JA3118 du 28 octobre 2022 Dossier TRANSPORT MARITIME

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GABON LE COMPTE À REBOURS NO 3118 – NOVEMBRE 2022

TOGO LA MÉTHODE FAURE 14 PAGES

SPÉCIAL 30 PAGES

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COP27 Ce que veut (et peut) l’Afrique

MAROC-ISRAËL Et maintenant ?

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Le plus jeune et le plus âgé des chefs d’État au monde sont africains. Le capitaine putschiste burkinabè Ibrahim Traoré, 34 ans, aux commandes depuis un mois, et le doyen camerounais Paul Biya, 89 ans, président depuis quatre décennies. De Yaoundé à Ouagadougou, l’enquête de JA dans les coulisses de deux pouvoirs d’exception.

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Allemagne 9 € • Belgique 9 € • Canada 12,99 $CAN Djibouti 12 € • Espagne 9 € • France 7,90 € • DOM 9 € Italie 9 € • Maroc 50 MAD • Mauritanie 200 MRU Pays-Bas 9,20 € • Portugal 9 € • RD Congo 10 USD Suisse 15 CHF • Tunisie 8 TDN • TOM 1 000 XPF Zone CFA 4 800 F CFA • ISSN 1950-1285

RD CONGO Le facteur Kamerhe


Dossier Transport maritime PORT

Cameroun : le PAK attaque Quatre ans après le démarrage de ses activités commerciales, le complexe industriel de Kribi joue déjà un rôle considérable dans l’économie de l’Afrique centrale.

KEPSEU/XINHUA VIA AFP

OLIVIER CASLIN

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Depuis mars 2018, 1 600 navires sont passés par le Port autonome de Kribi.

ribi or not Kribi ? » La question ne se pose plus au Cameroun depuis une bonne quinzaine d’années devant l’ambition affichée par les autorités de construire le plus grand complexe industrialoportuaire de la sous-région. Pierre angulaire de ce projet à plusieurs milliards de dollars, son port en eau profonde, destiné à pallier les insuffisances nautiques d’un port d’estuaire comme Douala. Ses 16 mètres de tirant d’eau « justifient à eux seuls sa réalisation », estime Patrice Melom, le directeur général de l’Autorité du Port autonome de Kribi (PAK). Présent sur ce dossier depuis son origine, en 2005, il tient à rappeler que seulement « un dixième des installations portuaires prévues initialement est aujourd’hui sorti de terre ». Avec un impact déjà certain sur toute l’économie de l’Afrique centrale. Quatre ans après le démarrage de ses activités commerciales, en mars 2018, le PAK a déjà vu transiter près de 1600 navires, pour un trafic global estimé à plus de 33 millions de tonnes de marchandises diverses, essentiellement grâce aux exportations de gaz naturel liquéfié (GNL). Le tout sans installer de réelle concurrence avec Douala. Fidèle à la promesse faite par le président Paul Biya, à l’origine du projet, Kribi joue bien « ce rôle de grand port de transbordement à vocation sous-régionale », pendant que Douala reste concentré sur les trafics à l’import et à l’export liés au marché camerounais. « Même si l’objectif est de développer la desserte domestique, bien plus rémunératrice que le transbordement de conteneurs », précise la direction portuaire de Kribi. Les chiffres confirment cette évolution puisque, pendant que les volumes d’import-export baissaient de 6,5 % à Douala en 2021, ils doublaient dans le même temps à Kribi dans le sens des

importations. Sur le Kribi Conteneurs Terminal (KCT), exploité par un groupement d’actionnaires composé de Bolloré Ports (30,83 %), CMA CGM (29,62 %), CHEC (20,55 %) et un consortium d’investisseurs camerounais (19 %), la proportion des trafics de transbordement a baissé de moitié entre 2020 et 2021, en faveur des volumes conteneurisés destinés au pays en général et à Douala en particulier. Initialement prévu pour devenir le port d’exportation du minerai de fer extrait dans la région, Kribi a jusqu’à présent justifié son existence grâce aux trafics énergétiques et conteneurisés. En attendant que les projets miniers se concrétisent un jour, la tendance promet de durer.

Plateforme logistique

D’autant que les représentants du PAK et du KCT ont signé le 26 septembre un avenant à la convention de concession, confirmant la réalisation de la deuxième phase de développement du port. Attendue pour le début de 2024, cette nouvelle phase prévoit une extension du KCT, avec la réalisation d’un nouveau linéaire de quai de 715 mètres équipé de cinq portiques supplémen-

Premier armateur mondial, MSC Shipping va débarquer sur les quais du PAK, dans la foulée du rachat des actifs de BAL. taires et disposant d’une surface de stockage de 30 ha. Un agrandissement dont profitera également le terminal voisin, le Kribi Multipurpose Terminal (KMT), géré depuis 2020 par ICTSI. Spécialisé dans les trafics rouliers et les marchandises conventionnelles, l’opérateur philippin disposera d’un linéaire JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

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DOSSIER TRANSPORT MARITIME de quai de 650 mètres de longueur, contre 265 actuellement. Une fois cette deuxième phase réalisée, pour près de 600 millions de dollars, apportés pour une large part par CHEC, le KCT verra sa capacité annuelle passer de 350 000 EVP (équivalent vingt pieds) à plus de 1 million, pendant que le KMT sera en mesure de traiter 4 millions de tonnes de marchandises par an, contre 1,2 aujourd’hui. Dans le même temps, Kribi entend renforcer son rôle de plateforme logistique à l’échelle de l’Afrique centrale et compte pour cela sur ses opérateurs privés. Bolloré Transports & Logistics (BTL) a inauguré son Kribi Logistics Hub (KLH) le 8 juin dernier, alors que Ceva, le logisticien détenu par CMA CGM, prévoit d’implanter son propre port sec dans un avenir proche. La compagnie maritime française, qui traite actuellement 80 % des trafics conteneurisés de Kribi, a fait des terminaux du PAK l’un de ses points de chute favoris dans la

région depuis Shanghai, qu’elle rallie en trente-deux jours sans arrêt en passant par Singapour, et depuis Anvers ou Valence, via les ports de la côte ouest-africaine, chaque semaine. Ses caboteurs assurent ensuite le service vers Libreville ou Cotonou pour ramener le bois, le cacao ou le coton qui partiront vers l’Asie ou l’Europe. Le troisième armateur mondial va prochainement être rejoint sur les quais du PAK par le premier : MSC Shipping va débarquer dans la foulée du rachat des actifs de Bolloré Africa Logistics (BAL), effectif en 2023, et parmi lesquels figure en bonne place le KCT. Une arrivée « qui ne peut pas être nuisible pour le port », estime Patrice Melom.

Engrais et clinker

Le KCT contribuera à attirer de nouveaux opérateurs privés qui viendront renforcer l’aspect industriel du complexe. Alors que le terminal d’ICTSI commence à recevoir des trafics

d’engrais et de clinker, les minoteries de Douala s’installent à proximité du terminal, et une première cimenterie est attendue avant la fin de l’année. Une deuxième est annoncée pour l’année prochaine par l’ivoirien Atlantic, qui transforme déjà du cacao sur site. La direction portuaire veut aussi convaincre les industriels camerounais de venir implanter leurs usines de montage. Cette deuxième phase en appellera une troisième, consacrée à la mise en place de terminaux spécialisés dans le roulier, le fruitier, le vraquier ou le minéralier… sans oublier les projets offshore dans le pétrole et le gaz. Autant d’activités qui bénéficieront de la future connexion ferroviaire sur le tronçon reliant Edéa à Kribi. « L’objectif pour le port est de générer ses propres trafics », affirme le patron du PAK, qui, avec ses dizaines de milliers d’hectares de foncier sous la main, ne semble connaître que le ciel comme limite à ses ambitions.



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CMA CGM, les moyens de ses ambitions L’entreprise française la plus rentable de 2021 profite de ses milliards pour poursuivre son développement.

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une volonté d’investissement dans les médias français à l’entrée au capital d’Air France, en passant par l’acquisition du commissionnaire de transport Gefco, bien installé en Afrique du Nord, CMA CGM est sur tous les fronts. Fort de ses excellents résultats – 14,8 milliards de dollars de bénéfices au premier semestre de cette année et 17,9 milliards sur toute l’année 2021 – le numéro trois mondial du transport de conteneurs a de l’appétit. De là à oublier l’Afrique ? « Au contraire », répond Ludovic Rozan, directeur central et responsable des lignes Afrique du groupe CMA CGM. Après deux années entre parenthèses sur le marché mondial du conteneur, plusieurs armateurs, notamment asiatiques, ont réduit leurs capacités en Afrique pour bénéficier de revenus plus prometteurs ailleurs. « Nous sommes restés et nous avons gagné des parts de marché, notamment au départ du bassin méditerranéen. Et nous sommes plus que jamais décidés à renforcer nos positions », complète Ludovic Rozan. Avec le rachat des derniers armateurs spécialistes du seul marché africain, comme celui de Nile Dutch par l’allemand Hapag-Lloyd, il ne reste plus qu’une demi-douzaine d’armateurs qui proposent une offre complète sur le continent. CMA CGM, qui compte 34 lignes desservant 118 ports, est dans le trio de tête des compagnies maritimes en Afrique. L’armateur français a également de grosses ambitions logistiques, via sa filiale Ceva Logistics, présente dans 44 pays sur 54, et désormais Gefco, en Afrique du Nord. Les derniers développements dans l’aérien, en partenariat avec Air France, ne concernent pas encore l’Afrique, même si quelques opérations ponctuelles ont été menées sur l’île de La Réunion. Côté portuaire, 2023 sera une année importante. À Lekki (Nigeria), où le groupe français, via sa filiale CMA Terminals, s’apprête à recevoir ses tout nouveaux quais, les perspectives

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LAURENT GRANDGUILLOT/REA

sont très favorables. « Il s’agit d’un terminal stratégique pour nous, à moins de 90 km de Lagos, dans un pays à très fort potentiel », précise Ludovic Rozan. D’autant que Lekki sera l’un des rares terminaux en eau profonde de la sous-région, et le seul du Nigeria doté de portiques de quai. Il sera ouvert à tous les armateurs au-delà du groupe français, et plusieurs ont déjà signalé leur intérêt.

Pragmatisme

En plus des trafics import-export liés au Nigeria, CMA CGM se donne entre trois et cinq ans pour faire de Lekki un port de transbordement qui compte, où viendront se croiser les lignes maritimes en provenance d’Asie, d’Europe, voire d’Amérique latine. « Lekki vient apporter une offre logistique complémentaire des autres terminaux d’Apapa et de Tincan à Lagos », précise Ludovic Rozan. Avec un tirant d’eau de 16 mètres, Lekki offre la possibilité à CMA CGM de déployer des porte-conteneurs plus grands sur la côte ouest-africaine, avec des navires de 11 000, voire de 14 000 EVP (équivalent vingt pieds), contre 9 000 au maximum aujourd’hui. Le groupe dispose d’un autre terminal en eau profonde à Kribi, au Cameroun, qui lui aussi permettra de positionner des navires de plus grande taille. L’armateur et ses partenaires, Bolloré Africa Logistics (BAL) et CHEC, ont signé le 26 septembre

avec le Port autonome de Kribi (PAK) le lancement de la deuxième phase de développement du terminal, qui sera livrée d’ici à dix-huit ou vingtquatre mois. Depuis deux ans, le terminal tourne à plein. « Nous y avons réaffecté tous nos volumes sur le Cameroun », explique Ludovic Rozan. Là où le groupe ne dispose pas de terminal en propre, CMA CGM continuera d’utiliser ceux des autres. « Notre objectif reste de desservir les marchés au plus près, en maillant

L’armateur a des objectifs logistiques, via sa filiale Ceva, présente dans 44 pays sur 54. nos lignes pour assurer la meilleure couverture possible. » L’arrivée sur les ports de son concurrent MSC, numéro un mondial, qui finalise l’acquisition de BAL, ne change pas la stratégie pragmatique de CMA CGM. « L’Afrique sort de toute velléité monopolistique, conclut Ludovic Rozan. De Ndayane, au Sénégal, à Banana, en RDC, de nombreux projets sont portés par des groupes en provenance des pays du Golfe, de Chine ou d’Europe. Cela crée de nouvelles opportunités. » Que CMA CGM compte bien saisir. Thibaud Teillard



DOSSIER TRANSPORT MARITIME

INTERVIEW

Aboubaker Omar Hadi « Les armateurs sont les maîtres du jeu » À la tête de l’un des principaux ports à conteneurs d’Afrique, cet expert reconnu revient sur les évolutions du secteur et leurs implications pour le continent. OLIVIER CASLIN

Jeune Afrique : De tous les bouleversements qui ont transformé le secteur maritime, quel est selon vous le plus significatif? Aboubaker Omar Hadi : Les prix! Tout devient très cher dans le transport maritime, dans la foulée de la multiplication par quatre des taux de fret avec la pandémie, voire davantage sur l’axe Asie-Afrique. Nous sommes encore sur une base de 9000 dollars le conteneur, contre 3000 en moyenne avant le Covid. Dans ce contexte, comment s’en sort le port de Djibouti? Nous avons enregistré une baisse significative de nos volumes, de l’ordre de 20 % entre 2021 et 2022.

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les douze prochains mois, grâce à ce redémarrage constaté de la demande.

Nous avons dû réorganiser nos terminaux, mettre une partie de nos personnels à l’arrêt pendant de nombreux mois. Finalement, avec la baisse de nos dépenses d’exploitation liées à celle de nos volumes, la situation s’est équilibrée.

Pourquoi ces tarifs devraient-ils rester élevés dans l’immédiat? Parce que, si les navires sont là et qu’il y a à nouveau beaucoup de marchandises à transporter, les équipages ne sont pas au complet, et on manque toujours de conteneurs sur certaines routes. Un tiers du personnel navigant était constitué de Russes et d’Ukrainiens qu’il a fallu remplacer rapidement. Pendant ce temps, des quantités importantes de cargaisons sont restées bloquées à cause de la congestion des ports de Los Angeles et de Shanghai, et n’ont toujours pas été repositionnées sur l’Afrique.

Quelle est la situation des ports aujourd’hui? Ils sont au creux de la vague, mais les commandes ont été passées et les chaînes de production sont reparties en Asie. Les volumes devraient repartir à la hausse, malgré l’augmentation considérable des taux de fret. Les prix devraient redescendre autour de 6 000 dollars le conteneur dans

VINCENT FOURNIER POUR JA

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atron tout-puissant depuis 2011 de l’Autorité des ports et des zones franches de Djibouti (DPFZA), Aboubaker Omar Hadi a réussi, en un peu plus de dix ans, à faire de la petite république un hub maritime et logistique incontournable sur la côte est-africaine, dans la foulée de la modernisation de son vieux port. Formé au Havre et à la prestigieuse université de Malmö, en Suède, ce Djiboutien de 63 ans, passé également par les terminaux nigérians, connaît son secteur sur le bout des doigts. Il revient sur les nombreux changements que connaît l’industrie maritime dans le monde, et sur leurs conséquences pour l’Afrique en général et Djibouti en particulier.

Certains observateurs craignent que cette augmentation des tarifs ne provoque un changement de typologie du fret conteneurisé en faveur des marchandises à forte valeur ajoutée. Qu’en pensez-vous? Le taux de conteneurisation des marchandises ne cesse d’augmenter. Le conteneur constitue un tournant pour l’industrie maritime comme pour le commerce mondial, puisqu’il permet de compartimenter les capacités d’un navire entre plusieurs clients. C’est cette flexibilité qu’apprécient les chargeurs, parce que les coûts de stockage des marchandises sont trop importants. Il est donc préférable de les ventiler au plus vite, et, pour cela, la conteneurisation n’est pas une option.


DOSSIER TRANSPORT MARITIME Que répondez-vous à ceux qui estiment que cette augmentation des taux de fret pourrait provoquer une mise à l’écart des marchés africains les plus éloignés de l’axe Asie-Europe? Il n’y aura pas de déconnexion du commerce mondial. L’activité conteneurisée est compliquée, mais le continent a beaucoup de produits à exporter, notamment dans les vracs miniers ou agricoles. L’Afrique est géographiquement au cœur du marché mondial, elle est incontournable. L’arrivée annoncée de la Zlecaf doit également décupler les échanges intra-africains, à condition d’assurer une meilleure desserte terrestre des pays enclavés, et dans ce domaine tout reste à faire. Sans connexions routières ou ferroviaires de qualité, pas de Zlecaf. Les énormes bénéfices engrangés par les compagnies maritimes depuis 2021 pèsent-ils sur le secteur? Les grands armateurs sont devenus les maîtres du jeu grâce à leurs énormes profits, alors même que les volumes ont baissé. La stratégie d’intégrationverticaledescompagniesmaritimes qui investissent dans les ports, la logistique ou même l’aérien n’a pas vraiment de conséquence sur les flux de marchandises eux-mêmes, mais bien sur l’organisation de la filière, avec un vrai risque de monopole. Les grandes alliances passées entre compagnies ressemblent à des cartels. Ce n’est pas un hasard si l’administration américaine enquête sur le sujet. Que pensez-vous de la reprise des actifs portuaires de Bolloré Africa Logistics (BAL) par le premier armateur mondial, Mediterranean Shipping Company (MSC)? Un port a deux clients : le propriétaire du navire et le propriétaire de son chargement. Selon moi, un port ne devrait jamais se lier de trop près avec l’un des deux car il y a un risque réel de conflit d’intérêts. En gérant les terminaux, les armateurs pourraient être tentés de réduire la marge de manœuvre des autorités portuaires, par exemple en limitant l’accès des autres compagnies maritimes, en appliquant des grilles de

tarifs différentes, en jouant sur les priorités d’accostage, etc. Avec, in fine, le risque de fausser la concurrence. Un port doit rester accessible au plus grand nombre. MSC et les autres ont les moyens de construire leurs propres terminaux. S’ils ne le font pas, c’est peut-être parce qu’ils souhaitent exercer leur contrôle sur ceux qui existent déjà. Doit-on craindre une mise en concurrence tarifaire des ports? Ce ne sont pas les tarifs qui font la différence aujourd’hui. Le plus important, pour le chargeur comme pour l’armateur, reste de réduire les coûts de passage des navires sur les terminaux et de veiller à ce que les ports travaillent prioritairement sur

Un tiers du personnel navigant était constitué de Russes et d’Ukrainiens qu’il a fallu remplacer rapidement.

leur efficacité. Il n’y a donc aucun intérêt pour eux à voir les tarifs portuaires baisser si c’est au détriment de la qualité des services rendus. Quelle stratégie avez-vous mise en place pour que Djibouti conserve son leadership portuaire en Afrique ? Nous misons sur les ressources humaines en formant nos personnels pour garantir la qualité de nos services. Nous nous appuyons également beaucoup sur les outils numériques disponibles pour renforcer la fluidité des trafics en éliminant les points de blocage. Nos clients peuvent ainsi voir à tout moment, et en temps réel, où se trouvent leur navire ou leur marchandise. Ne craignez-vous pas une trop grande dépendance au marché éthiopien, qui absorbe chaque année plus de 70 % de vos trafics ? L’Éthiopie est un pays enclavé qui cherche des alternatives à Djibouti,

et c’est tout à fait légitime. Nous aussi devons diversifier nos sources d’activités, pour être moins dépendants. Le transbordement de marchandises est un des axes sur lequel nous travaillons, en signant des accords avec l’Ouganda et le Soudan du Sud pour approvisionner ces pays via les routes et les fleuves. Par nature volatile, l’activité de transbordement est très concurrentielle et rapporte moins que les trafics captifs, à l’import ou à l’export, pour un marché déterminé, mais elle dope les volumes de trafics et renforce le positionnement d’un port auprès des compagnies maritimes. C’est pour cela que nous nous sommes fixé pour objectif d’arriver à 50 % de transbordement d’ici à 2030. Quelles peuvent être les autres voies de cette diversification ? Comme MSC et CMA CGM, nous poursuivons une politique d’intégration verticale, en développant nos services dans l’aérien, via le transit air-mer. Nous avons démarré nos activités il y a un an, en direction d’une douzaine de pays, dont l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Angola, le Ghana ou encore le Nigeria. En 2023, nous disposerons d’un nouvel aéroport spécialisé dans le fret et géré par l’Autorité portuaire. Nous tablons sur 600 000 tonnes de fret aérien par an à l’horizon 2025. Quels sont les défis que devra relever l’industrie maritime dans un avenir proche ? La question énergétique est la seule vraie révolution à venir. La limitation des émissions de CO 2 de la flotte mondiale va coûter très cher aux armateurs, qui doivent dès maintenant mettre en place une véritable stratégie de développement des carburants verts. Reste à savoir qui va payer pour la décarbonation des navires, qui ne signifie pas forcément une nouvelle augmentation des taux de fret. Côté portuaire, notre principal défi est de faire face au gigantisme de la flotte. Un port est conçu pour cinquante ans, un navire pour vingt ans. Nous devons dès aujourd’hui être capables d’anticiper les choix des armateurs pour adapter nos ports au secteur maritime de demain. JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

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DOSSIER TRANSPORT MARITIME

Tribune Yann Alix

Secrétaire général de la fondation Sefacil

Révolution permanente

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es crises – sanitaire et ukrainienne – qui se succèdent depuis deux ans ont considérablement bousculé certaines habitudes du secteur maritime. C’est le cas sur les lignes régulières, dont l’organisation et les allocations de capacité étaient censées répondre aux besoins d’une région donnée. Avant que l’arrivée de la pandémie pousse les compagnies maritimes à adapter leurs touchés portuaires en fonction d’une offre et d’une demande non plus régionale mais globale. Les capacités conteneurisées déployées sur les marchés africains ont décliné, sur les douze derniers mois, de 4,4 %. Seule l’Afrique subit un recul, quand tous les autres continents voient leurs capacités augmenter. En découle une dégradation de la connectivité maritime globale de l’Afrique, et des difficultés supplémentaires pour ses grandes filières d’exportation à honorer les commandes fermes de leurs clients internationaux. Les raisons de ces difficultés sont les suivantes : l’indisponibilité des conteneurs, prioritairement affectés aux routes est-ouest ; le triplement des taux de fret d’avant-Covid ; les blank sailing [annulation d’escales ou de liaisons] des armateurs, notamment en direction des marchés américains; la

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connectivité aléatoire des hubs régionaux africains. Depuis l’été 2022, cette situation évolue : une forme de « normalité maritime » fait son retour, et les lignes reprennent du service, avec des taux de fret qui oscillent autour de 4000 dollars, soit deux fois plus qu’en 2019. Ces tarifs semblent devoir s’installer durablement, impactant les marchandises de faible valeur, notamment celles importées depuis l’Asie. Si, sur une autoroute maritime comme l’axe Asie-Europe, de nouveaux opérateurs ont fait leur apparition avec la pandémie, sur les marchés de l’ouest et du centre de l’Afrique, on assiste à une contraction du nombre de compagnies maritimes, passé de 32 opérateurs de lignes régulières en 2010 à 20 au début de cette année. Ensemble, le trio Maersk Line, MSC Shipping et CMA CGM représente plus de 70 % des capacités mises à la disposition d’un marché de plus de 600 millions d’habitants.

Compétition exacerbée

En parallèle, l’acquisition de Bolloré Africa Logistics (BAL) par la filiale portuaire de MSC Shipping Group inaugure une nouvelle concentration, celle des capacités de manutention entre les mains des compagnies maritimes, puisque l’autre acteur dominant sur les terminaux

africains n’est autre que la filiale du groupe AP Moller-Maersk. À eux deux, ils contrôlent la majorité des capacités de manutention installées entre Dakar et Luanda et, grâce à leurs capacités financières, déterminent aujourd’hui les complémentarités entre terminaux, tout en exacer-

Les ports de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale vont enregistrer de nouveaux records. bant la compétition entre les autorités portuaires. Avec un taux de croissance économique supérieur à 4 % attendu en 2023, les ports de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale vont enregistrer de nouveaux records. D’autant que l’arrivée prochaine de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) devrait stimuler les échanges intracontinentaux. Au point de nourrir de nouveaux espoirs quant à l’arrivée nécessaire de compagnies maritimes africaines, au service du plus grand marché continental de demain.


SÉNÉGAL: PORTE D’ENTRÉE DE L’AFRIQUE DE L’OUEST Le commerce mondial est l’épine dorsale de la croissance économique durable. Depuis le démarrage en 2008 de nos activités au terminal à conteneurs du port de Dakar, celui-ci est devenu une escale privilégiée des navires allant de l’Europe vers le Sud.

Le Sénégal s’apprête à renforcer sa position de plaque tournante du commerce régional avec la construction du port multifonction de Ndayane. Ce nouveau port ouvrira d’importantes opportunités économiques aux entreprises locales et améliorera l’attractivité du Sénégal aux investissements internationaux. En fluidifiant le transport des marchandises à travers le globe, nous contribuons au développement de la croissance économique régionale en tant qu’acteur de premier plan dans les solutions de logistique intelligente.



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