JA3118 du 28 octobre 2022 Green Africa

Page 1

GABON LE COMPTE À REBOURS NO 3118 – NOVEMBRE 2022

TOGO LA MÉTHODE FAURE 14 PAGES

SPÉCIAL 30 PAGES

www.jeuneafrique.com

COP27 Ce que veut (et peut) l’Afrique

MAROC-ISRAËL Et maintenant ?

M 01936 - 3118 - F: 7,90 E - RD

Le plus jeune et le plus âgé des chefs d’État au monde sont africains. Le capitaine putschiste burkinabè Ibrahim Traoré, 34 ans, aux commandes depuis un mois, et le doyen camerounais Paul Biya, 89 ans, président depuis quatre décennies. De Yaoundé à Ouagadougou, l’enquête de JA dans les coulisses de deux pouvoirs d’exception.

’:HIKLTD=[U\^U^:?n@b@b@i@k"

Allemagne 9 € • Belgique 9 € • Canada 12,99 $CAN Djibouti 12 € • Espagne 9 € • France 7,90 € • DOM 9 € Italie 9 € • Maroc 50 MAD • Mauritanie 200 MRU Pays-Bas 9,20 € • Portugal 9 € • RD Congo 10 USD Suisse 15 CHF • Tunisie 8 TDN • TOM 1 000 XPF Zone CFA 4 800 F CFA • ISSN 1950-1285

RD CONGO Le facteur Kamerhe


L’avenir de la planète n’attendra pas demain Orange a équipé 6000 sites télécoms de panneaux solaires, déployé deux fermes solaires en Jordanie et au Mali et solarisé son principal Data Center d’Afrique de l’Ouest. Des solutions solaires innovantes pour atteindre le net zéro carbone d’ici 2040.

Vous rapprocher de l’essentiel


EN COURS

L’édito

Marwane Ben Yahmed @marwaneBY

Souverainisme de pacotille et marchands d’illusions

L

aberrant coup d’État dans le coup d’État survenu à Ouaga ce 2 octobre est édifiant à plus d’un titre. S’il ne peut que désespérer ceux qui connaissent et apprécient le Burkina, que nous avons désormais de plus en plus de mal à surnommer le Pays des hommes intègres, il illustre par ailleurs une tendance de fond à ne pas prendre à la légère et qui se propage comme une traînée de poudre : la quête éperdue de souveraineté, la soif inextinguible d’indépendance et le rejet viscéral de l’ancienne puissance coloniale, la France en l’occurrence. Le nouvel homme fort du pays, le capitaine Ibrahim Traoré, l’a bien compris, qui a su habilement jouer de ce ressentiment pour arracher le pouvoir des mains du lieutenant-colonel PaulHenri Sandaogo Damiba. Samedi 1er octobre, à la Radio-Télévision burkinabè (RTB), alors que le rapport de forces penchait encore du côté de Damiba, Ibrahim Traoré a tenté un malicieux coup de poker en affirmant que son adversaire se serait réfugié à une trentaine de kilomètres de la capitale, « au sein de la base française de

Kamboinsin ». Et de préciser : « Il est en mesure de planifier une contre-offensive afin de semer le trouble au sein de nos forces de défense et de sécurité. Cela fait suite à notre ferme volonté d’aller vers d’autres partenaires prêts à nous aider dans notre lutte contre le terrorisme. » Une allusion à peine voilée à la Russie, déjà principal soutien des autorités de transition maliennes. Immédiatement, Paris dément « formellement toute implication dans les événements en cours au Burkina Faso. Le camp où se trouvent les forces françaises n’a jamais accueilli Paul-Henri Sandaogo Damiba, pas davantage que notre ambassade », répond le ministère des Affaires étrangères. Trop tard : la rumeur s’est répandue. Des dizaines

Une tendance de fond relayée par des « panafricanistes » 3.0.

d’individus s’en prennent à l’ambassade de France à Ouagadougou et à l’Institut français de Bobo-Dioulasso. Le lendemain, les slogans anti­ français résonnaient encore dans les rues de la capitale, et des drapeaux russes étaient brandis. « La patrie ou la mort! » hurlaient alors les manifestants. Et Damiba, finalement, démissionnait, lâché par les militaires qui lui étaient jusqu’ici fidèles. L’exacerbation de la fierté nationale et la désignation de boucs émissaires, voilà en grande partie les clés de la popularité dont jouissent aujourd’hui les putschistes… Popularité qui dépasse désormais largement le cadre des seuls pays concernés (Mali, Burkina et Guinée) et se diffuse auprès d’une jeunesse déboussolée, notamment grâce à de nombreux « panafricanistes » 3.0 qui sévissent sur la Toile, serinant la même antienne : « Haro sur la France, vive l’indépendance du continent, tournons-nous vers nos bienveillants amis russes ! » De nos jours, ces ersatz de Kwame Nkrumah – de Nathalie Yamb à Franklin Nyamsi, pour ne citer JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

3


L’ÉDITO que les plus exposés – hantent les réseaux sociaux. Leur « foi » est proportionnelle aux buzz qu’ils suscitent. Car le panafricanisme moderne, c’est désormais l’art de s’en prendre violemment à « l’impérialisme français » et à ses supposés suppôts à la tête de nos États. Mais aussi une propension pavlovienne à tresser chaque jour des lauriers à Vladimir Poutine, qui a les yeux de Chimène pour nous autres Africains, spoliés et opprimés, cela va sans dire. Bamako est devenu la Terre promise louée par nos thuriféraires pro-Moscou. Les terroristes sont armés par la France, mais Wagner nous en débarrassera sans contrepartie. Fort de ce nouveau protecteur, le Premier ministre par intérim du Mali, le colonel Abdoulaye Maïga, s’est senti pousser des ailes. Et s’est permis de tirer, du haut de la tribune des Nations unies, sur tout ce qui bougeait et ne faisait pas suffisamment montre d’ardeur « panafricaniste » et souverainiste. En particulier sur le chef de l’État nigérien, Mohamed Bazoum, qualifié d’étranger à cause de la couleur de sa peau… Triste époque, où la bêtise le dispute à la paresse intellectuelle ou au cynisme. Certains confondent le panafricanisme avec le nationalisme anticolonial de jadis. D’autres, comme Kémi Séba, l’utilisent surtout comme fondement d’un chauvinisme racialiste qu’ils tentent maladroitement de maquiller. Pour d’autres encore, tel Laurent Gbagbo en son temps, il s’agit d’un filon à exploiter quand, menacé en interne ou mis à l’index par la communauté internationale, il suffit de se proclamer chantre de l’anti-impérialisme et héraut de la souveraineté du continent pour, fort du statut de martyr qu’on s’est ainsi forgé, tenter de se maintenir au pouvoir. Le vrai panafricanisme n’est pas une vulgaire vue de l’esprit et n’a nul besoin d’excès pour s’affirmer. Il ne cherche guère à imposer un dogme ou à vouer aux gémonies toute pensée dissidente. Ni à se construire sur la haine d’un ancien maître pour

4

JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

se jeter aveuglément dans les bras d’un autre. Ni, a fortiori, à évoquer ad nauseam les mânes d’un passé mythifié, de Marcus Garvey et Cheikh Anta Diop à Mouammar Kadhafi, en passant par Kwame Nkrumah ou Patrice Lumumba. Il doit avant tout se poser les bonnes questions, examiner objectivement la responsabilité des Africains eux-mêmes dans le chemin parcouru depuis plus de six décennies sans qu’il soit indispensable de se défausser en permanence. Et, surtout, construire sa propre voie. L’Afrique a besoin d’idées politiques nouvelles, de débats contradictoires, de solutions adaptées au monde de demain, et non héritées d’une époque révolue et qui n’ont par ailleurs jamais porté leurs fruits. La Chine, certes avec d’autres moyens et paramètres, démontre aujourd’hui qu’on peut y arriver sans en vouloir à l’humanité tout entière et sans reproduire les vieux schémas d’antan. Malgré un vécu colonial tout aussi brutal (avec l’Europe et le Japon). L’urgence n’est pas au patriotisme aveugle ou à la désignation de supposés carcans ou bourreaux qui justifieraient à eux seuls nos échecs. Mais à l’union, à la réflexion et à son cadre idéal, à l’intégration réelle et donc à la facilitation des échanges en tous genres, au recours aux compétences existantes mais trop souvent sous-utilisées, à la recherche de l’efficacité ou à la culture du résultat. Il y a d’autres alternatives que celle qui consiste à rejeter ou à copier l’Occident. Il faut retrouver une signification africaine aux évolutions que nos sociétés sont appelées à connaître, en se fondant sur notre substrat et nos particularismes. Et se préoccuper avant tout de souveraineté économique, alimentaire, sécuritaire, énergétique et monétaire, ainsi que du contrôle des ressources naturelles du continent. Cela sonne comme une évidence, mais ça n’est hélas nulle part le cas sous nos latitudes, à l’exception peut-être du Rwanda, de l’Afrique du Sud et de quelques autres. Une chose est sûre : nous sommes les seuls responsables de cette triste réalité. Comme nous serons les seuls maîtres de notre salut.

Humour et sagesse Pour réfléchir ou sourire, chaque mois, notre sélection des citations les plus marquantes, les plus intelligentes ou les plus drôles.

MBY

Une politique d’apaisement face à la menace, c’est nourrir le crocodile en espérant être dévoré le dernier. Winston Churchill

Ne soyez pas poussé par vos problèmes. Soyez guidé par vos rêves. Ralph Waldo Emerson

Les humains peuvent modifier leur vie, en modifiant leur façon de penser. William James

Celui qui sait parler sait aussi quand il faut parler. Plutarque

Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action. Henri Bergson Vivre est la chose la plus rare du monde. La plupart des gens ne font qu’exister. Oscar Wilde

Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots. Jean Jaurès


MOBILISÉS POUR NOS 175 000 ENTREPRISES CLIENTES EN AFRIQUE Nous sommes à vos côtés, présents sur le continent africain pour vous accompagner dans vos projets d’avenir.

societegenerale.africa

Source : Société Générale – Rapport financier annuel 2019 - 03/2020. Société Générale, S.A. au capital de 1 046 405 540 € ‒ 552 120 222 RCS PARIS ‒ Siège social : 29, bd Haussmann, 75009 PARIS. Crédit photo : Getty Images – Juin 2022.


Dans Jeune Afrique et nulle part ailleurs

SOMMAIRE 3

L’édito Marwane Ben Yahmed

SPÉCIAL

COP 27

PREMIER PLAN 8 12 14 16

18 23 24 28

30

L’homme du mois Teodoro Obiang Nguema Mbasogo Dix choses à savoir sur… Mimi Touré, ex-Première ministre sénégalaise Le match Iyad Ag Ghali vs Abu al-Bara al-Sahraoui Le jour où… «J’ai couvert l’attaque contre l’avion de Hassan II », par Mohamed Seddik Maâninou L’actu vue par... Nana Akufo-Addo L’œil de Glez Sadio Mané, l’anti-bling-bling Le dessous des cartes Khat, tous accros Parti pris Pourquoi les Africains n’ont pas peur de Poutine, par François Soudan Droit de légitime défense énergétique, par Joël Té-Léssia Assoko

32

ENQUÊTE 32

SPÉCIAL COP27 Le sommet de la rupture ?

62 72 POLITIQUE 50 56 62

6

JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

Burkina Faso La mission (presque) impossible du capitaine Traoré Cameroun «Game of Thrones » à Etoudi RD Congo Vital Kamerhe, le revenant

66 72 78

Guinée Au cœur de la forteresse Doumbouya Maroc-Israël Salam, shalom. Et maintenant ? Tunisie-Italie Le « péril brun »


Banque européenne d’investissement (BEI) 98-100, boulevard Konrad Adenauer L-2950 Luxembourg, Luxembourg E-mail : press@eib.org

COMMUNIQUÉ

AVIS D’EXPERT

www.eib.org

Face à la crise, la BEI souhaite accélérer le développement des énergies renouvelables Dans le contexte actuel, les Africains sont logiquement préoccupés par les problèmes liés à l’inflation et à l’accès aux soins de santé. Mais nombre d’entre eux sont également profondément préoccupés par l’impact du changement climatique et de la dégradation environnementale qu’ils considèrent être aussi parmi les principaux défis auxquels leur pays est confronté. C’est ce qui transparaît de la nouvelle enquête sur le climat menée par la Banque européenne d’investissement en Afrique. Ainsi, une grande majorité des personnes ayant répondu à l’enquête sur le continent africain (88 %) estiment que le changement climatique impacte d’ores et déjà leur vie quotidienne, notamment en affectant leur source de revenus (61 %). Interrogés sur la source d’énergie dans laquelle leur pays devrait investir à l’avenir, 76 % des répondants donnent la priorité aux énergies renouvelables, loin devant les énergies fossiles (13 %). La COP 27, qui se tiendra ce mois-ci à Charm El-Cheikh en Egypte, se concentrera sur les moyens d’augmenter le financement pour l’action climatique dans les régions les plus pauvres, notamment en Afrique. Il s’agira de montrer ce qui se fait déjà en termes de soutien pour aider le continent à faire face aux effets néfastes du changement climatique. Ces derniers sont déjà palpables et vont malheureusement s’accentuer à l’avenir, tout comme les problèmes liés à la dégradation environnementale, notamment la perte de biodiversité. Il s’agira aussi et surtout d’identifier ce qui peut se faire mieux ou en plus pour soutenir les pays Africains dans la voie du développement durable. La Banque européenne d’investissement travaille de plus en plus étroitement avec des partenaires africains pour accélérer les investissements dans l’action pour le climat et l’environnement. Nous avons créé BEI Monde, une branche spécialisée dans le développement afin d’intensifier nos activités en élargissant le nombre d’experts présents en Afrique, de nouer davantage de partenariats avec les secteurs public et privé et d’amplifier nos interventions sur le terrain dans les pays qui ont le plus besoin d’aide. En 2021, nous avons consacré près de la moitié de nos financements à des projets situés en dehors de l’Union européenne, soit environ 5 milliards d’euros, à l’Afrique.

Ambroise Fayolle,

Vice-président de la Banque européenne d’investissement

Dans le contexte de crise actuelle, le débat est fort sur le mix énergétique approprié à adopter à court et moyen terme, pour soutenir une croissance durable et assurer l’accès à l’énergie pour tous. C’est in fine une décision de chaque pays, mais il est clair que l’accès à l’énergie est une priorité absolue et que le besoin de nouvelles infrastructures énergétiques est urgent. À la BEI, banque du climat de l’Union européenne, nous avons décidé de concentrer notre intervention sur le soutien au développement durable du secteur de l’énergie, avec une priorité donnée aux énergies renouvelables, à l’efficacité énergétique et à l’innovation. Notre action concerne à la fois l’accès aux énergies propres via les réseaux d’électricité nationaux et régionaux, et le développement de solutions hors réseau pour les communautés plus isolées. Cela passe par une concentration et une augmentation de nos financements au service de cet objectif, accompagnés autant que possible par le développement de conseils techniques. La BEI s’efforce également à faciliter une transition écologique qui soit « juste », en veillant à ce qu’aucune personne ni aucun lieu ne soit laissé pour compte dans l’évolution vers des économies bas carbone et résilientes au changement climatique. Le changement climatique est un enjeu global, mais on sait que ses conséquences touchent particulièrement le continent africain. La BEI est mobilisée pour relever avec ses partenaires ce grand défi.

Découvrez l’ensemble des résultats de notre enquête sur le climat sur notre site


Fondateur: Béchir Ben Yahmed, le 17 octobre 1960 à Tunis bby@jeuneafrique.com Édité par Africa Media Group Siège social: 57 bis, rue d’Auteuil – 75016 Paris Tél.: +33 (0)1 44 30 19 60 Fax: +33 (0)1 45 20 09 69 Courriel: redaction@jeuneafrique.com Directeur général: Amir Ben Yahmed Vice-présidents: Danielle Ben Yahmed, François Soudan Directeur de la publication: Marwane Ben Yahmed mby@jeuneafrique.com Directeur de la rédaction: François Soudan f.soudan@jeuneafrique.com Directeur exécutif de la rédaction : Amir Ben Yahmed aby@jeuneafrique.com

OBJECTIF TOGO

CULTURE

82

150 Littérature Entretien avec Jennifer Richard, romancière franco-américaine 156 Musique « Lady 100 000 volts » 160 Gastronomie Fyn, meilleure table d’Afrique

La méthode Faure

INTERNATIONAL 102 Espagne-Afrique Madrid joue les équilibristes

ÉCONOMIE 112 Notation Une agence panafricaine pour plus d’équité 118 Transport aérien Turkish Airlines, l’Afrique lui va si bien 120 Angola Interview de Mário Caetano João, ministre de l’Économie et du Plan 122 Capital-investissement Un bond à relativiser 124 Rencontre Maurice, le bon élève sur lequel on peut copier

COUVERTURES : STÉPHANE LEMOUTON/SIPA; ISSOUF SANOGO/AFP; MONTAGE JA; COMMUNICATION PRÉSIDENCE GABON

102

La rédaction et l’équipe de Jeune Afrique sont à retrouver sur www.jeuneafrique.com/qui-sommes-nous/ Diffusion et abonnements Ventes: +33 (0)1 44 30 18 23 Abonnements: Service abonnements Jeune Afrique, 235, avenue le Jour se Lève 92100 Boulogne Billancourt Tél.: +33 (0)1 44 70 14 74 Courriel: abonnement-ja@jeuneafrique.com Communication et publicité DIFCOM (Agence internationale pour la diffusion de la communication) S.A. au capital de 1,3 million d’euros Régie publicitaire centrale de Jeune Afrique Media Group 57 bis, rue d’Auteuil, 75016 Paris Tél.: +33 (0)1 44 30 19 60 Fax: +33 (0)1 45 20 08 23 +33 (0)1 44 30 19 86 Courriel: regie@jeuneafrique.com

Imprimeur: Siep – France Commission paritaire: 1026 D 80822 Dépôt légal: à parution ISSN 1950-1285

Abonnez-vous à

126 DOSSIER TRANSPORT MARITIME Cameroun : le PAK attaque

GRAND FORMAT

136 FOCUS TÉLÉCOMS Mercato : les outsiders passent à l’offensive

JEUNE AFRIQUE & VOUS

163 Gabon Le compte à rebours

215 Le tour de la question 216 Ce jour-là… 218 Post-Scriptum

Découvrez toutes nos offres d’abonnement sur

jeuneafrique.com ou contactez-nous au +33 (0)1 44701474



Lors des travaux de la pré-COP27, qui s’est tenue à Kinshasa du 3 au 5 octobre.

SPÉCIAL

CLIMAT

Le sommet de la rupture?

Las d’attendre des financements promis qui ne viennent pas et frappés de plein fouet par les conséquences du dérèglement climatique, les Africains sont décidés à se faire entendre lors de la conférence de Charm el-Cheikh. STÉPHANE BALLONG, AVEC ANNE-MARIE BISSADA

32

JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022


ARSÈNE MPIANA

L

es négociations promettent d’être houleuses à Charm el-Cheikh, du 6 au 18 novembre. Il faut dire que les Africains sont remontés, voire en colère, contre cette forme d’hypocrisie de la part des pays industrialisés. Celle-ci a été parfaitement illustrée en septembre par l’échec du sommet de Rotterdam. Ce sommet, une initiative mise en place par les Africains à la 26e Conférence des parties (COP26), devait permettre la mobilisation de 25 milliards de dollars pour financer l’adaptation au changement climatique sur le continent. Véritable fiasco, il s’est soldé par la promesse

d’une ridicule enveloppe de… 55 millions de dollars. « […] 55 millions pour 54 pays », reprendra quelques semaines plus tard Nana Akufo-Addo, alors en visite à Paris. « Cela n’est pas juste, cela n’est pas équitable. Appliquer le principe d’équité, ce n’est pas donner, c’est refuser de prendre un avantage qui ne vous appartient pas. Cela n’a rien à voir avec la charité », a-t-il martelé. Le ton est donné. Aux Pays-Bas, où le président ghanéen représentait le continent aux côtés de Macky Sall et de Félix Tshisekedi, non seulement l’engagement des dirigeants occidentaux (politiques et industriels) n’était pas à la hauteur des attentes, mais, surtout, ils n’ont pas daigné se

présenter à cette rencontre à laquelle ils étaient conviés. « Cela nous laisse un mauvais goût dans la bouche », n’avait pas manqué de signaler le chef de l’État sénégalais et président en exercice de l’Union africaine. Ajoutant à l’endroit des grands groupes industriels européens : « Ils sont les principaux pollueurs de cette planète, ce sont eux qui devraient financer ces changements. » Que ce soit en août à Libreville, lors de la Semaine africaine du climat, ou au début d’octobre, à Kinshasa, à l’occasion de la pré-COP, un peu partout sur le continent, à l’approche de cette COP27, un seul et même sentiment domine : « la frustration », souffle Tanguy Gahouma-Bekale, qui fut négociateur en chef du groupe Afrique lors de la COP26. « À Glasgow, explique-t-il, les Africains avaient accepté beaucoup de choses. Ils ont signé l’accord final, alors que celui-ci ne prévoyait par exemple aucun mécanisme de financement pour “les pertes et préjudices” liés aux dégâts provoqués par les catastrophes climatiques. » Le Gabonais, désormais conseiller du président Ali Bongo Ondimba, poursuit : « En contrepartie, l’engagement pris par les pays riches [en 2009] de mobiliser 100 milliards de dollars par an [entre 2020 et 2025] pour aider les économies en développement à lutter contre le réchauffement climatique devait être enfin atteint à partir de la COP27. À quelques semaines de l’événement, il semble que nous n’y serons pas. »

11000 milliards de dollars nécessaires

Pendant ce temps, les besoins des pays en développement ne cessent de croître. Les économies africaines estiment désormais les leurs à un montant compris entre 1 300 et 1 600 milliards de dollars pour atteindre, en 2030, les objectifs de l’accord de Paris. Pour les représentants du continent, il n’est plus question de continuer à dresser d’interminables listes de constats et de promesses. Que leurs économies sont celles qui contribuent le moins aux émissions de gaz à effet de serre est un fait. Qu’elles sont aussi les plus vulnérables et les plus durement JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

33


SPÉCIAL

COP 27 touchées par les sécheresses, les inondations et autres, cela, on le sait également. Enfin, il ne souffre aucune contestation que le continent africain est le plus à même de proposer des solutions à la planète du fait de sa couverture forestière – celle du bassin du Congo en Afrique centrale est la deuxième la plus vaste du monde –, de ses importantes ressources photovoltaïques, minérales et hydrauliques. Seule une question urgente importe désormais : quand les pays industrialisés, notamment ceux du G20, responsables de 80 % des émissions de gaz à effet de serre, proposeront-ils enfin des solutions financières substantielles pour faire face à ces enjeux ? Pascal Lamy, l’ex-directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et désormais membre du conseil d’administration de la fondation Mo Ibrahim, estime que la Banque mondiale a, elle aussi, une importante responsabilité à assumer. « C’est une institution censée lutter contre la pauvreté. Mais elle traîne pour prendre à bras-le-corps le problème climatique, qui crée de la pauvreté en Afrique », accuse-t-il. Comme le résume bien Ève Bazaïba, la ministre de l’Environnement de la RDC : les pays africains, dont le sien, ont de plus en plus de mal à choisir entre la lutte contre l’extrême pauvreté et le financement de la lourde facture à payer pour l’adaptation au changement climatique. Résultat : son pays a récemment décidé de lancer des opérations d’exploration et d’exploitation pétrolières dans une partie de ses forêts et tourbières.

Peu d’impact sur les émissions mondiales

De fait, dans la célèbre cité balnéaire du Sinaï, il sera donc question de dispositifs de financement (subventions et investissements à long terme) pour ider les économies africaines à a adapter leurs stratégies de développement au dérèglement climatique. Sera également au cœur des débats la transition énergétique, un sujet qui tient particulièrement à cœur aux pays producteurs de pétrole et de gaz. Lesquels estiment que peu importent

34

JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

les montants débloqués pour l’adaptation, cette transition doit être « juste et équilibrée ». Autrement dit, que les économies africaines doivent continuer, contrairement aux décisions prises lors de la dernière COP de réduire les subventions et les financements des énergies fossiles, à exploiter ces dernières pour soutenir leur développement. Cette position a surtout été exprimée par Macky Sall en juin : « Il est inconcevable que ceux qui ont exploité le pétrole, le charbon et le fioul pendant plus d’un siècle

L’Afrique doit pouvoir exploiter les énergies fossiles pour soutenir son développement. empêchent les pays africains de développer leurs ressources. » Le vice-président du Nigeria, Yemi Osinbajo, ne dit pas autre chose. Lors du lancement, cette année, du plan de transition énergétique de son pays, dont le coût est estimé à 410 milliards de dollars, il affirmait : « Pour nous, Africains, le problème de la pauvreté énergétique est aussi important que nos ambitions climatiques. L’utilisation de l’énergie est cruciale pour presque tous les aspects imaginables du développement. La richesse, la santé, la nutrition, l’eau, les infrastructures, l’éducation et l’espérance de vie sont étroitement liées à la consommation d’énergie par habitant. » Le point de vue de Macky Sall et de Yemi Osinbajo a été d’une certaine manière conforté par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) lorsque celle-ci a affirmé que l’utilisation par les pays africains des combustibles fossiles à court terme – pour un usage domestique et non pour l’exportation – aurait peu d’impact sur les émissions mondiales. Uniquement à usage domestique ? « C’est aux Africains de décider s’ils exploitent pour eux-mêmes ou s’ils veulent exporter », répond Pascal Lamy. « Ils ont des capacités suffisantes pour à la fois en exporter et en consommer localement pour produire de

Bilan des quatre COP « africaines » 2001

Marrakech (COP7) Première Conférence des Parties tenue sur le continent, la COP7, au Maroc, avait vocation à redonner un nouveau souffle au processus de négociation du protocole de Kyoto, premier accord international visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 5 %. Après l’échec des pourparlers à La Haye (COP6), un compromis politique avait été trouvé à Marrakech autour des mécanismes de Kyoto, des puits de carbone et de l’aide financière aux pays en développement.

2006

Nairobi (COP12) Au Kenya, le futur de la politique internationale sur le climat devait être au cœur des débats alors que le continent demeure extrêmement vulnérable face aux dérèglements climatiques. Mais la première COP organisée en Afrique subsaharienne, planifiée pour préparer l’après Kyoto, avait finalement été « un rendez-vous de transition ». La révision du protocole avait été reportée à 2008 et l’aide envisagée pour les pays les plus touchés reste, à ce jour, lettre morte.

2011

Durban (COP17) Entre débats houleux et nuits blanches, la 17e conférence des Nations unies sur le climat s’était clôturée avec 36 heures de retard. La raison? Un désaccord sur la formulation de la feuille de route pour un nouveau pacte mondial de réduction des émissions de CO2. Adopté in fine par 195 Parties réunies en Afrique du Sud, l’accord – « significatif » selon l’ancien secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon – avait garanti la survie du protocole de Kyoto et l’élaboration d’un nouveau traité climatique en 2015.

2016

Marrakech (COP22) Un an après l’accord de Paris, Marrakech accueillait la grand-messe consacrée à la lutte contre le réchauffement climatique. Baptisée la « Conférence de l’action », la COP 22 fut le rendez-vous de toutes les promesses: « neutralité carbone » pour le Canada, l’Allemagne et les États-Unis; alignement sur les exigences dudit accord par le Royaume-Uni, l’Australie, le Japon et ambition « 100 % d’énergies renouvelables » pour les pays vulnérables… Bien que le bilan semblait maigre pour certains, cette COP en terres marocaines était la preuve que la lutte continuait.


Vivez l’expérience d’un pays aux potentialités plurielles • Une situation géographique et stratégique dans le Golfe de Guinée • Un sous-sol riche en ressources minières • Un secteur agro-industriel aux opportunités multiples • Une main d’œuvre jeune et qualifiée

AGENCE DE PROMOTION DES INVESTISSEMENTS CAMEROUN B.P.: 20771 Yaoundé www.investincameroon.net


SPÉCIAL

COP 27

RUBEN MAY/GCA

Le président sénégalais Macky Sall lors du sommet sur l’adaptation, à Rotterdam, le 5 septembre.

l’énergie, des engrais ou dessaler l’eau de mer. Il faut se faire à l’idée que les émissions africaines vont forcément augmenter compte tenu de la croissance démographique et du niveau élevé des besoins », ajoute l’économiste français.

Finance verte et partage de connaissances

Reste la question du financement des projets pétroliers et gaziers. Car aujourd’hui, institutions multilatérales, banques privées, compagnies d’assurances ou investisseurs en tout genre, contraints par les réglementations ESG, rechignent, comme on peut le voir en Ouganda, à soutenir le développement de gisements pétroliers. En la matière, la Banque européenne d’investissement (BEI) s’est récemment illustrée par la position particulièrement catégorique de son président, Werner Hoyer, qui, selon le Financial Times, souhaite mettre un terme au financement de la production de gaz, pourtant considéré, avec le nucléaire, comme une énergie de transition par l’Union européenne, l’institution dont elle dépend. « Ce sont là des positions qui pénalisent surtout les Africains, parce que les économies développées ont les moyens de se passer de ce type d’institutions », commente Tanguy Gahouma-Bekalé. Mais sur le continent, nombreuses sont aussi les voix qui défendent un modèle basé sur la promotion des énergies renouvelables. Parmi elles, celle d’Evans Osano, directeur des marchés de capitaux chez FSD Africa,

36

JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

spécialisé dans la finance verte. D’après lui, le continent n’ayant pas les mêmes infrastructures énergétiques que l’Occident, il peut contourner la phase de développement des combustibles fossiles et mettre en place un nouvel ordre dès à présent. Il estime ainsi que l’application de bonnes pratiques dans des secteurs vitaux tels que l’agriculture, l’eau, l’énergie et les ressources minérales – les principaux moteurs de la croissance économique sur le continent – pourrait aider à orienter les pays vers les énergies renouvelables, tout en créant des emplois et en développant

De nombreuses voix africaines défendent aussi un modèle basé sur le renouvelable. une industrie manufacturière locale « verte ». Selon ce financier kényan, ce pourrait être l’occasion pour les pays africains de rééquilibrer le rapport de force entre le Nord et le Sud en faisant les choses correctement dès le départ, ou en tirant les leçons des erreurs de l’Occident. Directeur général du Global Center on Adaptation, une organisation internationale travaillant comme courtier dans la mise en place des solutions d’adaptation climatiques, Patrick Verkooijen estime que la seule manière de freiner le réchauffement climatique est de « s’assurer que

l’argent circule en Afrique ». Et ce flux doit se faire en temps réel, soutient-il. L’argent ne suffit pas, temporise Mahmoud Mohieldin, le champion de haut niveau des Nations unies pour le changement climatique en Égypte. Et de préciser à Jeune Afrique : « Il s’agit également d’expertise technique, de partage des connaissances [et] des progrès de la recherche et du développement. Aujourd’hui, nous sommes plus à l’aise pour parler des sources d’énergie renouvelable, parce qu’il y a eu une réduction majeure des coûts de près de 95 %, notamment dans le cas de l’énergie solaire, au cours des dix dernières années. »

Essor du solaire et de l’éolien

Malgré la réticence de nombreuses sociétés à investir dans des projets énergétiques en Afrique, affirmant que les risques sont plus élevés qu’ailleurs, force est de constater que la capacité d’énergie renouvelable en Afrique a augmenté de plus de 24 GW depuis 2013, selon PWC. Et une grande partie de cette croissance a été portée par des projets solaires et éoliens en Afrique du Nord et en Afrique de l’Est, particulièrement en Égypte, en Algérie, en Tunisie, au Maroc et en Éthiopie. Quelques autres exemples émergent dans d’autres régions du continent. Au Sénégal, par exemple, la technologie photovoltaïque a permis au pays de construire sa source d’énergie la moins chère. De même, l’Afrique du Sud réalise en ce moment même ce qui sera son plus gros investissement dans les énergies renouvelables : son projet d’énergie solaire concentrée Redstone, d’une capacité de 100 MW. Et au Kenya, le projet éolien du lac Turkana d’une capacité de 310 MW alimentera plus de 1 million de foyers. Même si l’Afrique poursuit tous ses projets d’adaptation au climat, cela ne la protégera pas de la montée en flèche du changement climatique, provoquée par l’incapacité de l’Occident à atteindre ses propres objectifs. Aux dires de Mahmoud Mohieldin, la pression monte pour s’assurer que la COP27 ne sera pas simplement une autre conférence de « promesses et d’engagements inutiles ».


7 4

Le Broyeur à Cylindres Similago II,

produit à plus de 1500 unités, et mis en marche partout dans le Monde.

winner 2017


SPÉCIAL

COP 27

Crédits carbone Un marché à réglementer

JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

mp co

ensation carb

on

1 tonne de CO2 peut être compensée en créditcarbone carbone qui certifie achetant un crédit que l’émission de 1 tonne de carbone a été projet qui... évitée par un projet

e

38

La

L

e 7 octobre, le Gabon obtenait la certification par l’ONU de 187 millions de crédits carbone, l’une des plus importantes à l’échelle mondiale. Au Kenya, une Bourse spécifique à ce marché est sur le point de voir le jour. Sur le continent, les projets pullulent. L’utilisation de cet instrument stratégique de tarification du carbone, plus communément appelé « compensation », sera au cœur des discussions de la COP27. Sur le papier, les crédits carbone sont un puissant levier de lutte contre le changement climatique qui incite à financer des projets « verts » ou à rémunérer les comportements vertueux, à l’instar de la préservation des puits de carbone tels que le bassin du Congo. En théorie, ce marché pourrait permettre de réduire de plus de la moitié le coût de la mise en œuvre des contributions déterminées au niveau national (CDN) définies par l’accord de Paris de 2015. La réalité est plus nuancée. Créé en 1997, le mécanisme réglementaire – au sein duquel l’Afrique ne représente que 3 % des crédits émis – est à l’arrêt depuis décembre 2020. Et sa nouvelle mouture fait encore l’objet de négociations. Son pendant « privé », le marché volontaire, est surnommé Far West tant il est peu régulé. Le prix moyen de la tonne de carbone y plafonne à 4,40 dollars, alors qu’il devrait atteindre 75 dollars au minimum d’ici à 2030 pour garantir une limitation du réchauffement à 1,5 °C. La compensation est présentée par ses détracteurs comme un « droit à polluer » qui ne remettrait pas en question le modèle économique producteur d’émissions de gaz à effet de serre. Une forme de pensée magique selon laquelle elles disparaîtraient par le simple fait de planter des arbres. Pourtant, ces néoforêts sont souvent des monocultures qui séquestrent peu de carbone, présentent un risque pour la biodiversité et qui, en cas d’incendie, rejetteront à nouveau des millions de tonnes de CO2. Marie Toulemonde

+ de 1 t de CO2 émise

Vente

= Achat

séquestre plus de CO2

1 crédit carbone = 1 tonne d’équ. CO2

évite d’en émettre

– de 1 t de CO2 économisée

en émet moins que prévu

Deux marchés de compensation MARCHÉ RÉGLEMENTAIRE

MARCHÉ VOLONTAIRE

Obligatoire, Obligatoi régi par la CCNUCC1, il est utilisé par les entreprises et les gouvernements, légalement diminuer leurs qui doivent légalement émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit notamment du Mécanisme de développement propre, qui est en cours de modification.

Non obligatoire et autorégulé, autorégulé, il est destiné aux entreprises, fondations et associations qui souhaitent témoigner de leur engagement écologique en compensant leurs émissions par le financement de projets « verts ».

CERTIFICATION

Le projet est certifié par des standards qui fixent leurs propres normes. Mais, en théorie, il faut que le crédit carbone soit : transparent

unique

permanent

mesurable

additionnel

Principaux certificateurs (privés) en Afrique

VENTE entre5050centimes centimesetet5050euro euros Les crédits sont négociés ntre à la Bourse, de gré à gré (entre les porteurs de projets et les entreprises) ou de manière bilatérale, puis ils sont retirés des registres.

2015

42

2021

164

prév. 2030 prév. 2050

1 1 500 à 2 000 7 000 à 13 000

5 à 50

Nombre de crédits négociés sur le marché volontaire mondial, en millions de t de CO2 Valeur du marché en milliards de dollars 1

Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC)


arch m e L 14,5 %

é volontai re afr i ca

23,9 millions de t de CO2

des crédits retirés dans le monde en 2021

in

5,5 $

le prix moyen de la tonne Crédits carbone émis sur le marché volontaire en millions de tonnes de CO2 et certifiés par

Plus de 600 projets

XX

0,3 Maroc

PROJETS PAR TYPE :

Exemple d’acheteur + son nombre de crédits : 0,7 million de t de CO2 0,3 Égypte

énergie g domestique q

= Foyer de cuisine amélioré pour éviter d’utiliser trop de bois ou de charbon

0,7 Mauritanie

Sénégal

1

49 %

1,1 Mali

10

2,5

1,2

Nigeria

8,4 Sierra Leone 3,3 Côte d’Ivoire Ghana

eau potable

1,2 Érythrée

0,3 Soudan

0,06 Tchad

0,3 Burkina Faso

0,3 Guinée

Forêt primaire du bassin du Congo

26 %

Cameroun

0,05

1,1 million de t de CO2

Éthiopie

30 RD Congo

Congo

énergies renouvelables

8%

10 réduction de la déforestation (REDD)

2

6

25,3

5%

2,9 millions de t de CO2

Zimbabwe Namibie

0,2 3,3

Mozambique

Maurice

Madagascar

7

Afrique du Sud

biomasse, biogaz, déchet

0,1 million de t de CO2

38,9

Tanzanie

0,2

autres

0,7 million de t de CO2

Malawi 0,1

Zambie

5%

12,7

Ouganda Kenya Rwanda 0,4 2,6

3,5 millions de t de CO2

4% boisement ou reboisement 3%

te Por

ur de proje

Identifie les projets Monte les dossiers pour la certification Négocie les crédits sur les marchés Fait du conseil en stratégie bas carbone

t

refuse de les certifier Principaux acteurs sur le continent

Bonne idée ou greenwashing ? Les projets REDD+2 à la loupe Mise en place par la CCNUCC, la REDD+ vise à limiter les émissions en réduisant la déforestation. Elle n’est ni un marché carbone ni un standard, mais ses projets peuvent émettre des crédits carbone sur le marché réglementaire et sur le marché volontaire. Sa pertinence est néanmoins souvent critiquée.

CO2 Balance

Grande-Bretagne

Southpole Suisse

Atmosfair Allemagne

CO2 Logic Aera

Belgique

France

1 originateur et négociant en Afrique 8 millions de t de CO2 de crédits délivrés pour 160 000 € 50 projets sous contrat er

2

Non-permanence

Additionnalité

Accès à la terre

Pour avoir une valeur, le carbone doit être séquestré dans le temps. Or les forêts sont exposées à de nombreux risques qui peuvent mener au rejet du carbone dans l’atmosphère : incendies, parasites, changement climatique…

Estimer le nombre de crédits revient à prédire combien d’arbres auraient été abattus si le projet n’avait pas existé. La tentation de présenter des scénarios catastrophistes dans le but d’émettre plus de crédits est grande.

Ces projets présentent un risque de conflit d’exploitation avec les usagers de la forêt, de possibles expropriations, mais aussi de délocalisation de la déforestation dans une autre zone de la même région.

Sources : CNUCC, Verra, Gold Standard, Forest Trends Ecosystem Marketplace, Mc Kinsey, Greenpeace, Ademe, Commission Européenne.

certifiés par Gold Standard et Verra en 2022

Reduction of emissions from deforestation and degradation of forests (REDD).

JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

39


SPÉCIAL

COP 27 VÉHICULES ÉLECTRIQUES

Les minerais « verts », une aubaine sous condition Pendant que groupes miniers et constructeurs automobiles se bousculent pour s’assurer l’accès aux précieux métaux, les pays producteurs africains réclament la création de chaînes de valeur locales. OLIVIER HOLMEY

I

l y a trois ans, Albert Muchanga profitait de sa présence à Mining Indaba, la grand-messe du secteur extractif africain, pour amorcer un dialogue entre deux des principales puissances minières du continent. Le commissaire au développement économique, au commerce, à l’industrie et à l’activité minière de l’Union africaine (UA) nous confie s’être entretenu lors de la conférence, qui se tenait au Cap, avec des représentants de la République démocratique du Congo et de la Zambie. Son objectif d’alors : que ces États, qui disposent de gisements de métaux essentiels à l’élaboration des batteries des voitures électriques, s’associent pour produire euxmêmes ces batteries. Les négociations démarrées à cette occasion ont abouti cette année. En avril, les présidents Hakainde Hichilema et Félix Tshisekedi assistent à la signature, à Lusaka, par leurs ministres respectifs, d’un accord de coopération bilatérale. Cobalt, lithium, nickel, cuivre, terres rares… L’Afrique regorge de ces métaux dits « verts ». Peu considérés il y a encore quelques années, ils sont désormais au centre d’une transformation économique qui vise

40

JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

à décarboner nos sources d’énergie et nos modes de transport. Voitures électriques, panneaux solaires, éolienne s et amp oule s bass e consommation comptent parmi leurs principaux usages. Trop souvent pourtant, ces ressources naturelles sont vendues à l’étranger à l’état brut, privant les exportateurs de toute plus-value industrielle. L’UA entend briser cette habitude en faisant de la transition écologique un moteur de l’industrialisation du continent. L’enjeu est de taille : la chaîne de valeur des véhicules électriques pourrait peser près de 9 000 milliards de dollars d’ici à 2025, mais l’extraction des matières premières ne représenterait qu’une part infime de ce marché – quelque 50 milliards de dollars –, selon les chiffres de la Banque africaine de développement (BAD). « Les métaux verts sont une aubaine pour l’Afrique, mais le continent n’en bénéficiera vraiment que s’il transforme lui-même ces ressources », soutient Albert Muchanga. C’est pourquoi l’accord entre la RDC et la Zambie est un modèle. » Constructeurs, groupes miniers et investisseurs s’activent en tout cas pour sécuriser leur accès à ces

La RD Congo (ici Lubumbashi) abrite plus de la moitié des réserves de cobalt de la planète.

matériaux. En décembre, l’entreprise chinoise Huayou a acheté la mine de lithium Arcadia, au Zimbabwe, pour 422 millions de dollars. « Une somme vertigineuse », selon Jason Brewer, PDG de Marula Mining, qui souligne que l’« on a rarement vu des investissements aussi importants » dans ce pays.

Explosion de la demande

Qu’il s’agisse de la société australienne Firefinch au Mali, de la canadienne Mkango Ressources au Malawi ou de la britannique Pensana en Angola, les investissements affluent de toute part. Marula s’apprête quant à elle à exploiter une mine de lithium en Afrique du Sud. Cotée à Londres mais installée à Nairobi, l’entreprise explore également une mine de terres rares


ASHLEY GILBERTSON/NYT-REDUX-REA

en Zambie et devrait bientôt lancer un projet d’extraction d’étain et de tantale – deux autres métaux verts – en Ouganda. « Presque aucun de ces projets n’aurait été rentable il y a encore quelques années », observe Jason Brewer. Aujourd’hui, les marges bénéficiaires s’envolent. Gathoni Muchai, une société d’investissement kényane dont Brewer est l’un des cadres, envisage des retours sur investissement à deux ou trois chiffres dans cette filière. L’Asie du Sud-Est attire aussi des investissements importants. Mais rares sont ceux qui pensent que les mines d’Indonésie, de Chine ou d’Australie feront de l’ombre aux projets africains, tant la demande en ressources est importante. La demande en cobalt aurait augmenté de 20 % l’an passé, selon la

société de négoce de cobalt Darton Commodities. Quant au lithium, la ressource est tellement prisée que son prix a été multiplié par cinq en un an. « Les investissements augmentent, mais ils n’ont pas encore atteint leur pic », soutient Vanessa Ushie, directrice du département des ressources naturelles de la BAD. Selon Bank of America, les investissements dans les métaux verts devront être portés à 160 milliards de dollars par an si l’on veut espérer décarboner l’économie mondiale d’ici à 2050. Pour tirer pleinement profit de ces métaux, il faudra en tout cas qu’ils soient transformés localement. Or, quand bien même 70 % du cobalt mondial est issu des mines de la RDC, la Chine produit dans ses

raffineries 80 % du cobalt de qualité supérieure susceptible de finir dans des batteries. Quant au Zimbabwe, il détient les plus importantes réserves de lithium du continent, mais n’héberge aucune société prête à y transformer cette ressource. Certains gouvernements s’insurgent contre ces pratiques. Le Zimbabwe pousse Huayou à relocaliser ses raffineries d’ici à cinq ans. La RDC menace de ne pas renouveler les permis d’exportation de cuivre aux sociétés qui ne font pas de démarches pour transformer ce métal sur place. Enfin, le ministre des Mines du Nigeria a révélé, en août, avoir décliné une offre d’achat de lithium du constructeur automobile Tesla. « Venez installer votre usine au Nigeria », leur aurait rétorqué Olamilekan Adegbite. JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

41


SPÉCIAL

COP 27 « L’exportation de ressources brutes n’est plus à l’ordre du jour. » Ce phénomène ne fera que s’amplifier, selon Daniel van Dalen, analyste au sein de la société sud-africaine de conseil en risques politiques et commerciaux Signal Risk : « Plus ces vastes gisements seront rentables, plus les États africains pourront imposer une fabrication locale à leurs partenaires commerciaux. Les sociétés privées et les gouvernements occidentaux devront bien se plier à leurs demandes. » Afin de mutualiser ces efforts, l’UA travaille actuellement avec la BAD à l’élaboration d’une stratégie panafricaine de gestion des métaux verts. Ce plan, qui devrait être finalisé l’an prochain avant d’être soumis à un vote des États membres, fixera des objectifs de développement de la filière tous les dix ans, afin d’aboutir, d’ici à 2063, à une production entièrement africaine. La Cedeao a également fait appel à la BAD pour concevoir des partenariats à l’échelle régionale, afin que chaque État d’Afrique de l’Ouest apporte sa contribution à l’exploitation et à la transformation des métaux verts. La BAD devrait soumettre ses recommandations à l’organisation début 2023.

Une activité pointée du doigt

« Tout doit se faire en Afrique, de l’extraction des métaux jusqu’à l’assemblage des véhicules électriques », défend Albert Muchanga. « Certaines économies produiront des composantes, d’autres des produits finis, le principal est qu’elles s’associent pour créer des chaînes de valeur communes afin que tout le monde en bénéficie. » Reste à savoir si ce secteur florissant saura éviter les écueils souvent associés à l’activité extractive. Certaines mines de cobalt en RDC sont fréquemment pointées du doigt : mauvaises conditions de travail, emploi d’enfants, corruption, pollution de l’environnement. Une situation délétère qui, si elle devait perdurer, pourrait largement entamer les bienfaits économiques et écologiques attendus de cette filière.

42

JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

CHARBON

Le casse-tête sud-africain L’économie la plus polluante du continent doit réduire sa dépendance à la houille, tout en continuant de fournir de l’électricité à ses habitants. GAËLLE ARENSON

P

our l’Afrique du Sud, 2022 est une annus horribilis, du moins sur le plan énergétique. Le pays n’a jamais connu autant de délestages (jusqu’à 8 heures de coupure par jour), provoqués par la vétusté du parc des centrales à charbon. Eskom, la compagnie publique d’électricité, victime d’impayés, de mauvaise gouvernance et d’actes de prédation, croule sous une dette de quelque 392,1 milliards de rands (22,1 milliards d’euros). Le réseau national, qui dépend à 70 % de la houille, a atteint ses limites et n’est plus en mesure de fournir de l’électricité de manière continue et stable aux 60 millions de SudAfricains. Le 1er octobre, malgré une capacité installée de 50 000 MW, Eskom ne disposait que de 25300 MW – en dépit d’un recours aux turbines d’urgence fonctionnant au diesel –, pas de quoi satisfaire les besoins estimés ce jour-là à 30 000 MW. L’année prochaine n’augure rien de mieux avec des coupures prévues sur 49 semaines, selon le Council for Scientific and Industrial Research sud-africain. Économie la plus industrialisée mais aussi la plus polluante du continent (douzième émetteur de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale), l’Afrique du Sud, qui détient les dixièmes plus importantes réserves mondiales de charbon au monde, doit renouveler ses infrastructures énergétiques, et surtout changer de paradigme. Même si Gwede Mantashe, le ministre des Ressources naturelles et de l’Énergie, expliquait encore en

mai que ce minerai continuerait à alimenter la production d’électricité du pays, la priorité du gouvernement sud-africain est désormais de sécuriser le financement de la transition énergétique.

Immense défi

Un partenariat avait été conclu dans ce sens à l’occasion de la COP26, à Glasgow (Écosse), en 2021, entre l’Afrique du Sud, la France, l’Allemagne,leRoyaumeUni,lesÉtats-Unis et l’Union européenne. Il prévoyait une enveloppe de 8,5 milliards de dollars sur cinq ans pour aider le pays à éliminer de 1 à 1,5 gigatonne d’émissions de CO2 d’ici à 2040. Seulement l’argent – promis sous forme de dons ou de prêts concessionnels – peine à arriver. En partie de la faute de l’administration sud-africaine qui tarde à soumettre aux bailleurs de fonds le plan d’investissements détaillé. Fin septembre, Rudi Dicks, le responsable de ce projet baptisé Just Energy Transition Partnership (JTEP), et qui pourrait servir de modèle de financement climatique en Afrique, affirmait : « Nous sommes en train de finaliser le plan en question, […] nous le dévoilerons lors de la prochaine COP. D’ici là, il doit être approuvé par le Conseil des ministres une fois les nombreuses consultations conclues avec les différentes parties prenantes à la transition énergétique. » Il faut dire que la tâche n’est pas aisée. Elle se heurte à un immense défi : la reconversion de dizaines de milliers de travailleurs du charbon, alors que le taux de chômage


La banque européenne du climat

AGIR FACE À L’URGENCE CLIMATIQUE

© Shutterstock

Alignement de toute son activité sur les objectifs de l’accord de Paris Plus de 50 % de son activité dédiée à l’action pour le climat 1 000 milliards d’euros mobilisés pour le climat au cours de cette décennie décisive

La BEI est fortement engagée pour soutenir une transition juste dans les pays les plus touchés, afin que personne ne soit laissé de côté dans la lutte contre les changements climatiques

www.eib.org/climate


SPÉCIAL

GULSHAN KHAN/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA

COP 27

Centrale électrique au charbon à Metsimaholo, à 100 kilomètres au sud de Johannesburg.

atteignait 33,9 % au deuxième trimestre 2022. En mai, au Cap, à l’occasion du rendez-vous annuel du secteur minier africain, Mining Indaba, auquel participait Jeune Afrique, Michelle Manook, directrice générale de l’Association mondiale du charbon, rappelait : « En Afrique du Sud, les centrales thermiques emploient 113 000 personnes directement, et en soutiennent indirectement 340 000. Nous devons impérativement prendre en compte l’impact de la transition énergétique, d’autant que plus de 90 % des emplois dans les renouvelables sont temporaires. Il convient donc de s’interroger sur nos certitudes en ce qui concerne les énergies fossiles et sur l’importance qu’elles jouent dans les marchés émergents. » Et la responsable d’ajouter : « Il faut que les industriels du charbon en fassent plus, 99 % des émissions peuvent être réduites grâce aux technologies dépolluantes. Mais il n’existe pas de formule toute simple, applicable à tous, pour réaliser la transition énergétique. » Du côté des industriels du charbon, justement, l’urgence de la situation semble avoir été également bien comprise depuis plusieurs années déjà : Anglo American et South32 (nés de la scission de BHP Billiton en 2015), jadis importants producteurs de la filière, ont intégralement apuré

44

JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

leurs portefeuilles de tout actif de charbon dans le pays. Pour les deux autres exploitants de houille opérant dans le pays, Exxaro Resources et Seriti, l’heure est à la diversification vers les renouvelables. Comme nous l’explique Sandra du Toit, responsable des secteurs de l’énergie et des ressources naturelles pour la région Afrique au sein du cabinet de conseil EY, « ces deux enseignes adoptent

Il faudra reconvertir des dizaines de milliers de travailleurs du charbon, alors que le taux de chômage atteint 33,9 %. désormais une approche holistique et ne se considèrent plus seulement comme de simples producteurs de charbon : ils investissent activement dans les énergies vertes ». Seriti a ainsi créé Seriti Green et signé un accord en août dernier pour prendre le contrôle de Windlab Africa, qui dispose de plusieurs projets de renouvelables à divers stades de développement, pour une capacité de 3,5 GW. De son côté, Exxaro gère déjà deux fermes éoliennes et s’intéresse à

la plateforme BTE Renewable, proposée à la vente par le fonds britannique Actis pour 800 millions de dollars. Exxaro et Seriti affirment viser la neutralité carbone pour 2050. Quant à Eskom, décrite comme l’électricien le plus polluant du monde, elle veut aussi se « verdir », et s’est fixé un objectif « zéro émission » à l’horizon 2050. Pour y parvenir, elle a besoin de 30 milliards de dollars, essentiellement pour fermer ou mettre à niveau sa quinzaine de centrales, selon son CEO André de Ruyter. L’année dernière, elle avait déjà signé avec Exxaro et Seriti, ses principaux fournisseurs de charbon, un mémorandum d’entente visant à décarboner leurs chaînes d’approvisionnement respectives, en installant des unités photovoltaïques et des systèmes de stockage d’énergie par batterie sur les sites des trois compagnies, et à reconvertir leurs employés par le biais de formations.

Diversification du mix

En attendant les premiers résultats du plan de relance de la compagnie publique, qui prévoit la hausse de ses tarifs d’électricité et la filialisation de ses trois métiers – génération, transmission (déjà effectif) et distribution – puis leur recapitalisation, le chef de l’État Cyril Ramaphosa multiplie les initiatives pour accélérer la production d’énergies renouvelables. Ainsi, le Programme de passation de marchés avec les producteurs d’énergies renouvelables indépendants, désigné par l’imprononçable sigle REIPPPP (en anglais), a récemment doublé la capacité visée de son dernier appel d’offres, en cours de dépouillement, de 2600 à 5200 MW. Ce dispositif donne la possibilité aux producteurs indépendants d’énergies renouvelables, futurs vendeurs d’électricité à Eskom, de générer au-delà du seuil de 100 MW qui leur était fixé jusqu’ici. « Le REIPPPP joue un rôle clé dans la diversification du mix énergétique sud-africain, analyse Sandra du Toit, car il a ouvert la voie au financement de programmes de renouvelables en dehors du bilan d’Eskom. Les projets en cours au niveau national représentent environ 8 GW, dont 6 GW portés par des industriels de l’extraction. »


Tribune Ibrahim Thiaw T

S Secrétaire général adjoint de l’ONU et secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification d

C Climat : quand l’Afrique a apportera des solutions

À

rebours de sa forte vulnérabilité au changement climatique, l’Afrique n’émet que peu de gaz à effet de serre. Sa diplomatie climatique insiste sur le financement de l’adaptation. Or l’« atténuation » dont il est question désigne la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Demander au continent qui pollue le moins de la planète de réduire ses émissions paraît donc paradoxal. À l’inverse d’autres régions, la stratégie d’atténuation, en Afrique, devrait être davantage préventive (éviter les futures émissions) que curative (décarbonation). Avec une population estimée à 4 milliards de personnes d’ici à la fin du siècle, l’Afrique devrait se pencher sur deux secteurs stratégiques : l’énergie et l’agriculture. Quelque 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité; 1 milliard d’entre eux ne disposent pas d’une source d’énergie propre pour faire la cuisine. Si l’on y ajoute les besoins que requièrent la création de chaînes de valeur et le développement industriel, la demande énergétique africaine devient exponentielle. Le continent valorisera-t-il son potentiel en énergies renouvelables ou commettra-t-il les mêmes erreurs que d’autres pays, qui ont conduit au cataclysme écologique planétaire? L’économie africaine est

entravée par l’utilisation des énergies fossiles, dont l’achat est une saignée continue en devises. Le coût élevé du kWh rend le made in Africa peu compétitif sur le marché international. Résultat, l’Afrique demeure une région d’extraction de ressources et d’exportation de matières premières. Ici peut-être plus qu’ailleurs, une transition énergétique juste et ordonnée s’impose. L’objectif est moins la décarbonation que la promotion d’un développement

L’objectif est moins la décarbonation que la promotion d’un développement propre. propre. L’utilisation massive d’énergies polluantes peut faire glisser le monde vers une situation dramatique, tant sur le plan écologique que sur le plan économique.

Bonbonnes de carbone

L’utilisation des terres est une autre source d’émissions. Comment nourrir les futures générations sans davantage détruire les forêts, dégrader les terres, surexploiter les sols et les eaux? Prévenir les émissions de gaz à effet de serre, c’est aussi prêter

une attention particulière aux forêts du bassin du Congo, dont les tourbières sont de gigantesques bonbonnes de carbone. Est-il raisonnable de demander à des populations pauvres de surveiller la bonbonne (pour sauver la planète) alors qu’elles ont du mal à subvenir à leurs besoins? Dans le cadre de l’accord de Paris, les pays doivent développer leur plan de transition écologique. Se tourner vers le soleil, le vent, l’hydroélectricité et, surtout, l’hydrogène. Transformer le vent, le soleil et l’eau en hydrogène vert, cette énergie du futur! De par sa superficie, l’Afrique est dotée d’importants puits de carbone, de millions d’hectares de forêts, de savanes et d’espaces pastoraux. Une fois restaurées, les terres dégradées, en plus de stocker du carbone, fournissent d’autres services (alimentation, résilience face aux sécheresses). Enfin, le continent doit transformer sa pauvreté énergétique en avantage : n’ayant que peu de centrales à énergies fossiles (actifs nocifs à déclasser), il lui est plus facile d’engager une transition énergétique. Changer la vision africaine du climat, c’est passer d’une posture de continent à risque à une stature de région riche en opportunités. Dépositaire d’immenses gisements d’énergies propres, l’Afrique pourrait être une locomotive pourvoyeuse de solutions.

JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

45


SPÉCIAL

COP 27 INTERVIEW

RAJAE CHAFIL

« La politique climatique doit être transversale » Premiers concernés par les émissions de gaz à effet de serre, les pays africains doivent être mieux armés financièrement et techniquement pour y faire face, estime la directrice générale du Centre de compétences changement climatique du Maroc. JEANNE LE BIHAN

Jeune Afrique : Quelles sont les principales missions du 4C-Maroc ? Rajae Chafil : Dès la création du centre, le roi Mohammed VI a invité ses pairs, chefs d’État et de gouvernement africains, à un sommet pour une coémergence en Afrique, organisé en marge de la COP22. Lors de cette rencontre, il leur a proposé de

46

JEUNE AFRIQUE – N° 3118 – NOVEMBRE 2022

DR

C

réé en octobre 2016 en amont de la COP22, qui s’est tenue un mois plus tard à Marrakech, le Centre de compétences changement climatique du Maroc (4C-Maroc) intervient sur l’ensemble de l’Afrique pour former des experts et aider à la mise en place de projets durables et bancables. Des rives du Congo aux universités israéliennes, ce groupement d’intérêt public affirme vouloir devenir un leader continental sur les questions relatives au changement climatique, en tenant compte de la vulnérabilité du royaume chérifien et des autres pays africains. À sa tête, Rajae Chafil, ancienne conseillère au ministère de l’Environnement et membre de la commission spéciale sur le modèle de développement marocain, explique à Jeune Afrique ses objectifs ainsi que ses priorités.

se rassembler dans le cadre de trois commissions climat : une pour le bassin du Congo (CCBC), une pour la région du Sahel (CCRS) et une autre pour les États insulaires d’Afrique. Ces commissions sont présidées respectivement par les chefs d’État de la République du Congo, du Niger et des Seychelles. Dans sa déclaration à cette occasion, le souverain a dit en substance que ces différentes commissions pouvaient compter sur le 4C-Maroc. L’objectif étant de renforcer la coopération, les partenariats et l’échange de savoir-faire entre tous les pays africains en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Comment cette coopération se matérialise-t-elle aujourd’hui ?

Dans le cas de la commission du Fonds bleu pour le bassin du Congo, par exemple, c’est le 4C-Maroc qui a financé l’étude de faisabilité et qui soutient le fonds sur le plan technique. Nous nous occupons des sujets institutionnels, de sa gouvernance, du contrat avec la banque de développement qui en est chargée… Trois de nos consultants sont au service du Fonds bleu pour aider à monter et à rendre bancables dix premiers projets prioritaires : nous finançons leur élaboration dans un format acceptable pour la finance climatique. Pour la commission climat de la région Sahel, le 4C-Maroc a également financé l’étude de préfiguration du mécanisme financier du Sahel. Nous avons aussi apporté un appui technique : pour l’analyse des études, mais aussi pour l’orientation des experts, les échanges avec les pays… Quant à la commission des États insulaires d’Afrique, elle se met en place. Ses membres ont tenu leur première réunion en Égypte il y a quelques semaines. Nous leur fournirons certainement les mêmes prestations. Qui sont les premiers bénéficiaires de vos formations sur le changement climatique ?


Nous travaillons avec tous les acteurs publics et privés, ainsi que ceux de la société civile concernés par les problématiques du changement climatique. Il s’agit d’abord des ministères, déjà membres du 4C-Maroc puisque ce sont eux qui élaborent les politiques climatiques. Mais aussi des acteurs des territoires et les ONG, dont nous renforçons les capacités de plaidoyer. Quels aspects des politiques africaines doivent être améliorés en matière de développement durable ? Avant tout, la prise en compte de la problématique du changement climatique dans les stratégies de développement territorial. La politique climatique doit être transversale dans toutes les politiques. Le deuxième point est l’accession à la finance climatique. Les territoires,

grit.group

greafrica.group

que ce soit au Maroc ou dans le reste de l’Afrique, jouissent de très bonnes idées et savent ce qu’ils doivent faire pour s’adapter, mais il y a très peu de connaissances en Afrique sur

Pour appuyer les projets sur le terrain, il est nécessaire de les accompagner d’un volet formation des jeunes.

les moyens d’accéder à la finance climatique, pourtant disponible au niveau international. Aujourd’hui, le continent profite à peine d’environ 25 % de la finance climatique

au niveau international, alors que l’Afrique est de loin la région du monde la plus vulnérable vis-à-vis des impacts néfastes des changements climatiques. Vous avez participé, au début d’octobre, à Kinshasa, à la pré-COP27. Quels sujets avez-vous portés lors de cet événement ? J’ai insisté sur l’importance du renforcement des compétences dans les pays africains pour pérenniser les financements. Les bailleurs appuient généralement les projets visibles sur le terrain. Mais pour que ces derniers aient un véritable impact et se multiplient, il est nécessaire de les accompagner d’un volet formation des jeunes. Nous voulons donc attirer l’attention sur l’importance de l’empowerment des jeunes africains et des femmes sur les questions liées au changement climatique.


PERFORMANCE

Mission de diagnostic, avec l'appui du Cooplab UM6P, pour l’identification des besoins des groupement féminins dans la région de Widou sur le tracé de la grande muraille verte, Sénégal.

GREENAFRICA

RÉGÉNÉRATION DE LA BIODIVERSITÉ : L’Agence Sénégalaise de la Reforestation et de la Grande Muraille Verte (ASERGMV) et la Fondation OCP joignent leurs efforts pour participer au développement socio-économique et écologique en faveur des populations Saharo-sahéliennes de la Grande Muraille Verte.

L

ancéeen2007sousl’égide de l’Union Africaine, l’initiative panafricaine de la Grande Muraille Verte (GMV) est un effort coordonné pour restaurer et gérer durablement les ressources naturelles dans toute la région sahélo-saharienne. Ce projet s’attaque à la fois aux dommages causés à l’environnement, mais présente également une opportunité en continu pour les communautéslocales,notamment les femmes et les jeunes ; à travers la restauration écologique des écosystèmes naturels du Sahel et la transformation de cette zone en pôles économiques viables.

En effet, dans cette région, les habitants vivent de la terre et dépendent de sa productivité pour leur survie quotidienne.82% de la population dépend encore de l'agriculture pluviale.Toutefois, les effets combinés des mauvaises pratiques de gestion des terres, du surpâturage, de la croissance démographique et de la menace émergente du changement climatique ont entraîné la dégradation de vastes étendues de terres au Sahel. L'initiative de la GMV constitue donc un véritable espoir et une alternative pour aider les communautés à se diriger vers

un avenir meilleur. Son but est de contribuer à restaurer les paysages dégradés,à améliorer la productivitéagricoleetàrenforcer les moyens de subsistance dans les 11 pays situés sur une bande de terre s’étendant du Sénégal à Djibouti.Grâce àcetengagement, plusieurs projets sont mis en œuvre dans une diversité de secteurs qui, ensemble, favorisent le développement durable. Au Sénégal, cette initiative est mise en œuvre par le Ministère de l’Environnement, du Développement durable et de la Transition écologique à travers l'Agence sénégalaise de


la Reforestation et de la Grande Muraille Verte (ASERGMV). L’Agence déploie en effet des efforts considérables dans la protection, la restauration et l'utilisation durables des écosystèmes, et la création d'activités écologiques génératrices de revenus durables pour les populations rurales.Cette agence bénéficie du soutien sans faille de la Fondation OCP depuis 2022. Les 2 organismes ont entrepris de collaborer ensemble afin de contribuer à la réalisation des objectifs de l’initiative de la GMV en proposant des solutions conçues et pilotées localement et visant la création d’opportunités génératrices de revenus et de bien-être pour les populations riveraines.

Projet d’appui à l’ASERGMV pour la réduction des effets du changement climatique sur l’environnement et les conditions des populations vulnérables au Sénégal

• La régénération de la biodiversité faunique et floristique,notamment,à travers la gestion durable des écosystèmes,lereboisement et la connaissance et amélioration de la qualité de l’eau.

développement a été initié le 4 octobre dernier pour recueillir les manifestations d'intérêt des chercheurs de l'UM6P et des Institutsderechercheetuniversités du Sénégal.

Création d’un fonds de recherche au sein de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) et appel à propositions de projets de R&D

C ’e s t d a n s u n e v é r i t a b l e coopération par le Sud et pour le Sud,basée sur le partage du savoir, que les chercheurs sénégalais et marocains unissent leurs efforts pourdévelopperdesécosystèmes naturels résilients qui tiennent compte des préoccupations et du bien-être des communautés Saharo-sahéliennes.

Considérant que la connaissance des problématiques de l’eau, de l’accès aux énergies renouvelables et de la valorisation des cultures sont des conditions nécessaires pour la réussite de l’initiative, la Fondation OCP a soutenu l’UM6P pour la création d’un fonds de recherche dédié au développement de solutions innovantes pour permettre à l’ASERGMV de faire face aux défis liés aux changements climatiques

Les propositions de projets de recherche porteront sur les thématiques suivantes:

Un appel à propositions de projets de recherche appliquée et de

1. Accessibilité et Gestion de l'eau; 2. Énergie : Besoins, Accessibilité et solutions énergétiques ; 3. Amélioration de la santé des sols, protection et restauration des écosystèmes ; 4. Engagement communautaire, expertise et partage de savoirfaire.

Ce projet pilote est mis en œuvre dans la localité de Louga au Nord du Sénégal et s’articule autour de quatre axes : • Le renforcement des capacités techniques et managériales de l’Agence, • Le soutien et l’accompagnement des Femmes productrices dans le respect de I ’environnement • La finance verte : à travers une étroite collaboration entre les Instituts sénégalais de recherche et l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) ;

Focus group avec le groupement féminin dans la région de Mbaye Awa sur le tracé de la grande muraille verte, Sénégal.

JAMG © D.R.

MESSAGE


COMMUNIQUÉ

LPA-CGR avocats 136 av. des Champs-Elysées 75008 Paris Tél. : 33 (0)1 53 93 30 00

AVIS D’EXPERT

paris@lpalaw.com

Réforme du cadre juridique des investissements en Algérie

Des dispositifs d’incitation plus lisibles Les investissements éligibles peuvent désormais bénéficier de régimes d’incitation dans certains domaines d’activité à l’instar des secteurs des mines, des énergies renouvelables ou encore des technologies de l’information et de la communication. En outre, il est mis l’accent sur des zones géographiques auxquelles l’État accorde un intérêt particulier ou dans le contexte d’investissements dits « structurants », à haut potentiel de création de richesses et d’emplois. L’objectif est clair : adapter le cadre juridique des investissements à l’environnement économique actuel et palier aux insuffisances du cadre législatif ayant jusqu’ici freiné l’intégration de l’économie algérienne aux chaînes de valeurs. Que cela soit en phase de réalisation ou d’exploitation, les investissements éligibles bénéficieront d’exonérations de droits de douane, de TVA, d’impôt sur les sociétés ou de taxe foncière. La durée des avantages, et a fortiori les délais de réalisation de l’investissement, sont fixés de trois à cinq ans en phase de réalisation et de cinq à dix ans en phase d’exploitation. Ces durées ne pourront être prorogées qu’exceptionnellement d’un an ou deux lorsque la réalisation de l’investissement dépasse un certain taux d’avancement. Sur ce dernier point, on peut saluer la prise en compte de la réalité bureaucratique algérienne bien que les délais réels d’achèvement des phases de réalisation des projets en Algérie dépassent très souvent les 5 années. Un cadre institutionnel amélioré La principale réforme de ce nouveau cadre législatif réside dans le remaniement des prérogatives des institutions en charge de l’investissement et du renforcement de leur rôle d’accompagnement des investisseurs avec notamment la résurrection des

Samir Sayah Avocat Associé LPA-CGR avocats

« La principale réforme de ce nouveau cadre législatif réside dans le remaniement des prérogatives des institutions responsables de l’investissement et la résurrection des “guichets uniques” afin de tenter d’en finir avec les lourdeurs administratives locales. » «guichets uniques» afin de tenter encore une fois d’en finir avec les lourdeurs administratives. Ainsi les formalités administratives devraient-elles être facilitées avec le renforcement de l’Agence nationale de promotion de l’investissement qui se voit attribuer de nouvelles missions. L’Agence jouera notamment le rôle de guichet unique pour les investissements structurants ainsi que pour l’ensemble des investissements étrangers. Le dispositif s’appuiera également sur des guichets décentralisés permettant un suivi des investissements au niveau local. La réforme s’appuie également sur l’institution d’une haute commission nationale des recours liés à l’investissement, chargée de statuer, dans un délai d’un mois, sur les recours introduits par les investisseurs. On notera enfin la volonté réaffirmée de l’Etat de stabiliser le cadre juridique des investissements à travers une disposition prémunissant les investisseurs contre les abrogations et les modifications du régime sous lequel ils ont réalisé leurs investissements. Pour autant, le cadre législatif et règlementaire des investissements a été modifié à de nombreuses reprises depuis 2001. Il conviendra donc d’être attentif à la portée réelle de cette disposition.

JAMG - PHOTOS DR

D

ans une perspective de relance et de diversification de l’économie, une nouvelle loi relative à l’investissement a été publiée le 28 juillet 2022. Le nouveau texte prévoit de nouveaux régimes d’incitation à l’investissement et la réorganisation du cadre institutionnel. L’ambition de ce nouveau texte est de promouvoir les secteurs d’activité à forte valeur ajoutée, de valoriser l’innovation et le développement durable et davantage renforcer la capacité d’exportation de l’économie algérienne.


2022

African Champion

Disrupter of the Year

Central Bank Governor

28 novembre 2022

Lomé Togo www.afis.africa

En partenariat avec

Woman Leader



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.