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PARTIE I : HISTOIRE, DÉFINITIONS ET ENJEUX DU CONFORT DOMESTIQUE
« La certification NF Habitat : l’assurance d’un logement où il fait bon vivre ! » Source de l’image : https://www.nf-habitat.fr/
« Pourquoi faudrait-il, au nom d’une conception de l’isolation thermique propre à la France, que les habitants vivent dans des espaces sombres, percés de petites fenêtres, parfois sans ouvrant, pour éviter toute déperdition de chaleur, comme cela a été plusieurs fois le cas depuis le milieu des années 1970, au moment du premier choc pétrolier et à chaque fois que la question de l’isolation a rebondi à cause de nouvelles données économiques ? Cette alternative résume bien des paradoxes du confort d’aujourd’hui, mais aussi de l’hygiène et de la santé, car surestimer une variable conduit à des choix discutables. »23
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23 Monique Eleb, Vu de l’intérieur. Habiter un immeuble en Île-de-France, 1945-2010, 2011, p.30
Selon le dictionnaire de l’Académie Française, le confort est « ce qui contribue
au bien-être matériel, à la commodité de la vie ».24 Ainsi, il est une composante du bien-être qui est l’état conforme à un idéal matériel mais également physique ou moral lié à un épanouissement optimal. Ainsi, on aurait pu dans cette thèse parler de « bien-être » plutôt que de confort. Pourtant, c’est bien de « confort » qu’il est question dans les labels ou articles : en ce moment on parle de « confort d’été », « confort thermique », « confort d’usage »... Dans le langage courant, mais également celui des auteurs, la nuance peut être floue et les deux mots peuvent devenir synonymes. Quoi qu’il en soit, on s’attellera ici à parler d’un confort/bienêtre pas seulement lié au matériel, mais somme de différentes composantes sociales, liées au perceptions de l’architecture et l’environnement, à l’humain. Le rapport entre confort du logement, qualité architecturale et qualité environnementale sont sous la responsabilité des architectes et maîtres d’œuvre.
« Aujourd’hui nous sommes d’accord pour considérer le confort comme une notion objective. Nous avons tort. L’histoire de l’architecture des deux derniers siècles montre que le confort, loin d’être une question purement technique ou un simple équilibre hygrothermique entre les conditions climatiques et les constantes physiologiques, est une idée culturellement construite. Le bien-être n’est pas une sorte d’algorithme qui peut être calculé selon certains paramètres de température ou d’humidité relative – ou, tout du moins, non seulement cela, - mais un concept qui concerne des facteurs complexes et hétéroclites, tels
24 Dictionnaire de l’Académie Française. 9e édition, 1992 que les relations de l’architecture avec le corps humain ou la manière dont sont conçus la nature et l’espace. »25
En 2016, l’architecte Franz Graf et la professeure Giulia Marino publient un ouvrage regroupant plusieurs essais de chercheurs et architectes qui se sont penchés sur la question du confort en architecture, notamment pour les édifices du XXème siècle. Le confort est une notion souvent rattachée à des valeurs quantitatives : depuis les années 2000 on parle beaucoup de « confort thermique » qu’on valorise avec des labels. En réalité, le confort dépend certes de la qualité des services du logement, mais également de la perception de chacun. Ainsi, ce regroupement d’essais, balayant des approches plus sociologiques et sensibles, vient compléter les nombreuses définitions techniques et normatives que nous avons aujourd’hui l’habitude d’entendre à propos du confort. La notion de confort est donc mouvante en fonction des époques, des usagers...
Dans cette première partie nous tenterons d’esquisser une définition du confort et de présenter ses enjeux pour la qualité de vie dans le logement. Enfin, nous évoquerons le monde des réglementations et des labels au service de ce confort.
25 Eduardo Pietro, La culture du bien-être, les poétiques du confort dans l’architecture du XIXème et XXème siècle, dans l’ouvrage dirigé par Franz Graf et Giulia Marino, Les dispositifs du confort dans l’architecture du XXème siècle : connaissance et stratégies de sauvegarde, Éditions Presses polytechniques et universitaires romandes, 2016, p. 41
1. Histoire de la notion de confort dans l’habitat
POURQUOI L’HABITAT ?
« Pour comprendre l’origine de l’architecture, il faut revenir à notre condition « homéotherme » et à la nécessité de devoir maintenir notre corps à 37°C. Afin de garder une température constante, indépendamment des conditions extérieures, l’être humain compose entre ses moyens corporels internes que sont les différents mécanismes de thermorégulation (vasodilatation, sudation, contractions musculaires...) et les moyens externes, en particulier l’alimentation, l’habillement, la migration et, biensûr, l’architecture. Pour s’abriter des vents qui refroidissent la peau par convection, se protéger de la pluie qui accélère le refroidissement du corps par conduction ou se cacher du soleil dont les rayons brûlent par radiation, l’être humain construit des toits et des parois. L’architecture permet de confiner, entre sols, murs et plafond, une petite quantité d’air habitable, dont il devient possible de modifier la température sans trop d’efforts afin de la maintenir dans une zone de confort thermique entre 20 et 28°C. »26
La notion de confort du logement est forcément liée à une époque. En effet, les dispositifs disponibles évoluent avec le temps et les individus s’habituent à des commodités qui prennent peu à peu place dans leurs habitudes. Avec des dispositifs architecturaux et/ou technologiques (ventilation mécanisée, chauffage...) chaque culture possède ainsi sa propre perception du bien-être et du confort dans son habitat, ce qui conduit à des situations variées en fonction des zones géographiques et des époques, allant de l’abri rudimentaire à la maison ultra-domotisée climatisée.
26 Philippe Rahm, exposition Histoire naturelle de l’Architecture, Pavillon de l’Arsenal, mai à septembre 2021
Frontispice de la deuxième édition de l’ouvrage Essai sur l’architecture de l’Abbé Laugier, 175
Source : BnF, Paris
L’ABRI PRIMITIF
« Ce fut donc la découverte du feu qui amena les hommes à se réunir, à faire société entre eux, à vivre ensemble, à habiter dans un même lieu. Doués d’ailleurs de plusieurs avantages que la nature avait refusés aux autres animaux, ils purent marcher droits et la tête levée, contempler le magnifique spectacle de la terre et des cieux, et, à l’aide de leurs mains si bien articulées, faire toutes choses avec facilité : aussi commencèrent-ils les uns à construire des huttes de feuillage, les autres à creuser des cavernes au pied des montagnes ; quelques-uns, à l’imitation
de l’hirondelle qu’ils voyaient se construire des nids, façonnèrent avec de l’argile et de petites branches d’arbres des retraites qui purent leur servir d’abri. »27
Dans Le mythe de la cabane ou l’origine primitive de l’architecture, l’historien en art et architecture Thomas Renard présente le texte du théoricien romain Vitruve, qui a écrit l’un des plus anciens ouvrages consacrés à l’architecture qui nous soit parvenu, De Architectura. Pour Vitruve « comme chez beaucoup de ses successeurs, la cabane semble intimement liée à l’idée des origines et au besoin élémentaire de se protéger des intempéries. »28 Ainsi, la cabane, premier élément d’architecture, serait un outil de confort pour l’Homme primitif soumis aux conditions extérieures inconfortables telles que le froid ou les intempéries. L’architecture est alors à considérer comme un dispositif de confort pour les individus, dès les débuts de la sédentarisation.
27 Vitruve, De Architectura, livre II
28 Thomas Renard, Le mythe de la cabane ou l’origine primitive de l’architecture, Revue 303, n°141, 2016
ARTS DÉCORATIFS DISPOSITIFS DE CONFORT
« Jusqu’à l’avènement des techniques de régulation thermique modernes, la décoration d’intérieur joue un rôle crucial en apportant des revêtements aux surfaces internes des constructions - qu’il s’agisse des tapisseries du Moyen-Age, des boiseries de la Renaissance, ou des tentures qui doublent les murs des pièces au XIXème siècle. (...) Aujourd’hui, le divorce entre la décoration d’intérieur et régulation thermique prononcé au début de la modernité laisse place à une réconciliation inattendue. La lutte contre le réchauffement climatique et les réglementations récentes en matière de construction introduisent ainsi des éléments inédits d’aménagement intérieur : la laine isolante aux murs comme une réactualisation de la tapisserie, l’isolation des planchers comme un renouveau de l’art des tapis, la redéfinition de la ventilation comme un perfectionnement du principe de la cheminée, les films étanches posés sur les murs ou les « rideaux thermiques » placés devant une fenêtre comme un nouveau type de paravent ou de
Tapisseries dans les chambres du Château de Chambord (41)
Source : photographie personnelle
courtine ».29
Les tapisseries et tentures sur les murs utilisées dès le Moyen-Age permettaient de se protéger du froid émanant des murs en pierre, améliorant le confort de vie dans les intérieurs. On peut également citer le rôle des rideaux qui font barrière contre les courants d’air.
LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE AU SERVICE DU CONFORT DE L’HOMME
En 1776, l’ingénieur écossais James Watt met au point une machine à vapeur qui transforme en énergie mécanique la vapeur produite par l’eau chauffée au charbon. 50 ans plus tard, en 1825, l’ingénieur britannique George Stephenson invente la locomotive et crée la première ligne ferroviaire ouverte au public. S’appuyant sur ces inventions révolutionnaires, l’Angleterre ouvre la Révolution industrielle dans les années 1830. Dans les années suivantes, les autres pays occidentaux la suivront dans ce basculement d’une société à dominante agraire et artisanale vers une société commerciale et industrielle. C’est le début d’une lourde exploitation des énergies fossiles apparemment illimitées. Désormais ce sont les machines qui travaillent au service de l’Homme, à un rythme décuplé. Il y a un passage de l’autoconstrucition aux marchés :
« une économie déterritorialisée et gorgée de pétrole. »30
29 Philippe Rahm, exposition Histoire naturelle de l’Architecture, Pavillon de l’Arsenal, mai à septembre 2021
30 Encore Heureux, Matière grise, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 2014, p. 24 Le travail devient alors plus confortable et moins physique pour les individus. Cette mécanisation se met également au service du logement, améliorant le confort des habitants.
« c’est finalement en Angleterre, et à la chaleur de la Révolution industrielle, que l’idée de confort prendra le sens que nous lui attachons aujourd’hui, pour finalement devenir un élément essentiel de l’architecture »31
Après des décénnies d’éclairage et chauffage avec des systèmes à l’huile32 (assez inéficaces) ou au gaz33 (assez dangeureux), Frederick Hale Holmes fait breveter en 1846 la première lampe électrique34, qui équipe d’abord des phares. Après des années de recherches par de nombreux scientifiques, c’est finalement l’inventeur Thomas Edison qui trouva en 1879 la solution pour créer une lumière susceptible d’être commercialisée et de servir dans le cadre domestique.35 Dans les années 1880-1890, les réseaux électriques domestiques se développent aux États-Unis, permettant aux intérieurs Américains d’être éclairés et chauffés, changeant radicalement la vie des
31 Eduardo Pietro, La culture du bien-être, les poétiques du confort dans l’architecture du XIXème et XXème siècle, dans l’ouvrage dirigé par Franz Graf et Giulia Marino, Les dispositifs du confort dans l’architecture du XXème siècle : connaissance et stratégies de sauvegarde, Éditions Presses polytechniques et universitaires romandes, 2016, p. 42
32 Bill Bryson, Une histoire du monde sans sortir de chez moi, 2014, p. 167
33 Ibid., p. 174
34 Ibid., p. 183
35 Ibid, p. 185
Salon bourgeios avec des lustres électriques, vers 1890
Source : MP1975.26.24 - Musée McCord
Hommes de l’époque qui se voyaient offrir grâce à cette nouvelle technologie plus de temps dans une journée d’hiver.
L’ÈRE DU PÉTROLE, DE L’ÉLECTRICITÉ, DU CHAUFFAGE CENTRAL ET DE LA CLIMATISATION
Au XXème siècle, la mécanisation des habitats est poussée, profitant de l’énergie à bas coût désormais apparemment disponible « à volonté ». Les nouveaux dispositifs mécaniques effacent les inconforts de l’environnement extérieur, rendant progressivement invisible la mission physiologique initiale de l’architecture.
« En 1902, l’ingénieur Willis Carrier, employé d’une entreprise américaine de ventilation, invente l’air conditionné. Il doit répondre à un problème de variation d’humidité de l’air ambiant dans une imprimerie à Brooklyn, à New-York (...). En appliquant avec une machine les principes de la thermodynamique à l’air, Willis Carrier parvient à contrôler sont taux d’humidité et découvre par hasard qu’il peut aussi contrôler sa température. Le système est rapidement industrialisé, la technique se simplifie, les dimensions et les coûts des appareils diminuent. Le climatiseur devient un produit de masse dès les années 1950, équipant habitations, bureaux et automobiles d’une majorité d’Américains. »36
Dans l’ouvrage Les dispositifs du confort dans l’architecture du XXème siècle : connaissance et stratégies de sauvegarde dirigé par Franz Graf et Giulia Marino sont présentés plusieurs édifices dont les dispositifs du confort sont une composante essentielle des projets. Ainsi on peut (re)découvrir l’Equitable Building de Pietro Belluschi
36 Philippe Rahm, exposition Histoire naturelle de l’Architecture, Pavillon de l’Arsenal, mai à septembre 2021
construite à Portland en 194837 (tour à pompe à chaleur à eau souterraine et réseau de distribution de chauffage et refroidissement simultané), la Fabrica Olivetti Argentina construite à Buenos Aires en 1954-1961 avec le système d’aération38, du Ministère de l’Éducation et de la Santé Publique de Lucio Costa construit à São Paulo en 193639 ou quelques projets d’Eugène Beaudoin, Marcel Lods, Jean Prouvé40. On constate ainsi que ces réflexions sur l’optimisation du confort sont surtout pensées pour des bâtiments d’industrie ou d’équipements afin d’en faire des machines à travailler optimisées pour une productivité maximale.41 Ainsi, dans l’architecture tertiaire en particulier, ces dispositifs techniques font partie intégrante de
37 Franz Graf, Giulia Marino, Les dispositifs du confort dans l’architecture du XXème siècle : connaissance et stratégies de sauvegarde, Éditions Presses polytechniques et universitaires romandes, 2016, p. 142
38 Ibid, p. 10
39 Ibid, p. 19
40 Ibid, p. 11-13
41 Ibid, p. 17
Satire de la maison moderne ultra-domotisée inspirée de l’ « American Way of Life » l’esthétique de l’architecture. Pour ce qui est de l’architecture domestique, on recherche par la suite à masquer ces dispositifs techniques (chauffage...) visuellement trop « industriels ». La Farnsworth House de Mies Van der Rohe en est une bonne illustration : largement ouverte sur la nature, la maison ne laisse voir aucune installation de confort. Pourtant, c’est bien un système de chauffage au sol qui permet au logement de s’affranchir de tapis ou rideaux. La faible efficacité thermique des grandes baies est compensée par l’utilisation des dispositifs mécaniques et donc des énergies fossiles.42
« Grâce aux dispositifs mécaniques, le principe de la “respiration exacte”, mis au point par Le Corbusier et Pierre Jeanneret avec la complicité de Gustave Lyon, prétend renverser la raison même du bâtiment traditionnel qui devient enfin un volume vitré et étanche, autonome, hermétique, complètement affranchi des fluctuations climatiques extérieurs, incarnant un véritable fantasme des architectes du XXème
42 Philippe Rahm, exposition Histoire naturelle de l’Architecture, Pavillon de l’Arsenal, mai à septembre 2021
Source : film Mon Oncle, Jacques Tati, 1958
Farnsworth house, architecte Ludwig Mies van der Rohe Illinois (USA), 1946-1951 Source : Mike Schwartz photographe
siècle ».43
« Après des siècles d’une architecture à la fois massive et frugale, qui était soumise à la contrainte pressante du site, du soleil, du vent, ect., le XXème siècle a été le premier à réaliser une architecture qui pouvait s’en affranchir complètement. La vision essentiellement technique alors prédominante – éclairage artificiel, climatisation – a conduit à concevoir l’intérieur des bâtiments comme une ambiance totalement contrôlée et a eu pour conséquence de rompre la continuité d’usage entre l’architecture, la ville et le paysage. Le confort est devenu synonyme de température et de lumière constantes. Un principe que nous devons aujourd’hui remettre en question afin de retrouver le plaisir de la variation – en fonction des conditions extérieures, du temps qui passe, des saisons... » 44
A sa création, la VMC a été une vraie révolution qui a permis de mieux contrôler l’ambiance des bâtiments. Cependant, les problématiques écologiques et de gestions des ressources sont évidentes : on a trop consommé entre les XIXème et XXIème siècles et on ne peut plus se permettre de continuer ainsi avec les énergies fossiles.
43 Franz Graf, Giulia Marino, Les dispositifs du confort dans l’architecture du XXème siècle : connaissance et stratégies de sauvegarde, Éditions Presses polytechniques et universitaires romandes, 2016, p. 21 44 Jacques Ferrier, Architecture = durable, Éditions Picard, 2010
Environnement et échelle humaine au cœur des réflexions du Corbusier pour le confort des habitants
Source : Pierre Kast, Le Corbusier, l’architecte du bonheur, 1957, film consultable sur : https://www. dailymotion.com/ video/xw8prl
RÉFLEXION SUR LE CONFORT DANS L’ARCHITECTURE MODERNE : LES THÉORIES CORBUSEENES
Les architectes modernes sont très touchés par la question du confort de vie dans le logement. En effet, le logement moderne se présente face au logement ancien sombre et insalubre. En parallèle de l’exploitation des nouvelles technologies, des réflexions sont portées sur la recherche de dispositifs intrinsèques à l’architecture, et non pas aux éléments techniques. Les réflexions du Corbusier sont parmi les plus importantes et reconnues dans ce domaine. Au début de sa carrière, Le Corbusier commence par construire des villas où il se permet des petites excentricités avant-gardistes : intégrer un arbre dans une maison, installer un jardin sur un toit... Il a une obsession pour la recherche de la lumière naturelle, idée qu’il poussera ensuite dans ses réflexions sur le logement collectif avec la recherche de « l’architecture du bonheur » et de la « ville radieuse ». Ses théories se veulent de bon sens : c’est la courbe du soleil qui devrait déterminer la forme des maisons et la disposition des façades. Ses projets tentent à toujours mieux faire entrer le soleil dans les logements qui seront traversants dès que possible. Un second fondamental est de toujours prendre en compte les conditions de nature qui sont, après le soleil, l’espace et la verdure. L’Homme n’a plus a être séparé du paysage, mais il doit pouvoir librement le contempler pour en profiter. L’accès à la nature fait partie du concept du confort selon l’architecte. Le Corbusier a également inventé son propre système de proportions fondé sur l’échelle humaine, et donc en théorie confortable pour ce dernier : le modulor. Selon l’architecte, si on veut construire pour l’Homme, on doit se servir des mesures de l’Homme. Avec ces principes l’immeuble de logements se met au service de l’Homme, lui offrant une vraie machine à habiter.45 La cellule d’habitat passe au cœur des réflexions et il cherche la meilleure ergonomie de vie pour les habitants, afin de rendre leur vie plus confortable, facilitée, radieuse.
En 1969, l’historien et critique d’architecture Reyner Banham s’intéresse à la question du contrôle de l’environnement par l’Homme. Ses réflexions font directement le lien entre la naissance théorique de l’architecture dont le but est de protéger l’Homme des conditions extérieures et l’avènement concret des mécanismes de ventilation ou de chauffage qui se rependent couramment dans les logements à cette époque.46 Il faut noter que, parallèlement à ses recherches sur une cohésion entre l’Homme et la Nature, Le Corbusier des années 19301950 n’avait pas omis les bénéfices de la mécanisation des bâtiments : par exemple l’unité d’habitation, construite à Marseille entre 1947 et 1952, dispose d’un système de ventilation centralisé moderne. Il y a une vraie combinaison entre dispositifs architecturaux (double-hauteurs, logements traversants...) et dispositifs techniques (VMC, chauffage...) pour offrir un confort maximal aux habitants.
45 Pierre Kast, Le Corbusier, l’architecte du bonheur, 1957, film consultable sur : https:// www.dailymotion.com/video/xw8prl
46 Reyner Banham, The architecture of the Well-Tempered Environment, University of Chicago Press, 1969
LE CONFORT EN 2021 : HIGH-TECH VS LOW-TECH
Au XXIème siècle, on prône la sobriété énergétique.47 Ainsi, il y a deux voies possibles : - la voie de la domotique / high-tech applicable au logement. - la voie de la low-tech qui prône un retour à une vie plus simple et moins carbonée. Le développement des nouvelles technologies en architecture, tournées vers le numérique et le digital, a permis de mettre au point des bâtiment high-tech dans laquelle sont mis au point des systèmes technologiques très développés pour optimiser les ressources énergétiques, et pour tendre vers des bâtiments et villes autonomes, dont la gestion des énergies ou des transports est contrôlée et automatisée par des dispositifs de technologie avancée qui permettent une gestion précise des températures, de taux d’humidité... et donc surtout des ressources. Le problème est le paradoxe entre l’énorme dépense d’énergie souvent nécessaire pour mettre en place des systèmes hyper performant qui permettrait d’avoir le moins de perte d’énergie possible. Vient s’ajouter en plus le contexte, qui rend la plupart de ces projets encore moins logique, quand on voit que les « smart buildings » et « smart cities » peuvent s’implanter dans des milieux parfois très défavorables, comme des déserts arides. C’est en réponse à ces constructions « qui sortent du bon sens » qu’émergent les pensées low-tech qui tendent à s’inspirer du vernaculaire, de principes simples et de bon sens (orientation des bâtiments
47 Voir Avant-propos, p. 5 réfléchie pour une utilisation passive des énergies solaires, épaisseurs des parois adaptées en fonction de la situation, choix des matériaux non toxiques et peu transformés...). Par exemple, l’architecte allemande Anna Heringer dit s’inspirer de l’identité locale des populations, des ressources propres à un paysage, à un environnement, des savoir-faire artisanaux pour développer son architecture.
« Par opposition aux hautes technologies (high techs), les basses technologies (low techs) consomment peu d’énergie et mobilisent les ressources locales, tout en faisant appel à une main d’œuvre intensive. Elles sollicitent l’autonomie des populations. Elles créent des systèmes résilients. Je suis convaincue qu’il faut se rendre moins dépendant de la high tech en général, et compter sur les forces locales, plutôt que sur des systèmes sophistiqués et fragiles, coûteux et inaccessibles aux populations pauvres. »48
Les bâtiments d’Anna Heringer situés au Bengladesh se permettent ainsi de s’affranchir d’isolation ou technologie de chauffage, notamment grâce au climat local tempéré tout au long de l’année. Cependant, cette volonté de limiter la technologie s’ancre également en Europe, où notre climat n’est pas toujours des plus doux. Pour exemple, à l’issue d’une consultation lancée en 2020, la Métropole de Lyon vient de sélectionner l’offre du promoteur Nexity associé à Baumschlager Eberle Architekten, Petit Didier Pridoux Architectes, Atelier De Ville en Ville, MOZ Paysage et AIA Environnement
48 Anna Heringer, interviewée par la journaliste Agnès Sinaï, disponible sur : https:// www.actu-environnement.com/ae/news/ architecture-durable-global-award-annaheringer-13142.php4
Le smart building, ou immeuble intelligent
Source : https:// www.adeunis. com/domainedactivites-iiot/ smart-building/
Essentiel à Confluence, Lyon (69), Baumschlager Eberle Architekten, Petit Didier Pridoux Architectes,
Source : Alexandre Besson perspectiviste
pour réaliser à Confluence les îlots B1 et C1 Nord, situés le long des quais du Rhône dans la deuxième phase d’aménagement du projet urbain. Le programme comprend la construction de 11 bâtiments, qui vont totaliser 19 000m² de logements, 2 000m² de commerces et 12 000m² d’établissements de formation et d’enseignement. Au sein de ce chantier, un bâtiment sans chauffage sera conçu : dénommé Essentiel, le concept de l’immeuble repose sur une régulation de la température intérieure et de la qualité de l’air des espaces sans système technique. Il vise à garantir une température comprise entre 22° et 26° en toute saison.49
49 https://www.linkedin.com/posts/lyonconfluence_laconfluence-lyon-mixitaez-activity6843196753861210112-DjS8
2. Le confort, une notion plurielle
« Vivre, c’est passer d’un espace à l’autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner. »50
LE CONFORT, LES CONFORTS
Il n’y a pas une formule magique unique en matière de confort domestique. Chaque bâtiment a son milieu propre (climat, orientation, situation...) et les dispositifs pour le confort de vie des habitants devront donc s’y adapter. Lumière, espace, volume, accès à l’extérieur, évolutivité, habitabilité… La qualité et le confort des logements sont-ils des ressentis subjectifs ou des données évaluables ? Aujourd’hui, notamment avec certains labels, on a tendance à résumer « confort » à « confort thermique ». Or, c’est une notion plus complexe qui est constituée de plusieurs dimensions que l’on détaillera ici en listant (de manière non exhaustive) des différents paramètres pour le confort de l’habitat.
50 Georges Perec, Espèces d’espaces, Éditions Galilée, 1974 « Le gain de confort peut être assuré par plusieurs améliorations : - Qualité d’usage des logements : taille, agencement, équipements, luminosité, qualité de l’éclairage naturel, - Confort acoustique, - Qualité des accès aux logements, - Qualité des services : ascenseurs, parties communes, espaces collectifs, espaces verts, stationnement, - Sécurité, - Confort thermique et confort d’été. »51
LE CONFORT THERMIQUE
Dans le contexte de prise de conscience du réchauffement climatique, c’est le paramètre qui est le plus mis en avant aujourd’hui, notamment dans les médias spécialisés d’architecture ou dans les médias classiques. On ne peut pas passer à côté : le climat change. Or, la température est un paramètre important pour le bien-être de l’Homme
51 Catherine Charlot-Valdieu, Philippe Outrequin, Réhabilitation énergétique des logements, Éditions Le Moniteur, 2018 p. 45
due à sa condition homéotherme.
52 Evidemment, ce n’est pas le seul paramètre du confort, mais nous allons commencer par le présenter car c’est le plus représenté.
Le confort thermique est un état de satisfaction vis-à-vis de l’environnement thermique. Il est déterminé par l’équilibre dynamique établi par échange thermique entre le corps et son environnement. Le confort thermique perçu par un individu dans un bâtiment est conditionné par des facteurs physiques comme : - le métabolisme de l’individu, qui est la production de chaleur interne au corps humain permettant de maintenir celuici autour de 37 °C - L’habillement qui représente une résistance thermique aux échanges de chaleur entre la surface de la peau et l’environnement - La température ambiante de l’air - La température des parois - L’humidité relative de l’air - La vitesse de l’air
L’architecture d’un édifice est le premier dispositif qui permet à un bâtiment d’éviter la surchauffe ou de profiter du soleil, et donc offrir ce « confort thermique » à l’usager. Selon les situations, on cherchera différents dispositifs pour améliorer le « confort d’hiver » ou le « confort d’été » dans un bâtiment. Les principes de base du confort d’hiver ou d’été sont l’isolation mais aussi la situation des ouvertures, la protection solaire et l’aération naturelle, qui est facilitée quand le logement est traversant, ou avec une doubleorientation.
52 Voir Partie I.1. Histoire de la notion de confort dans l’habitat, p. 21 « La capacité de rafraîchissement d’un logement est fortement tributaire de son plan qui permet une circulation plus ou moins libre de l’air. »53
Ces principes architecturaux ont été mis de côté au moment de la Reconstruction, car les priorités étaient différentes à l’époque.
« Durant la période 1945-1974, la recherche de la rentabilité du plan incitera les concepteurs à épaissir de plus en plus les bâtiments au fil du temps, ce qui rendra la configuration « traversante » plus rare et donc l’habitat plus sensible aux questions de surchauffe estivales par manque de possibilités de ventilation. »54
On aura beau installer les meilleures systèmes de ventilation mécanisée, si le plan initial n’est pas réfléchi en fonction des orientations et courants d’air naturels, il sera plus difficile d’optimiser les énergies dépensées pour arriver au confort.
Les campagnes et plans de relance qui ont poussé à isoler les bâtiments ces dernières années sont donc fondées pour un objectif de gestion des énergies mais aussi pour améliorer le confort des individus. Cependant, elles posent d’autres problèmes qui, on le verra plus tard, peuvent nuire à d’autres aspects comme la valeur patrimoniale des édifices.55
53 APUR, Réhabilitation des bâtiments construits à Paris entre 1945 et 1974, Pratiques actuelles/nouveaux enjeux, 2016, p. 24
54 Ibid, p. 24
55 Voir partie III.3, Dispositifs de réhabilitations d’immeubles des Trente Glorieuses, ITE, p. 95
LE CONFORT SANITAIRE
La question du confort sanitaire, étroitement lié à la qualité de l’air, est étudié avec les réflexions hygiénistes dès le XIXème (Robert Owen, Charles Fourier...).
« Dans un traité sur les « maisons de bonne santé », dont la première édition parut en 1880, l’ingénieur britannique Douglas Galton a déclaré que pour bien aérer une pièce, il fallait 50 pieds cubiques par minute et par personne, un chiffre qui contraste avec les 15 pieds par minute et par personne qui sont recommandés pour les maisons d’aujourd’hui, dont l’étanchéité est bien supérieure à celles des bâtiments du XIXème. » 56
La question de la ventilation des logements devient rapidement une préoccupation pour le logement d’après-guerre afin d’offrir aux occupants un habitat sain. Après l’utilisation de la ventilation naturelle, c’est dans les années 1960 que la Ventilation Mécanique Contrôlée se généralise dans l’habitat (à Paris). C’est un système qui déresponsabilise (déséduque?) l’habitant, qui n’a même plus à penser à ouvrir ses fenêtres.
57 Aujourd’hui, dans un contexte pandémique, la question sanitaire reste toujours d’actualité dans le bâtiment.
« Beaucoup de bailleurs s’interrogent sur les angles d’action, les matériaux à
56 Franz Graf, Giulia Marino, Les dispositifs du confort dans l’architecture du XXème siècle : connaissance et stratégies de sauvegarde, Éditions Presses polytechniques et universitaires romandes, 2016, p. 49
57 APUR, Réhabilitation des bâtiments construits à Paris entre 1945 et 1974, Pratiques actuelles/nouveaux enjeux, 2016, p. 26 employer, les ventilations à mettre en place, la sensibilisation des locataires. (...) en la matière il existe des vides réglementaires. » 58
« Depuis 1982, il existe des exigences de débit d’air, mais celles-ci ne tiennent pas compte du renforcement progressif de l’isolation et de l’étanchéité des bâtiments. » 59
La ventilation optimale dépend aussi de chaque bâtiment. En effet, chacun a ses besoins spécifiques en fonction de sa disposition ou ses matériaux.
La meilleure ventilation reste tout de même la ventilation naturelle possible grâce au courant d’air produit par la simple ouverture des fenêtres. Or, elle n’est pas toujours optimale selon le plan du logement. En effet, les logements mono-orientés seront défavorisés par rapport aux logements traversants ou multi-orientés, qui sont à privilégier.
LE CONFORT ACOUSTIQUE
Le confort acoustique est un élément souvent négligé des espaces intérieurs. Or l’équilibre psychologique et la productivité au travail des occupants y sont intimement liés : un bon confort acoustique a une influence positive sur la qualité de vie au quotidien et sur les relations entre usagers d’un bâtiment. A contrario, un mauvais confort acoustique génère des effets négatifs sur l’état de santé (nervosité, stress, sommeil contrarié, fatigue). Le bruit est une réelle nuisance. On distingue communément trois types
58 Félicie Geslin, Mieux dans son chez-soi, Les Cahiers Techniques du Bâtiment n°388-389, septembre 2020, p. 90
59 Ibid, p. 90
de bruit : - Les bruits aériens, qui sont émis par une source dans l’air environnant et se propagent par l’air (voix, TV, musique…) - Les bruits solidiens, qui ont pour origine un choc ou une mise en vibration directe de la structure. Egalement appelés bruits d’impact, ils sont produits lors des déplacements de personnes ou de meubles, par les chutes d’objets - Les bruits d’équipements (ascenseur, chaufferie…)60 L’acoustique du logement a un lien direct avec le sentiment d’intimité de l’habitant.
L’épaisseur des cloisons entre les différentes pièces est une donnée qui conditionne grandement le confort acoustique des logements. Des cloisons de 5 centimètres (épaisseur minimale autorisée) permettent difficilement d’isoler correctement les espaces. Il y a donc des choix à faire en terme de mise en œuvre et matériaux.
LE CONFORT D’USAGE AVEC LE NOMBRE ET L’ORGANISATION DES PIÈCES
Le confort d’usage est une notion en lien avec le mode de vie et son évolution dans les époques (nombre de pièces, organisation du logement...).
« La notion de confort est inévitablement associée à la configuration de l’espace architectural et au type d’individus et d’objets qui y habitent. » 61
Le plan d’un bon logement compose avec différentes dimensions : - Les relations du logement avec son environnement - L’organisation même du plan, d’où découleront les circulations, les usages...
Dans un premier temps, un atout du confort du logement sera offert par un rapport judicieux avec son environnement. Un logement bien orienté sera plus agréable à vivre car plus lumineux ou plus facilement aérable... Dans ses réflexions, Le Corbusier considère comme « plaisirs essentiels » la liberté de profiter du soleil et de la vie en plein air, en adaptant les fonctions d’habiter au rythme du soleil.62
Il est aussi important de réfléchir à un plan de logement agréable. Un plan agréable offre plusieurs chemins, une liberté de circulation à ses habitants qui ne seront pas contraints par un conflit de porte, un manque de rangement...
Les plans des logements sont en constante évolution, mais pas toujours pour le meilleur effet... Ces évolutions sont notamment effectives à causes de pressions économiques qui poussent à produire des logements toujours plus « rentables ». Par exemple, les dégagements d’entrée (avec leurs placards de rangement), celliers et buanderies ont tendance à disparaitre car ce ne sont pas des surfaces « habitables » donc « vendables », mais
60 Centre d’Information et de Documentation sur le Bruit (CIDB), Confort sonore des logements existants, Principes d’amélioration, Compatibilité avec l’isolation thermique, Aides financières, 2010 61 Franz Graf, Giulia Marino, Les dispositifs du confort dans l’architecture du XXème siècle : connaissance et stratégies de sauvegarde, Éditions Presses polytechniques et universitaires romandes, 2016, p. 50
62 Ibid, p. 52
des espaces de circulation ou stockage moins valorisables financièrement qu’un espace « utilisable » qu’offre 1m² de chambre ou de salon. Si supprimer l’entrée peut permettre d’économiser des mètres carrés, qui peuvent être redistribués à l’ensemble du logement afin d’augmenter la surface de certaines pièces, sa disparition génère davantage de circulation dans les pièces attenantes (séjour ou cuisine), pouvant nuire à la qualité de ces espaces. Le manque de rangements intégrés dans les logements tout comme la raréfaction des caves à l’échelle de l’immeuble peuvent également peser directement sur l’usage des espaces extérieurs (balcons ou jardins encombrés).
Les cuisines ouvertes, qui ont pu paraître comme un symbole de « convivialité » de la famille, sont aujourd’hui souvent réduites à n’être qu’un mur au fond du salon, difficilement aérable naturellement, et qu’on ne peut plus séparer car on créerait une pièce aveugle. La fusion entre le séjour et la cuisine tend à rendre plus floues les limites de ces deux espaces. Il devient difficile d’estimer la surface réelle du séjour. Ces dispositions permettent parfois difficilement d’installer confortablement un véritable coin repas et les habitants sont contraints à manger sur la table basse de leur salon. Mais où est passée la salle à manger des derniers siècles?63
63 Pauline Dutheil, Samuel Rabaté, Alexandre Néagu, Nos logements, des lieux à ménager, Étude sur la qualité d’usage des logements collectifs construits en Île-de-France entre 2000 et 2020, IDEHAL Recherche, aout 2021, aout 2021
LA SURFACE DU LOGEMENT
« Une belle pièce, pour presque tout le monde, c’est une grande pièce. Un bel appartement, c’est d’abord un grand appartement. »64
« Quand vous voyez les publicités des promoteurs : « un beau trois pièces de 57m² ». Il n’y a pas de beau trois pièces de 57m², ce n’est pas vrai. »65
« en 1922, une loi fixe pour la première fois les surfaces dévolues aux HBM (Habitations à Bon Marché), par exemple, pour un logement de trois pièces (une cuisine-séjour avec deux chambres et un WC, la surface doit se situer entre 35m² et 45m², aucune pièce ne devant faire moins de 9m² - une norme minimale qui est encore en usage un siècle plus tard ! »66
Dans les années 1930, Le Corbusier recommande des cellules qui offrent 14m² par habitant.67 Les années passant la taille des logements augmente en France jusque dans les années 1960.68 Depuis, il n’y a pas eu de progression, voire même une régression :
« il est incroyable de constater que les logements démolis aujourd’hui sont
64 Jean Nouvel, à propos de son projet Nemausus, 1987, http://www.jeannouvel.com/ projets/nemausus/
65 Paul Chemetov, Les possibilités d’une ville, conversation entre les architectes Paul Chemetov et Rudy Ricciotti, Radio France Culture, 19 mai 2021
66 Jacques Lucan, Habiter, ville et architecture, EPFL Press, 2021, p. 372
67 Le Corbusier, La Ville Radieuse, Plans n°9, novembre 1931
68 Jacques Lucan, Habiter, ville et architecture, EPFL Press, 2021, p. 373
environ 15% plus grands que ceux que l’on construit, alors que la demande de logements différents et de grands logements s’impose. »69
Aujourd’hui, les cahiers des charges de bailleurs sociaux tentent de fixer des surfaces minimales selon le nombre de pièces. En France, le décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques d’un logement décent indique que tout logement doit comporter pour être mis en location au moins une pièce principale présentant une surface habitable de 9m² et une hauteur sous plafond minimale de 2,20m ou un volume habitable total de 20m³. En 2019, le Code de la Construction et de l’Habitation fixe à l’article R 1112 l’obligation pour la construction de tout logement neuf de disposer d’une surface minimale de 14m² et de 33m³ au moins par habitant prévu lors de l’établissement du programme,de construction pour les quatre premiers habitants et de 10m² et 23m³ au moins par habitant supplémentaire au delà du quatrième. La surface du logement est une
69 Frédéric Druot, Anne Lacaton et JeanPhilippe Vassal, Les grands ensembles de logements territoire d’exception, Barcelone, Editorial Gustavo Gili, 2007, p. 29-31 composante à part entière du confort d’usage d’un logement. Elle permet en effet de créer du confort domestique car c’est une composante de base pour créer des plans moins contraints, plus fluides, mais permettra également de créer plus facilement de la mutabilité dans le logement. En effet, une pièce plus vaste peut permettre plus de possibilités : on peut choisir d’installer un bureau contre un mur et un canapélit dépliable pour créer une chambre d’amis que l’on utilisera de temps en temps (la fameuse « pièce en plus », disposer son lit dans un sens ou dans l’autre selon ses préférences... Si la notion de « surface habitable » est centrale, encore faut-il distinguer les différents termes reflétant différent modes de calculs des surfaces bâties : SHOB, SHON, SDP, superficie Loi Carrez, SHAB...70
Malheureusement, on observe aujourd’hui une tendance à la baisse des surfaces, notamment dans le logement neuf proposé par les promoteurs. C’est
70 Pauline Dutheil, Samuel Rabaté, Alexandre Néagu, Nos logements, des lieux à ménager, Étude sur la qualité d’usage des logements collectifs construits en Île-de-France entre 2000 et 2020, IDEHAL Recherche, aout 2021, p. 63
20m³, c’est la capacité d’un petit camion, ou le volume habitable minimal d’un logement louable en France
Source : https://www. clovislocation. com/
l’une des conclusions principales de l’étude menée par l’Institut des Hautes Etudes pour l’Action dans le Logement (IDEHAL) en août 2021 sur le logement construit depuis les années 2000.71
L’ADAPTABILITÉ / LA MUTABILITÉ
Depuis des siècles, le logement est conçu pour répondre aux besoins de la famille nucléaire. La colocation, l’émergence des familles dé/reconstituées... peinent à être accompagnés d’arrangements spatiaux adéquats. Ainsi, la capacité d’adaptabilité/mutation d’un logement peut être considérée comme un facteur de confort pour ses habitants.
« La pandémie a montré à quel point il est nécessaire de disposer d’espaces adaptables, pouvant accueillir des usages différents au cours d’une même journée. Le télétravail imposé pendant des mois s’est déroulé dans des conditions difficiles pour un grand nombre de familles. Les espaces supplémentaires ou indéfinis au sein du logement permettent de respecter l’autonomie, l’intimité et les besoins de chacun. Faudrait-il, comme le propose Sophie Delhay, proposer davantage
71 Pauline Dutheil, Samuel Rabaté, Alexandre Néagu, Nos logements, des lieux à ménager, Étude sur la qualité d’usage des logements collectifs construits en Île-de-France entre 2000 et 2020, IDEHAL Recherche, aout 2021, p. 63 de logements aux pièces neutres, permettant une totale modularité et appropriation ? »72
AVOIR UN EXTERIEUR
« Un espace extérieur pour chaque logement ne serait pas de trop. La crise sanitaire et le confinement forcé de millions de familles ont illustré cette nécessité. Nexity, l’un des plus importants groupes de promotion immobilière en France a d’ailleurs annoncé ne plus construire un seul logement sans espace extérieur à l’avenir (Les Echos, 2020). Preuve donc que ce gain d’espace et d’usage sur l’extérieur, généralisé à tous les logements, est non seulement nécessaire, urgent, mais aussi entièrement réalisable. »73
De la cigarette fumée sur un petit balcon à l’organisation d’un repas convivial sur une grande terrasse ensoleillée, la présence d’un extérieur attenant au logement offre des possibilités de nouveaux usages à l’habitant qui pourra s’épanouir dans son chezlui grâce à cette surface annexe extérieure. On peut considérer qu’une
72 Pauline Dutheil, Samuel Rabaté, Alexandre Néagu, Nos logements, des lieux à ménager, Étude sur la qualité d’usage des logements collectifs construits en Île-de-France entre 2000 et 2020, IDEHAL Recherche, aout 2021, p. 32
73 Ibid, p. 30
Libre appropriation d’un même plan par différentes familles
Source : Sophie Delhay architecte
Le balcon, ou la pièce en plus
Source : Images commerciales iStock
terrasse est une pièce en plus car elle peut être le décor de vrais usages. On l’a bien vu durant les confinements répétitifs : les personnes qui pouvaient prendre l’air depuis chez eux ont mieux vécu l’assignement à domicile. Cet espace a une place particulière entre espace privé intime et l’ouverture sur le monde extérieur, avec lequel il peut créer des interactions plus ou moins fortes, ce que l’on a aussi pu observer avec les applaudissements collectifs ou les concerts des confinements de 2020.
LE CONFORT SOCIAL : DU COLLECTIF A L’INTIME
Le confort social, c’est quand on se sent à l’aise dans un groupe social. En ce qui concerne le logement, on considérera que le groupe social en question est celui du voisinage. Pour se sentir en confort avec ce voisinage, il y a un double objectif à atteindre : pouvoir à la fois se sentir en intimité dans son chez-soi tout en pouvant avoir des interactions agréables (ou au moins pas désagréables) avec les autres quand on doit/veut les croiser. Il faut bien penser les séquences entre collectif et intime.
Premièrement, la sensation d’intimité dans le logement touche directement à une bonne isolation acoustique74 et visuelle. Un logement confortable est celui où on peut se sentir dans son propre chez-soi, sans outrage à son intimité.
Le confort social, c’est surtout le fait d’être confortable avec les autres et pouvoir partager des moments/des services dans la bonne entente. Ce sentiment peut être très lié à la taille de la résidence dans laquelle on vit. Quand les immeubles sont trop grands et qu’il y a trop de logements, on peut se sentir comme un numéro parmi tant d’autres et il peut être plus difficile de créer du lien avec ses voisins. La cohabitation d’un trop grand nombre de résidents au même immeuble peut être source d’inconfort, et c’est notamment ce qui a pu être reproché aux grands ensembles. Un travail des parties communes est souhaitable si l’on veut créer des opportunités de rencontres, notamment par exemple en créant des espaces communs plus larges et bien éclairés et entretenus où l’on peut prendre le temps de s’arrêter et discuter plutôt que des couloirs sombres, étroits et sans fin.
« Au-delà du logement, éclairer naturellement les parties communes s’avère être un enjeu touchant à la fois à la santé, la sécurité et la sociabilité entre résident-es, tout en réduisant les factures énergétiques de la
74 Voir p. 34 copropriété. »75
On peut oser aller plus loin que les locaux partagés obligatoires (locaux poussettes et vélos) et proposer des pièces en plus appropriables par les résidents, comme une salle polyvalente où on peut organiser une petite fête ou réunion de manière occasionnelle. Si ce ne sont pas des espaces directement vendables, ils offrent tout de même indéniablement des potentialités de confort en plus pour les résidents.
LE SENTIMENT DE SÉCURITÉ
Se sentir à l’aise dans son logement passe forcément par un sentiment de sécurité. Le chez-soi c’est cet espace privilégié qui nous abrite physiquement et psychiquement du monde extérieur. Se sentir en sécurité c’est se sentir détendu(e) et calme à un moment où il n’y a pas de menace ou de danger réel. Matériellement et architecturalement parlant, on peut tenter de régler ces problématiques avec des accès contrôlés aux espaces semi-privés et privés.
LE CONFORT DE LA BONNE LOCALISATION
S’il est important de se sentir bien chezsoi, se sentir libre de pouvoir se déplacer librement est également une priorité. Ainsi, un logement facile d’accès, proche des transports, pourra offrir un certain confort à ses habitants qui bénéficieront de temps de trajets limités pour vivre leur vie. C’est pour cela que les logements en centre-ville sont généralement plus
75 Pauline Dutheil, Samuel Rabaté, Alexandre Néagu, Nos logements, des lieux à ménager, Étude sur la qualité d’usage des logements collectifs construits en Île-de-France entre 2000 et 2020, IDEHAL Recherche, aout 2021, p. 59
chers : ils bénéficient de la proximité des équipements (transports publics, routes, ERP, commerces...). C’est un paramètre de confort qui est bien intégré et recherché par la société.
LE CONFORT, UNE NOTION PROPRE A CHACUN
Le confort est un état de bien-être général et stable. Cette sensation dépend, comme nous venons de le voir dans ce passage en revue non exhaustif, de nombreux facteurs qui vont de l’état de santé au confort thermique, en passant par la qualité de l’air, l’éclairage ou le sentiment de sécurité. Ces critères inter-réagissent entre eux. Il n’y a pas d’optimum universel : chacun apprécie son confort en fonction de ses propres attentes. Par exemple, là où certains préféreront vivre en centre ville pour pouvoir « tout faire à pied », d’autres privilégieront une maison isolée « au calme en pleine nature ». Chaque individu est différent et aura des besoins et envies qui évolueront tout au long de sa vie en terme d’habitat, selon ses aspirations du moment. Aussi, le nombre de critères est non exhaustif et là aussi est subjectif. Il y aurait des milliers d’autres facteurs qui permettent aux individus de se sentir bien : sécurité financière, sécurité de l’emploi, ou au contraire possibilité de liberté, taux de luminosité, qualité de la vue offerte par le logement... La problématique de tous ces facteurs c’est que pour la plupart ils sont difficilement mesurables. Cependant ce n’est pas impossible : la dernière recherche76
76 Pauline Dutheil, Samuel Rabaté, Alexandre Néagu, Nos logements, des lieux à ménager, Étude sur la qualité d’usage des logements collectifs construits en Île-de-France entre 2000 et 2020, IDEHAL Recherche, aout 2021 menée par l’Institut des Hautes Études pour l’Action dans le Logement (IDEHAL) a ébauché une grille de lecture pour évaluer le confort des logements, en proposant des systèmes de mesure quantifiables pour des paramètres qui semblaient ne pas forcément pouvoir l’être.
LE CONFORT LOGEMENT DOIT SUIVRE LES CHANGEMENTS SOCIÉTAUX
« C’est en observant la vie de chacun que l’on pourra avoir une production de la ville qui corresponde à des modes de vie inconnus jusqu’ici. »77
Au XXIème siècle la famille type (si encore on peut parler de famille type) n’est plus celle du siècle dernier : on vit plus longtemps, on fait des longues études et du télétravail, les enfants de parents divorcés se déplacent d’un logement à l’autre... Autant de situations inédites qui doivent pousser à la réflexion dans le logement pour l’adapter aux nouveaux usages.
77 Patrick Bouchain, Construire ensemble le grand-ensemble, Éditions Actes Sud, mai 2010, p. 2
3. Législations et labels pour la qualité du logement
ÉVOLUTION DES RÉFÉRENTIELS
Nous venons de voir que la perception du confort varie d’un individu à l’autre. Pourtant, des paramètres de confort sont collectivement validés dans les sociétés. Par exemple, au XXème siècle, les français ont l’habitude d’avoir accès à l’eau courante chaude ou froide. C’est un service du logement qui parait aujourd’hui évident, et son absence rendrait le logement inconfortable. Ainsi, certaines normes et législations harmonisent officiellement les services de confort des logements des sociétés, ce qui permet d’atteindre des niveaux de confort reconnus et plus ou moins performants.
RÉGLEMENTATION, NORMES, CERTIFICATIONS, LABELS
La réglementation est ce que la loi impose de respecter. Pour les bâtiments, elle concerne notamment les dimensions thermiques ou acoustiques. On peut aller plus loin en certifiant les édifices. La certification prouve une qualité supérieure aux réglementations. La certification est une démarche volontaire qui peut être demandée par le constructeur pour faire reconnaitre la qualité de la construction, de la rénovation ou de l’exploitation du bâtiment. Un organisme certificateur accrédité indépendant et impartial le délivre à l’issue d’une évaluation précise sur plusieurs critères (thermique ou ventilation ou acoustique ou sécurité ou qualité des matériaux...). La certification représente un véritable gage de qualité pour un logement confortable et/ou sain et /ou économe en énergie. Les normes peuvent être : - réglementaires (rendues obligatoires par la réglementation) - volontaires (quand les professionnels d’un secteur se mettent d’accord pour définir des caractéristiques ou des critères communs pour leurs produits ou services).
Certains labels sont fiables et d’autres moins. Un label reconnait la qualité dans un domaine spécifique (matériaux, performance énergétique...). Certains labels sont délivrés par des organismes certificateurs, qui peuvent alors être assimilés à une certification et d’autres sont fondés sur une charte à respecter sans vérification par un tiers. Ces derniers ont ainsi plus ou moins de valeur. Les propriétaires doivent alors bien se renseigner pour comprendre d’où viennent les labels et comment ils sont délivrés.
RÉGLEMENTATIONS THERMIQUES
« La première réglementation thermique intégrée à la loi française est la RT1974, induite par le choc pétrolier de 1973. L’objectif est alors de baisser la consommation d’énergie des bâtiments sous le seuil de 225 kWh/m²/an. Il est estimé que les bâtiments construits entre 1950 et 1970 consommaient environ 300 kWh/m²/an. La motivation de cette réglementation de 1974 n’est pas de lutter contre le réchauffement climatique, mais de diminuer la consommation générale d’énergie dans un contexte politique de guerre entre Israël et ses voisins égyptiens et syriens, ayant entraîné une hausse du prix du pétrole de 70% par les membres de l’OPEP. »78
« Les réglementations thermiques françaises suivantes (1978 et 1980) conduisent à utiliser de vrais matériaux isolants, spécifiques, comme le polystyrène (d’une épaisseur de 3 centimètres), que l’on appose sur les matériaux de la structure porteuse, en
78 Philippe Rahm, Histoire naturelle de l’architecture, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 2020, p. 116 brique ou en béton. » 79
Avant la réglementation thermique de 1974 (RT1974), les bâtiments n’étaient pas isolés thermiquement. La première isolation thermique mise en place est alors le système de la lame d’air entre deux parpaings. Dans les années 1980 apparaissent les premiers matériaux isolants tel que le polystyrène. A cette époque la volonté première est de réduire la consommation d’énergie produite pour chauffer ou refroidir un logement. L’État s’engage dans des politiques de réhabilitations qui accompagnent financièrement les bailleurs sociaux avec la prime Paululos. Cette aide est créée pour l’amélioration des logements à utilisation locative et à occupation sociale. Une première vague de réhabilitations a donc lieu à cette époque.
Une nouvelle vague de réhabilitation s’organise avec la mise en place de la politique de rénovation urbaine établie par la loi n° 2003-710. Elle instaure la création de l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU), chargée de piloter et de financer le Programme National de Rénovation Urbaine (PNRU), doté de 12 milliards d’euros de subventions.80 En 2007, le Grenelle de l’Environnement rehausse les exigences en fixant l’objectif ambitieux d’une division par quatre au taux de gaz à effet de serre en 2050, par rapport aux émissions de 1990. La RT 2012, issue de la loi Grenelle 1, met l’accent sur le recours aux énergies renouvelables. Elle porte une attention
79 Philippe Rahm, Histoire naturelle de l’architecture, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 2020 p. 117
80 https://www.anru.fr/le-programmenational-de-renovation-urbaine-pnru
https://www. nf-habitat.fr/ certification/
particulière à la limitation des ponts thermiques, à l’isolation et à l’étanchéité à l’air du bâtiment. La surface vitrée du logement doit être supérieure ou égale à 1/6ème de sa surface totale et équipée de protections solaires. Il est désormais nécessaire de pouvoir mesurer ou estimer la consommation énergétique du logement.
La RE 2020, entrant en application en janvier 2022 marquera une nouvelle étape déterminante : toute nouvelle construction devra produire davantage d’énergie qu’elle n’en consomme, sur le principe des bâtiments à énergie positive. L’impact carbone sera désormais mesuré sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment pendant sa construction puis sur la durée de son exploitation. Cette nouvelle législation est ainsi centrée sur des préoccupations environnementales.
LABELS
Pour aller plus loin que les réglementations imposées par la loi, il est possible de faire certifier les logements pour faire valoir leurs qualités environnementales, énergétiques, de confort ou de qualité architecturale avec des labels. Chacun a ses propres spécificités : bâtiments à énergie positive, à haute performance énergétique, utilisation de matériaux bio-sourcés... Il existe des labels d’État réglementaires (Label Bâtiment Biosourcé), des labels d’État non-réglementaires (Label Énergie Carbone E+C-) sur lesquels s’appuient de nombreuses Certifications et labels privés (NF Habitat HQE, Bâtiment BBCA, BEPOS...)... D’après l’Observatoire BBC 2021, près de 893 782 logements collectifs sont engagés dans une démarche de labellisation en France81 . Avoir un logement avec label garantirait un logement sain et confortable avec une consommation énergétique optimale. Cela augmente aussi la valeur immobilière du bien.
NF HABITAT HPE & HQE
Le label Haute Performance Énergétique (HPE) se décline en plusieurs autres labels en fonction de la performance énergétique et de la consommation d’énergies. Il y a une grille avec différentes valeurs du label : - Le label HPE (Haute Performance Énergétique) correspond à une consommation d’énergie inférieure de 10% à la consommation de référence.
81 Pauline Dutheil, Samuel Rabaté, Alexandre Néagu, Nos logements, des lieux à ménager, Étude sur la qualité d’usage des logements collectifs construits en Île-de-France entre 2000 et 2020, IDEHAL Recherche, aout 2021, p. 55
- Le label THPE (Très Haute Performance Énergétique) correspond à une consommation d’énergie inférieure de 20% à la consommation de référence. - Le label BBC (Bâtiment Basse Consommation) correspond à une consommation inférieure de 50% à la consommation de référence. - Le label HQE est inspiré du label Haute Performance Energétique auquel il ajoute une dimension sanitaire, hydrologique et végétale.
La normalisation Haute Qualité Environnementale introduit en 2004 en France une série de changements techniques et de procédés appliqués à la construction, à l’entretien et à l’usage du bâtiment. Le label HQE est inspiré du label haute performance énergétique auquel il ajoute une dimension sanitaire, hydrologique et végétale. Ainsi, on peut considérer qu’il est plus complet dans ses critères.
NF Habitat est la marque de certification délivrée par les organismes certificateurs de l’Association QUALITEL, qui garantie le bon respect des valeurs HPE et HQE.
DES CRITÈRES LIMITES ?
Les normes de la Haute Qualité Environnementale balayent quatre champs de travail avec des cibles précises :
- Les cibles d’éco-construction C1. Relations harmonieuses du bâtiment avec son environnement immédiat C2. Choix intégré des produits, systèmes et procédés de construction C3. Chantier à faibles nuisances
- Les cibles d’éco-gestion C4. Gestion de l’énergie C5. Gestion de l’eau C6. Gestion des déchets d’activités C7. Gestion de l’entretien et de la maintenance
- Les Cibles de Confort C8. Confort hygrothermique C9. Confort acoustique C10. Confort visuel C11. Confort olfactif
- Les cibles de Santé C12. Qualité sanitaire des espaces C13. Qualité sanitaire de l’air C14. Qualité sanitaire de l’eau
Bien que de manière globale certaines cibles correspondent au confort et à la santé des habitant, la conception du bien-être qu’elle propose reste sommaire. Elle exclut certains aspects directement liés à l’usage des espaces architecturaux ou plus «sociaux».82
« En fait on se focalise beaucoup aujourd’hui sur la question de l’écologie, du durable, des matériaux, et évidemment ça en fait partie, mais ce qu’on oublie aussi de mettre dans le durable c’est la qualité de vie. On voit bien que quelques fois, les bâtiments les plus labellisés ne sont pas forcément les plus intéressants en terme de qualité de vie, de qualité d’espace. Alors ça ne veut pas dire qu’il faut faire un choix pour l’un ou l’autre, mais je pense qu’il faut comprendre que faire des bâtiments c’est un ensemble de paramètres qu’il faut évaluer, y compris ceux qui ne sont pas quantifiables comme le plaisir
82 Claudia Hernandez Nass, L’espace domestique du bien-être à l’ère du durable, DPEA Architecture et Philosophie, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture Paris La Villette, Septembre 2008
d’être quelque part, les relations... »83
DES CRITÈRES LIMITANTS ?
Si les normes et labels sont là pour garantir une certaine qualité, qu’elle soit environnementale, énergétique ou autre, elles ont malheureusement souvent tendance à être très contraignantes et pas forcément facilement adaptables à toutes les situations. C’est ce que dénoncent de nombreux architectes qui regrettent la non prise en compte du « cas par cas » à cause de la rigidité et l’obligation des normes.
« L’engouement suscite une explosion de textes et d’obligations, parfois contradictoires ou contre-productifs, toujours complexes. Pourquoi, au nom de telle norme thermique, fixer un pourcentage maximal de vitrage ? La vue et la lumière naturelle ne sontelles pas environnementales ? » 84
« Il est vain d’espérer une prospective, une nouvelle manière d’imaginer le logement puisque le logement est extraordinairement codifié de manière très sévère par des centaines de textes de réglementation et ne permet pas l’utopie ou d’envisager une exploration nouvelle de l’espace. (...) La conception du logement échappe totalement aux architectes. Elle est entre les mains soit des spéculateurs du logement social, ils existent ceux-là ! soit entre les mains des entreprises qui le fabrique, soit des organismes qui le gère. Il est vain d’imaginer que ça va changer ! La tendance est de faire des logements avec de moins en moins de vitrage, des façades de plus en plus petites avec des
83 Anne Lacaton, La ligne, le sillon et la trace, conférence à la Friche de la Belle de Mai le 15 septembre 2021
84 Jacques Ferrier, Architecture = durable, Éditions Picard, 2010 petits trous en façades et des surfaces de plus en plus étroites. La paranoïa thermique, la peur d’avoir froid l’hiver, la peur d’avoir chaud l’été : c’est une caricature du regard scientifique. On est complètement cartographié par diverses paranoïas : le facteur lumière du jour, les échanges thermiques, le confort thermique d’été, le confort thermique d’hiver, le confort thermique intermédiaire... Enfin il y a toujours une série de contraintes, on le sait, on n’apprend rien. Mais je crois qu’il est vain de penser que la souffrance qu’ont vécu les mal-logés pauvrement logés puisse apporter des réponses. (...) Le champ normatif est radin, on le sait, les gens qui écrivent les champs normatifs n’ont pas d’expérience de la luxure, de l’érotisme, de l’espace et sont plutôt convoqués à l’exile de la beauté, à l’exile du plaisir, donc il n’y a pas de raison que ça change. » 85
« Si l’on examine ces normes environnementales et techniques, elles ne sont là rien que pour vendre de l’isolant extérieur, parce-que leurs calculs ne sont pas vrais, on ne tient pas compte exactement des apports gratuits du soleil. On peut très bien les pervertir et, quand vous travaillez avec des thermiciens intelligents, trouver 1000 solutions autres que du tartinage de polystyrène : la récupération de l’air chaud des salles de bain par exemple. (...) Ça n’a pas de sens : un vitrage au nord et un vitrage au sud n’ont pas le même comportement. » 86
85 Rudy Ricciotti, à propos de la conception du logement par rapport aux périodes de confinement liées à la pandémie de covid-19, Les possibilités d’une ville, conversation entre les architectes Paul Chemetov et Rudy Ricciotti, Radio France Culture, 19 mai 2021
86 Paul Chemetov, Les possibilités d’une ville, conversation entre les architectes Paul Chemetov et Rudy Ricciotti, Radio France Culture, 19 mai 2021
Ainsi, on peut s’interroger sur le fondement des réglementations et labels. Il y a forcément toujours des conflits d’intérêt et il est légitime de se poser des questions sur le sujet.
« Nous avons grandi dans des écoles en béton, dans lesquelles nous avons appris à dessiner des bâtiments en béton. Nous avons fait nos premiers pas avec des architectes brillants qui avaient grandi en construisant des bâtiments en béton, et un jour on leur a dit d’emballer les bâtiments dans du polystyrène et ils l’ont fait. »87
LABELS EN RÉHABILITATION
« (pour les logements construits dans les années 1950-1980), il n’est pas toujours judicieux de viser le niveau de performance thermique le plus élevé, le label BBC-rénovation créé il y a déjà une dizaine d’années. Une rénovation moins ambitieuse, et moins coûteuse, peut se révéler préférable pour ne pas dénaturer une architecture intéressante, tout en restant dans un juste compromis entre économie et technique. » 88
Il existe différents labels spécifiques aux réhabilitations. Ici une liste non exhaustive :
- Le label BBC Effinergie Rénovation89 est porté par l’association Effinergie (+ de 80 memebres dont des conseils régionaux). Il pose des conditions de
87 Christelle Gautreau, architecte associée chez Bond Society, podcast Ville en Œuvre participe au débat sur le “construire écologique”, 26 mars 2020
88 Fréderic Miallet, Rénovation environnementale, AMC n°285, mars 2020, p. 56
89 Ibid, p113 productivité d’électricité et exige une mesure de l’étanchéité des bâtiments, sans pour autant imposer une valeur précise.
- Le label Rénovation Responsable qui prend en compte les émissions de CO2.
- Le label BBCA Rénovation qui lui aussi vise une baisse des émissions de CO2.
D’AUTRES LABELS
De la même manière que les dimensions thermique et/ou énergétique ont tendance à supplanter toutes les autres dimensions du confort dans la pensée collective, plusieurs labels pour le confort mais pas pour la thermique existent. Par exemple, la label HSS (Habitat Senior Services) se présente comme un dispositif de maintien à domicile qui garantit entre autres une mixité générationnelle préservée pour favoriser le lien social et l’entraide entre voisins, des logements et des parties communes adaptés pour plus de sécurité, de confort et d’accessibilité ou des services personnalisés du bailleur pour faciliter le quotidien des personnes âgées.
Autre label pour un autre sujet : le label Architecture Contemporaine Remarquable, attribué aux immeubles, aux ensembles architecturaux, aux ouvrages d’art et aux aménagements faisant antérieurement l’objet du label « Patrimoine du XXe siècle » qui ne sont pas classés ou inscrits au titre des monuments historiques, parmi les réalisations de moins de 100 ans d’âge, dont la conception présente un intérêt architectural ou technique suffisant. Les critères d’éligibilité sont : - la singularité de l’œuvre - le caractère innovant ou expérimental
de la conception architecturale, urbaine, paysagère ou de la réalisation technique - la notoriété de l’œuvre - l’exemplarité de l’œuvre dans la participation à une politique publique - la valeur de manifeste de l’œuvre en raison de son appartenance à un mouvement architectural ou d’idées reconnu - l’appartenance à un ensemble ou à une œuvre dont l’auteur fait l’objet d’une reconnaissance nationale ou locale L’attribution du label engage le propriétaire à informer les autorités compétentes sur son intention de réaliser des travaux, et ce préalablement à leur réalisation. Le label ACR procure les avantages suivants : - Mention dans les documents de communication diffusés par le ministère de la Culture, notamment à l’occasion des Journées nationales de l’architecture - Possibilité d’obtenir une signalisation routière spécifique portant le logotype, selon le même processus que les édifices protégés au titre des monuments historiques - Autorisation d’utiliser le label et son logo sur tous les documents de communication et de signalétique - Aide technique pour adapter à de nouveaux usages les ouvrages labellisés subissant des transformations afin que les qualités initiales du bien soient préservées lors des travaux - Aucune servitude d’utilité publique à publier au service de la publicité foncière ; le propriétaire du bien labellisé conserve la libre jouissance de son bien mais à charge pour lui d’informer le préfet de région en cas de mutation de
http://www. habitat seniorservices.fr/
https://www. culture.gouv. fr/Aidesdemarches/ Protectionslabels-etappellations/ LabelArchitecturecontemporaineremarquable
propriété. 90
SPÉCIFICITÉS DU LOGEMENT SOCIAL
« Le logement social reste garant d’une certaine qualité, car il pose des gardefous, notamment en terme de surface. (...) Généralement on observe des ratios supérieurs de 5%, (quand un T3 sort à 62m² dans le privé, le locatif social varie entre 63m² et 65m²) » 91
Les bailleurs voudront éviter d’avoir à refaire entièrement les logements tous les 10 ans et voudront éviter à leurs locataires de payer des charges conséquentes qui s’ajouteront à leur loyer. Le bailleur essaie d’éviter ce qui est fragile au profit du durable (en théorie) contrairement à un promoteur qui vend et se sépare rapidement de ses appartements.
« Les bailleurs cherchent à réduire le montant des charges grâce à une très bonne performance thermique du bâti. « Pour des questions de cout d’entretien et de maitrise des charges de la part du bailleur, la production d’énergie est (presque) systématiquement centralisée. » 92
La démarche de label pour les bailleurs sociaux est volontaire mais souvent vivement encouragée par les pouvoirs publics.93
90 https://www.culture.gouv.fr/Aidesdemarches/Protections-labels-et-appellations/ Label-Architecture-contemporaineremarquable
91 Félicie Geslin, Mieux dans son chez-soi, Les Cahiers Techniques du Bâtiment n°388-389, septembre 2020, p. 84
92 Ibid, p. 87
93 Ibid, p. 85