Dossier Pétrole & Gaz
En quête d’indépendance, Rome joue son va-tout en Afrique
Avec la crise ukrainienne, l’Italie est partie en urgence chercher en Afrique le gaz qu’elle ne peut plus recevoir de Russie, devenant par là même un partenaire énergétique de premier plan pour le continent.
OLIVIER CASLIN FILIPPO AT TILI/CHIGI PA LA CE PR/ZUMA/REA Mario Draghi (à g.), alors président du Conseil italien, et Abdelmadjid Tebboune, le chef de l’État algérien, au palais d’El Mouradia, à Alger, le 18 juillet.Chaque semaine qui passe place un peu plus l’Europe au bord de la crise énergétique. L’invasion de l’Ukraine, le 24 février, a révélé au grand jour la fragilité de l’Union européenne (UE) en la matière et sa dépendance vis à-vis du gaz russe. Contrainte de payer aujourd’hui ses énergies fossiles au prix fort, l’Europecommunautaireadûréagirdans l’urgence pour trouver les nouvelles voies d’approvisionnement qui assureront à ses populations de passer l’hiver au chaud. Et dans le grand jeu énergétique qui se met en place à l’échelle internationale ces dernières semaines, l’Italie a su faire preuve d’efficacité.Aupointqueledeuxième importateur de gaz russe au sein de l’Union, derrière l’Allemagne, assure aujourd’hui pouvoir faire sans d’ici à la fin de 2023. Déjà, Rome annonce avoir réussi à diviser par deux ses approvisionnementsdepuislaRussie quand, quelques mois plus tôt, ils représentaient encore plus de 40 % des 75 milliards de mètres cubes de gaz consommés annuellement par le pays.
Si l’Italie semble aujourd’hui être en passe de réussir un pari encore loin d’être gagné du côté de Berlin et de Madrid, voire de Paris, elle le doit en grande partie à Mario Draghi, son président du Conseil de février 2021 à sa démission en juillet 2022. Vite conscient de la soudaine précarité énergétique de son pays, le locataire du palais Chigi a multiplié depuis le mois de mars les appels du pied en direction des pays producteurs de gaz dits « alternatifs », notamment en Afrique.
Sécuriser les approvisionnements
Quatre jours seulement après le démarrage du conflit ukrainien, Mario Draghi dépêche son ministre desAffairesétrangères,LuigiDiMaio, à Alger, pour négocier de nouveaux accords de fourniture avec les autorités locales et l’opérateur national, la Sonatrach, deuxième partenaire traditionnel du pays derrière le russe Gazprom. Trois semaines plus tard, et accompagné cette fois de son collègue pour la Transition écolo gique, Roberto Cingolani, le chef de la diplomatie italienne s’envole pour
Le Caire, qu’ils quittent ensemble le 16 avril, pour un court déplacement de quarante-huit heures, en Angola et en République du Congo, avec, chaque fois, l’objectif de sécuriser des approvisionnements gaziers supplémentaires Contraint de présenter sa démission en juillet, après avoir vu exploser sa coalition gouvernementale, Mario Draghi avait, trois jours auparavant, finalisé, avec Abdelmadjid Tebboune, le chef de l’État algérien, l’accord sur la fourniture de volumes de gaz additionnels par la Sonatrach : quatre milliards de mètres cubes supplémentaires par an. Dès la fin de cette année, l’Algérie deviendra donc le principal fournisseur de l’Italie, avec près de 27 milliards de mètres cubes et, par là même,l’undespremierspourvoyeurs du marché communautaire européen, en compagnie de la Norvège.
Si la dynamique se confirme, l’Afrique pourrait alimenter les deux tiers de la consommation gazière transalpine.
Estimée actuellement à près de 11 % des volumes gaziers consommés dans l’UE, la part algérienne promet d’augmenter alors que les dirigeants européens se sont succédé ces dernières semaines au palais d’El Mouradia. Ainsi, le président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, a inscrit ses pas dans ceux de Mario Draghi lors d’une visite éclair à Alger le 12 août. Ce dernier a été suivi, deux semaines plus tard, par Emmanuel Macron, lequel, parallèlement aux discussions sur la réconciliation franco algérienne, n’a pas oublié de demander à son homologue un rab de gaz significatif, puisque, selon les observateurs, les exportations algériennes pourraient rapide ment représenter jusqu’à 12 % des volumes utilisés en France chaque année, contre un peu plus de 8 % aujourd’hui.
Pourtant, pour l’Italie comme pour les autres pays européens, « la question n’est pas de remplacer la
dépendance russe par une autre », selon la formule de Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Et si l’Algérie a déjà assuré depuis plusieurs mois être prête à augmenter sa production d’un tiers avant la fin de cette année pour répondre à la demande de ses clients, Rome a dans le même temps veillé à diversifier au maximum ses sources d’approvisionnement. Mario Draghi a ainsi soutenu les efforts de la Commission européenne dans sa recherche de fournisseurs de gaz naturel liquéfié (GNL) pour le marché communautaire aux ÉtatsUnis, au Qatar ou en Azerbaïdjan. En parallèle, l’ex-président du Conseil a aussi joué la carte bilatérale, en particulier en Afrique, verrouillant au passage d’importants contrats avec la République du Congo, le Mozambique, l’Égypte. Des discus sions sont également en cours en Angola, en Mauritanie ou au Sénégal, où doivent prochainement entrer en production de nouveaux champs d’hydrocarbures
Incontournable Claudio Descalzi
« Si la dynamique constatée ces six derniers mois se confirme, l’Afrique pourrait alimenter en 2024 les deux tiers de la consommation gazière de l’Italie », estime un expert du secteur énergétique D’autant plus qu’au tarif actuel « la production africaine est très compétitive sur le marché », confirme Francis Perrin. Le gaz afri cain est en effet devenu intéressant depuis que le prix du gaz acheté en Europe a progressé de 60 % en juin et a encore pris 30 % au début de septembre, avec la fermeture prolongée du gazoduc Nord Stream, entre la Russie et l’UE.
Pour parvenir en aussi peu de temps à un tel résultat, le gouvernement italien a pu compter sur un auxiliaire de poids, dans son pays comme à travers le continent : l’opérateur Ente Nazionale Idrocarburi (ENI), détenu à hauteur de 30 % par l’État. Le carnet de voyage des ministres italiens en Afrique calque d’ailleurs la carte des développements opérationnels du géant énergétique sur le continent. En Égypte, l’opérateur a annoncé en avril avoir
découvert trois nouveaux gisements dont les volumes futurs viendront s’ajouter aux 360000 barils équiva lentpétroledéjàproduitschaquejour par ENI dans le pays. En République duCongo,leterminaldeliquéfaction, attendu pour 2023 à Pointe-Noire, produira annuellement 4,5 milliards de mètres cubes.
ENI prévoit d’intensifier le développement du GNL, qui représentera 90 % de ses volumes de production d’énergie fossile en 2040.
Au Mozambique, le projet Coral South est entré en production en juin pour commencer à placer sur le mar ché international plus de 7,5 millions de tonnes de GNL par an. En Angola, ENI a confirmé fin juillet sa participation au New Gas Consortium
(NGC), pour exploiter les champs de Quiluma et de Maboqueiro, prévus pour produire ensemble 4 milliards de mètres cubes de gaz par an à l’horizon 2025 « À cette date, nous devrions être en mesure de livrer chaque année 20 milliards de mètres cubes de gaz », a affirmé en août, depuis Brazzaville, Claudio Descalzi, l’incontournable directeur général d’ENI, présent ces derniers mois à chaque déplacement des offi ciels italiens sur le continent.
« Il est évident que la réussite de cette intense diplomatie italienne en Afrique est le fruit des excellentes relations tissées depuis soixantedix ans par la compagnie à travers le continent », estime Davide Tabarelli, spécialiste de l’opérateur et consultant dans le secteur énergétique italien. En particulier avec les parte naires de longue date d’ENI, comme l’Égypte ou la République du Congo, dont est d’ailleurs originaire Marie Magdalena Ingoba, l’épouse de Claudio Descalzi. Reçu sur le continent « comme un véritable chef
d’État », selon Davide Tabarelli, le tout-puissant patron d’ENI n’a pas hésité à faire jouer tout son réseau, à mettre à disposition son incomparable carnet d’adresses le président Abdel Fattah al-Sissi, au Caire, le ministre congolais des Hydrocarbures, Bruno Itoua, Toufik Hakkar, le PDG de Sonatrach… –, au service de son pays.
S’inscrire dans la durée
Vu du Palais de verre (siège d’ENI, à Rome), l’actuel tropisme africain, développé ces derniers mois par le gouvernement italien, valide même la politique au long cours du premier opérateur étranger d’Afrique du Nord, qui veut aujourd’hui comp ter sur l’Afrique afin d’assurer sa propre transition énergétique Pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone en 2050, ENI prévoit en effet de mettre le paquet sur le développe ment du GNL, paré de toutes les vertus écologiques en comparaison avec lepétrole,qu’ildoitpeuàpeurempla cer, et destiné à représenter 60 %
ANADOLSOUTENIR LE DÉVELOPPEMENT LOCAL AVEC UNE STRATÉGIE GAZIÈRE POUR L’AFRIQUE
Depuis plus de deux décennies, Perenco est un important producteur de gaz naturel. Aujourd’hui, le gaz représente un quart de la production globale du Groupe et apporte une contribution significative àtravers le continent africain. Il permet de produiredel’électricité pour accompagner la production, soutenir le développement des industries, et servir de carburant pour des transports àfaibles émissions. Perenco continue de jouer un rôle clé en aidant ses pays hôtes àatteindreleurs objectifs énergétiques, en mettant en œuvreune stratégie gazièrequi facilite le développement industriel et les avantages économiques, environnementaux et sociaux associés.
UN PIONNIER DANS LA CRÉATION DE MARCHÉS DU GAZ EN AFRIQUE CENTRALE
En 2018, dans le cadred’un projet de liquéfaction de gaz au Cameroun, Perenco, en partenariat avec la SNH (Société Nationale des Hydrocarbures) et Golar,amis en production la premièreusine de liquéfaction flottante en Afrique, le FLNG Hilli Episeyo, un méthanier converti, désormais installé au large de Kribi. Le Hilli Episeyo aprouvé la faisabilité du développement de 500 BCF en huit ans. En 2022, la production de butane de Perenco au Cameroun s’élevera ainsi à35000 tonnes par an, soit 20% de la consommation du pays, et devrait permettreune réduction des importations de gaz domestique de l’ordrede40%.
Fort de son succès au Cameroun, Perenco aétendu son expertise gazièreauGabon et en RDC où le Groupe produit aujourd’hui du butane pour le marché domestique, tout en approvisionnant les centrales électriques et les industries àfort besoin énergétique.
En RDC, le projet de production d’électricité du Groupe convertit désormais le gaz précédemment brûlé en une centrale électrique de 20 MW,fournissant de l’électricité aux entreprises locales et aux foyers.
Au Gabon, 100 %dugaz conswwommé par l’industrie et les centrales électriques provient du gaz associé aux opérations de Perenco.
Les avantages de la capturedes réserves de gaz non exploitées sont nombreux :
•Fournir de l’énergie aux pays hôtes et aux populations
•Réduirelenombredetankers pour l’exportation et l’importation
de nouvelles industries
des emplois pendant les phases de construction et d’exploitation
àlatorche
grâce àl’introduction du GPL
Producteur indépendant d’hydrocarbures àl’international depuis 1992, le groupe Perenco est engagé sur l’ensembleducycle, de l’exploration au decommissioning. Sa force réside dans la polyvalence et l’ingéniosité de ses 6800 collaborateurs qui lui permettent d’opérer un modèle intégré, durable et optimisé. En valorisant et développant les ressources locales, il accompagne l’essor économique et humain des 15 pays partenaires dans lesquels il est implanté.
de ses volumes de production d’énergie fossile en 2030, puis 90 % dix ans plus tard.
Inscrite dans le patrimoine géné tique d’ENI, l’Afrique se destine donc naturellement à devenir un partenaire énergétique de premier plan pour l’Italie. Et la montée en puissance de l’opérateur impres sionnante pour de nombreux observateurs à travers le continent valide à son tour le virage amorcé plein sud par l’Italie à l’époque de Mario Draghi, mais qui, pour être correc tement pris, « doit encore s’inscrire dans la durée », comme le rappelle Francis Perrin. Sauf que, depuis son retour d’Algérie fin juillet, le président du Conseil démission naire n’était plus vraiment aux com mandes, devant se contenter de gérer les affaires courantes du pays, jusqu’à la nomination de son successeur issu des législatives anticipées du 25 septembre. Alors qu’elle était en tête des premiers sondages pour ce scrutin, Giorgia Meloni, la cheffe de file du
parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, s’est vite saisie du dossier énergie pour dénoncer une flambée des prix « qui met l’Italie à genoux » et tancer un gouvernement « qui préfère ache ter du gaz en Algérie que d’exploiter celui possédé en Adriatique ».
Au centre du nouvel axe nord-sud
Le même choix risque pourtant de rapidement s’imposer à celle qui pourrait devenir la première femme à occuper la présidence du Conseil Pas seulement parce que des réserves limitées et des coûts de production trop élevés ne permettent pas au gaz italien d’être autre chose qu’une vague promesse de campagne, mais parce que la péninsule semble être appelée, avec la guerre en Ukraine, à tenir un rôle bien plus central que ne pourrait le souhaiter Giorgia Meloni dans l’architecture énergétique mise en place en Méditerranée occidentale. Le nivellement actuel des cours vers le haut renforce la compétitivité des gazoducs qui, depuis le nord
de l’Afrique, viennent s’arrimer à l’Italie Aux réseaux Greenstream et Transmed, par lesquels transite le gaz saharien depuis des décennies, est venu s’ajouter en 2021 le Trans Adriatic Pipeline (TAP), dernier maillon du corridor gazier sud-européen en provenance des gisements du Caucase.
Via les interconnexions existantes et à venir, « l’Italie ne se retrouve plus en bout de chaîne d’un sys tème orienté est-ouest, mais bien au centre d’un axe nord-sud qui lui offre la perspective de voir transiter sur son territoire des volumes de gaz à la fois abondants et bon marché », explique Davide Tabarelli. L’arrivée annoncée d’une quatrième unité de regazéification renforcera une telle évolution tout en émancipant un peu plus vite encore l’Italie du gaz russe. Démissionnaire, Mario Draghi n’en a pas moins rempli la mission qu’il s’était lui-même confiée dès février, celle de « garantir la souveraineté énergétique » de son pays.
OKAPI ENERGY ÀL’ASSAUT DU DÉFIÉNERGÉTIQUE AFRICAIN
Crée en 2013 àGenève et possédant des filiales àAbidjan,Conakry et Kinshasa, Okapi Energy s’est forgé au fil des années une réputation de partenairecommercial fiable grâce àune approche qui intègrel’ensemble de la chaîne de valeur énergétique pour l’Afrique. Le groupe approvisionne aujourd’hui, àtravers ses différentes filiales, de nombreuses sociétés et le grand public dans plusieurs pays africains.
Le développement d’Okapi Energy continue de plus belle avec une nouvelle orientation sur les énergies renouvelables. Selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), avec des politiques, une réglementation, une gouvernance et un accès aux marchés financiers appropriés, les énergies renouvelables pourraient représenter jusqu’à 67 %delaproductiond’électricité en Afriquesubsaharienne d’ici 2030 et avoir un impact positif considérable sur la vie des populations. Àtravers sa nouvelle filiale Kamino Energy,Okapi Energy développe désormais des projets d’énergie solaireenAfrique subsaharienne. Àcesujet, Mohamed Ndao, Fondateur et Directeur Général du groupe, explique que : «Delavision et du courage sont nécessaires afin que l’Afrique puisse bénéficier d’une transition énergétique réussie. Cette transition doit reposer aussi bien sur l’amélioration de l’efficience énergétique que sur l’accroissement de la part des énergies renouvelables ».
Adresse et siège social
Rue de la Faïencerie, CH-1227 Carouge (Suisse)
Mohamed J. NDAO Fondateur et Directeur GénéralQuelle placepour l’Afrique dans la nouvelle diplomatie des hydrocarbures occidentale ?
Avant la guerreenUkraine,l’industrie pétrolièreetgazièreafricaine peinait àtrouver des investisseursetdes financements,principalement du fait des engagements écologiques des pays occidentaux. Comme le sou lignentcertains décideurs africains, cela privait ainsil’Afrique de sources de richesse ayant pourtant permis l’industrialisation et le développe ment de l’Occidentenson temps Cependant, le conflit russo-ukrai nien abouleverséles priorités et radicalement redistribué les cartes. L’Afrique est aujourd’hui devenue une source potentielled’énergies fossiles -notamment de gaz -pouvant se substitueraux hydrocarbures russes L’intérêt occidental pour l’Afrique est ainsideretour !
Au sein du plan REPowerEUvisant àdiminuer la dépendancedel’Union Européenneaugaz russe,l’Afrique se positionne comme un acteur clédans la diversification desimportations d’hydrocarbures, en complément de l’optimisation de la consommation énergétique et de l’augmentation de l’usage des énergiesrenouvelables.
Cette nouvelle diplomatie européenne du gaz vis-à-vis de l’Afrique s’est ac tivéedepuis la guerre; en attestent les différentes rencontres entreles dirigeants italiensetl’Algérie, les accords conclus entrel’Allemagne d’une part et le SénégaletlaMaurita nie d’autre part sur le champs gazier de Tortue, ou encorel’accord conclu entrel’UnionEuropéenneetl’Egypte pour l’exportation du gaz vers l’Union Européenne
Cet intérêt renouvelé de l’Europe pour les hydrocarbures Africains se heurteàplusieursdéfis, résultats d’un profond changement du mindset africain :
-Concurrence asiatique :Les économies despaysafricains dépendent des prêts chinois pour financer les projets d’infrastructures,etdenom breux investissements dans le secteur des hydrocarburessont d’origine asiatique. Les premières livraisons étant réservées aux marchés asiatiques sous forme d’accords long-termes, réorienter la production vers l’Union Européenne seraune gageure. -Exposition àdes conflits régionaux: l’exportation desressources est tributaire de la stabilitépolitique de la zone. En témoignent le projet de gazoduc du Nigéria vers l’Europe, traversant le Niger et l’Algérie soit des espaces parfois déstabilisés pardes milicesarmées ,ouencoreleprojet de gazoduc sous-marin longeant la côteatlantique jusqu’auMaroc et traversant des pays avec de fortes instabilités politiques
-Réchauffement climatique :L’Afrique est le continent le plus touché par le réchauffement climatique et paradoxalement celui qui émet le moins de gaz àeffet de serre.Des réticences, voireune oppositiondes africains face aux projetspétroliersetgaziers ne sontpas àexclure.
-Une exigence de valorisationlocale des produitspétroliers:Les nouveaux décideursafricains (entêtedesquels l’actuel Président de l’UnionAfricaine) exigentune meilleure valorisation «sur place »des produitspétro-
liers: Transformation, Pétrochimie, Infrastructures, Contenu local
Ces enjeux vont indubitablement peser dans la nouvelle équation énergétique que l’Occident doit résoudreenréponse àlaguerre en Ukraine.A l’Afrique de tirer son épingledujeu,notamment grâce au gaz considérécomme une énergie de transition en attendant d’autres sources.
L’Afrique est aujourd’hui devenue une source potentielle d’énergies fossiles -notamment de gaz -pouvant se substituer aux hydrocarbures russes. L’intérêt occidental pour l’Afrique est ainsi de retour
Adama Diallo
« Petrosen veut devenir un géant »
La Société des pétroles du Sénégal poursuit sa mue dans l’optique de transformer le pays en économie gazière. Son directeur général décrit la stratégie de l’entreprise, détenue à 99 % par l’État.
Adama Diallo a exercé durant cinq ans les fonctions de secrétaire général au ministère sénégalais du Pétrole et des Énergies. À ce poste, il a contribué à l’élaboration du code pétrolier et de la loi sur le contenu local dans le secteur des hydrocarbures. De quoi lui donner une vision très claire du secteur. En mai, le président, Macky Sall, l’a nomméàlatêtedePetrosen Holding.
Adama Diallo supervise désormais les deux filiales de la société: Petrosen E&P, chargée de l’exploration et de la production, et Petrosen T&S, spécialisée dans les activités de distribution, mais aussi le Réseau gazier du Sénégal (RGS), détenu à 51 % par Petrosen, et la Société africaine de raffinage (SAR), dont l’entreprise pétrolière possède plus de 98 % des parts depuis quelques mois.
Alors que les champs Grand Tortue Ahmeyim (GTA) et Sangomar devraient entrer en production l’an prochain suivis du projet YakaarTeranga en 2025 –, le dirigeant de Petrosen Holding nous explique quelles sont les ambitions de sa société : le développement d’une industrie liée à l’exploitation du pétrole et du gaz.
Jeune Afrique: À la fin de mai, le chancelier Olaf Scholz, qui s’est entretenu avec le président Macky Sall, a manifesté l’intérêt de l’Allemagne pour le gaz séné galais. Un accord a-t-il été signé? D’autres pays ont-ils entrepris des démarches en ce sens?
Adama Diallo : Les discussions sont en cours avec nos interlocuteurs allemands. Nous avons également fait des visites en Italie. Mais rien n’a été signé à ce jour. Il n’empêche: le projet Grand Tortue Ahmeyim (qui devrait fournir 2,5 millions de tonnes de gaz par an) offre au Sénégal une occasion en or pour capter des mar chés extérieurs.
La volonté de transition vers les énergies propres et, surtout, la pandémie de Covid-19 avaient déjà eu un impact fort sur le secteur pétrolier et gazier. La crise entre l’Ukraine et la Russie arrive à un moment critique. Cette situation pousse les pays importateurs de gaz naturel à diversifier l’origine de leurs approvisionnements. Or, pour rappel, les réserves du Sénégal sont estimées à plus de 900 milliards de m3 .
La major britannique BP et la société pétrolière américaine Kosmos Energy n’ont pas donné leur accord pour les investisse ments des phases 2 et 3 du champ gazéifère GTA (prévus respec tivement en 2027 et en 2030), en raison de l’augmentation du coût du projet. Où en sont les discussions?
Pour la phase 2, les études d’ingénierie sont en cours. On a fait appel à deux cabinets internationaux pour nous accompagner. La décision finale d’investissement devrait être adoptée au cours de 2023. L’objectif global est d’atteindre 10 millions de tonnes par an de gaz naturel liquéfié (GNL) à l’horizon 2030-2032.
Une date est-elle prévue pour l’entrée en exploita tion de la première phase du champ gazéifère offshore de Yakaar-Teranga?
Les études d’évaluation sont presque terminées. Nous comptons prendre la décision finale d’investissement d’ici au début de l’année prochaine et lancer la production vers 2025 Pour la phase 1, on attend 150 millions de pieds cubes standards par jour. Ils seront destinés en priorité à la consommation locale, notamment à la production d’électricité D’autres phases sont attendues en vue du développement d’indus tries de valorisation et de création de chaînes de valeur, telles que la pétrochimie, l’urée, l’ammoniac, le méthanol et d’autres produits dérivés. Des exportations de GNL ne sont pas exclues.
Importez-vous actuellement du gaz pour subvenir à une partie de vos besoins?
Une unité flottante de stockage et de regazéification du GNL est amarrée au large de Dakar, mais, compte tenu des prix actuels, l’option d’importer a été exclue. Aux alentours de 2024-2025, les projets YakaarTeranga (150 millions de pieds cubes standards par jour), GTA (35 millions) et Sangomar (60 à 90 millions) devraient satisfaire les besoins en gaz du pays. En attendant, on continue à produire de l’électricité en utilisant nos centrales éoliennes et nucléaires À ce jour, aucune centrale de la Senelec ne fonctionne au gaz.
PROPOS RECUEILLIS À DAKAR PAR THÉO DU COUËDICLe gouvernement espère que l’accès à l’électricité, qui est de 65 % aujourd’hui, sera universel en 2025. Pour atteindre cet objectif, le Sénégal prévoit-il de convertir au gaz toutes ses centrales?
C’est le souhait du président de la République: que tous les Sénégalais aient accès à l’électricité d’ici à 2025 Ce projet est estimé à 700 mil liards de F CFA. On a reçu beaucoup d’offres spontanées, du secteur privé comme du public. Un comité les évalue. Ensuite, le président Macky Sall tranchera. Les nouvelles centrales devraient fonctionner au gaz, à l’image de West African Energy (300 MW), au Cap des Biches, développée par des producteurs locaux. Une centrale alimentée par GTA au niveau de la ville de Saint-Louis (250 MW) devrait également entrer en service en 2023
En mars dernier, Petrosen a discrètement repris le contrôle de la majorité du capital de la Société africaine de raffinage (SAR) afin d’apurer sa dette et d’investir. Pourquoi?
Depuis sa création, en 1961, la SAR est l’une des rares raffineries de la sous-région. Elle assure plus de 50 % de la consommation du Sénégal. L’État la soutient lorsqu’elle se trouve en difficulté. Cela a été récemment le cas, grâce à une opération de recapitalisation par le biais de Petrosen de près de 64 milliards de F CFA. Petrosen détient maintenant près de 98,58 % du capital de la SAR. Depuis, la gestion de la société s’est nettement améliorée.
D’une perte de 59 milliards de F CFA en 2020, elle est passée à un bénéfice de plus de 8 milliards au cours de l’exercice 2021. Sa capacité de production de pétrole atteint 1,5 million de tonnes par an (contre 1,2 précédemment), avec comme perspective le traitement du pétrole brut extrait du champ de Sangomar d’ici à 2023. Une réflexion est menée pour porter cette capacité de production à 3,5 millions de tonnes par an, de manière à couvrir entièrement les besoins du Sénégal et d’une partie de la sous-région.
En octobre 2021, Petrosen Trading & Services (Petrosen
T&S) a inauguré une première station-service sénégalaise à Diamniadio. Où en est le projet de développement d’un réseau de distribution de pompes à essence sur le territoire national?
Après Diamniadio, d’autres stations ont été mises en service (à Fatick) ou sont en cours de construction (comme à Ouadiour, dans le département de Gossas. L’objectif est de mailler le territoire) et d’amener du carburant dans les coins les plus reculés afin d’assurer une équité territoriale. Mais ce n’est pas notre seul projet. Nous avons l’ambition de devenir un géant pétrolier.
L’exploitation future du pétrole et du gaz constituera-t-elle une source d’emplois?
Outre des postes de juristes, de communicants ou de techniciens, un certain nombre de métiers (soudeurs off-shore, électriciens, etc.) doivent être renforcés pour permettre aux jeunes de travailler dans ce secteur. Des centres de formation professionnelle ont été répartis sur le territoire. L’enjeu, c’est de préparer des jeunes et des femmes aux métiers de demain. C’est notamment le rôle de l’Institut national du pétrole et du gaz (INPG), qui propose plusieurs formations certifiantes.
À la suite d’un récent décret, les entreprises évoluant dans le secteur de l’énergie, telles que Petrosen et ses filiales, peuvent désormais s’affranchir des procédures prévues dans le code des marchés. Dans quel objectif?
L’idée, c’est de gagner du temps. Nous travaillons à la conception d’un manuel de procédure qui permettra de respecter les mêmes principes de transparence et de bonne gouvernance que ceux prévus par le code des marchés, mais en réduisant les délais. Ce manuel doit être validé par le conseil d’administration de Petrosen avec des représentants de différents ministères. Le cabinet Mazars, choisi à l’issue d’un appel d’offres, le mettra en œuvre. Il sera très contraignant, mais reconnaîtra la spécificité et la technicité du secteur.
Tribune Daniel Wetzel
Énergie :l’Afrique ne peut aider l’Europe àperte
À
quelquessemainesde la COP 27,enÉgypte, qui sera consacrée aux moyens de remplir les engagements de décarbonation et aux financementsdel’adaptation au changementclimatique despaysdéveloppés, la Russie a annoncé lafermeture du gazoduc Nord Stream1,aggravant ainsi la criseénergétique.Sécurisation des stocks, nouveaux fournisseurs, avancement desports de GNL, appel àlasobriété et préparation àdes rationnementscet hiveront déjàété envisagés
L’Europeregarde aussi du côté de l’Afrique:denouveaux contrats ont étésignésavecl’Algérie et l’Égypte,et deschantiersGNL prennent fin au Sénégal et en Mauritanie.Enrevanche, augmenter lesexportationsnéces sitera desinvestissementsdans de nouveaux projets, la capacité desproducteursactuels étant insuffisante.
Lesopportunités de marché àcourtterme ne doivent pas faire oublier le probable déclindes revenus desexportations:sur le long terme,les investisseurs dans lesprojets de gaz naturel risquent de ne pas rentrer dans leursfrais si la demande baisse, commeleprévoientles objectifs zéro émission desprochaines décennies. Ainsi, lesproducteurs africains se trouvent faceà des choixdifficiles: trouverl’équilibre entrelarécente hausse desprix
et l’incertitude desexportations sur le long terme, sans oublier de couvrirlademande intérieureen énergie.
Danslescénario «Afrique durable », l’Agence internationaledel’énergie(AIE) explore une voie qui répond aux objectifs énergétiquesducontinent: atteindreunaccès universel àl’énergied’ici à2030 et répondre auxengagements climatiques. Dans ce scénario, lesénergies bas carbone représentent lamajorité de cette croissance,maislegaz et le pétrole restentcruciauxdès lorsqu’ils représentent lesdeux tiersdelaproduction énergétique ducontinent.
consécutivesàcetteexploitation seraient d’environ 10 gigatonnes, portant la partdel’Afrique àseulement 3,5%des émissions globales, contre3%aujourd’hui.
Combustible propre Lesgouvernementsetles sociétés internationalesdoivent impéra tivement financerles infrastructures énergétiquesducontinent. Tout nouvelinvestissement dans ce secteur doit prendreen compte la demande intérieure en priorité, d’autant que la crise adurementaffecté lesAfricains, confrontés àdes prix de l’énergie et desdenrées inabordables, àune inflation et àune dette exponentielle.
Si plus de 5000 milliards de m³ (bcm) de gaz naturel ont été découvertsenAfrique,reste à savoir s’ils pourront êtreexploités. Ces ressources pourraient approvisionner lesmarchésavec 90 bcmsupplémentaires chaque annéed’ici à2030,cequi se révélerait vital pour l’industrie,les engrais ou encoreladésalinisation de l’eau. Lesémissions de CO2
Il s’agit de fournir de l’énergie àplus de 600 millions d’Africains qui n’ontpas accèsàl’électricité, et aux970 millions qui nedisposent pas de combustibledecuisson «propre». Atteindrel’accèsà l’énergie modernenécessitera 25 milliards de dollars paran jusqu’en2030, une sommequi représentemoins de 1%des investissementsannuelsglobauxdansle secteur,soitlecoûtdelaconstruc tion d’un terminal de GNL.
La communautéinternationale ales moyens d’assurer lesbesoins énergétiquesdel’Afrique.Le continentalepotentiel d’aider l’Europe. Diriger lesinvestissementsversledéveloppement de la demande intérieureafricaine doit rester une prioritéindépassable.