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Le temps des retrouvailles JAPON-AFRIQUE JEUNE AFRIQUE N°3115 AOUT 2022 INTERNATIONAL 110
L’empereur Naruhito accueillant les chefs d’État africains présents à Yokohama lors de la Ticad 7, en août 2019. La huitième édition de la Conférence de Tokyo sur le développement en Afrique (Ticad 8) se déroulera en août, à Tunis. L’occasion, pour l’archipel et le continent, de resserrer des liens distendus par la pandémie.
Elle aurait pu ajouter la disparition de l’ancien Premier ministre, Shinzo Abe, assassiné le 8 juillet.
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YO MIURI SHIMB UN VIA AP IMA GES/SIP A
C’est peu dire que le contenu même de ces échanges entre le continent et l’archipel a été sérieusement bousculé par un contexte international aujourd’hui très dif férent de ce qu’il était il y a trois ans. « La pandémie de Covid-19 a grippé les relations entre les deux partenaires, et la crise ukrainienne risque fort de s’imposer dans l’agenda de la conférence de Tunis », estime Sayoko Uesu, chercheuse au National Graduate Institute for Policy Studies (Tokyo).
OLIVIER CASLIN (Ticad) est de retour sur le continent. Succédant au Kenya (2016), la Tunisieaccueillera,les27et28 août, le principal rendez-vous bilatéral créé au début des années 1990 par Tokyo « en vue de promouvoir le dialogue politique avec les responsables africains ».
A
Ce dernier avait quitté son poste en septembre 2020, mais ni Yoshihide Suga, son successeur immédiat, ni l’actuel chef du gouvernement, Fumio Kishida, n’ont su faire preuve d’autant de volontarisme en matière de politique africaine que Shinzo Abe durant ses presque huit années à la primature. Au point qu’aujourd’hui les relations entre le Japon et l’Afrique semblent quasi moribondes, et que beaucoup de Japonais,
Après une septième édition organiséeen2019danslavilleportuairede Yokohama, la Conférence de Tokyo sur le développement de l’Afrique
Pour beaucoup, Tokyo a davantage cherché, ces dernières années, à contrer l’influence de Pékin qu’à amplifier la sienne.
L’urgence des questions multilatérales promet également de s’inviter à Tunis, puisque Fumio Kishida a annoncé vouloir détailler à ses parte naires africains les promesses faites lors du dernier sommet du G7, qui s’est déroulé dans la ville allemande d’Elmau du 25 au 28 juin, pour remé dier aux crises alimentaires et énergétiques qui menacent aujourd’hui le continent. Autant de temps que le Japon ne passera pas à expliquer sa vision et la stratégie qu’il entend mettre en place pour donner un nou veau souffle à son partenariat avec l’Afrique.
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Najla Bouden, la Première ministre tunisienne, le 6 juillet, lors d’une réunion préparatoire à l’organisation de la Ticad 8. représentants des pouvoirs publics comme du secteur privé, espèrent assister à Tunis « à l’ouverture d’une nouvelle ère de coopération ».
Beaucoup d’observateurs, dont de nombreux Japonais, estiment d’ailleurs que Tokyo a commis une faute diplomatique en cherchant davantage, ces dernières années, à contrer l’influence de la Chine sur le conti nent qu’à amplifier la sienne.
Stratégie à clarifier L’initiative « Indo-Pacifique libre et ouvert » (FOIP), dévoilée par Shinzo Abe lors de la Ticad 6, paraît avoir été essentiellement conçue comme une alternative aux nouvelles routes de la soie tracées par Pékin. « Si les effets positifsdelaFOIPsontassezévidents pour ce qui concerne l’Asie, ils sont plusdifficilesàpercevoirenAfrique», constate Sayoko Uesu. La prochaine Ticad permettra justement peut-être d’ensavoirplusàcesujetalorsqueles responsables japonais du ministère des Affaires étrangères (Mofa) s’ap prêtent à débarquer en Tunisie en continuant de porter cette initiative à bout de bras.
Avec cette Ticad 8, l’heure semble donc aux explications de texte pour lesJaponais,àcommencerparFumio Kishida. Depuis son arrivée au pouvoir,enseptembre 2021,iladûcompteravecunagendainternationalquia placé l’Afrique bien loin des priorités.
L’élan qui caractérisait les relations entre l’archipel et le continent, et qui semblait avoir culminé avec la Ticad 6, à Nairobi, paraît en perte de vitesse, à l’image des montants de l’aide publique au développement (APD) accordée par Tokyo à l’Afrique et qui a diminué de 33 % entre 2016 et 2020, pendant que le stock des investissements directs étrangers (IDE) nippons chutait d’un quart Le secteur privé japonais a bien renforcé sa présence sur le continent (avec 900 entreprises en 2020, contre 795 en 2017), mais reste bien loin d’avoir répondu à la mobilisation générale que Shinzo Abe avait appelée de ses vœux lors de la Ticad 7. Dans le même temps, le voisin chinois a, lui, considérablement renforcé ses positions en Afrique, dans la foulée de ses 3 000 compagnies implantées sur le continent, où Pékin compte un stock d’IDE aujourd’hui dix fois supérieur à celui deTokyo.« ContrairementàlaChine, le Japon ne peut pas obliger ses entreprises à s’installer en Afrique », rappelle Katsumi Hirano, ancien vice-président de l’Organisation japonaise du commerce extérieur (Jetro) et aujourd’hui chercheur, pour expliquer les raisons d’une course perdue d’avance par le Japon.
MO HA MED HAMMI/SIP A
L’ancienministredesAffairesétrangères de Shinzo Abe connaît ses dossiers, mais son discours risque de ne pasporterautantqu’illesouhaiterait, compte tenu du format retenu pour le rendez-vous tunisien. Craignant toujours les possibles retombées du virus, les responsables du Mofa ont en effet prévu de faire le déplace ment en comité restreint, limitant le nombre de représentants en présentiel des agences publiques Jetro, Jica(Agencejaponaisedecoopération internationale) ainsi que du secteur privéjaponais,lesautresétantappelés à participer à distance.
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La Ticad 8est l’un despremiers forumsinternationaux depuisle déclenchementdelapandémie où lesdirigeantsjaponais et africains vont pouvoirserencon trer.Cet événement diplomatique doit être l’occasionpour le Japon de montrer soninvestissement entantque partenairefiable et désireux de travailleravec l’Afrique àlacréation d’un monde post-Covid durable et équitable.
Tribune Koji Yonetani Directeur généralAfrique au ministèrejaponaisdes Affaires étrangères
Un vrai partenaire, pas un simple donateur
Promotion du commerce,aide aux start-up,soutien aux initiatives«vertes»…
E nlançant, en 1993,au lendemain de la guerre froide,laConférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad), le Japonprenaitune initiative que beaucoup d’autres pays ont depuis repriseàleur compte.Parmiles nombreux forums consacrés àlacoopé ration avec l’Afrique, la Ticad affiche la particularitédeveiller à un développementautonome du continent. Ce caractèreunique estissudelapropreexpérience du Japon, quiaassurélui-même sa reconstructionaulendemain de la SecondeGuerremondiale, avec le soutien de la communauté internationale. Dans le contexteafricainde fortpotentiel de croissance accompagnéd’une augmentation importante de sa population, le Japonfera tous lesefforts nécessaires pour contribuer à un développementdurable du continent, non pas en tantque donateur,mais bien comme un vrai partenaire. La Ticad aévolué au fil de ses éditions. Elle s’estdérouléepour la premièrefois en Afrique, à Nairobi, en 2016. Àcette occasion, l’ancien Premier ministre,Shinzo Abe, avait présentéson initiative «Indo-Pacifique libre et ouvert » (FOIP),destinéeàrenforcer la connectivitéentreles océans Indien et Pacifiqueetcelledes continents africain et asiatique. La FOIPest un pilier majeur de la politique étrangère japonaise, et nousavons l’intention de coopérer avec l’Afriquepour assurer l’ouverturedes océans. Trois ans plus tard, la Ticad 7de Yokohama positionnait le secteur privé japonaiscomme partenaire officiel et central de la coopération du Japonavecl’Afrique. La Ticad 8, qui va se tenir àTunis les 27 et 28 août, doit accélérer cettetendance, en particulier dansuncontexte fortement perturbépar l’irrup tion du Covid-19. Cettepandémie aeuunimpactconsidérablesur lessociétés et leséconomies africaines, entraînant un ralentissement de la croissanceetdes opportunités d’emplois, ainsi que l’affaiblissementdes popu lations lesplus vulnérables.Un nouveau défi vient d’êtrelancé à l’ordremondial avec l’agression de la Russie contre l’Ukraine,qui perturbel’approvisionnement énergétique et alimentaire. Là encore,l’impactest énorme sur le continentafricain. Le Premierministre,Fumio Kishida, souhaitetransformer cesdéfisenmoteur pour une croissance économiquedurable. Notamment dans le domaine de l’économie, où nous voulonsnous concentrer sur la promotion du commerce,del’investissement et desaffaires,sur l’aideaux start-up et àtoute entrepriseàcaractère social, sur le soutien aux initiatives«vertes»soutenant la décarbonation, et,enfin, sur le renforcement d’un système économique libreetouvert. Paix et stabilité En matièresociale,nous voulons poursuivrenos efforts d’investis sement dansles personnes,pour anticiperlacroissancedémographique en Afrique,ennous concentrantsur lessecteursdela santé, de l’éducation,del’environnement. Nous souhaitons également renforcerlapaix et la stabilité àtravers le continent, en consolidant la démocratie et en promouvant l’État de droit.
Comment les entreprises japonaises voient l’Afrique À la Toyota Kenya Academy, en 2019.
Deux pays qui figurent pourtant dans les dix destinations d’affaires préférées des Japonais, l’Afrique du Sud occupant la deuxième place et l’Éthiopie la cinquième. Le Kenya conserve son premier rang Pour l’année 2021, le Nigeria confirme sa troi sième place, pendant que le Ghana poursuit sa progression, à la quatrièmeplace.Seulspaysfrancophones présents, le Maroc et la Côte d’Ivoire sontrespectivementclasséshuitième et neuvième.
STRATÉGIE Attirées par le potentiel économique du continent, les sociétés nippones sont toujours plus nombreuses à s’y implanter. Elles conservent néanmoins une certaine méfiance à son égard.
TO YO TA KENY A FO UND AT ION
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Les secteurs économiques porteurs sont, dans l’ordre, les produits alimentaires,lesénergiesrenouvelables et les infrastructures électriques Danscecontexteglobalementpositif, les risques liés à l’investissement enAfriquesontjugéstrèsélevés.Pour 65 % des entrepreneurs, l’application des normes et cadres réglementaires est encore insuffisante. L’instabilité politiqueetsocialeestperçuecomme un facteur de risque pour 56,4 % d’entre eux Ce ressenti dépasse les 85 % en ce qui concerne l’Afrique du Sud et l’Éthiopie.
OLIVIER CASLIN E n matière de business, tout est affaire d’impressions. Celles des entrepreneurs japonaisinstallésenAfrique restentmitigées.C’estcequiressortde l’étude lancée, en 2021, par l’Organi sation japonaise du commerce extérieur (Jetro), dont les résultats ont été publiés en février dernier Sur les 900 entreprises nipponnes présentes en Afrique, 335 ont été sollicitées et 258 ont répondu, dans vingt pays Près de la moitié (49,2 %) des entreprisessondéesontannoncédesrésultats d’exploitation bénéficiaires pour 2021, soit une hausse de 13 points en douze mois. « C’est un retour au chiffre d’avant la crise sanitaire », selon les experts du Jetro, qui note néanmoins une disparité selon les pays. Si les opérateurs nippons établis en Afrique du Sud, en Égypte et en Côte d’Ivoire ont retrouvé leurs résultats de 2019, leurs collègues au Kenya, au Maroc, au Nigeria et au Ghana sont encore loin du compte. Au Mozambique et en Éthiopie, on espère le retour de jours meilleurs. Vivement la Zlecaf L’optimisme reste de mise pour 2022, puisque 50,4 % des entrepreneurs s’attendent à une consolidation de la reprise économique. Seule l’Éthiopie inquiète,puisque88 %dessondésn’y attendentaucuneaméliorationd’icià la fin de cette année. Les entreprises affichent la même confiance à moyen terme : plus de 48 % d’entre elles souhaitent étendre leurs activités sur le continent « d’ici un ou deux ans », soit une augmentation de 7 % sur l’année. En Afrique du Sud, au Maroc, au Mozambique et en Éthiopie, la proportion dépasse les 50 %. Pas question de sortir d’un marché africain qui a vu « son importance augmenter ces cinq dernières années » pour près de 47 % des sondés. Pour 58 % d’entre eux, l’Afrique prendra encore plus de place dans les stratégies internationales d’ici à 2027, danslafouléedelamiseenplacedela Zlecaf,trèsattendueparlesJaponais.
QuelrôlejoueralaJica? Nousveilleronsàsouteniraumieux la reconstruction de l’Afrique sur des bases économiques et sociales résilientes et inclusives. Nous conti nuerons à nous concentrer sur le développementdesinfrastructureset le soutien aux ressources humaines, en nous appuyant sur notre connais sance unique du continent. Sur les 8000 Japonais qui vivent sur leconti nent, plus d’un quart travaille pour l’un de nos 31 bureaux africains.
Ryuichi Kato « Notre secteur privé est encore discret sur le continent » JICA
PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER CASLIN
Qu’attendez-vousdelaprochaine édition?
JeuneAfrique:Troisansaprèsla Ticad7,quelbilanentirez-vous?
DÉVELOPPEMENT JEUNE AFRIQUE N°3115 AOUT 2022116 INTERNATIONAL JAPON-AFRIQUE
Rencontre, à Paris, avec le vice-président de l’Agence japonaise de coopération internationale.
Ryuichi Kato : Pour la première fois, la Ticad a mis l’accent sur le business entre l’Afrique et le Japon. La Jica dispose d’importants leviers de soutien pour les entreprises, notamment en matière d’éducation et de formation professionnelle. Et je pensepouvoiraffirmerquel’ensemble desobjectifsénoncésàYokohamaapu être réalisé. Malgré la pandémie, près de400000Africainsontpubénéficier de nos différents programmes de for mation dans le secteur industriel.
A rrivé en 1987 à l’Agence japonaise de coopéra tion internationale (Jica), Ryuichi Kato a connu de nombreux départements de cette institution avant d’en être nommé vice-président,en2020.Ilalongtemps travaillé en Afrique de l’Ouest, en tant querésidentdelaJicaenCôted’Ivoire, puisauSénégal,oùilaprisladirection del’agencelocaleentre 2012et 2016.Il aensuiteété,durantquatreans,direc teur général du département Afrique À l’occasion d’une visite à Paris, au début de juillet, il revient sur les prin cipaux dossiers de la Jica en Afrique, danslaperspectivedela8eConférence internationale de Tokyo sur le déve loppement de l’Afrique (Ticad 8) qui se tiendra à la fin d’août en Tunisie.
LePremierministre,Fumio Kishida,enprofitera-t-ilpour dévoilerlesgrandeslignesdesa politiqueafricaine? Fumio Kishida est arrivé il y a moins d’un an, dans un contexte internatio nal très difficile. La Ticad 8 sera pour lui l’occasion de présenter sa vision politique de l’Afrique Il a été ministre desAffairesétrangèressousl’adminis tration Abe, il connaît donc très bien l’agenda diplomatique Lors de la réunion préliminaire qui s’est tenue en mars, le gouvernement a priorisé cetteannéedeuxsujets :lesressources humaines et les conditions néces saires pour obtenir une croissance de qualité. Ces deux dossiers sont appelés à devenir les piliers de notre coopération en Afrique
L’ancien Premier ministre Shinzo Abe, assassiné le 8 juillet, comptait beaucoup sur le secteur privé japonais pour renforcer l’influence de Tokyo en Afrique. Comment travaillez-vous avec celui-ci? Les deux secteurs, privé et public, sont nécessaires, et leur partenariat apparaîtaujourd’huifondamental.La Jica aide les entreprises qui veulent s’implanter sur le continent en leur fournissant informations et exper tise, ainsi que les réseaux dont nous disposons sur place. Ont-elles répondu aux attentes? Le secteur privé japonais est encore discretenAfrique,mêmesilenombre d’entreprises présentes est en aug mentation constante. Le potentiel de l’Afrique suscite énormément d’intérêt. Pourtant, beaucoup de nos compagnies ne font que commen cer à développer leurs activités sur le continent. Les résultats devraient être bien plus visibles dans les années à venir.
L’Afrique a montré sa résilience face à la crise, ces trois dernières années La pandémie a toutefois provoqué une baisse significative de la croissance économique et une augmentation du taux de pauvreté. Malgré les efforts réaliséscesdernièresannées,leconti nent souffre et subit maintenant les conséquences de la crise ukrainienne en matière de sécurité alimentaire et énergétique. Cette 8e édition est une chance à saisir, pour le Japon : il pourra montrer sa solidarité avec l’Afrique sur ces différents dossiers.
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