EN TR EP RISE S
Quelles sont les compagnies les plus performantes ?
Quelles sont celles qui ont le mieux résisté aux crises successives, de la pandémie de Covid jusqu’aux conséquences de la guerre en Ukraine ?
Notre édition 2023 du Classement des 500 champions africains
lève le voile sur la redistribution des cartes en cours au sein des plus grandes entreprises du continent.
www.jeuneafrique.com N0 3123 –AVRIL 2023 SOFTPOWER, DIPLOMATIE... POURQUOI LE MAROC CHANGE DE TON 18 PAGES DIJBOUTI GUELLEH «Aucun tribaliste n’a jamais réussi en politique » CÔTE D’IVOIRE Jusqu’où ira Jean-Louis Billon ? : H I K L T D = [ U \ ^ U ^ : ? n @ b @ m @ d a M0 1936 -3 12 3F: 7,90 E -R D Al lemag ne 9€ • Be lg iqu e9 € • Ca nad a1 2,9 9$ CA N Co ng oB ra zz av ill e5 000 FC FA • Dj ib ou ti 12 € • Es pa gn e9€ Fr an ce 7, 90 € • DO M9 € • It al ie 9€ • Ma roc 50 MAD Mau ri ta nie 20 0M RU • Pay sBa s9 ,2 0€ • Po rt uga l9€ RD Co ngo 10 US D • Su is se 15 CHF • Tu nisie 8T DN • TO M1 000 XP F Zo ne CF A4 800 FC FA • IS SN 19 50 -1 28 5
24e édition SPÉCIAL 32 PAGES
Dans JeuneAfrique et nullepartailleurs
SOMMAIRE
3L’édito
Marwane BenYahmed
PREMIER PLAN
8L’homme du mois Bola Tinubu, élu présidentduNigeria
12Dix choses àsavoir sur… GuyRobertLukama, président du CA de la Gécamines
14Lematch
Mohamed Ould Bouamatou vs Béchir El Hassen
16Lejour où…
VitalKamerheété incarcéré àMakala
18L’actu vue par…
Tanella Boni, philosophe et romancière ivoirienne
20 L’œil de Glez
«Engagez-vous!»qu’ils disaient
22 Le dessous des cartes
Quand lesjihadistes font la guerre aux écoles
24Parti pris
Comment rester au pouvoir sanstrop se fatiguer, par François Soudan
28 Repenser Senghor,une urgence, par Elgas
29 Crise, vous avez dit crise?, par Aurélie M’Bida
60Algérie
Entretien avec Kamel Daoud, journaliste et écrivain francoalgérien
66Libye
Kadhafi et moi, parJean-Louis Gouraud
32
POLITIQUE 42 Interview IsmaïlOmar Guelleh, président de la République de Djibouti 50 Côte d’Ivoire Jean-LouisBillon, coureur de fond 54 Mali Abdoulaye Diop, la voix de la junte 58 Rencontre avec… DenisKadima, l’homme de la mission impossible?
70Tribune Notre mer àtous ENQUÊTE
Sénégal Akon City,l’impossibilité d’une ville 42 60
JEUNE AFRIQUE –N°3123 –AVRIL 2023 6
DOSSIER SANTÉ
152 Recherche biomédicale L’Institut Pasteur de Dakar défie Sanofi et Chumakov
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122Énergie
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Dépôt légal :àparution ISSN 1950-1285
124TotalEnergies Interviewd’Henri-Max Ndong-Nzue, directeur Afrique subsaharienne
128Aérien EgyptairetEthiopian Airlines, les meilleurs ennemis
130Dealdel’année
Bolloré-MSC:les coulisses d’unpassage de témoin
134Portrait Samuel Foyou, serial entrepreneur
136Classement
OBJECTIF MAROC 76 «Qui m’aimemesuive » CULTURE
Interview Hassanein Hiridjee,
du groupeAxian 166Musique Stany:tubes en stock 168Hommage GisèleHalimi, l’avocate de la liberté JEUNE AFRIQUE &VOUS 224 Le tour de la question 225 Ce jour-là 226 Post-Scriptum GRAND FORMAT CAMEROUN 171 L’expectative 108 Bilan Un élan retrouvé 112Financement Àl’heure de la «croissance maigre» 115 Télécoms Avec Peter Ndegwa, rigueuretdéveloppement pour Safaricom
ENTREPRISES
160
CEO
Compagnies électriques etÉtatsface àunchoix cornélien
ÉCONOMIE
COUVERTURES :M ONT AG EJ A; VINCENT FO URNIER POUR JA ;D AV ID DESP AU /COLA GÈNE
2023
107
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OBJECTIF MAROC
Fort de ses succès sur les plans diplomatique et économique, voire sportif, le royaume a retrouvé une fierté qui le conduit aujourd’hui à s’affirmer plus énergiquement sur la scène internationale. Quitte à froisser quelques vieux amis.
« Qui m’aime me suive »
DRISS BEN MALEK/MAP
JEUNE AFRIQUE – N°3123 – AVRIL 2023 76 UN PAYS, SES DÉFIS
Le roi Mohammed VI entouré des joueurs de l’équipe nationale de football, qui lui ont remis un maillot des Lions de l’Atlas, à Rabat, le 20 décembre 2022.
SOUFIANE KHABBACHI, À CASABLANCA
La séquence a marqué les esprits. Le 30 janvier, au micro de RMC, le sélectionneur de l’équipe nationale de football, Walid Regragui, s’autorisait une petite mise au point : « On veut des joueurs qui sont sûrs de vouloir mouiller le maillot pour le Maroc. Il n’y aura pas d’ambiguïté. Si tu hésites, c’est que tu n’es pas fait pour jouer pour le Maroc. » Fort de la performance historique de l’équipe du Maroc, première équipe africaine à atteindre les demi-finales d’une Coupe du monde de football, au Qatar, à la fin de 2022, l’entraîneur, lui-même franco-marocain, tenait à faire passer un message clair mais aussi assez nouveau : désormais, le Maroc ne sera plus un choix par dépit pour les joueurs binationaux tiraillés entre deux drapeaux. Quelques jours plus tôt, dans L’Équipe daté du 12 janvier, il avait d’ailleurs déjà déclaré : « Personne ne pourra me faire de chantage, on ne joue pas avec l’amour du maillot. »
Excessifs ou non, les propos tenus par l’entraîneur des Lions de l’Atlas reflètent avant tout une tendance de fond, révélée peut-être à l’occasion du brillant parcours de son équipe au Qatar mais qui s’étend à présent à l’ensemble de la société et de l’opinion publique marocaines : celle de l’expression d’un sentiment d’appartenance à la nation. La nouveauté ne concerne pas ce sentiment lui-même, déjà présent chez beaucoup de citoyens du royaume, mais bien son affichage totalement décomplexé et affirmé. Si cette fierté s’explique de bien des manières, elle trouve en partie sa source dans le
regard que le reste du monde porte sur le pays, et sur le discours que tiennent les capitales des pays environnants. Aujourd’hui, le Maroc est régulièrement décrit par nombre de ses partenaires européens et internationaux comme un pilier de la coopération migratoire, économique et sécuritaire. Et comme un partenaire dont la stabilité contrasterait avec l’instabilité des pays qui constituent son environnement géopolitique immédiat.
Cette image flatteuse découle sans doute, au moins pour partie, des réformes entreprises par le roi Mohammed VI durant ses premières années de règne Dès son accession au trône le 30 juillet 1999, le souverain a immédiatement fait part de sa volonté de faire du Maroc un pays résolument tourné vers la modernité, et une locomotive pour l’Afrique
qu’ilemploie, dedonnerl’imaged’un royaume capable de se réinventer et de se réactualiser. Le changement de ton actuel mettant en avant la supériorité d’un Maroc moderne n’est d’ailleurs pas autre chose que le prolongement de la vision royale du moment.
Lors de son traditionnel discours à la nation à l’occasion de l’anniversaire de la « Révolution du roi et du peuple », le 20 août 2021, Mohammed VI déclarait : « Le Maroc a effectivement changé, mais pas dans le sens souhaité par ses détracteurs. Il a changé parce qu’il n’accepte pas que ses intérêts supérieurs soient malmenés. Corrélativement, il s’attache à fonder des relations solides, constructives et équilibrées, notamment avec les pays voisins » Et le souverain d’utiliser cette image d’un royaume attaqué par des puissances extérieures qui ne supporteraient pas le développement de son pays : « Quelques pays, notamment des pays européens comptant, paradoxalement, parmi les partenaires traditionnels du Maroc, craignent pour leurs intérêts économiques, leurs marchés et leurs sphères d’influence dans la région maghrébine. […] Ils ne veulent pas admettre que les règles du jeu ont changé, que, désormais, nos pays sont totalement aptes à gérer leurs affaires. »
à travers un élargissement de la coopération Sud-Sud. Animé par une volonté de renforcer son indépendance et sa souveraineté nationales, le royaume a entrepris une large série de réformes dans une multitude de domaines : politique, démocratique, droits de l’homme… Et lancé de nombreux chantiers à la hauteur de ses ambitions. Aujourd’hui, le port de Tanger Med est l’un des plus importants d’Afrique et une plaque tournante du commerce mondial. Le TGV relie depuis 2018 Tanger à Casablanca et desservira bientôt Agadir, alors que le réseau autoroutier s’est considérablement développé.
Les discours royaux ont eu cette fonction de permettreaux Marocains de se mettre au diapason des réalités de leur pays, telles que les projette le souverain. Le roi Mohammed VI a toujours pris soin, dans les mots
L’écueil de l’autosatisfaction Grisés par des indicateurs économiques au vert ces dernières années, constatantlaréalitédesambitionsen matière d’aide sociale, les Marocains se sont progressivement faits à l’idée que leur pays, finalement, n’avait plus grand-chose à envier à ses voisins. Ni même, dans une certaine mesure, à ses partenaires occidentaux Un sentiment que la réforme constitutionnelle de 2011, censée parachever l’avènement démocratique et consolider l’État de droit, a contribué à renforcer. Lors de la pandémie de Covid-19, la capacité du Maroc à fournir masques, vaccins et médicaments à certains voisins, au moment où de nombreux pays européens faisaient face à des pénuries, a consolidé un peu plus cette perception nouvelle d’un État souverain pouvant désormais compter sur ses
JEUNE AFRIQUE – N°3123 – AVRIL 2023 77
La nouveauté réside dans cet affichage généralisé et totalement décomplexé du sentiment d’appartenance à la nation.
propres ressources. Et même s’offrir le luxe d’assister les autres
Une évolution qui ne revêt pas seulement un aspect psychologique mais que l’on retrouve dans les chiffres. « Le PIB du Maroc n’est pas celui des pays de l’OCDE, riches et industrialisés, le royaume en est conscient, mais il l’a doublé, non pas avec la rente mais avec la production et la création de valeur », analyse l’économiste franco-marocain spécialiste des politiques publiques Abdelghani Youmni. De ces projets, et des perspectives qui en ont découlé, sont nés un engouement et un fort sentiment d’adhésion à la communauté nationale, notamment au sein de la jeunesse. « Le peuple marocain sent et voit que le Maroc a profondément changé, estime un ancien ministre (de gauche). Les compliments de l’étranger, particulièrement appuyés pendant le dernier Mondial de foot, constituent une source de fierté dans différentes couches de la population. »
Pourtant, de nombreuses problématiques structurelles persistent : chômage, inégalités, réforme de l’éducation… Comme beaucoup d’autres pays, le Maroc subit encore les conséquences de la pandémie de
Covid-19 et affronte en ce moment celles de la guerre en Ukraine Un rapport de la Banque mondiale de février 2023 a chiffré l’inflation à 8,3 % pour l’année 2022 – avec un impact 30 % plus fort sur les plus pauvres –, alors que la croissance a chuté de 7,9 % en 2021 à 1,2 % en 2022. Le taux de chômage stagne à 11,4 %, atteignant même 18 % chez les femmes et 32 % chez les 15-24 ans, selon les chiffres du HautCommissariat au plan. D’ailleurs, le 6 mars, l’État marocain a sollicité
une aide du FMI. Une première
en dix ans
Si ces difficultés s’expliquent au moins partiellement par des crises successives qui ont frappé la planète tout entière, le royaume a aussi ses propres points faibles. Les inégalités socio-économiques, d’abord, semblent hélas faire partie de l’ADN du Maroc contemporain, pays d’Afrique du Nord où les inégalités sont les plus fortes, selon un rapport d’Oxfam de 2019 Lequel soulignait que « ni la croissance continue au cours des vingt dernières années, ni les progrès affichés dans la réduction de la pauvreté n’ont été suffisants » pour endiguer la montée des inégalités. En 2022, un autre rapport du WorldInequalityLabindiquaitquant àluique10 %delapopulationdétient 63 % de la richesse totale, tandis que 50 % en possèdent moins de 5 %.
« Morocco First »
Les systèmes de santé et d’éducation, fondations de toute société qui aspireàlaprospéritéetaudéveloppement, sont encore très imparfaits, et souffrent en plus d’une rivalité entre public et privé qui se traduit au quotidien par l’existence d’un système à deux vitesses, dans lequel la qualité des prestations proposées reste en rapportaveclesrevenusdescitoyens. Le rapport sur le Nouveau Modèle de développement (NMD), remis à MohammedVIenmai2021,avaitprécisément pour objectif de répondre à plusieurs de ces problématiques d’ici à 2035, et d’en anticiper d’autres. Maiscommelerésumetoujoursnotre ancien ministre : « Lorsqu’on place la barre aussi haut, il faut savoir garder le rythme et relancer la trajectoire quand cela est nécessaire pour donner une nouvelle impulsion. Or le gouvernement actuel répète à l’envi qu’il souhaite un État social, mais fait fi du reste de ce qu’implique le NMD. Nous avons besoin d’élargir les capacités des associations, des partis politiques, de renforcer nos institutions. Ce sont là des critères essentiels d’une démocratie vivace. »
Mais, indépendamment des réformes fondamentales qu’il reste à mener, l’idée d’« un Maroc qui gagne » s’impose incontestablement dans les esprits. Chaque mois,
chaque semaine presque voient les grandes villes du royaume accueillir leur lot de colloques, salons, forums économiques ou internationaux, à la finalité plus ou moins établie, mais qui offrent aux différents intervenants et décideurs du monde politique et économique la possibilité de répéter de façon systématique et presque symétrique que « le Maroc d’hier n’est plus celui d’aujourd’hui ». Un slogan qui peut sembler abstrait, mais qui trouve une illustration quasi quotidienne à travers des initiatives, déclarations ou prises de position d’acteurs étatiques ou même de la société civile.
Sur les réseaux sociaux ont notamment fleuri, depuis 2018, plusieurs groupes appelés les Moorish (« Maures », en anglais). Ces groupuscules publient régulièrement un contenu nationaliste à la gloire de l’histoire ou du patrimoine marocains, tout en assumant pleinement
JEUNE AFRIQUE – N°3123 – AVRIL 2023 78 OBJECTIF MAROC
Les systèmes de santé et d’éducation sont encore très imparfaits, et pâtissent en outre de la rivalité entre le public et le privé.
le concept de « Morocco First ». Les militants de ces groupes, généralement anonymes, sont extrêmement investis dans la cause nationale du Sahara. Volontiers virulents, ils n’hésitent pas à prendre à partie les individus dont ils estiment que les convictions à l’égard de la nation vacillent. Cette mouvance, très peu perméable à la critique, reste confinée à des strates a priori marginales et peu représentatives du spectre global marocain. Le mode opératoire consistant à ne plus transiger sur la question du Sahara, par contre, semble presque devenir la norme, et il est devenu une composante essentielle du discours de la nouvelle diplomatie du royaume. Le 20 août 2022, Mohammed VI affirmait que « le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international ».
Fer de lance de cette nouvelle ligne depuis son accession au poste
de ministre des Affaires étrangères, le 5 avril 2017, Nasser Bourita mène une politique presque exclusivement liée à la question du Sahara, et tente de rallier un maximum de pays aux thèses marocaines. Une démarche incarnée par le chef de la diplomatie, mais directement issue, là encore, de la volonté de Mohammed VI, et qui a valu au Maroc quelques belles victoires diplomatiques, avec comme point d’orgue la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en décembre 2020, en échange de la normalisation des relations entre le royaume et Israël. Galvanisé par ce succès américain, le Maroc n’hésite plus, désormais, à bomber le torse et à adopter un ton de plus en plus offensif Rabat s’est ainsi autorisé à exhorter l’UE à sortir de sa « zone de confort » sur la question du Sahara (interview de Nasser Bourita en février 2021) ou encore à appeler,
sans lanommer,laFrance à« clarifier et revoir le fond de [son] positionnement » sur le même sujet (discours de Mohammed VI du 20 août 2022).
« Multi-alignement »
Le Maroc ne se sent par ailleurs plus tenu par des fidélités exclusives, et n’hésite plus à multiplier et à diversifier ses partenariats Abdelghani Youmni parle à ce propos d’une « diplomatie économique du “multi-alignement” ». « Le Maroc ne cesse d’œuvrer pour le développement et la diversification de ses partenariats, notamment par le biais de conventions et d’accords multidimensionnels », déclarait le souverain dans un autre discours, datant de… 2010. La France – et sa relation historique et par bien des aspects « privilégiée » avec le Maroc – semble être la premièrevictimedecetteaffirmation de soi. D’un côté, Rabat assume sa volontédevouloirfranchiruncapsur le Sahara, et interprète le refus de son partenairetraditionneld’adopterune position tranchée sur le sujet comme un acte d’hostilité… et une prise de position en faveur d’Alger. De l’autre, Paris, tenu par la nécessité de conserver de bons rapports avec l’Algérie et par les exigences liées à son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, se refuse pour l’instant à toute manœuvre sortant du cadre multilatéral La situation qui en résulte a, ces derniers mois, tout du dialogue de sourds
Annoncée en décembre 2022 par Catherine Colonna et visiblement conçue comme un moyen indispensable pour redonner du lustre à la relation bilatérale, la visite officielle d’Emmanuel Macron au Maroc, annoncée pour le premier trimestre de 2023, semble aujourd’hui reportée à une date des plus incertaines.
À Rabat, politiques et diplomates assurent que le Maroc a de toute façon d’autres préoccupations. Et surtout d’autres partenaires avec qui traiter Comme lorsque Paris avait décidé, en 2021, de réduire le nombre de visas délivrés aux ressortissants marocains, le royaume préfère maintenant, non sans un brin d’orgueil, afficher son indifférence. Quitte, parfois, à la surjouer un peu.
MAP
JEUNE AFRIQUE – N°3123 – AVRIL 2023 79 OBJECTIF MAROC
Le roi Mohammed VI et son fils, le prince héritier Moulay Hassan (à dr.) partageant l’iftar avec Jared Kushner, alors conseiller principal du président américain Donald Trump, à Rabat, le 28 mai 2019.
La diplomatie marocaine pour les nuls
Si elle a réalisé de nombreuses avancées ces dernières années, notamment sur la question du Sahara, la politique étrangère du royaume déconcerte nombre d’observateurs, qui la qualifient d’offensive, voire d’agressive. Qu’en est-il vraiment ?
FADWA ISLAH
L«es relations ne sont ni amicales ni bonnes, pas plus entre les deux gouvernements qu’entre le Palais royal et l’Élysée » : telleaétélaréponseduMarocauprésident français Emmanuel Macron, qui,interrogépardesjournalisteslors d’une conférence de presse à l’Élysée sur les tensions persistantes entre le royaume et l’Hexagone, avait déclaré que ses « relations personnelles avec le roi Mohammed VI » étaient « amicales »et« ledemeureront ».Confiéeà JAparunesourceofficielleauseindu gouvernement marocain, cette mise aupointapristoutlemondedecourt, à Paris comme à Rabat. « Les mots employés sont pesés, et ne laissent aucune place à l’ambiguïté, donnant à voir au grand jour l’agacement de la diplomatiemarocainefaceaudénide l’existence d’une crise entre les deux pays par les autorités françaises,
croit savoir Amr Abbadi, chercheur en sciences politiques à l’Université d’Orléans. Le Maroc est dans une logique de transparence et d’efficacitéenmatièredepolitiqueétrangère, comme l’a exprimé le monarque luimêmelorsdesondiscoursdu20 août dernier (à l’occasion de la célébration de la révolution du roi et du peuple), desurcroîtfaceàunpaystraditionnellement ami. »
Fermeté… et pragmatisme Représentative du ton direct et décomplexé utilisé par les diplomates du royaume ces dernières années, cette déclaration, comme celles qu’on avait pu entendre dans la bouche du ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, lors de la crise entre Rabat et Madrid, en 2021, ou celles dont se fend régulièrement le flamboyant représentant du Maroc à l’ONU à New York, Omar Hilale,
alimentent l’idée de l’existence d’une agressivité marocaine en matière de politique étrangère. Ce dont se défendent les Marocains. « La diplomatie marocaine est le fruit d’une tradition des relations étrangères multiséculaire, qui lui a permis de surmonter de nombreuses épreuves etdéfisaucoursdesalonguehistoire. Elletravailledoncdemanièrepondérée et sereine, sans aucune impulsivité », souligne Mohamed Loulichki, ex-ambassadeur du Maroc auprès desNationsunies,aujourd’huiSenior Fellow au Policy Center for the New South, à Rabat. « En revanche, elle est vigoureuseetaffirmative,danslesens où elle défend ses intérêts avec fermeté et ténacité, par les arguments et parlebien-fondéd’uneposition,mais toujoursdanslerespectdesesinterlocuteurs,quellequesoitl’intensitédes tensions ou de l’adversité qu’elle peut avoir avec eux. Sous réserve de réciprocité, qui est la règle d’or de toutes les diplomaties. » Ce qui, somme toute,estencohérenceavecletempérament des Marocains, qui, dans leur globalité,mettentunpointd’honneur à préserver les formes, même lorsqu’ils ne sont pas d’accord. « Que ce soit dans le monde professionnel ou danslessphèresfamilialeouamicale, le Marocain est généralement dans l’implicite, dans une forme d’art subtil de se faire comprendre et de régler lesdifférendsoulesconflitssansaller à la confrontation », nous explique ce sociologue, professeur à Sciences Po. « À l’instar de ce qu’on peut voir dans certaines monarchies très anciennes comme le Japon, il y a une forme de fierté et de pudeur, un désir de garder les apparences sauves, mais aussi de pragmatisme, car en n’allant
ABDEL JALIL BO UNHAR/AP/SIP A
80 JEUNE AFRIQUE – N°3123 – AVRIL 2023 OBJECTIF MAROC
Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, lors d’une conférence de presse avec Jared Kushner (à dr.), conseiller de Donald Trump, à Rabat, le 22 décembre 2020.
pas à l’affrontement direct, on se laisse la possibilité de poursuivre les relations plus tard sans qu’il y ait de cassure trop profonde. »
Danscecas,d’oùvientcetondirect, voire sec employé par les autorités marocaines qui peut donner à certains l’impression d’une politique du « avec moi ou contre moi » ou d’un ultimatum dont l’antienne serait « qui m’aime me suive »? Le Maroc serait-il, comme on a pu l’entendre, « grisé » par ses succès diplomatiques récents, comme la reconnaissance de lamarocanitéduSaharaparlesÉtatsUnis?Oubienest-celiéàlapersonnalitédeceuxquisontchargésdemettre en œuvre aujourd’hui la diplomatie marocaine, comme Nasser Bourita, Omar Hilale ou Youssef Amrani, dontlestyletrancheavecceluidecertains de leurs prédécesseurs comme Mohamed Benaïssa ou Taïeb Fassi Fihri ? « La politique étrangère du Maroc,enmatièredevisionetdestratégie,estuneprérogativeroyale Donc le style qu’elle adopte ne reflète pas celuideshommeschargésdelamettre en œuvre mais celui du roi, qui dès
touslesAfricains–,dontlafinalitéest que l’Afrique puisse trouver la juste place qui est la sienne sur l’échiquier international. »
Neutralité
Pour l’ancien diplomate, le changement de ton du royaume n’est pas propre au Maroc, mais lié à une nouvelle configuration internationale marquée par la vulnérabilité et l’incertitude, où chaque diplomatie doit adapter ses objectifs, ses instruments de travail et ses moyens d’action à un nouveau monde en gestation dont on ne voit pas encore clairement les contours : « Le monde d’aujourd’hui n’est ni celui de la guerre froide, où il s’agissait uniquement de se positionner avec un bloc ou avec un autre, ni celui de l’après-guerre froide, où il y a eucettelunedemielentrelesgrandes puissancesdurantlaquelleonapensé quelesconflitsentresuperpuissances étaient terminés et que tous les problèmes du monde allaient être réglés grâce à ce consensus par les organisationsinternationalesetparlemultilatéralisme.Aujourd’hui,onvoittoutça sedésintégrerettouslespays,quelque soit leur statut, retourner à l’État souverain afin de s’immuniser contre les effets pervers de la mondialisation. »
du Maroc sur le continent, y compris en Afrique de l’Est, où Rabat était peu présentdanslepassé,depuislerenforcement des relations avec l’Espagne, après le Ghaligate, ou encore avec l’Allemagne. Sans compter les relations traditionnelles et particulières du royaume chérifien avec les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), où le Maroc a su préserver sa neutralitédansleconflitentreleQatar et les autres membres du Conseil (Arabiesaoudite,Émiratsarabesunis, Koweït, Bahreïn et Oman). La même approche a depuis été adoptée par Rabat dans le conflit ukraino-russe. Ami des États-Unis, le Maroc ne se prive pas non plus de développer ses relations avec la Chine ou la Russie, deux pays où le souverain marocain s’estrenduen2016pourjeterlesbases departenariatsstratégiquesdansplusieurs domaines
son accession au trône, en 1999, tout en s’inscrivant dans la continuité des principesdeladiplomatiemarocaine que l’on a pu voir durant les règnes précédents, a imprimé sa marque notamment par un côté très pragmatiqueettrèshumain »,explique,enfin connaisseur des arcanes des Affaires étrangères, Mohamed Loulichki. « Il a ainsi très rapidement impulsé une politiqueafricaine,maisilnecherche pasàêtreleleaderdel’Afrique.Etcela plaît car il n’y a aucun paternalisme, maisunelogiquedepartenariatd’égal à égal à travers un partage de savoirs, de compétences, de ressources
comme dans le cas du phosphate, qui doit, selon le Maroc, bénéficier à
Autre trait de la diplomatie chérifienne, qui semble également poser un problème à certains de ses amis traditionnels : la diversification des partenaires. Une tendance qui n’est pas nouvelle, mais qui s’est accentuée ces dernières années, surtout depuis l’annonce surprise, le 20 décembre 2020, de la reprise des relations diplomatiques avec Israël et de la reconnaissance par Washington de la marocanité du Sahara. Un changement majeur dans la géopolitique régionale, travaillé dans la discrétion totale, et qui a donné aux relations maroco-américaines, déjà très stratégiques, une plus grande ampleur Ce qui a pu heurter certains partenaires traditionnels du Maroc en Europe, qui y ont vu une volonté de Rabat de les écarter. Mais cela relève de la perception, car dans la doctrine diplomatique marocaine, les alliances ne se font jamais avec les uns contre les autres Et cela s’est remarqué depuis le retour du Maroc au sein de l’UA, depuis les nombreuses visites du roi
Et cette ligne suivie par la diplomatie marocaine ne date pas d’aujourd’hui, d’où l’étonnement des diplomates marocains face à la gêne que ressentent certains de leurs partenaires actuellement. Notre sociologue, fin connaisseur des arcanes du pouvoir et de son histoire, explique ainsi que cette doctrine est inscrite dans l’ADN du royaume chérifien : « La situation d’aujourd’hui n’est pas inédite. Du fait de son statut géographiquedequasi-presqu’île,maisaussi dufaitdelareprésentationquesefont d’eux-mêmes les Marocains, le Maroc a,depuisaumoinsleXVIe siècle,veillé, pour des raisons de survie, à avoir des relations privilégiées avec divers partenaires, que ce soient les Turcs de l’Empire ottoman, les Espagnols, les Portugais, les Anglais, les Français, l’Empire austro-hongrois… Ce qui explique d’ailleurs que le Maroc ait été le premier État au monde à avoir reconnu l’indépendance des ÉtatsUnis, en 1777, sous l’ère du sultan alaouite Mohammed III. Et la nature de ces relations variait au gré de la conjoncture. » Une doctrine toujours d’actualité,avecuneligneclaire :pour le Maroc, il n’y a pas d’ami définitif ni d’ennemidéfinitif.Oupourparaphraser Churchill, Premier ministre d’un autre État monarchique insulaire : « Il n’y a pas d’amis ou d’ennemis permanents. Il n’y a que des intérêts permanents. »
–
JEUNE AFRIQUE – N°3123 – AVRIL 2023 82 OBJECTIF MAROC
Loin d’être propre au Maroc, ce changement de ton est lié à une nouvelle configuration internationale marquée par l’incertitude.
Messieurs les consuls au Sahara
Sénégal, Côte d’Ivoire, Gabon, Jordanie, Bahreïn… Pas moins de vingt-huit pays ont ouvert des consulats depuis 2019 à Laâyoune et à Dakhla, donnant corps aux avancées diplomatiques du royaume sur la question de l’ex-colonie espagnole.
En quelque s anné es, Laâyoune et Dakhla sont devenus l’incarnation de la réussite du Nouveau Modèle de développement des provinces du Sud lancé par le roi Mohammed VI en 2015, mais aussi desavancéesdiplomatiquesréalisées par le Maroc sur la question de son intégrité territoriale. Sénégal, Côte
d’Ivoire, Émirats arabes unis, Gabon, Jordanie, Bahreïn, Djibouti… Ces quatre dernières années, pas moins de vingt-huit pays y ont ouvert des consulats, réunis pour la plupart dans ce qui tient lieu de quartier diplomatique dans ces cités emblématiques du Sahara. Certes, les villas qui les abritent, de construction récente, sont de taille bien plus
modestequeleschancelleries situées à Rabat, par exemple, dans le triangle d’or Ambassadors, zone OLM-Pinède et Hay Riad. Mais elles bénéficient de dispositifs de sécurité équivalents, voire plus stricts, avec une forte présence policière et des guérites de surveillance devant chaque antenne. Une mesure avant tout dissuasive, aux dires des représentants des
FADWA ISLAH, ENVOYÉE SPÉCIALE DANS LES PROVINCES DU SUD
MOHAMED DRISSI KAMILI POUR JA
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De g. à dr , Said Omar Said Hassane (Comores), Kokou Laurent Adjesson (Togo), Anderson de Sousa (São Tomé) et Lezin Issha Boussougou (Gabon), à Dakhla, le 28 janvier.
missions diplomatiques rencontrés sur place
Liens historiques
« Ces ouvertures de consulats, qui traduisent le soutien de nombreux pays africains et arabes à la marocanité du Sahara, sont autant d’échecs pour le Front Polisario, qui a évidemment tenté de faire pression sur les différents diplomates envoyés ici », souligne l’influent homme d’affaires sahraoui Mohamed El Imam Maelainin, qui a ouvert le bal des inaugurations de consulats dans les régions du sud du royaume quand il a été nommé en 2019 consul honoraire deCôted’IvoireàLaâyoune,dufaitde ses connexions à Abidjan. Un témoignage qui rejoint celui de Said Omar Said Hassane, à la tête du consulat général des îles Comores à Laâyoune. « Certains ont même reçu des lettres de menace », nous confie celui qui était auparavant membre du conseil exécutif de l’Isesco (Organisation du monde islamique pour l’éducation, les sciences et la culture), et un des piliers de la recherche sur les plantes médicinales au sein de l’Université desComores.« Maiscelanenousapas déstabilisés,notreprésenceicirepose sur des convictions, les Comores et le Maroc ayant toujours partagé les mêmespointsdevuesurleplandiplomatique, avec un soutien mutuel et constant sur la question de l’intégrité territoriale de nos deux pays, aussi bien au niveau des instances internationales que sur le plan bilatéral. »
De fait, l’ouverture d’une représentation diplomatique comorienne au Maroc, et tout particulièrement dans les provinces du Sud, s’inscrit d’ailleursdansladroitelignedelarelation historiqueentrelesdeuxpays.Lorsde l’exil de Mohammed V à Madagascar, par exemple, des Comoriens étaient venus des quatre coins de l’île pour manifester leur soutien à la famille royale. Plus tard, au nom de l’amitié qui le liait au roi Hassan II, le président des Comores, Ahmed Abdallah Abderamane, soutiendra le souverain chérifien lorsque, en 1983, ce dernier décidera de quitter l’OUA (actuelle UA) à la suite de l’admission de la RASD au sein de l’organisation panafricaine, déclarant notamment : « Je vais suivre mon frère. »
Une dimension historique et affectivequel’onretrouveégalementdans le regard porté par le consul général intérimaire du Gabon à Laâyoune, Lezin Issha Boussougou, qui tient à rappeler que son pays a participé à la Marche verte en 1975 « Cet épisode est dans la mémoire de tout le peuple gabonais, pour qui la marocanité du Sahara ne fait aucun doute », martèle le diplomate, auparavant en poste au Togo. Il voit donc dans la présence d’un consulat gabonais au Sahara un rappel de ce soutien ferme et sans équivoque du Gabon au royaume, mais aussi de la très forte relation entre les deux pays. « Les liens entre
« Sur le plan géostratégique, la mise en place de ces représentations consulaires s’inscrit dans la vision du roi Mohammed VI sur l’intégration africaine et sur la nécessité d’en finir avec les conflits entre pays qui gangrènent la mise en place de grandesentitésoublocséconomiques régionaux, en travaillant main dans la main au développement de tout le continent », insiste le consul des Comores. Titulaire d’un doctorat en physique-chimie de l’Université Ibn-Tofail de Kenitra, Said Omar Said Hassane connaît bien le Maroc, qu’il a sillonné de long en large et dans lequel il voit une formidable source d’inspiration : « Nous encourageons les jeunes Comoriens, via des bourses et des partenariats avec le royaume, à venirauMaroc,soitpourypoursuivre leurs études, car c’est un pays de référenceenmatièred’enseignement,soit pour s’inspirer de l’expérience marocaine en matière d’entrepreneuriat des jeunes. »
Transferts de compétences
les présidents gabonais et les rois du Maroc sont de l’ordre de la fraternité, bienplusquedelasimpleamitié.Cela a commencé entre Hassan II et Omar Bongo, et ça se poursuit aujourd’hui entreMohammedVIetAliBongo,qui serendentvisiterégulièrement »,souligne le consul, installé à Laâyoune avec femme et enfants.
Lorsque nousle croisons, en marge d’un dîner avec d’autres membres de la communauté diplomatique installée dans la région, dont celui de São-Tomé-et-Príncipe, tous le félicitent, car son épouse vient d’accoucher. De toute évidence, au Sahara comme ailleurs, les diplomates en poste se connaissent, s’invitent dans leurs résidences pour diverses occasions comme les fêtes nationales… Mais ils interagissent aussi régulièrement durant des événements, des conférences ou des forums auxquels ils participent dans le cadre de la coopération avec le Maroc. Comme le 3 décembre 2022, lorsqu’ils se sont réunisavecunedélégationdelacommission des affaires étrangères de la Chambre des représentants en visite à Laâyoune.
Lui et ses confrères gabonais, sénégalais, ivoiriens ou comoriens s’occupent d’ailleurs de gérer les affaires courantes des ressortissants de leurs pays présents dans les provinces du Sud, dont certains effectuent leurs études dans les établissements supérieurs de la région, tels que l’ENCG Dakhla ou l’université de Laâyoune Ils sont secondés dans cette mission par une poignée de personnes travaillant au sein des consulats « Nous sommes des petites structures, mais on ne chôme pas », lance de son côté leconsulduTogo,arrivérécemmentà Dakhla avec sa famille. Issu d’un pays qui avait commencé par reconnaître l’autoproclamée RASD à l’époque du généralGnassingbéEyadéma,en1976, avant de se rétracter, en 1997, le diplomate défend bec et ongles le modèle marocain : « Le développement phénoménal du Sahara ces dernières années constitue un modèle pour les autrespaysducontinent,notamment en matière d’agriculture, d’irrigation, detourisme,d’halieutique,d’énergies renouvelables…Etnoussommesbien décidés à mettre à profit cette opportunité qui nous est offerte d’être en postedanscetterégionpourfavoriser les transferts de compétences. »
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« Certains ont même reçu des lettres de menace, mais cela ne nous a pas déstabilisés car notre présence ici repose sur des convictions.»
La diversification fait la force
Sans négliger ses relations avec ses partenaires économiques traditionnels, le Maroc a amplifié depuis quelques années ses échanges commerciaux avec d’autres pays. Parmi eux, Israël, l’Inde, la Chine.
MOUSJID
Depuis sa nomination en 2021 en tant que ministre de l’Investissement, Mohcine Jazouli multiplie les roadshows pour vendre la « destination Maroc ». Après Londres, Berlin, New York, Tokyo et Singapour, l’ancien patron de Valyans Consulting a conduit en mars une délégation en Inde, où il a multiplié les rencontres avec des acteurs publics et privés pour vanter les opportunités qu’offre le royaume en matière d’investissements. Parmi ses arguments : « Nos infrastructures sont aux meilleurs standards internationaux, notre capital humain est notre première richesse, plus de 50 accords de libre-échange nous ouvrent l’accès à un marché de plus de 2,3 milliards de consommateurs. Et en tant que premier producteur d’énergies renouvelables en Afrique, le royaume est également devenu le leader continental du développement durable », déroule l’ancien consultant. Sans parler des primes prévues par une nouvelle charte de l’investissement
Des atouts auxquels les investisseurs ne sont pas insensibles. « Les rencontres tenues à Delhi, Mumbai ou Ahmedabad ont été très intéressantes, puisqu’elles nous ont permis de renforcer nos relations politiques et économiques avec ce partenaire
stratégique du royaume et d’explorer en profondeur les opportunités pour accroître les investissements et les échanges commerciaux entre nos deux pays », explique le ministre délégué auprès du chef du gouvernement.
Nouveaux marchés
Tout en développant ses relations avec ses partenaires commerciaux classiques, dont les principaux restent l’Espagne – dont les exportations vers le royaume ont enregistré un record historique en 2022 – et la France, Rabat n’a cessé, ces dernières années, de cibler de nouveaux marchés,dontceluidelacinquièmepuissance économique mondiale. Selon les statistiques du ministère indien du Commerce et de l’Industrie, les échanges bilatéraux entre les deux pays ont dépassé pour la première fois la barre des 3 milliards de dollars en 2022, contre 1,9 milliard l’année précédente et 1,2 milliard en 2018
« En matière d’échanges commerciaux, l’Inde est devenue le quatrième client du royaume, grâce notamment aux exportations marocaines d’engrais », se réjouit Mohcine Jazouli. Mais les engrais ne constituent qu’une partie du partenariat qui se dessine entre les deux pays. Del’automobileàl’industriepharmaceutique en passant par le digital, les
mines, les infrastructures ou encore l’hydrogène vert, le royaume ne lésinera pas sur les moyens pour attirer des investisseurs indiens.
En octobre 2022, le magnat indien Gautam Adani, une des plus grandes fortunes d’Asie, a annoncé envisager de construire au Maroc des centrales éoliennes et solaires pour produire de l’hydrogène vert, destiné notamment à l’exportation vers l’Europe. Quelques mois plus tard, c’était au tour de son compatriote Sumant
BILAL
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Sinha, président du groupe ReNew Energy, premier producteur d’énergies renouvelables en Inde, d’afficher son intention de développer des projets d’hydrogène vert dans le royaume « Nous avons rencontré plus d’une dizaine de grands groupes indiens qui sont très intéressés par ce que le Maroc a à offrir et que nous allons accompagner de près pour faire de cette puissance mondiale l’un des principaux investisseurs étrangers dans le royaume », confie
Jazouli, chargé entre autres de la mise en œuvre d’une nouvelle charte de l’investissement appelée à doper les investissements privés.
Engouement réciproque
Longtemps discrets et de faible densité, les échanges commerciaux avec Israël se font, quant à eux, au grand jour depuis la normalisation des relations entre les deux pays, en 2020, dans le cadre des accords d’Abraham. Conséquence directe :
entre 2019 et 2022, le volume des échanges a été multiplié par quatre, passant de 13,7 à 55,7 millions de dollars. Si les chiffres demeurent faibles comparésauvolumedestransactions réaliséesavec d’autrespartenaires,ils traduisent néanmoins une volonté commune de hisser les relations économiques bilatérales à un niveau exceptionnel dans des domaines aussivariésquelatechnologie,l’énergie, la santé, l’eau ou l’agroalimentaire. « On assiste depuis la création
FA DEL SENNA/AFP
Le roi Mohammed VI avec Li Biao, président du groupe chinois Haite, près de Tanger, le 20 mars 2017.
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du Conseil d’affaires Maroc-Israël à un vrai engouement des entreprises des deux pays pour renforcer les partenariats financiers et économiques. Pour l’heure, nous sommes dans une phase d’exploration et de prise de connaissance mutuelle qui, je l’espère, prépare le terrain à de vrais développements industriels, commerciaux et technologiques », nous a déclaré récemment Ghita Lahlou, quiprésidecetteinstancededialogue bilatéral au sein de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM).
Même écho du côté de Mohcine Jazouli : « La reprise des relations entre le Maroc et Israël s’est traduite par des mesures concrètes, symbolisées par la signature de plusieurs accords de coopération, l’ouverture des bureaux de liaison, la reprise des vols ou encore la mise en place d’équipes de travail couvrant des secteurs prometteurs, comme la recherche et l’innovation, le tourisme, l’aviation, l’agriculture, l’énergie, l’environnement, le commerce et l’investissement. » Et le ministre de formuler l’espoir « de voir les résultats concrets de ces efforts le plus rapidement possible, et qu’ils s’incarnent dans des investissements nouveaux et des emplois de qualité à l’intention [des] jeunes [Marocains], en phase avec les ambitions du royaume ». « Cette volonté de diversification s’impose pour un pays de moyenne dimension comme le
décrypte Larbi Jaïdi, chercheur au sein du think tank marocain the Policy Center for the New South. « C’estaussiunemanièredesécuriser ses approvisionnements et de ne pas rester dans une sorte de dépendance avec un pays ou un ensemble de pays de proximité, quels que soient nos rapports avec eux », ajoute l’économiste, qui fait partie des 35 personnalités ayant conçu, à la demande de Mohammed VI, le Nouveau Modèle de développement du royaume
Grande zone industrielle Le développement des relations avec la Chine obéit à cette logique, comme en témoigne l’usine de vaccins prévue, en partenariat avec la Chine, danslavilledeBenslimane.Unambitieux projet lancé par Mohammed VI au début de 2022. Objectif : produire annuellement dès 2024 pas moins de 2 milliards de doses pour améliorer la souveraineté sanitaire du pays et du continent africain. « Ce projet, qui s’est imposé du fait de la pandémie, est une initiative heureuse, extrêmement délicate et complexe, mais elle était nécessaire », commente Larbi Jaïdi.
à créer quelque 100 000 emplois dans le nord du pays. Porté initialement par Bank of Africa, la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima et Cité Mohammed VI Tanger Tech, le projet – baptisé Cité Mohammed VI Tanger Tech – a connu diverses péripéties à cause de la défection de l’opérateur chinois Haite, poussant ainsi ses initiateurs à revoir leurs ambitions à la baisse
Maroc. Comparativement à d’autres modèles, notamment en Afrique, qui restent dans une faible diversification de la production et dans des partenariats limités, le Maroc a fait le choix de la diversification, ce qui correspondàlafoisàsonmodèleéconomique et à son modèle politique »,
L’usine de vaccins n’est pas le seul projet économique d’envergure qui renseigne sur la trajectoire prise ces dernières années par les relations sino-marocaines. Dans la ville du Détroit, une grande zone industrielle a été aménagée pour accueillir 200 usines chinoises appelées
Suivi depuis par l’Agence spéciale Tanger Méditerranée (TMSA), ce chantier gigantesque serait sur les bons rails depuis qu’un autre groupe, ChinaCommunicationsConstruction Company(CCCC),arejointl’aventure. « Il n’y a pas de raison que le projet ne réussissepas.Nousavonsfinalisétout levoletsurlesengagementsdelapartie chinoise, les détails techniques et la convention d’investissements avec l’État. Cinq deals avec des opérateurs chinois seront bientôt annoncés par Bank of Africa », nous confie une source proche du dossier. « Il y a toujours eu une ouverture, d’un point de vuecommercialetéconomique,surla Chine,quiestsortiedesonmodèlede continent-usinepourdélocaliserellemêmesesentreprises »,analyseLarbi Jaïdi. Alors que ses échanges commerciaux avec la Chine demeurent trèsdéséquilibrés(undéficitcommercial de 58,5 milliards de dirhams en 2021,environ5,2 milliards d’euros),le royaume entend saisir l’aubaine pour drainer des investissements et continuer à diversifier ses partenaires.
Fruit d’un partenariat avec la Chine, l’usine de vaccins de Benslimane devrait produire, dès 2024, 2 milliards de doses par an.
JA CK GU EZ/AFP
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Abdelhamid Addou, PDG de Royal Air Maroc (RAM), répondant à la presse à l’aéroport Ben-Gourion, au sud-est de Tel-Aviv, en Israël, le 13 mars 2022.
Les douze travaux de Mohammed VI
Port à Dakhla, véhicules électriques, hydrogène vert… En trois ans, le royaume a lancé plusieurs projets ambitieux pour se positionner comme un hub incontournable dans la région. Tour d’horizon de quelques chantiers emblématiques.
BILAL MOUSJID
Le 22 novembre 2022, une importante réunion, présidée par Mohammed VI, se tient au palais royal. Autour de la table : le conseiller du roi, Fouad Ali El Himma; le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit ; la ministre de l’Économie et des Finances, Nadia Fettah Alaoui ; la ministre de la Transition énergétique, Leila Benali; et le directeur de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable, Abderrahim El Hafidi. Au menu de la réunion : les énergies renouvelables. Et particulièrement le développementd’unefilièred’hydrogène vert, ce « pétrole du futur » qui devrait couvrir entre 12 % et 25 % de laconsommationmondialed’énergie à l’horizon 2050.
Doté de ressources qui en font « un des six pays avec un fort potentiel de production et d’exportation d’hydrogène et de dérivés verts », selon une étude du World Energy Council citée par le ministère de l’Énergie, le royaume veut désormais se positionner comme un leader dans ce secteur. Au cours de cette réunion, le souverain a ainsi donné ses instructions pour mettre le pays en ordre de marche afin de « répondre aux multiples projets portés par des investisseurs et leaders mondiaux, et élaborer, dans les meilleurs délais, une “Offre Maroc” opérationnelle et incitative, couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur de la filière de l’hydrogène vert au Maroc ». « L’hydrogène vert et ses dérivés, dont l’ammoniac vert, qui peut aussi être exporté, sont une grande
opportunité pour le Maroc, qui dispose de gisements sur des sites qui combinentplusde3000 heuresd’ensoleillementetdesfacteursdecharge pour l’éolien qui dépassent les 70 %. On peut produire quasiment 24 h/24 de l’électricité propre et à bas coût », a déclaré récemment à JeuneAfrique Badr Ikken, ancien directeur général de l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (Iresen, sous la tutelle du ministère de l’Énergie) et vice-président de la commission Économie verte du patronat.
« Momentum Maroc »
En attendant qu’une « offre Maroc » voie le jour, la filière hydrogène vert attise déjà la convoitise de nombreux investisseurs, notamment européens et asiatiques. « Une vingtaine de consortiums, dont une quinzaine très sérieux, ont exprimé leur intérêt et déposé des dossiers », confie une source proche du dossier. Outre le développement de la filière des énergies renouvelables, le gouvernement brandit l’argument géographique : « Le Maroc pourrait s’appuyer sur ses infrastructures gazières et portuairesbienconnectéesàl’Atlantique et à la Méditerranée pour mettre en place une plateforme logistique d’exportation de l’hydrogène vert et de ses produits vers l’Europe », indique une feuille de route datée de 2021 du ministère de l’Énergie, des Mines et de l’Environnement. « C’est le moment Maroc. » L’expression revient souvent dans les entretiens avec le ministre marocain de l’Investissement, Mohcine Jazouli. Et pas
uniquement au sujet des opportunités offertes par l’hydrogène vert. « Le “Momentum Maroc” est une expression que j’utilise souvent, mais je ne l’ai pas choisie moi-même. C’est le reflet de ce qu’affirment et répètent lesnombreuxinvestisseursquej’aieu l’occasion de rencontrer », assure-t-il à Jeune Afrique.
« Le Maroc fait biper les radars des plus grandes multinationales et devient une destination de choix pour les investissements des grands groupes C’est donc tout naturellement que nous pouvons affirmer que le pays vit actuellement un moment particulier et est confronté à une opportunité unique qu’il doit absolument saisir », se réjouit l’ancien ministre délégué aux Affaires étrangères.Cetengouementconcerneaussi le secteur des véhicules électriques Doté actuellement d’une capacité de production de 700000 voitures par an, le royaume a déjà entamé la transition pour se mettre au diapason de l’Europe, dont la réglementation imposedésormaisdemettrefin,àpartir de 2035, à la vente de voitures
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« Le pays fait biper les radars des plus grandes multinationales et est devenu une destination de choix pour les investisseurs étrangers.»
thermiques neuves. Là encore, l’objectif est de se placer comme un hub régional. D’autant qu’une partie des voitures produites au Maroc « sont conçues pour être en mesure de faire assez facilement la transition vers l’électrique », expliquait à Jeune Afrique en aoûtleministredel’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour. Les géants Stellantis et Renault se sont déjà lancés dans la construction de voitures vertes sur leurs sites de Kenitra et de Tanger.
Usine de batteries électriques
Parallèlement, le département de l’Industrie veut attirer des fabricants de batteries électriques pour constituer un écosystème appelé à alimenter l’industrie automobile et celle des énergies renouvelables. Des discussions sont en cours avec « cinq opérateurs sur trois continents (Amérique, Europe et Asie) pour l’installation de cette usine », nous a déclaré Ryad Mezzour. Les infrastructures ne sont
pas en reste. Après avoir développé Tanger Med, devenu le premier port de la Méditerranée, le Maroc a lancé un chantier gigantesque dans le Sud : Port Dakhla Atlantique, qui s’étend
au secteur de la pêche », explique le ministère de l’Équipement.
sur une superficie de 1650 hectares Attribué à deux entreprises marocaines (la SGTM et Somagec) pour 12,4 milliards de dirhams (1,2 milliard d’euros), le projet répond « à la fois à des objectifs géostratégiques, à des objectifs de développement régional et à des objectifs spécifiques
Pour l’économiste Larbi Jaïdi, le port de Dakhla s’impose d’autant plus que le pays « cherche à sécuriser et à développer ses voies d’accès vers l’Afriquesubsaharienne ».« Leprojet, détaille-t-il, est un point central dans cette accessibilité. La route, assurée à travers Guerguerat, est sécurisée, mais le transport routier n’est pas la seule voie d’accès à ce marché, le transport maritime demeurant le mode de transport le plus important pour le commerce mondial. » Mais, fait encore remarquer le seniorfellow au Policy Center for the New South, « Dakhla, ce n’est pas simplement un port, mais, dans la vision globale des provinces du Sud, c’est aussi la volonté d’établir un lien entre le Sud marocain et l’Afrique ». Demeure un défi, met en garde Larbi Jaïdi : « Ces projets doivent être réalisés à l’horizon annoncé, sans retard dans leur mise en œuvre. »
GRISPB/ADOBEST OCK
Le Maroc est doté de ressources qui en font « un des six pays avec un fort potentiel de production et d’exportation d’hydrogène et de dérivés verts ».
Port Dakhla Atlantique
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permet au royaume de sécuriser et de développer ses voies d’accès vers l’Afrique subsaharienne.
Elie Wurtman Academy
Ce golden boy de la start-up nation israélienne a lancé un programme d’échanges entre les jeunes de son pays et la jeunesse arabe. Objectif : miser sur la créativité de ces futures élites pour développer des réponses innovantes aux défis auxquels font face le Moyen-Orient et le Maghreb. Sa cible du moment : le Maroc.
NINA KOZLOWSKI
Tout ce qu’il touche se transforme en or. C’est en tout cas comme ça que l’hebdomadaire The Jerusalem Post décrit Elie Wurtman, incarnation vivante de la start-up nationisraélienne.À12ans,ilgagnait son argent de poche en faisant du porte à porte pour vendre du pain. En 2015, à 46 ans, il a cofondé l’une des premières licornes de Jérusalem (une société valorisée à plus de 1 milliard de dollars, non cotée en Bourse et non filiale d’un grand groupe) : Pico Venture Partners, une société de capital-risque.
Dans le portefeuille de Pico (People, Ideas, Community, Opportunity), pas moins de dix-huit entreprises, dont Jolt, une école de commerce, Sepio Systems, une société de cybersécurité, ou encore Spot.io, qui optimise le stockage de données numériques. Bien avant cela,cetitulaired’undoublebachelor en sciences politiques et en étude du Talmud, né à Philadelphie en 1969, a notamment été le président exécutif de Vroom, un site américain de commerce en ligne spécialisé dans les voitures d’occasion entré en Bourse en 2020.
Soft power
En plus d’être un mastodonte de la « tech », Elie Wurtman est entièrement dévoué au sionisme. À Philadelphie, ses parents, Enid et Stuart – courtiers en immobilier –, ont créé une association qui visait à l’époque à aider les juifs piégés en URSS à rejoindre Israël. Puis, alors qu’Elie avait à peine 8 ans, ils ont quitté leur banlieue américaine et fait leur alya à Jérusalem.
Tout ce qu’entreprend Wurtman peut donc être perçu comme un continuum de l’histoire sioniste. Voilà pourquoi, en 2010, il a investi dans l’agriculture et s’est associé avec Ary Eerle, un vigneron de la Napa Valley (Californie), pour fonder Bat Shlomo Vineyards, dans le nord d’Israël. À ce propos, Elie Wurtman dira : « La première phase de notre expérience sioniste était agricole,
l’installation dans la terre, ce qui est notre expérience à Bat Shlomo, où nous avons installé un vignoble, parce que je crois aux valeurs et à l’expérience des pionniers. »
Depuis la normalisation des relations entre l’État hébreu et plusieurs pays arabes, dont les Émirats arabes unis, Bahreïn ou encore le Maroc, Elie Wurtman a un nouvel objectif : la paix. Pour l’atteindre, il
PICO
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VENTURE PA RTNERS
il ne s’agit pasdetomates en hiver
Les rayons des supermarchés britanniques ont récemment été vidés de leurs salades. Au cœur de l’hiver,l’absence de tomates peut semblerunproblèmeduPremierMonde,mais en réalité, il s’agit d’un signe avant-coureur d’une crise internationale bien plus grave. Une grande partie des tomates du monde, en particulier en Europe et au Maroc, sont produites dans des serres, et celles-ci ont été soumises àune augmentation des coûts des principaux intrants, ycompris des engrais et du coût de chauffage, ce qui aconduit les agriculteursàchoisird’interromprelescycles deplantationpouréviterderisquerdespertes. Cettestratégieaégalementétéappliquéeaux culturesdebase,cequientraînerasansaucun doute une baisse de la production en 2023 et de nouvelles hausses de prix. L’importance stratégique de l’approvisionnement en denrées alimentaires et en engrais est désormais reconnue.
résilienceenpériodesdesécheresseamenées àdevenir de plus en plus régulières. Avec l’augmentation de la population mondiale, l’évolution des habitudes alimentaires et les pressions exercées sur l’utilisation des terres, la demande de potasse àlongterme continuera d’augmenter.Lamajeure partie de la production canadienne de potasse sera destinée àl’Amérique du Nord et du Sud, tandis que la Chine continuera àveiller àce que ses propres besoins soient satisfaits en priorité. La Russie et le Biélorussie, qui ont produit40%delapotassemondialeen2021, trouveront des acheteurs là où ils le peuvent, malgré les sanctions.
Cela représente un défi àlongterme, surtout pour l’Afrique, qui ne produit pas de potasse.
La potasse est au cœur de cette crise. En tant quel’undestroismacronutrimentsdesengrais NPK, elle constitueunintrant essentiel pour les cultures, améliorant les rendements et la
Dans ce contexte, l’importance du projet de potasseKhemisset d’Emmerson PLCau Maroc,dontl’étudedefaisabilitéaétéachevée en 2020 et qui sera le premier producteur africain depuis les années 1970,nepeut être surestimée. Les avantages économiques du projet sont évidentspour l’économie marocaine. Mais surtout, si l’on ne parvient pasàrésoudrelacrisedel’approvisionnement en engrais, la pauvreté alimentaire s’étendra àdevastes régions du monde, ce qui aura de gravesrépercussionssurlasanté,lebien-être etl’agitationsociale.Etcelaneressemblepas àunproblème du «Premier Monde »…
COMMUNIQUÉ Emmerson PLC. 55 Athol Street, Douglas, Ile de Man, IM1 1LA –ROYAUME-UNI Tél. :(+44) 20 7236 1177 /(+212) 661342721 emmersonplc.com
© MA T75002
JAMG -© ANTHONY SEJOURNE
amis sur piedun outil de soft powerassez prometteur :leprogramme d’échanges Pico Kids, créé il yadix ans–etrebaptiséPico Kids Ambassador depuis la signaturedes accords d’Abraham– qui rassemble 60 écoles de Jérusalem et près de 4000 élèves.Ils’agit de mettreen relation de brillantsjeunes Israéliens avec une jeunessearabetout aussi douée, et de lespousser àréfléchir et àtrouver ensemble desréponses aux défis auxquels sont confrontés le monde et le Moyen-Orient.
Car, selon Elie Wurtman, la normalisation passera d’abordpar les «jeunes»,pluscréatifs et moins cyniques, plutôt que par lesadultes «Lesuccès desaccords apermis de mettredecôtéles idéespréconçues nées de décenniesdeconflitsgéopolitiquesetreligieux,auprofit de partenariats basés sur la compréhension du fait qu’entant que personnesilyaura toujours bien plus qui nousunit»,estime-t-il. L’académie propose également des formations en ingénierie, mathématiques, informatique,sciences et entrepreneuriat.
En décembre2021, 16 lycéens originaires de Jérusalem se sont ainsi rendus àDubaï, où ils ont rencontré leurscamaradesdelaDubai British School Emirates Hills et de la Dubai British School Jumeirah Park pour développer dessolutions autour de
la raréfaction de l’eau, un problème majeur au Moyen-Orient. Rebelote un an plus tardàBahreïn, où la pénurie d’eaua encoreété au cœur de toutes lesdiscussions.
Fonds d’investissement Désormais, Elie Wurtman aleMaroc dans le viseur.Aucoursdes mois à venir, le royaume devrait accueillir laprochaine délégation du programme PicoKids Ambassador.Le Marocest l’un despaysarabes où la population estlaplus favorable àlanormalisationdes relations
d’ailleurs rendu, avec sonépouse, IvankaTrump,envacancesàDakhla àl’été 2022.
(31 %, selon lesdonnées de l’Arab Barometer en 2022, contre4 %en Algérie et 11 %enTunisie) et aun ami commun avec Elie Wurtman : JaredKushner. En effet, le gendre de l’ex-président américain Donald Trump,connu pour avoirété le principal artisandes accords d’Abraham, esttrèsfriand du Maroc. Il s’est
Mais il asurtout créé Affinity Partners, un fonds d’investissement destinéà doper leséchanges entre Israël et lespaysarabes signataires desaccords. En mai 2022, le fonds souverain saoudien aconfié 2milliards de dollarsàAffinity Partners, notamment grâce àl’implication d’Elie Wurtman, qui ajouélerôlede «facilitateur ». Si Wurtmandispose de tellesentrées,nul doute qu’il réussira àfaireune percée au Maroc, d’autant queles sujetsdepréoccupation communsnemanquentpas : la gestion desressourceshydriques, l’agriculture, la cybersécurité… Mais ce n’estpas tout. Elie WurtmanconsidèrelespaysduGolfe et le Maroccomme despépinières potentielles d’ingénieurs, quand Israël en manque cruellement.Au royaume,oùlabosse desmaths n’estpas un mythe,10000 ingénieurssont forméschaqueannée –cequi estpeu –etenviron 5% à 10 %d’entre eux partent àl’étranger Il estdoncfortprobable queles deux pays créent différentspartenariats. Elie Wurtmanrecherche également desdéveloppeursinformatiques. En 2018,l’OCP alancé une école consacrée au codage, 1337, en partenariat avec Xavier Niel. Alorspourquoi pas avec la Pico Kids Academy?
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Il considère les pays du Golfe et le Maroc commedes pépinières potentielles d’ingénieurs, quand Israël en manque cruellement.
Un Binebine peut en cacher une autre
La fille du célèbre peintre et romancier s’est lancée dans le stylisme il y a quatre ans. Avec succès.
Deux collections, des vê te ment s di st ribués à Marrakech et à Casablanca, cinq employés : à 28 ans, Mina Binebine est une créatrice de mode en pleine ascension. En 2022, elle a fait partie des jeunes talents de la mode africaine sélectionnés à l’Africa Fashion Up : « J’ai été parmi les cinq lauréats d’une sélection de 200 stylistes. J’ai bénéficié de trois jours d’immersion dans le monde de la mode à Paris, d’un mentoring avec la maison Balenciaga, d’une discussion avec le directeur des Galeries Lafayette, et, en point d’orgue, il y a eu un défilé où j’ai pu montrer mes créations. L’expérience a été fantastique et m’a offert une belle visibilité. »
Expérience américaine
La distinction est d’autant plus remarquable que la marque Mina Binebine n’existe que depuis quatre ans. Mais la passion de la jeune femme, fille du célèbre écrivain et peintre Mahi Binebine, l’accompagne depuis toujours : « J’ai récemment découvert une page que j’avais découpée dans un magazine de mode à l’âge de 8 ans. J’avais fait un dessin et écrit : “un jour, je serai styliste”. » Un rêve qu’elle s’est donné les moyens de réaliser : « Après le bac, je suis partie à Los Angeles où j’ai fait le Fashion Institute of Design and Merchandising. Pendant mon cursus, je travaillais pour une marque de lingerie. J’allais à l’école, puis l’après-midi je travaillais, et le soir je faisais mes devoirs.C’était unrythme intense. »
Sa famille l’a toujours soutenue, finançant ses études et son séjour
aux États-Unis. L’expérience américaine est très formatrice, mais, souligne-t-elle, la reconnaissance fait défaut : « J’effectuais un travail colossal pour lequel je n’obtenais aucun
crédit Plutôt que de me plaindre, je me suis dit : “Pourquoi ne pas me lancer?” »
Ainsi germe l’idée de créer sa marque, mais Mina Binebine se
MABROUCK RACHEDI
SEB ASTIEN RO YEZ
JEUNE AFRIQUE – N°3123 – AVRIL 2023 100 OBJECTIF MAROC
Mina Binebine, le 28 février
heurte à un problème pratique : « Je pouvais fabriquer une collection avec des rideaux et une machine à coudre sans problème. Mais monter un business, je ne savais pas faire! » L’opiniâtre reprend donc le chemin de l’école : « J’ai passé le GMAT [un test d’évaluation] pour entrer en MBA. Normalement, il faut avoir un bac+4 finance pour y entrer À la surprise générale, j’ai réussi le test et j’ai intégré la Marymount California University » Tout en poursuivant sa scolarité, elle crée sa marque à la fin de2018etparticipeàquelquesdéfilés à Los Angeles et à San Francisco.
La volonté de Mina Binebine va de nouveau être mise à l’épreuve avec la pandémie de Covid-19. Selon un schéma éprouvé, elle va transformer la difficulté en opportunité : « Je suis
patronne de l’hôtel, a très gentiment mis à ma disposition une boutique pour vendre mes pièces. En un mois, tout mon stock est parti! »
La demande explose, et Mina Binebinenepeutplustoutfaireseule. Elle s’entoure d’une équipe, qu’elle nous présente dans son atelier, situé dans sa maison de Marrakech : « Bouchera est manager, Karima est brodeuse, Ibtissem s’occupe du patronage et de la découpe, Cherif est tailleur, Wissal est community manager, Kenza Dakki gère mon site et m’aide dans la création du contenu digital. »
Aventure entrepreneuriale
revenue au Maroc pendant le confinement. Il n’y avait rien à faire, et s’il y a quelque chose que je déteste, c’est l’oisiveté. Il faut que je sois motivée par un but. Ma mère m’a acheté une machine à coudre, et j’ai créé des pièces. » Tant et si bien que son père l’incite à se lancer dans un projet d’ampleur : proposer un défilé avec ses seules créations. La collection s’appellera « Patchwork » parce que « les pièces n’avaient rien à voir les unes avec les autres ».
Ainsi, le 14 octobre 2021, Mina Binebine présente une ligne de vêtements résolument modernes tout en étant fidèle à la tradition marocaine dans leur conception. L’accueil dépasse toutes ses espérances :
« L’événement a eu lieu au palace Es Saadi de Marrakech. Il y avait mille personnes, vingt mannequins, des grands écrans, toute la salle avait été tapissée de noir. C’était énorme. » L’écho a duré bien plus qu’un jour : « Élisabeth Bauchet-Bouhlal, la
Un environnement que la créatrice a sciemment choisi majoritairement féminin : « Ce n’est pas facile de travailler au Maroc quand on est une femme Les gens ne vous font pas confiance car, pour eux, vous êtes juste une gamine. J’aime aussi travailler avec ces femmes parce que leurs mères et leurs grands-mères leur ont appris les façons de broder de l’époque On essaie de garder une tradition, une culture. Même dans les vêtements modernes que je fais aujourd’hui, il y a toujours une part de tradition. » L’artisanat prend du temps mais il en vaut la peine : « Pour une blouse, Karima consacre deux jours et demi. Elle brode tout à lamain.Sesfinitionssontincroyablement soigneuses. »
Après« Patchwork »,MinaBinebine propose « Éclosion » en 2022. « L’idée m’en est venue à 4 heures du matin, pendant mon sommeil. Tous les jours, je voyais une femme à Marrakech portant un énorme tonneau rempli de boutons. La pauvre ne vendait jamais rien car aucun des boutons ne ressemblait à un autre. Je me suis dit : “Pourquoi ne pas les prendre ?” Je les ai cousus, c’est comme ça que la collection s’est constituée. » L’explication, la styliste la donne avant le défilé, à travers un enregistrement de sa voix Le verbe, une marque de fabrique qu’elle utilise depuis le début, car, affirme-telle, « mes vêtements racontent une histoire ».
Une histoire que la jeune femme distribue en ligne sur le site www.minabinebine.com, dans les
boutiques The 6th Concept Store, à Marrakech, et The Eight Concept, à Casablanca. Et aussi au Kissa Concept Store, à Marrakech, qu’elle a fondé avec une autre créatrice, Malek Awadi. Une aventure entrepreneurialenéeunenouvellefoisd’unobstacle : « Quand on est un jeune designer auMaroc,c’esttrèscompliquédepouvoir vendre sa collection. Il faut être dans une boutique, et pour être dans une boutique, il faut être quelqu’un. Avant mes défilés, plusieurs boutiques m’ont refusée et je me suis dit que j’allais créer celle-ci avec ma partenaire et amie Malek. Pour diffuser non seulement nos vêtements mais aussi ceux d’autres créateurs, surtout des jeunes et des femmes. »
Si la clientèle de Mina Binebine est essentiellement féminine, ses lignes de vêtements sont genderless : « Je fais en sorte que tous mes pantalons aillent aux hommes et aux femmes. Pour les blazers, que les épaules soient assez larges pour que ça fasse oversize sur une femme et que ça aille à un homme. Les vestes, les chemises se ferment de la même façon que l’on soit homme ou femme. » Un choix dicté par sa façon de voir : « Je n’aime pas les genres, ça m’énerve. » Comme le genre de ses vêtements, le style de la créatrice marocaine est unique. Fière de son africanité, elle rêve désormais de l’exporter dans le reste de l’Afrique.
DIRECTION
ARTISTIQUE : JIHANE LAHL OU & PHO TO GRAPHE : ABDELAZIZ BERD AI
Collection « Éclosion », 2022.
Si sa clientèle est essentiellement féminine, ses lignes de vêtements sont genderless.
JEUNE AFRIQUE – N°3123 – AVRIL 2023 102 OBJECTIF MAROC
Un choix dicté par sa façon de voir.