonds, les plans, les idées, il n’y a aucune raison de nous empêcher d’aller de l’avant.» L’homme aux finances de l’Association ajoute toutefois que certaines frictions pourraient survenir entre les autres locataires et le propriétaire du bâtiment Shatner. Ainsi, l’emplacement du café reste encore inconnu. x La date limite du concours est repoussée jusqu’au 18 novembre. Info: ssmucasecomp.com

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RÊfÊrendum d’automne

Campagne ĂŠlectorale : du 31 octobre au 9 novembre PĂŠriode de scrutin : du 4 novembre au 10 novembre Questions rĂŠfĂŠrendaires:

Ques on rĂŠfĂŠrendaire sur le renouvellement des frais exigĂŠs par GRIP-McGill ĂŠtes-vous d’accord pour que GRIP-McGill demeure une ac vitĂŠ ĂŠtudiante reconnue en offrant un montant de 3,75 $ par session pour les ĂŠtudiants Ă temps plein, des frais qui ne seront pas affichĂŠs sur Minerva en tant que dĂŠsinscrip bles mais qui seront remboursables par l’entremise directe de GRIP-McGill, sachant qu’une majoritĂŠ de votes ÂŤ non Âť mènera Ă la fin de toute subven on ĂŠtudiante pour GRIP-McGill?

Ques on rĂŠfĂŠrendaire sur le renouvellement des frais exigĂŠs par CKUT ĂŠtes-vous d’accord pour que CKUT demeure une ac vitĂŠ ĂŠtudiante reconnue en offrant un montant de 4 $ par session pour les ĂŠtudiants Ă temps plein, des frais qui ne seront pas affichĂŠs sur Minerva en tant que dĂŠsinscrip bles mais qui seront remboursables par l’entremise directe de CKUT, sachant qu’une majoritĂŠ de votes ÂŤ non Âť mènera Ă la fin de toute subven on ĂŠtudiante pour CKUT?

Des informa ons concernant les dates et emplacements des bureaux de vote seront diffusÊes prochainement par courriel et sur ssmu.mcgill.ca/elec ons Pour toute ques on, contactez Élec ons McGill: elec ons@ssmu.mcgill.ca


CAMPUS

Débat sur la question référendaire Temps forts autour de la question du GRIP-McGill

L

e GRIP-McGill, Groupe de recherche d’intérêt public du Québec à McGill, sera soumis à un référendum auprès des étudiants de premier cycle. En question le renouvellement de la cotisation de 3,75 dollars par étudiant et par semestre. Le Délit reçoit trois étudiants qui débattent de la question. Jean Francois Trudelle, étudiant en économie et finances, rédacteur en chef du Prince-Arthur Herald, membre du Parti libéral du Québec, représente le non. Simone Lucas, étudiante en informatique, représentante du comité du oui. Camillia el-Achqar, étudiante en études des femmes et en communication, représentante du comité du oui. Pourquoi les étudiants devraient voter contre. JFT: C’est une question d’idéologie. Le GRIP-McGill ne représente pas la majorité des opinions des étudiants. […] Si le GRIP-McGill veut vraiment financer le type d’activités qu’il finance, s’ils croient réellement que leur mission est noble je pense que les étudiants se rendront à l’évidence et donneront volontairement. Actuellement les gens payent par défaut; je pense qu’une campagne opt in est beaucoup plus honnête et plus transparente pour les étudiants. La représentation des étudiants SL: On entend souvent cet argument que la majorité des étudiants

ne sont pas représentés. Le GRIPMcGill est tout d’abord fondé par les étudiants et organisé par les étudiants. Notre conseil d’administration est élu chaque année par les étudiants. On emploie des étudiants. […] Les groupes de travail que nous soutenons sont des groupes étudiants. Séparer le GRIP-McGill des étudiants, c’est de la désinformation. Radical JFT: Marche anticapitaliste, Tadamon! qui supporte la campagne BDS [boycott, désinvestissement et sanctions, NDLR] contre Israël, la semaine contre l’apartheid. Il y a une position clairement anti-israélienne. Ou encore le groupe anti-gentrification. J’ai fait des recherches à leur sujet et ils avaient fait une fausse alerte à la bombe qui avait mobilisé les forces de police. Donc je me demande si c’est vraiment une bonne chose que ce genre de groupes soit financé par des étudiants. C’est ce que j’appelle être radical. On peut être critique du capitalisme mais au point d’être anti-capitaliste, je ne sais pas. On peut être critique d’Israël sans être anti-israélien.

revient très souvent. C’est un sujet très controversé. Mais leur mandat est également contre l’antisémitisme, la discrimination faite aux femmes; contre toute forme de violence. […] Nous croyons vraiment en la diversité d’opinions et que, même si on peut être en désaccord, la discussion sur l’apartheid, sur l’anti-gentrification est d’une grande valeur. N’importe quel étudiant peut nous approcher pour discuter de telle ou telle problématique et nous avons des structures en place pour les écouter et les inclure dans le débat. Donc ce que nous offrons aux étudiants c’est la discussion, c’est la diversité d’opinions.

projet de recherche. Un exemple très tangible de notre action.

JFT: On connaît la rhétorique, c’est toujours une rhétorique de confrontation, de révolution, de destruction du système actuel pour l’émergence de je sais trop quoi. Ce n’est pas un service. Ça ne sert à rien.

CEA: La façon dont nous récupérons les cotisations des étudiants, c’est la possibilité pour n’importe quel étudiant qui a un projet qui est mal représenté dans la communauté mcgilloise, qui ne va pas recevoir de financement à un autre endroit mais qui correspond à notre mandant d’anti-oppression, d’avoir un appui. Le système de santé fonctionne de la même façon: tout le monde cotise, qu’on l’utilise ou non, parce que cela permet à la société de mieux fonctionner. Le GRIP-McGill enrichit la vie étudiante et permet la réalisation de projets qui ne pourraient exister autrement.

On parle souvent de Tadamon!

CEA: Un des services principaux que nous offrons, c’est le soutien que nous apportons aux groupes indépendants. On a des résultats incroyables par exemple avec Tadamon! qui se bat pour les droits de l’Homme autant au Moyen-Orient qu’ici.

SL: Notre mandat est d’être contre toute forme de discrimination, que celle-ci soit fondée sur la race, le genre, l’orientation sexuelle ou la religion. Je ne pense pas que ce soit radical, c’est juste les droits de l’Homme. Le nom de Tadamon!

SL: On propose également de la formation à nos groupes, des espaces de travail, de réunion. Notre programme CURE (Community University Research Exchange) aide les étudiants qui sont à la recherche de financement pour un

J

e vous écris afin de souligner le besoin de l’existence du GRIP-McGill (QPIRG) au sein de la communauté mcgilloise. Le GRIP-McGill est un groupe réunissant de nombreux clubs et organisations sur le campus dirigés par des étudiants cherchant à avoir un rôle actif dans leur communauté. L’aide qu’a offerte le GRIPMcGill à ces associations, à la fois logistique et économique, est non seulement indéniable, mais aussi a toujours été appréciée des étudiants. Cela ne doit pas être oublié. Il est important de comprendre que si la population étudiante se désengage des frais du GRIPMcGill (opt out), cela affectera sans aucun doute le degré auquel les étudiants pourront s’exprimer sur le campus, ne serait-ce qu’en termes du nombre d’organisations survivant une telle perte.

6 Actualités

JFT: Je pense que la possibilité d’opt out est une bonne chose mais je pense que l’on devrait aller plus loin. Il faudrait un système d’opt in. Si des gens croient sincèrement qu’Israël fait de l’apartheid, que le capitalisme est le démon incarné et toute la suite de valeurs dont le GRIP-McGill fait la promotion, eh bien ils donneront. C’est sûr qu’ils n’auront plus beaucoup d’argent mais ça en dira beaucoup sur le soutien qu’ils ont du corps étudiant à McGill.

JFT: Le GRIP-McGill fait de la politique. Ce n’est pas un service. Je pense qu’ils n’ont pas à faire de la politique avec l’argent des autres,

CEA: Tu dis que nous faisons de la politique, je dirais plutôt que nous travaillons pour une société plus juste au niveau environnemental et social. On peut avoir l’impression que nous prenons toujours une position controversée mais dans le passé nous avons par exemple pris position pour le recyclage, avons été qualifiés d’extrémistes. Aujourd’hui, le recyclage est la norme. SL: De même, nous étions les premiers à avoir pris position contre l’apartheid en Afrique du Sud, on nous traitait d’extrémistes. J’encourage tous les étudiants à s’informer, à venir à nos événements. Voter «oui» parce que nous sommes un service et que sans le GRIP-McGill, l’université ne serait pas la même. x

Retrouvez l’enregistrement de l’intégralité du débat sur delitfrancais.com Propos recueillis par Anthony Lecossois

NON

OUI Nicolas Magnien

Opt-in opt-out

de personnes qui ne croient pas nécessairement à la cause. […] Ils disent se battre pour la justice mais la justice est un concept extrêmement difficile à définir. Le GRIPMcGill se bat pour leur conception de la justice. C’est donc de la politique.

J’aimerais aussi rappeler que, par le biais de son financement et de sa participation à des activités liées au thème de la justice sociale, le GRIP-McGill remplit un rôle que l’administration de McGill n’assume pas. Par exemple, grâce à son financement du journal KANATA, le GRIPMcGill, contribue non seulement à la perpétuation de bonnes relations entre communautés autochtones et non-autochtones, mais ajoute surtout sa voix en faveur de la création d’une mineure en Études autochtones, programme que l’administration refuse toujours de créer. Pourtant, il est démontré chaque année, et de manière grandissante, qu’un tel programme intéresserait les étudiants; pour en témoigner, il suffit de voir le nombre de nouveaux cours liés aux questions autochtones créés dans la Faculté des Arts au cours des trois dernières années.

Enfin, je crois sincèrement que la campagne contre le financement dont est victime le GRIP-McGill (opt-out campaign) profite de l’ignorance de nombreux étudiants sur des sujets dont ils n’ont peut-être jamais même entendu parler. Je ne blâme pas l’étudiant lambda qui trouve dans cette campagne une solution mineure à son endettement, mais je l’accuse d’«opter» pour un raccourci intellectuel avec l’excuse d’économiser 7,50 dollars par année. Si tel est le cas, je trouve cela déplorable. Si les étudiants veulent réellement avoir une voix sur le campus, peutêtre devraient-ils faire leur propre enquête avant de prendre quelque décision que ce soit. Ainsi, étant donné la pertinence de la place du Groupe de recherche d’intérêt public de McGill au sein de la vie étudiante, je crois qu’il devrait continuer d’être considéré comme étant un service important pour lequel nous devons tous payer.

Jean-François Trudelle

R

etirer le pouvoir aux étudiants de se retirer du financement du GRIPMcGill par Minerva serait de l’abus. La stratégie du groupe radical est évidente: il s’agit de profiter d’un biais psychologique chez l’être humain. William Samuelson et Richard Zeckhauser l’ont appelé le «biais du statu quo». C’est ce biais qui fait que vous ne vous désabonnez pas des revues que vous ne lisez pourtant pas et que vous vous asseyez toujours à la même place en classe. Il est évident que bien des étudiants de McGill ne réclament pas leur argent même s’ils ne sont pas intéressés à financer le GRIPMcGill, tout simplement parce qu’ils doivent prendre l’initiative de le faire. Imaginez maintenant si vous rendez la chose encore plus difficile pour ces derniers. Il est évident que cela va découra-

ger ceux qui désapprouvent les actions du GRIP-McGill! De plus, cela ne va que donner une occasion de plus aux membres de l’organisation pour faire valoir à quel point ils sont bons, en négligeant de mentionner les actions les plus radicales dont ils font la promotion. Pourquoi abuser des défauts de l’être humain pour obtenir de l’argent pour supporter des groupes comme Tadamon!, des grands admirateurs du Hezbollah? Ou à des manifestations anticapitalistes comme celle de ce 3 novembre? Ou à faire l’acquisition d’ouvrages radicaux pour les Alternative Libraries? Ne prenons pas les gens pour des valises: peu d’entre nous soutiennent un agenda aussi radical, même si le GRIP-McGill tente de se camoufler derrière sa supposée ouverture aux homosexuels, aux communautés «victimes de racisme», aux femmes et ses prétendus services à la communauté.

x le délit · le mardi 1er novembre 2011 · delitfrancais.com


SPORT

Entre sport et études

L’hiver qui approche va-t-il obliger les sportifs de McGill à mettre leur équipement au placard? Victor Silvestrin Racine Le Délit

L

uce Bourbeau et Laurent Tardif sont deux sportifs qui représentent l’université; Luce en est à sa deuxième année d’aviron, Laurent à sa dixième année de football américain. L’une étudie en sciences politiques, l’autre en médecine. Pour ces deux athlètes qui étudient tous les jours, l’organisation et la discipline sont des éléments centraux de leur réussite respective. Pour illustrer cette motivation, il faut regarder de plus près l’horaire imposé aux athlètes qui, comme dans le cas de Laurent, doivent se présenter à des réunions d’équipe à 7 heures chaque matin de semaine. Cette réunion d’une heure est conjuguée à deux heures d’entraînement quotidien à la fin de la journée en plus de son program-

me de médecine de 30 heures de cours par semaine. Dans le cas de Luce, c’est 15 heures d’entraînement en plus de son programme universitaire. Une somme de travail colossale, mais nécessaire pour la réussite tant sur le plan sportif qu’académique. Sur ce dernier plan, les sportifs jouissent du privilège de pouvoir reporter leurs examens lorsqu’ils sont en compétition à l’extérieur de la région, mais n’ont aucun passe-droit sur la remise des essais. Une situation qui demande encore plus d’organisation comme le souligne Luce: «Quand on se déplace, on ne manque généralement que le vendredi, mais on doit s’organiser pour reprendre ce qu’on a manqué, à moins que ce ne soit un examen». La sélection des athlètes se fait sur la base de camps de sélection comme dans le cas de Luce, qui a participé à des essais au début de sa première année

d’université afin de faire partie de l’équipe. Autrement, ils sont directement contactés par les entraîneurs-chefs l’année précédant leur entrée à l’université. Ce processus permet ainsi aux entraîneurs-chefs de convaincre les meilleurs athlètes des cégeps ou des écoles secondaires de se joindre à leur programme. Bien que l’université ait un

total de vingt-neuf programmes de sport étudiant, tous ne sont pas reconnus ou ne sont pas des programmes dominants dans leur discipline respective. Pour Luce, McGill «a le seul programme [d’aviron] véritablement compétitif au Québec» et la proximité avec les États-Unis permet «parfois la participation à de grosses régates comme celle de Boston ou de Philadelphie», un privilège certain si l’on compare aux autres universités québécoises Dans le cas de Laurent, bien que le programme jouisse d’une réputation (ce sont des étudiants de McGill qui ont joué la première partie de football américain moderne au Massachusetts en 1874), il peine à retrouver le niveau de compétitivité d’avant le scandale du bizutage de 2005. Le scandale de 2005 avait conduit l’université à suspendre six joueurs de l’équipe de football en raison de comportements interdits lors des

initiations et à annuler le reste de la saison de l’équipe. Depuis lors, l’équipe et le programme sont plongés dans un marasme sportif. Cependant, pour Laurent «la ligue québécoise est de loin supérieure en football au reste des ligues dans le pays». Pour tous ces athlètes, c’est le désir de dépassement de soi qui est le moteur de leur réussite et de leurs accomplissements sportifs. Comme le mentionne Laurent, «garder un esprit sain dans un corps sain, le désir de rester en forme et l’esprit de corps d’une équipe» sont des facteurs déterminants dans la motivation de chacun des joueurs et la victoire, bien que gratifiante, n’est pas le facteur de motivation principal pour les athlètes. «Ne pas gagner, c’est dur le jour même, mais jouer, c’est déjà gagner, et je m’y plais entièrement» conclut Laurent. x Retrouvez la série Sport dans les numéros du 8 et 15 novembre.

passée la torpeur centriste, peutêtre que des lueurs de courage politique perceront le brouillard de guerre. D’ailleurs Brian Topp a été le premier à épater la galerie en prêchant une hausse générale des impôts. Évidemment, c’était un secret de polichinelle, mais pour une fois qu’on ne nous prend pas pour des gros colons! Certes, monsieur Topp marche dans les pas des indignés. Toutefois son ambition de hausser la Taxe sur les produits et services témoigne de son sérieux: les taxes à la consommation ont beau être impopulaires, elles sont aussi les plus progressives. Courage, bon sens: même combat. À n’en pas douter, les spin doctors de Stephen Harper vont s’en donner à cœur joie. Mais si l’antisyndicalisme fait encore des heu-

reux, la diabolisation des impôts ne prend plus: dans le Pot-au-noir financier, mieux vaut être tous dans le même bateau que seul sur une chaloupe (chose qu’on oublie vite sous le soleil). Dans un sens, la disparition du «bon Jack» offre au NPD l’opportunité de rester dans le feu de l’action. Avec la course à la chefferie, le parti est certain de garder un pupitre dans les médias, à défaut d’avoir son mot à dire quant à la gouvernance du pays. Les Canadiens auront donc la chance d’être formellement introduits au b-a ba de la socialdémocratie, Canuck-style. Peggy Nash, Thomas Mulcair, Romeo Saganash, Nathan Cullen ou Paul Dewar, tous devront peindre l’horizon 2015 en orange, comme l’aurore d’un jour nouveau: égali-

taire, transparent, tolérant et durable. Bien sûr, on s’attend à désenchanter sans tomber des nues, on s’attend à ce que les feux de la rampe brûlent les ailes du parti. «Une firme proche du NPD a reçu de l’argent du fédéral pour les funérailles de Layton» apprend-on dans les journaux. Ah! «La compagnie a réalisé le travail pour 6 000$ de moins que ce qui leur avait été alloué». Oh… C’est du neuf, et il faut que ça continue. Le NPD doit remuer la houle idéologique du pays pour éviter les eaux dormantes qui ont conduit nos voisins d’en bas dans le marécage. L’Institut Broadbent, ce nouveau think-tank de gauche, devrait produire les premiers remous. À nous de nager dans les vagues. x

Alice Des

CHRONIQUE

Virage à babord

Lucas Roux | Morceau de pipeau

Les progressistes avaient matière à se faire un sang d’encre suite au décès de Jack Layton. Le Nouveau parti démocrate aurait pu sombrer avec son capitaine, sans que la vague orange ne puisse les pousser jusqu’aux

rivages de la gouvernance. Mais le parti a bravé la tempête, le vent toujours en poupe. Aussi Stephen Harper a-t-il chargé son sous-fifre au ministère du Travail, Lisa Raitt, de tirer des coups de semonce sur la gauche. D’abord Postes Canada, puis Air Canada, la cible syndicale est assez claire merci. Sans prendre de gants, Raitt souhaite insérer l’économie au chapitre des services essentiels dans le Code du travail –ou comment neutraliser le droit de grève! De toute évidence, les conservateurs sont décidés à protéger le fort: il n’y aura aucune reddition, aucune négociation. Comme promis, donc, le Parlement se polarise, et Ottawa pourrait bien devenir l’épitomé d’un Canada plus baveux qu’à l’habitude. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose:

BRÈVE

La Faculté des Arts prépare une Assemblée générale

L

’Association des étudiants de premier cycle de la Faculté des Arts (AÉFA) pétitionne présentement pour la tenue d’une Assemblée générale au sein de la faculté. Il est écrit dans sa constitution que l’Association doit organiser une assemblée par semestre, mais, de coutume, cela se fait bien plus rarement. Cette année, le campus est mûr pour la discussion politique, car des débats plus sensibles concernent directement les étudiants. Matthew Crawford, Sénateur de la Faculté des Arts dit

avoir eu des échos d’étudiants qui souhaitaient avoir un forum pour discuter à grande échelle, notamment de la hausse des frais de scolarité et de la grève de MUNACA. «Cela permettra aussi aux étudiants de mettre de l’avant d’autres problèmes qu’ils voudraient voir soulevés publiquement» ajoute-t-il. L’Assemblée devrait avoir lieu le 8 novembre 2011 à 6 heures. Il y aura, comme à l’AÉUM, un atelier d’écriture de motions le 1er novembre pour inciter les nouveaux à se joindre aux initiés de la politique

x le délit · le mardi 1er novembre 2011 · delitfrancais.com

étudiante dans cette entreprise. Pour ce faire, les Robert’s Rules seront quelque peu allégées pour garder une certaine formalité mais aussi rendre l’Assemblée générale plus ouverte. L’AÉFA a l’avantage de représenter un corps étudiant déjà très engagé, participant à beaucoup de discussions et activités politiques de l’AÉUM. Pourtant, le dernier conseil de l’AÉFA a démontré que les associations facultaires ne sont pas toujours complètement en symbiose avec les positions de l’AÉUM.

Une motion proposée par Micha Stettin, représentant de l’AÉFA auprès de l’AÉUM, avait divisé le conseil facultaire du 21 septembre. Quatorze conseillers avaient voté pour soutenir MUNACA dans son effort de grève, alors que quatorze votaient contre. Contrairement à l’AÉUM, l’AÉFA n’avait donc pas ajouté cette politique à son agenda. La venue de la grande manifestation nationale contre la hausse des frais de scolarité le 10 novembre risque aussi de créer la discorde. Bien qu’il revienne aux étudiants de décider

s’ils participeront à cette manifestation, la prise de position des associations facultaires peut renforcer ou inhiber celle de l’AÉUM, et même la participation du corps étudiant. Matthew Crawford assure que «si personne ne propose de motion, ces [deux] questions seront tout de même discutées à l’AG». L’initiative collective pour la tenue d’une AG cet automne vise également à «instaurer une culture politique active au sein de la faculté et sur le campus» suggère Crawford. x

Actualités

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Société societe@delitfrancais.com

Le PLC de Zachary Paikin Le Délit a eu l’opportunité de s’entretenir à cœur ouvert avec Zach Paikin. Après le McGill Four néo-démocrate, le PLC aura désormais un représentant de choix. Le Délit s’est entretenu avec Zach Paikin au sujet de sa campagne pour le poste de président de la politique nationale du PLC et de l’actualité. Le Délit (LD): Connais-tu Le Délit? Zach Paikin (ZP): Oui je connais bien Le Délit. D’ailleurs je le parcours souvent lorsque je ne suis pas focalisé sur ma campagne. Je suis très admiratif des membres du conseil de rédaction parmi lesquels je connais quelques personnes. LD: Cette campagne, nous allons évidemment l’évoquer. Tout d’abord, tu présentes ta candidature à un poste important au sein du Parti libéral du Canada. Quel est ce poste et en quoi consiste-t-il? ZP: Je me présente pour le poste de président de la politique nationale du parti. Il s’agit d’un poste très exigeant qui

consiste à engager des adhérents au parti, améliorer la capacité du parti à développer des plateformes innovantes et progressistes, ce qui facilitera la tâche de celui-ci. Aujourd’hui le Parti libéral souffre, il faut le rebâtir, même le redéfinir. Si j’obtiens le poste, je m’acharnerai à bien différencier les adhérents des militants. En effet, je juge que les militants, contrairement aux adhérents, doivent non seulement nous soutenir par la pensée, le vote, et la contribution financière mais aussi être engagés, déployer tous les efforts nécessaires pour que le parti prospère. Nous avons des militants qui ont flâné dernièrement, et en tant que président de la politique nationale du Parti libéral du Canada, je ne pourrai pas tolérer ça. Depuis que je suis en politique, l’engagement est une évidence, il doit en être de même pour tous ceux qui se considèrent militants.

LD: Quelle était ton implication au sein du Parti libéral du Canada avant de présenter cette candidature? ZP: J’adhère au parti depuis quelques années. Mon implication était surtout basée à Toronto; cependant, depuis que je suis à Montréal, évidemment, je suis bien plus engagé ici. LD: On voit souvent beaucoup de jeunes très engagés en politique, qui plus tard changent d’allégeance, ou même renoncent à la politique par dégoût. Qu’est ce qui t’a poussé à rejoindre le Parti libéral du Canada, hormis ta passion pour la politique? ZP: Si on analyse l’histoire de notre pays, il y a de toute évidence qu’un seul parti politique qui a su unir les canadiens lorsque les temps étaient durs, et peut aujourd’hui encore les unir: c’est le PLC.

Vous savez Sir Wilfrid Laurier, le premier ministre libéral à la fin du XIXe siècle, avait dit très clairement que l’enjeu le plus important et qui doit être adressé en priorité est l’unité nationale, car l’unité nationale enfante la cohésion, le rassemblement et le consensus, qui nous permettent d’établir les grandes réformes qui, à travers l’Histoire, nous ont toujours réussi. Il y a malheureusement actuellement une bipolarisation entre le Nouveau Parti démocrate et le Parti conservateur qui divise la société canadienne. Historiquement, le PLC est le seul parti qui a su mener une politique décentralisée tout en conservant la realpolitik et un État fort. Le PLC peut prendre un rôle de leadership parmi les Canadiens mais a aussi fait porter sa voix à l’international. L’ALÉNA et d’autres grands projets ont été consolidés grâce au Parti libéral. Pour

Alice Dés

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x le délit · le mardi 1er novembre 2011 · delitfrancais.com


répondre à ta question, j’ai peu de respect pour les querelles internes, et les querelles de petite politique. Je suis un adepte de la politique constructive non partisane, et le PLC reflète le plus cette idéologie. LD: Revenons au paysage politique canadien. Le PLC est-il selon toi un parti de gauche ou de droite? ZP: Le Parti libéral est un parti progressiste avec des «bold ideas». Je tiens à le dire car ça doit entrer dans la tête des gens. Certaines personnes le considèrent un parti du centre, alors que le centre est historiquement un parti qui s’est placé sur l’éventail politique en fonction de la gauche et de la droite. Comment le PLC peut-il être du centre alors qu’il est en vérité un parti d’avantgarde progressiste? La sécurité sociale, c’est nous. La santé publique, c’est nous. Dois-je même rappeler que la Charte des droits et libertés, c’est nous encore? On est hors de l’éventail politique, on est en avance sur les autres. Le Parti libéral est celui qui a réussi à éliminer le déficit budgétaire. On a uni le pays et on l’a renforcé avec des gens de gauche, de droite et du centre. LD: À t’entendre, le Parti libéral c’est le général de Gaulle, un parti d’union nationale. Tu nous as rappelé toutes les grandes réformes politiques du PLC, je souhaite désormais évoquer le parti au pouvoir qui, lui, a été réélu contrairement au tien. Comment considères-tu la politique Harper? ZP: Il faudrait que nous fassions un entretien de trois jours pour évoquer tout ce qui ne va pas avec la politique de Stephen Harper mais je vais l’illustrer avec deux exemples. Premièrement, la politique de justice de Harper consiste à incarcérer la majorité des criminels. Les sentences sont excessivement dures envers les jeunes qui résultent par des dépenses de milliards de dollars pour la construction de prisons qui illustrent bien le tournant sécuritaire qu’a pris Harper. Mettre des gens en prison, cela crée inéluctablement un cercle vicieux, qui annule totalement la réinsertion de ces jeunes, et ajoute accessoirement un grand coût pour le budget national qui, je vous le rappelle, est financé par les citoyens canadiens. Deuxièmement, par rapport aux finances publiques du pays, sous le gouvernement Harper, le déficit budgétaire a incontestablement augmenté. Les conservateurs réduisent les impôts, ce qui diminue les recettes fiscales et par conséquent tendent vers le déficit budgétaire. Le Parti libéral sous Jean Chrétien et Paul Martin avait eu des surplus dans le budget. LD: Parlons du raz de marée des dernières élections, la vague orange comme on la surnomme. Elle a permis au NPD de ra-

fler plus de cinquante sièges au Québec et de former l’Opposition officielle à la Chambre des Communes, titre anciennement porté par le PLC. Le NPD accusait les libéraux et les conservateurs de faire partie du même système, d’être identiques et d’entretenir le bipartisme. Confirmes-tu cette analyse? ZP: Le raz de marée du NPD n’a rien à voir avec les similitudes entre le Parti conservateur et le Parti libéral. Ils ont certes prononcé des accusations de la sorte, mais si l’on regarde les résultats, les Canadiens n’ont pas pensé ainsi. C’est au Québec uniquement que le NPD a réellement percé. Il faut savoir que dans toutes les autres provinces du Canada, le NPD ne s’est pas ajouté plus de dix sièges. Le succès du NPD n’a en fait à voir qu’avec la décrépitude du Bloc québécois qui n’avait rien d’autre à proposer que la souveraineté du Québec. Les Québécois ont d’autres priorités, ce qui les a poussés à sanctionner le Bloc en votant NPD. Je leur reconnais néanmoins un certain succès, et je reconnais également que les partis libéral et conservateur ne proposent rien aux Québécois, alors que le NPD s’est montré pro-Québécois en promouvant des valeurs socialistes et nationalistes québécoises. LD: Sachant que le Parti libéral n’est plus l’Opposition officielle, quelles sont tes ambitions pour donner un nouveau souffle à ce parti qui est aujourd’hui en déliquescence? ZP: Le Parti libéral doit être ouvert et se présenter comme un parti où tous les adhérents peuvent s’exprimer. J’ai une plateforme avec trois points centraux qui essaie d’adresser tout cela et ces trois points sont sur mon site internet de campagne votepaikin.ca LD: Revenons au Québec. Le Québec s’est toujours distingué idéologiquement des autres provinces. Plus de justice sociale, une langue et une culture différentes, etc. Que veux-tu et que vas-tu faire pour ramener le Québec sous le giron du PLC connaissant aussi le vote historique des Québécois au PLC? ZP: Je suis tout d’abord très fier d’être résident québécois, je suis également très fier d’être le seul candidat à ce poste qui vient du Québec. Les intérêts du Québec ont terriblement changé; je suis certain que le Québec est conscient que ses intérêts seront mieux servis à travers le fédéralisme canadien. LD: Au Québec, la culture et les arts sont considérés comme une priorité et cet attachement est symbolisé par un ministère. Question historique inévitable: veux-tu promouvoir plus d’art et de culture au Québec comme certains le réclament ardemment?

ZP: Je t’arrête tout de suite, il ne manque pas de culture au Québec, il faut être de mauvaise foi pour propager des commentaires de la sorte. Les Québécois sont une minorité certes admirable et essentielle mais obtient tout de même des fonds conséquents et même disproportionnés. Je soutiens cette disproportion car le Québec a une place particulière au Canada, mais je ne souhaite pas accentuer celle-ci. Il n’y a pas de carence culturelle, il n’y a qu’à se balader dans Montréal pour l’observer. LD: Il y aurait selon tes propos une fierté nationale Canadienne au sein du Québec. Tu irais même jusqu’à dire un patriotisme canadien digne de celui de la France ou des États-Unis par exemple. Un Québécois serait fier d’être canadien comme un Alsacien serait fier d’être français? ZP: Je suis content que tu me poses cette question; il y a un changement extraordinaire au Québec aujourd’hui. 80% des Québécois se déclarent fiers d’être canadiens. Il y a un patriotisme canadien, c’est évident. Il y a un destin canadien et un héritage commun, c’est aujourd’hui encore plus flagrant. Il n’y aura pas de référendum, les Québécois en ont marre de tout cela; ils veulent parler éducation, santé, économie. LD: À t’entendre, l’option souverainiste serait-elle obsolète? ZP: Je ne pense pas que ce soit obsolète, mais c’est assurément secondaire. Ça se voit avec la fragmentation du PQ. LD: Prônerais-tu une fusion avec le NPD? ZP: Non, pas du tout. Je ne suis pas pour une alliance avec qui que ce soit. Je veux un gouvernement majoritaire libéral, et je travaille dur pour cela. En cas d’un gouvernement minoritaire, on pourrait éventuellement discuter, mais le NPD et le Parti libéral sont clairement distincts; ils ne convergent sur aucun sujet. Une alliance n’est absolument pas envisageable. Je souhaite un gouvernement libéral majoritaire, afin d’éviter des élections tous les deux ans. LD: Avec toi, le PLC s’ouvrira aux Canadiens, mais pas aux partis politiques? ZP: J’ouvrirai volontiers la porte du Parti libéral aux adhérents déçus des partis conservateur et néo-démocrate et du Bloc québécois. Je suis prêt à débattre, à écouter les idées des uns et des autres, mais le Parti libéral a une grande plateforme politique, que je m’acharnerai à faire progresser sans cesse si je suis élu; mais je ne veux pas entrer dans des jeux d’alliances à vocation électorale uniquement. x Propos recueillis par Alexis Chemblette

La Présidence du Comité de la plateforme et des politiques Le Comité national de la plate-forme et des politiques est élu au congrès biennal du Parti libéral du Canada. Le président de comité gère l’ensemble des mandats et des objectifs de ce comité. Le comité est central au développement des affaires politiques au sein du PLC. Ce comité a pour mission de fournir une tribune aux membres du parti qui leur permet d’avoir droit de parole et d’influencer les politiques et la plate-forme du Parti. Le comité est responsable de la coordonnation du processus d’élaboration des politiques dans toutes les provinces et tous les territoires en vue de maintenir un relevé écrit à jour des politiques du parti. Ces politiques établies, elles sont approuvées ultimement par le Chef et elles formeront le fondement de la plate-forme qui servira au moment des prochaines élections. Le comité de la plate-forme et des politiques est l’un des plus importants au niveau du développement des orientations du PLC pour les Canadiens.

Répartition des sièges après les élections de mai 2011 The Globe & Mail

Société

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CHRONIQUE

Du côté de chez Schwartz Marek Ahnee | Carnets Métèques

Un lavomatique niché au cœur du Plateau. Les murs sont ornés d’icônes orthodoxes et de cartes postales des îles égéennes. Madame K, l’excentrique patronne au fort accent hellénique, va et vient entre les machines, tout en conversant avec une connaissance.

«You know, my son always tells me, Mama, you should come live with us in Westmount, but ey, I’m too well in the Plateau». Coquetterie d’immigrée de longue date, teintée de sincérité. Pourquoi quitter ce flamboyant quartier de riche mémoire? Chaque matin, le boulevard Saint-Laurent semble émerger d’une lourde gueule de bois. Des chiens errent d’un trottoir à l’autre. Une vieille dame portugaise se rend à l’église. Quelques hipsters hantent les ruelles comme des conjurés. Quelques heures plus tard, le passant découvre un monde plus quotidien, loin des sirènes de Sainte-Catherine. On y trouve une ethnographie assez colorée d’un univers postglobal, où tous les styles se croisent au long des larges trottoirs. À l’abri des klaxons, entre Saint-

Laurent et Saint-Denis, quelques mouettes survolent des allées de maisons au charme discret. On avance sans le savoir dans un quartier fantôme, chaque mur dissimulant un émouvant spectre. Au Sud, ce sont les vestiges du monde de Michel Tremblay. Sur leur balcon, des fantômes de matrones attendent le retour du mari de l’usine, tricotant une écharpe ou égrenant un chapelet, s’apostrophant en joual d’une fenêtre à l’autre. Vers le Mile End, l’esprit de Mordecai Richler rôde encore et toujours. Dans le silence d’une vieille épicerie fermée, quelques ombres chantonnent en yiddish. Tout ce petit monde ne peut reprendre vie qu’entre les pages poussiéreuses d’un livre feuilleté, pour retomber dans l’oubli et la pénombre d’une librairie de seconde main.

Retour sur le Plateau du XXI e siècle après un voyage dans le temps. Le vieux bouquiniste et son camarade se remémorent le temps du Front de libération du Québec. Entre deux piles de reliures, Saint-Denis enneigé agit comme un aimant. Le marcheur sorti, la nuit tombe et les lumières se lèvent. Les enseignes s’allument et brillent. De tous les points cardinaux, le Plateau est un monde splendide, village au sein de la ville, où le temps semble arrêté. Pourtant, tout est en mouvement depuis une trentaine d’années. Les lieux changent. Le Plateau semble pris dans un mécanisme de changement effréné. Chaque friperie qui meurt se transforme en bar à tapas, les tavernes sont abandonnées aux succursales de

marques américaines. Les vitrines se dorent petit à petit, et les loyers montent comme la marée. Les familles les plus ancrées émigrent, laissant derrière elles quelques aïeux condamnés à devenir aussi des fantômes de leur propre vivant, dans un monde qui va trop vite. La traditionnelle pluralité ethnique et linguistique du quartier ne se révélera bientôt plus que dans des restaurants dignes d’une grande capitale. L’ancien quartier ouvrier coloré se métamorphose en un bastion bobo où va bon train un consumérisme décontracté, néanmoins intense. Les fantômes ont aussi des droits. Ceux du Plateau pourraient peut-être sortir de leur grenier, brandir une pancarte et joindre les indignés du Square Victoria. x

SPÉCIAL FRANCOPHONIE CANADIENNE Vous êtes un francophone à McGill et vous venez d’ailleurs au Canada? Racontez-nous votre histoire! Écrivez-nous pour paraître dans un dossier sur la francophonie. societe@delitfrancais.com

CHRONIQUE

Siya! Ich möchte un biglietto for Brussels, por favor Élise Maciol | Plume en vadrouille

Mon voyage en sauts de puce touche à sa fin. Après avoir visité la France, l’Irlande, l’Italie, la Belgique, l’Allemagne, la Hongrie, l’Autriche et l’Angle-

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terre, je vais enfin pouvoir m’installer aux Pays-Bas sans avoir à penser à ma prochaine destination. Ne vous méprenez pas: ces trois mois de voyage ont été pour moi une source intarissable de découvertes géniales, de rencontres inoubliables et d’euphorie totale. Cependant, on se lasse de tout –même des meilleures choses–, et les voyages n’échappent malheureusement pas à cette règle. Laissez-moi vous expliquer pourquoi. Au bout de quelques jours passés dans une toute nouvelle ville, on commence enfin à s’y reconnaître. Tout d’abord, on parvient à se repérer en plein

cœur d’un endroit dont les noms de rues nous étaient jusque-là étrangers. On peut ainsi retrouver sans trop de difficultés la maison, l’hôtel ou l’auberge de jeunesse où l’on séjourne. On progresse ensuite doucement en cercles concentriques de plus en plus éloignés du centre, jusqu’à ce qu’on parvienne à comprendre parfaitement la logique du système de transports en commun. Puis, on s’habitue peu à peu à la monnaie du pays et à son taux de change, aussi farfelu soitil. Enfin, si l’on est chanceux, on réussit à baragouiner quelques mots de cette langue qui nous paraissait si bizarre à notre arrivée dans ce nouveau pays.

Et puis tout d’un coup, paf! On se retrouve dans une autre ville… et tout est à recommencer. Après s’être habitué à saluer tout le monde d’un «buongiorno» et d’un «arrivederci» aux «r» roulées à la perfection, il faut maintenant dire «guten Tag» et «auf Wiedersehen» le plus naturellement possible. En plus de cela, le taux de change approximatif qu’on avait enfin fini par mémoriser –trois cents forints hongrois pour un euro, soit 1,40 dollar canadien– s’est soudainement transformé en un calcul abracadabrant qui donne huit euros pour sept livres sterling et des poussières. Croyezmoi, il y a de quoi attraper un mal de crâne carabiné!

Pour couronner le tout, on atterrit tout étonné dans une rue totalement inconnue après avoir suivi machinalement l’itinéraire gauche-droite-gauchegauche-droite-gauche qui devait infailliblement nous mener du métro à l’auberge de jeunesse. C’est une fois seulement arrivé dans cet endroit incongru qu’on se rend compte de son erreur: on est à Vienne, et non plus à Dublin… Enfin, peu importe! Car finalement, c’est en parcourant chaque grande ville au hasard de ses petites rues que l’on appréhende le mieux la culture du pays et qu’on en découvre les secrets les mieux gardés. x

x le délit · le mardi 1er novembre 2011 · delitfrancais.com


Arts&Culture

CINÉMA

artsculture@delitfrancais.com

Alfred Hitchcock: suspense rétro

Pour Halloween, le Cinéma du Parc présente quatre films du maître du suspense, Alfred Hitchcock: Vertigo, North by Northwest, Psycho et The Birds. Émilie Blanchard Le Délit

À

l’époque des interminables séries Saw, Hostel et Final Destination, les films d’horreur ont pris un mauvais tournant. Il n’est plus question d’intrigue ou de suspense, mais bien de sang, de chair et de morts sadiques et violentes. Les films d’Alfred Hitchcock sont rafraîchissants, parce qu’ils sont des classiques de suspense et de thriller psychologique. Vertigo (Sueurs froides) est sorti en 1958. Le détective Scottie Ferguson (James Stewart) démissionne de son travail puisqu’il croit avoir causé la mort d’un collègue à cause de son acrophobie (peur extrême des hauteurs). Une connaissance lui demande d’espionner sa femme, Madeleine (Kim Novak) ,qui prétend être possédée. Comme son nom nous l’indique, Vertigo cause des étourdissements et des vertiges. Les plans mettent l’accent sur les hauteurs et les spirales. Le film a été tourné dans la baie de San Francisco, ville des collines et du Golden Gate. Beaucoup de scènes sont filmées de très haut ou très bas et certains mouvements de caméra sont particulièrement rapides. De plus, l’histoire est difficile à suivre. En 1959, Hitchcock présente North by Northwest (La Mort aux trousses). Roger Thornhill (Cary Grant) est pourchassé par des hommes qui le prennent pour un certain George Kaplan. Il se lance dans une traversée des États-Unis afin de trouver ce fameux George Kaplan. Après Vertigo, Hitchcock voulait réaliser un film plus neutre et sans symbolisme. North by Northwest ressemble à un film de James Bond et aborde un des grands thèmes d’Hitchcock, l’innocence d’un homme accusé à tort. On appelle cela le suspense de la chasse à l’homme mystérieux. Psycho (Psychose) arrive dans les salles un an après North by Northwest. Marion Crane (Janet Leigh) vole de l’argent à un client pour son amant. En fuite, elle atterrit au Motel Bates et y rencontre le propriétaire Norman Bates (Anthony Perkins), un homme étrange qui entretient une relation dysfonctionnelle avec sa mère (Virginia Gregg). Marion connaîtra une fin tragique dans sa douche,

une scène classique du cinéma qui sera reprise partout dans le monde. Psycho est sorti au cours d’une période plutôt creuse de l’application du code Hays, qui empêchait les réalisateurs de faire des films trop sexuels, violents ou blasphématoires. Étant donné la diminution des restrictions cinématographiques, Psycho est souvent considéré comme un pionnier du slasher movie, où un psychopathe commet des meurtres en série à l’arme blanche. Toutefois, Hitchcock préférait travailler sur l’intrigue, le suspense et la cinématographie, et moins sur le sang, la violence et la décapitation. Contrairement à Vertigo dans lequel on misait sur les hauteurs, Psycho porte une grande attention sur la psychologie des personnages. Le film comporte donc plusieurs gros plans dans lesquels l’interprétation des acteurs est clé. Psycho a lancé la carrière d’Anthony Perkins, qui est remarquable dans le rôle de Norman Bates. Dans The Birds (Les Oiseaux), sorti en 1963, des oiseaux attaquent sauvagement les habitants de Bogeda Bay, en Californie. Après Psycho, Hitchcock cherchait une nouvelle idée d’épouvante et décida d’aborder le sujet de l’apocalypse. Pour angoisser davantage ses spectateurs, Hitchcock ne voulait pas donner une cause précise au comportement des oiseaux. Le film devait provoquer une peur primitive, c’est-à-dire d’être attaqué sans avertissement ou sans raison particulière. Il est donc normal pour un spectateur qui a vu The Birds d’être plus méfiant à l’égard des oiseaux. Chaque film de Hitchcock tente d’effrayer sans dégouter. Vertigo est un film au suspense terrible avec ses scènes en hauteur et son intrigue complexe. North by Northwest tient le spectateur en haleine par une chasse à l’homme. Psycho effraie en mélangeant meurtre et problèmes de maladie mentale. Enfin, The Birds aborde le thème de l’apocalypse, lorsque la nature se rebelle contre l’homme. Pour ceux qui en ont assez des films d’horreur inutilement sanglant, les films d’Alfred Hitchcock sont des alternatives intéressantes avec des histoires plus poussées qui angoissent le spectateur sans avoir recours au sang. x

x le délit · le mardi 1er novembre 2011 · delitfrancais.com

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Arts & Culture

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CINÉMA

Lars Von Trier, ou la mélancolie d’un génie

Melancholia est l’exposé céleste d’une société qui court à sa perte. Florent Conti Le Délit

À

Gracieuseté Gracieusetéde deBrigitte BrigitteChabot ChabotCommunications Communications

voir la récente production cinématographique de ces génies (auto) proclamés du septième art ressort un drôle de constat. La tendance semble bel et bien être aux films avec des vues astrales et des histoires de familles. Alors que Terrence Malick livrait un paysage américain d’après-guerre où enfance et création du monde se mêlaient dans un concert d’images célestes presque trop parfaites, Lars Von Trier dans un tout autre style aborde ses sujets fétiches: l’apocalypse en écho à une nature humaine troublée et en déclin. En fait, vouloir analyser les films de Lars Von Trier, c’est essayer d’expliquer l’inexplicable. Ceux qui tentent d’interpréter (et ils sont nombreux) les multiples métaphores qu’ils croient comprendre dans l’œuvre du cinéaste tombent dans le piège que le réalisateur danois leur a tendu. Melancholia (du nom de la planète qui risque d’entrer en collision avec la Terre dans le film) est l’exposition déstructurée d’une famille, elle aussi en manque de repères. Le film nous fait voyager entre plusieurs univers tant psychologiques que cosmiques. D’une part, il y a le mariage, voué à l’échec, et la dépression de Kirsten Dunst, qui s’est méritée une Palme d’Or d’interprétation à Cannes sans doute plus pour la mise à nue de sese certes, très belles formes que pour le rôle de fille dérangée et malade qu’elle interprète. En seconde partie, la sœur de cette dernière, jouée par Charlotte Gainsbourg, devient la deuxième héroïne sur qui le film se focalise. L’actrice française sauve d’une certaine manière le film avec une performance

quelque peu académique mais comme toujours très authentique et d’une grande vérité. Melancholia progresse graduellement vers une fin que l’on sait fatale étant donné le caractère autodestructeur de chaque protagoniste et l’imminente collision planétaire que les personnages, impuissants, voient arriver. Kiefer Sutherland est, quant à lui, à l’instar des seconds rôles de ce film, effacé. On ne lui a pas réellement donné l’occasion d’exprimer en totalité la complexité de son personnage. En outre, l’incessant placement de produits mine un peu l’appréciation du film avec la fréquente mise en avant de grandes marques. On aurait pu croire Lars Von Trier plus anticonformiste. Au fond, la problématique Von Trier est la suivante: le réalisateur a, par sa pensée indépendante et son caractère genant, réussi à tromper les critiques cinématographiques et à les tourner sur elles-mêmes. Lors de la promotion de ses films, il a enchainé en conférences de presse ce que le public croit être des maladresses ou des polémiques. Celui qui se réclame génial cultive son univers personnel choquant et perfectionniste. Lars Von Trier demeure donc un incompris dont le cinéma est unique, distinct et certainement pas tout public. Finalement, l’œuvre vontrierienne Melancholia ne parvient pas vraiment à nous plonger dans la folie apocalyptique de la société exposée, même si cet exercice de style est toutefois mis en scène avec grande précision et esthétisme. x Melancholia Sortie prévue le 11 novembre 2011

THÉÂTRE

La chaise est vide...

L’histoire absurde d’un réparateur de machine à tuer Emma Ailinn Hautecoeur Le Délit

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n pauvre concierge est devenu la fierté de son pays d’adoption, les ÉtatsUnis, et de son père et prédécesseur, grâce aux perfectionnements ingénieux qu’il apporte à la machine à tuer. Plutôt que l’exécution à la chaise électrique dont nous nous apprêtons à être les témoins, nous assistons à la perte de contrôle, la déliquescence du technicien de la chaise, Louis Joseph Renatus Todd. Tout comme l’électricité et la lumière qui étaient devenues l’obsession de son idole Thomas Edison, Todd disjoncte. Il ne s’agit pas d’une pièce historique, bien qu’elle utilise des éléments de l’histoire pour ancrer une trame narrative assez décousue. On revisite le passé de ce personnage pour comprendre ce qui le pousse à tuer son collègue, à tenir la salle en otage sans revendication, à se lier lui-même à la chaise pour finalement rapporter son invention sur terre, et lui avec. On discerne rapidement l’absurde de la pièce, sans se faire piéger, car le tragique pathétique du personnage nous retient. Le grand inventeur qu’il vénère, Thomas Edison, brille par son humanité, alors que Renatus Todd s’avilit. Un classique à la Claude Paiement, qui aime faire dans les paradoxes et dans l’absurde. La Chaise repose en grande partie sur le jeu du comédien pour l’occasion transformiste. Frédéric Desager joue tous les personnages, du grand et bourru Thomas

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Arts & Culture

Edison au condamné à mort noir et américain de 523 livres Monsieur Washington. La métamorphose entre les personnages est instantanée et atteint la perfection grâce à l’interprétation de Desager mais aussi à la mise en scène brillante de Eudore Belzile. Frédéric Desager est un comédien belge au visage familier pour ceux de la vingtaine. Il avait fait plusieurs apparitions dans des émissions jeunesse québécoises. Bien que son personnage n’ait rien à voir avec la légèreté de ceux qu’il incarnait à l’écran, on lui reconnaît son caractère un peu loufoque et énergique. C’est d’ailleurs de lui qu’est venue l’initiative de La Chaise, qu’il a proposée comme projet à l’auteur Claude Paiement. L’écriture a ensuite été une longue aventure passant par l’improvisation et la réécriture sans fin de ce fouillis de personnalités et d’accents tous plus intenses les uns que les autres, avant de rendre un texte satisfaisant. Cette pièce à laquelle on attribue l’étiquette de comédie noire, provoque le rire jaune. Au fur et à mesure que les minutes passent, le spectateur ressent un malaise grandissant qui le conduit à faire abstraction des tournures insolites et amusantes du texte. Nous sommes dans cette pièce, la b-31, où doit se faire exécuter un homme de manière imminente. Cependant, l’homme qui devait nous les apporter se fait mettre six balles dans le ventre par le protagoniste. Le sentiment d’enfermement est indéniable alors qu’on nous rappelle constamment notre place dans l’espace, que la porte se

La Chaise Où: Théâtre d’Aujourd’hui 3900 rue Saint-Denis Quand: Jusqu’au 12 novembre 2011

Crédit photo: Michel Eid

ferme, que la vitre est barricadée et que la caméra de surveillance est pointée vers nous. La Chaise ne cherche pas à reproduire les émotions du discours mondain autour de la peine de mort. Il refuse d’admettre qu’il est un bourreau et parle de la durée des secondes qui précèdent la mort avec son condamné et

partenaire d’échec «Dely» Washington, mais c’est tout. Le spectateur ne sort pas de la pièce avec un message clair en tête. Les auteurs refusent de se laisser tenter par un théâtre moralisateur dans un débat déjà socialisé à l’infini. Une réussite au goût amer qui rend plus douces nos propres abominations. x

x le délit · le mardi 1er novembre 2011 · delitfrancais.com


THÉÂTRE

Faire des enfants…

…une œuvre signée Éric Noël Jonathan Brosseau Le Délit

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ne fois de plus, le Quat’Sous donne la chance à de nouveaux talents d’exprimer leur plein potentiel sur ses planches. Éric Noël, récipiendaire en 2010 du prix Gratien-Gélinas remis à un auteur de la relève, a écrit cette pièce lors de sa dernière année de formation à l’École nationale de théâtre l’année précédente. C’est là qu’il a rencontré Gaétan Paré et Dany Boudreault. Le premier réalise la mise en scène de la pièce, alors que le second joue le rôle principal. Le but: porter un regard jeune sur les liens de filiation. En effet, si la pièce débute sur musique électro, drogue et prostitution, le tout bascule le jour où Philippe (Dany Boudreault) meurt d’une overdose. Suite au décès, sa famille autrefois dispersée se voit réunie bien malgré elle, dans des circonstances difficiles qui enveniment la situation. Au travers des conflits, le spectateur est confronté à de grands moments d’intensité, toujours sur le fond d’une cruelle splendeur. Les dialogues sont habillements construits par Éric Noël, sans pudeur, pour montrer les personnages dans leurs plus profonds retranchements. Cependant, la pièce aborde presque maladroitement les clichés de la communauté homosexuelle de Montréal, manquant parfois de finesse. Ajouté au fait que l’évolution psychologique des personnages est insatisfaisante, il apparaît clairement que l’auteur novice doit redéfinir son style.

En revanche, Gaétan Paré offre une excellente mise en scène, dépouillée, moderne et attirante, qui saura plaire au plus grand nombre. Il a fait le pari de n’utiliser aucun accessoire et cela sied aisément à la pièce. L’usage particulièrement intéressant de puissants symbolismes, par exemple suite à la mort de Philippe, démontre sa grande maturité. Toutefois, le metteur en scène ponctue les intermèdes d’effets sonores trop présents, ce qui atténue la subtilité du texte. Aussi, la direction homogène des acteurs offre une cohésion souhaitée, et davantage encore dans les moments vifs en émotions. Ces instants tragiques, joués dignement par la troupe d’acteurs, ne permettent pas d’écarter une évidence: Dany Boudreault rayonne en premier rôle. En effet, il porte une importante responsabilité dans la pièce, et ce malgré son inexpérience, et démontre une grande force de caractère tout au long des scènes de vulnérabilité. Passant de la fête aux orageuses disputes, la sensibilité et l’énergie vive de Boudreault rehaussent le niveau de jeu d’un cran. En ce qui concerne les autres acteurs, les Côté, Daoust, Gadouas, Goulet, Graton et Mercier apportent un peu de leur personnalité sur les planches et offrent une prestation dont ils ne devraient pas rougir. Reste à savoir maintenant si cette pièce écrite, montée et jouée par un groupe de jeunes talents fraichement sortis des écoles, n’est que leur premier pas dans le monde des grands. Bref, il faut déterminer si elle fera des enfants. x

Faire des enfants Où: Théâtre de Quat’sous 100 avenue des Pins Est Quand: Jusqu’au 11 novembre 2011 Crédit photo: Yanick Macdonald

THÉÂTRE

Virtuosité verbale

Exercices de style et de diction Luba Markovskaia Le Délit

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Crédit photo: Stéphanie Jasmin

x le délit · le mardi 1er novembre 2011 · delitfrancais.com

ULIPO? Qu’est ceci? Qu’est cela? Qu’est-ce que OU? Qu’est-ce que LI? Qu’est-ce que PO? OU c’est OUVROIR, un atelier. Pour fabriquer quoi? De la LI. LI c’est la littérature, ce qu’on lit et ce qu’on rature. Quelle sorte de LI? La LIPO. PO signifie potentiel. De la littérature en quantité illimitée, potentiellement productible jusqu’à la fin des temps, en quantités énormes, infinies pour toutes fins pratiques. - Jacques Roubaud et Marcel Bénabou, oulipiens. Pas de décor, pas trop de costumes, quelques accessoires à peine. C’est la parole dépouillée de tout superflu qui occupe la scène avec, pour seul support, la virtuosité de quatre comédiens aguerris. Vingt-trois ans après le grand succès de l’Oulipo Show à l’Espace Go, Carl Béchard, Pierre Chagnon, Bernard Meney et Danièle Panneton remontent la pièce sur les mêmes planches pour célébrer le 30e anniversaire d’Ubu, la compagnie de théâtre de Denis Marleau. Aucune intrigue et aucune psychologie, un fantasme pour les purs et durs amoureux des mots. Composée à partir de textes des Oulipiens (Calvino, Le Lionnais, Lescure, Queneau, dont les fameux Exercices de style sont la pierre angulaire de la performance), cette acrobatie verbale impose une nouvelle série de contraintes,

si chères aux Oulipiens, mais aux comédiens, cette fois-ci. Ceux-ci, véritablement habités par le texte, le livrent, avec toutes ses pirouettes et ses embuches, par la seule force de la voix et de la diction. Ce «théâtre pour les oreilles» est plutôt caractéristique de l’œuvre de Denis Marleau, qui l’amène ici à un niveau de dépouillement suprême. Quelques gestes synchronisés (et parfaitement exécutés) pour donner du mouvement, un éclairage minimal pour assurer l’attention, voilà toute la mise en scène visible. Le reste est chorégraphie de la parole, infiniment complexe, et infiniment envoûtante. La performance est à la fois ludique et virtuose, on écoute en retenant son souffle, en laissant échapper parfois quelques rires ébahis. Les effets vocaux et les prouesses de diction se déploient entièrement dans la nudité du décor et prennent la place centrale qu’ils méritent. Pour les sceptiques (un théâtre si peu théâtral?) vous ressortirez de l’Oulipo Show convaincus que les Exercices de style ont été écrits pour la scène, tellement les voix humaines leur donnent vie. x

Oulipo Show Où: Espace GO 4890, boulevard Saint Laurent Quand: Jusqu’au 12 novembre 2011

Arts & Culture

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BANDE DESSINÉE Annick Lavogiez Le Délit

Un trait habile pour un polar mitigé Le Curé de Christian de Metter et Laurent Lacoste: un crime dévoilant une humanité fragile et perverse

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Gracieuseté de Casterman

ans la solitude d’un petit village de campagne, un docteur maussade et imposant critique le catéchisme. Nous sommes en 1935, l’ambiance est désertique et sombre. Les personnages paraissent figés à la manière de leurs discours. Alors que l’on pénètre dans ce récit comme on entrerait dans un tel village, avec quelque précaution et un peu d’anxiété, on découvre des personnages apparemment tranquilles, intéressés principalement par l’arrivée d’un nouveau venu: le Père Vincent, un jeune curé plutôt bienveillant.

Le Curé est une histoire un peu simple dans laquelle les apparences, trompeuses, cachent un secret qui va bouleverser tous les personnages, tous forcés de remettre en question leur vision un peu trop pétrifiée du monde. Les cases, sombrement peintes à l’aquarelle et à la gouache, reflètent bien le caractère figé de la société décrite. Certaines planches paraissent particulièrement poétiques, surtout celles qui retraçent le crime: loin de le magnifier, elles dépeignent avec justesse la fascination et la persécution éprouvées par le criminel. La force du trait

de Christian de Metter est indéniable: il peint avec une grande justesse les expressions de ses personnages et réussit habilement à nous faire penétrer dans leurs âmes. Malheureusement, audelà de cette mise en scène de la conscience des hommes, le fil du récit semble quelque peu ténu. Le scénario de Laurent Lacoste aurait sans doute mérité davantage de péripéties puisque l’histoire criminelle ne réserve finalement que peu de surprises. On reste un peu sur sa faim, malgré la qualité esthétique de l’album. x

Le temps passe, les objets restent Objets de Cyril Doisneau: un hommage aux témoins silencieux de notre quotidien

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bjets est un album tout en simplicité et en originalité, une suite d’anecdotes sans parole constituée de planches indépendantes explorant chacune le vécu d’un objet de notre vie de tous les jours. Chaque page possède le même format, c’est-à-dire six images qui se suivent et relatent un épisode ponctuel dans une vie. Cela commence toujours avec

l’objet en question –un lit, un fauteuil, une table, une baignoire– et met en scène des mêmes personnages. On s’identifie avec un plaisir malin et agréable à ces protagonistes sans voix, coincés entre amitié, sexualité et solitude (un jeune homme qui ressemble un peu au dessinateur lui-même, une grande femme sympathique, des amis de passage).

On reconnaît en souriant notre propre usage de certains objets ainsi que la nostalgie et les souvenirs qui leur sont parfois liés. Les dessins sont simples et efficaces et les expressions des personnages sont justes. Objets est lui-même un bel objet qui laisse entrevoir un travail d’édition aussi fin et délicat que celui du dessinateur.

Discret, plaisant et sans prétention, Objets est donc un petit livre qui ne devrait pas passer inaperçu. Cette vingtaine de planches constitue en effet un plaisir de lecture qui confirme le talent de Cyril Doisneau, ce charmant dessinateur originaire de Nantes et diplômé de l’École des beaux-arts d’Angoulême. Un petit plaisir simple et sympathique. x

Gracieuseté de La Pastèque

CHRONIQUE PHOTO

Le cinémagraphe: dérive numérique? Margaux Meurisse | Photo m’a-t-on dit?

Néologisme qui titille l’oreille par son barbarisme, le cinémagraphe prend petit à petit son envol sur le net, sans compter le nombre de galeries numériques qui a explosé cette année. En quoi consiste cette nouvelle pratique artistique entièrement numérique? Est-elle connue du grand public? Essayons d’éclaircir la question. À

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Arts & Culture

cheval entre la photographie et la vidéo, le cinémagraphe consiste à mettre en mouvement une partie isolée d’une photographie à l’aide de Photoshop afin d’immortaliser davantage l’instant photographié dans sa réalité passée. Cette nouvelle tendance est née avec Jamie Beck et Kevin Burg, photographes de mode et designers graphiques, dans l’idée de moderniser et d’embellir le Gif. Le principe est alors de réaliser une photo en incorporant une légère animation. Cela peut être en mettant en mouvement la marche des passants à travers une fenêtre alors que le reste de la scène est immobile ou simplement en reproduisant un clignement d’œil. Lorsqu’on est confronté à ces images qui mettent l’accent sur un mouvement précis du passé, on a l’impression que la scène est romancée, qu’on est dans une dimension étrange, rattachée à aucune temporalité. Ces animations

d’apparence simple donnent un résultat parfois étonnant! C’est le cas du travail d’Ana Pais, photographe et graphiste vénézuélienne de vingt-quatre ans qui a réalisé une série intitulée «Eternal

que s’inscrit l’œuvre de l’artiste. Le cinémagraphe est finalement un moyen supplémentaire mis entre les mains de quiconque souhaite lutter contre la fatalité du temps et la mélancolie qui en résulte. Être capable

Crédit photo: Ana Pais

Moments». Elle cite une phrase de Roland Barthes: «Ce que la photographie reproduit à l’infini n’a lieu qu’une fois». C’est ainsi dans cette volonté de revivre le temps révolu, de figer l’instant à la seconde près, d’empêcher l’évaporation du vécu

d’être à nouveau spectateur d’un de ces petits riens de la vie qui pourtant participent à notre bonheur, c’est le défi lancé par ce nouveau support artistique. La naissance de la photographie animée montre que les frontières entre les disciplines artis-

tiques continuent sans cesse d’évoluer. Le cinémagraphe est rendu possible par le progrès informatique et l’augmentation de la vitesse de téléchargement sur Internet, la taille des fichiers étant très importante. L’accès à ces créations artistiques est ainsi réservé à un public plus fortuné, hiérarchisant cet art émergent. Au contraire de la peinture, de la musique ou même de l’écriture qui sont des disciplines accessibles à une grande partie de la population, qui ne demandent pas d’installations coûteuses, «l’art en ligne» reste restreint. Peut-on alors dire que l’ensemble de l’art numérique constitue une pratique élitiste? Ces œuvres auront-elles la chance d’être reconnues ou finiront-elles par se fondre dans l’étendue massive du net? x behance.net/gallery/EternalMoments-Animated-Photos/1653934

x le délit · le mardi 1er novembre 2011 · delitfrancais.com


MUSIQUE

Mumford & Sons à Montréal

Le groupe britannique a gagné son pari: ils ont fait du Centre Bell une salle intime et survoltée.

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Xavier Plamondon Le Délit

Crédit photo: Morgan Hotston

e groupe de rock indépendant londonien était de passage dans la métropole pour une deuxième fois depuis le succès de leur premier album Sigh No More, sorti en 2009. Lors de leur première visite, ils s’étaient produits dans la salle du National. Il faut admettre que cette fois-ci, le défi était de taille: le Centre Bell est davantage reconnu pour ses mégaproductions telles que Lady Gaga ou Coldplay que pour des groupes plus modeste comme Mumford & Sons, habitués à de plus petites salles qui rendent l’ambiance plus chaleureuse et intime. Après deux premières parties et un interminable entracte, le groupe est finalement arrivé sur scène, dans la pénombre, et a entamé le concert avec «Roll Away Your Stone». La foule a accueilli le refrain en sautillant, chantant les paroles et dansant au rythme de la musique. Dès les premières minutes, le défi était relevé. L’immensité du Centre Bell était oubliée: on était transporté dans un concert intime et authentique.

À la fin de la première chanson, Marcus Mumford, le chanteur de la formation, a profité de l’occasion pour pratiquer son français, qu’il maîtrise correctement: «Bonsoir Montréal! On va danser ce soir! Oubliez qu’on est dans un aréna: danser et amusezvous!» Les dames étaient séduites. Si le groupe a interprété toutes les grandes pièces de leur premier album, il a aussi profité de l’occasion pour jouer quelques morceaux à paraître en février 2012. Les fans ont d’ailleurs été charmés par les nouvelles chansons, pour la plupart des ballades fidèles à leur style emblématique. Ils ont aussi donné une saveur canadienne à leur concert en interprétant leur version de «Dance, Dance, Dance», un succès du célèbre Neil Young. L’acoustique était excellente, le piano, les guitares, banjos et ukulélés ont résonné avec candeur, mettant au premier plan les cuivres pour les pièces telles que «Winter Winds» et «The Cave». On allait assister à une performance sans anicroche, jusqu’au moment où le groupe a entamé une nouvelle

chanson. Après quelques secondes, le chanteur s’exclame «Can we start it again? I just broke a string!», une anecdote loin de déplaire a l’audience, qui a applaudi avec entrain. C’est d’ailleurs ce qu’on apprécie: l’authenticité du groupe et leur réel plaisir à être sur scène. Vers la fin du spectacle, la performance de Marcus Mumford à la batterie pour la chanson de «Dustbowl Dance» a épaté le public et a véritablement prouvé le talent brut que possède chaque membre du groupe. À l’heure du rappel, des chandails du Canadien ont été remis aux membres du groupe. «Ils ont gagné hier, n’est-ce pas?» a demandé Marcus Mumford. En étant au courant des scores de hockey, c’était maintenant au tour des hommes d’être charmés. Le spectacle s’est terminé sur «The Cave», la chanson que tout le monde attendait impatiemment. Au moment de quitter la salle, on a bien senti la gratitude et la reconnaissance du groupe. Si Mumford & Sons avait séduit la foule, Montréal avait certainement séduit le groupe. x

Mélodies en devenir

Divenire: un bijou de la musique néo-classique par Ludovico Einaudi Rouguiatou Diallo Le Délit

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l était temps. Après un succès fulgurant auprès de son auditoire européen, Divenire de Ludovico Einaudi arrive de ce côté de l’Atlantique. Réputé pour son élégance et ses mélodies hypnotiques, le pianiste italien présente son septième album, cette fois-ci accompagné d’un orchestre, le Royal Liverpool Philharmonic. Divenire est une œuvre fluide et mélancolique qui nous emporte dans un courant d’émotions. Les mélodies au piano

demeurent centrales à son œuvre, mais l’orchestre et les quelques sons électroniques y ajoutent une autre dimension. Ainsi, Ludovico Einaudi nous offre un cocktail de sensations avec des morceaux qui prennent corps. L’album porte bien son nom, Divenire (devenir); à mesure qu’on l’écoute, sa musique crée différents états émotionnels malgré la simplicité des mélodies. Vous serez charmés par la pureté de «Rose» alors que les violons de «Primavera» vous feront frissonner. Ludovico Einaudi sera en concert le 12 novembre à l’Oscar Peterson Hall, un spectacle à ne pas rater. x

Gracieuseté de Ludovico Einaudi Media

CHRONIQUE LITTÉRAIRE

La parole comme moteur de la pensée

Laure Henri-Garand | Chemin de croix

J’ai réalisé très tôt au cours de mon existence que le don de la conversation ne m’avait pas été accordé. Soupers de famille, réunions d’équipe, rencontre entre amis, peu importe, toutes les occasions sont bonnes pour ne pas être loquace, ou l’être trop; l’art d’acquiescer au bon moment, de

relancer le débat, d’être détaché et engagé à la fois, de rire ou de se taire respectueusement, toutes ces vertus m’ont été refusées et mes aptitudes conversationnelles semblent maintenant osciller entre l’acquiescement brut et l’engouement excessif, sans juste milieu. Comme j’ai pris l’habitude de flatter mon égo en justifiant mes défauts par d’impénétrables théories littéraires et philosophiques, j’ai été particulièrement enchantée de découvrir le très court essai intitulé Sur l’élaboration progressive des idées par la parole, de L’Allemand Heinrich von Kleist, qui traite justement (plus ou moins indirectement) de la question de la conversation. Né en 1777 –et mort trentequatre ans plus tard, d’un suicide «spectaculaire» que certains considèrent encore aujourd’hui comme la cause principale de sa notoriété– Heinrich von Kleist est un

le délit · le mardi 1er novembre 2011 · delitfrancais.com

dramaturge et nouvelliste surtout connu en Allemagne pour sa pièce Le Prince de Hombourg, et est entre autre contemporain de Goethe (1749-1832), duquel il n’a toutefois jamais réussi à obtenir la considération. Dans cet essai, d’abord une lettre adressée à son ami Rühle von Lilienstern, le dramaturge explore l’idée qu’au lieu d’être à la remorque de la pensée, la parole serait plutôt le moteur principal de l’esprit, servant à la formation des idées: «Lorsque tu veux savoir quelque chose et que tu n’y parviens pas par la méditation, je te conseille, mon cher et subtil ami, d’en parler avec le premier venu». Pas question ici de s’informer sur le sujet –«c’est bien […] à toi de parler d’abord»– mais plutôt de chercher le dialogue, pour stimuler le développement d’une idée ou d’un concept spécifique, d’une manière qui diffère tout-à-fait de la réflexion pour ainsi

dire «interne». Car pour Kleist, une idée limpide en pensée est souvent difficilement exprimable puisque dénuée de la «tension intellectuelle aussi nécessaire à l’élaboration de la pensée qu’indispensable à sa formulation». L’essentiel est donc de laisser les mots venir à nous –préfigurant la notion d’inconscient qui se développera au 20e siècle, Kleist écrit que «ce n’est pas nous qui savons, c’est d’abord un certain état de nous-même»– tout en se servant des réflexes langagiers ou corporels de notre interlocuteur pour faire «rebondir» notre pensée. Ainsi, les idées se développeraient par le discours, par le dialogue, et non l’inverse; qu’une idée soit exprimée de façon confuse ne signifie donc pas nécessairement que celui qui l’énonce est un imbécile, mais plutôt qu’il est possiblement en plein processus d’éclaircissement. Voilà qui est rassurant.

Je ne peux qu’estimer le nombre de conversations auxquelles j’ai pris part (souvent avec des professeurs), et durant lesquelles ma pensée semblait si confuse qu’il devenait impératif de cesser de parler. La parole, et d’une certaine manière la conversation, peut être la source de la pensée selon Kleist. Mais encore faut-il que l’on soit écouté. Car le dialogue, en nos temps modernes, se fait plus rare. Certes, on discute. Tout le monde discute constamment. Mais la plupart des discussions apparaissent plus souvent qu’autrement comme l’addition de plusieurs égos concentrés sur eux-mêmes, comme un ramassis d’autopromotions interminables. Personne, semble-t-il, n’accepte d’avoir l’air idiot pour quelques instants, et, au fil du temps, le souci des apparences transforme la conversation en monologues multiples qui s’additionnent. x

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FICTION D’ACTUALITÉ

Récession En 2011, une seconde crise financière déferle sur les États-Unis d’Amérique et bouleverse la vie de bien des hommes.

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mes vieux copains qui m’accueillent chaleureusement. J’aurais dû être surpris de les retrouver presque tous là, comme avant, mais non. Je savoure plutôt l’étreinte de mes frères qui, silencieux, me sautent tour à tour au cou. Rapidement, ils retournent, sans prononcer un mot, à leur partie. Une envie irrésistible de les rejoindre m’envahit. Sean saute pour marquer et je distingue, effrayé, un trou qui déchire son flan, puis une cicatrice qui traverse l’échine de Robert qui le marque de près. Accablé par l’évidence,

j’examine mes vieux amis: vêtements tâchés, membres disloqués ou abdomens éventrés, visages défigurés, beaucoup de petits trous, encore plus de bras bleuis. Je n’ose imaginer la suite. Je baisse les yeux avec dépit sur ma propre carcasse. Je retire ma chemise blanche griffée et laisse tomber sur le sol l’étoffe déchirée et marbrée de sang. Je m’élance sur le terrain, mon torse brille d’un éclat lugubre. Au même instant, Sean me passe la balle le regard inondé de tristesse. Tout s’est passé très vite. x

par Martine Chapuis

Je ralentis, instinctivement je remonte les fenêtres, car mon attention est si sollicitée par le nouveau décor qui se dessine que le n m’installant au volant de ma voi- froid devient vite insupportable. Le Bronx ture, j’avais vraiment eu l’intention de ma jeunesse n’a rien à voir avec celui qui de me rendre chez moi, de prendre se dévoile peu à peu à moi. Les rues et les trottoirs, autrefois jonune douche avant d’affronter Michelle, ma femme, et de lui annoncer mon chô- chés de détritus, de poubelles et de carmage tout récent. Les premières minutes, casses, avaient été nettoyés et visiblement je m’étais efforcé de dénicher une façon désinfectés. La nuit est tombée, mais j’aperadéquate d’aborder le sujet avec délicatesse, çois quand même des enfants qui déambupour la rassurer quant à notre avenir et celui lent seuls ou en petits groupes. Les avenues des enfants. Nous vivions au-dessus de nos principales sont maintenant éclairées et moyens et il était inévitable que nous al- flanquées de commerces divers qui accorlions devoir modifier, voire perturber notre dent au quartier le plus pauvre de la ville confort et notre quotidien. Toutefois, plus un aspect de quartier typique et branché. la distance qui me séparait du foyer rétré- Des parcs ont remplacé les terrains vagues. cissait, plus je réalisais que cette tâche de Les façades vandalisées, tantôt tapissées de propos injurieux et d’images sordides sont scénarisation était vaine. devenues des galeries d’art urbain. Michelle savait déjà. C’est à n’y rien comprendre. Je parJe m’en voulais de ne pas y avoir songé plus tôt! Le père de Michelle, Monsieur cours, troublé, encore quelques mètres de Jacobs, avait certainement déjà vendu la la Bronxdale Avenue. Inconsciemment, je mèche. Je l’entendais se délecter silencieu- guette les traces de ce passé macabre, des sement des pleurs de sa fille, la serrer dans guerres raciales qui ont marqué mon enfance et forgé mon ses bras en lui procaractère. Le J&D mettant qu’il l’aideLe Bronx de ma jeunesse Snack apparaît à ma rait, qu’il savait que ce jour allait arriver, que n’a rien à voir avec celui qui gauche, tel qu’il avait je n’étais qu’un nègre se dévoile peu à peu à moi.» toujours été, misérable, mais réconforqui n’avait pas sa place tant. parmi les grands… En moi surgit un sentiment confus de Non, il n’oserait pas, du moins pas si les enfants étaient dans les parages. Évidemment nostalgie, mais aussi de chaleur: je me revois que Jacobs était déjà informé de l’affaire! Il attablé avec ma mère, chaque jeudi, pour savait tout et scrutait à la loupe chacune de déguster religieusement le meilleur repas de mes transactions, utilisait ses contacts pour la semaine. Dès le lundi, je salivais en imagivérifier mes performances et mes statisti- nant toute la somptuosité des repas du jour de paie. Je savoure mentalement le bouillon ques de profit. Le jour qu’il attendait, depuis notre de bœuf épais, les légumes longtemps macémariage à Michelle et moi, était enfin arrivé. rés et les nouilles trop cuites qui comblaient Je rentrais donc à la maison, mais la peur de tant mes papilles à l’époque: j’en ai l’eau à la croiser mon beau-père et surtout la honte bouche. Les sushis, les filets mignons et les d’être devancé par cet homme fourbe qui carrés d’agneau qui garnissent quotidienme détruirait volontiers devant Michelle et nement mon assiette me semblent fades et peu appétissants. les enfants me fit revoir mon itinéraire. Tandis que je m’arrête quelques seconJe roule donc vers le Nord-Est de la ville. J’ignore pourquoi je me sens si attiré des pour admirer la façade de ce restaurant par cette destination. Il y a si longtemps. typique du quartier, j’envisage l’immense Nous sommes en novembre et la nuit est sourire de maman qui se délectait de me déjà presque installée. J’hésite à allumer voir manger à ma faim. J’hésite. J’adorerais y mes phares, l’espèce d’invisibilité dans la- retourner, je n’y ai pas mis les pieds depuis quelle l’obscurité plonge ma voiture noire la mort de ma mère, mais l’appétit me manme fait du bien. J’ai l’impression de dispa- que, c’est terrible. À droite, j’emprunte Morris Park raître parmi les millions de New-Yorkais, les milliers de regards vicieux que j’imagine Avenue, je me stationne, environ trois rues me foudroyer de toutes parts s’estompent et plus loin, et m’extirpe douloureusement de la voiture; mon corps affligé par la tension et enfin je parviens à respirer. le stress, je suppose. J’accélère. Le trajet devient presque automatique, D’un doigt, je baisse entièrement ma fenêtre pour embrasser un maximum mes muscles et mes sens reconnaissent d’atmosphère. J’inspire tout mon soûl et intuitivement chaque dénivellation de la l’euphorie gagne mon âme. J’oublie, pour rue et chaque passage dissimulé: le Bronx un temps, toute cette galère. Mais comme la retrouve son visage d’autrefois. Masque sensation de liberté s’estompe rapidement, tombé, le vrai Bronx, sauvage et brut comje ressens à nouveau toute cette détresse me dans mes souvenirs, surgit davantage à me prendre d’assaut. J’accélère encore et chaque détour: un gang qui danse au son j’abaisse une deuxième fenêtre, celle côté d’une musique lascive et dure à la fois, plus passager. Le vent automnal envahit aussi- loin, quelques jeunes affaissés sur le sol et tôt ma trachée, puis mes bronches. Bientôt, carrément ivres s’esclaffent grassement. Les échos de mon passé deviennent de les deux autres embrasures sont béantes et laissent s’engouffrer de puissantes bourras- plus en plus assourdissants tandis que je ques froides qui chassent mes préoccupa- m’engage, entre Matthew et Muliner, vers le tions, qui engourdissent mon être, qui font terrain de basket, véritable temple de mon vaciller mes roues. Les mains qui tiennent adolescence. Les paniers sont encore plus solidement mon volant sont ankylosées par déplorables que lors de mon départ, quinze ans plus tôt, et la chaussée est parsemée de le froid. Tout va très vite. Je débouche sur une artère familière, petits cratères qui nuisent certainement au du moins me semble-t-il. Ma vitesse ver- jeu. Je reconnais les lignes éternellement tigineuse est freinée par mon étonnement. effacées, les estrades de métal rouillé, vides,

La bd de la semaine

Alexandra Gosselin Le Délit

x le délit · le mardi 1er novembre 2011 · delitfrancais.com


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