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AFRIQUE 2011, L’ODYSSÉE ÉLECTORALE TORALE

NUMÉRO DOUBLE

EN VENTE DEUX SEMAINES

HEBDOMADAIRE HEBD HE BDOM BD OMAD OM ADAI AD AIRE AI RE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 51e ANNÉE • N° 2607-2608 • du 26 décembre 2010 au 8 janvier 2011

CÔTE D’IVOIRE OUATTARA FACE À SON DESTIN

ALGÉRIE CE QU’IL RESTE DE BOUMÉDIÈNE

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CE QUE JE CROIS BÉCHIR BEN YAHMED bby@jeuneafrique.com

Vendredi 24 décembre 2010

Une réussite, un échec

C

e numéro double de Jeune Afrique est, comme vous le savez, le dernier de l’année 2010. Je me dois donc de vous adresser, d’emblée, mes meilleurs vœux pour 2011, qui frappe à la porte, mais aussi pour la décennie 2011-2020, qui débute dans peu de jours. Je souhaite ardemment qu’elle soit pour nous tous une ère de paix et de progrès. Et que l’humanité – nous serons, à la fin de 2011, 7 milliards d’hommes, de femmes et d’enfants à vivre sur cette terre – parvienne à résoudre ses problèmes et à aplanir ses différends en faisant montre d’un peu plus de sagesse. ✷ Cet agréable devoir accompli, je vais consacrer cette livraison de Ce que je crois aux deux pays d’Afrique de l’Ouest désignés par l’actualité à notre attention. S’agissant de pratique démocratique et de dévolution du pouvoir, l’un, la Guinée, nous a donné un exemple inespéré de sagesse et de retenue. L’autre, la Côte d’Ivoire, s’illustre encore aujourd’hui par sa désespérante incapacité à surmonter les démons de la division. Réussite et apaisement d’un côté, tumulte, bruit et fureur de l’autre. Qui aurait pu dire, il y a un an, que nous en serions aujourd’hui à nous féliciter d’une réussite qui réchauffe le cœur et, simultanément, à nous préoccuper du devenir incertain de cette Côte d’Ivoire qui rechute, alors qu’elle paraissait, il y a seulement un mois, sur la voie de la guérison? Regardons les choses de plus près et voyons s’il y a des enseignements à tirer. ✷ LA GUINÉE Un président convenablement élu, Alpha Condé, a été investi ; un candidat battu, Cellou Dalein Diallo, a dit son amertume, mais s’est incliné devant le verdict des urnes avec élégance et dignité : le pays de Sékou Touré fait connaissance avec la démocratie et va devoir apprendre à la pratiquer, comme un enfant apprend à marcher : il avance, tombe, se relève et recommence… Il incombe à ceux qui le peuvent d’aider les Guinéens à continuer sur la bonne voie. Il revient à l’observateur que je suis de dire que les premiers pas, tant attendus, de la Guinée sur le droit chemin ont été rendus possibles par l’arrivée sur la scène politique d’un homme peu connu, car il parle peu.

Mais qui agit et tient ses promesses. Militaire de son état, le général Sékouba Konaté, car c’est de lui qu’il s’agit, est entré dans l’histoire de son pays, et celle de l’Afrique. ✷ Le pouvoir lui est tombé sur la tête, il y a près d’un an, lorsque l’inénarrable capitaine Dadis Camara a été mis hors jeu. Il l’a saisi avec des pincettes, ce pouvoir, comme s’il craignait que ses effluves ne lui montent à la tête. Non sans se faire prier, il a accepté de présider la transition, et a su alors éviter les traquenards, régler les incidents de parcours, tenir l’armée hors des joutes électorales, et faire en sorte que ces dernières se déroulent de façon acceptable. À sa manière, ce général guinéen a réédité, en somme, l’exploit accompli il y a près de vingt ans au Mali par un autre général: Amadou Toumani Touré. Après avoir, lui aussi, présidé une transition, ATT a rendu le pouvoir et, bien plus tard, en a été récompensé : il est en train d’accomplir son second mandat… de président démocratiquement élu du Mali. Quant à Sékouba Konaté, il a joué le rôle d’arbitre et obligé les hommes politiques guinéens à observer les règles du jeu. Il se retire aujourd’hui mission accomplie: rendons-lui hommage, il le mérite. ✷ Élu et investi, Alpha Condé a constitué son gouvernement et annoncé ce que lui et son équipe allaient faire. Accordons-leur un préjugé favorable, aidonsles. En décembre 2011, nous vérifierons si les fruits auront tenu la promesse des fleurs. LA CÔTE D’IVOIRE Son cas est des plus étranges, car le pays a replongé dans la crise le jour même où il était censé en sortir, et tout se passe comme si le bateau avait chaviré en touchant au port. J’ajoute que personne, absolument personne, n’avait prévu le drame auquel nous assistons depuis bientôt un mois. Pas même celui qui l’a déclenché : Laurent Gbagbo. Il ne l’a pas prévu, lui, puisqu’il n’est allé à l’élection que parce qu’il était convaincu de l’emporter haut la main. Il espérait même être élu dès le premier tour, le 31 octobre.

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CE QUE JE CROIS Surpris d’être contraint à un second tour, il a été rassuré de retrouver en face de lui non pas Henri Konan Bédié mais Alassane Ouattara : il le battrait plus facilement, pensait-il. Il a donc, au début de décembre, refusé d’admettre que la majorité des électeurs ivoiriens lui avait préféré l’homme que lui, Gbagbo, rejetait viscéralement. « Le boulanger », ainsi surnommé pour sa propension à rouler ses adversaires dans la farine, s’est alors senti floué, « enfariné ». Il a été sonné, mais pas un instant il n’a pensé s’incliner devant le verdict des urnes. ✷ Se trouvant démuni, sans plan B, il a improvisé, et le monde entier a pu constater que l’homme trichait, refusait de céder la place : Commission électorale indépendante (CEI) bâillonnée, Conseil constitutionnel utilisé comme roue de secours, investiture hâtive et bâclée dès le 4 décembre. Cet homme qu’on disait habile a accumulé les maladresses au point de coaliser contre lui et sa suite 50 pays africains sur 53, l’Europe, les États-Unis et la majorité des pays du monde, ainsi que l’ONU et ses agences. La presse mondiale a été unanime, gauche et droite confondues, à condamner son entreprise. ✷ Laurent Gbagbo s’est ensuite bunkérisé, allant jusqu’à refuser par deux fois de répondre aux appels téléphoniques du président Obama : il n’avait pas de bonne réponse à lui donner. ✷ Son discours du 21 décembre montre cependant qu’il s’est ressaisi: il a mis de l’ordre dans ses pensées et a construit une ligne de défense dont il espère qu’elle lui fera gagner du temps, lui permettra de

se maintenir en place jusqu’à ce que l’attention de l’Afrique et celle de la communauté internationale se détournent de la Côte d’Ivoire. Il n’a pas tort de l’espérer : s’il parvient à faire durer son usurpation du pouvoir un mois de plus, il aura gagné. Mais la Côte d’Ivoire aura énormément perdu. Quant à la Cedeao, l’Union africaine et la communauté internationale, elles auront fait la preuve qu’elles pouvaient être à la fois unanimes… et impuissantes. Un éditorial du Financial Times du 20 décembre vient à point nommé pour nous rappeler que l’enjeu est considérable. « Il est temps pour la communauté internationale de muscler sa condamnation de la tentative de Laurent Gbagbo d’usurper le pouvoir en Côte d’Ivoire. Cela fait maintenant près d’un mois que Gbagbo a perdu l’élection présidentielle face à son rival de toujours Alassane Ouattara et utilisé, de façon illégitime, le Conseil constitutionnel pour inverser le résultat du scrutin. En reconnaissant d’une même voix Alassane Ouattara comme le vrai vainqueur, le continent africain et une grande partie de la communauté internationale s’inscrivent en faux contre la longue série de reculs démocratiques qu’a connus l’Afrique. Gbagbo a combiné l’outrance et l’intransigeance dans l’espoir de voir sa tentative d’usurpation devenir un fait accompli. Il a mis en danger l’unité de son pays et, plus largement, compromis le redressement économique de l’Afrique de l’Ouest. Il a défié un grand nombre d’organisations africaines et internationales dont la crédibilité est désormais en jeu. Au regard de l’attitude exceptionnellement ferme qu’elles ont adoptée, elles ne doivent pas reculer. » ■

HUMOUR, SAILLIES ET SAGESSE Pour vous faire sourire, grincer des dents – ou réfléchir –, ici, chaque semaine, une sélection subjective, la mienne, de ce qui a été dit ou écrit au cours des siècles par des hommes et des femmes qui avaient des choses intéressantes ou drôles à nous dire. B.B.Y. ■ Il

y a une chose plus terrible que la calomnie, c’est la vérité. TALLEYRAND

■ Le profit doit être un élément moteur de votre action à la tête d’une entreprise. Il ne peut pas être simplement le résultat du hasard ; il doit être au centre de la préoccupation des dirigeants. GEORGES GHOSN ■ Dieu

est un comédien qui joue devant une assemblée qui n’ose pas rire. NIETZSCHE ■ Au

Moyen Âge, on mourait à 40 ans, aujourd’hui, on travaille jusqu’à 70, je vois pas le progrès. LES NOUVELLES BRÈVES DE COMPTOIR

■ Le génie, c’est d’avoir du talent tout le temps ; le talent, c’est d’avoir du génie de temps à autre : l’intelligence, c’est de savoir que l’on n’a ni génie ni talent. PHILIPPE BOUVARD ■ Qu’est-ce

qu’une maîtresse ? Une femme près de laquelle on ne se souvient plus de ce qu’on sait par cœur, c’est-à-dire de tous les défauts de son sexe. NICOLAS DE CHAMFORT ■ Entendre

ou lire sans réfléchir est une occupation vaine ; réfléchir sans livre ni maître est dangereux. CONFUCIUS

■ Hélas, qu’apportent les amours, sinon de la souffrance ? EURIPIDE

■ Je

vois autant de vieillards révoltés contre la vieillesse que de jeunes gens révoltés contre la société. JEAN DUTOURD ■ Tu

peux encourager le bœuf, il ne courra jamais comme un cheval. PROVERBE AFRICAIN ■ Le

vrai voyageur n’a pas de plan établi et n’a pas l’intention d’arriver. L AO-TSEU ■ Tu

fais quoi pour Noël ? Je prends deux kilos. ANNA GAVALDA ■ Les

nouvelles, moi, ça ne m’intéresse pas. D’abord, le lendemain, elles sont vieilles. JEAN ANOUILH

J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11


Au cœur du développement...

Chers partenaires, La Banque Gabonaise de Développement se définit non seulement comme le premier partenaire des PME-PMI du Gabon, mais aussi celui des compatriotes, fussent-ils les plus défavorisés. En apportant notre soutien à tout projet visant à améliorer les conditions de vie des citoyens, tout en participant au développement socio-économique du Gabon, nous restons résolument ancrés dans notre volonté d’être la première société d’intérêt national de notre pays. Christian BONGO Administrateur Directeur Général - Groupe BGD

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SOMMAIRE

ÉDITORIAL

Oui, l’Afrique change

2011

LʼAFRIQUE AUX URNES Présidentielles, législatives, et même un référendum au Sud-Soudan... Passage en revue de tous les scrutins quʼattend le continent.

32 54

OUATTARA FACE À SON DESTIN

Vingt ans quʼil tente de se faire une place sur la scène politique ivoirienne. Vingt ans quʼon lʼaccuse dʼêtre un pion de lʼétranger. Alassane Ouattara a pourtant su convaincre de sa compétence. Itinéraire dʼun homme qui nʼentend pas lâcher la présidence.

Toute l’équipe de Jeune Afrique vous souhaite une très bonne année 2011.

PHOTOS DE COUVERTURES : D.R.

L’ANNÉE 2010 S’ACHÈVE donc sur une bien triste note, celle du pandémonium ivoirien. Le cycle des commémorations des cinquantenaires de l’indépendance de dix-sept pays africains aurait mérité meilleur épilogue. La célébration des vingt ans de la naissance du multipartisme aussi… Pourtant, n’en déplaise aux afroMARWANE pessimistes de tous poils, ce n’est pas à BEN YAHMED l’aune des rendez-vous manqués d’une Afrique prétendument rétive à toute culture démocratique que l’on doit juger l’évolution de notre continent. Car 2010 aura aussi suscité des motifs d’espoir et de satisfaction. D’abord, d’un point de vue général, nous ne pouvons que constater la vigilance accrue des institutions africaines, continentales comme régionales. Et si les coups d’État sont toujours de mise, ils ne « passent plus comme une lettre à la poste ». Leurs auteurs sont désormais contraints de rendre des comptes, d’organiser des transitions ou des élections, subissent sanctions et mises au ban, et doivent, parfois, se résoudre à partager le pouvoir (Zimbabwe, Kenya). Ce n’est certes pas suffisant, mais c’est un grand pas en avant. Ensuite, s’agissant de la tenue de scrutins transparents et démocratiques, si nous sommes, là encore, loin du compte, il n’en reste pas moins que les chefs d’État ne peuvent plus se comporter en satrapes omnipotents et intouchables. Il est de plus en plus difficile de frauder, d’empêcher ses adversaires de concourir et de faire taire ceux qui, simples citoyens comme « grands quelqu’un », demandent à s’exprimer. Les sociétés civiles se mobilisent de plus en plus, les opérateurs économiques n’hésitent plus à mettre leur grain de sel dans le débat politique, les médias, grâce à internet, s’émancipent et gagnent en visibilité, et donc en influence. Les petits et grands arrangements avec la morale ou la loi ne sont plus aussi simples, pas plus que le pillage des deniers publics ou les atteintes aux droits de l’homme, systématiquement dénoncées ou presque. Enfin, la liste des « bons élèves », ceux qui, même de manière imparfaite, progressent sur cette voie vertueuse, s’allonge: Afrique du Sud, Maurice, Botswana, Ghana, Liberia, Mali, Bénin, Sénégal, Cap-Vert, São Tomé, Maroc… Comment ne pas saluer aussi l’heureux sursaut de la Guinée, que nous n’imaginions pas, il y a quelques mois à peine, capable de s’extirper d’un chaos quasi atavique? Comment « zapper » ces images cathodiques de joie et de fierté de tout un continent lors du premier Mondial de football – événement planétaire majeur s’il en est – organisé sur son sol? Lequel a au passage démontré qu’impossible n’est pas africain. Comment ne pas voir dans l’émergence d’une véritable classe moyenne la naissance d’une opinion publique qui entend peser sur les évolutions nationales, voire continentales? Pourquoi oublier que, dans leur ensemble, nos pays progressent en matière de performances économiques, de gouvernance, de développement humain comme de respect des droits de l’homme? Que la scène culturelle africaine n’a jamais été aussi féconde? À l’heure du bilan, cette liste non exhaustive des bonnes nouvelles, souvent occultées, ne peut que nous inciter à redoubler d’efforts et de vigilance. Pour que ce fragile cercle vertueux ne soit plus jamais remis en question. Belle année à toutes et à tous! ■

DANS JEUNE AFRIQUE ET NULLE PART AILLEURS

03 10

CE QUE JE CROIS Par Béchir Ben Yahmed CONFIDENTIEL

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FOCUS

16 20 22 23 24 29 30 31 32

Côte dʼIvoire Qui croit encore en Laurent Gbagbo ? Tunisie Sidi Bouzid, ville en colère Guinée Le casse-tête Camara Maroc Dis-moi comment tu tʼappelles... Senelec-EDF Le courant passe Algérie Droukdel en ligne de mire Iran Panahi hors champ Calendrier Pirelli 2011, année hératique 2011 Lʼafrique aux urnes

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EN COUVERTURE

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Palmarès Les 50 personnalités les plus influentes

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE

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Portrait Ouattara face à son destin Gabon Premier ministre en sursis D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11


NUMÉRO DOUBLE

EN COUVERTURE

Notoriété, rôle diplomatique plomatique ou capacité de nuisance, uisance, puissance économique omique et influence sur lʼopinion. ʼopinion. Selon ces quatre critères, Jeune Afrique a dressé son classement des personnalités africaines les plus influentes dans quatre catégories : politique, business, société civile, culture & médias. À découvrir en exclusivité.

50 LES

PA L

MAR

38

ÈS

INES RICA F A S LITÉ ONNA PERS

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LIBAN

NASRALLAH, LʼIMAM CACHÉ Le chef du Hezbollah, contraint de vivre dans la clandestinité, est devenu lʼune des pièces maîtresses de la partie dʼéchecs qui se joue dans la région.

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Football Moïse tout-puissant Sud-Soudan La marche vers lʼindépendance Nigeria Lʼarrangement Cameroun Un bon filon

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MAGHREB & MOYEN-ORIENT

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Liban Hassan Nasrallah, lʼimam caché Maroc Au royaume des phosphates Algérie Que reste-t-il de Boumédiène ? Monde arabe Chronique dʼun rêve brisé Tunisie Primaire : fini la récré ! Israël-Palestine Séparés et inégaux

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INTERNATIONAL

86 90 92 94 96 98

Oprah Winfrey Une légende américaine France Le diable sʼhabille en Marine Parcours Éric Raisina Italie Ainsi font, font, font les petites marionnettes États-Unis Histoires de famille Biélorussie Loukachenko et les « vandales »

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L E P L U S D E J E U N E AF R I Q U E

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Mauritanie Chronique dʼune nation

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ECOFINANCE

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Consommation La montée en puissance des marques africaines La semaine dʼEcofinance Cinéma Nollywood, le retour Interview Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce Bourse Libreville-Douala, lʼimprobable fusion

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LE DOSSIER DE J EUN E AF R IQUE

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Hydrocarbures Des surprises en réserve

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LIR E, ÉC OUTER , VOIR

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Collections Autrement lʼAfrique Cinéma Un thriller made in Kinshasa Musique Fusion pêchue Interview Cheikh Hamidou Kane Quiz Jésus et Marie dans lʼislam

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VOUS & NOUS

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Opinion Requiem pour un cinquantenaire Courrier des lecteurs Post-scriptum

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CONFIDENTIEL

POLITIQUE

RWANDA-FRANCE

KAGAMÉ À PARIS, AU PRINTEMPS Moins d’un an après le rétablissement des relations diplomatiques entre le Rwanda et la France, le réchauffement des relations se poursuit. Après la visite de Nicolas Sarkozy au Rwanda, en février, le président rwandais Paul Kagamé se rendra à son tour en France, en mars ou en avril 2011. Cette visite a été évoquée le 17 décembre au siège du patronat français, à Paris, lors d’une rencontre entre les responsables du Medef International et une délégation économique rwandaise. Côté français, étaient présents une vingtaine d’entrepreneurs et Laurent Contini, l’ambassadeur à Kigali. Une délégation de chefs d’entreprise français se rendra au Rwanda au début de 2011. GUINÉE

DANS LES COULISSES DE L’INVESTITURE • Surprise, le 20 décembre, à la veille de

l’investiture du président Alpha Condé. Des représentants de Laurent Gbagbo atterrissent à l’aéroport de Conakry. Que faire? Sékouba Konaté, en accord avec le nouveau président, veut éviter tout malentendu avec la communauté internationale. Il décide de ne pas laisser débarquer les Ivoiriens, qui repartent aussitôt pour Abidjan.

• Pendant la cérémonie, Alpha Condé

se perd dans ses notes et lance au président burkinabè : « Tu vois, Blaise, tu ne m’as pas encore tout appris! » Éclat de rire général. Puis il gratifie Bernard Kouchner, l’ex-ministre français des Affaires étrangères, de ces mots: « Lui, c’est mon frère jumeau. » À l’issue de la cérémonie, les treize chefs d’État africains présents se retrouveront dans un salon en compagnie du Nigérian Olusegun Obasanjo, du Béninois Robert Dossou, du Libyen Bachir Saleh, de Mario Giro, le médiateur de Sant’Egidio, et de ce même Kouchner.

Camp du Front Polisario dans la région de Tindouf.

SAHARA INQUIÉTANT « RÉSEAU POLISARIO » L’arrestation, les 8, 9 et 18 décembre, d’une quinzaine de trafiquants de drogue et de cigarettes par les forces de sécurité mauritaniennes et maliennes, non loin de la frontière avec l’Algérie, a permis de démanteler l’un des plus importants réseaux de contrebande opérant dans la zone sahélo-saharienne, de la Mauritanie au Tchad. Spécificité de ce réseau : il est constitué de Sahraouis (pour la plupart Reguibat) issus des camps du Front Polisario installés dans la région de Tindouf et de quelques Touaregs maliens. Entamée au début des années 1990, après la proclamation du cessez-le-feu avec le Maroc, la dérive d’anciens combattants du Front vers le grand banditisme inquiète d’autant plus que la porosité entre ces guérilleros perdus et Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) est de plus en plus évidente. Certains d’entre eux, comme Omar Sid’Ahmed Ould Hamma, dit Omar le Sahraoui, et El-Kouiry Ould Ney, deux anciens collaborateurs de Mohamed Ould Laakik, le chef de la Sécurité militaire du Polisario, ont ainsi intégré le groupe de Mokhtar Belmokhtar, l’un des émirs d’Aqmi. Et ils ne sont vraisemblablement pas les seuls. En décembre 2009, une note de l’ambassade américaine à Alger révélée par WikiLeaks s’inquiétait ainsi de la montée des sentiments « djihadistes » à l’intérieur des camps de Tindouf, pourtant très surveillés par les services de sécurité algériens. Une soixantaine d’ex-militaires sahraouis au total auraient rejoint Aqmi, qui les considère comme des recrues de choix en raison de leur formation et de leur connaissance du terrain.

SUD-SOUDAN L’AMI ISRAÉLIEN La perspective probable de la création d’un État indépendant au Sud-Soudan, à la suite du référendum du 9 janvier prochain, réjouit Israël. Le gouvernement Netanyahou a de bonnes raisons de penser que les nouveaux dirigeants de Juba établiront à court terme des relations diplomatiques avec l’État hébreu. Des hommes d’affaires israéliens sont déjà entrés en contact avec les futures autorités pour des projets hôteliers (construction d’un établissement de luxe) ou commerciaux (mise en place d’une ligne aérienne Tel-Aviv-Juba-Nairobi exploitée par la compagnie El Al). Israël bénéficie, il est vrai, d’un préjugé favorable auprès des Sud-Soudanais. Dans les années 1960 et 1970, le mouvement rebelle Anyanya puis celui de John Garang reçurent une aide discrète en armes et en équipements de la part de l’armée israélienne. Plus récemment, le lobby juif américain a ouvertement milité auprès de la Maison Blanche pour la tenue du référendum. Enfin, plusieurs milliers de Sud-Soudanais ont obtenu le statut de réfugiés politiques en Israël. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11

ALFREDO CALIZ/PANOS-REA

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NUMÉRO DOUBLE

EN VENTE DEUX SEMAINES

CÔTE D’IVOIRE À DOUBLE TRANCHANT CHANT SANS EXCLURE LA MÉTHODE BRUTALE – une intervention militaire – pour faire plier Laurent Gbagbo, une stratégie d’étouffement économique est aussi à l’étude. La communauté internationale, et notamment les capitales ouest-africaines, s’y emploie. Avec deux leviers : un embargo sur le pétrole et le cacao ; et un gel des opérations financières de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Les experts envisagent ainsi un blocage des paiements du cacao et du pétrole, et un transfert des sommes sur un compte sous séquestre dont pourrait bénéficier le président élu, Alassane Ouattara. Quant à la BCEAO, elle a d’ores et déjà suspendu

toutes les opérations, ce qui a, semble-t-il, provoqué des difficultés pour le paiement des salaires de décembre. Cette stratégie ne va toutefois pas de soi. « Concernant l’embargo, il faut convaincre les opérateurs, comme Cargill, de jouer le jeu », explique un diplomate. « Gbagbo peut en outre envisager de quitter la zone franc ; cette seule menace suffirait à fragiliser toute l’économie régionale », renchérit un économiste. En décembre 2009, le montant des avoirs ivoiriens à la BCEAO s’élevait à 1479 milliards de F CFA (2,2 milliards d’euros), beaucoup plus que ceux de tous les autres pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).

CE QUE PRÉPARE LA CPI LE PROCUREUR DE LA COUR PÉNALE internationale (CPI) suit de près la crise ivoirienne et espère voir Laurent Gbagbo quitter le pouvoir. Mais il estime que lancer contre lui des menaces de poursuites ne ferait que conforter sa volonté de s’y maintenir, en alimentant la théorie d’un complot international. Pour faire passer le message, Luis Moreno-Ocampo a donc choisi de s’appuyer sur certains pays africains, comme le Nigeria. Le 21 décembre, il devait parler au téléphone avec le président Goodluck Jonathan, mais l’entretien n’a pu avoir lieu pour des raisons d’agenda. Le procureur s’étant ensuite envolé pour l’Argentine (dont il est originaire), c’est son adjointe Fatou

Bensouda, ou l’un de ses conseillers, qui devait s’y atteler. Objectif : faire savoir à Gbagbo qu’aucune enquête n’est encore ouverte, mais qu’il s’agit d’une option en cas de nouveau dérapage. Et lui rappeler que, si le gouvernement ivoirien ne reconnaît pas la CPI, il lui a, en octobre 2003, adressé une lettre dans laquelle il « reconnaît la compétence de la Cour aux fins d’identifier, de poursuivre, de juger les auteurs et complices des actes commis sur le territoire ivoirien depuis les événements du 19 septembre 2002 ». Un document toujours valable, selon Moreno-Ocampo, puisqu’il précise que la déclaration est « faite pour une durée indéterminée ».

QUI NE DIT MOT CONSENT. L’absence de commentaire des autorités de Tel-Aviv sur la crise ivoirienne cache mal la persistance d’un penchant en faveur de Gbagbo, qui entretient depuis 2002 d’étroites relations sécuritaires et économiques avec des sociétés israéliennes. Bien que révoqué par Alassane Ouattara, l’ambassadeur de Côte d’Ivoire, Raymond Koudou Kessié, un proche

Raymond Koudou Kessié, ambassadeur en Israël.

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DAVID THIERRY/SUD OUEST/PHOTOPQR/MAXPPP

TEL-AVIV PENCHE POUR GBAGBO de Gbagbo et de son épouse Simone (visiteuse assidue des Lieux saints), était toujours considéré fin décembre comme le représentant légal de son pays par le ministère israélien des Affaires étrangères. Contacté par J.A., il dit simplement regretter que le climat actuel ait « mis en suspens des projets de coopération qui devaient être lancés au lendemain des élections ».


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CONFIDENTIEL

ÉCONOMIE

BANQUE

BOURSE CHANGEMENT DE TÊTE À ABIDJAN LORS DU CONSEIL D’ADMINISTRATION de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), le 21 décembre à Ouagadougou, plusieurs administrateurs proches de Tiémoko Coulibaly, l’actuel président du conseil d’administration, ont tenté de reporter la prise de fonctions du banquier sénégalais Amadou Kane, directeur Afrique de BNP Paribas. En vain. Kane prendra donc bien ses fonctions le 1er janvier, conformément à une décision prise en octobre 2009. La « feuille de route » du nouveau président de la Bourse d’Abidjan: reformer le management de l’institution et favoriser l’introduction de nouvelles sociétés. Pas simple, en ces temps d’incertitudes politiques… « C’est vrai, la conjoncture n’est pas favorable, mais l’expérience de Kane doit permettre à la BRVM de devenir une véritable place financière », espère un opérateur sous-régional.

ÉLECTRICITÉ ACCORD À YAOUNDÉ

JEAN PIERRE KEPSEU/PANAPRESS

Entre le groupe électrique AES-Sonel et le gouvernement camerounais, le conflit ouvert en avril est désormais clos. Le 2 décembre, le premier, qui menaçait d’augmenter unilatéralement ses tarifs, a reçu du second un versement de 11 milliards de F CFA (16,7 millions d’euros) destiné à compenser la différence entre les recettes perçues sur la base des tarifs de 2008 et ce qu’il aurait dû percevoir si les augmentations de tarifs avaient été appliquées conformément à l’accord de concession. En contrepartie, AES-Sonel s’est engagé à rester mesuré sur le montant de ses factures. Par ailleurs, l’opérateur a réussi à financer le règlement de sa dette, d’un montant d’environ 16,6 milliards de F CFA. En mars 2011, il devrait effectuer le premier remboursement du prêt contracté pour son programme d’investissements. La résolution du conflit a été entamée en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, en septembre, lors d’une rencontre entre Paul Hanrahan, président d’AES Corporation, et une délégation camerounaise.

La centrale thermique à fuel lourd du mont Cameroun, fleuron d’AES-Sonel.

FINANCIAL BANK S’IMPLANTE AU CAMEROUN Quelques mois après avoir renoncé à la reprise d’une banque ivoirienne, le groupe bancaire régional Financial Bank, contrôlé par le capital-investisseur Emerging Capital Partners, s’installe dans l’autre locomotive de la zone franc CFA: le Cameroun. Il vient en effet de prendre le contrôle de First Trust Savings and Loan (FTSL), une institution de microfinance placée sous administration provisoire en 2008. Son objectif ? Redresser, restructurer, puis transformer FTSL en banque de plein droit. Dans le même temps, le groupe, qui achève actuellement une importante augmentation de capital, souhaite s’installer au Ghana. Sans perdre de vue la Côte d’Ivoire. TOURISME

LES TURCS RÊVENT DU MAROC Le marché marocain intéresse de plus en plus les entreprises turques, surtout dans le tourisme. Spécialisé dans l’hôtellerie de luxe, le groupe Rixos Hotel envisage d’ouvrir des établissements à Casablanca et à Marrakech, puis d’investir dans un resort en bord de mer. Le groupe turc serait intéressé par le projet Chbika, dans la région de Tan-Tan, dont l’un des principaux investisseurs est l’égyptien Orascom. C’est Maya Demnati, gérante du site internet TurkeyMorocco (lancé début décembre), qui conseille la chaîne turque et, parallèlement, souhaite aider les entreprises marocaines à pénétrer un marché turc encore sous-exploité, en dépit d’un accord de libreéchange qui remonte à 2004.

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CONFIDENTIEL

CULTURE & SOCIÉTÉ

LITTÉRATURE

THÉÂTRE NIANGOUNA ET LES « ANNÉES ROUGES » LE CONGOLAIS DIEUDONNÉ NI A NGOU NA présentera sa nouvelle création, Le Socle des vertiges, le 24 janvier au WIP (La Villette, Paris). Deux frères, Fido et Roger, interprétés par Dieudonné et Criss Niangouna, évoquent la mort de leur père, leur amour commun pour Diane, ainsi que leur mère, qui leur révélera tardivement le secret de leur naissance. L’occasion Dieudonné Niangouna dans Le Socle des vertiges. pour le dramaturge congolais d’évoquer les bas-fonds de Brazzaville, les milices qui y pullulent, mais aussi, plus largement, le Congo des « années rouges », l’héritage colonial, la démocratie, les guerres civiles, le gouvernement d’union nationale… Le tout dans un langage à la fois « châtié, charcuté et ordurier », et sur le rythme effréné auquel nous a habitués l’inventeur du big! boum! bah!, style dramaturgique et scénique né de la guerre, lorsque les obus tombaient aux abords de la salle où il répétait.

ARTS PLASTIQUES TOGUO PAR MONTS ET PAR VAUX Actualité 2011 chargée pour le plasticien camerounais Barthélémy Toguo. Outre plusieurs expositions en France (Melle, Nice), aux États-Unis (Museum and Art Gallery de Skidmore College, à New York) et en Finlande (ARS11, au musée d’art contemporain Kiasma), il présentera en effet ses œuvres sur le continent. Au Mémorial du génocide, à Kigali (Rwanda), il dévoilera, en mars, une nouvelle peinture de 4 m sur 12 m, ainsi qu’un film documentaire de vingt-six minutes. Par ailleurs, le fruit de sa collaboration avec l’artiste sénégalais Soly Cissé fera les beaux jours du centre culturel français de Douala, au Cameroun, en mars-avril 2011.

POÉSIE KOFFIGOH RÉCIDIVE Après L’Épopée des éléphants (2010), Joseph Kokou Koffigoh, l’ancien Premier ministre togolais, s’apprête à publier sous le titre La Passion des éperviers un nouveau recueil de poèmes consacrés à l’Afrique, à ses crises et à ses relations avec l’ancienne puissance coloniale. Publié aux éditions NEI/Ceda, à Abidjan, et préfacé par Edem Kodjo, l’ouvrage évoque notamment la dernière cérémonie du 14 Juillet, à Paris, à laquelle ont participé plusieurs chefs d’État africains, ainsi que le devoir de mémoire bien tardif de la France à l’égard des tirailleurs « sénégalais ».

SUR LES TRACES DE DUKE

ARMEL LOUZALA

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Après La Géométrie des variables, son troisième roman, paru en septembre, l’écrivain sénégalais Mamadou Mahmoud N’Dongo publiera en avril chez Continents noirs (Gallimard) Mood Indigo. Inspiré du célèbre morceau éponyme de Duke Ellington, le livre est un recueil de textes construits comme une série d’improvisations – ou de mouvements dans une partition –, mêlant humour et gravité, poésie et émotion. Mood Indigo est le sixième livre de N’Dongo. CINÉMA

SELHAMI SUR DEUX FRONTS Auteur de Mirage s, un thriller fantastique qui fut le seul film marocain sélectionné au récent Festival international de Marrakech, le jeune réalisateur Talal Selhami a en chantier deux nouveaux projets de longsmétrages. Fidèle au cinéma de genre, il espère pouvoir tourner avant la fin de 2011 Oasis, un film d’anticipation dont l’action se déroulera vers 2030. Il y racontera, dit-il, « les aventures d’un flic, une sorte de Dirty Harry marocain, dans un monde dominé par le terrorisme et sa répression au niveau international ». Il travaille par ailleurs depuis quatre ans sur un autre scénario, provisoirement intitulé Le Cirque des illusions. Il s’agira d’un film sur l’enfance, avec un personnage effrayant surgi du passé. Selhami entend s’inscrire « dans l’esprit de l’horreur romantique chère aux cinéastes espagnols ».

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Le pont métallique modulaire adapté à toutes les situations

Pont de Goui - RCA

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PONT D’URGENCE ET DÉFINITIF

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Ce pont, composé de poutres de 11,40 mètres et de 6 mètres de longueur assemblées par axes et entretoises, est posé en 12 heures par une équipe de 5 personnes. Il est évolutif par élargissement et rallongement.

Les modules se transportent facilement : • sur route, un semi-remorque ordinaire suffit ; • par voie maritime, les caissons logent dans des containers de 40 pieds.

La norme européenne de fabrication NF EN 1090-2 est appliquée dans toutes les phases de fabrication et garantit la fiabilité des ponts et leur durée de vie.

Pont de Yagbabou - RCA

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Le pont UNIBRIDGE® est conçu pour être installé rapidement et facilement, avec un minimun d’équipement et du matériel léger (pelle mécanique, grue de levage, treuil...). Les caissons standards de 11,40 mètres sont reliés par des axes métalliques qui assurent la continuité de l’ouvrage. Dans le cas d’un ouvrage où les culées n’existent pas, ou n’existent plus, il est possible de fabriquer des culées provisoires ou définitives, en utilisant des éléments préfabriqués. Pour toute information : M. Christophe CHARLET au 0033 6 87 71 41 77

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16 FOCUS

LES DERNIÈRES NOUVELLES DU MONDE

CÔTE DʼIVOIRE

QUI CROIT ENCORE Compter ses amis, diviser ses adversaires... Lʼheure est au calcul pour le chef de lʼÉtat sortant, qui nʼenvisage pas de céder sa place. Autour du « camarade Laurent », les rangs sʼéclaircissent.

CHRISTOPHE BOISBOUVIER

L

e 21 décembre, dans un discours à la télévision ivoirienne, Laurent Gbagbo a proposé un « comité d’évaluation » international pour régler la crise. Mais a posé un postulat : « Je suis le président de la République de Côte d’Ivoire. » En d’autres termes : « Tout est négociable, sauf mon statut de président. » Première réaction d’un diplomate européen : « C’est un faux message d’apaisement pour diviser le camp africain et gagner du temps. » Du côté d’Alassane Ouattara, son Premier ministre, Guillaume Soro, a lâché tout de go : « Il ne reste qu’une solution, la force. » Laurent Gbagbo a donc une priorité stratégique : éviter toute opération militaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Pour cela, il doit diviser ses adversaires. Et activer ses réseaux. C’est dans l’épreuve que l’on reconnaît ses amis, dit l’adage. Qui sont-ils ? Petite revue de détail…

Angola : lʼallié indéfectible

Depuis que Laurent Gbagbo a fermé le bureau de l’Unita à Abidjan, en 2000, Eduardo dos Santos lui voue une reconnaissance éternelle. Principal argument pro-Gbagbo : la lutte anti-impérialiste. En public, Jorge Chicote, le ministre angolais des Af faires étrangères, met des J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11


NUMÉRO DOUBLE

EN VENTE DEUX SEMAINES

EN LUI ? gants : « Notre position, c’est la noningérence. » Mais en privé, Afonso Van-Dúnem Mbinda, le Monsieur Affaires étrangères du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), est beaucoup plus clair. Le 21 décembre à Conakry, dans les coulisses du Palais du peuple, où Alpha Condé prêtait serment, il a lancé : « Les déclarations de l’UA et de la Cedeao, tout cela est orchestré par les Occidentaux. » Selon Van-Dúnem, deux chefs d’État d’Afrique de l’Ouest ne seraient pas d’accord avec les résolutions proOuattara de la Cedeao. Lesquels ? Sans doute pense-t-il au Gambien Yahya Jammeh. Mais l’autre ? Mystère. Le 5 décembre, Bertin Kadet, le conseiller militaire de Laurent Gbagbo, s’est rendu en Angola. Au menu : livraison d’armes et de munitions.

c’est une bonne af faire. Jammeh ouvre une brèche dans le front proOuattara. Le problème, c’est la taille du pays. « La Gambie, ça ne compte pas », souffle un diplomate ouestafricain.

Gambie : lʼami déclaré

Après le second tour, Ali Bongo Ondimba a d’abord penché pour son ami Gbagbo. Mais la Radio Télévision ivoirienne (RTI) s’est mis à poser une question dérangeante :

« Sur tout pas un mot sur cette affaire. » Tel est le mot d’ordre, à Praia comme à Cotonou. Financièrement, Pedro Pires est l’obligé à la fois des Angolais et des Occidentaux. Boni Yayi a d’excellentes relations avec Gbagbo mais, à quelques mois de la présidentielle béninoise, il ne peut pas se couper des « grands » de ce monde.

Gabon, Libye : changement de pied

▲ ▲ ▲

Yahya Jammeh a au moins une qualité : la franchise. Le 11 décembre, il a appelé « les puissances occidentales à cesser leurs ingérences ». Aujourd’hui, les étrangers s’intéressent à la Côte d’Ivoire ; demain, il ne faudrait pas qu’ils se penchent sur l’un des régimes les plus répressifs du continent… Pour Gbagbo,

Cap-Vert, Bénin : lʼart de lʼesquive

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18 FOCUS ▲ ▲ ▲

« Pourquoi la France a-t-elle validé un hold-up électoral au Gabon en 2009, et pourquoi fait-elle tant d’histoires chez nous ? » Réplique sèche du président gabonais: « Toute comparaison avec d’autres pays me paraît complètement superflue. Je me suis vu reconnaître par toute la communauté internationale. » Selon nos informations, l’ambassadeur de Côte d’Ivoire à Libreville a été convoqué, le 20, par Paul Toungui, le ministre gabonais des Affaires étrangères. ENQU

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ÉDITIO

« J’Y SUIS, J’Y RESTE! »

Avec le recul, cet te petite phrase extraite de la dernière interview accordée par Laurent Gbagbo avant l’élection présidentielle – c’était dans J.A. (voir no 2597), à la veille du premier tour, il y a deux mois – semble prémonitoire. D’autant qu’elle fut prononcée par le chef de l’État en réponse à la question : « Que ferez-vous si vous êtes battu? » Au-delà de sa certitude de remporter le scrutin, elle disait aussi sa détermination à se maintenir au pouvoir quel qu’en soit le résultat. À l’époque, ce sens caché avait échappé à tout le monde. Sauf, sans doute, à l’intéressé… Mouammar Kaddafi, lui aussi, a d’abord cru à la victoire de Laurent Gbagbo. Mais dès le lendemain du premier tour, il est entré en contact avec Alassane Ouattara. Aujourd’hui, comme à son habitude, il garde deux fers au feu. À chaque camp son interlocuteur. Côté Gbagbo, c’est Mohamed al-Madani, le secrétaire général de la Cen-Sad. Côté Ouattara, c’est Ali Triki, le vétéran de la diplomatie libyenne. Le 10, le « Guide » a reçu Ber tin Kadet et Alcide Djédjé, le ministre des Affaires étrangères de Gbagbo. Dans le même temps, il est

resté en relation suivie avec le camp Ouattara. Le 15, depuis Dakar, où il assistait au Festival mondial des arts nègres (Fesman), Kaddafi a eu une longue conversation téléphonique avec le Français Nicolas Sarkozy. Sujet : la Côte d’Ivoire.

Internationale socialiste (IS) : la déchirure

Les fidèles sont toujours là : le Sénégalais Ousmane Tanor Dieng, président du comité Afrique de l’IS, qui a félicité le camarade Gbagbo; les Français Henri Emmanuelli, François Loncle et Guy Labertit – ce dernier a même assisté à l’investiture du 4 décembre. Roland Dumas, lui, se dit prêt à se rendre à Abidjan à l’invitation de son vieil ami Laurent Gbagbo « pour essayer de mettre un peu de lumière dans son tunnel ». Mais les rangs s’éclaircissent. À Dakar, le message de Tanor passe mal chez ses collègues socialistes. À Paris, la direction du PS (Aubry, Fabius, les strauss-kahniens…) demande au camarade ivoirien de reconnaître sa défaite. Jean-Marc Ayrault propose même que le parti de Gbagbo soit exclu de l’IS. À Yaoundé, l’Union des populations du Cameroun (UPC) n’a pas ces états d’âme. Le parti de Moukoko Priso est sur la même ligne que l’Angola : « Halte à l’infamie contre la souveraineté de la Côte d’Ivoire. »

Droite et extrême droite françaises : tous contre Sarkozy

Jean-François Probst, Philippe Evanno, Yannick Urrien… Gbagbo savait qu’il avait quelques amis chez les vieux compagnons de Jacques Chirac. Il a dû boire du petit-lait en entendant la charge de Dominique de Villepin contre Sarkozy. « Je ne crois pas à la logique de l’ultimatum », a lâché l’ancien Premier ministre. Mais il a dû être plus étonné en entendant les Le Pen – père et fille – prendre sa défense. « Je juge avec assez de sévérité la précipitation avec laquelle le président français a pris position [pour Ouattara] », a lancé Marine Le Pen, le 19 décembre. Bien entendu, la Côte d’Ivoire n’est qu’un prétexte. La cible est Nicolas Sarkozy. Mais Gbagbo le socialiste se serait sans doute bien passé d’un tel soutien… ■

Lettre ouverte

Non, Gbagbo « Si quelquʼun croit avoir de bonnes raisons de défendre Gbagbo de façon calme et argumentée, les colonnes de ce journal lui sont ouvertes », écrivait BBY la semaine dernière. La romancière française dʼorigine camerounaise Calixthe Beyala a saisi la balle au bond. Voici son opinion.

D

aussi loin que me porte ma mémoire, il me semble qu’une seule et unique fois je fus en désaccord avec vous, très cher Béchir Ben Yahmed. Et je vous le fis savoir. C’était il y a fort longtemps, mais lorsque passe trop de temps, ce dernier ne revêt plus aucune importance; je l’avoue humblement, je n’ai nullement le sens du temps. C’était au sujet du nom du journal Jeune Afrique. Il me souvient que vous lui attribuiez alors le titre de L’Intelligent. Mes yeux fulminaient de colère lorsque je vous en parlai. Aujourd’hui encore, je ne puis oublier votre sourire; et cette manière très pétillante de me rétorquer que j’aurais dû vous écrire pour vous dire mon sentiment. Depuis ces temps si lointains, aucune particule, aucune ride ne s’est posée sur le respect et l’amitié qui nous lient… Du moins, c’est CE QUE JE CROIS. Voilà que pour la deuxième fois un sujet nous oppose: l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire. JE NE CROIS PAS QUE M. Alassane Ouattara soit le président élu de la Côte d’Ivoire car, pour cela, il eût fallu que sa victoire fût reconnue par le Conseil constitutionnel de son pays; il me semble que ce n’est point le cas, me tromperais-je? Aucune commis-

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FOCUS 19

nʼest pas seul ! sion électorale, aussi noble soit-elle, ne saurait proclamer le vainqueur d’une élection, d’autant que, dans le cas de la Côte d’Ivoire, cette commission électorale était constituée aux deux tiers par les membres de l’opposition. Vous me rétorquerez que le président du Conseil constitutionnel ivoirien est un homme du président Gbagbo. Oui, sans aucun doute. Mais n’est-ce point le cas dans tous les pays du monde, et même en France? On se souvient tous du cas des États-Unis où s’opposaient Al Gore et George W. Bush. La Cour suprême trancha en faveur de ce dernier alors qu’il bénéficiait de moins de voix que son adversaire. Il me semble n’avoir pas entendu des cris d’orfraie des démocrates du monde entier, me tromperais-je? Il me semble que l’ONU ne battit pas un cil pour condamner cette « usurpation de pouvoir ». Je ne crois pas que le président français Nicolas Sarkozy aime tant l’Afrique et ses habitants qu’il veille à la démocratisation du continent, voire au bien-être de ses peuples. Je n’ai pas oublié le discours de Dakar. Je n’ai pas oublié les élections au Gabon. Ne fut-il pas le premier à féliciter Bongo fils ? Pourquoi ne fustigea-til pas ce dernier ? Pourquoi le félicita-t-il, alors que l’opposition contestait, preuves à l’appui, le résultat des urnes ? Il me semble avoir raté – ce qui m’étonne – votre édito lapidaire sur ce hold-up électoral. Et j’ajoute que le récent documentaire télévisé sur la Françafrique a clairement démontré les impostures, les magouilles et les mille manigances de mon pays, la France, pour placer et maintenir au pouvoir quelques despotes dévoués corps et âme à notre mère patrie.

CALIXTHE BEYALA Romancière

Je ne crois pas en l’ONU, ce minuscule club d’États riches, où aucun pays d’Afrique ne siège au Conseil de sécurité; je ne crois pas que l’Union africaine soit libre de ses propos, d’autant que, malheureusement pour les Africains, celle-ci est financée par l’Union européenne. Je ne crois pas que les dirigeants africains soutiennent activement Alassane Ouattara ; il me semble n’avoir vu aucunes félicitations émanant d’un chef d’État du continent adressées au président désigné par la communauté internationale. Mais qui se cache derrière cette nébuleuse? Seraient-ce les mêmes qui croisent les bras pendant qu’on bombarde l’Irak ou l’Afghanistan? JE NE CROIS PAS à ce souci d’alternance démocratique dont ils veulent nous abreuver. Combien de chefs d’État ont changé la Constitution de leur pays pour pouvoir être élu pour la énième fois ? Combien occupent le poste de président depuis vingt, voire trente ans ? Pourquoi la soi-disant communauté internationale ne les condamne-t-elle pas? Et la France, qu’en ditelle ? Rien. Silence ! On exploite! Je crois, et permettez-moi de reprendre vos propos, « la légende selon laquelle Gbagbo serait le grand défenseur de la souveraineté nationale et que ses positions tranchées lui ont valu l’hostilité de la France ». Il s’agit d’une réalité, vérifiée et palpable. Avez-vous oublié les implications de la France dans le coup d’État contre Gbagbo en 2002, ainsi que les multiples complots qui s’ensuivirent? Je crois que tous les panafricanistes croient au complot contre la Côte

Ouattara est, pour les Occidentaux, l’homme de confiance. Pour lui faire revêtir le costume de président, ils sont prêts à tout.

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d’Ivoire. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les deux manifestations organisées à Paris pour le soutien à la souveraineté de la Côte d’Ivoire et qui ont réuni près de cinq mille personnes, battant le macadam dans le froid hivernal. Gbagbo n’est pas seul. Il a le peuple africain à ses côtés. Je crois qu’autrefois la France et ses acolytes organisaient des coups d’État armés pour déloger les chefs d’État africains qui ne correspondaient pas à leurs critères de sélection. Je crois que la forme de renversement des pouvoirs indésirables a évolué ; elle est plus subtile. Me permettez-vous d’introduire la notion de « coup d’État électoral » ? Et si le président Gbagbo en était une des dignes victimes ? Y aviez-vous songé ? Je crois que la stratégie géopolitique voudrait que le golfe de Guinée soit totalement sous contrôle occidental. L’épuisement des puits de pétrole dans le golfe Persique et la résistance armée dans ces régions justifient que l’Europe se tourne vers l’Afrique. Pour son pétrole. Pour ses matières premières. Pour ses innombrables richesses. Et aussi – il ne s’agit pas d’un argument moindre – pour sa capacité de soumission bas-ventrale… Je crois que tous les pays du golfe de Guinée connaîtront le même sort que la Côte d’Ivoire dans un avenir plus ou moins proche. Je crois tout simplement qu’Alassane Ouattara est, pour les Occidentaux, l’homme de confiance et que pour atteindre leurs objectifs, à savoir lui faire revêtir le costume de président de la Côte d’Ivoire, ils sont prêts à tout. Je crois enfin que Gbagbo ainsi que le peuple ivoirien se battront jusqu’au bout pour ne point se faire dépouiller. En témoigne le peu d’enthousiasme qu’a suscité l’appel à la mobilisation d’Alassane Ouattara. Je ne sais pas s’ils y réussiront. Voilà, cher Béchir Ben Yahmed, ce en quoi je crois. Ou pas. ■

BRUNO LÉVY

à BBY


20 FOCUS

CHIFFRES QUI PA RL EN T

150

aumôniers musulmans, contre 420 aumôniers catholiques et 260 aumôniers protestants dans les prisons françaises.

196

militaires accusés de tentative de coup d’État contre le gouvernement AKP sont sur le banc des accusés en Turquie. Leur procès s’est ouvert le 16 décembre.

81

ans. L’espérance de vie des hommes au Qatar, qui devance Hong Kong (79,8 ans), l’Islande et la Suisse (79,7 ans).

11 millions

de dollars (8,3 millions d’euros). La valeur des décorations (181 diamants, perles, émeraudes, saphirs…) qui ornent l’arbre de Noël d’un palace d’Abou Dhabi, ce qui en fait le plus cher au monde.

35000

migrants africains, en majorité érythréens et soudanais, se sont installés illégalement en Israël depuis quatre ans, d’après le ministère israélien de l’Intérieur.

TUNISIE Sidi Bouzid,

ville en colère

VENDREDI 17 DÉCEMBRE à Sidi Bouzid, de l’ordre ripostent au moyen de bombes dans les steppes centrales de la Tunisie. lacrymogènes et procèdent à des dizaines Mohamed Bouazizi, 25 ans, semble heud’arrestations. Dans la région, la tension reux. Sa charrette de marchand des quamonte. L’envoi de renforts de police n’emtre saisons est bien remplie, la journée pêche pas les jeunes de manifester à nous’annonce donc sous de bons auspices. veau dans la nuit du 20 au 21 décembre Issu d’un milieu pauvre, le jeune homme pour réclamer la libération des leurs, et les a quitté très tôt le lycée pour subvenir aux habitants des villages agricoles de Rgueb besoins de sa famille. Rien ne laisse préet de Menzel Bouzaiane d’organiser des sager qu’il va tenter de s’immoler par le marches pacifiques. feu et que ce geste provoquera une explosion sociale locale semblable à celle qui a embrasé le bassin minier de R e d e y e f, d a n s l a région voisine de Gaf sa, il y a trois ans, et qui rappelle l’immolation, dans les mêmes circonstances, d’un autre marchand ambulant, à Monastir, en mars dernier. Alors que Bouazizi vient d’installer Le 19 décembre, troisième jour de manifestations. sa charrette dans un endroit très fréquenAprès quatre jours de black-out médiaté en cette veille de marché hebdomadaitique, les autorités publient un commure, des agents municipaux font irruption niqué dans lequel, tout en regrettant la pour lui signifier que cet emplacement est tentative de suicide de Bouazizi, elles interdit. D’habitude, il fait mine de pousser accusent les mouvements d’opposition sa charrette un peu plus loin et revient à sa et une partie de la société civile d’« insplace. Cette fois, on la lui confisque, ainsi trumentaliser cet acte isolé à des fins polique toutes ses marchandises. Ses protiques malsaines ». testations étant vaines, il se dirige vers le Pour ces derniers, cet acte et les trousiège du gouvernorat (préfecture). On lui bles qui se sont ensuivis traduisent le en refuse l’entrée. Le désespoir le gagne. malaise social qui gagne les régions les Il se précipite pour acheter, non loin de là, plus défavorisées. À l’appui de cette thèse, un bidon de produit inflammable, revient Adel Chaouch, un député du mouvement sur les lieux pour s’en asperger et craque Ettajdid, a évoqué devant le Parlement, le une allumette. Les secours interviennent 21 décembre, les « files de chômeurs et très vite. Il est évacué vers l’hôpital des de désespérés ». Officiellement, le taux de grands brûlés, dans le sud de Tunis, à quelchômage est de 13 % dans l’ensemble du que 260 km de là. Fin de l’acte I. pays, mais à Sidi Bouzid ce taux dépasse Acte II : la nouvelle se répand. Les prelargement 30 % chez les diplômés de l’enmiers à se mobiliser sont les marchands seignement supérieur. Cette région enclades quatre saisons de la ville et les jeunes, vée est celle qui se vide le plus de ses jeuqui organisent un sit-in devant le gouvernes, qui lui préfèrent les villes du littoral, norat. Le lendemain, 18 décembre, des où les offres d’emploi sont plus nombreucentaines d’entre eux manifestent leur ses, bien que souvent précaires. ■ colère. Des pneus et des voitures sont ABDELAZIZ BARROUHI, à Tunis brûlés, des vitrines brisées. Les forces J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11

D.R.

CES


u a r i t s e Inv

a d n Rwa Croissance économique soutenue Climat politique propice aux investisseurs Portail vers l’Afrique de l’Est et le Continent

Opportunités multiples à exploiter

Services, TIC, Finances, Energie, Infrastructures, Tourisme, Immobilier, Agriculture…

1er pays réformateur au Monde en 2010 « Rapport Doing Business 2010 » de la Banque mondiale

DIFCOM F.C

La terre aux mille collines, le pays aux mille opportunités.


22 FOCUS

GUINÉE Le casse-tête Camara Car, depuis qu’il a recouvré la santé, Dadis ne cesse de solliciter l’aide de Blaise Compaoré, son hôte, pour regagner la Guinée. Tout comme ses pairs de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui l’ont désigné comme médiateur dans la crise guinéenne, le président burkinabè est jusqu’ici resté sourd aux prières de l’ex-chef de la junte, excluant son retour avant l’élection et l’intronisation d’un nouveau président. C’est désormais chose faite.

Le capitaine Moussa Dadis Camara à Ouagadougou, le 17 janvier 2010.

LA TRANSITION GUINÉENNE s’est achevée, le 21 décembre, avec la prestation de serment du président élu, Alpha Condé, en présence de treize chefs d’État du continent (voir p. 71). L’heure est à la formation d’un nouveau gouvernement, mais aussi à la liquidation du passif de ces longs et douloureux mois de gestation démocratique. Dans son discours d’adieu, le général Sékouba Konaté, qui a conduit le pays au scrutin présidentiel, a rendu hommage à l’absent le plus… présent de la cérémonie: le capitaine Moussa Dadis Camara, dont il assurait l’intérim depuis que ce dernier avait échappé à une tentative d’assassinat, le 3 décembre 2009.

Reclus à Ouagadougou depuis son retour du Maroc, où il avait été soigné de ses blessures à la tête, Dadis connaît le goût amer de l’exil et de la solitude. Abandonné de tous, y compris de ceux qui lui étaient les plus proches, honni depuis le massacre du 28 septembre 2009, qui vit des éléments de sa garde ouvrir le feu sur des militants de l’opposition, contraint de rester éloigné de son pays jusqu’à la fin du processus électoral, celui qui s’était emparé du pouvoir le 23 décembre 2008, vingtquatre heures après le décès du président Lansana Conté, s’interroge aujourd’hui sur son sort. Son dossier est l’un de ceux sur lesquels les nouvelles autorités devront statuer.

AHMED OUOBA

SOUS LA MENACE DE LA CPI

Selon une source proche de son entourage, Alpha Condé ne serait pas opposé au retour de Dadis. Il demande toutefois du temps pour pouvoir l’organiser. D’autant qu’il envisagerait de lui accorder le statut et le traitement dus à un ancien chef de l’État. Pareille générosité n’a rien de fortuit. Elle est le fruit d’un arrangement conclu, avant le second tour de l’élection présidentielle, avec Papa Koly Kourouma, le propre neveu de Dadis, arrivé en cinquième position au premier tour avec 5,74 % des suffrages. Leader charismatique en Guinée forestière, qu’il a incitée à voter massivement pour Alpha Condé, Kourouma avait, avant de rallier ce dernier, posé entre autres conditions l’amélioration du sort de son oncle. Si Condé a fait des concessions, il s’est refusé à promettre une quelconque immunité à Dadis concernant les événements du 28 septembre. Le voudrait-il qu’il ne le pourrait pas, la Cour pénale internationale (CPI) ayant ouvert une instruction sur ce drame. Manifestement soucieuse de ne pas perturber le processus électoral en déclenchant des poursuites contre certains cadres de l’armée restés au pays, la CPI, qui s’en était abstenue jusquelà, a aujourd’hui tout le loisir d’agir. Moussa Dadis Camara, qui a retrouvé tous ses esprits et sa forme physique, en veut à Sékouba Konaté de n’avoir rien fait, tout au long de la transition, pour négocier son immunité. S’il a grossi et repris du poil de la bête, le locataire de la Villa des hôtes, à Ouaga 2000, est inquiet pour son avenir judiciaire. ■ CHEIKH YÉRIM SECK

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CHRISTOPHE CHEVALIN/TF1

FOCUS 23

TROIS PRINCES À MARIER

ARRÊT SUR IMAGE

Les princes Luc Aro de Polynésie, Tidjani Ramonnou du Bénin et Yadvendra Singh Rajawat d’Inde (de g. à dr.) seront les exotiques héros de l’émission de téléréalité Trois Princes à Paris, diffusée en janvier sur TF1. Leur mission? Épouser une Française en l’espace d’un mois. Problème: à l’issue des enregistrements, le neveu du roi Oba Adetutu Akenmu du Bénin, étudiant à l’université de Parakou, est toujours « célibataire » sur son profil Facebook. Après l’échec de Bienvenue dans ma tribu, pas sûr que l’audimat s’emballe…

MAROC Dis-moi comment tu tʼappelles... CHOISIR LE PRÉNOM DE SON ENFANT n’est jamais une mince affaire. A fortiori quand une administration s’en mêle… C’est la mésaventure survenue à Jamal Eddarhor lorsqu’il s’est rendu au bureau de l’état civil de Témara (près de Rabat), en novembre, pour déclarer la naissance de sa fille. Apprenant qu’il souhaitait donner à celle-ci le prénom amazigh ancien de Massilya (« déesse de la mer »), l’officier d’état civil lui a répondu qu’il ignorait si ce nom était « acceptable » et s’en est remis à la préfecture. Laquelle a fini par accepter. Dans un rapport paru le 17 décembre, l’ONG Human Rights Watch (HRW) adresse un satisfecit aux autorités marocaines, qui se montrent de plus en plus tolérantes en la matière. Jusqu’à récemment, la loi stipulait que les parents ne pouvaient donner à leurs enfants que des prénoms « à caractère marocain » – entendez : « arabo-musulman » – afin de « préserver [l’] identité marocaine, [l’] authenticité

et [les] traditions ». Mais, en 2007, les Nations unies avaient fait savoir qu’elles jugeaient cette mesure discriminatoire à l’égard des populations berbères, très nombreuses au Maroc. Face à la mobilisation des associations amazighs, le ministère de l’Intérieur a publié, en avril 2010, une circulaire reconnaissant que certains noms berbères remplissent l’exigence légale de « caractère marocain ». Cette circulaire, qui invite les officiers de l’état civil « à faire preuve de souplesse » et « à procéder à des recherches avant de refuser un nom », commence à porter ses fruits. « Cette initiative témoigne d’un respect et d’une reconnaissance accrus à l’égard de la population marocaine dans sa diversité ethnique et culturelle », se réjouit Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à HRW. L’ONG invite désormais le Maroc à se conformer à la législation internationale en levant toutes LEÏLA SLIMANI les restrictions au choix des prénoms. ■

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24 FOCUS ILS ONT DIT ANITA CORTHIER

« Il n’y aura pas de paix

au Moyen-Orient tant que les États-Unis seront le gardien de la paix. Il faut impliquer d’autres pays dans les négociations [israélo-palestiniennes]. » LULA DA SILVA Président du Brésil (jusqu’au 1er janvier)

« L’esprit du compromis bipartisan, c’est un peu comme si je vous disais que j’étais né au Maroc, c’est-à-dire à mi-chemin entre le Kenya et les États-Unis. » BARACK OBAMA (à propos du compromis fiscal conclu par les républicains et les démocrates, au Congrès)

« Faire de la politique, c’est comme être accro à l’opium. »

NORODOM RANARIDDH Ex-Premier ministre du Cambodge (et fils du roi Sihanouk)

« Je crois que Laurent Gbagbo est plus proche de Mandela que de Mugabe. »

JEAN-FRANÇOIS PROBST Consultant français, ancien conseiller de Jacques Chirac et d’Alain Juppé

« Le bon Dieu nous

a donné les Russes comme voisins, on est condamnés à faire avec. » LECH WALESA Ancien président de la Pologne

SENELEC-EDF

Le courant passe IL SE SAIT ATTENDU sur le dossier, tant la situation exaspère le pays. En signant à Paris, le 17 décembre, un accord de coopération avec EDF (anciennement Électricité de France), Karim Wade, le nouveau ministre sénégalais de l’Énergie, a voulu signifier à ses compatriotes qu’il s’attaquait au cœur du problème : la restructuration du secteur électrique national. Engluée depuis cinq ans dans une crise financière et technique, la Senelec a plongé le pays dans un tel chaos que les Dakarois sont descendus dans la rue durant les étés 2009 et 2010. « Pourtant, les cadres sont compétents, assure Gérard Wolf, directeur du développement international d’EDF, qui tire le bilan de trois mois de travail auprès des équipes sénégalaises. Les centrales ne sont pas laissées à l’abandon, le service commercial est sérieux et recouvre près de 98 % des factures. » Alors, pourquoi toutes ces défaillances? C onf ronté e à une demande croissante, l’entreprise publique fonctionne en flux tendu. Les équipes de maintenance ne peuvent déconnecter l’une des centrales du parc de production pour la remettre en état. En cas d’arrêt, c’est la coupure. Conséquence de ce manque d’entretien : les usines sont incapables de fonctionner à pleine capacité; des dizaines de précieux mégawattheures sont donc perdus. « Le premier objectif du ministère est d’avoir une vision claire de la situation », explique Madior Sylla, conseiller technique de Karim Wade et membre du comité de restructuration mis en place pour relancer la filière. Un audit comptable et financier de l’entreprise, assuré par le cabinet McKinsey, viendra compléter l’expertise technique d’EDF. Un plan d’urgence sera ensuite mis en œuvre. Il prévoit, pour le premier trimestre 2011, la loca-

tion et la connexion au réseau par des équipes mixtes EDF-Senelec d’environ 100 MW de capacités éle c trique s supplément aire s, produites par des petits générateurs. D’ici à deux ans, la Senelec devrait acquérir des générateurs de 20 MW environ, pour un total de 130 MW. Enfin, EDF participera à la remise en état de quatorze centrales sénégalaises. Le groupe français intervient en tant que prestataire de services, pour un montant encore inconnu. « Un investissement lourd », selon un proche du dossier, mais nécessaire, tant techniquement que politiquement. « Nous n’avons plus le droit à l’erreur », confirme le conseiller de Wade. EDF a été préféré à d’autres opérateurs pour des raisons « historiques » : le groupe français collabore depuis plus de trente ans

Location de générateurs, remise en état des centrales, formation professionnelle… avec la Senelec, dont « il a formé de nombreux cadres », rappelle Wolf. Pourtant, des internautes se sont émus de cette collaboration, la qualifiant de « partenariat colonial », d’aucuns – des salariés ? – rappelant qu’un audit avait déjà été réalisé par la Senelec sans que le ministère en tire les conséquences. « C’est un faux débat ! se défend Sylla. Tout le monde a été convié lors de la mise en place du comité de restructuration, tant du côté de la Senelec que du côté des consommateurs. » Et, soulignet-il, « le ministère n’a jamais douté de la compétence des salariés de l’entreprise ». De jeunes ingénieurs seront cependant remis à niveau par la firme française, qui ne prévoit pas, pour le moment, de faire d’autres affaires au Sénégal. ■ MICHAEL PAURON

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CAMEROUN

© JF Rollinger / JA

En route pour 2011

L

a date du scrutin présidentiel, prévue en 2011, n’est pas encore connue qu’il focalise déjà les attentions des différents acteurs de la vie sociopolitique camerounaise. C’est l’occasion de dresser le bilan des presque trois décennies du président Paul Biya à la tête de l’État. MESSAGE


CAMEROUN En route pour 2011

D

DE NOMBREUX ACQUIS POLITIQUES ET SOCIAUX

ans une Afrique centrale soumise à des déchirements, des conflits et des guerres

fratricides, le Cameroun dirigé par

Paul Biya apparaît comme un îlot de

paix et de stabilité. Avec plus de 200 ethnies, des visages géographiques politiques contradictoires écloses à la faveur du vent de libéralisation

© V. Fournier / JA

et culturels variés, des opinions

du début des années 1990, et le conflit frontalier de Bakassi, le pays a connu des situations porteuses de tension. La préservation de la paix sociale est un acquis à mettre au crédit du président Paul Biya dont c’est une préoccupation obsédante. Il a su créer et entretenir un environnement de fraternité, d’unité, de

Lorsque Paul Biya hérite du pays en novembre 1982, le Cameroun sort d’un régime qui ne tolérait ni la liberté de mouvement des personnes, ni la liberté d’expression et encore moins une quelconque liberté politique. Des milliers de citoyens notamment les militants de l’Union des populations du Cameroun (UPC) ont ainsi disparu dans des prisons politiques de triste réputation. Conscient de ce que le peuple a longtemps souffert de cette main de fer, Paul Biya engage, dès son arrivée à la magistrature suprême, un processus de démocratisation volontariste. Il commence par autoriser la multiplicité des candidatures et des opinions au sein du parti unique, puis fait adopter en 1990 une loi sur les associations, permettant ainsi le multipartisme intégral. Depuis lors, près de 170 partis politiques ont été légalisés et exercent librement leurs activités. Malgré les nombreux obstacles, le train des réformes ne va pas s’arrêter à l’ouverture démocratique. Création du Comité national des droits de l’homme et des libertés ; suppression de la censure administrative sur la presse ; création du poste de Premier ministre, chef du gouvernement ; création après une révision constitutionnelle du Sénat, de la Chambre des comptes, du Conseil constitutionnel des régions (décentralisation administrative) ; établissement de plusieurs missions diplomatiques à l’étranger ; adhésion du Cameroun au Commonwealth et à la Francophonie ; libéralisation du secteur de l’audiovisuel… Paul Biya peut s’enorgueillir d’avoir adopté de nombreuses mesures dont tout le monde s’accommode aujourd’hui : réforme du statut général de la Fonction publique ; création de 5 provinces, quatorze départements, 100 arrondissements et 53 districts ; création de l’état-major général des armées, des régions militaires, de l’état-major particulier, de la garde présidentielle ; création des cours d’appel de Maroua, Garoua, Ebolowa.

stabilité, de justice, de progrès voué à faire triompher l’intérêt général. Le maintien de la stabilité et de la paix constitue l’une des plus grandes acquisitions du régime Biya. C’est ce climat politique propice aux affaires et aux investissements qui vaut au Cameroun les multiples sollicitations dont il est l’objet de la part des investisseurs étrangers. MESSAGE


© JerryCOM

DE GRANDS PROGRÈS DANS LE SECTEUR DE L’ÉCONOMIE

© Maboup

© DR

© V. Fournier / JA

Dans le secteur de l’éducation, le changement est tout simSur le plan économique, le président Biya a accordé la plement spectaculaire avec notamment la création de plupriorité aux réformes susceptibles de stimuler la machine sieurs écoles, de six universités publiques et la libéralisation économique. Le bilan est loin d’être négligeable : réhabidu secteur des instituts d’enseignement supérieur. L’école prilitation de l’ensemble du secteur public (restructuration, maire devient gratuite. Selon les statistiques officielles dispoprivatisation ou liquidation des entreprises publiques et nibles auprès des autorités compétentes, au cours des six preparapubliques ; libéralisation des filières agricoles…) ; mières années du mandat de Paul Biya, le secteur éducatif a création du centre des affaires maritimes pour un coût de bénéficié de plus de 100 milliards de F CFA d’investissements, 10 milliards de F CFA ; allègement de la dette extérieure contre moins de 30 milliards durant les vingt-cinq années prédu pays après des années de négociations serrées avec cédentes. C’est dire si le chef de l’État a à cœur qu’une excelles créanciers du Club de Paris et les institutions de Bretlente formation soit donnée à la jeunesse camerounaise, fer ton Woods. À cela s’ajoute l’assainissement des finances de lance de la nation. Il en est de même publiques et le rétablissement des dans le domaine sanitaire. Si àYaoundé grands équilibres macro-économiLE RÉSEAU ROUTIER ou Douala on pouvait compter sur les ques. Ainsi, sous les hautes instrucCAMEROUNAIS S’ÉTEND tions du chef de l’État, le gouverdoigts d’une seule main le nombre de pharmacies en 1982, près de trois déAUJOURD’HUI SUR PLUS nement a engagé depuis plusieurs cennies plus tard il en existe au moins années une énergique « Opération DE 50 000 KILOMÈTRES une dans chacun des quartiers de ces épervier ». Celle-ci lui a permis de principales villes ainsi que dans les poursuivre d’anciens barons de l’adchefs-lieux de région. Des hôpitaux de référence ont vu le ministration. Et alors même que d’aucuns pensent à l’enlijour à Douala et àYaoundé. Et chaque chef-lieu de région dissement voire à un enterrement de l’opération épervier, le pose d’au moins un centre hospitalier de qualité. Et que dire président Paul Biya a fort opportunément rappelé, à l’ocdes infrastructures et équipements sociaux tels que les casion du message de fin d’année, le 31 décembre 2009 : voies de communication... De seulement quelques milliers « Qu’on ne s’attende pas à ce que nous nous arrêtions en de kilomètres en 1982, le réseau routier camerounais s’étend chemin. Nous irons jusqu’au bout, quoi qu’en disent ceraujourd’hui sur plus de 50 000 kilomètres dont 5 000 de voies tains. » Pour mener ce combat, l’État s’est doté de deux bitumées. Depuis chacun des chefs-lieux de régions, on peut organismes : la Commission nationale anti-corruption (Coaisément rallierYaoundé, la capitale, par route, par voie ferrée nac) et l’Agence nationale des investigations financières ou encore par air. (Anif).

MESSAGE


CAMEROUN

Les défis qui interpellent le président sont nombreux. Sur le plan politique, social et des infrastructures, beaucoup reste à faire. 48 % de la population vit toujours en dessous du seuil de pauvreté et le chômage frappe une très large fraction de la population active (30 % selon les estimations officielles). Avec 19 millions d’habitants, la demande d’infrastructures et de services sociaux dans le pays demeure encore très largement supérieure à l’offre. Il faut donc continuer de travailler étroitement avec les bailleurs de fonds internationaux pour organiser des mécanismes de financement des besoins d’infrastructures, notamment dans des secteurs aussi sensibles que l’eau, l’électricité, la santé, l’éducation, les routes. Il s’agit de convaincre en 2011, année électorale dont certains ne manqueront pas de se servir pour dresser le bilan de la politique des « Grandes Ambitions ».

© D. Ravier

En route pour 2011

dispersés, divisés et quelque peu essoufflés après vingt ans d’ouverture démocratique », explique un militant du RDPC. Avec l’arrivée de nouveaux votants en 2011 (des milliers de Camerounais ont atteint la majorité depuis la dernière présidentielle en 2004), il faudra bien plus que des discours et des promesses pour convaincre et obtenir des voix.

Pour sa part, Élections Cameroon (Elecam), organisme chargé de l’organisation de cette élection, s’est déjà mis au travail. Il a commencé les inscriptions sur les listes électorales depuis la deuxième quinzaine du mois d’août 2010.Le Lors de sa campagne électorale pour le scrutin présidentiel nombre d’électeurs devrait s’élever à 9 millions (sur une pod’octobre 2004, le chef de l’État avait énoncé un programpulation totale de 19,4) d’après les estimations du gouverme ambitieux pour son septennat, connu sous l’appellation nement. Six régions sur dix sont pour l’instant concernées. de « Grandes Ambitions ». Dans sa mise en œuvre, la lutte Les quatre restantes « vont suivre », affirme Mohaman Sani contre la corruption figure en Tanimou, le directeur général des bonne place, tout comme le déélections, qui déplore « de petits : DRESSER LE BILAN veloppement de l’agriculture, de problèmes d’infrastructures ». DE LA POLITIQUE l’industrie et des infrastructures Une pause sera marquée « entre DES ¦ GRANDES AMBITIONS ¢ de base. De quoi aborder la projanvier et février 2011 », notamchaine présidentielle avec bien ment pour « toiletter les listes », des atouts. « Que l’on ne s’y trompe surtout pas, cette éleca-t-il d’ores et déjà annoncé. Créé en 2006, Elecam s’apprêtion s’annonce difficile. Difficile pour le RDPC, parti au poute à organiser ses premières élections. Auparavant, c’est le voir, qui doit faire face au besoin d’une alternative démocraministère de l’Administration territoriale qui était chargé de tique de plus en plus exprimé par certaines voix au sein du les mettre en place et l’Observatoire national des élections peuple. Élection difficile aussi pour les partis d’opposition, (Onel) qui les supervisait.

CONVAINCRE EN 2011

© K. Belal / JA

© D. Ravier

© DR

2011

MESSAGE


FOCUS 29 EN HAUSSE

D.R.

Le nationaliste algérien (19211956), instigateur de la célèbre offensive du 20 août 1955, sera le héros d’un film de Ken Loach. Le réalisateur britannique a choisi l’écrivain Rachid Boudjedra pour l’écriture du scénario.

RAMA YADE

V.FOURNIER/J.A.

L’ancienne secrétaire d’État aux Sports, qui a quitté le gouvernement lors du remaniement de novembre, a été nommée, le 22 décembre, ambassadrice déléguée permanente de la France auprès de l’Unesco.

HASSAN AOURID

L’ex-conseiller de M6 et ancien wali de Meknès a été limogé de son poste d’historiographe officiel du Maroc. Il est remplacé par Abdelhak Mrini (ex-directeur du protocole royal).

AIC PRESS

Encerclé avec ses hommes en Kabylie, le chef salafiste va-t-il encore en réchapper ?

ZIGHOUD YOUCEF

ABDELHAFID FEGHOULI

L’ancien PDG par intérim de Sonatrach a été arrêté. Il est soupçonné d’avoir abusivement attribué certains marchés du groupe pétrolier à Safir, une société d’ingénierie, en 2007 et 2008.

LOUAFI LARBI/REUTERS

PRÉPARÉE DANS LE PLUS GRAND SECRET, une vaste opération militaire se déroule en Kabylie depuis le 9 décembre. Dirigée par le général-major Habib Chentouf, elle mobilise plus de 4 000 hommes, dont des troupes d’élite, ainsi que des moyens aériens de surveillance et de combat. Chef de la Ire région militaire (Centre), Chentouf est l’un des plus jeunes généraux de l’armée algérienne – il s’est illustré dans la lutte antiterroriste, dans la région de Bouira. L’offensive, qui a lieu dans la forêt de Sidi Ali Bounab, un maquis accidenté entre les wilayas de Boumerdès, Tizi-Ouzou et Bouira, a nécessité le brouillage des réseaux téléphoniques cellulaires afin d’empêcher les terroristes d’actionner leurs bombes à distance. Elle a été déclenchée après que des informations ont fait état d’une réunion imminente des principaux chefs d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), dont l’émir national, Abdelmalek Droukdel, alias Abou Moussab Abdelwadoud, envisagerait de revoir l’organigramme et la stratégie. Quinze jours après le début de l’opération, aucun bilan n’est disponible. Certains assurent que Droukdel figure parmi la trentaine de terroristes abat tus. D’autres, qu’ils ont vu Ali Benhadj, un ancien du Front islamique du salut (FIS) faire le tour des morgues de Tizi-Ouzou à la recherche du cadavre de son fils, qui a rejoint les maquis en 2007. Interpellé, le 22 décembre, au Conseil de la nation (Sénat), Ahmed Ouyahia, le Premier ministre, a indiqué que « l’opération est en cours et que ses résultats seront communiqués en temps opportun par les services compétents ». Les populations locales confirment la violence des accrochages et l’intensité des bombardements, mais assurent qu’elles parviennent à vaquer à leurs occupations. « Nous sommes en pleine cueillette, raconte un exploitant d’oliveraies. Le bruit des hélicos, les explosions d’obus, on peut s’y faire, mais jamais je n’aurais cru que quinze jours sans téléphone portable seraient aussi éprouvants pour les nerfs. » L’opération, qui se poursuivait à l’heure où nous mettions sous presse, n’est pas une première. En 2001, l’opération Seif el-Hadjadj (du nom d’un grand chef militaire abbasside) avait mobilisé plus de 12 000 hommes dans une vingtaine de wilayas, de Relizane, dans l’ouest du pays, à Tébessa, proche de la frontière tunisienne. Et en avril 2007, l’opération En-Nasr (« la victoire ») avait déjà ciblé, en Kabylie, le QG de Droukdel. Le chef salafiste était passé entre les mailles du filet. Pourra-t-il rééditer cet exploit ? ■

WATBAN IBRAHIM HASSAN AL-TIKRITI

Devant la Haute Cour de justice, le demi-frère de Saddam Hussein a demandé pardon aux Irakiens pour les méfaits commis par le parti Baas. Ce sont les premières excuses d’un ancien dignitaire du régime.

MAMADOU TANDJA La Cour d’État du Niger a levé l’immunité du président déchu, ouvrant la voie à des poursuites judiciaires pour des malversations financières présumées.

CHARLES PLACIDE

Droukdel en ligne de mire

STR NEW/REUTERS

ALGÉRIE

CHERIF OUAZANI J EU N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7- 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C EM B R E 2 010 AU 8 J A N V I ER 2 011

EN BAISSE


Jafar Panahi chez lui, à Téhéran, le 25 mai.

IRAN Panahi hors champ DANS HORS JEU, son dernier film, Jafar Panahi racontait, à la manière d’un documentaire-fiction, les aventures tragicomiques d’une jeune fille de Téhéran passionnée de football. Afin de pénétrer dans le stade où l’équipe nationale tentait de se qualifier pour le Mondial – en Iran, seuls les hommes sont autorisés à assister aux matchs –, la supportrice se déguise en garçon. Vite démasquée, elle est enfermée,

référence, surtout depuis qu’Abbas Kiarostami – dont il fut l’assistant –, las des tracasseries du régime, a cessé de tourner dans son pays. PRÉTEXTES RIDICULES

Comme Panahi l’a dit non sans ironie à ses juges, ses récompenses dans les plus grands festivals internationaux occupent « un espace bien plus grand au musée du Cinéma de Téhéran que celui de [sa] cellule de prison ». Il ne faisait preuve d’aucune forfanterie. Caméra d’or (prix du premier film) à Cannes en 1995 pour Le Ballon blanc, il accède à la consécration à la Mostra de Venise où Le Cercle obtient le Lion d’or en 2000, puis à la Berlinale où Hors Jeu décroche l’Ours d’argent en 2006. Cette reconnaissance d’une filmographie qui met presque toujours en scène des fillettes ou des femmes luttant pour conquérir des espaces de liberté témoigne de la place éminente de Panahi dans le cinéma mondial. Sa lourde condamnation pour « participation à des rassemblements » et à des actions de « propagande contre le régime » – prétextes ridicules –

Le cinéaste est condamné à six ans de prison et vingt ans d’interdiction de tournage. ainsi que d’autres contrevenantes, dans une sorte de prison provisoire, sous les gradins, d’où elle essaie encore de suivre l’évolution de la partie. Condamné le 20 décembre, à l’issue d’un procès tenu secret, à six ans de prison et à vingt ans d’interdiction de tournage, Panahi dessine à travers son œuvre un portrait sans complaisance de la société iranienne contemporaine. C’est ce qui a fait sa réputation. Il est d’ailleurs devenu, depuis une quinzaine d’années, le cinéaste iranien de

équivaut à une mort professionnelle puisqu’elle s’applique à un réalisateur âgé de 50 ans. Même à supposer que Panahi – aujourd’hui en liberté provisoire après avoir interjeté appel – puisse quitter l’Iran, cette interdiction ne serait pas sans incidence pour un artiste dont l’œuvre est profondément enracinée dans la culture de son pays. Certes, les mollahs redoutent le regard que Panahi porte sur le régime, fût-ce au second degré puisque ses films ne sont jamais ouvertement politiques. Mais ce n’est pas seulement un metteur en scène de talent que les juges aux ordres de Téhéran ont décidé de réduire au silence. C’est l’ensemble du cinéma iranien. Autrefois tolérés sinon choyés par les dirigeants de la République islamique, qui entendaient profiter du succès du cinéma national pour soigner leur image à l’étranger, les réalisateurs iraniens dignes de ce nom avaient appris à ruser pour continuer à tourner. Quitte à ne montrer leurs films qu’en dehors de leur pays, où ils étaient en général, comme ceux de Panahi, interdits de diffusion. Cette tolérance a pris fin. C’est une très mauvaise nouvelle. Pour l’Iran, et pour le septième art. ■ RENAUD DE ROCHEBRUNE

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AP/SIPA

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FOCUS 31 L’actrice Julianne Moore en déesse Héra (photo de Karl Lagerfeld).

CALENDRIER PIRELLI

2011, année hératique

l’Antiquité grecque et romaine, des nymphes, déesses et héroïnes – et même, dirait-on, quelques héros – plus ou moins dénudé(e)s y défilent : Aurore, Athéna, Flore, Apollon… Il y a aus si, inc arnée par l’actrice américaine Julianne Moore, la terrible Héra, épouse de Zeus et reine de l’Olympe, qui passa sa vie éternelle à torturer les innombrables conquêtes de son divin mari, et qui, confrontée lors d’un concours de beauté à deux regrettables pimbêches, fut dédaignée par le président du jury, le Troyen Pâris. On sait ce qui en J.-M.A. résulta. ■ KARL LAGERFELD

LE GR AND COUTURIER Karl Lagerfeld s’affirme polythéiste. « Un dieu pour chaque rayon », dit-il. Face aux religions révélées, il rêve d’une mythologie « sans enfer, sans péché et sans pardon ». On pourrait discuter, mais qu’importe : le fruit de ses rêveries s’affiche sur les pages glacées du calendrier Pirelli, cet accessoire pour camionneur devenu, au fil des ans, une sorte d’objet culte pour happy few. À preuve, il ne s’achète pas. Confiée au créateur franco-allemand, l’édition 2011 – la trente-huitième – s’intitule donc Mythology. Surgi(e)s de

MARCHÉ DE LʼART Reine mère aux enchères qui vécut au Nigeria de 1891 à 1902 – il y fut vice-consul du protectorat d’Oil Rivers – et participa à l’expédition punitive des Britanniques contre Benin City en 1897, au lendemain de l’assassinat d’une délégation d’ambassadeurs. Sur internet, Kayode Ogundamisi, un blogueur nigérian, appelle à agir contre la vente de ce trésor volé au Nigeria pendant la période coloniale et demande l’intervention d’un avocat pour l’empêcher. Sotheby’s défend bien entendu l’option commerciale: « La maison reconnaît le problème posé par de tels objets, qui sont aujourd’hui la propriété légitime de particuliers et suscitent, pour des raisons historiques, de profondes émotions chez différentes nations et cultures. En accord avec notre client, nous avons décidé in fine que mettre ce masque sur le marché international de l’art via une vente aux enchères transparente et publique était une solution légitime et appropriée. » Affaire à suivre. ■

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NICOLAS MICHEL

Idia, première reine mère du royaume du Bénin (masque du XVIe siècle).

SOTHEBY’S

UN VISAGE DE FEMME EN IVOIRE, finement ciselé, qui doit sa patine couleur de miel à des années de lustrage à l’huile de palme. Le masque que Sotheby’s mettra aux enchères à Londres, le 17 février, représenterait Idia, la première reine mère – ou iyoba – du royaume du Bénin, au Nigeria. Il n’existe que quatre masques similaires représentant « la seule femme qui partit en guerre », exposés au Metropolitan Museum of Art de New York, au British Museum, au Seattle Art Museum et au LindenMuseum de Stuttgart. Datée du XVI e siècle, cette pièce, estimée entre 3,5 millions et 4,5 millions de livres (entre 4 et 5 millions d’euros), sera proposée à la vente avec d’autres objets de valeur : deux bracelets d’ivoire richement ornés, un bracelet de bronze sur lequel sont représentés des Portugais, une défense d’éléphant sculptée… Autant d’œuvres qui illustrent l’âge d’or du royaume du Bénin. Cette vente pose néanmoins problème. Le masque de la reine mère du peuple edo a été exposé deux fois à Londres, en 1947 et 1951. Il appartient aux héritiers de sir Henry Lionel Galway, un lieutenant-colonel


32 FOCUS

2011LʼAFRIQUE LʼAFRIQUE AUX Présidentielles, législatives, et même un référendum, au Sud-Soudan... Passage en revue de tous les scrutins quʼattend le continent.

FRANÇOIS SOUDAN

LUC GNAGO/REUTERS

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À Abidjan, le 31 octobre, lors du premier tour de l’élection présidentielle.

ix-huit élections présidentielles et un référendum historique : l’année 2011 sera pour le continent celle de toutes les tensions, de tous les espoirs et de toutes les dépenses. Présidentielles à risque dans des pays fragiles, en sortie de crise, où la violence fait encore partie de l’exercice démocratique – RD Congo, Zimbabwe, Centrafrique, Madagascar, Nigeria. Présidentielles ouvertes et concurrentielles aux résultats hasardeux – Bénin, Niger, Zambie, Liberia, Seychelles, São Tomé e Príncipe, Cap-Vert. Présidentielles sans grand suspense, là où l’alternance n’existe toujours qu’en théorie – Cameroun, Ouganda, Tchad, Égypte, Djibouti, Gambie. Consultation populaire enfin, sans doute la plus lourde de conséquences, car elle devrait déboucher sur la naissance d’un nouvel État : le 9 janvier, c’est un référendum d’autodétermination au Sud-Soudan qui inaugurera la longue valse des isoloirs. Sans préjuger du verdict des urnes, et si Dieu leur prête vie jusque-là, il y a fort à parier qu’un Hosni Moubarak (au pouvoir depuis vingt-neuf ans), un Paul Biya (vingt-huit ans), un Yoweri Museveni (vingt-cinq ans en janvier prochain) ou un Idriss Déby Itno (tout juste vingt ans) prolongeront un bail emphytéotique comme le fait désespérément un Robert Mugabe (trente ans!). Alors qu’un Joseph Kabila, un Boni Yayi, voire une Ellen Johnson-Sirleaf devront batailler ferme pour renouveler leur contrat à durée déterminée. Autant de rendez-vous auxquels Jeune Afrique répondra, en espérant qu’aucun d’entre eux ne reproduira le désastreux scénario ivoirien. ■

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URNES CENTRAFRIQUE « DALLAS » À BANGUI

SUD-SOUDAN SANS PRÉCÉDENT HISTORIQUE La guerre civile « la plus longue d’Afrique » (1956-1972, puis 1983-2005) doit connaître son épilogue le 9 janvier. Quelque 3 millions de SudSoudanais se prononceront sur leur indépendance, conformément à l’accord de paix signé en 2005 entre Khartoum et le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM). Le scrutin, qui devrait voir les sudistes voter massivement pour la sécession, est crucial pour l’avenir du Nord, qui vient d’annoncer qu’il établira la loi islamique – pomme de discorde historique avec les sudistes –, autant

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que pour le Sud, qui va devoir construire un État en ordre de marche. Si la manne pétrolière offre des marges de manœuvre, elle peut aussi se transformer en malédiction. Ce vote peut également avoir des répercussions sur tout le continent: pour la première fois depuis l’indépendance de l’Érythrée en 1993, l’intangibilité des frontières – principe central de l’Union africaine – sera remise en cause. Le vote de janvier pourrait donner de nouveaux arguments aux mouvements séparatistes en Afrique.

Janvier

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NIGER TRANSITION ACHEVÉE Après plusieurs mois de transition militaire, le Niger renoue avec la vie démocratique. Le 8 janvier devrait se tenir un scrutin municipal, suivi par le premier tour de la présidentielle cumulé aux législatives, le 31 janvier. Le second tour est prévu pour le 12 mars. Ces consultations vont provoquer un retour sur le devant de la scène de la classe politique, effacée depuis le putsch qui a renversé, le 18 février 2010, le président Mamadou Tandja. Dans la course, on devrait retrouver ceux qui animent la vie politique nigérienne depuis vingt ans : le socialiste Mahamadou Issoufou, le social-démocrate Mahamane Ousmane, ainsi que l’ancien Premier ministre Hama Amadou. Grande inconnue : qui sera la personnalité investie par le parti de Tandja, le MNSD, première force politique du pays ?

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À moins d’un report, une partie fratricide entre trois candidats – sur un total de six – dominera la présidentielle en Centrafrique, dont le premier tour est fixé au 23 janvier. Dans le trio, il y a bien sûr le chef de l’État sortant, François Bozizé, arrivé au pouvoir en 2003 puis élu en 2005. Face à lui, le leader de l’opposition, Martin Ziguélé, sous l’étiquette du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC). Un troisième poids lourd pourrait lui faire de l’ombre : l’ancien président Ange-Félix Patassé. Renversé par Bozizé en 2003, puis autorisé à rentrer de son exil togolais en 2009, il est aussi le fondateur du MLPC et l’ex-parrain de Ziguélé, qui fut son Premier ministre. Un scénario à la Dallas auquel participeront quelque 2 millions d’électeurs.

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OUGANDA UN DÉBAT « RELATIVEMENT » DÉMOCRATIQUE En 1996, Yoweri Museveni remportait l’élection présidentielle avec plus de 75 % des voix. En 2001, avec 69 %. Et en 2006, avec 59 %. Malgré l’usure de vingt-quatre années passées au pouvoir, l’opposition, en ordre dispersé, aura tout de même du mal à le déloger, le 18 février. Deux candidats peuvent néanmoins réaliser de bons scores: l’éternel Kizza Besigye de l’Inter-Party Cooperation (IPC) et Norbert Mao du Parti démocrate (DP). Pour l’heure, le pays vit un débat relativement démocratique.

CAP-VERT FIN DE PARTIE POUR PIRES Pedro Pires l’a juré : il tire sa révérence en 2011, au terme de son second mandat. Enjeu : y aura-t-il alternance ou pas ? L’actuel Premier ministre, José Maria Neves, pourrait défendre les couleurs du Parti africain pour l’indépendance du Cap-Vert. Mais Carlos Veiga, du Mouvement pour la démocratie, battu en 2001 et 2006, a peut-être là l’occasion de prendre sa revanche.

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34 FOCUS TCHAD DÉBY ITNO CONTRAINT AU SECOND TOUR ?

BÉNIN BONI YAYI JOUE LA MONTRE Des candidatures supposées mais non déclarées, un calendrier encore incertain et un fichier électoral toujours en cours d’élaboration… Les Béninois vont être soumis à rude épreuve à l’approche des élections présidentielle et législatives prévues en mars 2011. Sur les trois candidats « taille patron », seul l’opposant Adrien Houngbédji a pris les devants. Désigné par la coalition de l’opposition, l’Union fait la nation (Un), il a été investi à Cotonou le 18 décembre et commence à dérouler ses thèmes de campagne, dont un pilonnage en règle du bilan du président sortant, Boni Yayi. Depuis Lomé, Abdoulaye Bio-Tchané n’est pas officiellement en piste, mais l’actuel président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) entretient un faux suspense, le temps d’ajuster

son état-major et d’affiner sa stratégie pour ne pas être le « troisième homme » sorti des urnes. Priorité sera donnée au redressement économique et à la jeunesse. Quant au chef de l’État, sa volonté de rempiler est si évidente qu’elle l’exonère de toute précipitation. À défaut d’une majorité stable à l’Assemblée nationale, le gouvernement – avec des ministres chargés de porter la bonne parole dans leur fief – travaille pour lui. Le temps aussi. Affaibli par le scandale financier des ICC dans lequel des milliers d’épargnants ont perdu leurs économies et en difficulté sur la Liste électorale permanente informatisée (Lépi), en cours d’élaboration mais dénoncée par l’opposition, Boni Yayi préfère sans doute attendre un ciel plus clément. De quoi envisager un report des scrutins ?

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Du bon déroulement des élections présidentielle, législatives et locales en 2011 dépendent, d’une certaine manière, la normalisation de la vie politique et une avancée de la démocratie. L’opposition a toujours contesté les résultats sortis des urnes, quand elle n’a pas boycotté certaines consultations. Les scrutins de 2011 se dérouleront dans un autre esprit: celui du consensus issu de l’« Accord politique en vue du renforcement du processus démocratique au Tchad », signé en 2007. Toutes les parties ont ensuite collaboré à la mise en place d’une Commission électorale nationale indépendante paritaire. L’enjeu principal des élections sera la redistribution des cartes. L’opposition espère gagner plusieurs sièges à l’Assemblée nationale et s’imposer au niveau local. Quant à la présidentielle (premier tour le 3 avril), il sera intéressant de voir si Idriss Déby Itno, qui sera – sans aucun doute – le candidat de la majorité, peut être contraint à un second tour, comme en 1996.

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AFOLABI SOTUNDE/REUTERS

NIGERIA UN MARATHON ÉLECTORAL Sauf surprise, c’est le sudiste Goodluck Jonathan, le président sortant, qui devrait remporter les primaires du 13 janvier 2011 au sein du Parti démocratique populaire (PDP), prélude au marathon électoral destiné à renouveler le personnel politique du pays: députés (2 avril), président (9 avril), gouverneurs d’État (16 avril). Vingt des vingt-sept gouverneurs membres du PDP se sont prononcés en faveur de Jonathan, au détriment du nordiste Atiku Abubakar. Sur son chemin l’attendent désormais deux adversaires de poids: l’ex-président de l’Agence fédérale de lutte contre la corruption, Nuhu Ribadu (Action Congress, AC) et Muhammadu Buhari (Congrès pour le changement démocratique, CPC). Tentés par une alliance, ils mettent l’accent sur le déficit énergétique, le chômage, la pauvreté… Sans oublier la violence dans le sud du pays. Jonathan est vivement critiqué pour sa gestion des attaques menées par des groupes armés dans le Delta du Niger (plus de cinLa campagne a déjà commencé pour le président Goodluck Jonathan. quante au cours du troisième trimestre 2010).


2011, L’AFRIQUE AUX URNES 35

L’élection présidentielle, en décembre 2006, avait porté au pouvoir Marc Ravalomanana.

RADU SIGHETI/REUTERS

MADAGASCAR ET SI JAMAIS ELLE FINISSAIT PAR SE TENIR ? Attendue depuis la prise du pouvoir par Andry Rajoelina en mars 2009, l’élection présidentielle, présentée comme la dernière étape pour en finir avec la transition, est annoncée pour mai ou juin 2011 – après des législatives en mars. Cette date, inscrite dans l’accord politique du 11 août 2010 signé par une centaine de partis, serat-elle une nouvelle fois repoussée ? Rajoelina, renforcé par sa victoire lors du référendum du 17 novembre et engagé dans une voie « malgacho-malgache », semble décidé à ne plus perdre de temps. S’il est candidat comme il paraît en avoir pris le chemin, il a de fortes chances de l’emporter, mais la communauté internationale ne reconnaîtrait pas l’élection, et l’opposition, aujourd’hui décapitée, pourrait retrouver le chemin de la rue. Les outsiders – la plupart sont des quinquagénaires qui ont fait leurs armes auprès des anciens présidents – ne manquent pas. À l’inverse, Marc Ravalomanana, exilé en Afrique du Sud, et Didier Ratsiraka, toujours à Paris, semblent hors jeu.

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DJIBOUTI TROISIÈME MANDAT POUR GUELLEH Une année après la révision de la Constitution, en avril 2010, par le Parlement, supprimant l’article limitant à deux le nombre de mandats présidentiels, plus rien ne s’oppose à une reconduction du président Ismaïl Omar Guelleh, lors du scrutin prévu le 8 avril. Déjà absente des institutions élues (Parlement et municipalités), l’opposition ne semble pas en mesure de présenter une candidature crédible pouvant empêcher un tel scénario.

SEYCHELLES MICHEL MALGRÉ LA CRISE Élu en 2006 dès le premier tour avec 53,7 % des suffrages, James Michel (66 ans) devrait briguer un deuxième mandat de cinq ans. Malgré les nombreuses réformes économiques engagées ces deux dernières années en réponse à la déroute financière de 2008, qui n’ont pas provoqué de grand mou-

vement de contestation, le leader du Lepep (ex-SPPF), le parti au pouvoir depuis trois décennies, part favori face à son principal opposant, Wavel Ramkalawan (49 ans), du Parti national des Seychelles (SNP). Le gouvernement a jusqu’au mois de juillet 2011 pour organiser le scrutin.

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SÃO TOMÉ E PRÍNCIPE SITUATION SOCIALE DÉGRADÉE Au pouvoir depuis 2001, Fradique de Menezes a eu maille à partir avec les Premiers ministres qui se sont succédé à la tête de gouvernements fragiles. Modèle de démocratie, son archipel ne sera pas à l’abri d’éventuels débordements lors du scrutin de juillet, qui se tiendra sur fond de situation sociale dégradée. Il faudra compter sur Patrice Trovoada (opposition), qui, fort de la victoire de l’Action démocratique indépendante aux dernières élections législatives, a été désigné Premier ministre le 13 août.


36 FOCUS

L’élection prévue en septembre 2011 ne sera pas une démonstration de démocratie. Le président sortant, 82 ans, n’a pas encore déclaré s’il se présenterait pour un sixième mandat. Au pouvoir depuis vingt-neuf ans, le raïs est très affaibli physiquement et pourrait laisser son fils Gamal ou son bras droit, le général Omar Souleimane, représenter le parti. En face, les opposants n’ont guère de chances… de pouvoir même candidater. Depuis 2007, tout concurrent doit être Si le père venait à faire défaut, le fils est prêt avec ses partisans (Le Caire, août 2010). cadre d’un parti existant depuis cinq ans (ce qui exclut à première GAMBIE L’ÉNIGME YAHYA vue Mohamed el-Baradei, sans étiquette), avoir au moins un élu au Parlement (élimination des canIl semblait plus que jamais décidé à rester. Pourtant, la didats du parti libéral laïc Wafd, qui a boycotté les presse a annoncé que Yahya Jammeh se retirait de la législatives de novembre), ou recueillir 250 signacourse à la présidentielle de septembre. L’homme est tures d’élus (mission impossible pour les Frères suffisamment versatile et imprévisible pour se présenmusulmans, officiellement interdits). Une fois ces ter tout de même face à l’opposition réunie derrière le obstacles levés, il faudra probablement compter Parti démocratique unifié et dont les chances de sucaussi sur quelques arrangements avec les urnes… cès sont quasi inexistantes.

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CAMEROUN PAUL, JOHN ET LES AUTRES La présidentielle d’octobre se prépare sans effervescence particulière. En faisant modifier la Constitution pour pouvoir briguer un troisième mandat, le président, Paul Biya, 77 ans, dont vingt-sept au pouvoir, a désamorcé l’inéluctable crise de succession qui minait le fonctionnement de l’État. Ce faisant, il a tué le suspense d’une élection qui aurait donné au Cameroun son troisième chef d’État. Cependant, si des « motions de soutien » le pressent de faire acte de candidature, Biya préfère attendre. Paul Ayah Abine, le député anglophone de la Manyu (Sud-Ouest), qui s’était déjà opposé à la modification constitutionnelle, s’est déclaré candidat à l’investiture du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir, dont Paul Biya est pourtant le candidat « naturel ».

AHMED SAYED/EPA/MAXPPP

ÉGYPTE MOUBARAK OU… MOUBARAK ?

L’initiative de cet ancien magistrat isolé dans son propre camp n’a eu que peu d’écho au sein de la machine à gagner entièrement dévouée à son fondateur. Par ailleurs, aucun parti ne semble en position de l’emporter face à l’ultradominant RDPC. Les leaders des formations créées dans l’euphorie du retour au multipartisme des années 1990 n’occupent plus le terrain. L’opposant John Fru Ndi est bien candidat à la candidature du Social Democratic Front (SDF), mais n’exclut pas de boycotter le scrutin en l’absence de garantie de transparence. Les autres sont usés ou repliés sur leurs régions d’origine. Les seules nouveautés de la campagne électorale seront les candidats tels que Christopher Fomunyoh, issu de la diaspora ou Kah Walla, une jeune dissidente du SDF…

ZAMBIE LÉGITIMITÉ EN QUESTION Les Zambiens iront bien aux urnes en octobre 2011 pour des élections générales, mais à une date encore inconnue. Dans ce scrutin présidentiel sans grand enjeu, le défi consistera, pour le sortant, Rupiah Banda, à asseoir sa légitimité. Il avait succédé en 2008 au président défunt, Levy Mwanawasa, après des élections contestées.

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2011, L’AFRIQUE AUX URNES 37

RD CONGO L’HEURE DE VÉRITÉ POUR KABILA En novembre 2011, Joseph Kabila a rendez-vous avec le peuple. Les Congolais l’ont élu il y a cinq ans pour qu’il ramène la paix dans l’est du pays et reconstruise une économie en morceaux. Ni l’une ni l’autre des promesses n’ont été tenues. Les groupes armés font toujours la loi dans la Province orientale et dans les deux Kivus. Là, et partout ailleurs, le niveau de vie stagne. Les électeurs – 25,6 millions d’inscrits en 2006 – sanctionneront-ils celui qui fut longtemps le plus jeune chef d’État au monde ? Quelques poids lourds rêvent de son fauteuil. Certains ont déjà annoncé leur candidature : Vital Kamerhe, l’ex-président de l’Assemblée

nationale et laboureur de Kabila dans l’Est pendant la campagne de 2006 ; Étienne Tshisekedi, auréolé de son passé d’opposant à Mobutu, qui, à 78 ans, voit là peut-être sa dernière chance d’être président. Une inconnue demeure du côté du Mouvement de libération du Congo (MLC). En 2006, son « chairman » JeanPierre Bemba avait affronté Joseph Kabila au second tour. Aujourd’hui, il comparaît devant la Cour pénale internationale. François Muamba, le numéro deux du parti, le remplacera-t-il ? Rien n’est encore sûr. Une autre incertitude plane quant à la candidature de Kengo Wa Dondo, actuel président du

Sénat et Premier ministre sous Mobutu. La transparence du scrutin permettrait de sauver une greffe de démocratie que la communauté internationale a tentée il y a cinq ans en finançant le processus électoral à hauteur de 500 millions de dollars (417 millions d’euros). Elle limiterait aussi les contestations, propres à faire exploser le pays et à générer des troubles chez l’un de ses neufs voisins. Mais, déjà, majorité et opposition s’affrontent autour de la composition de la Commission électorale nationale indépendante…

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LIBERIA REMAKE Malgré sa promesse de ne pas se représenter, Ellen Johnson-Sirleaf, 72 ans, sera de la partie, en octobre. Tout comme son rival malheureux de 2005, l’ex-vedette de football George Weah, probable candidat unique de l’alliance entre le Congrès pour le changement démocratique (CDC) et le Parti de la liberté (LP), de Charles Brumskine. Ils seront aussi opposés à un ancien seigneur de guerre, Prince Johnson.

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GABON LE TOURNANT DES LÉGISLATIVES Le septennat d’Ali Bongo Ondimba se jouera, entre autres, fin 2011, selon que les résultats du Parti démocratique gabonais (PDG) lui auront fait conserver sa majorité absolue à l’Assemblée nationale. Sur les 120 députés, les partis formant cette majorité sortante comptent 97 élus, dont 81 pour le seul PDG. Le camp présidentiel peut-il rééditer

pareille performance ? L’opposition, elle, jure de l’emporter. L’Union nationale a constitué une coalition qui prévoit de présenter des candidats dans toutes les circonscriptions, à moins qu’un accord avec l’Alliance pour le changement et la restauration (ACR), l’autre coalition, formée par Pierre Mamboundou, ne conduise à un partage du territoire.

ZIMBABWE BIS REPETITA Quatre-vingt-six ans, dont trente au pouvoir, n’ont pas éteint les ardeurs de Robert Mugabe. Très mal réélu en 2008, il fut contraint de former un gouvernement d’union nationale avec son adversaire du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), Morgan Tsvangirai, qui avait boycotté le second tour après avoir remporté le premier. Las de partager le pouvoir, Mugabe exige aujourd’hui une présidentielle pour 2011.

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Dossier réalisé par RÉMI CARAYOL, CONSTANCE DESLOIRE, GEORGES DOUGUELI, CLARISSE JUOMPAN-YAKAM, TSHITENGE LUBABU M.K., MARIANNE MEUNIER, NICOLAS MICHEL, CHERIF OUAZANI, PHILIPPE PERDRIX ET JUSTINE SPIEGEL


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I

«

nfluence : n.f. Action quʼune personne exerce sur une autre, autorité, capacité à modifier un comportement, faire impression. » En choisissant cette année, pour notre traditionnel palmarès du numéro double de fin décembre, de mettre en avant ce critère immatériel, nous nʼignorions pas que nos classements seraient inévitablement critiquables. Quelle que soit la précision des caractères fondant notre jugement ‒ notoriété, aptitude à peser sur le jeu diplomatique, poids économique, rayonnement moral ou culturel ‒, il va de soi que lʼexercice a quelque chose de subjectif et quʼil sera loisible à chacun de le contester. Il nʼempêche : à bien y regarder, ces cinquante-là influent incontestablement et de façon déterminante sur la marche du continent (cʼest-à-dire en dehors des frontières de leur pays dʼorigine), soit en se servant de leur position de pouvoir et de leur puissance comme dʼun tremplin pour concrétiser leurs ambitions, soit en pesant de par leur envergure financière ou intellectuelle sur les choix des marchés et ceux de lʼopinion publique. Précision indispensable : ces classements, en particulier celui qui prétend mesurer lʼinfluence des hommes de pouvoir, nʼont rien de qualitatif. Pas plus en tout cas que ceux établis au niveau mondial par certains de nos confrères anglo-saxons, qui depuis dix ans placent Oussama Ben Laden parmi les personnalités les plus influentes de la planète. Lʼauraient-ils été que Nelson Mandela, icône intouchable hélas réduite au silence par lʼâge et la maladie, les survolerait tous. Madiba ne figure donc pas dans ce palmarès. Cela fait longtemps quʼil est hors concours... ■

S E T N E U L

FRANÇOIS SOUDAN

Dossier réalisé par LʼENSEMBLE DE LA RÉDACTION

Nous avons établi ce classement selon les quatre critères ci-dessous, que remplissent à des degrés divers les 50 personnalités que nous avons sélectionnées.

NOTORIÉTÉ

RÔLE DIPLOMATIQUE OU CAPACITÉ DE NUISANCE

PUISSANCE ÉCONOMIQUE

LEADER D’OPINION


40 EN COUVERTURE

POLITIQUE Mouammar Kaddafi

FILIPPO MONTEFORTE/REUTERS

LIBYE

QUI PAIE COMMANDE. Si cet adage assez peu moral est l’un des fondements de la realpolitik, il est difficile de refuser quoi que ce soit à ce colonel de 68 ans, « Guide » à vie d’un pays qui détient les plus importantes réserves pétrolières du continent et doyen des chefs d’État d’Afrique. En privé, ses pairs ne cachent pas l’agacement que leur inspire cet homme erratique et insaisissable. En public, la plupart le couvrent d’éloges et se rendent à Tripoli à la première convocation. Si Kaddafi ne fait plus peur, son arme de séduction massive – l’argent – reste intacte. Économiquement présente, via la pieuvre LAP (Libya Africa Portfolio), dans une quarantaine de pays africains, courtisée par les Européens, eldorado cruel pour des dizaines de milliers de Maghrébins et de Subsahariens, la Libye se conjugue en milliards de dollars. Or la Libye, c’est lui. S’il est sans doute le seul à pouvoir encore déplacer les foules à chacun de ses voyages sur le continent, ce n’est plus pour la teneur de son « message » aussi usé qu’un disque rayé, mais parce que sa caravane dégage toujours le même parfum de pétrodinars. Peu importe le flacon, pense Kaddafi, pourvu que demeure l’ivresse d’être populaire. Qui dit mieux ? ■

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MIKE HUTCHINGS/REUTERS

LES 50 LES PLUS INFLUENTS 41

AFRIQUE DU SUD

Il a beau être plus discret que son prédécesseur, Thabo Mbeki, sur la scène internationale, celui qui dirige la première économie du continent reste un poids lourd africain. Zuma s’intéresse davantage à son pays qu’aux crises qui secouent le continent, mais il continue de peser au sein de l’Union africaine et d’appuyer la candidature de son pays au Conseil de sécurité de l’ONU. De quoi laisser l’Afrique du Sud très largement en tête du peloton. ■

Abdelaziz Bouteflika ALGÉRIE

Bientôt douze ans passés à la tête de l’Algérie : Abdelaziz Bouteflika est aujourd’hui le président le plus puissant de l’histoire de son pays, après Houari Boumédiène. Un pays qui compte sur la scène mondiale, grâce à l’entregent de « Boutef », mais aussi grâce à ses hydrocarbures : quatrième puissance économique du continent, cinquième producteur mondial de gaz naturel et des réserves en devises s’élevant à près de 150 milliards de dollars (110 milliards d’euros)… Le patron connaît personnellement nombre de chefs d’État et intervient sur des dossiers aussi divers et sensibles que le nucléaire iranien, Al-Qaïda ou la Palestine. ■

LUDOVIC/AFP

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Mohammed VI MAROC

Handicapé, sur le plan diplomatique, par son absence au sein de l’Union africaine, le roi compense par une politique très volontariste de coopération économique et humanitaire en direction de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale. Il y a effectué plusieurs voyages, alors que son père, Hassan II, n’y avait jamais mis les pieds. Son prestige de monarque éclairé et les multiples atouts du Maroc font le reste. ■

Blaise Compaoré BURKINA FASO

Togo, Guinée, Côte d’Ivoire, otages d’Aqmi, pour les médiations actuelles ou récentes ; Mauritanie, Liberia, Sierra Leone ou Angola, pour son passé présumé de déstabilisateur : le chef de l’État burkinabè, désormais doyen des chefs d’État d’Afrique de l’Ouest, est incontournable et son influence déborde largement au-delà de ses frontières. Craint et respecté par ses pairs, réélu le 21 novembre dernier pour un – a priori – dernier mandat, il se consacre de plus en plus aux affaires de l’Afrique. ■ NOTORIÉTÉ

RÔLE DIPLOMATIQUE OU CAPACITÉ DE NUISANCE

CHRISTIAN CHARISIUS/REUTERS

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MOHAMED MESSARA/EPA/MAXPPP

3

2

Jacob Zuma

PUISSANCE ÉCONOMIQUE

LEADER D’OPINION


42 EN COUVERTURE

6

Abdelmalek Droukdel

AMR DALSH/REUTERS

7

Hosni Moubarak ÉGYPTE

Au pouvoir depuis 1981, Moubarak, 82 ans, est à la manœuvre sur de très nombreux dossiers internationaux. Pivot entre l’Afrique et le Moyen-Orient, son pays est à la fois hôte de la Ligue arabe, facilitateur majeur des négociations israélopalestiniennes et maître des eaux du Nil en Afrique de l’Est. S’il est réélu pour un sixième mandat en 2011, cet ancien militaire devra cependant utiliser tous ses réseaux pour enrayer la perte d’influence diplomatique du Caire. ■

Abdoulaye Wade SÉNÉGAL

V.F OURNIER

/J. A.

L’élection présidentielle en Guinée, la crise ivoirienne et même la libération de l’otage française en Iran, Clotilde Reiss… Le président sénégalais adore se sentir utile, préférant nettement la publicité à la discrétion sur ses nombreuses initiatives. Il reçoit, conseille et voyage sans compter. Et n’hésite pas à taper du poing sur la table lorsqu’il s’agit d’obtenir des postes au sein des instances régionales. ■

10

José Eduardo Dos Santos ANGOLA

Le président angolais fait figure de « patron » à l’échelle du continent, lui qui dirige la troisième puissance pétrolière africaine. Chinois, Américains, Français… font le plein de brut chez lui. Et José Eduardo Dos Santos sait rendre des services à certains de ses pairs. Kabila père et fils n’ont pas eu à s’en plaindre. Depuis Abidjan, Laurent Gbagbo a pu également compter sur le soutien de Luanda. ■

RONALD DE HOMMEL 2010/BABEL

9

8

Paul Kagamé RWANDA

Petit pays, mais vraie success-story économique. Petit pays, mais interlocuteur incontournable dans la région ultrasensible des Grands Lacs. Petit pays, mais immense traumatisme au retentissement planétaire. Qu’on l’admire ou qu’on le déteste, le président rwandais reste une star… ■ J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11

REUTERS

Improbable association de fanatiques religieux et de trafiquants sans frontières, la nébuleuse terroriste qu’il dirige a accru sa capacité de nuisance en 2010. Multipliant les enlèvements et les attentats dans la zone sahélo-saharienne, elle a fait fuir les touristes et augmenter les dépenses de sécurité des entreprises. Mais, surtout, elle a accaparé les armées nationales et les a obligées à coopérer. Adoubé par Ben Laden sur Al-Jazira en octobre dernier, Droukdel s’en trouve conforté pour 2011. ■

AFP

ALGÉRIE, Émir d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi)


Mélès Zenawi

11

JAMES AKENA/REUTERS

IRADA HUMBATOVA/REUTERS

LES 50 LES PLUS INFLUENTS 43

ÉTHIOPIE

12

JASON REED/REUTERS

Denis Sassou Nguesso CONGO-BRAZZAVILLE

Depuis la mort d’Omar Bongo Ondimba, le président congolais a repris le bâton de médiateur régional (en Centrafrique notamment). Et l’on vient volontiers à Brazzaville écouter les conseils d’un sage qui n’est pas dépourvu de moyens. ■

Teodoro Obiang Nguema

À la tête du pays le plus riche d’Afrique centrale, le chef de l’État équatoguinéen fait désormais entendre sa voix. À la Beac par exemple, où il dicte sa loi. ■ RÔLE DIPLOMATIQUE OU CAPACITÉ DE NUISANCE

CHRISTOPHER HERWIG/REUTERS

15

GUINÉE ÉQUATORIALE

NOTORIÉTÉ

OUGANDA

Il est président depuis vingt-quatre ans. Pour durer aussi longtemps, il a fallu faire sauter le verrou de la limitation des mandats et autoriser le multipartisme… La relative réussite économique et le souvenir des années Amin Dada-Milton Obote ont fait le reste : Museveni demeure un allié de poids des Américains. 2011 sera l’année d’un défi, à savoir remporter une nouvelle élection présidentielle. Mais, comme on l’a vu, il maîtrise le sujet. Et les Occidentaux apprécient les pays stables, dans cette région troublée des Grands Lacs… ■

13 14

Yoweri Museveni

VINCENT FOURNIER/J.A.

En 2011, il fêtera ses vingt ans à la tête du pays. L’esprit tranquille : 2010 a été pour lui une excellente année. En mai, aux législatives, son parti a balayé une opposition habilement muselée. Le Premier ministre s’est donc permis, quelques mois plus tard, de céder aux demandes de ses alliés – au premier rang desquels les États-Unis, qui voient en lui le garant de la stabilité dans la Corne de l’Afrique. Il a permis la libération de sa principale opposante, Birtukan Mideksa, emprisonnée depuis 2008. Face à l’Érythrée et au chaos somalien, les Occidentaux ont besoin d’un ami bien intentionné. ■

Ellen JohnsonSirleaf LIBERIA

La seule femme chef d’État du continent, aux commandes d’un petit pays qui se reconstruit doucement mais sûrement, inspire le respect de ses pairs et des institutions internationales. ■ PUISSANCE ÉCONOMIQUE

LEADER D’OPINION


16

Salva Kiir

SUD-SOUDAN

MOHAMED NURELDIN ABDALLAH/REUTERS

Peut-être le 9 janvier prochain. Ou bien après cette date, si le référendum d’autodétermination venait à être reporté… Quoi qu’il en soit, Salva Kiir est appelé à devenir le 54e chef d’État africain. L’ancien guérillero – qui a déjà ses entrées à Washington – pourra alors gérer à sa guise un joli pactole : 80 % de la production pétrolière soudanaise se fait dans le Sud. ■

17

AFOLABI SOTUNDE/REUTERS

44 EN COUVERTURE

Goodluck Jonathan NIGERIA

19

On retrouve le président de la Commission de l’Union africaine au cœur de toutes les médiations. Formé à l’école Omar Bongo de la résolution des conflits, il imprime sa marque et son style policé depuis deux ans à la tête de l’organisation. Marié à une ItaloIvoirienne, ce métis de père chinois est naturellement ouvert sur le monde et est parfois considéré comme un trait d’union entre l’empire du Milieu – de plus en plus influent en Afrique – et ses partenaires du continent. ■

Garaad Mohammed SOMALIE, Pirate

REUTERS TV/REUTERS

La capacité de nuisance internationale de ce pirate somalien grimpe en flèche : il a affirmé avoir déjà lui-même pris part à dix attaques. « Nous sommes là pour faire des affaires juteuses », a déclaré l’ancien seigneur de guerre au quotidien maritime britannique Lloyd’s, qui en a fait le quatrième des 100 acteurs les plus importants du transport maritime mondial. En 2010, malgré les patrouilles navales internationales Atalante, la moitié des attaques dans le monde ont eu lieu au large de la Somalie. ■

20

Henry Okah

NIGERIA Leader présumé du Mouvement d’émancipation du Delta du Niger (Mend)

Il s’en défend mais, en Afrique du Sud, où il réside et est désormais détenu, la justice le considère comme le leader du Mend. Depuis son apparition en 2006, ce mouvement qui sévit dans le sud pétrolier du Nigeria a fait baisser la production de 2,5 millions à 1,8 million de barils par jour. Ses méthodes – sabotages, enlèvements – ont évolué en 2010. En octobre, le Mend a revendiqué un attentat qui a fait douze morts à Abuja. Le futur président nigérian devra composer avec cette force nuisible à l’image du pays. ■ J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11

AP/SIPA

GABON

VINCENT FOURNIER/J.A.

18

Jean Ping

En 2010, ce zoologue discret est devenu le président de l’un des pays les plus puissants du continent. Numéro deux d’Umaru Yar’Adua, il lui a succédé à sa mort, en mai. Restera-t-il aux commandes du premier producteur de pétrole subsaharien ? Les élections sont prévues en avril. Pour s’y présenter, Jonathan devra recevoir l’investiture du parti au pouvoir. Il la disputera à un autre animal politique : Atiku Abubakar. En attendant, il est en première ligne pour tenter de résoudre la crise ivoirienne. ■


LES 50 LES PLUS INFLUENTS 45

BUSINESS Donald Kaberuka

RWANDA

VINCENT FOURNIER/J.A.

Banque africaine de développement (BAD)

NOTORIÉTÉ

RÔLE DIPLOMATIQUE

PUISSANCE ÉCONOMIQUE

APRÈS KABERUKA? Kaberuka, tout simplement. À 59 ans, l’ancien ministre rwandais des Finances est parvenu sans grande difficulté, en mai, grâce à son bilan et faute de concurrents sérieux, à décrocher un second mandat de cinq ans – le dernier – à la tête de la Banque africaine de développement (BAD). À son actif, sa réactivité face à la crise, qui a permis de mobiliser rapidement 9 milliards de dollars de dons pour la période 2008-2010. « Je prends l’engagement de continuer, avec mon équipe, à bâtir au quotidien une organisation de stature internationale », a-t-il martelé lors de sa prise de fonctions pour son second mandat, le 1er septembre. Mais c’est dès 2009 que Donald Kaberuka est devenu le plus grand argentier d’Afrique. Avec 12,6 milliards de dollars de prêts et de dons accordés par la BAD en 2009, soit une hausse de 129 % par rapport à 2008, la banque de développement panafricaine a pour la première fois débloqué davantage de crédits que la Banque mondiale en Afrique, devenant ainsi le premier bailleur de fonds du continent. Kaberuka entretient des relations privilégiées et régulières avec la communauté des bailleurs : soit les plus grands pays de la planète. ■

LEADER D’OPINION


ALADIN ABDEL NABY/REUTERS

Première femme ministre des Finances du Nigeria, première Africaine à la direction générale de la Banque mondiale (BM), Ngozi OkonjoIweala sera-t-elle la première femme à diriger l’institution, dont la présidence sera renouvelée en 2012? Discrète, mais très directe, elle est, à 56 ans, l’une des Africaines les plus influentes au monde. Diplômée de Harvard, elle a travaillé à la Banque de 1982 à 2003, pour y revenir par la grande porte en 2007, après quelques années passées à la tête des finances de son pays. ■

3

Phuthuma Nhleko

AFRIQUE DU SUD MTN

Le patron de MTN depuis 2002 symbolise en Afrique à la fois l’extraordinaire révolution du mobile et l’une des plus belles réussites capitalistiques africaines de la décennie. Sous ses ordres, le groupe sud-africain s’est implanté dans 21 pays, où il est souvent l’un des plus gros contributeurs fiscaux, et a conquis 135 millions d’abonnés. Mais fin mars, c’est sur un échec que Phuthuma quittera son poste (il sera remplacé par Sifiso Dabengwa) : ne pas avoir mené à bien le rapprochement de sa compagnie avec un autre géant des télécoms. L’homme garde néanmoins le sourire. En novembre, la vente de ses actions MTN lui a rapporté 46 millions d’euros. ■

5

Mustapha Terrab MAROC Office chérifien des phosphates (OCP)

VINCENT FOURNIER/J.A.

Parce que l’OCP est au Maroc ce que Sonatrach est à l’Algérie, difficile de ne pas voir en son directeur général, Mustapha Terrab, l’un des hommes les plus influents du Maroc, et d’Afrique. L’homme de 55 ans, originaire de Fès, a été nommé en février 2006 par le roi Mohammed VI. Proche de ce dernier, il est un peu le prolongement des ambitions de M6, notamment à travers la promotion du retour de la matière grise marocaine au pays. Lui-même a passé une partie de sa vie aux États-Unis. ■

6

Noureddine Cherouati

4

ALGÉRIE Sonatrach

Le PDG du groupe pétrolier public, 62 ans, désigné en mai dernier, est un « fils de Sonatrach », entreprise qu’il a rejointe en 1971 à l’issue de sa formation à Polytech d’Alger. Sa mission : réhabiliter le groupe, écorné par un scandale financier qui a emporté son prédécesseur, Mohamed Meziane, et relancer la machine du premier groupe africain (classement J.A.) et quatrième exportateur mondial de gaz. ■

Nassef Sawiris ÉGYPTE Orascom

D’après le magazine Forbes, il est l’homme le plus riche d’Afrique (4,5 milliards d’euros dans son escarcelle). Longtemps mis sous la tutelle de son père Onsi, le plus jeune des trois frères de la famille copte Sawiris a repris cette année la présidence d’Orascom Construction Industries, la branche BTP du groupe. Ses affaires prospèrent en Égypte (il est membre du parti au pouvoir) et dans le Golfe, grâce à des associations fructueuses avec des multinationales européennes. ■

J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11

URS FLUEELER/KEYSTONE/MAXPPP

NIGERIA Directrice générale de la Banque mondiale

2 NICKY LOH/REUTERS

Ngozi Okonjo-Iweala

LOUIZA AMMI

46 EN COUVERTURE


LES 50 LES PLUS INFLUENTS 47

VINCENT FOURNIER/J.A.

NIGERIA Ecobank

Certes, le groupe bancaire Ecobank n’est pas le plus puissant du continent. Mais il est implanté dans 29 pays. Et il est bien rare, en Afrique, de pouvoir ouvrir une banque sans défendre le projet devant le chef de l’État ou, tout du moins, le ministre de l’Économie et des Finances. De ce fait, Arnold Ekpe, qui construit pas à pas une véritable banque panafricaine, s’est constitué un solide réseau. ■

9

8

NIGERIA Première fortune ouest-africaine

Le magnat de Lagos (dont la fortune est estimée à 1,6 milliard d’euros) reste un pilier des affaires nigérianes. Ses quinze sociétés dominent le BTP et l’agroalimentaire ; il a des filiales au Sénégal, au Ghana, au Bénin et au Togo. Celui qui est surnommé par ses détracteurs l’Al Capone africain – pour son habileté à créer des quasi-monopoles – était très écouté par les anciens présidents Obasanjo et Yar’Adua. Il est moins introduit chez Goodluck Jonathan, mais saura rebondir. Son dernier coup : l’introduction en Bourse de Dangote Cement, qui a dopé de 30 % la capitalisation à Lagos au mois d’août. ■

10

D.R.

RÔLE DIPLOMATIQUE

MAROC Attijariwafa Bank

Sa retenue n’a d’égale que sa détermination à propulser la première banque marocaine (et maghrébine) au rang de groupe de dimension mondiale. En 2009, le groupe a réalisé un total de bilan de 290 milliards de dirhams (26 milliards d’euros) et un produit net bancaire de 13,3 milliards de dirhams. Il a racheté quatre filiales du Crédit agricole en Afrique de l’Ouest, pour devenir le premier groupe de la région. Et ne devrait pas s’arrêter là. ■

Aliko Dangote

NOTORIÉTÉ

Mohamed el-Kettani

Jean-Louis Billon CÔTE D’IVOIRE Sifca

Il est beaucoup plus que le patron du premier groupe privé ivoirien, Sifca. En partenariat avec le géant asiatique Olam, il est devenu le poids lourd de l’agro-industrie en Afrique de l’Ouest. Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire (CCICI), il enrichit son réseau à l’international. Et la crise actuelle dans son pays confirme sa force de frappe. Après son appel en faveur d’une suspension du paiement des impôts, le clan Gbagbo l’a interdit de sortie du territoire. ■ PUISSANCE ÉCONOMIQUE

LEADER D’OPINION

VINCENT FOURNIER/J.A.

Arnold Ekpe

CÉCILE TREAL & JEAN-MICHEL RUIZ

7


48 EN COUVERTURE

SOCIÉTÉ CIVILE

Mo Ibrahim

SUZANNE PLUNKETT/REUTERS

SOUDAN

Président de la Fondation Mo Ibrahim LORSQU’IL A EMPOCHÉ, en 2005, la bagatelle de 462 millions d’euros en vendant son groupe de téléphonie, Celtel, Mo Ibrahim aurait pu faire le choix d’une retraite dorée dans un paradis balnéaire et fiscal! Mais ce Britannique d’origine soudanaise a préféré réinvestir cet argent sur le continent en créant sa fondation. Objectif: promouvoir la bonne gouvernance, encourager l’émergence d’un leadership performant et contribuer au développement de l’Afrique. Pari osé! Le prix Ibrahim – décerné en 2008 à l’ex-président du Botswana Festus Mogae – est, depuis, sans lauréat, faute de candidats ayant fait preuve d’excellence dans l’exercice de leur mandat tout autant que de responsabilité dans leur sortie de scène. Pour autant, Mo Ibrahim persévère. Indice de la gouvernance africaine, forums sur l’intégration régionale, bourses d’études, formation de médias… Celui qui fait figure de mécène met à profit son carnet d’adresses pour continuer sur sa lancée. Kofi Annan, Tony Blair, Bill Clinton, Alpha Oumar Konaré, Nelson Mandela… sont autant de hautes personnalités soutenant la Fondation Mo Ibrahim. ■ J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11


LES 50 LES PLUS INFLUENTS 49

SIPHIWE SIBEKO/REUTERS

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KENYA Prix Nobel de la Paix

En 2004, elle est la première femme africaine à recevoir le prix Nobel de la paix pour son action en faveur de l’environnement par le biais de son Green Belt Movement. Depuis, elle écrit des livres et s’exprime dès qu’elle le peut en faveur d’une Afrique plus verte. Son franc-parler fait mouche. Depuis quelques années, pas une personnalité ne peut passer par le Kenya sans mettre la main à la bêche et planter un arbre sous les flashs des photographes et les caméras de télévision. ■

Abdou Diouf

À la tête de la Francophonie depuis 2002, l’ancien président sénégalais déploie discrètement, mais efficacement, une « diplomatie d’influence ». Processus électoraux, médiations et renforcement de la démocratie, Abdou Diouf joue sur deux registres : sa connaissance intime du pouvoir et une certaine hauteur de vue délivrant l’autorité morale requise à son poste. Son avis compte. Si les Guinéens ont à présent un président élu et reconnu, Abdou Diouf n’y est pas étranger. ■

UNITED PHOTOS/REUTERS

4 5

VINCENT FOURNIER/J.A.

SÉNÉGAL Secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie

Fatou Bensouda

GAMBIE Procureure adjointe de la Cour pénale internationale

Elle supervise la division des poursuites et traque inlassablement les « prédateurs » soupçonnés de crimes de guerre. Attendue sur plusieurs dossiers dans les prochains mois, notamment sur ceux du Darfour et de la RD Congo, l’ancienne ministre gambienne apparaît aussi comme le seul espoir pour les dizaines de Guinéennes violées et brutalisées le 28 septembre 2009 à Conakry de voir ces atrocités qualifiées de crimes contre l’humanité. ■

Issa Hayatou

CAMEROUN Président de la Confédération africaine de football (CAF)

Depuis deux décennies, il trône à la tête de cette organisation continentale qui est devenue un acteur géopolitique non étatique d’envergure. Pour certains, son influence tutoie celle de la puissante Union africaine. Le président de la CAF a notamment la haute main sur l’attribution de l’organisation des compétitions panafricaines, ces grand-messes populaires qui permettent d’exalter la fierté nationale et offrent une excellente exposition mondiale aux pays organisateurs. ■ NOTORIÉTÉ

RÔLE DIPLOMATIQUE

PUISSANCE ÉCONOMIQUE

SIPHIWE SIBEKO/REUTERS

3

Wangari Maathai

LEADER D’OPINION


6

Ahmed al-Tayeb

ÉGYPTE Grand imam de l’université Al-Azhar

AMR DALSH/REUTERS

C’est le personnage le plus important de l’université islamique Al-Azhar du Caire, le phare de l’islam sunnite. Nommé à vie en mars 2010, connu pour ses positions de modéré, Tayeb incarne l’espoir de voir Al-Azhar retrouver son aura auprès des quelque 1,2 milliard de sunnites dans le monde et contrer l’influence du wahhabisme. Il a démissionné d’une haute instance du parti au pouvoir, gage d’une indépendance nécessaire. Francophone et anglophone, il ambitionne aussi de rapprocher l’islam de la chrétienté. ■

RAHEB HOMAVANDI/REUTERS

8

Kofi Annan

GHANA Ancien secrétaire général de l’ONU

Soyons lucides, Kofi Annan n’a plus la même influence depuis qu’il a quitté les bureaux de l’ONU, à New York, en 2006. Mais, depuis, il a réussi à mobiliser les fondations Rockefeller et Gates pour réunir 300 millions d’euros et créer l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra). Un chiffre l’obsède: le continent importe jusqu’à 85 % de son alimentation. L’Agra est présente dans treize pays. Les paysans africains ont enfin un ambassadeur. ■

9

NATHALIE KOULISCHER/REUTERS

50 EN COUVERTURE

7

Mgr Monsengwo RD CONGO Cardinal

En octobre 2010, il a fait partie des vingt-quatre cardinaux nommés par le pape Benoît XVI. La fonction fait de l’ancien président du bureau de la Conférence nationale souveraine (1991), 71 ans, un ambassadeur respecté du catholicisme africain. Sur la scène nationale, son aura de faiseur de paix, qu’il appelle régulièrement de ses vœux pour l’est du pays, s’en trouve décuplée. En 2006, lors de la présidentielle, ses déclarations ont été très écoutées. ■

Saïd Djinnit

L’Énarque algérien a passé l’essentiel de sa carrière au sein de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), qu’il a rejointe, en 1989, au cabinet du secrétaire général Salim Ahmed Salim. Des fonctions qui lui ont permis de sillonner le continent, de connaître son personnel politique et de devenir un spécialiste des conflits. Ban Ki-moon en a fait, en 2008, son représentant spécial pour l’Afrique de l’Ouest. ■

K. LATHIGRA POUR J.A.

10

MOHMED NURDINE/REUTERS

ALGÉRIE Représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest

Didier Drogba CÔTE D’IVOIRE Footballeur professionnel

Unanimement cité parmi les meilleurs attaquants du monde, il aurait pu se contenter du (très) gros salaire que lui verse son club anglais de Chelsea et de ses confortables revenus publicitaires. Mais, loin de l’image people qui colle aux footballeurs nantis, il a pris le risque de militer pour la paix dans son pays. Il a poussé les Éléphants, la sélection ivoirienne, à s’impliquer dans la recherche de l’unité et de la réconciliation. ■ J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11


LES 50 LES PLUS INFLUENTS 51

CULTURE & MÉDIAS

Wole Soyinka

OLIVIER ROLLER/FEDEPHOTO

NIGERIA

Prix Nobel de littérature

AKINWANDE OLUWOLE SOYINKA prêche la bonne nouvelle de la littérature et celle du respect des droits humains. Le fondateur du Parlement international des écrivains est une personnalité très écoutée, capable de se battre, dans un autre registre, pour réduire le nombre des morts sur les routes du Nigeria. Président de la Communauté africaine de la culture, il ne cesse de sensibiliser les dirigeants sur l’importance de ce secteur, véritable parent pauvre du développement. Il a joué un rôle non négligeable pour que se tienne enfin le Festival mondial des arts nègres (Fesman) au Sénégal. Mais le premier Nobel africain de littérature (1986), dont les positions politiques sont bien connues depuis les années 1960, n’est pas homme à faire les choses à moitié. Soyinka a choisi de s’engager pleinement en politique. Il a créé à cet effet, en septembre dernier, le Democratic Front for a People’s Federation (DFPF), le parti « des jeunes frustrés, des idées qui dérangent et des gardiens de la démocratie ». Soyinka ne veut pas devenir président mais « barrer la route » au parti au pouvoir. ■ NOTORIÉTÉ

RÔLE DIPLOMATIQUE

PUISSANCE ÉCONOMIQUE

LEADER D’OPINION


52 EN COUVERTURE

2

Béchir Ben Yahmed TUNISIE Patron de presse

Youssou NʼDour

5

De « You » l’artiste à « You » le politicien, il n’y a plus qu’un pas. Son mouvement citoyen « Fekke ma ci boole » va se transformer en parti politique d’ici à 2012, date de l’élection présidentielle sénégalaise. À la tête du puissant groupe de presse privé dakarois Futurs Médias – une chaîne de télévision (TFM), une radio (RFM) et un quotidien (L’Observateur) –, il est un homme d’affaires avisé qui pèse sur l’opinion publique. Son engagement humanitaire ne l’en rend que plus populaire. ■

D.R.

SÉNÉGAL Chanteur et homme d’affaires

LUCAS JACKSON/REUTERS

3

BRUNO LEVY POUR J.A.

Cinquante ans après, Jeune Afrique, l’hebdo qu’il a fondé à Tunis, puis installé à Paris, demeure sans équivalent sur le continent. Et son « Ce que je crois » une référence attendue chaque semaine par des milliers de lecteurs. L’influence de BBY est à la mesure de son aventure de presse : exceptionnelle. ■

4

Mohamed Hassanein Heykal

ÉGYPTE Éditorialiste

À 87 ans, l’éditorialiste le plus connu du monde arabe continue de passionner les téléspectateurs d’Al-Jazira, où il donne une chronique hebdomadaire. Cet Égyptien qui fut un proche de Nasser est aujourd’hui très critique à l’encontre de Moubarak. ■

Angélique Kidjo BÉNIN Chanteuse

SIPHIWE SIBEKO/REUTERS

Gouaille incomparable, énergie légendaire : Angélique Kidjo, installée à New York depuis 1998 – et ambassadrice de l’Unicef depuis 2002 –, fait voyager la richesse de la musique africaine aux quatre coins de la planète. Grand Prix Sacem 2010 de la chanson – catégorie musiques du monde – et plusieurs fois lauréate des Grammy Awards, elle s’empare de styles éclectiques et s’entoure de musiciens internationaux, devenant ainsi l’une des rares artistes africaines à avoir acquis une dimension internationale. ■ J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11


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7 Achille Mbembe

CAMEROUN Historien, politologue, essayiste Il est né et a grandi au cœur du pays Bassa – fief de la révolutionnaire, indépendantiste et nationaliste Union des populations du Cameroun (UPC). Ce n’est donc pas un hasard si ce professeur de l’Université du Witwatersrand (Afrique du Sud) est devenu l’un des plus grands théoriciens francophone du post-colonialisme. Son parcours et ses travaux lui valent le respect des universitaires africains et américains. Il enseigne régulièrement aux États-Unis, notamment à la Duke University (Caroline du Nord). ■

HICHEM

8

Révélé en 2004 par son titre « Lonely » et plusieurs fois nominé aux Grammy Awards, Alioune Badara Thiam, dit Akon, est l’un des plus célèbres chanteurs de R’nB du moment. Le très reconnaissable timbre vocal de ce fils de percussionniste, né au Sénégal, qui a grandi aux États-Unis, a contribué à sa très grande popularité auprès des jeunes. Il lui vaut également d’être très demandé par d’autres artistes. Ainsi Akon est-il intervenu dans près de 180 chansons en tant qu’artiste invité, dont une vingtaine de grands succès. ■

Zapiro

Les frères Karoui

AFRIQUE DU SUD Dessinateur de presse

TUNISIE Communicants

Ghazi et Nabil, plus connus sous le nom des « frères Karoui », sont le tandem inséparable qui a lancé, en 2007, la première chaîne de télévision satellitaire à vocation maghrébine, Nessma TV, basée en Tunisie. Couverture de la Coupe d’Afrique des nations, talk-shows modernes et inspirés des télés occidentales, Star Academy, Nessma est devenue une référence dans le Grand Maghreb. Reste aux Karoui, brillants publicitaires, à faire décoller les parts d’audience de la chaîne. ■

HOCINE ZAOURAR/AFP

Le célèbre « cartoonist » sud-africain (vrai nom : Jonathan Shapiro) vient encore de montrer à quel point sa plume est bien aiguisée. Le président Jacob Zuma a décidé de le poursuivre en justice pour les dessins qu’il a faits de lui, en 2008, au moment de son procès pour viol. « Zap » caricature les politiciens de son pays depuis plus de vingt ans (parfois avec tendresse, comme pour Madiba ; parfois avec acidité, envers ses successeurs), ce qui lui a valu moult prix internationaux. ■

9

10

NOTORIÉTÉ

STÉPHANE LAGOUTTE/M.Y.O.P

SÉNÉGAL Chanteur et producteur de musiques urbaines

MCMULLAN CO/SIPA

6

Akon

Dilem

ALGÉRIE Caricaturiste

Sa mine est féroce, son humour caustique et son trait a horreur des angles. Plus qu’un caricaturiste, Ali Dilem, 43 ans, est devenu le chroniqueur attitré du quotidien algérien Liberté. Son irrévérence lui vaut une trentaine de procédures judiciaires en diffamation et autres offenses. Ailleurs, son talent lui a valu prix et récompenses et l’opportunité de commenter, par ses dessins, l’actu mondiale sur TV5. ■

RÔLE DIPLOMATIQUE

PUISSANCE ÉCONOMIQUE

LEADER D’OPINION


54 AFRIQUE SUBSAHARIENNE

PORTRAIT OUATTARA Vingt ans quʼil tente de se faire une place sur la scène politique ivoirienne. Vingt ans quʼon lʼaccuse dʼêtre un pion de lʼétranger. Alassane Dramane Ouattara a pourtant su convaincre jusquʼà ses détracteurs de sa compétence. Itinéraire dʼun homme qui nʼentend pas lâcher la présidence.

I

PASCAL AIRAULT

l pensait toucher enfin au but, après vingt années de combat politique. Dès les premières heures de cette matinée du 29 novembre, alors que ses lieutenants de campagne ont compilé toute la nuit les résultats d’un scrutin historique, Alassane Dramane Ouattara (ADO) appelle ses plus fidèles soutiens pour leur annoncer sa victoire à l’élection présidentielle. La joie est perceptible, mais contenue chez cet homme posé et réfléchi. Peut-être redoute-t-il déjà – comme il l’a confié à ses proches avant le second tour – que

son adversaire le prive de son sacre. La suite des événements lui donne raison : Laurent Gbagbo fait partiellement invalider les résultats par un Conseil constitutionnel aux ordres, qui le réinstalle aussitôt dans son fauteuil présidentiel. Un mois plus tard, alors qu’il s’apprête à fêter son 69e anniversaire, le 1er janvier, ADO et son gouvernement vivent toujours reclus au Golf Hôtel, véritable forteresse assiégée sous protection onusienne. Quelques jours avant Noël, l’établissement n’était plus ravitaillé en vivres et les journalistes étaient interdits d’accès. Ouattara reste pourtant serein, comme s’il était sûr

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Le 28 novembre à Abidjan, lors du second tour de l’élection présidentielle.

FACE À SON DESTIN que son accession au pouvoir n’était qu’une question de jours. Il travaille même déjà comme s’il avait un contrôle réel sur l’administration. Il se lève tôt le matin, commence sa journée par une réunion avec ses plus proches collaborateurs, avant d’enchaîner les rendezvous et les coups de fil. Il déjeune souvent sur le pouce et ne s’accorde une réelle détente que lors du dîner du soir, qu’il prend sur la terrasse en compagnie de sa famille et de ses proches. Pour renverser le cours des événements, le bravetché (« brave homme », en malinké ; surnom que lui ont donné ses partisans) compte sur les médias, le contrôle des finances publiques – deux

leviers sur lesquels il a pour l’instant peu de prise –, mais aussi sur la mobilisation populaire et le soutien international. Une attitude qui ne fait qu’exacerber la haine de ses adversaires, pour qui Ouattara est l’étranger « venu mélanger [comprendre : déstabiliser, NDLR] la Côte d’Ivoire ». À l’inverse, ses militants lui vouent une admiration à la limite du fanatisme : ADO est leur sauveur, celui qui va les restaurer dans leurs droits bafoués et leur assurer un avenir. Son histoire, c’est aussi celle des alliances et des désunions politiques de ces vingt dernières années. Alassane Ouattara a surgi sur la scène ivoirienne

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le 7 avril 1990, soit vingt-trois jours avant l’avènement du multipartisme. Le régime du président Houphouët-Boigny vit alors une crise sans précédent. Baisse du cours du cacao, explosion de la dette publique, manifestations de plus en plus régulières… Pour rassurer son peuple et la communauté internationale, le « Vieux » confie au jeune gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) la présidence d’un comité interministériel de relance économique. Ancien directeur Afrique du Fonds monétaire international (FMI), Ouattara a la réputation d’être un brillant économiste. Houphouët suit sont parcours depuis

ÉMILIE REGNIER POUR J.A.

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56 AFRIQUE SUBSAHARIENNE de longues années : il connaît son père, Dramane, à qui il a rendu visite à de nombreuses reprises à Dimbokro (centre) dans les années 1970 ; sa propre fille, Marie, a fréquenté le jeune Alassane, qui étudiait aux États-Unis, et Abdoulaye Fadiga, ancien gouverneur de la BCEAO, en a fait son protégé. À FLEURETS MOUCHETÉS

Assainissement budgétaire, lutte contre la corruption, fin des passedroits… Soutenu par le vieux président, qui apprécie sa compétence et sa fidélité, Ouattara s’impose rapidement. En novembre 1990, il est promu Premier ministre. Perçu avant tout comme un technocrate, Ouattara ne fait d’ombre à personne. Du moins pas au début. Car, interrogé par la télévision nationale sur d’éventuelles prétentions à la magistrature suprême, en octobre 1992, le chef du gouvernement répond: « On verra. » Pour Henri Konan Bédié (HKB), l’héritier putatif, l’affaire est entendue : Ouattara veut lui voler sa place. S’ensuivent des passes d’armes à fleurets mouchetés, qui continueront jusqu’à la mort d’Houphouët. Ouattara annonce le décès du chef de l’État au journal télévisé de 13 heures, le 7 décembre

1993. À 20 heures, HKB, alors président de l’Assemblée nationale, déclare sur les mêmes antennes qu’il assure l’intérim. Bédié s’installe donc dans le fauteuil d’Houphouët, mais ne rompt pas les ponts avec son supposé adversaire. Les deux hommes continuent de se téléphoner et ne manquent jamais d’échanger leurs vœux de fin d’année. Rappelé sur les rives du Potomac, à Washington, pour prendre le poste de directeur général adjoint du FMI, Ouattara n’en oublie pas pour autant la politique nationale. Ses proches, emmenés par le député Djéni Kobina, tentent de former un courant rénovateur au sein du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Mais Bédié tient fermement les rênes du parti et est le seul à se présenter à la présidence lors du congrès d’avril 1994. Kobina et ses hommes créent, cinq mois plus tard, le Rassemblement des républicains (RDR). Entretemps, la loi électorale a été modifiée. Pour briguer la présidence, les candidats doivent être nés de père et de mère ivoiriens, n’avoir jamais

renoncé à la nationalité ivoirienne et avoir résidé de manière continue sur le territoire national durant les cinq années précédant le scrutin. Un texte sur mesure pour écarter Ouattara. Allié au Front populaire ivoirien (FPI) au sein du Front républicain, le RDR boycottera l’élection d’octobre 1995. « Laurent Gbagbo est un homme de bon sens, profondément nationaliste,

Quand le couple Ouattara recevait les Gbagbo à Mougins, sur la Côte d’Azur…

DES AMITIÉS SANS FRONTIÈRES PAS UN JOUR SANS QU’ALASSANE DRAMANE OUATTARA (ADO) s’entretienne au téléphone avec ses plus fidèles soutiens internationaux. Privé de liberté d’action au niveau national, il sait que son destin se joue en partie à l’extérieur. ADO communique donc régulièrement avec Susan Rice, représentante américaine auprès des Nations unies, et avec Nicolas Sarkozy, le président français. Sur le plan africain, il entretient une relation permanente avec Blaise Compaoré, le chef de l’État burkinabè, et avec le Nigérian Goodluck Jonathan, président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui coordonne les actions à prendre au niveau sousrégional. ADO tient également informé le Sénégalais Abdoulaye Wade, qui l’a reçu entre les deux tours de l’élection, et Denis Sassou Nguesso, son homologue congolais. Il peut encore se targuer de l’amitié d’Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie, du soutien de la famille Soglo au Bénin et de celui du président camerounais, Paul Biya. Ouattara possède aussi un solide carnet d’adresses dans le monde politique et des affaires. En France, il bénéficie du soutien de JeanClaude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, des socialistes Jacques Attali, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, actuel patron du Fonds monétaire international (FMI), ainsi que de ses prédécesseurs Michel Camdessus et Jacques de Larosière. Il est encore appuyé par de grands hommes d’affaires comme Martin Bouygues. Aux États-Unis, il a conservé son réseau dans les milieux d’affaires et la communauté juive. Il fréquente notamment des personnalités comme le financier George Soros. En Israël, il a d’excellentes relations avec Stanley Fischer, le gouverneur de la Banque centrale, rencontré P.A. lorsqu’il était au FMI. ■

qui a une forte volonté de changement et qui dispose d’une sérieuse base politique », explique à l’époque Ouattara. Les deux hommes et leurs femmes respectives, Simone et Dominique, se fréquentent alors régulièrement. Les époux Gbagbo se rendent même dans la résidence du couple Ouattara, à Mougins, sur la Côte d’Azur. Mais cette amitié n’est que de façade. Côté Gbagbo, on veut neutraliser le RDR et son mentor. « Nous nous sommes battus pour que le serpent [le parti unique] se coupe en deux, avouera Gbagbo en juin 2000. Si vous ne faites pas attention, le serpent se recolle. Nous avons donc attrapé un morceau pour le mettre de notre côté. Et quand on se rend compte que le côté que nous avons attrapé est en train de nous échapper, nous bondissons, nous attrapons l’autre côté. » ATTAQUES RACISTES ET SEXISTES

Ouattara n’a pas écarté toute idée de travailler avec le PDCI. Courant 1996, il rencontre même Bédié pour lui suggérer de former un gouvernement de « large ouverture » afin de faire face à la crise économique et sociale. Sans succès. Par la suite, le « Sphinx de Daoukro » et ses troupes ne cesseront de tenter de discréditer leur adversaire en promouvant le concept d’ivoirité. On remet en question sa nationalité et celle de sa mère. Dominique fait l’objet d’attaques racistes et sexistes. En juillet 1999, l’ancien Premier ministre rentre au pays dans cette ambiance délétère et, dans la foulée, prend la tête du RDR. Ses relations avec Bédié s’enveniment encore. Le 24 décembre 1999, des militaires mécontents s’emparent du pouvoir. Exilé au Togo puis

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 57 national, mais il n’a pas réussi à apaiser durablement le climat politique. Lorsque les rebelles des Forces nouvelles (FN) lancent une offensive sur Abidjan, en septembre 2002, le pouvoir y voit la main financière d’ADO. Attaqués par des corps habillés dans leur villa de Cocody, les époux Ouattara doivent escalader le mur d’enceinte de leur résidence pour échapper à la mort, et se réfugient chez l’ambassadeur d’Allemagne. Pour ADO, c’est le début de l’exil.

Avec son Premier ministre, Guillaume Soro, dans l’enceinte du Golf Hôtel, le 17 décembre.

en France, Bédié est persuadé que son tombeur s’appelle Ouattara. Le général Gueï prend la tête d’un gouver nement d’union nationale auquel participent le FPI et le RDR. Encouragé par sa femme et par les ministres FPI, il se rêve un avenir présidentiel. Le thème de l’ivoirité refait surface. Une réforme constitutionnelle, soumise à référendum, voit le jour. Elle stipule que les candidats ne doivent pas s’être prévalus d’une autre nationalité. Ouattara, bien qu’ayant appelé à voter oui, est une nouvelle fois écarté de la course à la présidentielle. Gbagbo l’emporte face au général Gueï. Ouattara lance alors ses partisans dans la rue. La répression sera sanglante. Le RDR boycotte les législatives de décembre 2000, mais participe aux municipales de mars 2001. Ouattara va enfin pouvoir mesurer sa force. Son parti arrive en tête en remportant 63 communes devant le PDCI (60) et le

FPI (28). Leçon du scrutin : ADO est à la tête d’un parti urbain à forte implantation nordiste. En septembre 2001 s’ouvre le Forum de réconciliation nationale, séance de catharsis qui tourne essentiellement autour du procès de trente ans de parti unique et du statut d’Alassane Ouattara. Après vingtdeux mois d’exil, Bédié rentre au pays et réaffirme son attachement au concept d’ivoirité ; Gbagbo crée la surprise en déclarant que la Constitution a été modifiée pour régler le cas Ouattara. Intervenant le dernier, ADO revendique ses droits en matière d’éligibilité et fait monter les enchères en exigeant de nouvelles législatives dans les six mois et une présidentielle d’ici « un à deux ans ». Ce forum aura permis de réunir les frères ennemis et de servir de défouloir

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EMMANUEL TANO

ALLIANCE CONTRE-NATURE

En juillet 2004, le sommet d’Accra consacre des retrouvailles avec Bédié. Le président ghanéen, John Kufuor, a eu une idée lumineuse. Il a logé Bédié et Ouattara sur le même palier, dans des appartements qui se font face. Ouattara va saluer son aîné, accompagné de sa délégation. Il sollicite une entrevue. Rendez-vous est pris au petit-déjeuner du lendemain. « Le pays est dans un état si lamentable que les Ivoiriens pourraient nous en rendre responsables, toi et moi, si nous restons sur nos positions nées des incompréhensions du passé. Je propose que, en tant qu’aîné, tu rassembles les houphouétistes que nous sommes afin que de ce rassemblement naisse une force capable de sauver la Côte d’Ivoire. » Le 18 mai 2005, dans les Salons Hoche, à Paris, quatre partis – le PDCI, le RDR, le Mouvement des forces d’avenir et l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire – créent le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Les « refondateurs » du camp Gbagbo se moquent de cette alliance contre-nature, mais Ouattara a pardonné. Bédié, pragmatique, affirme qu’il faut faire « table rase du passé ».

En décembre 1999, Bédié est renversé. Et persuadé que son tombeur s’appelle ADO. Ouattara, qui vivait depuis trois ans en France, revient en Côte d’Ivoire pour les funérailles de sa mère, en décembre 2005. « C’est autour de la mort que les vivants se réconcilient », écrit le quotidien gouvernemental Fraternité Matin. Gbagbo est présent. Il donne l’accolade à son opposant pour un deuil familial aux allures de réconciliation nationale. Quelques


58 AFRIQUE SUBSAHARIENNE mois plus tard, ADO se réinstalle à Abidjan. Tout est à reconstruire : le parti, laissé en déshérence, est à reprendre en main dans l’optique de la présidentielle. Assez rapidement, l’espoir laisse la place au découragement. Gbagbo et Guillaume Soro, le chef de Forces nouvelles (FN), s’installent dans une logique de « ni guerre ni paix », repoussant le scrutin aux calendes grecques. Un temps, on pense même qu’ADO va finir par abandonner la partie, mais la signature de l’accord de Ouagadougou, en mars 2007, lui redonne confiance. Il sonne le rappel des troupes et fait enrôler massivement ses partisans sur la nouvelle liste électorale. À l’époque, Gbagbo reconnaît à son rival quelques qualités. Il ne fustige plus l’homme « violent, malgré les apparences », mais admet, dans une inter v iew accordée à Jeune Afrique, en septembre 2007, qu’« Alassane est brillant et travailleur ».

tés, il a pris en compte nos conseils et n’a jamais pris de décisions tout seul. » Ouattara n’attaque plus ses adversaires de manière frontale. Il amadoue Bédié et parle peu à Gbagbo, pour éviter toute fâcherie. Au fil du temps, Ouattara parvient à gommer son image de grand bourgeois offshore, habitué aux mon-

Pendant ce temps, Ouattara met au point, avec des experts nationaux et internationaux, un programme de gouvernance, présenté lors de la convention de son parti, qui l’investit candidat en octobre 2008. Après un meeting de lancement réussi à Yopougon en mai 2009, il part en campagne, mettant un point d’honneur à visiter toutes les régions. Ses équipes font attention au moindre détail : pas question qu’il soit photographié en train de prier à la mosquée ; ADO ne veut pas apparaître comme le candidat des musulmans. Malgré la pénibilité des tournées sur des routes cahoteuses, l’ambiance est chaleureuse, voire familiale. « C’est agréable et valorisant de travailler avec lui. Il est organisé, constamment disponible et d’un tempérament égal, explique un de ses directeurs de campagne. Il nous a écou-

Pas question d’être pris en photo à la mosquée. Il n’est pas le candidat des musulmans. danités et amateur de champagne servi par des domestiques en gants blancs. Devancé par ses concurrents dans les sondages, il grignote progressivement son retard. Le 31 octobre, beaucoup sont surpris de le voir au second tour. Gbagbo croit encore en ses chances en pariant sur la division des houphouétistes. Raté : l’électorat baoulé a tranché. Les deux morceaux du serpent sont bel et bien recollés. ■

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de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest; il est aussi un client de l’agence. Appelé par le « Vieux » au chevet d’une Côte d’Ivoire malade, il rentre au pays et commence à fréquenter cette ravissante Française qui a ses entrées au palais présidentiel. Le couple se dira « oui » en France, à la mairie du 16e arrondissement de Paris, le 24 août 1991. Redoutable femme d’affaires, énergique et déterminée, Dominique étend les ac tivités de l’AICI à Paris, Cannes, Libreville et Ouagadougou. Lorsque ADO est nommé au Fonds monétaire international, en 1994, elle le suit, en profite pour acquérir la DOMINIQUE, LA « BLANCHE COLOMBE » marque Jacques Dessange aux États-Unis, puis reprend Radio « ALASSANE, JE LE SOUTIENS depuis le début. Il Nostalgie en Afrique. En 1998, elle met à profit ses m’écoute et me consulte, mais prend ses décisions relations et crée Children of Africa, une fondation seul. » Dominique Ouattara sait l’influence qu’elle pour la promotion sociale de l’enfance en Afrique, exerce sur son mari, mais se défend d’être derrière parrainée par la princesse Ira de Fürstenberg. ses ambitions présidentielles, comme l’affirment ses Celle que les militants appellent la « Blanche détracteurs. Sa première rencontre avec Alassane Colombe » affirme aujourd’hui qu’elle compte confier Dramane Ouattara remonte à la fin des années 1980. la gestion de ses affaires à ses enfants. Pour mieux Veuve et déjà mère de deux enfants, Dominique se consacrer à son rôle de première dame ? « Il est Nouvian dirige alors l’Agence internationale de com- encore un peu tôt pour en parler. Je veux me consamercialisation immobilière (AICI), qui gère les biens crer à ma fondation et créer des maisons de la jeuimmobiliers de Félix Houphouët-Boigny ou d’Omar nesse en Côte d’Ivoire. » ■ Bongo Ondimba. À l’époque, ADO est le gouverneur P.A. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11


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LETEMPS DESINFRASTRUCTURES

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IDRISS DÉBY ITNO, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DU TCHAD.

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ngagé dans une nouvelle stratégie de croissance économique et de réduction de la pauvreté, le gouvernement tchadien a décidé de répondre aux besoins du pays en matière d’infrastructures. Économiques ou administratives, éducatives ou sanitaires, celles-ci ont été trop longtemps les laissées-pour-compte de l’histoire mouvementée du pays. Mais dès lors qu’il a réussi à faire prévaloir une situation de paix à ses frontières, le gouvernement du président Idriss Déby Itno n’entend pas demeurer plus longtemps l’otage d’une seule ressource, de surcroît éphémère : le pétrole. Ainsi a-t-il transformé le Tchad de 2010 en un immense chantier à ciel ouvert.

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UN NOUVEAU PARTENARIAT AVEC LE FMI ET LA BANQUE MONDIALE Les relations duTchad avec les institutions de Bretton Woods avaient pâti, à partir de 2005, des dépenses supplémentaires dont le pays avait dû prendre l’initiativepourfairefaceauxagressionsextérieures dont il était victime. Mais, depuis, la situation s’est apaisée et le Fonds Monétaire International comme la Banque mondiale collaborent à nouveau, dans le meilleur esprit, avec les autorités de N’Djamena. Suivant les conseils du premier, le gouvernement tchadien s’efforce d’assainir ses finances, avec succès, semble-t-il, puisque la croissance attendue pour 2010 devrait avoisiner les 6 % contre - 1,1 % en 2009. La Banque mondiale, de son côté, a fait don de 10 milliards de F CFA destinés à la phase 2 du projet Population et Lutte contre le Sida. Et elle a noté que la poursuite des Objectifs du Millénaire pour le Développement est demeurée à l’ordre du jour du gouvernement, en dépit des difficultés qu’il rencontre, notamment sur le plan climatique.

Du fait du monolithisme politique voulu, dès 1962, par l’ancien président Ngarta Tombalbaye, et de la situation stratégique que lui a imposée la géographie, au croisement des grands axes nord-sud et est-ouest, le Tchad n’a pratiquement jamais connu la paix. En conséquence de quoi, pendant toutes les années de postindépendance (1960-1980), l’État tchadien s’est surtout montré préoccupé de sa défense et de sa survie. Son économie est restée dominée par le secteur primaire (agriculture et élevage), sa croissance ne s’est guère élevée au-dessus de 2 % par an, et il a fallu vingt ans à son PIB, d’un montant de 314 millions de dollars en 1960, pour atteindre, en 1980, environ 1 milliard de dollars. Cette situation difficile devait perdurer jusqu’au tournant décisif que fut la proclamation de la démocratie par le président Idriss Déby Itno, en décembre 1990, suivi de l’engagement du pays dans le processus de démocratisation. L’insécurité a pourtant perduré aux frontières, et des flambées de violences, des affrontements sporadiques se sont encore produits récemment avec des groupes de combattants plus ou moins bien identifiés, souvent manipulés de l’étranger ou laissés-pour-compte de conflits extérieurs au Tchad, se déroulant au Soudan ou en Centrafrique. Il n’en reste pas moins qu’en même temps que sa diplomatie travaillait à obtenir la pacification de ses frontières, l’État tchadien a enfin pu se lancer dans la réalisation d’un vaste programme d’infrastructures, digne d’un État moderne en quête de croissance durable.

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Le lourd héritage du temps des conflits


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L’édification d’un État moderne © F. NOY / Cosmo

Dans le cadre d’un programme 2006-2010, sont littéralement sortis de terre ou ont été réhabilités des dizaines de bâtiments administratifs destinés à affirmer la présence et l’autorité de l’État sur tout le territoire et garantir la bonne gestion, sur le terrain, des questions de son ressort. Parmi les nombreuses réalisations achevées à ce jour, on peut citer des bâtiments de ministères, des sièges de gouvernorats et de préfectures, des immeubles de bureaux et de logements. Des infrastructures collectives ont également vu le jour, telles que des salles de conférences, le stade omnisport de Doba, les installations du stade Idriss-Mahamat-Ouya de N’Djamena, etc. Par ailleurs, dans un pays vaste et à la faible densité de population (9 hab/km2), le défi de la mobilité est l’un des premiers que doit relever un gouvernement en quête de progrès économique et d’avancées sociales. Un vaste programme de désenclavement intérieur a donc été entrepris. Alors que le pays ne disposait, en 1990, que de 217 km de routes bitumées, il en compte aujourd’hui plus de 2 000 km, un chiffre qui s’élèvera à 6 000 km dès l’année 2011, terme constitutionnel du mandat de l’actuel chef de l’État. Des ponts ont été élevés au-dessus des fleuves Batha, Tandjilé, Logone et Chari et de nouveaux aéroports ont vu le jour. Parmi les grands projets structurants qui prendront forme dans les années 2010-2020, on trouve le nouvel aéroport international de N’Djamena, le deuxième complexe pétrolier les gisements de Bongor reliés à la raffinerie de Djermaya et la grande question du détournement d’une partie des eaux de l’Oubangui pour alimenter le lac Tchad, en voie d’assèchement.

Les revenus du pétrole ont ouvert la voie

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Dès le début de l’exploitation pétrolière, une nouvelle source de revenus a massivement irrigué le budget de l’État et rendu possible ce qui n’était qu’à peine imaginable quelques années plus tôt : une ambition à long terme, se traduisant par l’investissement de dizaines de milliards de F CFA dans l’édification d’infrastructures de base. Après le bouclage du projet pétrole avec la Banque mondiale, en juin 2000, et le démarrage, en octobre de la même année, du chantier de la construction d’un oléoduc de 1070 km reliant le champ pétrolier de Doba au port camerounais de Kribi, le taux de croissance a enfin décollé (12 % en 2001, 9 % en 2002, 15 % en 2003). La première livraison de pétrole à l’exportation, effectuée en octobre 2003, via le terminal de Kribi, a ouvert une ère nouvelle pour le pays, mais le défi à relever n’en demeurait pas moins considérable : il fallait, en effet, densifier le réseau routier, développer l’éducation et la santé, moderniser les infrastructures étatiques et pourvoir aux besoins de l’économie en termes d’énergie, d’eau, de transports et de ressources humaines et financières. Le pétrole, heureusement, et quelles que soient les interrogations qu’il soulève, s’avère un irremplaçable facteur de croissance. Alors que le principal contributeur au PIB tchadien des années 80 et 90 était le secteur primaire (45 %), c’est aujourd’hui le secteur pétrolier qui a pris la relève, avec environ 50 % du PIB. Il reste que, pour que la croissance soit durable, il convient d’amortir à l’avance le choc post-pétrolier prévisible dès 2030 – du moins en fonction des données disponibles à ce jour – et investir à la fois dans la diversification de l’économie et dans les infrastructures.


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À N’Djamena, deux bâtiments en voie d’achèvement ont reçu, le 3 novembre 2010, la visite du président Idriss Déby Itno avant leur ouverture au public à la fin de l’année 2010. Il s’agit du Musée national et de la Bibliothèque nationale, deux réalisations qui tiennent particulièrement à cœur au chef de l’État. Celui-ci, en effet, estime indispensable de léguer aux générations futures, non seulement des structures économiques viables, mais aussi un patrimoine culturel qui leur permette de s’ancrer profondément dans l’espace et dans le temps. La bibliothèque se compose de salles d’exposition, de conférence, de lecture et de stockage, en plus de bureaux et d’une cafétéria. Dans l’enceinte du Musée prendront place des collections archéologiques et paléontologiques, des costumes traditionnels, des produits artisanaux et des ouvrages d’art moderne. Les travaux auront coûté à l’État tchadien plus de 12 milliards de F CFA.

DIFCOM/DF - JA 2607 du 26/12/2010

PRÉSERVER LE PATRIMOINE CULTUREL NATIONAL

Parce que l’éducation et la santé sont les deux piliers du développement durable, l’État tchadien a massivement investi dans ces deux secteurs. Entre 2006 et 2010, des dizaines d’écoles primaires ont vu le jour dans tous les départements du pays, le taux de scolarisation dans le primaire passant ainsi de 84 % en 2005 à 98 % en 2011. Dans la seule commune de N’Djamena et pour les seules années 2008 et 2009, dix lycées et dix écoles primaires ont été construits. L’enseignement supérieur n’est pas en reste : la vieille université de N’Djamena a vu naître à ses côtés l’université de Moundou, l’École supérieure des sciences exactes et appliquées de Bongor, les universités d’Ati et d’Abéché, les instituts universitaires de Sarh et de Mongo. L’effort des autorités a été le même sur le plan sanitaire : des hôpitaux s’élèvent aujourd’hui dans toutes les régions et dans la plupart des départements. À N’Djamena, les travaux de l’Hôpital de la Mère et de l’Enfant avancent à grands pas, de même que ceux de la Faculté de Médecine et de la Cité des Médecins. Dans la commune de N’Djamena, un hôpital moderne de 180 lits est en cours de réalisation. Sur le plan des services rendus à la population, le gouvernement a notamment instauré la gratuité des soins pour les femmes enceintes et pour les malades du Sida.

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L’éducation et la santé au service du développement durable


AFRIQUE SUBSAHARIENNE 63 GABON

Premier ministre en sursis Pas sûr que Paul Biyoghé Mba reste longtemps à la tête du gouvernement. À lʼapproche des législatives, le président pourrait décider de se passer de lui et dʼouvrir son gouvernement.

HABILE ET TRAVAILLEUR

À l’époque, c’est Rose Rogombé, présidente par intérim, qui avait nommé Biyoghé Mba après avoir consulté les barons fangs de Libreville, dont JeanFrançois Ntoutoume Emane et Henri Minko. Mais les proches du chef de l’État ont toujours scruté avec attention les faits et gestes de ce politicien habile, formé auprès d’Omar Bongo Ondimba, et qui n’hésita pas à démissionner du parti présidentiel en 1994 pour créer son propre parti, le Mouvement com-

BAUDOIN MOUANDA

O

n dit de lui qu’il est un Premier ministre en sursis. Que le couple formé à la tête de l’exécutif gabonais par Paul Biyoghé Mba et le président Ali Bongo Ondimba (ABO) ne tiendra pas jusqu’aux législatives prévues fin 2011. Les visiteurs réguliers du Palais du bord de mer soutiennent qu’un remaniement pourrait, dans les prochaines semaines, confirmer la rupture entre les deux hommes. Ceux qui, depuis des mois, plaidaient pour le limogeage de ce natif de Donguila (Estuaire) auraient donc fini par avoir sa tête. Les raisons de ce désamour tiennent autant au contexte politique qu’à la personnalité et au parcours de ce Premier ministre atypique. Plusieurs fois élu député et sénateur, membre du gouvernement depuis 2002, Biyoghé Mba est un poids lourd de la politique gabonaise. En juillet 2009, les partisans du candidat « Ali 9 » se sont réjouis à l’annonce de sa nomination et y ont vu un renfort susceptible de faire oublier la « trahison » de Jean Eyéghé Ndong, son prédécesseur à la tête du gouvernement, qui avait démissionné pour se présenter face à ABO à la présidentielle.

Août 2010. Comme ses prédécesseurs, Biyoghé Mba est un natif de l’Estuaire.

mun de développement (MCD). Avant d’accepter le poste que lui proposait le nouveau président élu, il a âprement négocié et obtenu de larges pouvoirs, et la garantie d’avoir les coudées franches dans bien des domaines. Il en a profité pour s’entourer d’hommes de confiance, pour la plupart issus du MCD – parti qu’il a sabordé par surprise, en 2002, avant de réintégrer le Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir).

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Le président vit entre deux avions ? Biyoghé Mba, gros travailleur, se charge de mettre en musique la politique de l’« émergence » voulue par le chef de l’État. Lui n’aime pas voyager. Depuis qu’il est le chef du gouvernement, il n’a effectué que deux déplacements officiels hors du Gabon : en Chine et en Zambie. S’il met beaucoup d’énergie à s’acquitter de sa mission, il n’a pas pour autant renoncé à ses ambi-


64 AFRIQUE SUBSAHARIENNE tions. Se sachant éjectable, il cultive sa popularité et soigne ses liens avec les électeurs de sa circonscription. À l’inverse du chef de l’État, qui reçoit beaucoup moins que son père, il tient grandes ouvertes les portes de la maison familiale à Bikélé (dans le district d’Ikoy Tsini, près de Libreville), qu’il a transformée en bureau. Une cinquantaine de personnes s’y pressent tous les week-ends. Rien de plus normal, pense à tort cet homme peu soucieux de son image. Ses ennemis y voient des raisons de mettre en doute sa loyauté. Et le voici devenu la cible favorite de courtisans friands d’intrigues de palais, dont le travail de sape a fini par semer le doute dans l’esprit du président. « DES BÂTONS DANS LES ROUES »

Le malaise a grandi au point de devenir alarmant, en octobre, lorsqu’ABO décide de réaffirmer son autorité. Plusieurs « Biyoghé boys » sont limogés sans préavis, dont Léon Ndong Nteme, le directeur général du budget, Molière Eyi Engot, directeur général des marchés publics, et Marie-Jeanne Mbazoghe, directrice générale de la marine marchande. Le même jour, s’appliquant à débrancher les réseaux de son Premier ministre, le président fait muter un autre de ses proches, Gaspard N’Nang Ella, alors gouverneur du Moyen-Ogooué, dans la province moins

enviée de l’Ogooué-Lolo. Le petit coup de balai a valeur d’avertissement. Biyoghé Mba voit rouge et menace de remettre sa démission. La crise est vite étouffée, mais a miné la confiance qui existait jusqu’au mois de juillet entre les deux hommes, quand le chef du gouvernement expliquait à Jeune Afrique que leurs « relations [n’avaient] jamais cessé d’être cordiales ». Même au sein de son gouvernement, ses détracteurs sont légion. « Certains membres de l’équipe font tout pour lui mettre des bâtons dans les roues », accuse un haut cadre. Ses relations sont délicates avec le ministre de l’Économie, Magloire Ngambia, et avec celui du Logement, Rufin Pacôme Ondzounga. Elles ne sont pas meilleures avec un autre proche du président, le ministre de l’Enseignement technique, Léon Nzouba. Cette situation a inspiré une partie du discours présidentiel du 17 octobre dernier. Le chef de l’État avait alors prévenu que « le temps de l’évaluation [avait] sonné » : « Certains projets connaissent une lenteur dans l’exécution. J’ai d’ailleurs fait remarquer au gouvernement que beaucoup de projets pourtant budgétisés souffraient de l’absence criarde de réalisation. […] J’ai décidé de corriger au plus vite cer-

taines erreurs, notamment celles de casting pour placer l’homme qu’il faut à la place qu’il faut », avait martelé Ali Bongo Ondimba, sans préciser s’il pensait changer de Premier ministre ou simplement de ministres. À quelques mois des législatives, le président pourrait trouver judicieux de remplacer Biyoghé Mba pour contrer une opposition qui avait rassemblé plus de 50 % des suffrages à la dernière présidentielle, avec les candidatures

Biyoghé Mba se sait éjectable, mais il n’est pas prêt à se laisser pousser vers la sortie.

LES CANDIDATS À LA SUCCESSION LES PRÉTENDANTS AU POSTE DE PREMIER MINISTRE ne sont pas légion. Face à la forte personnalité du chef de l’État, la classe politique est comme tétanisée. Prudents, les uns et les autres préfèrent se donner le temps de se familiariser avec les codes de la nouvelle présidence. Outre le cas Pierre Mamboundou, évoqué en cas d’accord avec l’Union du peuple gabonais (UPG), certains pourraient toutefois être intéressés. Si le président s’en tient au strict respect de la règle d’équilibre entre les ethnies, il devra choisir son Premier ministre au sein de l’élite de l’Estuaire, la province abritant la capitale, Libreville. Parfois cité, le nom d’Emmanuel Nze Békalé, ancien membre du gouvernement, ex-PDG d’Air Gabon et vice-président de la Confédération patronale gabonaise. En dépit de son étiquette d’ancien du Mouvement commun de développement (qui pourrait être un obstacle dans la course à la primature), Julien Nkoghé Békalé, l’actuel ministre des Mines, a un profil « intéressant »: il est franc-maçon et marié à une native du Haut-Ogooué, fief de la famille Bongo. Intéressant aussi Adrien Nkoghé Essingone, élu du Parti démocratique gabonais dans le Komo-Mondah. Toutefois, le président pourrait rompre avec la tradition et porter son choix sur un Fang du Woleu-Ntem. Dans cette hypothèse, le nom de François Engongah Owono, le secrétaire général de la présidence, revient avec insistance. Le Palais pourrait alors s’appuyer sur lui pour ramener le nord du pays, largement acquis à l’opposition, dans le giron G.D. du parti au pouvoir. ■

de Pierre Mamboundou et André Mba Obame. ABO a rencontré à deux reprises l’opposant Pierre Mamboundou, naguère chantre du changement radical à la tête de l’Union du peuple gabonais (UPG). Après plusieurs tentatives infructueuses pour parvenir à la tête de l’État, celui-ci a jeté son dévolu sur la primature. En se ralliant à Mamboundou, le chef de l’État sait qu’il divise l’électorat de l’opposition et isole l’Union nationale d’André Mba Obame. Sauf qu’il n’est pas certain que, s’il obtient le poste de chef de gouvernement, Mamboundou parviendra à faire taire sa nature d’homme d’ambition pour s’en tenir au rôle ingrat d’homme de missions… La deuxième raison pour changer de Premier ministre est cosmétique. Ces derniers jours, la diffusion par la télévision française du documentaire Françafrique, 50 années sous le sceau du secret, de Patrick Benquet, a menacé de raviver la contestation des résultats de l’élection qui a porté ABO au pouvoir. Et pour cause : Michel de Bonnecorse, ex-conseiller Afrique de Jacques Chirac, y met en doute la régularité du scrutin. Il a depuis démenti, mais Zacharie Myboto, président de l’Union nationale, en a profité pour demander la « démission » du chef de l’État. Nommer une personnalité issue des rangs de l’opposition pourrait donc permettre de désamorcer la contestation. Cependant, les jeux ne sont pas encore faits. Biyoghé Mba n’a pas abattu toutes ses cartes, ni commencé à faire ses cartons. Il est certes affaibli, mais il n’est pas dit que le président soit assez fort pour s’en séparer sans drame. ■ GEORGES DOUGUELI

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66 AFRIQUE SUBSAHARIENNE FOOTBALL

Moïse tout-puissant

L

honneur est sauf. Bien sûr, les joueurs du Tout-Puissant Mazembe auraient aimé l’emporter, le 18 décembre, face à l’Inter Milan en finale de la Coupe du monde des clubs. Et bien sûr, la Coupe du monde des clubs, qui a eu lieu cette année aux Émirats arabes unis, n’a pas le standing de la Coupe du monde de football, organisée tous les quatre ans et réservée aux trentedeux meilleures sélections nationales de la planète. Mais en battant, en demi-finale, l’Internacional de Porto Alegre, les joueurs de Lubumbashi ont déjoué tous les pronostics et créé l’exploit. Ils ont presque fait oublier qu’il y a six mois, en Afrique du Sud, seul le Ghana s’était offert une tranche d’extase supplémentaire en atteignant les quarts de finale, alors que l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Nigeria, le Cameroun et la Côte d’Ivoire échouaient dès le premier tour du Mondial. Était-ce vraiment une surprise ? Oui et non. Oui, parce que jamais depuis 2000 (année de la création de la Coupe du monde des clubs), une équipe africaine ne s’était invitée à ce niveau de la compétition ; les finales opposent habituellement des clubs

les rênes du club, en 1998, il n’est pas encore le richissime gouverneur du Katanga, mais il a déjà une obsession : redonner au TP Mazembe, le troisième club le plus titré de la RD Congo, les moyens d’exister sur la scène continentale. « Lors de mon premier séjour à Lubumbashi, en 2003, il ne parlait que de ça », se souvient l’ancien entraîneur de l’équipe, le FrancoItalien Diego Garzitto, qui a quitté le club en septembre. « Il voulait faire au moins aussi bien que le TP Mazembe des années 1960, qui avait remporté deux fois la Ligue des champions de la CAF, en 1967 et 1968, et atteint deux fois la finale, en 1969 et 1970, explique Garzitto. Les premières années de sa présidence, il dirigeait le club depuis l’étranger, puisqu’il était interdit de séjour en RD Congo. En 2003, quand j’ai accepté de venir entraîner Mazembe, il n’y avait quasiment rien. » TRAVERSÉE DU DÉSERT

Car les « Corbeaux » reviennent de loin. Fondé en 1939 par des moines bénédictins sous le nom de SaintGeorges, rebaptisé Saint-Paul, puis FC Englebert (du nom d’une marque de pneus), puis Tout-Puissant Englebert et enfin Tout-Puissant Mazembe, le club n’avait plus dominé le football africain depuis quarante ans. Dans cette traversée du désert, une seule victoire continentale, en 1980, dans ce qui était alors la Coupe d’Afrique des vainqueurs de Coupe. « Par rapport à ce qu’était le club il y a sept ou huit ans, il y a eu des changements profonds, explique Garzitto. En 2003, les joueurs touchaient environ 100 dollars par mois (75 euros). Aujourd’hui, c’est beaucoup plus ! » Moïse Katumbi n’a pas lésiné sur les moyens. Lui qui a fait fortune dans

Pour les joueurs de Lubumbashi, des salaires sans équivalent en RD Congo. sud-américains et européens. Non, parce que, depuis deux ans, le club congolais a tout gagné en Afrique : la Ligue des champions de la Confédération africaine de football (CAF), en 2009 et 2010, et la Super Coupe de la CAF, en février dernier. Et c’est justement l’objectif que le populaire – et populiste – Moïse Katumbi s’était fixé. Lorsqu’il reprend

FETHI BELAID/AFP

Peu importe sʼil a échoué en finale de la Coupe du monde des clubs, le 18 décembre. Le TP Mazembe fait, depuis deux ans, la fierté de son président, le richissime Moïse Katumbi, et des amateurs de ballon rond.

le transport et dans les mines avec la Mining Company Katanga, a largement puisé dans ses réserves personnelles. En 2010, le budget du club s’élevait officiellement à 6 millions de dollars. Les salaires des joueurs – de 3 000 à 25 000 dollars par mois, sans compter les primes et avantages en nature – n’ont pas d’équivalent en RD Congo. Ces gros moyens font du Tout-Puissant Mazembe le club le plus riche d’Afrique subsaharienne (Afrique du Sud exceptée) et lui permettent de recruter des joueurs en Zambie, au Zimbabwe et au Cameroun. « Katumbi est très généreux, aussi bien avec les joueurs qu’avec les supporteurs ou ses administrés, confirme Garzitto. Je l’ai déjà vu distribuer des billets à des types qu’il ne connaissait pas. » Et de regretter que le président du club soit aujourd’hui « très mal entouré » (même si « le manager général, Fré-

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 67

Ci-contre, supporteurs congolais lors de la finale de la Ligue des champions de la CAF à Radès (Tunisie), le 13 novembre. Ci-dessous, Moïse Katumbi, gouverneur du Katanga et président du club.

du club, via la Mining Company Katanga que dirige son épouse, et a su activer son réseau pour attirer d’autres mécènes, dont le groupe Forrest.

GWEN DUBOURTHOUMIEU

déric Kitenge, fait bien son travail ») et que beaucoup « ne cherchent qu’à profiter de son argent ». Officiellement retiré des affaires (c’est sa femme, Carine, qui les gère), Moïse Katumbi a renoncé à son traitement de gouverneur, soit 800 dollars par mois. Il consacre beaucoup de temps à la vie de son club, qui le lui rend bien : le TP Mazembe, formidable outil de communication, n’est pas étranger à sa popularité. Pour autant, il y a encore à faire en matière d’équipement. « Il n’y a pas si longtemps, se souvient Garzitto, il fallait s’entraîner sur l’annexe du Golf Club. » À Lubumbashi, où le stade de la Kenya a été rénové et équipé d’une pelouse synthétique, le président-gouverneur a lancé, en avril, les travaux d’un nouveau stade de 18000 places, dont le club sera propriétaire. Il a offert à son équipe un avion pour les déplacements à l’intérieur du pays; il est aussi le premier sponsor

JALOUSIES

Adulé par les supporteurs du ToutPuissant (et par les fameux « 100 % », groupe de 100 musiciens et supporteurs employés par le club), même s’il avait menacé de démissionner de la présidence en 2005 après avoir essuyé de vives critiques, Moïse Katumbi pourrait ne pas vouloir en rester là. « Il ne quittera pas le TP Mazembe, explique Garzitto, mais, un jour, il m’a dit qu’il envisageait d’acheter une équipe de Division 2 en Afrique du Sud pour la faire monter en D1. En RD Congo, le niveau du championnat n’est pas très élevé ; il aura du mal à faire mieux. » Sa réussite suscite des jalousies. Dans les milieux sportifs, bien sûr : fin

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octobre, après une finale aller houleuse face à l’Espérance sportive de Tunis, en finale de la Ligue des champions de la CAF, le président du club tunisois a vertement critiqué « l’empereur d’Afrique qui fait la pluie et le beau temps sur le football africain ». Mais Katumbi agace aussi jusqu’à Kinshasa, où la présidence voit d’un mauvais œil la montée en puissance de ce gouverneur à qui l’on prête des ambitions politiques au niveau national. ■ ALEXIS BILLEBAULT


68

SUD-SOUDAN

La marche vers lʼindépendance Le 9 janvier, si tout va bien, les électeurs choisiront de faire sécession. Un référendum pour tourner la page des années de guerre et auquel Khartoum semble sʼêtre finalement résolu.

D

epuis cinq jours, la barge ralentie par ses soixantequinze passagers remonte les eaux du Nil Blanc. Le bruit des flots perturbe à peine le ronronnement du moteur. À bord, écrasés par le soleil de midi, les regards sont vides. Allongés sur leurs valises et leurs matelas roulés, ils quittent le Nord, où ils avaient trouvé refuge pendant ce qui fut la plus longue guerre civile d’Afrique (voir chronologie). Des familles entières font route vers Juba, capitale du Sud-Soudan. Le 9 janvier, beaucoup prendront part au référendum d’autodétermination. « Au Nord, nous étions considérés comme des citoyens de seconde zone, s’emporte

Nagua. Nos droits n’étaient pas respectés. Si nous avions besoin de nous faire soigner à l’hôpital, nous n’étions jamais reçus, à cause de la couleur de notre peau. Alors, maintenant, nous partons vers notre nouveau pays pour aller voter. » Derrière elle, les autres passagers opinent du chef. Tous tiennent le même discours mâtiné de souvenirs blessés et de rêves d’indépendance. Depuis octobre, ils ont été plus de 70 000 à revenir au pays. L’administration leur a donné un nom : les returnees. Ils ont débarqué dans les grandes villes du Sud, à Bentiu, Malakal ou Bor. Ceux qui ont choisi de s’installer à Juba ont eu la surprise de découvrir une cité métamorphosée. Il y a encore

cinq ans, ce n’était qu’un entrelacs de chemins poussiéreux et de maisons en terre. Aujourd’hui, les rues du centre sont parfaitement goudronnées. Hôtels, stations-service, banques et restaurants pullulent. Depuis la signature des accords de paix, en 2005, le Sud-Soudan dispose de son propre Parlement, d’un président et de ministres. L’élite politique, issue pour une large partie de l’ancienne rébellion (l’Armée populaire de libération du Soudan, SPLA, branche armée du Mouvement populaire de libération du Soudan, SPLM), a pris en charge le développement de la région et gère les retombées financières de l’exploitation du pétrole. À l’extérieur, on doute par-

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 69 lui demande s’il est prêt à reprendre les dans les campagnes sont les seules à armes pour faire reconnaître les droits fournir des soins. Que l’immense majode son peuple, la réponse tombe, dans rité des villages n’a ni eau ni électricité. un large sourire : « Nous ne voulons Et que l’agriculture, encore largement pas la guerre, mais si on nous pousse, sous-développée, ne suffit pas à nourrir nous aurons toujours le droit de nous les populations. « Aujourd’hui au Suddéfendre. » Soudan, plus de 40 % de la population Si le Sud peut librement choisir son est en insécurité alimentaire permadestin, nul doute qu’il deviendra indénente, ajoute Eunice Smith, responsapendant. Après des mois d’incertitudes, ble du Programme alimentaire mondial (PAM) pour la région du Haut-Nil. Référendum ou non, cette situation catastrophique va perdurer. » Dans tout le Sud-Soudan, la commission du référendum a mis en place des bureaux d’enregistrement. Khartoum semble s’y être résigné – non Ils ont été des milliers, chaque jour, à sans promettre, en cas de sécession, venir apposer leur empreinte en guise un raidissement religieux au Nord. Les de signature. Quand les bureaux ont autorités craignent des flambées de viofermé, le 8 décembre, on comptabililence dans les zones frontalières comme sait près de 3 millions d’inscrits pour à Abyei, province riche en pétrole où un 9 millions d’habitants. Les élus sudsecond référendum doit trancher entre soudanais ont multiplié les déclarations un rattachement au Nord ou au Sud. La pour expliquer que la région était en redistribution de l’argent du pétrole fut mesure d’assumer son indépendance. d’ailleurs (avec la mise en application Parmi eux : Joy Kwaye Eluzai, parlede la charia, voulue par le Nord) l’une mentaire. « Aucun pays d’Afrique n’a eu des raisons des vingt-deux années de à lutter aussi longtemps que nous pour guerre civile. ses droits, insiste-t-elle. Avec l’accord En attendant, dans toutes les caserde paix, nous avons montré que nous nes de gendarmerie et de police, les étions capables. Nous avons constitué gradés ont constitué des groupes dont un gouvernement, une assemblée parla mission est d’assurer la sécurité des lementaire, édicté des lois. Ce sont des différents points de vote. Des officiers preuves évidentes de notre déterminades Nations unies leur donnent des tion et de notre capacité à avoir notre cours sur la conduite à tenir en cas propre nation. » de violences. « Si vous CHRONOLOGIE Au siège du SPLM, constatez une menace son porte-parole, Ien quelconque, vous devez er Mathew, évoque, dans prendre les mesu res un anglais à l’accent nécessaires pour rétablir Le Soudan accède oxfordien, l’enjeu majeur la sécurité. Il faut désarà l’indépendance. de ce rendez-vous hismer les gens, protéger Début de la guerre tor ique : le p ét r ole . les urnes et les bulletins civile dans le Sud. Quatre-vingts pour cent de vote », leur expliquedes réserves soudanaises t-on. Suit une formation se trouvent au Sud. « Les pratique pour apprendre Accords d’Addis-Abeba minerais et le pétrole, à désarmer les éléments mettant fin au conflit. sur lesquels le Soudan perturbateurs. Dehors, s’est appuyé pour se les futurs gardiens de développer, viennent en pr ison appren nent à Instauration de la charia. grande majorité du Sud, marcher au pas sous le Reprise de la rébellion affirme-t-il. Pourtant, soleil brûlant. Le mouet création de l’Armée jamais un représentant vement synchronisé des populaire de libération des tribus du Sud n’a sections a comme un air du Soudan (SPLA). eu la possibilité d’être de défilé officiel pour président du Soudan. une fête nationale. Tout Nous avons toujours été un symbole. ■ THOMAS DANDOIS et soigneusement écartés Accord de paix entre DAVID GEOFFRION, à Juba du pouvoir. » Lorsqu’on Khartoum et la SPLA.

Anciens rebelles et futurs gardiens de prison en formation dans la banlieue de Juba, en novembre.

fois de leur compétence, mais à Juba le résultat est flagrant. Ils ont construit des routes et équipé en eau et en électricité de nombreux quartiers. « Je suis très fier de ce qu’ils ont fait pour le peuple noir, raconte Peter, au volant de son 4x4. Avant, il n’y avait que six voitures dans Juba. Aujourd’hui, il y a tous les jours des embouteillages. Nous sommes plus riches, et cela se voit. » Depuis plusieurs semaines, cet ancien soldat de la rébellion a repris du service: il a troqué son kalachnikov contre un haut-parleur et appelle au civisme. « Venez voter le 9 janvier pour votre pays. Nous avons besoin de tout le monde! » Emporté par son enthousiasme, il oublie de mentionner que Juba est aussi devenue l’une des villes les plus chères d’Afrique. Avec l’arrivée des compagnies pétrolières et des ONG, les prix sur les marchés se sont envolés. Il ne dit pas non plus que, dans le reste de la région, pistes et routes ne sont pas entretenues. Que dans les hôpitaux il n’y a ni personnel qualifié ni médicaments, et que les ONG médicales internationales installées

THOMAS DANDOIS

Juba s’est métamorphosée, mais, dans les campagnes, le dénuement est total.

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1 janvier 1956 1972 1983

9 janvier 2005


70 KENYA

Attentat de Noël

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undi 20 décembre, quartier de River Road, Nairobi, Kenya. Il est 19 h 30 et de nombreux passagers font la queue devant le bus qui doit les conduire à Kampala, en Ouganda. Trois hommes portant une valise tentent de forcer le passage. Les responsables de la sécurité s’interposent. Le ton monte. On en vient aux mains. La valise tombe. Une violente explosion déchire la nuit. Bilan : au moins trois morts et 41 blessés, aussitôt évacués vers différents hôpitaux de la ville. Une des victimes serait l’un des trois hommes ayant tenté de monter à bord du bus. Les passagers blessés sont en majorité kényans et ougandais. Le président Mwai Kibaki a aussitôt assuré que tout serait mis en œuvre pour garantir la sécurité des Kényans et promis qu’une enquête permettrait de faire toute la lumière sur l’événement. Pour l’heure, en l’absence de preuves et de revendication, les regards se tournent vers des groupes extrémistes comme les milices somaliennes Shebab ou d’autres groupes affiliés à Al-Qaïda. Peu de temps avant l’explosion, le chef de la police ougandaise avait en effet lancé un avertissement appuyé. Selon lui, des militants islamistes préparaient des attentats pour les fêtes de fin d’année. L’Ouganda fournit actuellement le gros des forces de la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom) et a connu, le 11 juillet dernier, une attaque terroriste revendiquée par les milices Shebab (76 morts). Le Kenya, qui est comme l’Ouganda un proche allié des États-Unis, n’oublie pas les attentats revendiqués par Al-Qaïda, qui ont plusieurs fois ensanglanté son territoire, en 1998 et 2002 notamment. Le vice-président Kalonzo Musyoka s’est adressé aux Kényans pour leur demander de « ne pas interrompre leurs vacances de Noël en cédant à la peur ». ■ NICOLAS MICHEL

BURKINA FASO COMPAORÉ, ENCORE ET ENCORE Réélu pour cinq ans à la tête de l’État, Blaise Compaoré a été officiellement investi, le 20 décembre. Une cérémonie très critiquée par l’opposition, mais à laquelle a assisté Brice Hortefeux, le ministre français de l’Intérieur, condamné pour avoir tenu des propos douteux sur les Arabes.

NIGERIA

Lʼarrangement Dick Cheney, lʼancien vice-président américain et ex-PDG dʼHalliburton, ne sera pas poursuivi pour corruption.

L

ancien vice-président américain Dick Cheney peut dormir tranquille. Le 17 décembre, la Commission fédérale de lutte contre les crimes économiques et financiers, le gendarme anticorruption au Nigeria, a annoncé avoir trouvé un arrangement avec Halliburton. Dix jours plus tôt, l’État nigérian révélait avoir déposé une plainte devant la Haute Cour d’Abuja contre plusieurs responsables du groupe de produits et services pétroliers texan, dont Dick Cheney, son patron dans les années 1990. Motif : des pots-de-vin présumés. D’un montant total de 180 millions de dollars, ils auraient été versés entre 1994 et 2004 par Kellogg Brown and Root (KBR), filiale d’Halliburton jusqu’en 2007, lors de la construction d’une usine de gaz liquéfié dans le Delta du Niger. Poursuivi aux États-Unis pour la même affaire, KBR a déjà payé une amende au pénal de 402 millions de dollars. Et, conjointement avec Halliburton, a également déboursé 177 millions au civil. La justice nigériane enquêtait de son côté. L’arrangement du 17 décembre met fin

aux poursuites. Halliburton devra honorer une amende de 120 millions de dollars et rapatrier 130 millions de dollars depuis des banques étrangères. Un tel accord n’est pas inédit au Nigeria. En 2009, le laboratoire pharmaceutique Pfizer, accusé d’avoir contaminé des enfants en testant un traitement contre la méningite dans l’État de Kano (nord du pays) en 1996, a accepté de débourser 75 millions de dollars contre l’arrêt des poursuites. Trois mois avant l’annonce de l’accord, les deux avocats de Pfizer s’en ouvraient à l’ambassadeur des États-Unis à Abuja dans un entretien révélé par WikiLeaks. Les avocats soulignaient le rôle de l’ex-chef de l’État Yakubu Gowon, qui a persuadé le gouverneur de Kano de réviser ses ambitions de 150 millions à 75 millions de dollars. Ils indiquaient aussi que « les représentants nigérians insistent pour des paiements forfaitaires, ce que Pfizer refuse », précisant que « Pfizer est vigilant avec les questions de transparence ». Les modalités du paiement par Halliburton n’ont pas été précisées. ■ MARIANNE MEUNIER

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AFRIQUE SUBSAHARIENNE 71 CAMEROUN

MOT CHOISI

Un bon filon

Des Sud-Coréens exploiteront les diamants de Mobilong. En période préélectorale, la nouvelle tombe à point nommé.

E

lle aurait pu faire les grands titres des quotidiens locaux. Mais, le 16 décembre, la nouvelle de la signature du permis d’exploitation accordé à la société Cameroon and Korea Mining (C&K) a été reléguée dans les pages consacrées aux annonces classées du quotidien gouvernemental Cameroon Tribune. Paradoxalement, depuis la découverte par des géologues sud-coréens du gisement diamantifère de Mobilong, dans la région de l’Est (gisement décrit, lors de sa découverte, comme la « plus grosse réserve connue à ce jour dans le monde »), les autorités camerounaises communiquent a minima. L’entrée du Cameroun dans le club des pays producteurs de diamants aurait pu susciter plus d’enthousiasme, surtout en période préélectorale, compte tenu des possibles retombées économiques. Mais s’agissant du secteur minier, l’État a longtemps cultivé la loi du silence. Yaoundé ne semble pas

Alpha Condé est officiellement devenu, le 21 décembre, le premier président démocratiquement élu de Guinée. Mission accomplie, donc, pour le général Sékouba Konaté (à g.), le chef de l’État par intérim qui a su tenir parole en organisant l’élection présidentielle. En ces temps troublés, où la Côte d’Ivoire menace de sombrer dans le chaos, c’est maintenant la Guinée qui fait figure d’exemple.

ISOUMARE/APA

GUINÉE L’OPPOSANT DEVENU PRÉSIDENT

décidé à rompre avec les vieilles habitudes. Côté coréen, en revanche, on ne cache pas sa satisfaction, tout comme on s’était empressé d’annoncer la découverte du gisement avant même que son potentiel ne soit confirmé. Pour Séoul, le permis d’exploitation octroyé à C&K est la récompense des efforts d’exploration entrepris sur le site à partir de 2007. Médias et gouvernement se félicitent de pouvoir exploiter pour une durée de vingt-cinq ans un gisement estimé à 736 millions de carats (soit 147,2 tonnes). C&K Mining, détenu à 35 % par l’État du Cameroun, compte y investir 500 milliards de F CFA (760 millions d’euros). L’activité de la mine devrait en outre permettre de créer 4 000 emplois directs dans l’extraction des pierres, leur traitement, leur tri, la récupération et enfin l’exportation vers la Corée du Sud. Les gemmes seront taillées au pays du Matin calme avant d’être réexportées. ■ GEORGES DOUGUELI

CHAROGNE Dif ficile de le trouver sympathique. Le vautour a le c râne dégarni, la plume terne et une sale habitude de charognard. Moche donc, mais plutôt utile. Sans lui, expliquent les spécialistes, l’odeur des carcasses pourries serait insoutenable dans les parcs, surtout au moment des grandes migrations. Les touristes devraient se promener avec un masque sur le visage. Sauf que les vautours ne font pas la différence entre un bon buffle bien sauvage et une vache dont l’alimentation a été contaminée par des pesticides. Du coup, depuis la fin des années 1980, au Kenya, 60 % des vautours sont mor ts empoisonnés. À vos masques !


72 MAGHREB & MOYEN-ORIENT

LIBAN

HASSAN NASRALLAH,

LʼIMAM CACHÉ

Héros de la résistance à Israël aux yeux des Arabes, extrémiste infréquentable pour lʼOccident, le chef du Hezbollah, contraint de vivre dans la clandestinité pour échapper à un « assassinat ciblé », est devenu lʼune des pièces maîtresses de la partie dʼéchecs qui se joue dans la région.

I

CONSTANCE DESLOIRE

rence. Le dernier en date, à l’occasion de l’Achoura (commémoration du martyre de l’imam Hussein), le 16 décembre, a été pour lui l’occasion d’enfoncer le clou sur un certain nombre de sujets, dont la probable mise en cause du Hezbollah par le Tribunal spécial de l’ONU pour le Liban (TSL) dans l’assassinat, en 2005, de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri (lire encadré). Pour sauver politiquement son mouvement devenu, notamment grâce à sa milice, un État dans l’État, Nasrallah doit à tout prix désamorcer cette bombe à retardement. Cette fois, il a demandé au gouvernement de Saad Hariri de ne pas s’en mêler et de laisser le Hezbollah traiter seul avec le TSL. HOMME DU PEUPLE

Intelligent, éloquent, pragmatique, comme le reconnaissent amis et ennemis, le chef du Parti de Dieu, 50 ans,

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l a remplacé Nasser dans le cœur des peuples arabes et musulmans, lui, le petit clerc c h i ite d’or ig i ne modeste. Depuis que son mouvement, le Hezbollah, a obligé Israël à se retirer du Liban en 2000 et résisté aux assauts de Tsahal en 2006, des millions de personnes, d’Alger à Téhéran, veulent croire qu’il est en train de laver un siècle d’humiliations. Car, comme l’écrit l’éditorialiste Rami Khouri, du Daily Star libanais, cet amour ne trouve pas ses racines dans l’idéologie mais dans la psychologie. Depuis l’offensive israélienne de 2006, jamais le secrétaire général du Hezbollah n’avait été aussi visible. Ces six derniers mois, Hassan Nasrallah, obligé de se cacher pour échapper à un « assassinat ciblé » auquel l’a promis Tel-Aviv, a prononcé plus d’une dizaine de discours retransmis par vidéoconfé-

fascine depuis ses premières apparitions publiques, en 1986. L’homme est proche du peuple. Né à Karantina, un bidonville de la banlieue de Beyrouth, il est l’aîné d’une famille de neuf enfants. Son père, Abdelkarim, est un marchand de fruits et légumes. Jeune, Hassan côtoie Palestiniens, Arméniens et Kurdes, d’où son empathie naturelle pour les déracinés et les opprimés. D’anciens camarades de classe se souviennent d’un gamin qui réfléchissait toujours avant de parler. L’enfant timide est devenu un homme pudique. En 1997, lorsqu’il apprend la mort de son fils aîné, Hédi, 18 ans, lors d’affrontements avec l’armée israélienne, il ravale sa peine et prononce le discours initialement prévu, sans chercher à instrumentaliser le deuil qui le frappe. Ce jour-là, il entre dans le cœur des Libanais. Incorruptible et réellement solidaire des Palestiniens, il détonne dans le milieu des leaders arabes, dont la léthargie le dispute à la frilosité. Si un mot devait le définir, ce serait « piété ». À l’âge de 10 ans, celui dont le nom signifie « la victoire de Dieu » donnait déjà à l’écharpe de sa grandmère sur sa tête la forme des turbans religieux qu’il porte aujourd’hui. Sa famille n’est pas particulièrement pieuse, mais un poster de Moussa Sadr, un imam iranien qui s’était installé au Liban pour s’occuper des chiites,

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Un soldat israélien devant un portrait de Hassan Nasrallah, dans le Sud-Liban. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11

IDF/ISRAEL SUN/REA

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trône dans l’échoppe familiale. Il n’a que 15 ans lorsqu’il part, seul, étudier l’islam à Nadjaf, lieu saint irakien du chiisme. Studieux et ascète, il boucle en deux ans un premier cursus et rencontre, en 1977, l’ayatollah Khomeiny, qui le subjugue. Une rencontre décisive puisque c’est en s’inspirant ouvertement de la révolution iranienne de 1979 qu’il cofonde, en 1982, le Hezbollah. Le retrait d’Israël, qui vient d’envahir le Liban, est l’objectif du parti, et l’islam, le référent de cette lutte. Mais Nasrallah, drapé dans son ample vêtement de modeste clerc, petites lunettes de l’érudit sur le nez, se définit d’abord comme un religieux. « Mon plus grand souhait est que mes frères m’allègent de mes responsabilités pour que je puisse retourner au séminaire », soupire-t-il.

À l’inverse des islamistes sunnites radicaux, le leader chiite est réaliste, tolérant, plus pragmatique que dogmatique. Dans les zones du SudLiban placées sous son contrôle au début des années 1990, il assouplit la réglementation sur l’alcool et la tenue vestimentaire. « Le régime des talibans est le pire exemple possible de république islamique », n’hésite-til pas à dire, estimant qu’elle n’est de toute façon pas à l’ordre du jour dans un Liban multiconfessionnel. Rassembleur, exécrant l’idée de Fitna (la discorde entre musulmans), il rejette celle d’un affrontement généralisé entre chiites et sunnites. Il associe systématiquement les chrétiens à son combat contre l’occupation et cite souvent Jean-Paul II. « L’islam des Lumiè-

KHALIL HASSAN/REUTERS

PRAGMATISME

Nasrallah s’adressant à ses partisans par vidéoconférence, en août 2009.

res, c’est lui ! » va jusqu’à affirmer le journaliste libanais René Naba. Nasrallah, terroriste ? Son implication dans les premiers attentats du Hezbollah, au début des années 1980, notamment contre les contingents français et américain, n’est pas établie, sa biographie officielle faisant l’impasse sur cette période. Il enseignait alors dans une école coranique et était responsable du parti dans la plaine de la Bekaa. « Une stricte définition du mot

terrorisme est impossible », dira-t-il en 2004. S’il condamne à plusieurs reprises Al-Qaïda et les attaques du 11 Septembre, il rappelle régulièrement qu’un peuple occupé est en droit d’attaquer l’occupant. Et s’est même laissé aller un jour, bien qu’on lui connaisse peu de dérapages verbaux, à qualifier les juifs sionistes de « descendants de singes et de porcs ». Pragmatique, le secrétaire général du Parti de Dieu l’est aussi comme chef

JUSQU’OÙ PEUT ALLER LE TSL ? LE TRIBUNAL SPÉCIAL POUR LE LIBAN (TSL) a été créé par l’ONU en 2007 pour juger les assassins du Premier ministre Rafic Hariri, tué en février 2005. C’est la première fois qu’un tribunal international est chargé d’enquêter sur un assassinat politique qualifié d’« acte terroriste ». Mais la crédibilité du TSL, qui a déjà vu sept personnes de son équipe démissionner, est entamée par l’affaire des « faux témoins ». Quatre hauts gradés de l’armée libanaise ont en effet reconnu avoir initialement établi de faux témoignages incriminant la Syrie. Relâchés, les quatre hommes n’ont pas été interrogés sur leurs motivations ni sur leur donneur d’ordre. Le procureur Daniel Bellemare, après avoir suivi la piste syrienne, s’est désormais orienté vers celle du

Hezbollah. Hassan Nasrallah a appelé le TSL à envisager que les commanditaires de l’attentat puissent se trouver en Israël. Il a présenté en conférence de presse les récits d’agents libanais retournés au profit de Tel-Aviv et des prises de vue israéliennes du lieu de l’attentat. Mais il refuse de communiquer ces éléments aux enquêteurs, qu’il accuse de partialité. Le Liban n’étant pas, à l’instar des États-Unis ou de la Russie, signataire du statut de Rome, qui est l’acte fondateur de la Cour pénale internationale, Beyrouth n’émettra probablement pas de mandat d’arrêt contre des membres du Hezbollah si certains sont mis en cause par le TSL. Dans le cas contraire, le fragile équilibre politique libanais pourrait voler en C.D. éclats. ■

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MAGHREB & MOYEN-ORIENT 75 en anglais les discours du « sayyed » (« descendant 1960 Naissance dans la du Prophète »), « c’est au banlieue de Beyrouth moment où la résistance est devenue un puissant 1977 Rencontre l’ayatollah mouvement de guérilla Khomeiny que sa raison d’être s’est érodée ». Nasrallah a donc 1982 Quitte le parti impulsé la « libanisation » chiite Amal et cofonde de son parti, qui entre au le Hezbollah gouvernement en 2005. Il s’agit pour lui désormais de convaincre qu’il est politi1992 Désigné secrétaire quement indépendant de général du Hezbollah la Syrie et surtout de l’Iran après l’assassinat d’Abbas – dont il reconnaît cepenMoussaoui dant l’aide financière et la guidance spirituelle. 2000 Retrait israélien Nasrallah est aussi en du Liban quête de crédibilité sur des thèmes socio-écono2004 Procède à un échange miques. Ainsi a-t-il clôde prisonniers avec Israël turé par une allocution, le 8 octobre, la campagne 2006 Guerre de trentede plantation d’un million trois jours contre Israël d’arbres lancée par le Hezbollah. Pour l’occasion, il 2009 Réélu secrétaire a effectué sa première général du Hezbollah pour sor tie publique depuis un quatrième mandat deux ans et a planté un arbre devant son ancienne maison détruite, à Haret Hreik, dans de guerre. S’il appelle Israël « l’entité la banlieue de Beyrouth. Il a évoqué sioniste », puisqu’il n’en reconnaît pas quatre raisons de reboiser le Liban : l’existence, il n’en négocie pas moins protéger l’environnement ; pérenniser avec l’État hébreu depuis 1993. Pour l’identité du Liban, pays du Cèdre ; mieux connaître ses ennemis, il lit les conserver les forêts, défense naturelle Mémoires d’Ariel Sharon et se familiacontre les invasions ; et honorer le rise avec les différents corps d’armée de Prophète, qui invitait les musulmans Tsahal, qui n’a plus aucun secret pour à planter des arbres. Tel est le nouveau lui. Il cherche à comprendre la mentalité Nasrallah : un soupçon de modernité, des Israéliens et déclare même que « la une trame nationaliste, façon dont les sionistes œuvrent jour et une culture de la résisnuit pour récupérer leurs soldats et les tance et l’islam comme corps de leurs morts mérite le respect ». ligne de conduite. C’était en 2004, lors d’un échange de Quatrième personnaprisonniers. L’État libanais, exclu des lité préférée des Arabes négociations, salua sa réussite. en 2010, selon un sondage du Brookings Institute UN ÉTAT DANS L’ÉTAT – il a été premier jusqu’en 2008 –, il est C’est que le Hezbollah est devenu devancé par Erdogan, Chávez et Ahmatout-puissant – milice, réseau de comdinejad. Peu d’informations transpirent munication, services sociaux, dont sur les rapports de force au sein du très Nasrallah justifie le maintien par la faiopaque Hezbollah. Certains évoquent blesse de l’État. Mais la population supdes divergences entre Nasrallah et son porte de moins en moins cette autorité numéro deux, Naïm Qassem, plus proparallèle, alors que le dialogue national che des Iraniens. Quoi qu’il en soit, le sur les « armes de la résistance », entachef du parti n’a aucun héritier désigné mé en septembre 2008, n’a toujours pas ou putatif à ce jour. Il garantit l’unité abouti. Et depuis qu’Israël a quitté le du Hezbollah depuis dix-huit ans et a Liban, le thème de la résistance comété élu secrétaire général pour la quamence à s’essouffler. Comme le soulitrième fois en 2009. gne Nicholas Blanford, qui a compilé DATES CLÉS

Marié avec Fatima, la sœur d’un ancien camarade de séminaire, il s’efforce « de devenir un mari et un père attentif ». Si ses trois enfants, deux garçons et une fille, sont absents de la politique ou des affaires – ce qui le distingue encore des leaders arabes, « toutes mes sœurs sont des membres actifs du Hezbollah », se plaît-il à rappeler. Surtout, c’est un excellent tribun, passé maître dans l’art de galvaniser les foules grâce à un sens inné de la formule, à une maîtrise parfaite de l’arabe… et à un humour ravageur. Il s’amuse parfois de son défaut de prononciation qui l’empêche de rouler correctement les « r » ! Pédagogue, il appelle toujours ses auditeurs au calme, avant de démontrer méthodiquement le bien-fondé de ses théories. CONTRE-ATTAQUE

Très habile, Nasrallah dispose de trois armes pour faire échec au TSL et sauver son mouvement. D’abord, la dissuasion. « Toute main qui essaierait d’arrêter l’un de nos combattants sera coupée », a-t-il lancé en novembre. Ensuite, la contre-attaque. Il a présenté des indices impliquant Israël dans l’assassinat de Hariri, mais refuse de les communiquer au TSL. Enfin, la diplomatie. Nasrallah attend beaucoup de l’accord politique entre le Hezbollah et le gouvernement libanais que préparent la Syrie et l’Arabie saoudite. TelAviv dit redouter un coup d’État du Hezbollah en cas d’inculpation de ses membres par le TSL. « Si nous voulions faire un coup d’État, nous l’aurions fait

« Si nous voulions faire un coup d’État, nous l’aurions fait en 2005 ou en août 2006. »

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en 2005, ou en août 2006 », répond le « sayyed », qui estime plutôt qu’Israël prépare le terrain pour une future invasion du Liban. S’il remporte son bras de fer avec le TSL, le Parti de Dieu aura accentué un peu plus son poids face à l’État. Mais celui qui a guidé jusque-là le mouvement chiite devra tôt ou tard redéfinir sa place sur la scène politique nationale. À moins que le bellicisme d’Israël ne lui fournisse encore de bonnes raisons de ne pas le faire. ■


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MAROC

Au royaume des phosphates Socle de lʼavenir économique du pays, mesure de son poids diplomatique, le précieux minerai est une ressource hautement stratégique sur laquelle veillent jalousement les autorités.

C

est une poudre blanche, épaisse comme de la lessive. Longtemps, elle n’a servi qu’à fabriquer des engrais et s’est échangée à un prix dérisoire (35 dollars la tonne). La plupart des Marocains ignorent tout de ses usages. Pourtant, avec un pic à 400 dollars la tonne en 2008 et une demande mondiale qui croît au rythme de l’économie chinoise, le phosphate est au Maroc ce que le pétrole est à l’Arabie saoudite : le socle de son avenir économique, la mesure de son poids diplomatique et, comme souvent pour les ressources stratégiques, le nerf de la guerre. Car au royaume chérifien, phosphate rime souvent avec Sahara, puisqu’une partie des 5 700 millions de tonnes que

recèle le pays se trouvent dans les provinces du Sud. Découvertes en 1945 par le géologue espagnol Don Manuel Alia, les mines sahariennes, situées à Boucraa, à 100 km au sud de Laayoune, seront exploitées à partir de 1972. En 1975, Fosbucraa, la société espagnole constituée en 1968 pour la mise en valeur du minerai, aurait extrait près de 2 millions de tonnes. « C’est parce que la région était réputée très riche en phosphates que la décolonisation de l’Espagne a mis autant de temps », explique Abdelmalek Alaoui, associégérant du cabinet de consultants Global Intelligence Partners. Côté Polisario, la seule présence du minerai suffit à alimenter les fantasmes d’indépendance économique et politique. Au point

d’organiser des opérations de sabotage contre les infrastructures minières de la région. Principale source de revenus pour le royaume, les phosphates sont-ils une bénédiction, ou le nerf d’une guerre qui n’en finit pas ? État des lieux. PREMIER EXPORTATEUR MONDIAL

Au début de décembre, une étude américaine s’alarmait de la toute-puissance du Maroc sur le marché stratégique des phosphates. Alors que les réserves sont partout en déclin, le royaume disposera, à l’horizon 2020, de 80 % des réserves mondiales. Troisième producteur (derrière la Chine et les États-Unis) avec 24 millions de tonnes par an, le Maroc est le premier exportateur mondial de ce minerai, qui sert principalement à la fabrication de fertilisants, de détergents ou de batteries lithium-ion, utilisées dans les véhicules électriques ou les téléphones portables. Créé en 1920 par le maréchal Lyautey, treize ans après la découverte des premiers gisements, l’Office chérifien

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MAGHREB & MOYEN-ORIENT 77 Usine de traitement des phosphates, à Laayoune.

nes, contre 1,4 et 1,7 million en 2007 et 2008. Le groupe a également gagné de nouvelles parts de marché (44 % en 2009, contre 38 % en 2008) et conforte sa position de leader mondial. Considéré sous Hassan II comme une des caisses noires du régime, l’OCP a fait peau neuve sous le règne de Mohammed VI et la direction de Mustapha Terrab, son patron depuis 2006. Plus transparent, il s’est mis en conformité avec les normes internationales et ne cache plus ses ambitions. À l’horizon 2013-2015, la capacité d’extraction minière devrait passer de 30 à 50 millions de tonnes par an, et quatre nouvelles usines devraient ouvrir à Jorf Lasfar (au sud d’El-Jadida). Une stratégie très agressive qui nécessitera plus de 4 milliards de dollars d’investissements d’ici à 2012. Objectifs : rester compétitif et asseoir son leadership sur le marché mondial. Utilisés par toutes les grandes agricultures, notamment aux États-Unis ou au Brésil, les fertilisants sont devenus un enjeu stratégique. En raison de l’augmentation des besoins alimentaires liée à la croissance démographique, la demande en phosphates devrait progresser de 2 % à 3 % par an. Dès lors, la moindre rumeur de pénurie fait exploser les cours, comme cela a été le cas en 2008. Contrairement au pétrole, que l’on sait remplacer par d’autres énergies, le phosphate ne possède pas de substitut connu. Le précieux minerai est d’autant plus prisé qu’il pourrait devenir une source d’énergie. Depuis que l’on sait extraire de l’uranium à partir de dérivés du phosphate, le royaume suscite l’intérêt des puissances occidentales. En 2007, à l’occasion du voyage au Maroc du président français, Nicolas Sarkozy, Anne Lauvergeon, présidente d’Areva, et Mustapha Terrab ont signé un protocole d’accord pour développer la coopération et la recherche dans le domaine de l’uranium naturel. Selon l’Agence

internationale de l’énergie atomique (AIEA), les ressources en uranium à partir des sous-produits des seuls gisements de phosphate du Maroc avoisineraient 6 millions de tonnes. AU CŒUR DE LA DIPLOMATIE

Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que le phosphate se retrouve au cœur de la diplomatie marocaine. « Le fait que Mustapha Terrab ait été en première ligne pour accueillir Ban Ki-moon lors du dernier World Policy Conference, à Marrakech, n’est pas anodin », explique un expert. Conférence durant laquelle le président du Togo (autre terre de phosphates), Faure Gnassingbé, a appelé

VINCENT FOURNIER/J.A.

On peut extraire de l’uranium de ses dérivés, d’où l’intérêt croissant des Occidentaux.

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des phosphates (OCP) a le monopole de l’extraction, de la valorisation et de la commercialisation. D’abord instrument de pillage au service de la puissance coloniale, l’Office est nationalisé en 1973 avant de devenir, en 1975, le groupe OCP. Fleuron de l’économie nationale, fort de ses 19 000 salariés, le groupe soutient plus que jamais la croissance du pays puisque son activité représente 2 à 3 points du PIB. Sans lui, le déficit de la balance commerciale se creuserait dangereusement. En 2009, l’OCP a enregistré un chiffre d’affaires de 20,7 milliards de dirhams (1,85 milliard d’euros), pour une production de 2 millions de ton-

l’OCP à travailler main dans la main avec son pays. « Du fait de la fermeture de la frontière avec l’Algérie, le Maroc a développé sa stratégie énergétique vers le sud. S’il s’alliait avec un pays comme le Togo, ça en ferait une vraie puissance sur le plan régional », ajoute l’expert. Le phosphate est par ailleurs une arme de négociation pour le Maroc, qui n’hésite pas à utiliser sa situation de quasi-monopole pour négocier leur soutien aux pays demandeurs, en particulier dans le dossier du Sahara. Pourtant, selon l’OCP, seulement 2 % du phosphate marocain est extrait à Boucraa, dont la mine ne représente que 6 % des ventes. La capacité de production annuelle est de 3 millions de tonnes, soit moins de 0,3 % des réserves prouvées de Boucraa. « La mine est davantage exploitée pour des raisons sociales et politiques que pour son utilité économique. Son rendement est structurellement déficitaire, mais on préfère l’exploiter à perte plutôt que de supprimer des emplois dans cette région très sensible », souligne l’économiste


78 MAGHREB & MOYEN-ORIENT ▲ ▲ ▲

Fouad Abdelmoumni. À en croire d’autres analystes, le phosphate sahraoui serait, au contraire, d’une qualité exceptionnelle et le coût d’extraction très faible, car les couches de minerai affleurent quasiment à la surface du sol. « La question du phosphate au Sahara reste très opaque, et peu d’informations sont vérifiables », estime Abdelmoumni. Très mal connues, les potentialités minières de la région alimentent toutes les rumeurs. Dans leur dernier rapport, les experts du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) français parlent de « trésors cachés du Sahara occidental », en référence à certaines « occurrences d’uranium dans la région de Tichla et dans la zone de Tifariti ». Pour démêler le vrai du faux, Mustapha Terrab a récemment commandé une étude, mais n’a pas voulu la rendre publique. Et pour cause. GUERRE ÉCONOMIQUE

Le pouvoir grandissant de l’OCP, accusé de jouer sur les prix du minerai, n’est pas du goût de ses concurrents, qui pourraient utiliser ces informations sensibles pour le déstabiliser. « Nous sommes en train de glisser d’une guerre politique à une guerre économique. Ça va être un axe déterminant dans les prochaines années. Nos détracteurs seront prêts à tout… au nom de la compétitivité », explique Abdelmalek Alaoui. Déjà des associations pro-Polisario ont mesuré leur pouvoir de nuisance en menant un lobbying forcené. De son côté, l’OCP joue la transparence et se dit disposé à fournir toutes les informations nécessaires à ses clients. « Ces attaques prouvent que nos

entreprises sont en train de devenir des groupes mondiaux et cristallisent l’attention de nos adversaires », ajoute Alaoui. Mais la Norvège ou l’Australie ont cessé d’acheter du phosphate marocain. Le producteur d’engrais anglo-australien BHP Billiton a été l’objet d’intenses pressions de la part de l’association Western Sahara Resource Watch (WSRW) pour « mettre un terme à l’exportation du phosphate marocain ». Dans le Guardian, WSRW accuse le Maroc d’exploiter le minerai sans que les populations de la région en tirent profit. La question de l’emploi des Sahraouis dans les mines reste une préoccupation majeure pour les natifs de la région. « À l’époque où les Espagnols géraient les mines, ils employaient plus de mille Sahraouis, qui gagnaient 30 dirhams de l’heure et qui bénéficiaient d’une couver t u re sa n it a i re g rat u ite », regrette Mustapha, un habitant de Laayoune dont les enfants travaillent dans le phosphate. Aujourd’hui, la mine emploie directement 1 700 personnes, dont près de la moitié serait des Sahraouis. « On voit beaucoup de retraités des phosphates manifester pour avoir une meilleure pension et pour que leurs enfants aient un emploi. Au Sahara, l’enjeu du phosphate, c’est avant tout la création d’emplois pour la population », ajoute Mustapha. « Les concurrents du Maroc attaquent l’OCP sur sa responsabilité sociale et éthique. De son côté, l’Office, qui est en train de devenir un poids lourd mondial, est

désormais plus sensible à son image », conclut Abdelmalek Alaoui. Le directeur exécutif chargé du pôle mines, Ahmed Nabzar, l’a bien compris : « La stratégie de l’OCP doit permettre d’accroître la valeur ajoutée et la rentabilisation des phosphates et, surtout, accorder davantage d’intérêt à la gestion des ressources humaines. » Soucieux d’assurer la durabilité de son

Les associations pro-Polisario mènent une campagne de boycott forcenée.

UN LEVIER D’INTÉGRATION RÉGIONALE SI LES PHOSPHATES SONT un instrument de pression pour les militants pro-Polisario, ils pourraient aussi devenir un puissant levier de l’intégration maghrébine. « Nous regardons les projets algériens d’un œil très favorable, confiait le patron de l’OCP, Mustapha Terrab, à J.A. en 2008. Nous sommes dans des configurations différentes et complémentaires. Les engrais sont constitués de phosphates et d’ammoniaque, qui est un dérivé du gaz. Les Algériens ont ce dont nous ne disposons pas, et inversement. C’est pourquoi je pense à un Maghreb des phosphates et de l’énergie. » Pour Francis Ghilès, du Centre d’études internationales de Barcelone (Cidob), « un partenariat entre Sonatrach, qui joue un rôle central dans l’industrie pétrolière nationale, et l’OCP pourrait faire du Maghreb la base de production d’engrais la plus compétitive du monde, entraînant dans son sillage de nombreuses entreprises de sous-traitance et des investisseurs des cinq continents, sans compter un nombre incalculable d’emplois ». ■ L.S.

activité mais aussi d’attirer des investisseurs étrangers, l’OCP accorde de plus en plus d’importance à son environnement et au bien-être de ses employés. « MINE VERTE »

Capitale mondiale des phosphates, Khouribga est une petite ville pauvre de 170 000 habitants sans hôtel, ni restaurant, ni boutique située au cœur du « triangle de la mort », cette région du Maroc grande pourvoyeuse de candidats à l’émigration clandestine. Ici, les familles vivent presque toutes de la mine, dans des conditions souvent difficiles. Dégâts environnementaux et sanitaires, bas salaires, l’OCP n’y jouit pas toujours d’une bonne réputation. Un projet baptisé la « Mine verte », soutenu directement par le roi Mohammed VI, devrait modifier radicalement le visage de la cité minière. La ville nouvelle, qui devrait coûter près de 700 millions d’euros, abritera un musée, des hôtels de luxe, un théâtre, une cité des sciences, un parc d’attractions, un lac artificiel, un téléphérique et même une piste de ski… Une mine abandonnée sera aménagée en jardin botanique, et des maisons seront construites pour les employés de l’OCP par les meilleurs architectes français et marocains. Entièrement écologique, la nouvelle Khouribga devrait avoir des allures de mini-Dubaï. « Bien sûr, il faut y voir un signal de la part de l’OCP et du Maroc en général, estime un expert en minerai. C’est une façon d’exprimer sa toutepuissance mais surtout de montrer à son opinion publique, comme au monde, que les fruits du phosphate sont redistribués et que l’on rend enfin aux Marocains ce que leur terre leur a donné. » ■ LEÏLA SLIMANI

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MAGHREB & MOYEN-ORIENT 79 ALGÉRIE

Que reste-t-il de Boumédiène? Trente-deux ans après sa mort, il est le seul ancien président qui nʼait pas sombré dans lʼoubli et dont la popularité est toujours intacte, y compris chez les plus jeunes.

Boumédiène avec Abdelaziz Bouteflika, en 1975, à Alger.

d’histoire dans un lycée de la capitale. Cela ne tient pas aux connaissances acquises à l’école mais plutôt aux conversations en milieu familial. Boumédiène demeure la référence en matière d’homme d’État. » POSTURE RÉVOLUTIONNAIRE

Il est v rai que la simple évocation de son nom provoque nostalgie chez les uns et crainte de l’uniforme chez les autres. Vice-président de la République et tout-puissant ministre de la Défense au moment de l’indépendance, en juillet 1962, ce solide Berbère, de son vrai nom Mohamed Ben Brahim Bouk harrouba, natif de Guel ma (350 k m à l’est d’A lger), a régné sur l’Algérie jusqu’à ce

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qu’un mal mystérieux l’emporte, le 27 décembre 1978, à l’âge de 46 ans. Incarnation du nationalisme ombrageux, de la posture révolutionnaire, Boumédiène est le seul ancien président de la République dont le portrait orne encore le bureau du cadre ou du subalterne, le mess des officiers ou la caserne de pompiers. Qu’on l’aime ou qu’on l’abhorre, Boumédiène ne laisse pas indifférent. Mieux : c’est l’unique ex-président qui n’a pas sombré dans l’oubli, ni alimenté les histoires drôles et salées dont l’humour populaire gratifie les puissants, passés et présents. Paradoxalement, ce n’est pas sa longévité (Chadli Bendjedid est resté au pouvoir autant de temps que Boumé-

GILBERT UZAN/GAMMA-RAPHO

R

enversé, démissionnaire (de son plein gré ou non) ou assassiné, un président algérien n’a plus droit de cité dès lors qu’il n’est plus au pouvoir. On n’en dit ni du bien ni du mal, on n’en parle pas. Cette fâcheuse tradition du système politique s’explique par la mobilisation de l’appareil de propagande officielle au profit exclusif du chef de l’État en exercice. Mérites et bienfaits ne peuvent être mis à l’actif du prédécesseur, lequel s’est vu opposer l’inévitable « rupture avec les pratiques du passé » le jour où son bail à El-Mouradia (quartier des hauteurs d’Alger qui abrite la présidence de la République) a pris fin. Résultat : les jeunes, scolarisés ou non, ne savent rien, ou presque, des trois personnalités qui, chaque année, à l’occasion de l’anniversaire du déclenchement de la guerre de libération, le 1er novembre 1954, président, en compagnie du chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, le banquet officiel lançant les festivités. Le pas hésitant, les mains tremblotantes, la parole rare et le sourire de circonstance, Ahmed Ben Bella (19 62 -19 6 5), C h a d l i B e n dj e d i d (1979-1992) et Ali Kafi (1992-1994), trois des anciens présidents encore v iva nt s – le quat r ième, L ia m i ne Zéroual (1994-1998), ayant fait le choix de s’abstenir de toute apparition publique – semblent avoir été sortis de la naphtaline pour l’occasion. En revanche, ces mêmes jeunes « citent, sans hésitation aucune, le nom de Houari Boumédiène quand on leur demande d’évoquer le nom d’un ancien président, affirme Souad Benabda lla h, 43 a ns, professeur


80 MAGHREB & MOYEN-ORIENT

« En Algérie, les généraux obéissent aux civils. »

doughli, 37 ans, militant associatif. Au plus fort de la crise diplomatique avec la France, à la suite de la nationalisation des hydrocarbures, Paris avait menacé de ne plus acheter de vin algérien, alors deuxième source de revenus en devises pour le Trésor public. Coup de sang de Boumédiène, qui décide l’arrachage de milliers d’hectares de vignobles, une hérésie au plan économique et une catastrophe au plan écologique, les vignes freinant considérablement l’érosion des collines. Quarante ans plus tard, on a fini par prendre la mesure des bienfaits environnementaux des ceps, mais nos vignerons n’ont pas le savoirfaire de ceux qui avaient planté les vignobles arrachés. » D’autres lui reprochent sa conception des libertés publiques. « Ses discours étaient ponctués de formules toutes faites, comme la suivante : “Le dernier mot revient au peuple”. Mais c’était toujours lui qui prenait la décision finale », analyse Houria, militante du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), dont le président, Saïd Sadi, a signé en 2010 un pamphlet dans lequel il accuse Houari Boumédiène d’avoir dissimulé, durant des années, les dépouilles des colonels Amirouche et Si El-Haouès, deux héros de la guerre de libération, pour d’obscures raisons de rivalités historiques. Outre son « socialisme spécifique » suranné, sorte d’idéologie marxiste-

Plusieurs institutions portent son nom, dont cette université d’Alger. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11

SAMIR SID

Boum », comme disent les nostalgidiène, soit treize ans) qui pourrait ques des années 1970. « Mais Bouexpliquer sa notoriété au sein de la médiène, ce n’est pas uniquement un jeune génération. legs, dans le sens matériel du terme, Un Algérien sur deux a moins de argumente Kaddour, diplomate à la 40 ans et n’a donc pas connu les retraite, c’est aussi le souvenir d’une années Boumédiène. Non seulement Algérie devenue La Mecque des révole système politique qu’a façonné l’exlutionnaires et des mouvements indéprésident lui a survécu – il ne cessait pendantistes, et dont la voix comptait de marteler qu’il voulait des institudans le concert des nations. » Dans tions qui survivent aux hommes –, mais trente-deux ans après sa mort, c’est son c omp a g non de lut te Abdelaziz Boutef lika, qui gouverne le pays. « La popularité de BOUTEFLIKA À UN ÉMISSAIRE D’OBAMA Boutef lika auprès des jeunes a indirecteun pays qui a adopté le slogan « Un ment contribué à maintenir vivace la seul héros, le peuple » pour glorifier mémoire de Boumédiène », explique la guerre de libération, Boumédiène Souad Benabdallah. Un argument que a réussi à incarner l’image de celui rejette son collègue et aîné Mohamed qui, à lui tout seul, a bouté hors du Zerdi : « Ce sont ses actes qui lui pays l’ancienne puissance coloniale. valent d’être encore dans le cœur des Comment ? « En prenant deux déciAlgériens. C’est à lui que l’on doit plus sions majeures, raconte Kaddour. Il a de 80 % du potentiel industriel dont exigé et obtenu, en 1968, l’évacuation dispose l’Algérie. » de la base navale de Mers el-Kébir par l’armée française, et fait nationaliser, DEUX DÉCISIONS MAJEURES en 1971, les sites pétroliers de Hassi Il est vrai que d’El-Hadjar (à l’exMessaoud et gazier de Hassi R’mel au trême est du pays), avec son immense détriment des groupes français Total complexe sidérurgique, à Arzew (à et Elf. » l’Ouest), qui abrite le premier site Houari Boumédiène a aussi ses pétrochimique, en passant par Rouiba, détracteurs. « On paie aujourd’hui dans la région d’Alger, avec ses indusles conséquences de certaines de tries mécaniques, les plus grosses unises décisions, déplore Nassim Kourtés industrielles datent des « années


MAGHREB & MOYEN-ORIENT 81 léniniste teintée d’arabisme forcené et de charia approximative, Houari Boumédiène est passé de mode sur une autre question. Chef d’état-major de l’Armée de libération nationale (ALN), ministre de la Défense à l’in-

dépendance, putschiste trois ans plus tard, l’ancien président incarnait la primauté du militaire sur le civil. Cette question n’est plus de mise. C’est WikiLeaks qui nous l’apprend. Selon les confidences d’Abdelaziz

Bouteflika à un émissaire de la Maison Blanche, « en Algérie, les généraux obéissent aux civ ils ». C ’est définitif : Boumédiène n’est plus de ce monde. ■ CHERIF OUAZANI, envoyé spécial

ABDELMADJID MERDACI

Historien, enseignant à l’université de Constantine

Mort mais pas trop

Q

ue reste-t-il de Houari Boumédiène dans l’Algérie de 2010? Le plus visible: un nom au fronton de l’aéroport international d’Alger. Le plus ringard: un colloque sans impact ni véritable portée politique tenu à la date anniversaire de sa disparition, sous l’égide de l’Union nationale de la jeunesse algérienne (UNJA, organisation satellite du FLN). Puis la commémoration obligée du double anniversaire du 24 février, qui vit la création de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA, principale organisation syndicale) en 1956 et la nationalisation des hydrocarbures en 1971. Un presque rien en somme, qui a le mérite de souligner à quel point le silence qui entoure l’ancien président du Conseil de la révolution n’a d’égal que son omnipotence dans les années 1970, période indéniablement marquée par ses choix – industrialisation, révolution agraire, identité arabomusulmane –, et la mise en place des institutions de l’État sur le modèle jacobin. Aujourd’hui, Alger a cessé d’être un foyer politique international vibrionnant. Pour les plus jeunes – les plus nombreux aussi –, qui ne l’ont pas connu, le nouvel ordre économique ne fait plus partie du lexique algérien. En vérité, si la disparition brutale de Boumédiène en décembre 1978 avait pu susciter doutes et suspicions – exprimés d’ailleurs publiquement par des proches –, sa seconde mort, qui préfigure la chute du mur de Berlin, est bien plus décisive. On ne peut que constater avec quelle célérité ses successeurs se sont attelés au démantèlement de son œuvre économique, puis des institutions associées à l’exercice de son pouvoir, notamment ce bras séculier que fut la Sécurité militaire (SM).

ABDERRAZAK BOUHARA, vice-président du Conseil de la nation (Sénat), sans doute l’un des derniers grognards du boumédiénisme, continue de témoigner de la légitimité de « la démarche révolutionnaire » du deuxième président de la République algérienne. Mais il le fait dans un paysage politique dépeuplé – Abdelaziz Bouteflika est le seul survivant du « groupe d’Oujda », et il ne reste que deux ou trois membres

vivants du Conseil de la révolution du 19 juin 1965 – et sans effet notable sur une opinion globalement anesthésiée par un quotidien harassant. L’Algérie de Bouteflika n’est ainsi pas celle de Boumédiène. L’actuel chef de l’État algérien, eût-il été tenté – lors de son déplacement dans la wilaya de Guelma, terre de référence des Boukharrouba (nom de Boumédiène sur son état civil) – d’endosser le costume de son ancien patron, en aura vite mesuré les risques, se gardant de parler d’héritage. Le bestiaire politique algérien demeure alors orphelin de cette statue du commandeur assurément taillée à la mesure de la personnalité et de la place exceptionnelles de Boumédiène dans l’histoire de l’Algérie, de la guerre et de l’indépendance.

Le silence qui entoure l’ex-président de la République, Houari Boumédiène, n’a d’égal que son omnipotence dans les années 1970.

EXIT DONC, BOUMÉDIÈNE ? Rien n’est

moins sûr. Du coup d’État de 1962 contre le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPR A) à c elui du 19 juin 1965 contre son allié de circonstance Ahmed Ben Bella, en passant par la répression des oppositions, Boumédiène avait défini les fondements du régime politique algérien. Il avait certes la singularité d’incarner à la fois l’armée et le pouvoir, ce qui, dit-on, est passé de mode à Alger. Pour le reste, c’est moins sur un consensus démocratique que sur la charge de violences politiques que la vie continue en Algérie. La peur du gendarme, du juge, voire de l’imam rappelle aux Algériens l’adage qui veut que « celui qui a peur sauve sa peau ». Ainsi en allait-il sous Boumédiène. Nul ne contestera aujourd’hui que les fantômes peuvent encore hanter les nuits d’Alger. ■

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D.R.

Forum


82 MAGHREB & MOYEN-ORIENT MONDE ARABE

Chronique dʼun rêve brisé Si le Moyen-Orient passe pour « compliqué », cʼest parce que son histoire est méconnue. Pour mieux lʼéclairer, Patrick Seale a choisi dʼécrire une biographie de Riad el-Solh, père de lʼindépendance libanaise, qui a incarné le destin dʼune région meurtrie par lʼingérence des puissances étrangères et la naissance de lʼÉtat dʼIsraël. Extraits.

P

ar malchance, l’année 1947 – la première pour Riad el-Solh en tant que Premier ministre du Liban indépendant – fut aussi celle où les Arabes s’éveillèrent brutalement à la réalité du pouvoir sioniste en Palestine. À peine délestés du joug français, le Liban et la Syrie durent affronter l’émergence de l’État juif. […] En 1947, Riad avait compris – sans doute mieux que la plupart des Arabes – qu’il existait désormais en Palestine une communauté juive européenne bien organisée de plus de 600 000 personnes, dotée d’institutions et d’une force armée, à laquelle il faudrait un jour ou l’autre faire de la place au sein même des frontières de la Palestine arabe historique. Mais l’opinion arabe était si échauffée contre ces nouveaux venus – et si mal informée sur les épreuves qu’ils avaient subies – qu’elle rejetait jusqu’à l’idée qu’ils puissent demander la constitution d’une entité politique indépendante. […]

pays pour l’indépendance qu’il ne put consacrer beaucoup de temps au drame qui se jouait en Palestine. […] C’était comme si, à cette époque, tous les Arabes étaient en lutte contre les contraintes et les injustices imposées par des puissances étrangères. En 1947, le Liban indépendant était une entité fragile, comme la Syrie, de l’autre côté des montagnes. Les deux pays rencontraient des problèmes de sécurité intérieure et leurs relations mutuelles étaient mises à mal par une multitude de conflits politiques et économiques. Aucun n’était doté d’une armée digne de ce nom; tout juste pouvaient-ils compter sur quelques gendarmes et sur ce qui restait des troupes spéciales – soit quelque 2 000 hommes par pays, avec pour seules armes les rebuts laissés par les Français. L’argent manquait pour reconstituer leur arsenal. L’armée libanaise ne disposait que d’un ensemble hétéroclite d’armes de poing et dépendait encore principalement du cheval pour ses transports. […] L’ É g y p t e , l e p l u s important des pays arabes, était empêtrée dans les séquelles du régime britannique et peinait en particulier à se débarrasser du contingent stationnant le long du canal de Suez. Elle demandait la souveraineté sur le Soudan et le retrait des troupes britanniques du canal, mais la Grande-Bretagne refusait de satisfaire à ces exigences. L’Irak subissait des contraintes semblables. La Grande-Bretagne y avait conservé des bases aériennes et contrôlait encore sa politique étrangère. Quand Rashid Ali avait tenté de libérer le pays en 1941, les Britanniques avaient

« Les handicaps politiques se doublaient d’une maladie fatale : le fractionnisme. » Dans les années 1920, Riad el-Solh avait essayé d’explorer les moyens de parvenir à un accord pragmatique avec les sionistes. Arrivé au milieu des années 1930, il s’était rendu compte que les ambitions de ceux-ci étaient trop vastes pour qu’on les concilie avec ce que les Arabes seraient éventuellement prêts à concéder. Les années 1940 venues, il s’investit tant dans la lutte de son propre

La Lutte pour l’indépendance arabe, Patrick Seale, Arthème Fayard, 2010, 570 pages.

écrasé son mouvement et remis les rênes d’un pouvoir de façade au régent Abd al-Ilah et à Nuri al-Saïd, qui se contentèrent ensuite de gouverner sous protection britannique et de suivre en tous points leurs conseils diplomatiques. En Arabie saoudite, Ibn Saoud n’avait pas subi l’humiliation d’une occupation militaire britannique ; il savait cependant parfaitement où se trouvait l’intérêt de Londres – ainsi que ses places fortes dans les régions environnantes – et prenait garde de ne pas contrarier ce voisin tentaculaire. En Transjordanie, le dirigeant officiel était l’émir Abdallah, mais le pouvoir exécutif était entre les mains de Sir Alec Kirkbride, émissaire britannique à Amman depuis fort longtemps, et de Sir John Glubb (ou « Glubb Pasha », comme il aimait à être appelé), commandant de la Légion arabe dont les principaux officiers étaient également britanniques. De fait, Abdallah avait des contacts personnels avec les sionistes depuis 1921 et était à leur solde depuis plusieurs années. Les Arabes palestiniens souffraient plus que tous leurs cousins de la région, parce que la Grande-Bretagne n’avait même jamais prétendu vouloir les aider à obtenir l’indépendance. Ce seraient les sionistes, et non les Arabes,

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Manifestation contre la partition de la Palestine, à Beyrouth, le 20 juillet 1948.

qui recevraient une patrie grâce au soutien britannique. Lorsque les Arabes se soulevèrent contre l’afflux d’immigrants juifs, en 1936-1939, ils furent écrasés par l’armée britannique, et leurs dirigeants politiques et militaires furent tués ou extradés. Ils ne se relevèrent jamais totalement de cette défaite face à la puissance impériale. Il existait donc une différence fondamentale entre l’expérience du mandat vécue par les sionistes en Palestine et celle qu’avaient subie les États du Levant. Décidée à remplir ses engagements définis par la déclaration Balfour, la Grande-Bretagne soutint le projet sioniste pendant un quart de siècle et facilita une immigration juive de masse, puis la construction d’un État. La France, par contraste, fit tout son possible pour étouffer le mouvement nationaliste arabe dès l’instant où elle prit le contrôle de la Syrie et du Liban. Les Juifs émergèrent comme les gagnants de l’expérience mandataire, les Arabes comme les perdants. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs européens de Palestine étaient parvenus à établir presque tous les éléments constitutifs d’un État. […] La communauté juive pouvait s’enorgueillir de disposer d’un éventail substantiel de partis politiques, qui étaient

engagés dans un débat vigoureux; d’un Fonds national juif – fort bien doté – créé en 1901 pour financer l’achat de terres palestiniennes et la construction de colonies juives pour les nouveaux immigrants ; de services diplomatiques et de renseignement expérimentés qui connaissaient dans le détail les pays arabes environnants grâce à la collaboration de Juifs et d’informateurs arabes rémunérés. […] Surtout, elle jouissait d’une armée clandestine, la Haganah, constituée en secret à partir des années 1920 avec l’aide de la Grande-Bretagne, et qui serait étoffée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale d’un afflux de Juifs entraînés au combat dans les armées alliées. La communauté juive de Palestine avait un dernier précieux atout en main : le soutien politique et financier de dizaines de milliers d’amis fortunés, dévoués et influents de par le monde, en particulier aux États-Unis. […] Les sionistes étaient ainsi dotés de chefs talentueux et obstinés, d’une organisation, de ressources, d’effectifs entraînés et d’une motivation puissante. On ne pouvait en dire autant des Arabes. […] La lutte d’influence entre sionistes et Arabes était profondément inégale, comme plusieurs historiens

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l’ont amplement démontré ces dernières années. Parmi ces sommités figurent les universitaires palestiniens Walid Khalidi et Nur Masalha, ainsi que les universitaires israéliens Simha Flapan, Benny Morris, Avi Shlaim et Ilan Pappe, dont le travail a révolutionné la façon de percevoir la politique sioniste avant, pendant et après la guerre de 1948; ils ont tous démonté le mythe sioniste selon lequel un « David » israélien aurait miraculeusement triomphé d’un « Goliath » arabe constitué des forces combinées de cinq armées arabes. Dans le camp arabe, les handicaps politiques, économiques et logistiques se doublaient d’une maladie fatale, le fractionnisme, dont les Arabes ne sont pas encore guéris. Divisés par des rivalités, des dissensions amères et des ambitions incompatibles, ils se souciaient autant de se battre entre eux que de combattre les sionistes. Alors même qu’ils étaient confrontés à un danger qui les menaçait tous, ils étaient incapables de travailler ensemble, incapables de protéger la Palestine arabe de l’assaut sioniste qui, après la défaite arabe et l’émergence de l’État d’Israël, provoqua une longue période de turbulences dont Riad elSolh serait lui-même victime. ■ PATRICK SEALE

AFP

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TUNISIE

Primaire: fini la récré!

Alertés par le corps enseignant, les pouvoirs publics ont pris la mesure de la dégradation du niveau scolaire. Mais les solutions envisagées sont bien timides...

L

école gratuite et obligatoire est l’une des bases fondatrices de la Tunisie moderne. Avec un taux de scolarisation de 95 %, le pays est le champion du Maghreb en matière d’alphabétisation. Cette année, on recense 2 millions d’élèves dans le primaire et le secondaire, dont 71 324 dans le secteur privé. Se référant aux excellents taux de réussite, Imène Jlassi, institutrice à Béja, dans le nord du pays, souligne que « la quantité ne va pas de pair avec la qualité ». Une affirmation étayée par les conclusions du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), qui a analysé, en 2009, la situation de l’en-

MAURITANIE

A

seignement dans 65 pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cette évaluation, qui classe la Tunisie en 56e position, a été effectuée à partir de la compréhension de l’écrit et de la performance des élèves en mathématiques et en sciences. Ce résultat reflète une dégradation du niveau scolaire, un sujet que les députés ont abordé lors des discussions sur le budget de l’État. Selon eux, elle est due au fait qu’« il n’y a aucun examen national obligatoire avant le baccalauréat qui sanctionne le niveau des élèves ». Ils rejoignent ainsi l’avis de 50 000 instituteurs consultés lors d’une

ANDREW TESTA/PANOS-REA

Dans une école primaire du quartier des Berges du Lac, à Tunis.

enquête nationale qui conclut qu’il « est impératif de faire valoir la compétence lors des passages de classe, car le passage automatique tire vers le bas le niveau général ». La nécessité de contrôler l’assimilation des connaissances avait conduit le ministère de l’Éducation nationale à revenir à la note moyenne comme critère du passage de classe dans le primaire. Entrée en application à la rentrée 20102011, cette disposition ne concerne cependant que les classes de première et deuxième années. Elle ne sera généralisée à l’ensemble du primaire qu’au bout de cinq ans. Cette lente mise en place inquiète les enseignants, car il faudra une quinzaine d’années pour en mesurer la portée, alors qu’il y a non seulement urgence à relever le niveau général, celui de l’école primaire en amont, mais aussi à renforcer la formation dans les filières scientifiques et techniques en aval. « Si le niveau scolaire n’a cessé de baisser, c’est aussi dû au niveau des enseignants, qui sont souvent issus de ce système. Les meilleurs sont dans les bonnes écoles privées », affirme une parente d’élève pour qui « l’encadrement des élèves dans les écoles privées est nettement meilleur que dans les établissements étatiques. Les cours d’anglais et d’informatique sont généralisés à toutes les classes. Il n’y a pas plus de vingt élèves par classe ». Cette réalité a conduit à la création des Instituts des métiers de l’éducation et de la formation (Imef), dont l’objectif est d’améliorer le niveau pédagogique et l’approche des nouvelles technologies des enseignants frais émoulus. ■ FRIDA DAHMANI , à Tunis

Cachez-moi cette esclave...

près une semaine de garde à vue, six militants des droits de l’homme ont été placés sous mandat de dépôt, le 19 décembre, à la prison centrale de Nouakchott. Parmi eux, Biram Dah Ould Abeid, figure de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie, président de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) et membre de SOS Esclaves. Alertés sur le cas d’une jeune fille de 14 ans et d’une fillette de 9 ans employées comme domestiques dans une maison d’Arafat, un quartier de Nouakchott, Biram et plusieurs militants de son ONG ont averti le commissariat local, le 13 décembre. Accompagnés du commissaire, ils se sont rendus dans la foulée dans ladite maison. De retour au commissariat avec la jeune fille et la fillette, ils n’ont pas été autorisés à

assister à leur interrogatoire par la police, comme ils le souhaitaient. La situation aurait ensuite dégénéré. Les versions divergent. Selon leur entourage, plusieurs militants auraient été passés à tabac. D’après son conseiller, Malik Fall, Biram a été blessé à la tête et au genou. Les militants sont cependant accusés d’avoir attaqué les forces de l’ordre. En Mauritanie, l’esclavage a été criminalisé par une loi en 2007. Il est néanmoins toujours pratiqué, et « aucune sanction n’a jamais été prise », selon Aminetou Mint Moctar, présidente de l’Association des femmes chefs de famille. « Quand elles sont soumises au juge, les affaires sont classées sans suite, explique-t-elle. L’esprit de la loi est gelé, car l’esclavage fait encore partie des choses dont il ne faut pas parler. » ■ MARIANNE MEUNIER

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MAGHREB & MOYEN-ORIENT 85 ISRAËL-PALESTINE

Séparés et inégaux Un rapport de Human Rights Watch recense les traitements discriminatoires dont sont victimes les Palestiniens dans les territoires occupés.

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AMIT SHABI/BACKYARD-REA

es enfants qui parcourent 7 km à pied jusqu’à l’école pour contourner la nouvelle « route Lieberman » ; un agriculteur qui voit ses plantations, inaccessibles, pourrir à quelques centaines de mètres de lui ; des moutons égarés que les Bédouins récupèrent moyennant le paiement d’une amende ; le deuxième étage d’une maison palestinienne détruit à Jérusalem-Est parce que trois niveaux, c’est interdit… L’ONG Human Rights Watch (HRW) égrène, dans un rapport paru le 19 décembre, les traitements discriminatoires dont sont victimes les Palestiniens dans les territoires occupés. Intitulé « Séparés et inégaux » – une allusion au slogan « Séparés mais égaux » de l’apartheid sud-africain, auquel Israël est de plus en Scène de la vie quotidienne à Jérusalem-Est. plus souvent comparé –, le document fournit des statistiques édifiantes sur la colonisation. On 31 % des habitants des blocs de la zone dénombre ainsi aujourd’hui 490000 coC, en Cisjordanie, gérée par l’Autorité lons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, palestinienne, ont été déplacés. alors qu’ils n’étaient que 241 500 en « Pouvez-vous fournir les arguments 1992. Les discriminations en sont l’évide droit justifiant le refus de votre dent corollaire. Israël, puissance occuadministration de connecter les compante, estime que le « droit de l’occupamunes d’Al-Hadidiye, Al-Farisiye et Altion », tel que codifié, ne s’étend pas aux Ras al-Ahmar aux points d’eau ? » a par droits de l’homme. Un point de vue que exemple demandé HRW aux autorités contredisent les conventions de Genève, chargées de la Judée-Samarie (Cisdont l’État hébreu est pourtant signajordanie), dans une lettre officielle, le taire. « La nécessité légitime de protéger 16 novembre. La réponse, d’une ligne les colons ne saurait justifier les mesures et demie, a été une fin de non-recevoir. discriminant les Palestiniens », tranche Pas d’avancée non plus à attendre du le rapport. Sur la base de leur ethnie ou côté judiciaire : la Cour suprême israéde leur nationalité, les Palestiniens se lienne, pourtant plusieurs fois sollicitée, voient appliquer des règles différentes ne s’est encore jamais saisie de cas de en matière d’accès aux zones cultivadiscriminations envers les Palestiniens bles, de mobilité des personnes ou de de Cisjordanie. ■ CONSTANCE DESLOIRE droit à la construction. Depuis 2000, J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11

ÉNERGIE

Tataouine se met au vert

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lanter des arbres pour produire de la biomasse combustible et fournir de l’électricité verte est l’apanage des pays bénéficiant d’une bonne pluviométrie. Pourtant, cette technique pourrait être prochainement testée dans la région de Tataouine, dans le désert tunisien. Pendant deux ans, une compagnie suisse spécialisée dans les énergies renouvelables y a mené, dans le plus grand secret, des recherches qui se sont révélées concluantes. Selon Aldo Bonaldi, vice-président de Global Wood Holding (GWH, basé à Genève), les plantes testées sont peu consommatrices d’eau et peuvent s’adapter à la faible pluviométrie de la région. Le 18 décembre, GWH a signé avec le gouvernement tunisien un accord de concession visant à lui permettre de passer à la phase de production expérimentale en plantant, dès janvier 2011, des acacias sur une superficie de 5 000 ha pendant deux ans, pour passer ensuite progressivement à 160 000 ha. Selon Bonaldi, la compagnie genevoise prévoit d’investir 900 millions d’euros sur une période de quinze ans. La coupe des arbres se faisant tous les trois ans, la production de bois serait de 6 millions de tonnes exportables en plaquettes vers les centrales électriques fonctionnant à la biomasse que GWH lui-même est en train d’implanter dans des pays européens. Foued Daghfous, ministre tunisien des Domaines de l’État et des Affaires foncières, a indiqué que le président Zine el-Abidine Ben Ali accorde un « intérêt particulier » à ce projet, dont, dit-il, le contenu technologique est innovant et qui permettra la création de plus de 40 000 emplois. Il a indiqué que l’État, qui fournira les terres selon un cahier des charges, veillera à la sauvegarde de l’environnement durant toutes les étapes de la réalisation du projet. ■ ABDELAZIZ BARROUHI , à Tunis


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OPRAH WINFREY UNE LÉGENDE

Née (très) pauvre au temps de la ségrégation raciale, elle est aujourdʼhui milliardaire, anime depuis vingt-cinq ans un célèbre talk-show sur CBS et possède depuis peu sa propre chaîne de télévision câblée. Une vraie machine à gagner. Et à faire rêver.

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JOSÉPHINE DEDET

e F i n a n c i a l T i m e s l ’a décrété, dans son édition du 11 décembre : Oprah Winfrey est la « femme de l a dé ce n n ie ». Un sacre à la mesure d’une diva qui « pèse » 2,7 milliards de dollars (2 milliards d’euros), attire près de 50 millions de téléspectateurs par semaine, et dont l’engagement dans la campagne présidentielle de 2008 aurait incité 1,5 million d’Américains à voter pour Barack Obama. Bien plus qu’une femme, une reine du talk-show, une « marque » ou un empire des médias, Oprah est une machine

vingt-cinquième et dernière saison de l’Oprah Winfrey Show, dont le succès ne s’est jamais démenti, et lancera simultanément l’Oprah Winfrey Network (OWN), sa propre chaîne de télévision sur le câble. Qui dit mieux ? ÉTERNELLE OPTIMISTE

Première Africaine-Américaine à avoir intégré – à 32 ans – le club des millionnaires, la star du petit écran n’est pas à un paradoxe près. Atypique elle était, atypique elle est restée. C’est sur sa différence affirmée sans l’ombre d’un complexe qu’elle a créé cette adhésion à toute épreuve, qui transcende les générations et les races – son public est blanc à 80 %. Noire et fière de l’être, enrobée et racontant crânement sa lutte contre les kilos superf lus, célibataire sans enfant et assumant ce choix de vie, richissime et philanthrope… Être soi-même, être vraie et aider les autres à faire de même, tel est le credo de cette éternelle optimiste, qui s’emploie chaque jour à convaincre ses téléspectateurs – des femmes, en majorité – que leur destin leur appartient et qu’il ne tient qu’à eux d’en modifier le cours. Follow me, my fellows, suivez-moi mes frères, je vous montre le chemin… Il y a quelque chose de messianique dans ce message médiatique. Elle entraîne ses inv ités et ses ouailles dans une farandole de rires

Noire, enrobée, célibataire, sans enfant… Et totalement dénuée de complexes. à gagner et à faire rêver. Une légende de 56 ans souvent vêtue de rose que, avant son verdict du 11 décembre, le très sélect Financial Times avait fait figurer à sept reprises – un record – sur la liste des cent personnalités les plus influentes au monde. Cet te force de la nat u re qui a déferlé sur l’Amérique il y a plus de vingt-cinq ans ne s’est pas contentée de conquérir les cœurs. Elle a su les conserver. Et comme si cela ne suffisait pas, elle se prépare à un nouveau défi. En janvier 2011, la pétulante animatrice donnera le coup d’envoi de la

et de larmes. Prière de laisser son amour-propre au vestiaire : sur le plateau d’Oprah, on déballe tout, on se livre aux confidences les plus intimes dans une ambiance de thérapie de groupe. En 1993, Michael Jackson parle pour la première fois, après quatorze ans de silence : 100 millions de téléspectateurs dans le monde. En

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Au Metropolitan Museum of Art, à New York, au mois de mai.

2005, Tom Cruise saute à pieds joints sur son canapé pour clamer son amour pour Katie Holmes, sa compagne : la popularité de l’acteur dégringole. Madonna a l’intention d’adopter un enfant au Malawi ? Elle s’en explique dans l’émission d’Oprah, en 2006. La même année, cette dernière accompagne Elie Wiesel jusque dans le camp

d’extermination d’Auschwitz pour inciter les Américains à lire La Nuit. Car la lecture est l’une de ses obsessions. Non contente de faire vendre des marques – d’une tablette de beurre à une ligne cosmétique – ou de décréter des embargos – sur la viande bovine, à l’époque où la maladie de la vache folle effrayait les consommateurs –,

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elle étend son influence aux questions culturelles et recommande des ouvrages via l’Oprah Book’s Club, son club de lecture, devenu une fabrique de best-sellers. Ce n’est pas l’un de ses moindres exploits, dans un pays où la lecture n’est pas ancrée dans les mœurs, que d’avoir fait découvrir à ses compatriotes aussi bien des ouvra-

EVAN SUNG/THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA

AMÉRICAINE


88 INTERNATIONAL ges classiques (des Raisins de la colère à Anna Karénine) que des romanciers contemporains, comme Toni Morrison. Bien d’autres auteurs, qui ne sont ni des artistes ni des orfèvres en politique, se précipitent sur son plateau pour faire la promotion de leurs Mémoires ou de leurs futurs programmes de campagne, à l’instar de l’ancien président George W. Bush ou de Sarah Palin. Si elle a la larme facile, Oprah ne laisse pas ses opinions dans sa poche. Elle a un avis sur tout et ne se prive pas d’aller à rebours du conformisme ambiant. Donne la parole aux malades du sida, traités en pestiférés aux premiers temps de l’épidémie. Invite des homosexuels. Déculpabilise les mères sujettes au baby blues. Affiche courageusement son hostilité à la guerre en Irak, en 2003. Et se bat pour des sujets qui lui tiennent à cœur. Elle a été l’une des premières à dénoncer le sexisme et la violence verbale du rap et, en 1993, a contribué à l’adoption d’une loi instaurant une base de données sur les pédophiles. L’EMPIRE DE LA DÉMESURE

Et puis, forcément, Oprah a un grand cœur. Elle a fondé une école en Afrique du Sud pour les enfants défavorisés ; est venue en aide aux victimes de l’ouragan Katrina, en 2005 ; et a veillé sur les vieux jours de Rosa Parks, héroïne de la lutte contre la ségrégation raciale. En 2004, elle offre 276 voitures Pontiac aux spectateurs qui assistent au 19 e anniversaire de son émission, puis un luxueux séjour à Hawaii à son millier de salariés. Tout est énorme, à la mesure de son empire et de la trace qu’elle veut laisser dans l’Histoire, comme pour faire un pied de nez au destin qui lui avait été réservé à sa naissance. Et quel destin ! Le sien tient peutêtre à une peccadille, à une erreur dans l’écriture de son prénom. Le 29 janvier 1954, au bureau de l’état civil de Kosciusko, dans un Mississippi encore largement ségrégationniste, un employé municipal inverse deux lettres et transforme le biblique « Orpah », dont sa mère voulait l’affubler, en un « Oprah », inconnu de tous les calendriers, chrétiens ou autres. Par la suite, quelques patrons de chaîne tenteront de convaincre leur prometteuse présentatrice de se rebaptiser Suzie. En vain. Accrochée à son prénom comme la misère sur

QUELQUES CHIFFRES

2,7lemilliards de dollars montant de sa fortune 25

le nombre des saisons de l’Oprah Winfrey Show, diffusé sur CBS et sur 215 chaînes à travers le monde (145 pays)

49 millions

le nombre de ses téléspectateurs (en moyenne hebdomadaire)

35

le nombre des Emmy Awards remportés par Oprah et par son show

2,4 millions

le nombre d’exemplaires d’O Magazine vendus chaque mois

3 millions de dollars

les fonds qu’elle est parvenue à lever en faveur du candidat Obama

90 millions de dollars

le prix estimé de Terre promise, sa propriété de 17 ha à Santa Barbara (Californie)

le monde, Oprah refuse de céder aux sirènes de la facilité. Mon malheur fera ma force, décide très tôt cette enfant née d’une mère femme de ménage et d’un père barbier-coiffeur – dont on ignore s’il est vraiment le sien. Oprah était si pauvre, à en croire sa légende, qu’elle n’a eu pour tout jouet qu’une poupée de maïs et que sa grand-mère lui fabriquait des salopettes dans des sacs de jute. Très pieuse, cette dernière l’emmenait à l’église baptiste, où la fillette fit ses premières armes de speakerine en s’adressant à la communauté. La suite est sordide. Violée à 9 ans, enceinte à 14 ans, elle met au monde un enfant qui décède peu après. Qu’importe que ce viol soit sujet à caution, comme le prétend Kitty Kelley, la biographe des stars, à qui Oprah aurait confié : « C’est ce que les gens veulent entendre, la vérité est ennuyeuse. » Qu’importe qu’elle soit devenue capricieuse, égocentrique,

excessive. Winfrey a souffert, cela ne fait aucun doute. À 15 ans, elle part vivre chez son père, dans le Tennessee. Ce dernier l’oblige à lire un livre par semaine et à rédiger une note de lecture. Oprah fait des étincelles à l’école, remporte un concours de beauté, devient Miss Prévention des incendies, puis, à 20 ans, la première Noire à présenter les informations à la radio de Nashville. Elle rejoint Baltimore, puis Chicago, passe de la radio à la télévision et vole de succès en triomphes. En 1983, en l’espace de six mois, elle détrône Phil Donahue, qui animait le talk-show le plus suivi de Chicago. Trois ans plus tard naît l’Oprah Winfrey Show. 70 MILLIONS DE FOYERS

Un quart de siècle lui suffit pour imposer sa marque et créer une kyrielle de produits dérivés qui tous portent son nom ou ses initiales. O Magazine, dont elle fait systématiquement la une, tantôt en tenue de jogging, tantôt en femme fatale ; Oprah’s Book Club, son club de liv res ; Oprah’s Angel Network, son association caritative ; Harpo (son prénom à l’envers), sa société de production à qui l’on doit notamment le film Precious, oscarisé deux fois. Et, à partir du 1er janvier, OWN. Lancée en partenariat avec Discovery Communications, cette chaîne câblée dont le siège est à Los Angeles s’adressera à plus de 70 millions de foyers. Thématique : l’art de vivre, décliné en émissions aux contours encore assez f lous : Oprah’s Ne x t Chapter (voyages), Master Class (portraits et interviews de personnalités), In the Bedroom with Dr Laura Berman (émission médicale) ou Finding Sarah (comment reconstruire sa vie, à partir de l’expérience de Sarah Ferguson, la duchesse d’York étant l’une des animatrices de la chaîne). Déjà, les critiques soulignent les difficultés qui ont entouré la création d’OWN, à laquelle Winfrey travaille depuis trois ans. Ils rappellent aussi que le public de la star vieillit et que son audience décroît, lentement mais sûrement. Oprah n’en a cure : « Je considère ce lancement comme la naissance d’un enfant. C’est un processus à long terme. J’ai déjà une vision très claire de ce que cette chaîne peut devenir d’ici à trois ans, cinq ans, dix ans : une source d’espoir et d’inspiration. » Ainsi soit-elle. ■

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Am INTERNATIONAL

C’est l’éditeur du premier magazine panafricain mensuel

Mais c’est aussi ■ Des magazines inflight… ■ De l’éDition ■ Une régie pUblicitaire ■ DU conseil en commUnication ■ Un site internet ■ Des étUDes

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Le diable sʼhabille en Marine La montée en puissance dans les sondages du Front national, habilement relooké par lʼhéritière du clan Le Pen, suscite, à droite comme à gauche, un début de panique.

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lle avait promis de « dédiaboliser » le Front national pour lui donner l’aspect honorable d’un parti classique et le rendre fréquentable pour l’électorat de droite. Et, de fait, la nouvelle Marine Le Pen, émancipée de son père et bien placée pour lui succéder, semblait s’y employer méthodiquement, envoyant au rebut toute une vieille garde de « nostalgiques de Pétain, cathos intégristes et autres obsédés de la Shoah », qui ringardisaient le Front au moment où elle s’efforçait de le moderniser et de l’ouvrir pour conquérir de nouvelles clientèles. Le FN new-look accepte la loi Veil et consent au Pacs, en attendant de se résigner au mariage gay. Dédiaboliser, c’était aussi reconnaître la persistance de ce que Marine appelait, du bout des lèvres, « certaines suspicions » à l’encontre du mouvement : racisme, xénophobie, antisémitisme. Elle les attribuait à quelques groupuscules de bras cassés, anachroniques et caricaturaux, et assurait que le parti ne servirait plus de caisse de résonance à leurs obsessions. Machiste, le Front ? Elle se fait alors l’avocate des droits des femmes, se désolant que, dans certains quartiers, des jeunes filles n’osent plus se balader main dans la main avec leur copain. Elle n’a « rien contre » les immigrés ni les musulmans et se range parmi les intransigeants de la laïcité pour justifier ses condamnations d’une islamisation rampante du pays.

vient de révéler une étude de l’Ifop, susceptible d’alimenter un électorat protestataire « particulièrement sensible aux thèses d’extrême droite », estime le politologue Dominique Renyé. Restait à soumettre la dédiabolisation à l’irremplaçable effet multiplicateur de la télévision. Marine Le Pen a passé avec succès l’épreuve redoutable de l’émission de France 2 À vous de juger, où elle a battu des records d’audience : 3,8 millions de téléspectateurs ont entendu cette blonde mère de famille, calme et pondérée, se démarquer des dérapages de son père (le « détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale » pour évoquer les chambres à

gaz de la Shoah), sans pour autant les répudier. Elle s’est bornée à remarquer qu’elle « n’a pas la même vision de cette période ». Pour elle, l’idéologie nazie est « une abomination ». Et voilà que, dès le lendemain, à Lyon, Marine Le Pen se laisse tout à coup reprendre par les vieux démons qu’elle venait d’exorciser et se livre à une provocation qui déchaîne aussitôt contre elle l’ensemble de la classe politique, toutes sensibilités confondues. Affirmant que les prières de musulmans se multiplient dans les rues de grandes villes, elle compare cette appropriation religieuse du domaine public à l’occupation des troupes allemandes pendant la guerre: « Certes, il n’y a pas de blindés, il n’y a pas de soldats, mais c’est une occupation tout de même. » Loin d’exprimer des regrets face à la condamnation unanime de cette sortie

Mais c’est sur son programme économique et social antieuro, anti-Bruxelles et antimondialisation que Marine compte le plus pour séduire les milieux populaires et attirer une nouvelle frange d’électeurs longtemps persuadés que la doctrine du Front se résumait à la lutte contre l’insécurité et l’immigration. Elle vise principalement les classes moyennes paupérisées par la crise. Elle mise sur leur mal-être grandissant et leur crainte d’un déclassement, que

PASCAL ROSSIGNOL/REUTERS

VIEUX DÉMONS

En campagne pour la présidence du Front national, le 19 décembre. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11


INTERNATIONAL 91 aussi odieuse que stupide, elle revendique « une analyse tout à fait réfléchie », dénuée, à l’entendre, de « toute discrimination ». On ne voit pas quelle sorte de « réflexion » a pu l’amener à un tel parallèle (la Gestapo ne bloquait les rues que pour arrêter des passants et constituer des réserves d’otages pour ses pelotons d’exécution), mais, pour Marine, l’important était d’ajouter au parler le faire parler. Elle se flatte d’avoir recueilli d’un coup plusieurs milliers d’adhésions. LE SPECTRE DE 2002

« C’est inquiétant parce qu’elle est en train d’étendre son champ d’influence », remarque Laurent Fabius, avec le même réalisme qui lui faisait naguère constater, comme seule une conscience de gauche pouvait l’oser, que « Le Pen pose les bonnes questions, mais leur apporte de mauvaises réponses ». Marine lui donne une nouvelle fois raison en se targuant « d’appuyer sur ce qui fait mal » et de « dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Tout le monde ? « Heureusement pas

pour notre démocratie ! » se rassure à moitié Jean-François Copé, le nouveau patron de l’UMP, inquiet de voir le FN, dont Nicolas Sarkozy avait largement siphonné les électeurs, redevenir « une force politique ». Un début de panique secoue majorité et opposition, dans la même crainte cauchemardesque d’un retour à 2002, à l’éviction de Lionel Jospin par Jean-

qu’il a semé avec son « funeste » débat sur l’identité nationale, alors que l’islamophobie s’impose comme une valeur politique en hausse dans les démocraties occidentales. À droite, c’est le branle-bas général. Tel père telle fille, sauf que la fille est plus dangereuse que le père. Le diable s’habille en Marine. « Il faut arrêter de se mentir ! » s’exclame encore Copé. Ah! bon? il y aurait donc au sein de l’UMP des par tisans de louches ententes à la veille des cantonales ? Le nouveau patron de l’UMP y met sans attendre le holà. Décrétant la majorité en « situation de péril électoral », il place désormais à égalité de nuisance le PS et le FN, propose de combattre le Front en allant sur son terrain et annonce la création de think-tanks chargés d’élaborer un « corpus commun » pour effacer définitivement les clivages entre gaullistes, centristes et libéraux. Car c’est plus que jamais la gageure pour l’UMP que de sauvegarder ses gains frontistes de 2007 sans perdre l’équivalent, ou davantage, dans l’électorat centriste en 2012.

« Il n’y a pas de blindés, il n’y a pas de soldats, mais c’est une occupation tout de même. » Marie Le Pen et à la victoire empoisonnée de Jacques Chirac. Marine, elle non plus, n’aurait garde de l’oublier. Elle affecte de ne pas douter de ses chances, ratisse à gauche en revenant aux 60 ans pour l’âge de la retraite, s’invente à droite des enracinements gaullistes et promet, pour finir, de faire de la présidentielle de 2012 « un 21 avril, mais aussi un 6 mai 2007 à l’envers », en battant Sarkozy au premier tour pour l’emporter sur le candidat socialiste au second. Sans cautionner cet aventureux pari qui leur apparaît encore comme un « exploit » improbable, les instituts de sondage se gardent, cette fois, de sousestimer les conséquences des évolutions qu’ils enregistrent. La menace est double. Pour Sarkozy, qui risque, au mieux, d’être fragilisé dès le premier tour et d’être gêné pour les reports au second. Mais aussi pour la gauche, car si le FN obtient un score élevé, c’est qu’il lui aura pris également des voix. Porte-parole du Parti socialiste, Benoît Hamon n’écarte pas un « scénario catastrophe ». L’institut BVA crédite Marine Le Pen de 24 % de jugements favorables et de 17 % des intentions de vote, soit un point de moins que son père à son plus haut niveau, mais peu importe : elle incarne désormais mieux que lui le Front et sa politique (46 %, contre 23 %). Encore l’enquête a-t-elle été réalisée avant son coup d’éclat sur les prières des rues. Le plus inquiétant pour ses rivaux des grands partis est le taux d’approbation qu’elle a recueilli depuis: près de 4 Français sur 10 se déclarent d’accord avec elle (39 %). Faible chez les sympathisants de gauche (18 %), l’adhésion grimpe à 54 % et se révèle majoritaire chez ceux de l’UMP. Pour la gauche, c’est simple, c’est la faute au chef de l’État, qui récolte ce

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GARE AUX PIÈGES

Autant Copé joue sur la gravité de la menace, avec l’appui d’un Brice Hortefeux déjà engagé dans une « mobilisation totale et permanente », autant François Fillon conseille la mesure, à sa façon modératrice habituelle, mais avec le surcroît d’autorité que lui donne l’évident rééquilibrage des pouvoirs en sa faveur. Le Premier ministre ne se dissimule certes pas « la force impressionnante de la pénétration du FN dans l’électorat de la majorité », contre laquelle une note du ministre Hervé Novelli met également en garde Sarkozy. La bonne réponse lui paraît être de refuser toute complaisance envers l’extrême droite et ses doctrines, voire ses approches, sans foncer tête baissée dans ses pièges, ce qui semble exclure la reprise par d’autres voies du débat identitaire préconisé par Copé, mais dont ne se méfie pas moins le chef de l’État. Au vrai, la principale parade à l’affolement, à l’Élysée comme à Matignon, tient à l’échéance. Le danger est certes réel, mais 2012 est dans seize mois. Sages sondages qui accompagnent toutes leurs conclusions du même mot : « prématuré ». ■ HENRI MARQUE


92 INTERNATIONAL ILS VIENNENT D’AFRIQUE, ILS ONT RÉUSSI AILLEURS

PARCOURS

ÉRIC RAISINA

Ce styliste malgache installé au Cambodge a su séduire les plus grands couturiers français. Amoureux des matières, il revendique la pratique de la « haute texture ».

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ifficile de classer Éric Raisina. Ce Malgache est aussi à l’aise dans le stylisme que dans la conception textile, comme un artiste qui aurait choisi de redevenir artisan. Plus que de la haute couture, c’est la pratique de la « haute texture » qu’il revendique. Et plus que des modèles, ce sont des œuvres qu’il compose, allant jusqu’à choisir la moindre fibre de soie, de sisal ou de raphia qui fera de sa dernière création une pièce unique. Un éclectisme auquel Éric a toujours donné libre cours… Son père l’aurait bien vu faire une fac de gestion. Lui envisageait de devenir cuisinier. Finalement, c’est un peu le hasard qui a décidé pour lui. La machine à coudre Singer de ma mère me fascinait tout petit déjà, j’adorais le son qu’elle produisait, explique Raisina. Celui d’une mécanique bien huilée… Jusqu’à ce que je me mette à l’utiliser. » À 14 ans, il fabrique ses premiers vêtements. Il s’initie à la surpiqûre, dessine des patrons, prend plaisir à créer ses propres modèles. Ses sœurs et ses camarades d’école le sollicitent. Un embryon de clientèle qui stimule son imagination d’adolescent. RAISINA NE PERD PAS POUR AUTANT DE VUE son

goût pour la gastronomie. En 1993, il prépare son bac et passe le concours d’entrée à l’Institut national du tourisme et de l’hôtellerie (INTH) d’Antananarivo. Il est reçu. Parallèlement, ses sœurs l’incitent à présenter ses créations au festival Manja, qui récompense les professionnels malgaches de la confection et du stylisme. Avec sa famille et ses amis, Éric organise un défilé qui retient l’attention. Et se voit décerner le prix Jeune Talent. Cerise sur le gâteau : l’ambassade de France lui octroie une bourse d’études. Quelques mois plus tard, il entre en première année de BTS création textile à l’École supérieure des arts appliqués, près de la place de la République, à Paris. Non loin du quartier branché du Marais et de celui du Sentier, où les fabricants de fringues tiennent le haut du pavé. « C’est là que j’ai pu pratiquer la peinture, le dessin, la photo, la teinture… Et c’est là que j’ai véritablement découvert ma passion. » Une passion qui va le conduire sur les bancs de l’Institut français de la mode (IFM), dont il ressort avec un master en poche, en 1999. Parallèlement, Éric se sent attiré par l’ExtrêmeOrient. « Alors que j’effectuais un stage au musée de

l’Homme, j’ai découvert les textiles d’Asie du Sud-Est et j’ai été frappé par la finesse des motifs obtenue grâce au tissage. Et comme une partie de la population malgache est originaire de cette région du monde, j’avais toujours eu envie de découvrir l’Asie. Alors je me suis acheté un billet d’avion pour Phnom Penh. » DÈS SON ARRIVÉE AU CAMBODGE, il a l’impression de retrouver Madagascar. « Les avenues bordées de flamboyants me rappelaient Tamatave. Et les matières travaillées n’étaient pas très différentes de celles que je connaissais à Tana. » Il effectue un stage au Centre de la soie de Siem Reap, où l’on pratique l’élevage du bombyx, la filature et le tissage. « Cette fibre est magique, explique Raisina, car le processus qu’on utilise pour la produire, à partir de la fécondation du ver à soie, est unique. De plus, je viens d’un pays où elle occupe une place très importante. Elle est portée par les femmes d’un certain rang social et elle est utilisée pour envelopper les corps des défunts lors de leur inhumation. Pour les Malgaches, c’est la matière noble par excellence. » De fait, la soie est omniprésente dans ses créations. À l’issue de cette initiation, Éric Raisina rentre à Paris avec une première moisson de tissus. Il travaille alors avec le couturier français Christian Lacroix, qui utilise ces textiles pour sa collection. Dans le lot, un bustier fabriqué par Raisina se vend 15 000 francs (environ

« Tout petit déjà, j’étais fasciné par le son de la machine à coudre Singer de ma mère. » 2 300 euros). Une somme qu’il utilise pour retourner s’installer au Cambodge. En 2000, il ouvre son propre atelier de création textile à proximité de l’ancienne capitale de l’empire khmer, Angkor. Dans ce lieu, il réalise ses premières collections en adoptant les techniques traditionnelles de tissage et de teinture. Une vingtaine de personnes, tisserands, couturiers, brodeurs, travaillent avec lui. De la dentelle de raphia naturel à la fourrure de soie en passant par le sisal, le lin ou le coton, les fibres naturelles sont privilégiées. « C’est là que j’ai compris l’importance de la matière », confie le jeune homme. Une matière qui séduit

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1969 Naissance à Antananarivo 1993 Lauréat du prix Jeune Talent du festival de la mode et du textile Manja. Départ pour Paris 1998 Premier voyage au Cambodge 1999 Diplômé de l’Institut français de la mode (IFM) 2000 Ouverture d’un atelier de création textile à Siem Reap 2009 Défilé « Arise Africa Collective Show » dans le cadre de la New York Fashion Week, en septembre 2010 Défilé « Art et haute texture », le 25 novembre à Dakar

les plus grands, de Christian Dior à Yves Saint Laurent. C’est d’ailleurs ce dernier qui va utiliser la fourrure de soie conçue par Éric, un produit à l’élaboration duquel il a consacré pas moins de six mois de recherches. MÊME S’IL TRAVAILLE avec de grands noms, Éric

Raisina s’est volontairement positionné en marge de la mode, préférant garder sa liberté de créer plutôt que de se plier aux règles d’une maison de haute couture. Une liberté qu’il met à profit en multipliant les découvertes. « J’ai toujours voyagé, y compris au sein de ma propre famille. Mon père est betsimisaraka (ethnie de la côte est de Madagascar) alors que la famille de ma mère était plus métissée, créole d’origine mauricienne. J’avais aussi des parents originaires de Chine et de France. Cette diversité m’a aidé à capter les influences du monde. »

Influences du monde… et d’Afrique, un continent qu’il n’a jamais perdu de vue, malgré son attirance pour l’Orient. Déjà, au cours de ses études, Éric avait fait un séjour au Mali pour étudier l’art dogon. Aujourd’hui, il organise chaque année un défilé dans la capitale sénégalaise, où sa dernière prestation s’est tenue en novembre 2010 : « Je me sens bien à Dakar parce que c’est une ville qui dégage une énergie folle. » Enfin, même si de Paris à New York et de Pékin à Berlin ses créations sont de plus en plus visibles sur les podiums internationaux, le jeune créateur garde en tête l’idée de mener à bien un projet d’envergure à Madagascar. « J’aimerais y créer un centre de formation aux métiers de la mode… Une manière de faire connaître la beauté des créations malgaches. » ■

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THÉO MARCEL

Photo : FRÉDÉRIQUE JOUVAL/PICTURE TANK pour J.A.


94 INTERNATIONAL ITALIE

Ainsi font, font, font, les petites marionnettes Non content de conduire, plutôt mal, le char de lʼÉtat, Silvio Berlusconi, 74 ans, se croit obligé de mettre dans son lit des cohortes entières de jeunes femmes peu farouches. En dehors de lui-même, qui croit-il épater ?

M

ais quand trouve-t-il le temps de travailler ? À en croire un sénateur de gauche, le président du Conseil italien aurait, depuis son retour aux affaires en mai 2008, reçu dans l’une ou l’autre de ses luxueuses résidences un millier de belles et vulgaires jeunes femmes prêtes à tout pour côtoyer les « people » – et, accessoirement, gagner l’argent du loyer. Faites le compte, c’est beaucoup, même pour un septuagénaire initié aux arcanes de la pharmacopée sexuelle – et rescapé d’un cancer de la prostate. Avec son vieux pote Mouammar Kaddafi, Silvio Berlusconi se livrerait, dit-on, entre deux négociations stratégiques, à des concours de garnements: « T’en a eu combien, l’autre nuit? Quoi, seulement dix? » On comprend qu’Elizabeth Dibble, la chargée d’affaires américaine à Rome, qu’on imagine un peu prude, un peu effarée par tant d’exubérance méditerranéenne, juge sévèrement, dans ses mémos adressés au département d’État rendus publics par WiliLeaks, les frasques cavalièresques. « Irresponsable, imbu de lui-même et inefficace », le chef du gouvernement italien serait, dit-elle, « physiquement et politiquement affaibli » par ses « longues nuits sans sommeil » et son « penchant pour la fête ». D’où cette maternelle réprimande : « Il ne se repose pas assez. » Mais si, voyons, il se repose, mais pendant ses heures de travail ! À en croire les mauvaises langues, le Dom Juan sénescent du Palazzo Chigi ne consacrerait aux affaires de l’État guère plus d’une heure par jour. E pur si muove !

À l’issue des fêtes de la Saint-Joseph, à Valence (Espagne), ces statues en bois du Cavaliere et de ses deux « amies » seront brûlées.

protestait Galilée. En dépit de la cynique incurie de son chef, l’Italie, comme la Terre, continue de tourner. Mais de moins en moins rond. CÉSAR DE BAS EMPIRE

Car c’est un système tout à la fois rationnel et délirant que Berlusconi a peu à peu mis en place autour de son empire télévisuel. Un système où tout est faux, à commencer par sa propre personne continuellement rajeunie, et où tout s’achète : hommes, femmes, électeurs, élus ou magistrats. Faut-il croire que, parvenu au faîte de la fortune (la sienne est la première d’Italie) et du pouvoir, plus rien n’a de sens? César de bas empire, il danse au-dessus du vide, ne s’affaire qu’à ses plaisirs, drague ou fait draguer dans ses studios TV (ou ailleurs) des bataillons de paumées (les veline, dit-on ici), se vante de les avoir séduites quand il n’a fait que les payer, s’inquiète soudain de leurs possibles indiscrétions et, pour finir, le silence aussi ayant un prix, les nomme dans son gouvernement ou les fait élire au Parlement, à Bruxelles, n’importe où.

« Sorte de Peter Pan phallique et obsessionnel », comme l’écrit, dans l’hebdomadaire L’Espresso, l’écrivain Marco Belpoliti, Berlusconi a longtemps fasciné ses compatriotes plus qu’il ne les scandalisait. Mais trop, c’est trop : la tendance est apparemment en train de s’inverser. Toute une série d’affaires, qui, bien sûr, ne constituent que la partie émergée de l’iceberg, ont fini par faire plonger sa cote de popularité, longtemps stratosphérique, à des profondeurs quasi sarkoziennes (34 %). Il y eut d’abord, en 2008, Patrizia D’Addario, escort vieillissante (42 ans, à l’époque) que des déboires familiaux conduisirent, paraît-il, sur les chemins escarpés de la prostitution soft, et qui, au terme d’une soirée déjantée au palais Grazioli, finit dans le lit à baldaquin ultrakitsch du Cavaliere, cadeau facétieux de Vladimir Poutine, non sans s’être préalablement munie d’un magnétophone. Déçue dans ses espérances, voyant s’éloigner le poste de députée européenne qu’on lui avait fait miroiter et ne se contentant point d’une place non éligible sur une liste

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INTERNATIONAL 95 se depuis trente ans, d’avoir fini par se lasser ? En 2007, après les avances faites publiquement, à la télévision, à Mara Carfagna, brune pin-up pour camionneur qu’il fera élire députée et propulsera au ministère de l’Égalité des chances – ce qui n’est pas illogique : avec Berlusconi, toute femme peu farouche a ses chances –, elle avait, dans La Repubblica, le grand quotidien d’opposition, demandé – et obtenu – des excuses publiques. Après le scandale Noemi, elle avait chassé d’un revers de main l’essaim de « fausses vierges » bourdonnant autour de son mari, déploré la propension de ce dernier à s’afficher avec des mineures, puis demandé – et obtenu – le divorce, déclenchant du même coup un conf lit entre les héritiers.

BRUQUE/EFE/SIPA

CONSTERNATION AU VATICAN

pour les municipales dans une obscure bourgade des Pouilles, inquiète de surcroît d’un étrange cambriolage à son domicile, la belle finit par se fâcher. Après avoir balancé au Corriere della Serra l’enregistrement de ses présidentiels ébats, elle ouvrit son cœur meurtri au monde entier. SATURNALES

L’année suivante, ce fut le tour de Noemi Letizia, gentille bécasse napolitaine acheminée, avec nombre d’autres volatiles, à bord d’avions du gouvernement jusqu’à la villa Certosa, le domaine « babylonien » de 120 ha que Berlusconi possède sur la Costa Smeralda, en Sardaigne. Problème : elle était mineure lors de ces saturnales. Autre problème : un paparazzi, qui avait secrètement shooté les évolutions dénudées des invité(e)s du Cavaliere, menaça de publier les clichés, qui furent in extremis saisis par le parquet. Pour faire bonne mesure, le chef du gouvernement, alias Papounet, commit l’imprudence de s’inviter à la party organisée à l’occasion du dix-hui-

tième anniversaire de Noemi, porteur d’un précieux joyau. Il y a sept mois, enfin, une certaine Ruby, fille de Marocains établis en Sicile (elle se prénomme, en réalité, Malika), esquissa quelques arabesques sur l’immense scène du harem berlusconien. Interpellée à la suite d’un larcin, elle fut libérée en pleine nuit après l’intervention du sultan – p a r d o n , du p r é s i dent du Conseil – en personne, qui affirma aux policiers incrédules qu’elle était la nièce du président égyptien Mouba ra k. Quelques mois plus ta rd, les magistrats finirent par découv rir que la jeune personne était mineure, dépourvue de papiers et assidue aux orgies de son protecteur. En simple spectatrice, minaude-t-elle. Le « spectacle » lui a quand même rapporté 150 000 euros et une berline de marque allemande. Qui reprochera à Veronica Lario (54 ans), sa compagne, puis son épou-

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Nés d’un premier lit, Marina et Piersilvio sont déjà aux commandes de l’empire familial. La quarantaine venue, l’aînée, qui préside le conseil d’administration de Fininvest, le holding du groupe, passe même pour la femme la plus influente d’Italie. Outre quelques menus avantages pour ellemême (notamment 300 000 euros de pension mensuelle), Veronica a donc exigé – et, pour l’essentiel, obtenu – une part du gâteau pour ses propres enfants : Barbara, Eleonora et Luigi. Bref, la belle ne supporte plus, mais alors plus du tout, son ex-mari. Comme tout le monde. D’ordinaire si circonspect, le Vatican est consterné. Discrètement, il sermonne les électeurs catholiques et sonde les candidats à la succession. Présidente de la Confindustria (le syndicat patronal),

Avec Kaddafi, des concours de garnements : « T’en as eu combien, l’autre nuit ? » Emma Marcegalia, que Berlusconi tenta de nommer ministre puis de faire chanter, lui décoche flèche sur flèche. Même ses alliés le lâchent, un à un, à l’exception notable de la très populiste Ligue du Nord. En toute logique, tout cela devrait très mal finir. Reste à savoir quand. ■ JEAN-MICHEL AUBRIET

(Avec ALEXANDRA BAKCHINE , à Rome)


96 INTERNATIONAL ÉTATS-UNIS

Emmanuel Marcellus y voit la main de René Préval, l’actuel président – un ancien lavalassien. « En excluant la Fanmi, le gouvernement et les élites haïtiens, mais aussi une partie de la communauté internationale, ont exclu le peuple. Ce n’est plus une élection, mais une sélection. » Professeur de sciences politiques à la Rice University et spécialiste d’Haïti, Marc P. Jones en est, pour sa part, convaincu : emmené par Aristide, le parti Lavalas aurait largement remporté la consultation. Difficile, dans ce quartier de Flatbush, où pullulent les églises évangéliques, de tomber sur un anti-Lavalas. Le pasteur Orlando Aupond, 56 ans, a le regard extatique. Il rêve du retour d’Aristide, même s’il veut bien concéder que le charisme ne saurait tenir lieu de programme électoral. Pour Jacques, qui refuse de donner son nom parce qu’il travaille au département d’État américain, Aristide est le Sauveur, ou presque : « Lui seul est capable d’empêcher le pillage de nos ressources naturelles. »

Histoires de famille À New York, les immigrés haïtiens sont presque tous partisans de lʼancien président Aristide et de la « Fanmi Lavalas », son parti. Pour eux, les candidats arrivés en tête de la présidentielle du 28 novembre sont des usurpateurs.

DAVID GOLDMAN/AFP

« COMME MAI 68 »

Haïtiens du quartier de Flatbush, au siège de Radio Soleil, à Brooklyn, en janvier.

D

ans la boutique de ce barbier haïtien située dans le quartier de Flatbush, à Brooklyn, haut lieu de la diaspora haïtienne à New York, les hommes qui se font raser n’ont pas de mots assez durs pour commenter l’actualité politique de leur pays natal. Entre Mirlande Manigat, Jude Célestin et Michel Martelly, les trois candidats arrivés en tête au premier tour de la présidentielle du 28 novembre, leur cœur ne balance pas. Car il ne bat que pour l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, aujourd’hui en exil en Afrique du Sud, dont le portrait trône en devanture du magasin, à côté de ceux de Barack Obama et de Martin Luther King. « Aristide, c’est la force électorale, les autres ne sont que des usurpateurs », assène Jackolo, 56 ans, qui a travaillé pour l’Unesco, à Paris, et est ici décorateur d’intérieur. « Aristide, c’est notre idole, comme le furent Juan et Eva Perón en Argentine », renchérit Emmanuel Marcellus, 61 ans, qui vit à

New York depuis trente-six ans et joue les animateurs sur Radio Pa Nou, l’une des trois stations communautaires haïtiennes de la ville. Les deux hommes sont des partisans déclarés de la Fanmi Lavalas (locution créole qu’on pourrait traduire par « famille avalanche »), parti populiste fondé, au début des années 1990, par le très charismatique Aristide. En dépit de son héritage politique plus que controversé – son engagement en faveur des plus démunis n’est pas allé sans violence – et de son renversement, en 2004, celui-ci compte encore de nombreux supporteurs. En Haïti et dans la diaspora. Par un tour de passe-passe, le Conseil électoral provisoire a, en février 2009, exclu les candidats de la Fanmi Lavalas de la dernière présidentielle. Et notamment Maryse Narcisse, pourtant adoubée par Aristide en personne.

Qui sont les adversaires des lavalassiens de New York ? Les élites haïtiennes, bien sûr, notamment métisses, qui accaparent les ressources du pays et veulent exclure la diaspora du jeu politique. Mais aussi la France et les ÉtatsUnis, en raison du rôle qu’ils ont joué dans l’éviction d’Aristide – et même s’ils leur sont reconnaissants du niveau de vie qu’ils leur procurent. Si, en Haïti, les membres de la Fanmi Lavalas ont migré vers d’autres partis, vidant l’organisation de sa substance et participant à l’atomisation du paysage politique (pas moins de dix-neuf candidats à la présidentielle), le mouvement

Le regard extatique, le pasteur rêve du retour du charismatique « Titid ». n’est, à New York, guère plus structuré: pas de porte-parole ni d’appareil politique, encore moins de cotisations régulièrement versées… « La Fanmi Lavalas, c’est comme mai 68 en France, un mouvement anarchiste », plaide Marcellus. Elle n’a pour elle que les radios locales, une myriade de fanzines communautaires et une centaine de membres actifs. Certains de ses membres entretiennent

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INTERNATIONAL 97 des liens étroits avec le Congressional Black Caucus, l’association des parlementaires noirs américains. Ce dernier est clairement pro-Aristide, mais son influence sur la politique étrangère des États-Unis vis-à-vis d’Haïti est marginale. Bref, politiquement, la « famille » est un peu en déshérence. 1 MILLIARD DE DOLLARS

La diaspora aux États-Unis est pourtant un élément clé de l’avenir d’Haïti. Rien qu’à New York, elle compte environ cent mille membres, deux cent mille avec les descendants. Arrivés au début des années 1960 pour fuir la dictature de François Duvalier, puis la pauvreté, les Haïtiens exilés envoient chaque année 1 milliard de dollars (760 millions d’euros) au pays. Les États-Unis sont donc un passage obligé pour tout candidat à la présidentielle. « Si vous avez le soutien d’une seule personne à Boston, cela peut se traduire par le soutien de dix personnes en Haïti », estime Marc P. Jones. Arrivée en tête au premier tour de la présidentielle, Mirlande Manigat a fait, en octobre, une grande tournée du continent nord-américain. Jean-Henry Céant, le candidat le plus proche de Lavalas, qui s’est classé en quatrième position, a tenu à New York, notamment à Brooklyn, trois réunions publiques pour collecter des fonds. La Constitution haïtienne pourrait être amendée pour permettre à ceux qui disposent de la double nationalité de voter en Haïti. Manigat, si elle est élue le 16 janvier, s’y est engagée. L’éventuel retour d’Aristide est, en revanche, beaucoup plus incertain. Ce serait le meilleur moyen de permettre au mouvement Lavalas de trouver un second souffle… Toujours privé de passeport, « Titid » ne peut actuellement quitter l’Afrique du Sud. Mais Marc P. Jones n’en doute pas : un jour ou l’autre, il finira par rentrer en Haïti. À brève échéance ou à la fin de sa vie, comme naguère l’Argentin Juan Perón? Toute la question est là. Ce serait, en tout cas, le signe qu’Haïti est enfin parvenu à maturité démocratique. Croisé à Radio Pa Nou, Guessely Maurisseau, qui vit à New York depuis vingt ans, veut y croire : « Aristide est un Haïtien, il doit pouvoir rentrer chez lui, comme d’ailleurs Jean-Claude Duvalier [l’ancien dictateur réfugié en France, NDLR], et, un jour, tous les Haïtiens de l’étranger. » ■ JEAN-ÉRIC BOULIN, à New York

Humeur FOUAD LAROUI

Père Noël salafi et sapin musulman

I

l neige dans tout le nord de l’Europe, ce qui donne des images de carte postale, des paysages splendides avec un soleil froid qui fait scintiller les branches des arbres. Vous excuserez cette poussée inhabituelle de lyrisme, mais on n’a pas tous les jours un tel spectacle sous les yeux. Bon, revenons à plus de réalisme. La neige nous a aussi apporté, cette semaine, deux petites scènes amusantes. La première s’est déroulée dans le métro. Je suis assis en face d’une petite fille et de sa maman, le métro s’arrête, les portes s’ouvrent, un grand gaillard entre et s’assoit à côté de moi. Ce n’est pas un voyageur ordinaire, mais ce qu’on appelle ici un salafi: grosse barbe noire, bonnet blanc sur la tête, grand kamis flottant sur ses habits… La petite fille le regarde, se penche sur sa mère et lui demande à haute voix: « Pourquoi sa barbe n’est pas blanche, à ce Père Noël? » La mère, confuse, plaque sa main sur la bouche de la mouflette, les voyageurs qui ont entendu l’innocente question se retiennent de rire, et le salafi fronce encore plus les sourcils – un peu comme le Père Noël quand il rencontre des enfants qui ont été vilains. LA SECONDE HISTOIRE A ÉTÉ RAPPORTÉE

La petite fille se penche vers sa mère et demande : « Pourquoi sa barbe n’est pas blanche, à ce Père Noël ? »

par les journaux. Il s’agit d’un marchand de sapins, à Groningue (Pays-Bas), qui a eu l’idée de faire sa publicité sur le thème: « Achetez un sapin, sinon vos voisins vont croire que vous êtes musulmans. » Le marchand a eu beau assurer qu’il s’agissait d’une plaisanterie, certains l’ont eu mauvaise, à commencer par les athées, les agnostiques, les juifs, etc., tous ceux qui n’ont aucune raison de fêter la naissance de Jésus et se retrouvent rejetés dans les limbes par cette publicité manichéiste. Le plus étonnant, c’est que le marchand assure avoir vendu quelques sapins à des familles musulmanes. Un journaliste a rencontré une famille iranienne qui avait acquis et décoré un beau conifère, placé au milieu du salon, pour que les passants et les voisins le voient bien. « Oui, confirmèrent les Iraniens, on a un sapin de Noël, on a même un bonhomme de neige sur le trottoir. » Le journal qui rapporte cette anecdote loue « l’esprit positif » de cette famille qui s’efforce de « s’intégrer » dans la société qui lui a ouvert les bras et lui a « donné une seconde chance ». Personnellement, je soupçonne ces Iraniens-là de vouloir surtout marquer leur différence par rapport aux Marocains et, plus généralement, aux Arabes. Sans doute ignorent-ils que la plupart des Marocains, ici, sont des Rifains, qui se fichent des bisbilles opposant régulièrement Perses et Arabes sur les bords du Golfe… Tout de même, entre le salafi Père Noël (malgré lui) et le sapin iranien, on passe des moments absurdement œcuméniques dans notre belle Europe enneigée… ■

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98 INTERNATIONAL BIÉLORUSSIE

Traumatisme crânien pour le candidat d’opposition Vladimir Nekliaev.

Soupçons de fraudes massives, candidats arrêtés, opposants copieusement rossés... Le quatrième mandat dʼAlexandre Loukachenko commence mal.

A

llongé sur une civière de fortune et plongé dans le coma à la suite d’un traumatisme crânien, Vladimir Nekliaev est transporté à l’hôpital. Le candidat à la présidentielle biélorusse a été agressé, le 19 décembre, alors qu’il tentait de rejoindre la manifestation de protestation qui a suivi la réélection d’Alexandre Loukachenko à la tête du pays, avec 79,67 %

CORÉE

L

des voix. Revenu à lui, Nekliaev a été arrêté avec six autres candidats d’opposition. « Tu es coupable, tu réponds de tes actes », a lancé Loukachenko lors d’une conférence de presse. Des visages ensanglantés, des manifestants rossés à coups de matraque, des dizaines d’autres jetés dans des camions de police… Les forces antiémeutes n’ont pas fait dans la dentelle. Les manifes-

AP/SIPA

Loukachenko et les « vandales » tants protestaient contre les fraudes massives orchestrées, selon eux, par le gouvernement. Sur la place de l’Indépendance, là où, en 1991, la Biélorussie est devenue autonome, entre 30 000 et 40 000 militants en colère ont dénoncé la « fausse victoire » de Loukachenko. Bilan : environ 600 manifestants interpellés et condamnés, dès le lendemain, à des peines allant de cinq à quinze jours de prison. Malgré un taux de participation rêvé (90 %) et un nombre de candidats sans précédent, les électeurs avaient peu d’illusions quant à l’issue du scrutin. Et l’opposition pas davantage. Longtemps surnommé le « dernier dictateur d’Europe », Alexandre Loukachenko s’offre un quatrième mandat de quatre ans. En 2004, il avait aboli la limite de deux mandats prévue par la Constitution. « Il n’y aura pas de révolution », a-t-il déclaré au lendemain de sa réélection, comparant les manifestants à des « vandales ». Tony Lloyd, le chef de la mission des observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), estime pour sa part que « cette élection n’est pas parvenue à donner à la Biélorussie le nouveau départ dont elle a tant besoin ». L’Union européenne a exigé la libération immédiate des opposants arrêtés. ■ JUSTINE SPIEGEL

De lʼart de la guerre à lʼorientale

e 15 décembre, à 14 heures, les sirènes ont retenti, et la Corée du Sud s’est arrêtée. C’était le début du plus important exercice de défense civil depuis 1975. Endormis par des années de politique de la main tendue à la Corée du Nord, les Sud-Coréens, terrés dans les milliers d’abris que compte le pays, ont été rappelés à la réalité d’une menace nord-coréenne à son paroxysme depuis le bombardement de l’île de Yeonpyeong le 23 novembre. En décidant, en dépit de la désapprobation de Pékin et de Moscou, de procéder à des tirs d’artillerie à Yeonpyeong, la Corée du Sud prenait un risque. Mais le président Lee Myungbak, critiqué pour son manque de réaction lors de l’incident de la corvette Cheonan, au printemps, puis pour sa gestion de la crise de Yeonpyeong, avait promis d’adopter une ligne de conduite sans concession. « Il en va de la souveraineté de notre pays », a estimé Kim Kwan-jin, le ministre de la Défense. Initialement prévues le 11 décembre, les manœuvres ont

toutefois été retardées. Officiellement en raison du brouillard. Mais aussi, peut-être, pour laisser le temps aux Nations unies de tenir une réunion du Conseil de sécurité afin de trouver une issue à la crise, la Corée du Nord ayant menacé Séoul d’une frappe nucléaire en cas de provocation. Art de la guerre à l’orientale oblige, Séoul avait intérêt à offrir à Pyongyang une ultime possibilité de sauver la face. Il a donc modifié légèrement l’angle de tir de son artillerie pour inciter son voisin à renoncer à une frappe de riposte. À moins d’un vent de rébellion dans l’armée nord-coréenne qui forcerait un Kim Jong-il, fragilisé par l’âge et sa prochaine succession, à une nouvelle attaque « surprise », la Corée du Nord, à l’approche de l’hiver, devrait à présent s’efforcer de calmer le jeu. Selon CNN, elle aurait déjà accepté le retour des inspecteurs de l’AIEA sur son site nucléaire de Yongbyon… ■ JULIETTE MORILLOT

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LE PLUS DE JEUNE AFRIQUE

MAURITANIE

Chronique dʼune nation Politique De la méthode Aziz à la partie de cache-cache de lʼopposition

Interview Messaoud Ould Boulkheir

Reportage À lʼInstitut supérieur technologique de Rosso

Poésie Bye-bye négritude

DENIS/REA

Cinquantenaire Lʼélan brisé


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LE PLUS 101 LE PLUS DE JEUNE AFRIQUE

MAURITANIE

PRÉLUDE

Chronique q dʼune nation

MARWANE BEN YAHMED

Le péril jeune 50 ANS

Lʼélan brisé p. 102 GOUVERNANCE

La méthode Aziz p. 106 EXILÉS

Après le retour p. 107 O PP O S I T I O N

Alliance et confusion p. 109 3 QUESTIONS À...

Messaoud Ould Boulkheir, Président de lʼAssemblée nationale et de lʼAPP p. 110 É CO N O M I E

Du béton, en attendant p. 115 R E P O R TAG E

Le laboratoire de lʼécole (Visite à lʼInstitut supérieur dʼenseignement technologique de Rosso) p. 117 L I T T É R AT U R E

Bye-bye négritude p. 120

Direction : Danielle Ben Yahmed et Marwane Ben Yahmed Rédaction en chef : Cécile Manciaux Rédaction : Marianne Meunier, envoyée spéciale, Tirthankar Chanda, Muriel Devey, Clarisse Juompan-Yakam Coordination : Nisrine Batata Difcom, 57 bis, rue d’Auteuil 75016 Paris Tél.: + 33 1 44 30 19 60 Fax: + 33 1 45 20 08 23

LA MAURITANIE EST UN CONDENSÉ DE DIFFÉRENTS ÉCUEILS qui menacent nombre de pays africains. Ce grand pays au relief et au climat peu propices à l’agriculture n’est pas dénué de richesses souterraines. Pas de quoi se sentir pousser des ailes, mais suffisamment pour imaginer en tirer quelques profits et quelques sources de financement indispensables à la construction d’un modèle économique productif et pérenne. Cela va de soi, me direz-vous. Mais en Mauritanie comme ailleurs sur le continent, l’évidence et la raison ne sont pas toujours des concepts très partagés… Sur un plan politique, il est grand temps qu’un véritable pouvoir civil s’impose et parvienne à s’inscrire dans la durée. Car là réside un des maux majeurs de cette nation cinquantenaire : l’instabilité et les coups d’État fomentés (et généralement réussis) à la moindre « contrariété » éprouvée par leurs auteurs empêchent toute vision appliquée sur le moyen ou le long terme, toute esquisse d’un projet de société. Pourtant, c’est bien d’un projet de ce type dont la Mauritanie a le plus urgent besoin. C’est le pire déni qui puisse menacer un pays: ne pas prendre en compte les bouleversements et les lignes de fracture qui chahutent un modèle social devenu obsolète par tant de bouleversements survenus au cours des deux dernières décennies. La société mauritanienne demeure percluse d’inégalités. Les hommes, les femmes, les jeunes, les vieux, les Maures, les Négro-Mauritaniens, les Haratines… L’égalité entre les citoyens demeure un lointain mirage, que les politiques se font fort, à chaque élection, de vouloir transformer en miracle, sans résultats probants jusqu’ici. Pis, cette société traverse une mutation sans précédent et restée, aujourd’hui, sans réponse adéquate. Les Mauritaniens se sédentarisent à la vitesse grand V. Et c’est toute une jeunesse, privée de repères et de « tuteurs », qui se retrouve livrée à ellemême dans les rues et les faubourgs des grandes villes. Le noyau familial implose, les règles de solidarité et les convenances s’estompent. L’âme de la Mauritanie, nation musulmane tolérante et accueillante, se délite. Cette jeunesse désœuvrée n’a plus de guide familial, tribal ou spirituel. Reste internet, la télé et… les théories d’un autre âge d’Al-Qaïda et consorts, qui constituent aux yeux de certains le seul bâton sur lequel s’appuyer, la seule oreille susceptible d’écouter leurs inquiétudes et la seule épaule sur laquelle s’épancher. Terreau fertile, s’il en est, au recrutement de candidats djihadistes… La lutte contre le terrorisme est une nécessité dont les dirigeants de Nouakchott ont pris toute la mesure. Mais, comme sous d’autres cieux, à Rabat, à Alger, à Tunis ou à Bamako, c’est aux racines du mal qu’il faut aussi, et peut-être surtout, s’attaquer. Les mutations d’une société, quelles qu’elles soient, ne représentent en rien un péril insurmontable. Les peuples évoluent, changent de repères, s’adaptent à leur environnement depuis la nuit des temps. En revanche, ne pas tenir compte de ces changements plus ou moins profonds, de ces nouvelles aspirations qui émanent d’une jeunesse déboussolée constituerait une faute aux conséquences difficilement réparables. Il n’est pas trop tard pour, enfin, s’en préoccuper. Et ce n’est plus la responsabilité des seuls politiques, mais celle de tous les Mauritaniens.

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102 LE PLUS

Qu’avez-vous fait de vos 50 ans?

Tout au long de l’année,

LʼÉLAN BRISÉ Au seuil de son indépendance, la Mauritanie avait tout à construire: lʼÉtat, lʼunité nationale, lʼéconomie. Cinquante ans plus tard, fragilisée par les dérives autoritaires et les putschs à répétition, elle cherche encore la voie du développement.

L

MURIEL DEVEY

e 28 novembre 1960, c’est dans un hangar, à Nouakchott, que Moktar Ould Daddah proclame l’indépendance. La capitale n’est alors qu’un simple fortin de 5 000 âmes. La jeune République islamique de Mauritanie, avec son million de km2 de superficie (deux fois la France), dont les deux tiers dans le Sahara, ne possède presque aucune infrastructure de base, la France coloniale ayant préféré concentrer ses efforts sur les abords du fleuve Sénégal et sur Saint-Louis, capitale de l’Afriqueoccidentale française (AOF), et donc du territoire de la Mauritanie, jusqu’en juillet 1957. La tâche qui attend Moktar Ould Daddah est immense. Tout est à construire : l’État, l’unité nationale et l’économie. À l’époque, cette dernière repose sur l’exploitation du fer et sur un important secteur agropastoral. Le nomadisme est prédominant, et le tissu urbain peu dense. Cinquante ans plus tard, la société est largement sédentarisée et urbanisée (à plus de 40 %), un mouvement

tandis que la pêche maritime, l’exploitation du fer et, depuis 2006, du pétrole (25 % du PIB) sont les principaux pourvoyeurs de devises. Si le PIB s’est accru, la pauvreté, quasi générale en 1960, touche encore plus de 45 % des 3 millions de Mauritaniens, et les inégalités sociales se sont creusées. Deux autres problèmes persistent, qui fragilisent l’unité nationale : l’esclavage, pourtant officiellement aboli en 1980 et criminalisé par une loi de 2007, ainsi que les tensions entre Maures et Négro-Mauritaniens, que les régimes qui se sont succédé ne sont pas parvenus à réconcilier. COULEURS, LANGUES ET IDENTITÉ

Point de jonction entre l’Afrique blanche arabophone et l’Afrique noire francophone, la Mauritanie est peuplée de Maures arabo-berbères blancs (les Beydanes) et noirs (les Haratines, descendants de leurs anciens tributaires), dont la langue est l’arabe hassaniya, ainsi que de Négro-Mauritaniens – Peuls Toucouleurs, Soninkés et Wolofs – originaires de la région du fleuve Sénégal, parlant le français et leu r s pr opr e s langues (le pulaar, le s on i n k é e t le wolof). Si tou s ont e n commun l’islam, les Négro-Mauritaniens ne se reconnaissent pas, en revanche, dans l’identité arabe revendiquée par la quasi-totalité des régimes qui ont dirigé le pays. Les premières émeutes éclatent en 1966, à la suite d’un décret sur l’arabisation de l’enseignement secondaire, et s’exacerbent en 1968, quand l’Assemblée natio-

Depuis la chute d’Ould Daddah en 1978, il y a eu sept chefs d’État, tous maures, dont six militaires. amorcé en 1973, à la suite des grandes sécheresses qui ont poussé nombre de ruraux vers les villes. De 1970 à 1990, le taux annuel moyen d’accroissement de la population urbaine était d’ailleurs de 7,7 %, contre 2,9 % de 2000 à 2010. L’activité agropastorale contribue à 20 % au produit intérieur brut (PIB),

nale fait de l’arabe une langue officielle, aux côtés du pulaar, du soninké, du wolof et du français. Dans la foulée de l’arabisation, le pays sort de la zone franc en juin 1973 pour mettre en circulation sa propre monnaie, l’ouguiya, et, en novembre de la même année, adhère à la Ligue arabe. En décembre 1980, l’arabe est décrété seule langue officielle. Les tensions nées de cette politique, qui éloigne le pays de ses voisins francophones, atteignent leur paroxysme sous Ould Taya, quand éclate, en avril 1989, le conflit sénégalo-mauritanien. Tout est parti d’un accrochage entre des bergers maures mauritaniens et des pay-

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103

PATRICK FLOURIOT

J.A. célèbre le demi-siècle de souveraineté des 17 pays ayant accédé à l’indépendance en 1960.

Le quartier de Tevragh-Zeina, dans le centre de Nouakchott, et la mosquée saoudienne, la plus grande de la capitale.

Le choix de l’arabité n’a pas pour autant facilité les relations avec les voisins arabes. Au moment de l’indépendance, le Maroc, alors suivi par la Ligue arabe, refuse de reconnaître

Dakhla (renommée Tiris el-Gharbia) et s’engage, aux côtés du Maroc, dans une guerre contre le Polisario, soutenu par l’Algérie. Ajoutée à la montée de la contestation, tant du côté des NégroMauritaniens que d’une fraction

« La Mauritanie, avec ses Noirs et ses Blancs, est comme l’œil. Celui-ci ne va bien et ne peut jouer pleinement son rôle que quand ses deux parties, la noire et la blanche, qui ne peuvent être séparées, sont en bonne santé. » MOKTAR OULD DADDAH, La Mauritanie contre vents et marées, 2003

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SUDDEUTSCHE ZEITUNG/RUE DES ARCHIVES

UN POUVOIR MILITARISÉ

le nouvel État. Les deux pays se rapprochent en novembre 1975, avec la signature des accords de Madrid, sur le partage du Sahara occidental entre le Maroc (deux tiers) et la Mauritanie (un tiers), qui annexe donc la région de

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sans soninkés sénégalais, à Diawara, au Sénégal oriental, qui débouche sur des affrontements entre les deux communautés à Nouakchott et à Dakar. Bilan : des milliers de morts et de blessés, des dizaines de milliers de réfugiés de part et d’autre. En août 1989, les deux pays ferment leur frontière et rompent leurs relations diplomatiques, qui ne seront rétablies qu’en mai 1992.


104 LE PLUS MAURITANIE ▲ ▲ ▲

ultranationaliste arabe, cette coûteuse guerre de deux ans sera fatale à Ould Daddah. Certains mettront le bilan mitigé des cinquante ans d’indépendance du pays sur le compte d’un manque de volonté politique de la plupart de ses dirigeants, davantage préoccupés par l’idéologie que par le développement et la modernisation du pays, et de l’instabilité née des coups d’État à répétition. Depuis le renversement d’Ould Daddah en juillet 1978, la Mauritanie a en effet connu sept chefs d’État – tous Maures –, dont six militaires. Une militarisation du pouvoir que la démocratisation engagée en 1991 n’a pas enrayée. D’ailleurs, quelques années plus tard, Ould Taya ne s’encombrera pas des droits de l’homme, exacerbant au passage la question raciale en faisant fusiller plusieurs officiers peuls accusés de vouloir le renverser. C’est « pour mettre fin au régime totalitaire du président Taya », dirontils alors, que des militaires finissent par le renverser, en août 2005, sous la conduite de celui qui fut son responsable de la sûreté nationale pendant dixhuit ans, le colonel Ely Ould Mohamed Vall. Ce dernier, fidèle à sa promesse, ne se présente pas à la présidentielle de mars 2007, qui est remportée par un civil : Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Mais le 6 août 2008, un nouveau coup d’État porte au pouvoir le général Mohamed Ould Abdelaziz. Ce dernier est élu président un an plus tard, dès le premier tour du scrutin, avec plus de 52 % des suffrages exprimés. Outre les défis socioéconomiques, Aziz hérite du lourd dossier de l’islamisme radical, dont les premières actions remontent à 2003 avec la tentative d’assassinat d’Ould Taya par les « Cavaliers

CHRONOLOGIE

du changement ». Depuis 2005, le pays est frappé par une vague d’attentats perpétrés par des djihadistes : assassinat de quatre touristes français à Aleg (Sud-Est) en décembre 2007, attaque de l’ambassade d’Israël en février 2008, attentat suicide contre l’ambassade de France en août 2009… Des événements qui n’ont pas manqué de surprendre au « pays de Chinguetti », jadis réputé pour ses sages érudits et son islam tolérant.

28 novembre 1960 Indépendance du pays, dont l’autonomie a été proclamée le 28 novembre 1958. 20 août 1961 Moktar Ould Daddah est élu président par l’Assemblée nationale. Il est réélu en 1966, 1971 et 1976. 12 janvier 1965 Le Parti du peuple mauritanien (PPM), créé en 1961, devient parti unique.

LA MENACE DE L’ISLAM RADICAL

Décembre 1975-1978 Guerre contre le Polisario à la suite des accords de Madrid relatifs au partage du Sahara occidental entre le Maroc (deux tiers) et la Mauritanie (un tiers).

Divers facteurs ont favorisé la montée de l’islamisme. Les idéologies modernistes (nassérisme, baasisme) qui se sont développées dans le pays dans les années 1970 ont suscité une réaction défensive au sein des milieux conservateurs. Les politiques menées par les régimes successifs dans le sens d’un repli sur l’islam (instauration de la charia par Ould Daddah en 1978 et par Ould Haïdallah en 1980) ou d’une ouverture sur l’Occident (rapprochement avec les États-Unis et établissement de relations diplomatiques avec Israël sous Ould Taya) ont également contribué à l’émergence de ces courants radicaux. Si le raid lancé par l’ar mée en juillet 2010 contre un camp d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) n’a pas permis de sauver l’otage français Michel Germaneau, un point a toutefois été marqué par l’État mauritanien: neuf combattants d’Aqmi ont été tués. Reste que les courants radicaux ont de plus en plus d’adeptes au sein des couches populaires, notamment chez les Haratines, paupérisés par les difficultés économiques. En cela, les deux chantiers prioritaires du mandat d’Ould Abdelaziz, contrer l’islamisme radical et engager le pays sur le chemin de la croissance, sont intimement liés. ■

10 juillet 1978 Coup d’État du Comité militaire de redressement national (CMRN), présidé par le lieutenantcolonel Mustapha Ould Saleck. 3 juin 1979 Ould Saleck démissionne. Mohamed Mahmoud Ould Louly lui succède. 5 août 1979 Accord d’Alger avec le Polisario. La Mauritanie quitte le Sahara occidental. 4 janvier 1980 Coup d’État du lieutenant-colonel Mohamed Khouna Ould Haïdallah. 12 décembre 1984 Coup d’État du colonel Maaouiya Ould Sid Ahmed Taya. Avril 1989-1990 Émeutes raciales sanglantes au Sénégal et en Mauritanie. Exil de dizaines de milliers de Négro-Mauritaniens. Juillet 1991 Adoption de la nouvelle Constitution. 24 janvier 1992 Ould Taya remporte la première présidentielle multipartite. Il est réélu en 1997 et 2003.

REPÈRES 2009 1985 0,7 1960 0,1

Population (en millions d'habitants) 3,1 0,9 1960

PIB par habitant (en dollars) 2009 1985 1960

1044 398 102

1,7

3,3

Importations de biens (en milliards de dollars)) 0,02

1985

2009

Espérance de vie à la naissance (en années) 59 55 44 1960 1985

2009

0,2

25 mars 2007 Sidi Ould Cheikh Abdallahi est élu président.

1,8

6 août 2008 Coup d’État du général Mohamed Ould Abdelaziz.

1960 1985 2009 Exportations de biens (en milliards de dollars) 0,01

0,4

1,8

1960 1985 2009

SOURCES : BM, FMI, FNUAP

PIB (en milliards de dollars)

3 août 2005 Coup d’État du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), présidé par le colonel Ely Ould Mohamed Vall.

18 juillet 2009 Victoire de Mohamed Ould Abdelaziz à la présidentielle. Voir les vidéos d’archives sur jeuneafrique.com en partenariat avec l’INA.

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HUGUES VASSAL/AKG

LE PLUS 105

PORTRAIT

Moktar Ould Daddah

Père de la nation, il a enchaîné quatre mandats présidentiels. Jusqu’à sa chute, en 1978, prélude à un long exil.

J

«

e suis né sous une tente p l a n t é e s ur un e d un e située au sud-est du poste administratif de Boutilimit », à 160 km au sud-est de Nouakchott, raconte Moktar Ould Daddah dans ses Mémoires*. Le 25 octobre 1924 sera la date de naissance officielle du fils de Mohamedoum et de Kadhijettou, tous deux appartenant à la grande tribu des Oulad Ebyeyri. Son enfance bédouine sera imprégnée de culture française, un cas rare au sein des familles maures de l’époque. Il obtient son certificat d’études primaires franco-arabe à la médersa de Boutilimit en 1939, puis intègre l’École des fils de chefs de Saint-Louis et devient interprète de l’administration française en 1941. Fin 1948, las de l’administration, il

part en France pour reprendre ses études. D’abord à Nice, où il obtient son bac philo, puis à Paris, où il décroche une licence en droit. Alors qu’il est avocat stagiaire à Dakar, au Sénégal, le vote de la loicadre Gaston Defferre, en 1956, qui accorde une large autonomie aux territoires africains et autorise la création d’un pouvoir exécutif local, va changer son destin. De retour au pays, adoubé par les dirigeants de l’Union progressiste mauritanienne (UPM), il se présente à la députation aux élections de mars 1957 et, en mai, l’Assemblée territoriale nouvellement élue le nomme vice-président du Conseil du gouvernement. En mai 1958, Moktar Ould Daddah fonde le Parti du regroupement mauritanien (PRM) et en novembre, de retour d’un voyage diplomatique

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aux États-Unis, il fait un crochet par Paris pour épouser l’une de ses excondisciples de la faculté de droit, Marie-Thérèse Gadroy, une catholique qui se convertira à l’islam en 1977 sous le nom de Mariem. Un mariage que ses adversaires politiques ne cesseront de lui reprocher. Aux élections de 1959, le PRM obtient la majorité des sièges à l’Assemblée nationale, et c’est sous sa bannière que Moktar Ould Daddah conduit le pays à l’indépendance, le 28 novembre 1960. Il sera élu président de la République en août 1961, et réélu en 1966, 1971 et 1976. L a plupar t de s Maurit aniens retiendront de lui l’image d’un homme modeste et discret, profondément intègre et respectueux de ses collaborateurs. Ils lui reconnaîtront également des qualités d’homme d’État et de patriote convaincu. À son actif, en effet, la création d’une administration et l’indépendance économique du pays, avec, notamment, le lancement d’une monnaie nationale, en 1973, et la nationalisation, en novembre 1974, de la Miferma, qui devient la Société nationale industrielle et minière (Snim). On lui fera cependant grief d’avoir dirigé sans partage le pays, avec l’instauration du parti unique (en 1965) – une option qui était toutefois dans l’air du temps – et de ne pas être parvenu à faire l’unité nationale, en optant pour l’arabisation, créant de fortes tensions entre Arabo-Berbères et Négro-Africains, qu’il a fait durement réprimer. Son régime vacille en 1976, quand l’armée mauritanienne s’embourbe dans la guerre du Sahara contre le Polisario. Ould Daddah est renversé le 10 juillet 1978. Libéré quinze mois plus tard de la prison de Oualata grâce aux pressions françaises, il rejoint la France, après un bref passage par la Tunisie. Il ne s’exprimera plus sur son pays, où il ne reviendra que le 17 juillet 2001, avec son épouse et ses enfants, et meurt à Paris le 14 octobre 2003, quelques jours avant la parution de ses Mémoires. ■ MURIEL DEVEY

* La Mauritanie contre vents et marées, Moktar Ould Daddah, éditions Karthala, octobre 2003.


Le président lors de son discours télévisé, le 27 novembre.

GOUVERNANCE

La méthode Aziz Comment fonctionne le chef de lʼÉtat Mohamed Ould Abdelaziz et comment il est perçu.

À

Nouakchott, des guirlandes de petits drapeaux vert et jaune pendent entre les réverbères. Le portrait du président, Mohamed Ould Abdelaziz, s’étale sur la façade de la Chinguitty Bank (libyenne), à côté de la photo d’un sémillant Mouammar Kaddafi. À quelques pâtés de maisons, une compag nie de télécoms a investi dans une affiche de 4 m par 3. Elle souhaite un bon anniversaire « à son Excellence le président de la République islamique de Mauritanie ». D’habitude austère, le visage de Nouakchott affiche un sourire officiel en cette mi-décembre. Mais les reliefs du cinquantenaire de l’indépendance ne doivent pas abuser. La fête du 28 novembre fut sobre. Le défilé militaire n’a pas eu lieu. Il aurait dégarni les troupes, qui font face à une autre urgence : la surveillance du territoire, menacé par A l- Qa ïda au Magh reb i sla m ique (Aqmi). Les chefs d’État du voisinage n’ont pas été invités. Il aurait alors fallu organiser une cérémonie en grande pompe, qu’« Aziz » a jugée

WATT ABDEL JELIL/AMI

106 LE PLUS MAURITANIE ritage de Maaouiya Ould Taya (renversé en 2005). Pendant vingt et un ans, ce colonel de l’Adrar a gouverné sans partage tandis qu’Aziz veillait à sa sécurité, comme directeur du Bataillon de la sécurité présidentielle. Un poste idéal pour observer le système de dépeçage de l’État qui s’installe alors. Il profite à une collusion aux relents tribaux entre politiques et hommes d’affaires. C’est la fameuse « gabegie », désormais bête noire et leitmotiv des discours présidentiels. En décembre 2009, trois hommes d’affaires emblématiques de l’ère Ould Taya sont écroués. Mohamed Ould Noueigued, Chérif Ould Abdallahi et Abdou Maham sont suspectés d’avoir bénéficié de versements de la Banque centrale en 2001 et 2002. Lutte contre la corruption ou chasse aux sorcières ? La réponse appartient à la justice. Sauf que, moins d’un mois après son arrestation, le trio est libéré sans qu’elle intervienne. Un intermédiaire inattendu, l’imam radical Hacen Ould Dedew, a aidé à trouver un arrangement. QUEL PROJET DE SOCIÉTÉ ?

trop dispendieuse. Le 27 novembre, il donnait le ton dans un discours ne versant pas exactement dans la complaisance : « L’absence d’une vision politique et économique claire, le manque d’ancrage de la notion d’intérêt général, le phénomène de la gabegie et de l a m au v a i s e ge s tion » ont vite eu raison des premiers élans de l’indépendance, a-t-il accusé. Et de poursuivre : « Il est inconcevable, après un demi-siècle, que notre pays soit encore à un stade aussi faible de développement. » S’ensuit une énumération détaillée et chiffrée de « nombreux et importants projets de développement ».

Une chose est sûre : pour A ziz, un sou est un sou. Tous ses proches rapportent son souci de contrôler les dépenses, y compris celles des ministères, dans les moindres détails. C’est la deuxième caractéristique d’Aziz : « Il est concret », témoigne un observateur. Inauguration d’une route, d’un hôpital, visite d’une école,

Pour le président, un sou est un sou. Il contrôle les dépenses dans les moindres détails.

LA GABEGIE EN HÉRITAGE

Voici la méthode Aziz : fustiger le passé avec des accents de moraliste ; promettre, projets à l’appui, des lendemains meilleurs. Depuis son arrivée au pouvoir, par le coup d’État du 6 août 2008, l’ancien général dénonce sans jamais le nommer l’hé-

première pierre et premier coup de pioche : il aime faire bâtir et descendre sur le terrain. Les chantiers sont aujourd’hui nombreux à Nouakchott et à l’intérieur du pays. Son discours de l’indépendance le montre : ce chef de l’État ne verse pas dans l’abstraction. « Il a une approche empirique », dit un ancien directeur d’entreprise publique. Cependant, l’analyse sonne comme une critique. « Il y a des actions, mais elles n’entrent pas dans une vision prospective, dans un plan ; on ne sait pas où l’on va, poursuit-il. Avec Moktar Ould

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Daddah, il y avait des directions, l’émancipation de la femme, l’unité nationale. Avec Aziz, il manque un projet de société. » Ce souci du détail a une autre conséquence : la concentration des pouvoirs à la présidence. « Peu de décisions sont prises à la primature », dit une source dans un ministère. Selon son témoignage, certains ministres n’osent pas défendre leurs projets en Conseil des ministres. Bien entendu, la méthode Aziz divise. Ses proches soulignent son pragmatisme et lui savent gré d’avoir rompu avec l’immobilisme. L’opposition, elle, ne lui pardonne pas son péché originel : le renversement de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le premier président civil depuis Moktar Ould Daddah. Après avoir condamné le putsch, les alliés traditionnels de la Mauritanie, France et Espagne en tête, ont quant à eux fini par l’oublier. Aziz est devenu l’homme de Paris dans la lutte contre Aqmi. Une alliance dont il tire une légitimité, mais qui est aussi une faiblesse : elle fait de la Mauritanie une affidée des « mécréants occidentaux » et, donc, une cible. ■ MARIANNE MEUNIER, envoyée spéciale

EXILÉS

Après le retour

S

ouley mane* soulève un rideau qui sert de porte. Sa maisonnette ne compte qu’une seule pièce. Des chiffons et des matelas en mousse traînent sur le sol, recouvert de nattes. Il n’y a pas d’électricité. De petites fenêtres laissent entrer la lumière. Depuis deux ans, Souleymane partage cette bicoque blanche avec sa mère, son épouse et leurs cinq enfants. Tandis qu’il parle, sa marmaille prend le petitdéjeuner, assise par terre autour d’une nappe, devant la maison. Au menu : pain et lait. Un coq hurle derrière la grille du poulailler, à laquelle s’accrochent de vieux sacs en plastique. Fonctionnaire, Souleymane fait partie des quelque 21 000 Négro-Mauritaniens qui ont regagné leur pays depuis 2008, après l’avoir quitté à la fin des années 1980. À l’époque, un incident frontalier avec le Sénégal fait éclater le racisme rampant entre Arabo-Berbères et Noirs (voir pp.102-103). Parmi ces derniers, certains sont exécutés, d’autres privés de leur état civil et chassés. Près de 60 000 Négro-Mauritaniens se retrouvent alors au Sénégal et au Mali. LES ANNÉES DE BRAISE

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Jusqu’en 2007, les « années de braise » sont un tabou officiel. Cette année-là, un président civil, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, promet d’organiser leur retour. Il commence en janvier 2008. Mohamed Ould Abdelaziz, continue et va plus loin : le 25 mars 2009, à Kaédi, dans la vallée du fleuve Sénégal, il reconnaît « l’affliction causée à des dizaines de familles par l’ignorance et la barbarie de l’homme ». « Sur 24 000 réfugiés JEUNE A FRIQUE N ° 26 07-26 0 8


L’une des familles de rapatriés accueillies sur le site de Rosso-Lycée. ▲ ▲ ▲

au Sénégal en ayant émis le souhait, 21 000 sont désormais rentrés », annonce Ba Madine, directeur de l’Agence nationale d’appui et d’insertion des réfugiés (Anair). Le HautCommissariat aux réfugiés (HCR) et l’Anair accueillent les familles avec une ration de nourriture pour trois

mois, un kit d’insertion (bidons d’eau, couvertures, nattes, marmites), une tente, un terrain, un hangar qui leur servira de maison. Les sites retenus pour cette réinsertion se trouvent dans les villages d’origine. Le symbole du retour des « gitans de la Mauritanie » est fort, mais les problèmes sont nom-

ÉMILIE RÉGNIER POUR J.A.

108 LE PLUS MAURITANIE breux. Installé près de Rosso, Souleymane, encore en âge de travailler, n’a pas retrouvé son emploi dans l’administration et ne perçoit aucune contrepartie. « On est là, on traîne », dit-il. Pour les villages d’accueil, l’afflux de population est une charge que la quasi-absence d’activité économique rend difficile à supporter. « Le peu qu’on a, on essaie de le partager », explique le chef de Médina Salam, Yacoub Diop. Au bord du fleuve, ce village desservi par une piste cahoteuse a accueilli 109 familles depuis 2008. Mais selon Souleymane Brahim, responsable de l’Anair dans la région du Trarza, le « principal problème, c’est la terre ». Nombreux sont ceux qui veulent récupérer celle de leurs ancêtres, aujourd’hui occupée. « Nous allons passer à un programme de développement des zones d’accueil », promet Ba Madine. Reste aussi le cas des 10 000 réfugiés toujours au Mali. ■ MARIANNE MEUNIER, à Rosso

* Le prénom a été modifié.


LE PLUS 109 OPPOSITION

Alliance et confusion Depuis lʼélection de Mohamed Ould Abdelaziz, les rivalités refont surface, et les coalisés peinent à trouver un positionnement clair face au chef de lʼÉtat.

UN COMPAGNONNAGE ANTIPUTSCH

Hétérogène, en guerre de leadership, l’opposition mauritanienne offre un spectacle de désunion depuis l’élection de Mohamed Ould Abdelaziz, en juillet 2009. Quand il était chef de junte, le général cimentait malgré lui le bloc de ses détracteurs. Ahmed Ould Daddah, le patron du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) et Messaoud Ould Boulkheir (voir p. 110), celui de l’Alliance populaire progressiste (APP), également président de l’Assemblée nationale, avaient mis leur vieille rivalité entre parenthèses

De g. à dr. : les leaders de l’opposition Jemil Ould Mansour (Tawassoul), Messaoud Ould Boulkheir (APP), Mohamed Ould Maouloud (UFP), Ahmed Ould Daddah (RFD).

pour dénoncer le retour des militaires. Pendant un an, ils ont mené un combat sans relâche. À leurs côtés, notamment, Mohamed Ould Maouloud et son parti, l’Union des forces de progrès (UFP), Jemil Ould Mansour, à la tête d’une formation « à référentiel islamique », Tawassoul, et Yahya Ould Ahmed el-Waghf, d’Adil. Avec la normalisation politique, la con f usion a remplacé l’u n ion sacrée. Au lieu d’une candidature unique, Messaoud Ould Bou l k hei r et A h med Ould Daddah se sont tous deux présentés à l’élection du 18 juillet. Mais, au lendemain de la v ictoire d’A ziz, ils dénonçaient des fraudes d’une seule voix. D ’aut r e s c ompa g non s, c om me Mohamed Ould Maouloud, se joignaient à eux. Une Coordination de l’opposition démocratique (COD) a ensuite vu le jour, comprenant notamment le RFD, l’APP, l’UFP et Adil. Elle a unanimement critiqué le refus du nouveau président d’ouvrir un dialogue sur les grands sujets nationaux

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(rôle de l’armée, système électoral), pourtant prévu par l’accord de Dakar, signé en juin 2009. PARTIE DE CACHE-CACHE

Mais, une nouvelle fois, l’union s’est fissurée. En septembre dernier, la COD dénonce les incursions de l’armée mauritanienne au Mali. Le RFD, lui, se singularise en apportant son soutien aux troupes. Une source au sein de l’UFP fustige aujourd’hui les

« La critique systématique n’est pas une bonne manière de s’opposer. » J. OULD MANSOUR (Tawassoul) « zigzags » du RFD. Sa position après le coup d’État du 6 août 2008 donnait déjà un indice des ambiguïtés futures. Membre de l’Internationale socialiste, leader historique de la lutte contre la dictature d’Ould Taya, le RFD s’est en effet contenté de « prendre acte » du renversement du premier président civil démocratiquement élu. « Il n’y a pas plus opposant que le RFD ! » se

MANON RIVIÈRE

C

était un fidèle du président Sid i O u ld C hei k h A b d a l l a h i . Av a n t d ’e n faire son Premier ministre, en mai 2008, ce dernier l’avait chargé de fixer les députés « indépendants » dans un parti, Adil, pour consolider ses assises. Quand « Sidi » est tombé, le 6 août 2008, il est tombé avec lui. Mais en Mauritanie, le nomadisme vaut aussi pour la politique. Le 11 décembre, Yahya Ould Ahmed elWaghf, président d’Adil, a signé un « accord d’entente politique » avec la majorité présidentielle. En clair, avec Mohamed Ould Abdelaziz, qu’il soutiendra désormais. De Lemden, son village natal adossé aux dunes, qu’il ne quitte plus – et où il lui arrive de célébrer la prière, à la mosquée –, « Sidi » n’a pas réagi. Certains cadres d’Adil ont quant à eux refusé de prendre le virage, négocié depuis plusieurs mois. Ils continuent de revendiquer leur appartenance à l’opposition. Mais au final, Adil, qui compte quatre députés à l’Assemblée nationale (dont trois femmes), se déchire.


110 LE PLUS MAURITANIE

« L’institution de l’opposition ne tourne pas normalement. » LIMAM AHMED (RFD)

3 QUESTIONS À...

MESSAOUD OULD BOULKHEIR Président de l’Assemblée nationale et de l’Alliance populaire progressiste (APP, opposition)

JEUNE AFRIQUE : En avril, vous appeliez à « la chute du régime » par la rue. Dans votre discours d’ouverture de la session parlementaire, début novembre, vous avez déclaré que « le temps n’est plus à la surenchère politique ». Votre position vis-à-vis de Mohamed Ould Abdelaziz a-t-elle évolué ? MESSAOUD OULD BOULKHEIR : Si mon discours a évolué, ce n’est pas par rapport à Aziz mais par rapport à la situation du pays. Aujourd’hui, je suis inquiet, et c’est le moment ou jamais de s’unir. Parallèlement au terrorisme, j’entends des discours plutôt séparatistes. Certaines voix demandent le changement du nom du pays, de l’hymne et des couleurs nationaux. L’identité est menacée. Quant à mes positions, elles ont toujours été en réaction par rapport à celles du chef de l’État. Il faut faire un retour en arrière. Au lendemain de la présidentielle de 2009, que nous avons contestée, je lui ai tendu la main pour qu’il ouvre le dialogue. Mais il n’a rien voulu entendre. Nous avons donc changé de tactique et appelé à son départ par la rue. À partir de ce moment-là, nous avons senti un net fléchissement. Aziz a alors commencé à parler de dialogue et, petit à petit, a convoqué certains responsables de l’opposition. Je l’ai vu à deux reprises et, à chaque fois, lui ai dit d’appeler publiquement au dialogue avec l’opposition. Il l’a fait dans son discours pour le cinquantenaire de l’indépendance. C’est un grand virage. Le soulagement est perceptible au sein de la majorité et de l’opposition.

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Absorbée par des ajustements de position et une unique revendication – l’application de l’accord de Dakar –, l’opposition n’est pas encore mobilisée par les prochaines échéances: les législatives et les municipales de novembre 2011. Le fauteuil de président de l’Assemblée nationale, occupé par Messaoud Ould Boulkheir, dont le parti compte trois députés, sera pourtant remis en jeu. Comme celui d’Ahmed Ould Daddah, chef de l’institution de l’opposition. En vertu d’une loi votée en 2006, l’opposition parlementaire dispose en effet d’un statut légal et reçoit un budget annuel – 67 millions d’ouguiyas (170 000 d’euros) pour 2010. Le chef du parti le plus représenté la dirige et jouit du rang de ministre. Le RFD ayant huit députés et deux sénateurs, c’est donc Ahmed Ould Daddah qui occupe aujourd’hui le poste. Sera-t-il reconduit en 2011 ? Son éternel rival, Messaoud Ould Boulkheir, l’a devancé à la présidentielle de 2009. Quel que soit l’élu, il devra tout construire. « L’institution de l’opposition ne tour ne pas nor malement aujourd’hui », reconnaît Limam Ahmed. Plus généralement, l’opposition devra renouveler un positionnement anti-Ould Taya hérité d’années de lutte, puisque Mohamed Ould Abdelaziz a décidé d’occuper le créneau. ■

Vous avez 67 ans, la majorité de la population en a moins de 30. Ne craignez-vous pas d’être en décalage avec ses préoccupations ? La notoriété et le leadership ne se décrètent pas, ce ne sont pas des habits que l’on enfile. Ce sont les fruits de la confiance et de la légitimité populaire. Le chef de l’État, lui, se sent jeune [il a eu 54 ans le 20 décembre, NDLR] et a l’ambition de changer la nomenklatura politique. Il a amené avec lui une équipe de gens tout à fait inconnus. Mais ce n’est pas ainsi que l’on crée une classe politique. À qui un jeune méconnu va-t-il inspirer confiance ? Qui va le suivre ? Nous, les croulants, nous n’avons pas encore réussi à offrir aux jeunes générations un modèle qui nous apaise la conscience. L’unité, la tolérance, la solidarité n’existent pas. Ma mission se terminera avec ma mort. ■

MARIANNE MEUNIER

Propos recueillis à Nouakchott par M.M.

Qu’est-ce qui continue à vous opposer ? Un aspect tout simplement fondamental fait que je ne peux accepter ce régime. Aziz est un militaire qui s’est emparé du pouvoir par la force. Il a démissionné de l’armée, mais pour moi ce sont des histoires. Il doit encore démontrer ses qualités de démocrate et d’homme d’État. Jusqu’au 28 novembre, il refusait de reconnaître que certains puissent s’opposer à lui. Maintenant, nous allons le mettre à l’épreuve dans le dialogue qu’il a annoncé.

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J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11

VINCENT FOURNIER/J.A.

défend aujourd’hui Limam Ahmed, son secrétaire permanent. Tawassoul tient lui aussi une position originale. Membre de l’opposition, il reconnaît l’élection de 2009. « Il y a eu des insuffisances, mais elles ne remettent pas en cause le résultat, dit Jemil Ould Mansour. Et puis, nous avons perdu assez de temps. La critique systématique n’est pas une bonne manière de s’opposer. » En quête d’une normalisation atténuant son identité islamiste, Jemil Ould Mansour est prêt à une entrée au gouvernement « à condition de pouvoir discuter sur le programme ». Il sait gré à Aziz d’avoir rompu les relations diplomatiques avec Israël.


Zouerate

Nouadhibou

Nouakchott

Guelb II La SNIM

voit l’avenir en grand L

e lancement des travaux du projet Guelb II à Zouerate, dans le nord de la Mauritanie, garantit l’avenir à long terme de la Société Nationale Industrielle et Minière (SNIM). Fer de lance de l’industrie mauritanienne et deuxième employeur du pays après l’État, la SNIM portera, grâce à ce projet, sa production annuelle de minerai de fer de 12 millions de tonnes à 18 millions de tonnes en 2014.

Guelb II est le projet phare de l’ambitieux Programme de développement et de modernisation, le PDM, lancé par la société en 2008. Le PDM vise à moderniser toute la chaîne de production de l’entreprise depuis Zouerate, la cité minière, jusqu’ à Nouadhibou, la capitale économique du pays. Tous les projets de ce programme sont en chantier et leur réalisation va booster la production de l’entreprise.

MESSAGE


Guelb II La fin des travaux du projet Guelb II, pierre angulaire du PDM, est prévue en décembre 2012. Un défi, diront certains. « La SNIM, c’est un effort continu et une volonté de fer ! », répond l’entreprise. Le plus difficile du projet Guelb II a déjà été réalisé il y a deux ans, quand les négociations du financement ont été bouclées dans un contexte de crise économique et financière mondiale. Un montage financier que l’on peut qualifier d’exemplaire puisqu’il associe les mécanismes des banques de développement à ceux des banques commerciales. Le processus de mise en place du projet est donc enclenché depuis la signature des conventions de financement le 1er décembre 2009 à Zouerate. Les contrats avec les fournisseurs ont été conclus le 2 novembre 2010 pour que le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz lance le 25 novembre 2010 à Zouerate, à la veille des célébrations du cinquantenaire de l’indépendance nationale du pays, le 28 novembre, les travaux de réalisation des différentes Pour Taleb Ould Abdivall, administrateur composantes du directeur général, « Guelb II consolide projet. l’expérience de la SNIM. »

Un important programme de développement

L

a SNIM, qui exploite du minerai hématite (naturellement riche en fer) et du minerai magnétite (naturellement pauvre), a livré près de 500 millions de tonnes de minerai depuis 1963. Comme c’est le cas dans le reste du monde, les réserves en minerais riches deviennent très rares en Mauritanie. En revanche, le potentiel en minerais enrichissables comme ceux du site Guelb en exploitation depuis 1984, demeure immense. Il est estimé à des milliards de tonnes. De quoi assurer la production pendant plusieurs décennies. D’où l’opportunité du Programme de développement et de modernisation (PDM), le plus important investissement industriel jamais réalisé en Mauritanie. En plus du Projet Guelb II, le PDM englobe d’autres projets importants pour l’avenir de l’entreprise : ● Un nouveau Port Minéralier à Nouadhibou ; ● La modernisation et la mécanisation de la maintenance de la voie ferrée ; ● La modernisation du système des télécommunications ; ● Un Centre de formation professionnelle à Zouerate. Globalement, le PDM représente un investissement de 1,072 milliard de dollars, financé à 30 %

Fournisseur stratégique de la sidérurgie européenne

Huitième producteur mondial de minerai de fer seaborne (transporté par la mer), la Société Nationale Industrielle et Minière (SNIM) est un fournisseur stratégique et historique de la sidérurgie européenne qui absorbe habituellement près de 80 % de ses ventes. Elle est également aujourd’hui bien positionnée sur le marché chinois. En 2010, la production de la SNIM devrait croître de 10 % par rapport à 2009 et la société devrait enregistrer un chiffre d’affaires de près d’un milliard de dollars.

MESSAGE


par la SNIM sur ses fonds propres. C’est le plus important investissement industriel entrepris par la SNIM depuis sa création. Il se caractérise également par un montage financier original associant les institutions

financières internationales (BAD, AFD, BEI, BID) et des banques commerciales (les françaises BNP Paribas et Société générale, aux côtés des allemandes BHF-Bank et KFW-Ipex).

Modernisation de la liaison ferroviaire et les autres projets du PDM

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ongue de 750 km, la voie ferrée qui permet d’acheminer le minerai de Zouerate au port minéralier de Nouadhibou, d’où il sera exporté vers l’Europe et l’Asie, est empruntée chaque jour par six trains de 150 wagons pesant 70 tonnes chacun. Cette voie unique, doublée à certains endroits, est aujourd’hui en renouvellement et sa maintenance se modernise. La modernisation du chemin de fer prévoit l’augmentation du parc de wagons et de locomotives, la construction d’une usine de traverses en béton, la mécanisation de la maintenance de la voie, la modernisation du système de télécommunications.

production, la SNIM a entrepris de former 150 à 200 jeunes par an aux métiers de la mine (mécanique, électricité, électronique, maintenance, soudure, etc.). Lancé en 2007, ce projet s’inscrit dans la tradition de formation de la SNIM, qui remonte aux années 1970. Cofinancé par l’Agence française de développement (AFD) et la SNIM, ce centre de formation sera opérationnel à la fin de février 2011 et ouvrira ses portes avec une première promotion complète en cours de formation dans les locaux provisoires.

Nouveau port minéralier de Nouadhibou

L’actuel port minéralier de Nouadhibou a chargé près de 500 millions de tonnes de minerai depuis 1963. Sa cadence de chargement est limitée (5 000 t/h) et le tonnage des bateaux qu’il peut accueillir ne dépasse pas 150 000 tonnes. Le nouveau port aura une cadence de chargement de 10 000 t/h, extensible à 15 000 t/h, et il pourra recevoir des navires de 250 000 tonnes. D’un coût global de 184 millions de dollars, le nouveau port minéralier de Nouadhibou est financé à 43 % par la SNIM, le reste faisant l’objet d’un financement de la part des quatre banques commerciales (BNP Paribas, Société générale, BHF-Bank et KFW-Ipex) sous forme de crédit garanti par Euler Hermes, premier assureur crédit mondial.

Centre de formation professionnelle de Zouerate

Pour compenser le départ naturel de ses employés (100 à 150 personnes par an) et satisfaire les nouveaux besoins de recrutement résultant de l’augmentation de la

À l’entrée du site, un panneau rappelle les engagements de la SNIM pour la protection de l’environnement.

SNIM : pour un développement durable La SNIM dispose d’un Système de management environnemental (SME) déployé au niveau de toutes ses structures et qui est aujourd’hui prêt pour la certification ISO 14001. Dès son lancement, le PDM a fait de la protection de l’environnement une priorité. Des études d’impact ont ainsi été réalisées pour le projet Guelb II et le nouveau port minéralier. Des moyens conséquents ont été mobilisés pour le Plan de gestion environnementale et sociale (PGES) du Projet Guelb II qui coûtera plus de 8 millions de dollars.

MESSAGE


Guelb II Guelb II : un projet grandeur nature Composantes du projet

L’augmentation prévue de la production de la SNIM renforcera davantage le rôle socio-économique de l’entreprise. La SNIM dont 78,35 % du capital appartient à l’État mauritanien, est actuellement fortement intégrée à l’économie du pays et en constitue un acteur majeur avec 12 % du PIB, 50 % des recettes à l’exportation, 20 % du budget de l’État et près de 8000 emplois dont 4 700 emplois permanents. Grâce à une politique de diversification soutenue, la SNIM est aujourd’hui un groupe comprenant plusieurs filiales dans différents secteurs : génie civil et assainissement, fonderie, fabrication mécanique, transit, tourisme et service, gypse et plâtre, assurance, etc.

Le projet Guelb II, qui est au cœur du PDM, couvre : ● L’extension de la mine existante ● La construction d’une nouvelle usine d’enrichissement (4 millions de tonnes par an de concentrés de haute qualité) ● L’extension de la centrale électrique ● La modernisation et l’extension des installations annexes existantes ● La mise en exploitation d’un nouveau champ d’eau et réseau d’adduction de 55 km. Un montage financier exemplaire Le coût d’investissement du Projet Guelb II est estimé à 749 millions de dollars, réparti comme suit : Banque Africaine de Développement (BAD) 175 millions Banques Commerciales

134 millions

(BHF Bank, BNP Paribas, KfW-IPEX, Société Générale)

SOCIÉTÉ NATIONALE INDUSTRIELLE ET MINIÈRE Siège Social : B.P. 42 Nouadhibou – Mauritanie Tél. : +222 574 51 74 Fax : +222 574 53 96

Agence Française de Développement (AFD) 105 millions Banque Européenne d’Investissement (BEI) 105 millions Banque Islamique de Développement (BID) SNIM

80 millions 150 millions

Représentations SNIM : Nouakchott : Tél. : +222 525 22 54 Fax : +222 525 36 89 Zouerate : Tél. : +222 544 03 12 Fax : +222 544 03 13

La centrale électrique alimente les usines, les locaux et la ville voisine. Sa puissance va considérablement augmenter.

L’usine d’enrichissement traite actuellement 5 millions de tonnes de minerai par an.

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Succursale de Paris, France : 7, rue du 4 Septembre 75002 PARIS Tél. : +33 01 42 96 80 90 Fax : +33 01 42 96 12 28/26 E-mail : snim@snim.com Site Web : www.snim.com

DIFCOM / C.C. - Photos DR

Un acteur économique majeur


LE PLUS 115 ÉCONOMIE

Du béton, en attendant LʼÉtat donne la priorité aux infrastructures qui manquent dans tous les secteurs. Si la production est au rendezvous, la prochaine étape sera la redistribution des recettes tirées de lʼexploitation de lʼor.

Tah. Pourtant, le secteur privé ne voit pas ces investissements d’un bon œil. Le marché de l’avenue Nasser, à Nouakchott, est revenu à ATTM, filiale de la Société nationale industrielle et minière (Snim), dont l’État est actionnaire. « Les hommes d’affaires sont convaincus qu’Aziz veut les sortir du circuit », dit un opérateur économique. « ATTM était l’entreprise la plus performante pour ce chantier », se défend Sidi Ould Tah.

Le long du fleuve Sénégal, le dernier tronçon de la route Rosso-Boghé est en cours.

L

es Mauritaniens ont surnommé Mohamed Ould Abdelaziz le « président du béton ». L’arrivée à Nouakchott le confirme. Entre l’aéroport et le centreville, l’avenue Nasser s’est élargie en « deux fois trois voies ». Plus loin, le boulevard Kennedy est en travaux. Dans le Sud, le long du fleuve Sénégal, ouvriers chinois et locaux s’activent à réaliser le dernier tronçon de la route goudronnée Rosso-Boghé. Le projet a été élaboré avant l’arrivée d’« Aziz » au pouvoir, mais vient de reprendre après une suspension due au gel de la coopération de l’Union européenne, l’un des bailleurs, à la suite du coup d’État d’août 2008.

Si le chantier est mis au crédit d’Aziz, c’est que ce président consacre une bonne partie de son temps à poser des premières pierres et couper des rubans. En novembre, il a inauguré les installations de l’Aftout Essahli, vieux projet enfin abouti qui permet d’approvisionner Nouakchott en eau potable. Quelques jours plus tôt, à 900 km de là, dans la région du Hodh el-Gharbi, il lançait les travaux de la ville nouvelle de Thermessa, qui doit être livrée dans huit mois. Budget : 442 millions d’ouguiyas (1,2 million d’euros). Il s’agit de « mettre en place des infrastructures de base qui manquaient au pays », explique le ministre du Développement et des Affaires économiques, Sidi Ould

ÉMILIE RÉGNIER POUR J.A.

DES ENTREPRENEURS INQUIETS

Quand Maaouiya Ould Taya était au pouvoir, les marchés publics revenaient à un petit cercle de conglomérats privés qui ne les exécutaient pas toujours. On prête à Aziz l’ambition de rompre avec ces habitudes. Reste que les hommes d’affaires se disent inquiets. L’accroissement de la pression fiscale n’est pas non plus pour plaire. La perception de l’impôt s’est en effet améliorée, les recettes fiscales passant de 106 à 128 milliards d’ouguiyas de 2009 à 2010. Parmi les perspectives positives : la croissance, morose en 2009 (1,1 %), devrait s’établir à 5,5 % pour 2010 et se maintenir au même niveau en 2011. Quant à la mine d’or de Tasiast, sa production devrait être multipliée par cinq ces trois prochaines années (contrairement à celle du pétrole, qui stagne à 8000 barils/jour). Son exploitant, le canadien Kinross, promet d’investir 1,5 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros). Une richesse dont aimeraient profiter les Mauritaniens, actuellement confrontés à une hausse du coût des produits de première nécessité, importés, et dont le commerce n’est pas encadré par un observatoire des prix. ■ MARIANNE MEUNIER

TERREAU LIBÉRALISÉ POUR LES INVESTISSEURS L’ANNÉE 2011 VERRA-T-ELLE L’ARRIVÉE massive d’investisseurs étrangers? Les autorités en ont fait le pari. Tous les secteurs sont concernés (BTP, services, industrie), en particulier ceux des mines et de l’halieutique, avec la création d’unités industrielles – l’objectif est, notamment, de transformer 80 % des produits de la pêche sur place, contre 20 % actuellement. Dès l’an prochain, la loi (en préparation) sur le partenariat publicprivé permettra à l’État de déléguer à des sociétés

étrangères les services aux entreprises et collectivités et, d’ores et déjà, les autorités encouragent la création de joint-ventures pour que le capital des entreprises mauritaniennes s’ouvre à de nouveaux partenaires. Plusieurs dispositifs vont par ailleurs faciliter l’implantation de ces derniers, parmi lesquels l’allègement de l’arsenal juridique et la suppression, d’ici à deux ans, de l’impôt minimum forfaitaire, jugé contre-productif. ■

J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11

CLARISSE JUOMPAN-YAKAM


PORT AUTONOME DE NOUAKCHOTT Le Port Autonome de Nouakchott dit « Port de l’amitié » (PANPA), est un établissement public à caractère industriel et commercial, créé et organisé par décret n° 87-253 du 15 octobre 1987. Premier port public commercial au sud du Sahara et carrefour entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique du Nord, le PANPA jouit d’une position géographique privilégiée qui le prédestine à jouer un rôle prépondérant dans le commerce international non seulement de la Mauritanie mais aussi des pays enclavés voisins.

Le 25 septembre 2009, son Excellence le Président de la République, Monsieur Mohamed Ould Abdel AZIZ, procédant à la pose de la première pierre des travaux d’extension du port de Nouakchott.

«Port de l’amitié» Le PANPA offre, grâce à un personnel expérimenté et qualifié, des services de qualité. Privatisé en 1990, la manutention y est assurée, avec cependant obligation de service public, par des professionnels du secteur concurrentiel disposant d’un matériel adapté et performant, garantissant ainsi le traitement des navires dans les meilleures conditions de sécurité, de célérité et de coût. Un des atout du port de Nouakchott, se matérialise par sa certification, depuis 2008, de conformité au Code ISPS « International Ship and Port Facility code » adopté en 2002 par l’OMI (Organisation Maritime Internationale) dont la Mauritanie est partie. Son trafic a connu une croissance exponentielle depuis sa mise en service en 1986, passant d’un peu plus de 400.000 tonnes en 1987 à plus de 2,7 millions de tonnes en 2009, au rythme moyen soutenu de plus de 9 % par an. Pour accompagner le développement économique du pays et en anticiper les besoins en matière d’infrastructures portuaires, les travaux d’extension des ouvrages d’accostage, dont la pose de la première pierre a été effectuée par Son Excellence le Président de la République Islamique de Mauritanie, Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz, le 25 septembre 2009, battent leur plein pour être achevés début 2013. Le port de Nouakchott disposera de trois nouveaux postes à quai dragués à la côte - 12 00 permettant d’y accueillir les navires porte-conteneurs de la troisième génération et des tankers de 40 000 tpl, et

d’un appontement pétrolier pour des navires de 25 000 tpl, portant sa capacité totale à 7 postes à quai , au lieu de 3 actuellement. Ce qui le placera dans le peloton de tête des ports de la côte ouest-africaine (COA). Les études pour la construction à moyen terme d’un terminal à conteneurs avancent à grands pas. Parallèlement, la première phase de réhabilitation des quais et de la passerelle, lancée à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance nationale, il a été mis en service un « pilotboat », un système de contrôle d’accès et de vidéosurveillance pour améliorer les services rendus aux navires et renforcer la sûreté de l’installation portuaire. Cette phase sera suivie par le rétablissement des sections initiales des structures et superstructures en béton armé et béton précontraint dont l’expertise démarrera incessamment après sélection, en cours, du bureau d’études techniques (BET) qui procédera à leur expertise et élaborera le dossier de consultation des entreprises (DCE). Le renouvellement des défenses d’accostage est programmé pour l’année prochaine. D’autres actions dont la modernisation et l’accroissement de capacité de traitement du système d’information portuaire (SIP) et le contrôle des travaux de l’extension des infrastructures portuaires, financées sur fonds propres, sont menées en ce moment même. Toujours, en ligne avec la stratégie mise en œuvre visant à diversifier les services et améliorer la sécurité de la navigation à l’intérieur des eaux portuaires, il est prévu d’acquérir, en 2011, un VTS (Traffic Vessel Service) et deux ponts-bascules mobiles.

PORT AUTONOME DE NOUAKCHOTT DIT « Port de l’amitié »

BP : 5103 Nouakchott- Mauritanie - Tél : (222) 525 14 53 / 525 17 94 /525 16 76 Fax : (222) 525 16 15 Télex : 5538 MTN Email : directiongle@panpa.mr - Site Web : www.panpa.mr

Communiqué

DIT


ÉMILIE RÉGNIER POUR J.A.

LE PLUS 117

Le week-end, les habitants de la ville viennent se promener dans les allées de l’Iset.

REPORTAGE

Le laboratoire de lʼécole

Depuis un an, à Rosso, lʼInstitut supérieur dʼenseignement technologique forme des techniciens et des ingénieurs, et commence à sʼintégrer à lʼéconomie locale. Un campus et une expérience uniques dans le pays.

L

biosystèmes… Dans un pays où l’éducation tombe en lambeaux – absentéisme des professeurs, taux de réussite au bac de 14 % en 2010 –, cette école naissante est une expérience unique en Mauritanie. PÉPINIÈRE ET TUTEURAGE

Derrière la grille s’ouvre un campus de 45 ha aux allures de jardin public. Des allées goudronnées vierges de détritus sillonnent entre des bancs (en plastique recyclé), des massifs de fleurs et de petites baraques jaunes. Elles abritent des chambres doubles pour les étudiants – 150 actuellement, dont 30 % de filles –, la résidence des 33 professeurs, des laboratoires équipés en matériel de recherche, une unité de production de yaourts aromatisés, de confitures, de lait, des salles de classe dotées de wifi. Un ordre et une modernité qui tranchent avec le reste des institutions publiques.

J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11

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e jardinier ne lève pas la tête au passage du 4x4. Accroupi sur la pelouse vert tendre, il reste concentré sur la taille d’une bougainvillée. Toute la journée, il poursuivra son ouvrage auprès des roses, des pamplemoussiers, des goyaviers, au bord du bassin des tilapias – des poissons d’eau douce – ou près de l’enclos des autruches. Il est 11 heures, le soleil tape et c’est vendredi – chômé en Mauritanie. Mais ici, on ne plaisante pas avec la nature. « Ici », c’est l’Institut supérieur d’enseignement technologique (Iset), à 7 km de Rosso, la capitale du Trarza, au bord du fleuve Sénégal, qui connut son heure de gloire à l’époque coloniale (s’y trouvait alors le seul lycée du pays). Inauguré en novembre 2009 après une gestation chaotique de six ans, l’Iset forme des ingénieurs en agronomie, en génie mécanique, des vétérinaires, des spécialistes des


Salle de cours. Plants de salade sous serre. Le directeur de l’Iset, Ahmeda El Gaouth (en bleu), discute avec des étudiants. ▲ ▲ ▲

« L’Iset doit être un pôle d’excellence », explique son directeur, Ahmeda El Gaouth. Tout juste arrivé dans son école, où il vit 24 heures sur 24, il quitte son boubou pour un survêtement et une casquette. Agronome formé aux États-Unis, où il a travaillé jusqu’en 2003, notamment au ministère de l’Agriculture, Ahmeda El Gaouth passe une bonne partie de son temps en palabres avec les étudiants. « Ils croient que tout leur est dû ! » s’énerve-t-il avant de préciser le montant des frais de scolarité : 20 000 ouguiyas (52 euros) par an, plus 48 000 ouguiyas pour l’hébergement et la nourriture, une somme « abordable », selon lui. Le ton monte, mais Ismaïl, 19 ans, apprécie la leçon de

morale : « Au moins, il discute, je n’ai jamais vu un directeur échanger avec des étudiants. » Le but d’Ahmeda El Gaouth est de « créer un environnement favorable à l’éclosion du potentiel des étudiants, de leur transmettre le goût du travail, qu’on a perdu, de leur rappeler qu’il faut faire les choses avec passion. » Et, surtout, de les protéger de la politique. En Mauritanie, c’est un moyen certain de s’assurer sans effort un statut social, mais il l’a en horreur. DE LA RECHERCHE À LA PRODUCTION

Pour arriver à ses fins, Ahmeda El Gaouth impose des règles et ne transige pas. Au volant de son 4x4, il circule sur le campus et s’arrête pour rappeler les mots d’ordre. Il tance un jardinier – « Il ne faut jamais laisser stagner l’eau! » –, s’agace devant la bergerie – « Il y a du laxisme, ils n’ont pas balayé ! ». L’accès à Facebook n’est autorisé qu’à partir de 22 heures. Chaque étudiant arabisant doit partager sa chambre avec un francophone. La greffe de ce monde idéal entre les murs de l’Iset en est encore au stade expérimental. Attirer des professeurs de Nouakchott à Rosso est un défi. Pour certains, c’est une ville de brousse qui rime avec ennui. Les élèves sont recrutés sur dossier après le bac, mais ils ne sont pas toujours au niveau. À la fin de la première année, la moitié de la promotion a été renvoyée pour mauvais résultats. Malgré leur diplôme, trouveront-ils un emploi? Encore faut-il que le reste de l’économie suive. Aujourd’hui, la plupart des produits de consommation courante sont importés, faute d’industrie. Afin de créer des débouchés, l’Iset a également pour mission d’être un site de production. Dans un atelier, deux employés fabriquent du « bio charbon » à partir de typha, une mauvaise herbe qui fait des ravages au bord du fleuve Sénégal. Il sera proposé aux habitants du coin 20 % moins cher que le charbon traditionnel. Une boutique à Nouakchott commercialise les produits laitiers de l’école. Fertile grâce au fleuve, la région de Rosso est agricole. Les éleveurs des environs sont mis à contribution. Mariatou, « 56 ans et neuf gosses », fait transformer le lait de son cheptel à l’Iset, puis le revend en sachet au marché. Sur 100 ouguiyas – le prix de vente d’un sachet de lait caillé –, elle en reverse 18 à l’Institut. Chacun doit y trouver son compte. Le but est d’entraîner l’économie locale, mais aussi, pour l’Iset, de générer des recettes. En 2010, elles représentent 15 % du budget alloué par l’État, de 300 millions d’ouguiyas. Tout reste à faire, mais Ahmeda El Gaouth espère un jour parvenir à 30 %. Moyennant, certainement, quelques leçons de morale. ■ MARIANNE MEUNIER

ÉMILIE RÉGNIER POUR J.A.

118 LE PLUS MAURITANIE


BANQUE CENTRALE DE MAURITANIE La Banque Centrale de Mauritanie (BCM) joue un rôle primordial dans

l’économie nationale. Outre son rôle d’institut d’émission et de garant du système des paiements, elle est chargée, entre autres, de : i) la mise en œuvre de la politique monétaire orientée principalement vers la stabilité des prix, ii) de veiller à la solidité du système financier et, (iii) de conseiller le Gouvernement en matière de politique économique. Sur un autre plan, un ambitieux programme de réforme orientée vers l’efficacité et la transparence de l’institution est en cours de mise en œuvre.

Communiqué

Politique monétaire : la politique monétaire menée par la BCM a permis de contenir l’inflation à un niveau modéré en dépit de la hausse des cours internationaux des produits alimentaires et du pétrole. À fin septembre 2010, le taux d’inflation s’est établi à 5,7 %. Système des paiements : en matière de paiement, de nouveaux billets répondant aux standards internationaux de sécurité ont été émis en replacement des anciens billets. Un nouveau billet de 5000 Ouguiya a été mis en circulation en 2010 pour répondre à la demande en matière de gros billets. En 2010, la modernisation du système des paiements a été poursuivie par l’extension des paiements par cartes

électroniques aux opérations extérieures. De même une pièce de monnaie de 50 Ouguiya a été mise en circulation pour faciliter les transactions. Secteur financier : la diversification et la modernisation du secteur financier se sont poursuivies avec l’ouverture aux banques étrangères et l’agrément de nouveaux établissements financiers. Une 3ème banque étrangère vient ainsi de démarrer son activité en 2010. L’ouverture du système financier à la concurrence étrangère contribue ainsi à faciliter l’accès aux services financiers, à en rehausser la qualité et à en réduire les coûts. En outre, grâce à une supervision efficace, le système financier a été préservé des effets de la crise financière internationale. Par ailleurs, le développement de la micro finance fait l’objet actuellement d’une attention particulière en vue d’étendre l’accès des populations à faible revenu aux services financiers. Politique de change : La politique de change menée par la BCM a permis de renforcer la confiance des agents économique dans la monnaie nationale (Ouguiya) et entrainé l’alignement du taux parallèle sur le taux de change officiel. Par ailleurs, une politique efficace de renforcement des réserves de change a été mise en œuvre.

Siège de la Banque Centrale de Mauritanie

Sid’Ahmed Ould Raiss Gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie Modernisation et transparence : Outre la mise aux normes de l’Institution en matière de système d’information et de gestion des ressources humaines, la BCM a accompli des avancées significatives en matière de transparence. C’est ainsi que depuis la fin de l’année 2009, les principales publications de l’institution sont accessibles sur son nouveau site Internet. Gestion des Ressources Humaines : La BCM s’est inscrite dans une politique de développement des ressources humaines et de rationalisation de ses dépenses de fonctionnement. Dans ce cadre, il y a eu une optimisation des compétences du Personnel au travers de la formation professionnelle et la révision des procédures de gestion. Le renforcement du dialogue social avec les instances représentatives du personnel a permis une meilleure prise en compte des intérêts des employés dans les décisions managériales. Relations internationales : la BCM a joué un important rôle dans le renforcement des relations avec les partenaires économiques et financiers en particulier le Fonds Monétaire International.

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L’ancienne bibliothèque de Oualata, ville des sables, dans le sud-est du pays.

LITTÉRATURE

Bye-bye négritude La poésie est un patrimoine national. On la récite, on la chante, on lʼécrit. En arabe ou en hassaniya, en pulaar, en soninké ou en wolof et, depuis les années 1960, en français.

M

«

on pays est une perle discrète / Telle des traces dans le sable / Mon pays est une perle discrète / Telle des murmures des vagues / Sous un bruissement vespéral / Mon pays est un palimpseste / Où s’usent mes yeux insomniaques / Pour traquer la mémoire. » Tel est le chant à son pays du poète et linguiste Ousmane Moussa Diagana (disparu en 2001), dans son premier recueil, Notules de rêves pour une symphonie amoureuse (1994). Ces quelques vers résument les principaux thèmes de la poésie mauritanienne d’expression française : nationalisme, mémoire africaine, déchirement entre ceux du Nord, les nomades arabo-berbères (« les fils des nuages »), et ceux du Sud, les Négro-Africains (« les gens du fleuve »). Comme une perle, la Mauritanie est un croisement entre l’eau du fleuve Sénégal et le sable du Sahara. LE PAYS AU MILLION DE POÈTES

Ici, à ses débuts, la poésie francophone – dont les premiers textes n’ont été publiés qu’après l’indépendance –, a été marquée par la négritude. Elle s’est ensuite libérée des modèles venus de l’autre côté du fleuve Sénégal (Senghor, Birago Diop) pour s’ouvrir aux influen-

ces de la poésie arabe, dont « le pays au million de poètes », comme on l’a surnommé, fut et reste un haut lieu. La Mauritanie demeure en effet un producteur très dynamique de poésies populaires, notamment dans le dialecte arabe du pays, le hassaniya. Aux côtés de la création en arabe survivent des genres traditionnels négro-africains en langues pulaar et soninké, tels que l’épopée et le lelé, qui, inspiré de la poésie antéislamique, célèbre le romantisme et l’amour. Ce n’est pourtant qu’en 1966 que paraît Presque griffonnages ou la Francophonie, d’Oumar Bâ, la première œuvre francophone signée par un Mauritanien. Cette entrée en scène tardive du pays dans la francophonie littéraire s’explique par son faible taux de scolarisation tout au long de la période coloniale et par la perception que beaucoup de musulmans avaient de la langue de Molière, considérée comme la « langue des mécréants ». Historiquement, ce sont les Négro-Mauritaniens du Sud qui furent les premiers à adopter le français, comme un outil d’affirmation de leur identité face à la domination politique et culturelle séculaire des Maures. Il n’est

STÉPHANE LAGOUTTE/MYOP

120 LE PLUS MAURITANIE donc pas étonnant que les premiers poètes à publier en français soient issus de leurs rangs. Avec son œuvre composée, d’une part, de traductions et de mises en forme de poésies, de dictons et de récits en langue pulaar (Poèmes peuls modernes, 1965, publiés en bilingue pulaar-français) et, d’autre part, de textes de sa création, en français, célébrant l’Afrique sahélienne, sa nature crépusculaire, ses mythes et ses grands hommes (Odes sahéliennes, 1978), Oumar Bâ en est le précurseur. Né en 1921 dans un village frontalier avec le Sénégal, Bâ met en scène une Afrique des régions, plutôt qu’une Afrique des États. Historien, il évoque les empires du passé (« Le pays du Tekrour qui plonge ses racines / Dans Mali, dans Ghana, ces royautés voisines »), confrontant les splendeurs d’antan aux malheurs et impuissances du présent. Classique dans sa forme et dans sa versification (alexandrins), la poésie d’Oumar Bâ prend des accents senghoriens, ouvrant la voie à un courant de néonégritude, alors même que la vision idyllique de l’Afrique précoloniale proposée par le mouvement de la négritude était de plus en plus contestée. NOUVELLE VAGUE

À Nouakchott et à Nouadhibou, la contestation n’est cependant pas encore à l’ordre du jour, et la poésie francophone balbutiante s’enfonce résolument dans la brèche ouverte par Oumar Bâ et revisite les grandes thématiques de la négritude: exaltation du passé, célébration de la femme noire… Les principaux épigones de ce courant sont Djibril Sall, Assane Diallo, Youssouf Guèye, Mar Fall Diagne. « Mes racines aux confins de l’invisible / Puisent leur sève dans

La première œuvre francophone signée par un Mauritanien, Oumar Bâ, paraît en 1966. la négritude », confesse Sall dans son recueil Cimetière rectiligne (1977), une superbe déclaration d’amour de l’enfant prodigue à « l’Afrique, mère aimée ». Diallo, pour sa part, chante la femme, grâce à laquelle la réconciliation avec le pays natal devient possible. Son poème Leyd’am (1967), qui signifie « terroir » en pulaar, rappelle la fusion mystique d’Aimé Césaire avec sa Martinique

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LE PLUS 121 natale. Un sentiment de déjà-vu qui fait que ce courant tardif de la négritude n’a peut-être pas rencontré le succès qu’il méritait… Et que la plupart des textes représentatifs de cette première vague de poésie mauritanienne d’expression française sont désormais introuvables. Il faudra attendre la fin des années 1980 pour qu’elle déferle à nouveau. Avec de nouveaux thèmes. Désormais, bye-bye la négritude, bonjour l’hybridité à la Mauritanienne. Qu’ils soient d’origine maure ou négro-africaine, les poètes francophones mauritaniens puisent aujourd’hui leur inspiration autant dans les mythologies peule, soninké et wolof que dans la foisonnante tradition poétique hassaniya. Ils disent l’amour et la nostalgie. Ils disent leur pays, riche de son hybridité, tiraillé entre son arabité et son africanité. ■ TIRTHANKAR CHANDA

Pour en savoir plus, lire le n° 120-121 (janvier-mars 1995) de Notre librairie, et Éléments de la littérature mauritanienne de langue française, par M’Bouh Seta Diagana, éd. L’Harmattan, 2008.

NOUVELLES DU DÉSERT C’est son premier roman, Et le ciel a oublié de pleuvoir (Dapper, 2006), qui a fait connaître Beyrouk. Pourtant, l’homme est avant tout nouvelliste et manie avec brio les formes brèves. Vingt de ses nouvelles sont réunies dans Nouvelles du désert (éd. Présence Africaine, 2009). Vingt tranches de vie, tiraillées entre la beauté du désert et les tentations urbaines. Avec une étonnante économie de mots, Beyrouk raconte les heurs et malheurs des Bédouins. Derrière eux, les dunes en ligne d’horizon ; devant eux, les lumières trompeuses de la ville. Le narrateur a beau mettre en garde les candidats au départ contre la suffisance et l’artificialité des urbains, la ville finit par les happer. Telle une machine infernale, elle finit par les broyer et transforme les hommes au cœur nomade en de simples rouages. C’est sur fond de ces tensions entre ville et désert que se déroule l’action des vingt récits impressionnistes de ce recueil. Il y a la douleur d’une mère dont le fils a été condamné à plusieurs années de prison ferme pour un viol qu’il n’a pas commis. Le désarroi d’un médecin impuissant devant la maladie et la mort. Ou encore l’honneur bafoué des jeunes hommes du campement d’Ehl Noun: ils se vengent des soldats qui les ont humiliés devant leurs bien-aimées et finiront fusillés sous les yeux de leurs parents, muets de rage et meurtris par l’injustice. Tableau d’une société digne, à la fois contemporaine et au code de l’honneur d’un autre âge. ■

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COMMUNIC ATION

Dakar, 2010. Dans l’agroalimentaire, des groupes comme Patisen (Adja, Chocolion…) concurrencent les marques occidentales, plus chères.

CONSOMMATION

La montée en puissance des marques africaines POUR CONQUÉRIR LE CONSOMMATEUR, LES ENSEIGNES LOCALES AFFRONTENT LES MULTINATIONALES. AVEC MOINS DE MOYENS, ELLES ENREGISTRENT NÉANMOINS DES SUCCÈS NOTABLES. JEAN-MICHEL MEYER , avec CÉCILE SOW à Dakar, FRIDA DAHMANI à Tunis et THÉOPHILE KOUAMOUO à Abidjan

U

n bon 35 °C à l’ombre. Et l’impression que le thermomètre cavale vers les 40 °C. Une chaleur inhabituelle frappe, ce 23 décembre, Ouagadougou. Un vieux frigo au ronronnement poussif, à cheval sur le seuil d’une épicerie et le trottoir, maintient quelques bières

au frais. Il attire comme un aimant les passants qui ploient sous l’air chaud de midi. « Et pour vous? Brafaso ou Magna Premium ? » Peine perdue. Ces bières locales ne verront peut-être jamais le jour, victimes d’un combat inégal entre un investisseur local, Mohamed Pangueba Sogli, désireux de faire naî-

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tre de nouvelles marques africaines en créant les Brasseries du Faso, et le groupe Castel, qui se partage le marché de la bière africaine avec le sud-africain SAB-Miller. L’idée de bières locales est née de la volonté de diversification du groupe burkinabè Sopam (50 millions d’euros de chiffre d’affaires), qui exploite, par exemple, une centrale thermique de 60 MW au Mali. En 2006, il a investi 41 millions d’euros dans la construction d’une brasserie d’une capacité de production de 500000 à 1 million d’hectolitres par jour. Surfant sur un « marché de la bière en plein développement en Afrique », explique Mohamed Pangueba Sogli, PDG de Sopam, l’objectif est d’approvisionner le Burkina Faso, mais aussi le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire. Mais la plus grande brasserie d’Afrique de l’Ouest, selon l’homme d’affaires burkinabè, qui pourrait employer 600 salariés et créer 75 000 emplois indirects, n’a jamais produit la moindre


124 ECOFINANCE 95 millions de consommateurs qui ont dépensé 250 milliards d’euros en 2010, selon Proparco (filiale de l’Agence française de développement). Ils seront 132 millions en 2020 pour un marché de 450 milliards d’euros. En 2040, la classe moyenne africaine devrait consommer 1,3 milliard d’euros par an. Une conjoncture très favorable qui ouvre des perspectives aux investisseurs locaux. Elle revigore aussi les marques internationales présentes en Afrique depuis des décennies (Coca-Cola, Nestlé…) et attire celles qui avaient fait une croix sur le continent. C’est le cas du suédois Electrolux, numéro deux mondial de l’électroménager, qui a mis la main en octobre sur l’égyptien Olympic Group contre un chèque de 340 millions d’euros. Avec onze sites

goutte de bière depuis la fin du chantier, en 2008. Mohamed Pangueba Sogli ne parvient pas à réunir auprès des banques les 8 millions d’euros qui lui font défaut pour lancer la production (achat de malt, de houblon…). Il y voit la main du groupe Castel : « J’ai une lettre d’intention de Pierre Castel, qui me propose 26 millions d’euros. Il m’a fait comprendre qu’il n’y a pas de place pour deux en Afrique de l’Ouest. » « Nous n’avons rien à dire », répond le groupe Castel, à Paris. Ce dernier détient plus de 90 % du marché local à travers sa filiale Brakina et deux sites à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Les deux patrons négocient toujours. Ce type de rivalité entre marques africaines et internationales a toutes les chances de se multiplier sous l’effet conjugué du retour d’une forte croissance en Afrique, à plus de 5 % par an, et de l’émergence d’une classe moyenne :

SUCCÈS D’ESTIME POUR LES GRIFFES LOCALES

VINCENT FOURNIER/J.A.

AUCUN GRAND DÉFILÉ DANS LE MONDE n’a lieu sans la participation de créateurs africains. Collé Sow Ardo, Claire Kane et Oumou Sy au Sénégal, Alphadi au Niger, Pépita D au Bénin, Thulare Monareng en Afrique du Sud… Leurs créations sont acclamées à Paris, New York ou Tokyo. « Mon souhait serait d’avoir au moins un show-room hors du Sénégal, mais Défilé de mode à Paris, en 2010, comme je ne produis pas en granavec une création de la Sénégalaise de quantité, j’ai du mal à trouver Collé Sow Ardo. des partenaires pour représenter ma marque », explique Collé Sow Ardo. Car si l’on reconnaît partout le professionnalisme et l’originalité de ces créateurs, ils peinent à se faire une place, surtout à l’international. Premier obstacle : les étoffes. Le coton africain, transformé en Asie, revient au double de sa valeur. « Ces tissus, on les retravaille avant d’en faire des vêtements, explique le styliste ivoiro-burkinabè Pathé’O. Et évidemment, il y a des prix sous lesquels on ne peut descendre si on ne veut pas fonctionner à perte. » À cela s’ajoutent la concurrence des tailleurs de quartier – qui reproduisent avec un succès discutable les tenues des couturiers – et celle des grandes marques occidentales, qui bénéficient sur le continent d’une cote que rien n’entame. « Une Africaine est prête à mettre 1 million de F CFA [1500 euros] dans une robe Dior, mais réfléchira à deux fois avant de débourser le même montant pour une robe de Gilles Touré [un jeune créateur ivoirien, NDLR] », raconte Sylvie Konan, propriétaire d’une boutique dans le quartier huppé des Deux-Plateaux, à Abidjan. En attendant, Pathé’O se retrouve dans la garde-robe de Nelson Mandela ou d’Alpha Oumar Konaré. Collé Sow Ardo habille Abdoulaye Wade et Claire Kane pare Youssou N’Dour et Angélique Kidjo. ■ MALIKA GROGA-BADA et CÉCILE SOW, à Dakar

de production, le groupe du Caire est le premier fabricant d’appareils électroménagers d’Afrique du Nord. Dans la grande distribution, l’arrivée du leader mondial, l’américain Walmart, qui veut s’offrir le sud-africain Massmart pour 2,4 milliards d’euros, est redoutée. Les exemples sont légion. Comme le néerlandais Heineken, qui s’est emparé de 49,99 % du capital de la Société de production et de distribution des boissons (SPDB) en Tunisie en 2007. En Algérie, c’est l’allemand Henkel qui a croqué en 2006 l’Entreprise nationale des détergents et produits d’entretien (Enad) et sa fameuse marque Isis. UN COMBAT INÉGAL

Et le phénomène s’accélère. « L’Afrique est la dernière ruée vers l’or pour les multinationales, où iront-elles après ? » note David Murray, chargé de la grande consommation chez Ernst & Young. Pour l’instant, ce combat pour la conquête du consommateur africain est inégal. Les marques locales profitent d’un environnement favorable mais ne peuvent rivaliser, face aux ténors mondiaux, en matière de moyens financiers, humains, de marketing, de distribution et d’innovation. Les marques des géants sont portées par une publicité planétaire qui séduit les consommateurs à hauts revenus soucieux de leur statut social. Un effet de mode qui a un prix : à Dakar, quatre yaourts d’une marque locale se vendent 1 000 F CFA (1,50 euro), contre 3 500 F CFA pour les Danone ou Nestlé importés. « Les marques étrangères sont achetées surtout par les expatriés et ceux des classes aisées qui les ont connues lors d’un séjour à l’étranger », relève André Tavarez do Canto, professeur de marketing et de communication Dakar. Il n’empêche. En Côte d’Ivoire, où les marques américaines (Revlon par exemple) sont la référence, les panneaux publicitaires vantent la gamme de produits cosmétiques Sivoderm, de l’entreprise locale Sivop, ou les shampoings de la Nouvelle Parfumerie Gandour. Répondant aux critères internationaux de qualité avec une certification ISO 9001 depuis 2008, disposant d’usines en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Maroc et au Cameroun, cette entreprise réalise autour de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont 30 % à l’export, y compris aux États-Unis et en Europe. L’agroalimentaire ivoirien, dynamique, avec une petite industrie bien

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ECOFINANCE 125 implantée et des tarifs compétitifs, a aussi du répondant. Sania (groupe Sifca) a racheté à Unilever l’irremplaçable huile Dinor, en 2008. Et la Société de distribution de toutes marchandises en Côte d’Ivoire (SDTM-CI), qui contrôle 70 % des exportations de riz, a imposé sa griffe Uncle Sam sur un marché qui vivait jusqu’alors sans marques, en s’inspirant sans trop de scrupules du célèbre Uncle Ben’s du géant américain de l’agroalimentaire Mars Incorporated. Même dynamisme au Sénégal, avec « dans les points de vente de proximité et les marchés traditionnels, les laits en poudre Vitalait ou Halib, les bouillons culinaires Adja et Mami, l’huile végétale Niinal, les savons Madar, Saf, BF… » égrène André Tavarez do Canto. Avec le groupe Patisen (Adja, Chocolion…), la Laiterie du berger fait entendre un ton différent. Fondée en 2006 et appartenant en majorité à la famille Bathily, elle s’impose dans les produits à base de lait frais entre les marques des multinationales et les petits producteurs arti-

sanaux, qui fabriquent leurs produits à partir de lait en poudre importé. L’unique laiterie industrielle du pays a vu ses ventes s’envoler de 380000 euros en 2007 à 1,5 million en 2010. Soutenus par des campagnes radio et d’affichage, ses produits se retrouvent aussi bien au rayon frais de l’hypermarché Casino de Dakar, aux côtés des produits importés, que dans les stations-service et les petits supermarchés. LA REVANCHE DES SOUS-TRAITANTS

Les groupes qui sortent du continent pour se faire un nom, comme SABMiller, sont encore rares, sauf au nord du Sahara. Outre Kitea (ameublement) et Bigdil (accessoires de mode), les marques marocaines de prêt-à-porter Flou Flou et Marwa n’ont pas froid aux yeux. Cette dernière a ouvert son premier point de vente à Saragosse (Espagne) en 2009, avant de s’envoler pour Riyad, Paris, Beyrouth et Istanbul. À Tunis, les marques textiles Dixit, Sasio (groupe Nouira), Mabrouk (Abdelmoula), ou

encore Blue Island (Aramys) tirent leur épingle du jeu. Presque tous d’anciens sous-traitants, ils se sont émancipés de leurs donneurs d’ordre et pratiquent des prix inférieurs de 20 % à 30 %. Mabrouk a réalisé près de 1,4 million d’euros de chiffre d’affaires à Alger en 2008. Présent sur Facebook, Dixit compte plus d’une quarantaine de boutiques, au Maghreb (la marque a annoncé en septembre vouloir créer une quinzaine de boutiques en Algérie), en France, mais aussi en Russie. Jusqu’où irontils ? Patron des patrons tunisiens, Hédi Djilani, qui dirige l’entreprise textile Confection Ras Jebel, a racheté le réseau tunisien de son donneur d’ordre Lee Cooper. Plus rien ne fait peur aux Africains. Le plus grand groupe d’ameublement du continent, le sud-africain Steinhoff International, a annoncé le 9 décembre vouloir racheter Conforama, le numéro deux européens du secteur derrière Ikea. La voie est ouverte. ■

Grande distribution, alliée ou ennemie?

ANTONY NJUGUNA/REUTERS

Toutefois, les marques locales trouvent leur place dans les grandes surfaces à condition d’atteindre les standards de qualité requis et d’accepter des marges moins gourmandes… Pour les protéger, des pays ont instauré des quotas. En Tunisie, les hypermarchés proposent au moins 70 % de produits locaux dans les rayons. Cette forte présence s’explique aussi par la nature même des principaux holdings tunisiens, plusieurs étant à la fois producteurs et distributeurs. Ainsi des marques de chocolat Maestro et de biscuits Major du groupe Mabrouk (enseignes Géant, Monoprix), qui, fait encore rare, se sont également imposées en Libye et en Algérie. Plus qu’au Maghreb, les marques subsahariennes passent par un réseau de boutiques. « Une distribution intensive avec un bon maillage des points de distribution et une force de vente conséquente », complète André Tavarez Dans les supermarchés (ici à Nairobi), les marques sont très prisées. do Canto. La marque de produits cosmétiques ivoirienne Gandour recourt par exemple à des « POUR LES DISTRIBUTEURS, les sentiments n’existent pas, agents exclusifs pour le Burkina Faso, le Bénin ou le Mali, alors tranche Hassen Zargouni, du cabinet Sigma Conseil. La gestion qu’en Côte d’Ivoire elle s’appuie sur un réseau de 16 boutiques. d’une marque locale est la même que celle d’une marque interAu sud du Sahara, le grossiste est un intermédiaire incontournationale. C’est le règne du pragmatisme. » Et l’émergence de nable, qu’il faut amadouer en lui garantissant de bons prix et grands centres commerciaux (Morocco Mall à Casablanca, Bab une rotation importante des stocks. « La relation avec les marEzzouar à Alger…) est un boulevard pour les grandes marques. ques se professionnalise », note Olivier Mourgaye, de l’agence « Ces points de vente sont surtout fréquentés par ceux qui ont McCann. Plus attentifs à la qualité, les distributeurs attendent des styles d’achat modernes et trouvent du plaisir à acheter dans désormais des marques qu’elles stimulent leurs ventes avec des les meilleures conditions », considère André Tavarez do Canto, campagnes de pub, et leur force de vente avec des cadeaux pour JULIEN CLÉMENÇOT professeur de marketing et de communication à Dakar. décrocher des commandes. ■ J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11


126 L A S E M A I N E D ’ E C O F I N A N C E UNION AFRICAINE

CACAO

Lʼeffet ivoirien

LUC GNAGO/REUTERS

Conséquence de la c r i se pol it ique, plu s de 200 000 tonnes de cacao ivoirien accusent un retard de livraison. En outre, le plus gros contrat à terme de l’année (109 960 t), passé le 14 décembre par le fonds d’investissement britannique Armajaro, aurait t rouvé preneu r avec le singapourien Olam, l ’a m é r i c a i n A r c h e r Daniels Midland et un Port de San Pedro, 2010. trader encore inconnu. Un signal au marché qui pourrait une nouvelle fois pousser les prix à la hausse, après un pic à 2 039 livres la tonne le 6 décembre, contre 1 780 livres, au plus bas, en novembre.

AUTO

Naissance dʼun géant

Deux distributeurs, Tractafric, filiale d’Optorg (du groupe marocain ONA), et SDA-Demimpex (Belgique), vont rapprocher leurs activités pour créer le « deuxième acteur du continent », selon Philippe de Moerloose, le patron de SDA-Demimpex. L’opération demandera six mois et débouchera sur un ensemble détenu à 60 % par Optorg et à 40 % par SDA-Demimpex. Il totalisera un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros, une présence dans 25 pays, 15000 voitures et 1500 poids lourds vendus par an et la distribution de marques comme Mercedes, Mitsubishi, Ford, BMW, Hyundai, Renault, Porsche, etc.

Timide avancée pour le FMA MARS 2011 : C’EST L’ÉCHÉANCE que se sont donnée les ministres de l’Économie et des Finances des États membres de l’Union africaine (UA) pour trouver un accord sur les textes fondateurs du Fonds monétaire africain (FMA) et donner vie à ce projet vieux de quarante-sept ans. Tiendront-ils cet engagement ? Réunis les 16 et 17 décembre à Yaoundé pour débattre du sujet, les ministres n’ont fait qu’adopter le protocole portant création du Fonds et ont reporté l’adoption de ses statuts à leur prochaine rencontre… Les points d’achoppement portent sur le capital social, le capital libéré, la quote-part des États… Quand un consensus sera trouvé, le FMA aura pour missions premières de veiller à la stabilité financière du continent et de travailler à la convertibilité des 48 monnaies pour doper le commerce interafricain, qui ne représente que 12 % des échanges sur le continent. Par ailleurs, il apportera une assistance financière temporaire aux pays confrontés à des difficultés budgétaires, proposera des politiques de gestion de la dette… À Yaoundé, les ministres ont également débattu des sources de financement alternatives de l’UA et ont dégagé huit propositions qui seront soumises aux chefs d’État lors du prochain sommet de l’Union à Addis-Abeba, en janvier. Parmi elles : des prélèvements (de 0,5 %) sur les biens importés, les recettes des principaux produits d’exportation, le revenu des exportations d’hydrocarbures… La piste d’une taxe sur les transactions financières sera aussi examinée l’an prochain. En 2010, le budget de fonctionnement de l’UA, qui s’est élevé à 250 millions de dollars (190 millions d’euros), a essentiellement été financé par cinq pays (Égypte, Libye, Nigeria, Afrique du Sud et Algérie) et des institutions internationales. ■ STÉPHANE BALLONG

EN BREF MAROC PRÊT DE LA BAD Un prêt de 300 millions d’euros a été accordé le 22 décembre par la Banque africaine de développement pour le renforcement de l’axe ferroviaire Tanger-Marrakech et une nouvelle voie de fret.

RD CONGO EXCLUE DE L’AGOA Le pays ne bénéficie plus de l’African Growth and Opportunity Act. Un coup dur pour ses exportations (pétrole, mines, bois) vers les États-Unis, qui ont atteint 325 millions d’euros en 2010.

AFRIQUE DU SUD DÉPART DE TATA STEEL Le groupe indien, numéro sept mondial de l’acier, négocie la cession de ses actifs sud-africains pour 115 millions d’euros. Standard Chartered Bank India est chargé de la vente.

GHANA ACCORD AVEC KOSMOS La junior pétrolière Kosmos Energy a signé un accord avec Accra et la compagnie nationale GNPC pour la vente de 23,5 % du champ Jubilee. L’arrangement met un terme à six mois de bras de fer.

CONGO PALME À LA MALAISIE Le malaisien Atama Plantation a prévu d’investir 230 millions d’euros dans un contrat de concession de 470 000 ha de terres, dont 180 000 ha de palmeraies, au Congo-Brazzaville.

J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11


ESPANOL/ONLYGRAFIC

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Les exigences des distributeurs et des chaînes de télévision tirent la qualité des films et des séries vers le haut.

CINÉMA

Nollywood, le retour LES DVD PIRATES ONT FAILLI TUER L’INDUSTRIE DU FILM NIGÉRIAN. M AIS AVEC L’ÉMERGENCE DES RÉSEAUX PRIVÉS

DE MULTIPLEXES ET DES BOUQUETS DE TÉLÉVISION PAYANTS, LES PRODUCTEURS REPRENNENT CONFIANCE.

nie Okereke, 2008], ont été de vrais succès car le public s’identifie aux héros », explique Jonathan Bruce, directeur général de Silverbird Cinemas, qui gère déjà cinq multiplexes (quatre au Nigeria, un au Ghana), reçoit plus de 1000 spectateurs par jour rien qu’à Lagos et réalise un chiffre d’affaires annuel estimé à 12 millions d’euros. Pour la promotion, il peut s’appuyer sur les autres filiales du groupe Silverbird (fondé par son père Ben Bruce): la radio Rhythm et la chaîne de télévision Silverbird TV. Jonathan Bruce ne compte pas s’arrêter en si bon chemin: « Après les métro-

COPIES À PRIX CASSÉS

« Bien sûr, ces salles s’adressent à une élite au porte-monnaie bien garni [1 300 nairas la place, soit 6,40 euros], mais elles nous offrent un canal de distribution moins vulnérable à la piraterie que la diffusion de DVD, habituellement prisée par Nollywood », estime Femi Odugbemi, ancien président de l’Association des producteurs de télévision indépendants du Nigeria (Itpan) et réalisateur de Bárigà Boy, en 2008. Ces réseaux privés poussent également à la qualité: pour être diffusé chez eux, il faut réaliser LA PRODUCTION NIGÉRIANE EN CHIFFRES le film en 35 mm, offrir un son irréprochable, et surtout présenter un scénario plus original que de chiffre d’affaires annuel les romances nollywoodiennes habituelles. Les producteurs proet 63 sorties pour la seule semaine du 13 décembre fessionnels, fragiles économiquement à cause des copies illégales mais le budget moyen d’un film aussi de la profusion de films de piètre qualité, voient d’un bon œil le principalement dans l’informel renouveau des cinémas.

190 millions d’euros 1 500 films par an

12 000 euros 300 000 personnes impliquées

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FOTOLIA

L

e cinéma The Galleria, à Lagos, est bondé. En cette période de Noël, les familles de Victoria Island et Ikoyi, quartiers huppés de la mégapole nigériane (18 millions d’habitants), se pressent dans les files d’attente de ce multiplexe créé en 2004 par le groupe Silverbird, leader du secteur. Cornets de pop-corn en main, les cinéphiles peuvent aller regarder le dernier Walt Disney, Raiponce, mais aussi et surtout des films africains: cette semaine de fin décembre, ce sont Anchor Baby et Challenge of Our Times, deux films nigérians, ainsi que Six Hours to Christmas, du studio ghanéen Sparrow, qui sont à l’affiche. Alors qu’ils avaient disparu pendant les années 1980 en raison de l’insécurité des centres-villes, depuis cinq ans les réseaux privés de salles se multiplient dans les quartiers aisés de la capitale économique, d’Abuja et de Port-Harcourt. « À notre lancement en 2004, nous projetions des films américains, mais devant la forte demande de la clientèle, notamment féminine, nous avons commencé à diffuser des longsmétrages nigérians de qualité. Certains, comme Ijé [de Chineze Anyaene, 2010, NDLR] et Through the Glass [de Stepha-

poles, nous nous installerons dans les villes moyennes. Nous prévoyons deux ouvertures annuelles de multiplexes équipés de quatre salles. Nous voulons aussi coproduire des films pour encourager un cinéma local de qualité qui réponde aux attentes de notre clientèle. » Plus petits, mais tout autant ambitieux, les groupes Hi Cinema Zone (deux multiplexes) et Genesis (trois multiplexes) se sont eux aussi positionnés sur ce créneau « très lucratif », selon Jonathan Bruce.


128 ECOFINANCE depuis, certains ont compris que ces chaînes étaient prêtes à payer correctement des programmes de qualité, à condition qu’ils leur en réservent l’exclusivité », indique Femi Odugbemi, qui produit pour Africa Magic la série futuriste Tinsel. MultiChoice s’est d’ailleurs investi dans la production, en installant notamment un studio à Lagos.

TOP 5 DES FILMS À GROS BUDGET

Ijé

de Chineze Anyaene, 2010

1,9 million d’euros The Figurine de Kunle Afolayan, 2009

242000 euros Close Enemies

UN MARCHÉ EN GESTATION

de Lancelot Oduwa Imasuen, 2008

228000 euros Through the Glass de Stephanie Okereke, 2008

136000 euros Arugba

de Tunde Kelani, 2009

100000 euros

ché, les bouquets payants de chaînes de télévision à contenu africain : MultiChoice (groupe Naspers, sud-africain), qui a créé les trois chaînes Africa Magic (en anglais, en yoruba et en haoussa, 500 000 abonnés nigérians), ou HiTV. « Si ces chaînes ont, à leur démarrage, racheté à prix cassé les films de Nollywood, c’est que les producteurs se sont montrés faibles dans la négociation et désunis. Des catalogues d’anciens films ont parfois été bradés à des prix indécents : 1 500 dollars le film et 700 dollars l’épisode de série. Mais

FOTOLIA

« Pour mon dernier film, Arugba, diffusé sur DVD, au lieu des 400000 exemplaires prévus, je n’ai pu en écouler que 50000, se désole Tunde Kelani, l’un des producteurs de films les plus connus du pays, réalisateur du Vase brisé, en 2006. Et pour cause: en à peine trois jours, les circuits pirates vendaient des dizaines de milliers de copies illégales de mon film à prix cassé [150 nairas l’unité au lieu de 400 nairas au prix légal]. J’ai investi 100 000 euros dans la production de ce film, la perte est abyssale. » Face aux difficultés, Tunde Kelani a dû réduire le personnel de sa société, Mainframe Production, de 25 à 4 personnes. Il compte désormais sur les salles obscures pour lui sauver la mise. « Quand nous distribuons par DVD, nous n’avons aucune idée sur la manière dont notre œuvre est reçue: les pirates qui copient notre œuvre en sont les principaux distributeurs. En diffusant exclusivement dans les cinémas, nous connaissons notre audience, et nous bénéficions du succès d’un film grâce à un pourcentage sur le prix des places [30 % en général] », se réjouit Tunde Kelani, qui pour sa prochaine œuvre, Ma’ami, privilégie une diffusion dans des cinémas publics démontables, subventionnés par l’État de Lagos, pour toucher un public large. Pour Femi Odugbemi, les producteurs de Nollywood pourraient aussi profiter de l’essor d’un autre débou-

Pour l’industrie, l’étape suivante est la structuration de groupes de production économiquement solides, capables de négocier avec les différents canaux de distribution qui montent en puissance (réseaux de cinémas, chaînes de télévision, mais aussi distributeurs internationaux comme Panafrican Film et Canal France International). « Il nous faut des avocats et des hommes d’affaires connaissant les lois du marché pour nous épauler. Mais je suis optimiste, le cinéma nigérian parviendra à se professionnaliser, et même à concurrencer Bollywood », estime Femi Odugbemi. Preuve que Nollywood a de nouveau le vent en poupe, les groupes bancaires comme Diamond Bank, Guaranty Trust Bank et Bank PHB ont créé des guichets cinéma qui étudient les business plans de producteurs et commencent à les financer. Lagos n’est pas encore Los Angeles ou Bombay, mais les studios nigérians du futur sont en gestation. ■ CHRISTOPHE LE BEC, envoyé spécial à Lagos

TÉLÉCOMS

Vimpelcom hésite encore LE RACHAT PAR LE GROUPE RUSSE DES ACTIFS DE L’ÉGYPTIEN ORASCOM PARAÎT MAL ENGAGÉ. LE CAS DE LA FILIALE ALGÉRIENNE, DJEZZY, POSE NOTAMMENT PROBLÈME.

L

e rachat des actifs de Naguib Sawiris par Vimpelcom va-t-il tomber à l’eau ? Présenté comme acquis au mois d’octobre, l’accord semble incertain depuis que le groupe russe a annoncé qu’il souhaitait renégocier les termes du contrat. Un revirement imposé par l’opérateur norvégien Télénor, qui détient 36 % du capital de Vimpelcom. Le cas de Djezzy, filiale du groupe Orascom, que les autorités algériennes assurent vouloir nationaliser, ne serait pas étranger à cette décision. Autre raison invoquée, selon les observateurs: l’actionnaire norvégien de Vimpelcom possède

comme Orascom des filiales au Pakistan et au Bangladesh. Il craindrait de devoir s’en séparer, si l’affaire est conclue, en raison d’une position dominante sur ces marchés. Refusant de baisser le montant de la vente (6,6 milliards de dollars, soit 5 milliards d’euros), le propriétaire d’Orascom a réagi en se déclarant toutefois prêt à revoir certaines de ses exigences. Alors qu’il sera détenteur de 20 % de Vimpelcom à l’issue du deal, l’homme d’affaires égyptien aurait notamment obtenu d’avoir plus de sièges et de droits de vote au sein du groupe russe que ce à quoi il peut théoriquement prétendre. « Compte tenu du niveau de la dette d’Orascom et de ses problèmes en Algérie, Sawiris n’est pas en position de force et doit tout faire pour réussir la vente », analyse Jean Kaplan, de la banque japonaise Nomura. S’il devait finalement aboutir, l’achat de 52 % d’Orascom et de l’opérateur italien Wind permettrait à Vimpelcom d’occuper la cinquième place mondiale, avec 174 millions d’abonnés. ■ JULIEN CLÉMENÇOT

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7-10 feb 2011

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Director, Petropavlosk

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Founding Chairman, David Hale Global Economics

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Chief Executive Officer, Chief Investment Officer, U.S. Global Investors, Inc.

JaMes tUrK

Founder and Chairman, GoldMoney

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130 ECOFINANCE

INTERVIEW

Karel De Gucht COMMISSAIRE EUROPÉEN AU COMMERCE

« Cʼest le commerce qui développera lʼAfrique » L’ANCIEN CHEF DE LA DIPLOMATIE BELGE VEUT PERSUADER LES A FRICAINS DU BIEN-FONDÉ DES ACCORDS DE PARTENARIAT ÉCONOMIQUE. POUR LE MOMENT SANS SUCCÈS. JEUNE A FRIQUE L’A RENCONTRÉ LORS DE SA DERNIÈRE VISITE EN RD CONGO.

K

arel De Gucht connaît bien l’Afrique. L’ex-ministre belge des Affaires étrangères a même défrayé la chronique à plusieurs reprises en reprochant aux autorités congolaises la corruption qui gangrènerait l’entourage de Joseph Kabila ou en regrettant le caractère « inapproprié » des interlocuteurs africains de l’Europe. C’est pourtant avec ces derniers que le peu diplomate commissaire européen doit dorénavant traiter. Ce libéral convaincu a pris le portefeuille du Commerce en février 2010, après avoir détenu pendant six mois celui du Développement. Il lui revient donc la délicate tâche de persuader les Africains du bien-fondé des Accords de partenariat économique (APE). Véritable pomme de discorde entre l’Union européenne et l’Afrique, ce nouveau régime commercial est censé remplacer celui dit « de Cotonou », beaucoup plus favorable aux pays du groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP). Malgré d’âpres négociations, ces derniers refusent fermement la signature des APE depuis neuf ans (excepté quelques pays qui ont conclu des accords intérimaires). Suppression des droits de douane à l’importation, interdiction des quotas, réciprocité totale… Ces accords ont tout pour satisfaire l’Organisation mondiale du commerce (OMC), certes, mais ils contiennent surtout de quoi faire craindre aux États les plus faibles une perte importante de leurs revenus douaniers et une concurrence déloyale des produits européens, à un stade de développement des industries locales encore imparfait.

À Bruxelles, on reconnaît que les APE ont été, au début de la décennie 2000, mal présentés aux Africains, par une Commission européenne trop orthodoxe et peu au fait des réalités du continent. L’approche était beaucoup trop éloignée des enjeux de l’aide au développement. Aujourd’hui, certains souhaiteraient rectifier le tir, mais il n’est pas certain que le nouveau patron du Commerce européen ait envie de faire preuve de davantage de compréhension… Comme en témoigne son interview, recueillie à Kinshasa, le 4 décembre. ■ JEUNE AFRIQUE: Voilà neuf ans que la Commission européenne et les pays du groupe Afrique-CaraïbesPacifique négocient les Accords de partenariat économique [APE]. Sans succès. Pourquoi cet échec ? KAREL DE GUCHT : Les APE sont en négociation depuis neuf ans, et moi je suis en poste depuis neuf mois ! J’ai hérité de ce dossier. Il faut un nouveau départ, c’est certain. Comprenez-vous les craintes des Africains ? Ils ont d’abord peur de perdre des revenus fiscaux, à tort : l’augmentation des relations commerciales créera de nouveaux revenus. Deuxième crainte: la réforme des impôts. Il faut reconnaître que c’est compliqué, chez nous comme chez eux. Enfin, ils semblent être réticents à élargir la libéralisation aux services. Ce qui est une erreur. Pour faire décoller une économie, les services sont encore plus importants que les biens.

Faut-il considérer les APE comme mort-nés et passer à autre chose ? Je n’ai pas d’alternative immédiate. Sauf de parier sur les pays les plus volontaires. En Asie, nous négocions en ce moment des accords pays par pays. En Afrique, cela n’est pas possible car il y a beaucoup plus de pays et les économies sont plus petites. Il faudrait peut-être garder un tronc commun par région, en allant plus loin avec quelques pays. Quand les voisins constateront que la libéralisation des échanges, dans les services par exemple, donne des possibilités additionnelles, cela pourra provoquer un mouvement plus général. Quelle est l’échéance pour la négociation des APE ? L’Organisation mondiale du commerce [OMC] va entrer dans le dernier round de négociations du cycle de Doha et nous sommes contraints de garder en tête l’objectif de réciprocité. L’OMC demande de libéraliser à terme 90 % des échanges. Première flexibilité que nous pouvons proposer : considérer ce pourcentage comme une moyenne – 100 % avec certains, 80 % avec d’autres. Deuxième possibilité : ne libéraliser que les biens pour certains pays et étendre aux services pour ceux qui sont intéressés. Troisième option : poursuivre l’asymétrie, c’est-à-dire faire en sorte que nos marchés s’ouvrent un peu plus que les marchés africains. Ne fallait-il pas commencer par développer l’appareil productif africain avant de l’ouvrir à la compétition ? Je ne suis pas certain qu’il n’y ait pas assez de compétitivité en Afrique. Je connais une coopérative de femmes au Mali qui, deux ans après son lancement, exportait déjà 600 000 tonnes de mangues ! Tout était bien organisé : logistique, conditionnement, produc-

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ECOFINANCE 131 laquelle tout était permis pour les États africains. Ensuite, la chute du mur de Berlin a changé nos relations avec l’Afrique, parfois de façon assez abrupte. Nous entrons dans une nouvelle phase, où les esprits sont dominés par la présence des Chinois. Mais ce n’est pas parce que les Chinois sont très actifs sur le continent que nous devons l’abandonner. Pensez-vous vraiment que les Occidentaux n’ont pas leur place dans les mines congolaises, par exemple ?

EUROPEEAN COMMISSION 2010

Les investissements européens en Afrique sont pourtant moindres que les chinois… Certes, mais pourquoi ? Dans le secteur extractif, par exemple, on verra affluer beaucoup d’intérêts européens dès lors que les pays africains garantiront sûreté juridique et transparence. Le cadre que nous demandons est différent de celui que proposent les Chinois. Il ne faut pas espérer que l’Europe change son comportement.

tion décentralisée. La réussite dans le commerce, c’est quoi ? C’est produire quelque chose pour lequel il y a un acheteur. Pourquoi le Kenya a-t-il réussi à vendre ses fleurs ? Parce qu’il s’est spécialisé dans une variété très demandée en Europe. Je ne vois pas pourquoi l’Afrique n’arriverait pas à se faire une place dans le commerce mondial. Donc, à la différence des pays développés qui sont tous passés par une phase de protectionnisme, l’Afrique peut passer directement au libreéchange forcené ? Mais les APE leur permettent de protéger leurs industries naissantes ! En 2008, l’Union européenne [UE] a investi 3 milliards d’euros dans l’aide au commerce, elle n’a jamais fait ça pour l’Amérique latine. Je comprends que

certains secteurs aient besoin d’être protégés. Mais le protectionnisme dont on nous parle aujourd’hui veut augmenter les tarifs des importations. Ce n’est pas comme ça qu’on développe l’économie. Les Africains pensent souvent que l’Europe s ’é loig ne du c ont i nent… L’éla rg issement de l’UE vers l’Est fait que nous sommes sollicités par le Caucase, l’Ukraine, la Géorgie, les Balkans… C’est une zone qui offre de nouveaux et vastes marchés. Cela dit, les quinze pays membres d’origine n’ont pas du tout perdu leur intérêt pour l’Afrique. Mais nous sommes confrontés à une nouvelle situation. Il y a eu la Guerre froide, pendant

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Qu’est-ce qui intéresse l’Europe, en Afrique ? Les ressources nat urelles. Une démarche humaniste aussi. Nous avons un devoir vis-à-vis de l’Afrique. Ce n’est pas un hasard si l’Europe est le plus grand donateur d’aide au développement. Mais il faut aussi aider le continent à se développer grâce aux moyens qui ont fonctionné partout ailleurs. Et ce sont les échanges commerciaux. Je ne connais aucun pays qui se soit développé dans l’autarcie. Les ressources naturelles minières ou pétrolières ne contribuent pas toujours au développement. Est-ce une « malédiction » ? Redistribuer les revenus de ces

« Pour faire décoller une économie, la libéralisation des services est primordiale. » industries est extrêmement complexe. Il faut un système fiscal très développé, des classes moyennes plus nombreuses que les défavorisées, et des contre-pouvoirs effectifs. Ce n’est pas l’industrie extractive qui fera décoller l’Afrique. C’est le commerce. ■ Propos recueillis à Kinshasa par ELISE COLETTE


Les activités de la place gabonaise ont débuté en 2008, deux ans après celles de son homologue camerounaise.

BOURSE

Libreville-Douala, lʼimprobable fusion

A PPROUVÉ PAR LES CHEFS D’ÉTAT D’A FRIQUE CENTRALE EN JANVIER 2010, LE RAPPROCHEMENT ENTRE LES DEUX PLACES FINANCIÈRES PEINE TOUJOURS À SE CONCRÉTISER.

L

année 2010 devait être pour la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) celle du renouveau. Des avancées notables étaient attendues dans les principaux projets visant à renforcer l’intégration sousrégionale. En janvier à Bangui, lors du sommet des chefs d’État de la zone, des décisions avaient été prises dans ce sens. Ainsi, la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale (Cosumaf, le régulateur du marché financier régional) avait reçu mandat de conduire le processus de rapprochement des deux Bourses de la zone: le Douala Stock Exchange (DSX) au Cameroun et la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC) au Gabon. L’existence dans la même zone économique de ces deux places financières fonctionnant sans aucune synergie est jugée contre-productive. « Cette dualité fait perdre à notre regroupement économique les bénéfices des économies d’échelle qui feraient baisser les coûts d’accès aux ressources financières », a expliqué Alexandre Gandou, président

de la Cosumaf, lors des Journées du marché financier de l’Afrique centrale, les 6 et 7 décembre à Brazzaville. De fait, « après Bangui, les régulateurs de la BVMAC et du DSX devaient se rencontrer pour établir conjointement une feuille de route en vue du rapprochement », explique Jacques Junior Schule, un des porte-parole de la Cosumaf. Il n’en a rien été. « La partie camerounaise a toujours évoqué des problèmes de calendrier », affirme-t-on au siège de la Cosumaf, à Libreville. Lors du prochain sommet des chefs d’État de la Cemac, qui devrait se tenir au plus tard en février prochain à Brazzaville, des propositions concrètes en vue de la fusion pourraient pourtant être soumises à leur approbation définitive. Les raisons de la réticence camerounaise? Certains acteurs du marché estiment que le DSX – dont les activités ont démarré en 2006 – est mieux placé que la BVMAC – qui a lancé les siennes en 2008 – pour accueillir la Bourse régio-

TIPHAINE SAINT-CRIQ POUR J.A.

132 nale, du fait d’une activité économique plus dynamique au Cameroun. « Pour susciter l’adhésion de tous au projet de rapprochement, nous préconisons une démarche consensuelle et progressive », indique-t-on à la Cosumaf. Le schéma le plus souvent avancé consiste à mettre en place une sorte de holding qui chapeautera les deux places avec, à la clé, la spécialisation de la BVMAC sur le marché obligataire et du DSX sur celui des actions. « Mais il faudra faire attention à la duplication des coûts », prévient Cyrille Nkontchou, le patron de LiquidAfrica. DES RÉSULTATS BIEN MAIGRES

Face à la difficulté de trouver une entente entre la Cosumaf et la Commission des marchés financiers du Cameroun, la Banque africaine de développement (BAD), le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont été sollicités comme parrains. Ces institutions s’apprêtent à commander une étude montrant le bien-fondé de la fusion entre les deux Bourses et définissant le contour de leur rapprochement. Un appel d’offres a été lancé en septembre pour le recrutement de l’expert qui devra mener à bien cette mission. Parallèlement, ces mêmes institutions financent toutes les activités (séminaires, réunions de sensibilisation…) pouvant aider à faire avancer le projet. L’Association internationale de développement (BM) a débloqué 1,5 million d’euros pour la période 2010-2012. En attendant une hypothétique fusion, le marché financier sous-régional, dont le potentiel est pourtant considéré comme énorme, affiche des résultats bien maigres: trois introductions à Douala (Safacam, SEMC et Socapalm) et aucune à

La BVMAC pourrait se voir attribuer le marché obligataire, et le DSX celui des actions. Libreville. Au total, l’encours des fonds levés sur ces deux places est estimé à 187,5 milliards de F CFA (environ 287 millions d’euros). Ce chiffre ne tient pas compte des emprunts obligataires que viennent de lancer la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (30 milliards de F CFA) et l’État camerounais (200 milliards de F CFA). ■ STÉPHANE BALLONG

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LE DOSSIER HYDROCARBURES DE JEUNE AFRIQUE

MARCHÉ

Des surprises en réserve

EN MATIÈRE DE PÉTROLE ET DE GAZ, L’A FRIQUE EST UN ESPACE SOUS-EXPLORÉ QUI, PLUS QUE JAMAIS, A UN RÔLE À JOUER SUR LA SCÈNE MONDIALE. TOUS LES ACTEURS INTERNATIONAUX, ET NATIONAUX, LORGNENT LES GISEMENTS ENCORE À METTRE AU JOUR. MICHAEL PAURON

A

lors que le monde débat de l’imminence du pic pétrolier – quand la production, après une période de stagnation, commencera à décroître –, l’Afrique voit, elle, ses réserves augmenter et sa part à l’échelle de la planète croître. Le continent recèle aujourd’hui près de 10 % des réserves mondiales prouvées de pétrole (127,7 milliards de barils), contre moins de 8 % il y a dix ans. Selon les experts, ce chiffre pourrait vite atteindre 12 %. Les faits sont là : 20 % de l’accroissement des réserves dans le monde proviennent du continent. « Il y a des opportunités massives en Afrique ! C’est la clé de notre croissance », assure Osman Shahenshah, directeur exécutif d’Afren, un producteur panafricain coté à Londres. La découverte au large du Ghana du champ de Jubilee, qui est entré en production midécembre, a été un élément révélateur du potentiel inexploité du continent. L’italien ENI s’est de fait lancé dans une série d’acquisitions, notamment dans les eaux togolaises. Pour lui, cela ne fait aucun doute: il y aura d’autres Jubilee.

TULLOW

FORER TOUJOURS PLUS PROFOND

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Au large du Ghana, la découverte du champ de Jubilee, en 2007, a été un élément révélateur du potentiel inexploité de l’Afrique de l’Ouest.

Même son de cloche chez Total. Pour Jacques Marraud des Grottes, directeur exploration et production pour la zone Afrique, « le continent reste une zone d’exploration importante car [Total n’a] pas tout découvert ». Le groupe français y a investi 5 milliards de dollars (environ 3,8 milliards d’euros) en 2010 et prévoit au moins autant en 2011. Mauritanie, Libye, Côte d’Ivoire (où Total est entré en novembre)… Autant de nouveaux pays pour le pétrolier,


134 DOSSIER HYDROCARBURES PÉTROLE

Les cinq premiers producteurs du continent

Répartition des réserves prouvées (en %)

(en millions de barils par jour, en 2009) 2,1

1,8

1,8

Moyen-Orient Europe et Eurasie Asie-Pacifique

1,7 3,4 3,4 9,7 9,7 5,9 5,9 8,4 Total 6,9

Algérie

Angola

5,5 3,2

* En milliards de barils

0,7

Nigeria

Afrique Amérique du Nord Amérique latine

Libye

Égypte

1006,4*

7,8 9,9

6,4

9,6

3,7

10,3

Total 1333,1*

Total 1085,6*

9

56,6

14,9

65,7

63,2

1989

1999

2009 SOURCE : BP STATISTICAL REVIEW

▲ ▲ ▲

qui poursuit en outre ses efforts dans les « zones traditionnelles » comme l’Angola (ou le projet Pazfloor, à 220 000 barils par jour (b/j), entrera en production au dernier trimestre de 2011), le Nigeria et le Congo. Le continent bénéficie d’au moins deux éléments convergents. D’abord la technologie, qui permet de forer plus loin (au-delà de 1 500 m de profondeur d’eau) mais aussi de récupérer du pétrole dans des champs déjà exploités. C’est le cas du champ Anguille, au Gabon (voir pp. 142-143), exploité depuis quarante ans par Total et dans lequel la firme a décidé de réinvestir 1,4 milliard d’euros pour extraire 100 millions de barils supplémentaires. L’autre signal est le prix, qui, en 2010, a tourné autour de 72 dollars le baril et devrait atteindre les 85 dollars en moyenne en 2011. La production africaine, aujourd’hui de 10 millions de b/j, devrait atteindre 14 millions de b/j en 2015 et 20 millions d’ici à 2030, estime Duncan Clarke, expert international (voir interview p. 137-138). Si l’Afrique de l’Ouest, et notamment le golfe de Guinée, concentre aujourd’hui la majeure partie des investissements pétroliers (en dix ans, ils ont été multipliés par dix dans la région, pour atteindre 15,6 milliards de dollars cette année), aucune zone ne sera épargnée par les foreuses : l’Afrique de l’Est, notamment la Tanzanie et le Mozambique, ou l’américain Anadarko a déjà annoncé une découverte de gaz et où ENI entamera bientôt les travaux de forage; la région des Grands Lacs, avec des réserves prouvées de 2 milliards de barils sous le lac Albert, en Ouganda ; l’Afrique du Nord, où les projets se multiplient, notamment en Libye et en Tunisie… Plus de 250 mil-

liards de dollars ont été investis ces dix dernières années, et la tendance devrait s’accroître. GAZPROM MISE SUR LAGOS

Le gaz naturel est l’autre avenir du continent, notamment au nord du Sahara (voir p. 140). Mais l’Angola et le Nigeria (70 % des réserves subsahariennes), à travers la production de gaz naturel liquéfié (GNL), sont amenés eux aussi à renforcer leur rôle sur le marché mondial. Lagos, déjà troisième producteur de gaz du continent (24,9 milliards de m 3 produits en 2009), détient les premières réserves prouvées africaines (5 250 milliards de m3) devant l’Algérie. Le premier exportateur mondial de gaz, le russe Gazprom, ne s’y est d’ailleurs pas trompé, qui a décidé d’investir 2,5 milliards de dollars dans une coentreprise avec la Nigerian National

Petroleum Corporation. Toujours dans la course pour sécuriser ses investissements en hydrocarbures, la Chine investit elle aussi dans le gaz. Le premier raffineur du pays, Sinopec, a racheté fin novembre les parts d’un champ gazier de l’américain Chevron en Angola, pour 680 millions de dollars. La dépendance mondiale aux hydrocarbures africains n’est pas près de fléchir. L’année dernière, le Nigeria a surpassé l’Arabie saoudite en devenant le troisième fournisseur de pétrole des États-Unis. Washington prévoit une dépendance au pétrole africain de 25 % en 2015. La Chine est le premier client de l’Angola, troisième producteur d’or noir du continent. Enfin, l’Europe entend profiter des divers projets gaziers du continent (Medgaz, Transsaharien, etc.) pour réduire sa dépendance au gaz russe. ■

LA MONTÉE DES MAJORS AFRICAINES AU NIGERIA, TROIS BARILS SUR CINQ sont produits par des multinationales non africaines. Pour un groupe local, s’imposer dans ce monde est une mission presque impossible. Mais certains groupes commencent à émerger. C’est le cas du nigérian Oando. Autrefois trader, la firme cotée à Lagos et à Johannesburg entend produire quelque 100 000 barils par jour d’ici à 2013 et devenir une « major africaine ». Son partenariat avec le russe Gazprom va dans ce sens. Afin de financer ses projets, le premier groupe pétrolier nigérian a débloqué auprès de 13 banques 288 millions d’euros de facilités en août. Le sud-africain Sasol nourrit les mêmes ambitions. Dernière acquisition en date : un permis d’exploration de gaz de 8 370 km2 au Mozambique. Ces indépendantes côtoient aussi les sociétés nationales, qui commencent à sortir de leurs frontières. Sonangol (Angola) est désormais présent au Gabon, en Guinée équatoriale, au Nigeria et à São Tomé e Príncipe. Sonatrach (Algérie), outre une présence chez tous ses voisins maghrébins (hors Maroc), opère en Mauritanie, au Mali, au Nigeria et au Niger. Kassoum Fadika, directeur de l’ivoirien Petroci, rêve quant à lui d’alliances régionales « pour créer des champions » qui pourront jouer dans la cour des majors étrangères. ■ M.P. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11




DOSSIER 137

Duncan Clarke

INTERVIEW

PDG DU CABINET DE CONSEIL GLOBAL PACIFIC & PARTNERS

« Dans vingt ans, lʼexploration se sera étendue à plus de 40 pays » POIDS DE LA PRODUCTION AFRICAINE DANS LE MONDE, CROISSANCE DES ENTREPRISES LOCALES… L’AUTEUR DE THE STRUGGLE FOR A FRICA’S OIL PRIZE ET ORGANISATEUR DU COLLOQUE ANNUEL « A FRICA OIL WEEK », AU CAP, ESQUISSE L’AVENIR PÉTROLIER ET GAZIER DU CONTINENT. JEUNE AFRIQUE : L’Afrique apparaît comme un eldorado pour les compagnies pétrolières. Qu’en est-il ? DUNCAN CLARKE: Le continent est dans le viseur des groupes pétroliers depuis des décennies. L’exploration a commencé au début du XXe siècle et a particulièrement pris pied au milieu des années 1950. La ruée s’est néanmoins accélérée depuis dix ans. Aujourd’hui, la bataille pour les réserves pétrolières est mondiale, mais l’Afrique, avec des intérêts croisés entre États et investisseurs, est un espace où tout est encore possible. Tant du point de vue de la stratégie d’entreprise que de celui du délai raisonnable pour la concrétisation des affaires (bien que l’obtention de permis y soit plus compliquée qu’ailleurs).

▲ ▲ ▲

Que repré sente aujou rd’hu i la production africaine ?

D.R.

Quel a été le montant des investissements depuis dix ans et quelle est la tendance ? Il n’y a pas vraiment de données disponibles sur l’argent injecté dans le pétrole et le gaz durant la dernière décennie, mais le chiffre de 250 milliards de dollars [environ 190 milliards d’euros, NDLR] est une estimation qui ne devrait pas être très loin de la réalité. Et ce chiffre va augmenter dans la décennie prochaine et au-delà. La production de gaz naturel liquéfié [GNL] va progresser dans peu de temps, tout comme l’exploitation des gaz et des pétroles non conventionnels, notamment le gaz de schiste. En même temps, il y aura un redéploiement dans l’aval, essentiellement dans le raffinage.

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138 DOSSIER HYDROCARBURES ▲ ▲ ▲

L’Afrique génère déjà d’énormes revenus pétroliers et gaziers. Le niveau actuel de production est de 11,5 millions de barils de pétrole par jour, et d’environ la moitié pour le gaz. Nous prévoyons une production de 14 millions de barils de pétrole par jour en 2015-2016 et environ 20 millions d’ici à 2030.

Quelles seront les grandes zones d’exploration et de production dans les vingt ou trente prochaines années ? Y a-t-il encore des terra incognita ? On prend toujours des risques sur des projections à vingt ou trente ans. Cependant, malgré les troubles et l’instabilité chronique de ces cinquante dernières années, l’industrie pétrolière a enregistré de nombreux succès en Afrique. On peut donc esquisser une tendance : l’exploration aura concerné au moins 40 pays africains ; 20 pays ou plus seront producteurs de pétrole ; entre 15 et 20 d’entre eux verront leurs réserves et l’extraction de gaz augmenter; un marché gazier continental va se développer; les cessions de permis vont s’accroître, avec au moins 5 000 blocs qui seront détenus par des compagnies internationales ; la plupart des zones économiques exclusives maritimes délivreront des licences d’exploration, principalement en eau profonde ; la plupart des réserves prouvées ouest-africaines seront en exploitation; le grand Rift estafricain aura été exploré ; plusieurs terres à l’intérieur du Rift et les lacs auront fait l’objet de découvertes de pétrole et de gaz, qui seront exploitées ; le Sahel

et le Sahara deviendront des zones clés de production et d’exportation de gaz. Quel est le potentiel gazier africain? Le gaz est promis à un bel avenir. Nous en serons rapidement témoins, d’une part à travers le développement du GNL sur la côte est, au Mozambique et en Tanzanie, et d’autre part avec celui des centrales à c ycle combiné gaz [pour la production d’électricité, NDLR]. D’une manière générale, l’avenir des hydrocarbures en Afrique est considérable. S’ils sont bien gérés, ils devraient être la clé du développement économique du continent.

pétrolière regroupe un nombre important d’entreprises. La queue est déjà longue, et elle va s’allonger. Nous assisterons probablement à quelques consolidations. Les petites vont grossir, s’imposer davantage, d’autres arriveront. En outre, le nombre de sociétés africaines – au nombre de 150 aujourd’hui,

« Tanzanie, Mozambique… L’avenir du gaz naturel liquéfié est considérable. »

Les pétrodollars ne risquent-ils pas de déstabiliser les États ? Les compagnies ont-elles un rôle à jouer ? Le cash-f low généré est et sera énorme. Il a jusque-là principalement profité aux gouvernements. C’est à eux que revient de gérer cette manne, et non aux compagnies. À travers leurs obligations fiduciaires et fiscales, ces dernières impactent néanmoins l’économie du pays et l’emploi, de manière directe et indirecte. Y aura-t-il dans l’avenir des changements dans la répartition des rôles entre majors, juniors et entreprises nationales ? Il y a aujourd’hui une trentaine d’acteurs sur le continent, alors qu’ils n’étaient qu’une poignée au début du siècle. La chaîne complète de l’activité

LA BIBLE DU PÉTROLE AFRICAIN DUNCAN CLARKE EST NÉ EN AFRIQUE et a parcouru plus de 44 pays pour ses recherches. Il est notamment l’auteur de The Struggle for Africa’s Oil Prize*, une bible de 700 pages qui détaille près de quarante ans de bataille pour le pétrole africain, du Cap au Caire. Tel un safari à travers le continent, le récit de Duncan Clarke guide le lecteur dans les coulisses de la conquête du brut africain, avec force détails et anecdotes, tantôt humoristiques – « les multinationales mangent du pétrole africain au déjeuner » –, tantôt pathétiques. Des majors aux superstars du secteur, en passant par les naïfs experts des Nations unies et autres journalistes, personne n’échappe à la plume experte de l’auteur. Jusqu’aux scandales qui émaillent les relations entre les compagnies pétrolières et les États : le contrat de 500 millions de dollars qui aurait permis l’achat d’armes en pleine guerre civile en Angola en est un exemple. ■ M.P. * Africa: Crude Continent. The Struggle for Africa’s Oil Prize, Profile Books, 2010, 704 pages (uniquement en anglais), 15 livres sterling (soit environ 17,70 euros).

en provenance de 20 pays –, leur taille et leur portée régionale vont s’accroître. Nous pouvons nous attendre à ce que les groupes pétroliers nationaux africains, dont certains ont déjà commencé une incursion hors de leur pays d’origine – Sonatrach, Sonangol, Petroci… –, deviennent des investisseurs de plus en plus importants sur le continent. Dans le futur, les partenariats entre les sociétés d’État et les sociétés privées vont s’accroître. Certaines velléités nationalistes laissent à penser que le continent souhaite reprendre la main sur l’extraction de ses ressources. Qu’en est-il réellement ? Pour l’instant, il y a de tout : certains pays s’ouvrent et mettent en place des agences neutres pour délivrer les licences, d’autres prévoient d’augmenter les taxes et les royalties, ferment les opportunités, limitent les appels d’offres à des négociations bilatérales… De manière générale, il y a une tendance à vouloir mieux contrôler, mais pas encore de nationalisations en vue. Cependant, il y a bien une vague naissante de nationalisme en Afrique, et la nouvelle loi nigériane sur le secteur pétrolier [Petroleum Industry Bill, PIB] en est une illustration. C’est à mon avis peu judicieux. L’Afrique doit avoir une vision de long terme basée sur la compétitivité et le besoin d’attirer un maximum d’investissements pour débloquer le capital naturel du continent. Une régulation excessive coûte cher et est un fardeau qui gène les investisseurs. L’Afrique ne doit pas oublier qu’elle n’est pas seule au monde, il y a d’autres opportunités : l’Irak, le Kurdistan, le Brésil, la Colombie, l’Asie… ■ Propos recueillis par MICHAEL PAURON et PASCAL AIRAULT

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Communiqué

BIAO-CI FAIT SON ENTRÉE DANS LE FINANCEMENT DES ENTREPRISES Afreximbank et BIAO-CI apportent 144 millions de dollars à la SIR et la SMB vont financer à hauteur de 80 millions de dollars les approvisionnements en pétrole brut de la SIR, première entreprise industrielle de Côte d’Ivoire par le chiffre d’affaires. La SIR assure le raffinage et l’approvisionnement du pays en produits pétroliers. Elle exporte ses productions dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Signature des C Conventions Signat ention entre nt le Consortium C ortium BIAO-CI-AFREXIM BANK et la SIR et SMB. SMB

P

our son premier montage financier au service des entreprises, la BIAO-CI s’est associée à un établissement panafricain de premier plan, Afreximbank. Créée et soutenue par 36 États d’Afrique subsaharienne ou leurs banques centrales, Afreximbank est principalement chargée de promouvoir le commerce intra-africain. BIAO-CI et Afreximbank ont élaboré une ligne de crédit totalisant 144 millions de dollars (environ 71,5 milliards de F CFA) pour les besoins de la SIR (Société Ivoi-

M. Martin Essoh DJEDJES DG de la BIAO Côte d’Ivoire

rienne de Raffinage) et de la SMB (Société Multinationale de Bitume). Un « mégafinancement », s’est félicité Martin DJEDJES, administrateur-directeur général de la BIAO-CI, à l’occasion de la signature officielle de la convention de crédit, le 4 octobre à Abidjan. « Pour la première fois, il provient de banques d’Afrique subsaharienne et pas des seules banques des pays industrialisés », ont ajouté Joël DERVAIN, directeur général de la SIR, et Thomas CAMARA, directeur général de la SMB. Dans ce cadre, BIAO-CI et Afreximbank

M. Joël DERVAIN DG de la SIR

Quant à la SMB, qui produit des bitumes routiers, notamment, et les commercialise sur les marchés sous-régionaux, avec l’ambition de desservir bientôt l’Afrique centrale, ses approvisionnements en distillat de pétrole sont financés à hauteur de 64 millions de dollars par la ligne de crédit mise en place par BIAO-CI et Afreximbank. Martin DJEDJES, administrateur-directeur général de la BIAO-CI, voit dans cette opération le signe que la banque qu’il dirige dispose de l’expertise humaine et des ressources financières lui permettant de faire face à la complexité de montages financiers aussi ambitieux. « Nous pouvons désormais mettre à la disposition des grands opérateurs économiques les moyens adéquats nécessaires à leur développement. »

M.Thomas CAMARA DG de la SMB

BIAO-CI 8-10 Avenue Joseph Anoma, Abidjan - Plateau 01 BP 1274, Abidjan 01 Tél. : +225 20 20 07 20 - Fax : +225 20 20 07 00 - Email : info@biao.ci - Site web : w w w. b i a o . c i


MEDGAZ

140 DOSSIER

Le gazoduc Medgaz doit relier l’Algérie à l’Espagne (ici à Almería, en 2008).

AFRIQUE DU NORD

Émulation gazière

BP SE RETIRE, TOTAL INVESTIT

A PRÈS DEUX ANNÉES DE CHUTE DE LA DEMANDE, A LGER, LE CAIRE, TRIPOLI ET DÉSORMAIS TUNIS ENTENDENT DÉVELOPPER LEUR POTENTIEL ET EXPORTER VERS L’EUROPE ET L’A SIE. AU RISQUE DE SE CONCURRENCER.

L

a crise économique n’a pas atténué l’intérêt de l’Afrique du Nord pour ses ressources en gaz. Au contraire. L’hégémonie algérienne pourrait même être menacée à terme par ses voisins. Et les efforts réalisés par Alger pour relancer l’exploration et assainir la machine Sonatrach (voir p. 147) sont une preuve, s’il en faut, de l’anxiété du quatrième fournisseur de gaz de l’Europe. L’Égypte et la Libye apparaissent désormais comme de sérieux concurrents : les réserves du Caire ont quasiment doublé en dix ans, pour atteindre 2 200 milliards de m3 aujourd’hui, quand celles d’Alger stagnent autour de 4 500 milliards de m3. Les productions libyenne et égyptienne ont doublé en cinq ans, respectivement à 15,3 milliards et 62,7 milliards de m3 par an, contre 81,4 milliards pour l’Algérie. Et la Tunisie elle-même ambitionne de devenir une exportatrice, certes modeste, grâce à ses dernières découvertes. Sa production actuelle est de 2,4 milliards de m3 par an, et l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (Etap) a annoncé une augmentation de celle-ci afin d’assurer l’exportation de 4 millions de m3 par jour, fin 2012, vers

usine. Les prix ont été divisés par cinq, tombant à 4 dollars. Une chute accentuée par la crise économique mondiale et la baisse de la consommation, notamment industrielle. Est-ce la raison pour laquelle le gazoduc Medgaz, qui reliera l’Algérie à l’Espagne, a pris tant de retard ? Long de plus de 1 000 km pour un coût total de 900 millions d’euros (dont 500 millions prêtés par la Banque européenne d’investissement), le pipeline, qui transportera 8 milliards de m3 par an, est financé par un consortium regroupant Sonatrach, Gaz de France et les espagnols Cepsa, Iberdrola et Endesa. Le projet, prévu pour 2011 après avoir été repoussé depuis 2009, est largement soutenu par l’Europe, qui veut diversifier ses approvisionnements et réduire sa dépendance au gaz russe.

l’Italie : via Transmed (un pipeline qui vient d’Algérie et qui passe sur le territoire tunisien) pour les deux tiers, sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL) pour le reste. « Il y a une vraie émulation dans le secteur gazier », affirme David Kaplan, analyste chez Barclays Capital. L’année 2010 semble avoir balayé tous les doutes qui s’étaient emparés des pétroliers depuis un événement qualifié de « bouleversement gigantesque » par Paolo Scaroni, le patron de l’italien ENI : l’exploitation des gaz de schiste américains (emprisonnés dans la roche) avait permis de revoir à la hausse les réserves des États-Unis. Lesquelles ont, de fait, plus que doublé. Le pays, devenu autosuffisant, a annulé tous ses projets d’importation et plongé les prix sur le marché à court terme (principalement du GNL) dans une dépression de près de deux années. « Tous les projets de GNL ont été annulés ou retardés », rappelle Paolo Scaroni. L’Algérie a même décidé de passer par les installations égyptiennes pour transformer son gaz en GNL plutôt que d’investir dans une

Au final, les compagnies sont tout de même restées au Maghreb, hormis British Petroleum (BP), englué dans la marée noire du golfe du Mexique : il devrait quitter l’Algérie en vendant ses actifs et prévoit des retards sur ses investissements en Libye. Pour sa part, Total a annoncé cette année un investissement de 1,5 milliard d’euros pour le champ d’Ahnet, en Algérie. « Aujourd’hui, on a l’impression que ça va mieux », estime Paolo Scaroni. Les cours sont remontés autour de 7 dollars et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit un prix autour de 10 ou 11 dollars d’ici à cinq ou dix ans. « Le marché à court terme a quelques difficultés, a avoué le nouveau

L’hégémonie algérienne pourrait, à terme, être menacée par ses voisins maghrébins. ministre algérien de l’Énergie, Youcef Yousfi. Mais ce sera OK dans un futur proche. » Car les perspectives sont là. Pour l’AIE, « le gaz naturel est certainement appelé à jouer un rôle essentiel pour répondre aux besoins énergétiques mondiaux pendant au moins les deux décennies et demie à venir », et la demande devrait croître de 44 % d’ici à 2035. Une croissance tirée par la Chine, qui « pourrait nous faire entrer dans l’âge d’or du gaz », anticipe l’AIE. ■ MICHAEL PAURON

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HYDROCARBURES DOSSIER 141

En Tunisie, les juniors en tête de la relance CELA RESSEMBLERAIT presque à une ruée vers les hydrocarbures. Face à la baisse de la production nationale à la fin des années 1990 et au désamour des compagnies internationales, qui ont préféré investir ailleurs sur le continent, le gouvernement tunisien a consenti, dès 2000, des facilités fiscales aux compagnies étrangères qui formaient des joint-ventures avec l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (Etap). Dix ans après, plus d’une cinquantaine de majors, aux côtés de compagnies tunisiennes (Sergaz, Sotrapil…), ont obtenu pas moins de 54 permis d’exploration – dont 10 en offshore. En trois ans, les investissements ont plus que quintuplé, à 1,4 milliard d’euros en 2008 (contre 250 millions en 2005), et représentent aujourd’hui 60 % des investissements directs étrangers. La production annuelle est passée de 26 millions de barils de pétrole en 2005 à 31 millions en 2009. Et le pays

annonce déjà un doublement en 2010, à 60 millions de barils. UN SECTEUR REDYNAMISÉ

Dopées par un prix du baril élevé, ce sont surtout les juniors, venues en nombre, qui créent la surprise. Dans le sillage de l’amér icain Pioneer Natural Resources, les canadiens Eurogas et Candax et le suédois PA Resources ont par exemple lancé diverses opérations de prospection et de forage. Samuel Ciszuk, analyste chez IHS Global Insight, spécialiste de l’énergie au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, fait remarquer que « la Tunisie n’a jamais été un gros producteur de pétrole. Par conséquent, le pays vise les entreprises de petite taille », qui ont du mal à se faire une place ailleurs au milieu des majors.

La Tunisie peut désormais se targuer d’avoir redynamisé un secteur hier endormi. Avec une moyenne annuelle de 30 puits forés depuis cinq ans, contre 19 pour le quinquennat précédent, le pays a doublé ses réserves prouvées : 600 millions de barils

En quatre ans, le pays a doublé ses réserves prouvées, à 600 millions de barils.

15TH EDITION CONFERENCE & EXHIBITION

aujourd’hui, contre 300 millions en 2007. Sur les dix gisements découverts, principalement dans le Sud tunisien, le site de Jenin, exploré par différents concessionnaires dont le canadien Chinook et l’autrichien OMV, est parmi les plus prometteurs en gaz et en pétrole. ■ FRIDA DAHMANI, à Tunis

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142 DOSSIER HYDROCARBURES GABON

La moindre goutte compte LES AUTORITÉS PARIENT SUR LA MISE EN VALEUR DES CHAMPS MARGINAUX

– MAIS AUSSI SUR D’ÉVENTUELLES DÉCOUVERTES OFFSHORE

POUR RETROUVER LE NIVEAU DE

PRODUCTION D’ANTAN.

À

KALEMBE/PRESSE PRÉSIDENTIELLE

Koula, petit vill a g e du d é p a rtement de Ndo lou (prov ince de Ngoun ié, da ns le sud du Gab on), c e ve nd r e d i 10 décembre est un grand Le président Ali Bongo Ondimba, le PDG de Shell Gabon Adrian Drewett, et le ministre jour. Après plusieurs reports, du Pétrole Julien Nkoghé Békalé, lors de l’inauguration du champ de Koula, le 10 décembre. l’inauguration officielle par A li Bongo Ondimba d’un nouveau champ pétrolier a finalede 250 000 b/j, selon les statistiques aujourd’hui sixième. « Des pays comme ment lieu. Dans les rangs des salariés officielles. À défaut d’une découverte le Nigeria demeurent des puissances du site flambant neuf opéré par Shell majeure qui permettrait de relancer pétrolières parce qu’ils mettent en Gabon, Sinopec et Addax Petroleum significativement le secteur, les mots valeur tous les gisements, aussi petits Gabon (filiale à 100 % de Sinopec), d’ordre du secteur pétrolier gabonais soient-ils », affirme un cadre de Sinoon se félicite de la venue du président restent pour l’heure la mise en valeur pec. S’il tient ses promesses et si les et d’une partie du gouvernement. Du des champs marginaux et l’utilisaautres champs en exploitation dans le côté des autorités, on affirme que le tion de nouvelles technologies pour pays maintiennent leur niveau de prodéplacement du chef de l’État pour accroître la production des champs duction, Koula (25 000 b/j à terme), inaugurer un champ dont les résermatures. « Nous avons initié une qui a nécessité un investissement de ves sont pourtant assez modestes politique fiscale particulièrement plus de 250 millions de dollars sur incitative en direction cinq ans (plus de 190 millions d’euros), des entreprises juniors permettrait au Gabon d’accroître l’enpour favoriser le dévesemble de sa production quotidienne loppement des champs d’environ 10 %. m a r g i n au x . E t c ’e s t cette politique qui nous SHELL ET TOTAL TRÈS ACTIFS permet aujourd’hui de À quelques kilomètres de ce noumaintenir le niveau de veau champ, un autre « petit gisement, (41 millions de barils récupérables la production. Car, parfois, les majors à Damier, de 3 millions à 4 millions de sur 80 millions) est une preuve de son se désintéressent de ces champs qu’elbarils, pourrait également entrer en soutien aux acteurs d’une industrie les estiment peu rentables », explique production dans les cinq prochaines vitale pour l’économie du pays. Julien Nkoghé Békalé, le ministre années », affirme Francis Shaw, direcIl faut dire que la production pétrogabonais des Mines, du Pétrole et des teur technique de Shell Gabon. Le lière du Gabon stagne depuis quelques Hydrocarbures. groupe anglo-néerlandais, deuxième années. De 371 000 barils par jour Le développement de petits giseopérateur du pays avec une produc(b/j) en 1997, elle a progressivement ments est donc plus que bienvenu tion journalière de 65 000 b/j, entend baissé pour s’établir à 243 000 b/j pour le Gabon, autrefois troisième proainsi redevenir le numéro un, devant en 2007. Depuis, elle tourne autour ducteur d’Afrique subsaharienne, et Total Gabon (environ 71 000 b/j).

Depuis le début de 2010, 42 blocs du domaine pétrolier sous-marin sont à vendre.

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DOSSIER 143 Le Gabon entend donc optimiser la production des gisements déjà mis au jour. Et si la dernière découverte majeure dans le pays a été réalisée en terre par Shell Gabon en 1985 (le champ de Rabi-Kounga, avec plus de 1,2 milliard de barils), les autorités espèrent que la prochaine se fera en eau profonde et très profonde. « D’ici à fin 2011, il y aura certainement les premiers forages sur les blocs BC9 et BCD10 de Shell et sur le permis Diaba de Total », avance un ingénieur de la direction générale des Hydrocarbures. Les deux opérateurs ont annoncé d’importants investissements pour accroître les réserves du pays. En juillet, le français Total a ainsi indiqué qu’il allait débourser 1,4 milliard d’euros pour pérenniser ses installations et accéder à de nouvelles ressources sur le champ d’Anguille (offshore), situé au large de Port-Gentil. CAP SUR L’OFFSHORE

Par ailleurs, un appel d’offres a été lancé début 2010 pour la vente de 42 blocs du domaine pétrolier sousmarin, avant d’être finalement annulé au profit d’un marché de gré à gré. Au gouvernement, on parle de « changement de stratégie ». Selon Julien Nkoghé Békalé, « l’exploration en mer profonde et très profonde demande de grands investissements, avec un niveau de risque élevé. Nous avons souhaité discuter directement avec les sociétés intéressées pour qu’elles apprécient librement ces risques avant de s’engager ». Mais certains observateurs du secteur affirment que le Gabon a dû faire machine arrière parce que les opérateurs seraient plutôt attirés par les gisements déjà découverts, notam-

UNE COMPAGNIE NATIONALE DANS LES TUYAUX SEUL PAYS PRODUCTEUR DE PÉTROLE D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE à ne pas disposer de sa propre compagnie nationale, le Gabon a décidé, début 2010, de mettre fin à cette particularité. En mars, les autorités gabonaises ont ainsi annoncé la création de la Société nationale d’hydrocarbures (SNH), qui aura pour mission de gérer et de contrôler la part de l’État dans la production pétrolière du pays. « Cette décision est irréversible. Les démarches administratives sont en cours pour donner rapidement une existence légale à cette société », indique-t-on au gouvernement. Mais d’ores et déjà, on sait que la compagnie sera détenue à 100 % par l’État et fonctionnera comme une société privée avec une autonomie de gestion. Elle devra toutefois rendre des comptes aux autorités, voire à l’Assemblée nationale. La Banque mondiale a même proposé son assistance au Gabon pour la mise en place de cette société. ■ S.B. ment au large de la côte ouest-africaine. Cette analyse est contestée par un géophysicien gabonais pour qui « la géologie de l’offshore profond et très profond du Gabon présente les mêmes caractéristiques que celle de la Guinée équatoriale. Conséquence : les chances d’une importante découverte sont grandes ». Le pays de Teodoro Obiang Nguema, avec près de 350 000 barils produits quotidiennement, est en effet devenu le quatrième producteur d’or noir en Afrique subsaharienne, devant le Gabon et derrière le Nigeria, l’Angola et le Soudan, grâce à ses gisements sous-marins. De sources officielles, outre Total et Shell, plusieurs autres majors, parmi lesquelles Petrobras, Statoil, Exxon Mobil et Chev ron, ont également manifesté leur intérêt pour les blocs offshore gabonais. D’ailleurs, « trois blocs en mer profonde baptisés “Gryphon” ont déjà trouvé preneurs et le contrat d’exploration et de partage

de production ne devrait pas tarder à être signé », affirme Alilat Antseleve-Oyima, responsable de la direction des hydrocarbures, qui ne souhaite toutefois pas communiquer les noms des acquéreurs. Autre argument avancé pour expliquer le « changement de stratégie » dans le processus de cession des blocs d’exploration sous-marins : le code minier en cours d’élaboration. « Nous ne pouvons pas faire appel aux investisseurs sans leur fournir les contours exacts du cadre dans lequel ils vont exercer leurs activités », explique le ministre Julien Nkoghé Békalé. Le code minier actuellement en vigueur a été élaboré en 1962 et ne régit que les activités d’exploration et de production en onshore et en offshore conventionnel. Le nouveau devrait n o t a m m e nt p r e n d r e e n c omp t e l’offshore non conventionnel ■ STÉPHANE BALLONG ,

envoyé spécial à Libreville

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144 DOSSIER HYDROCARBURES CÔTE DʼIVOIRE

Au-delà de la distribution de pétrole et de gaz butane – sous-secteur dans lequel Petroci est leader –, la compagnie a créé, en 2005, une filiale américaine qui exploite le champ pétrolier de Bay Springs, dans l’État du Mississippi (414 barils par jour). En 2009, elle a acquis 20 % d’un consortium chargé de l’exploitation d’un gisement pétrolier dans le bassin du Congo, aux côtés de la Société nationale des pétroles du CongoBrazzaville (40 %), du canadien Prevail Energy (20 %) et du sud-africain Petrosa (20 %).

Petroci, du pétrole et beaucoup dʼidées

La firme affiche une ambition hégémonique sur le marché ivoirien des hydrocarbures.

DE LA CRÉATION D’UNE FILIALE AMÉRICAINE À L’EXPÉRIMENTATION DU GAZ NATUREL COMME CARBURANT AUTOMOBILE, L’ENTREPRISE PUBLIQUE A ENGAGÉ UNE STRATÉGIE DE DIVERSIFICATION

AUDACIEUSE.

E

ET CRITIQUÉE.

n pleine crise politique ivoir ienne, le rebranding est passé presque inaperçu, Les stations-service de la Société nationale d’opérations pétrolières (Petroci) portent désormais un nom à sonorité très anglophone : Corlay. Derrière cette nouvelle appellation se cache une alliance avec le groupe nigérian MRS : Corlay est contrôlé à 87 % par le partenaire nigérian et à 13 % par la compagnie d’État ivoirienne. La nouvelle entité est présente dans six pays et son réseau compte 600 stations-service, dont les deux tiers au Nigeria. Sur le marché national, Corlay-CI Petroci se trouve renforcé. Après absorption du groupe Texaco Côte d’Ivoire, la filiale de la compagnie publique a quasiment doublé la taille de son réseau, avec désormais une centaine de points de distribution de produits pétroliers.

Cette transaction assez complexe témoigne de l’inf lexion de la stratégie de Petroci, qui affiche de plus en plus son ambition hégémonique dans le monde des hydrocarbures en Côte d’Ivoire. Historiquement, la firme est l’opérateur technique de l’État dans le secteur et centralise les participations publiques au sein des compagnies pétrolières qui ont pignon sur rue, notamment Afren (Nigeria), Canadian National Resources (CNR) et Foxtrot International (filiale du français Bouygues). Petroci représente également l’État au sein du conseil d’administration de la Société ivoirienne de raffinage (SIR). Depuis quelques années, l’entreprise publique réinvestit massivement dans un certain nombre de secteurs soigneusement choisis.

A. RAMASORE/GALBE.COM

UN OLÉODUC VERS LE MALI

Petroci multiplie les projets. La mise en place de l’oléoduc AbidjanBouaké, dont la vocation à long terme est de s’étendre vers le Burkina Faso et le Mali, est lancée depuis septembre 2007 et avance vite. Petroci envisageait également de bâtir une raffinerie d’une capacité de 60 000 tonnes par jour avec des partenaires américains, mais la conjoncture semble désormais défavorable à ce projet. Enfin, en partenariat avec la Sotra, société publique de transport urbain, Petroci expérimente l’utilisation du gaz naturel (que la Côte d’Ivoire produit) comme carburant pour les véhicules. L’ambitieuse stratégie de diversification de l’entreprise publique n’est pas du goût de tous les acteurs et observateurs du secteur. « Petroci pourrait aider la SIR à faire face à ses nombreuses difficultés au lieu de se disperser ainsi », persif lent certains experts. En effet, la SIR, première entreprise ivoirienne, contrôlée majoritairement par l’État à tra-

D’aucuns lui reprochent de se disperser au lieu de soutenir la Société ivoirienne de raffinage. vers Petroci, croule sous une dette de 300 millions d’euros et un déficit de 56 millions d’euros en 2009, pour un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros. Petroci a, quant à lui, réalisé l’année dernière un chiffre d’affaires de 313 millions d’euros et une marge bénéficiaire de 48 millions d’euros. ■ THÉOPHILE KOUAMOUO, à Abidjan

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HYDROCARBURES DOSSIER 147 PORTRAIT

Noureddine Cherouati, Monsieur Éthique de Sonatrach DU GROUPE ALGÉRIEN

S’EMPLOIE DEPUIS HUIT MOIS À FAIRE OUBLIER LES AFFAIRES QUI ONT ÉBRANLÉ L’ANCIENNE DIRECTION.

L A REMISE À NIVEAU DE L’OUTIL DE PRODUCTION EST SON AUTRE AMBITION.

Q

uand Noureddine Cherouati est installé, le 3 mai, à la tête de Sonatrach, le groupe pétrolier public algérien vit un véritable traumatisme. Dévoilé en début d’année, un scandale financier a emporté son PDG, Mohamed Meziane, et trois de ses quatre vice-présidents. L’affaire a fait grand bruit, Meziane a été débarqué et mis en examen, ses deux fils et plusieurs cadres de Sonatrach ont été incarcérés. Priorité du nouveau patron: rassurer les 18000 cadres de la maison, quelque peu déstabilisés, lancer un audit sur les 2 000 marchés en cours de réalisation initiés par l’ancien staff et, enfin, relancer la machine Sonatrach. Quelques mois suffiront à cet « oulid Sonatrach », ce fils de la boîte, pour réaliser ces trois défis. Né en septembre 1948 dans le village balnéaire de Fouka (à 50 km à l’ouest d’Alger), Noureddine Cherouati intègre Sonatrach à l’âge de 23 ans. Fraîchement diplômé de Polytech, prestigieuse école de la capitale, il fait partie de la « génération nationalisation » – formule qui désigne les cadres algériens de Sonatrach recrutés en 1971, année au cours de laquelle le président Houari Boumédiène a nationalisé la filière hydrocarbures au détriment des français Total et Elf. Sa carrière alterne entre postes en amont et en aval, entre sites de production et administration. Il dirige en outre la plus grosse filiale de Sonatrach, Naftal (distribution de produits pétroliers), et représente les intérêts du groupe dans les opérations de partenariat à l’étranger

les complexes pétrochimiques d’Arzew et de Skikda, il s’est attelé à l’opération de moralisation, avec la conception d’un code éthique. Opposable à l’ensemble des partenaires du groupe et des soumissionnaires qui postulent aux avis d’appel d’offres lancés par l’entreprise, ce document enrichit désormais la réglementation interne de Sonatrach. Sous la direction de Cherouati, le groupe devra payer au Trésor public, au titre de la fiscalité pétrolière, pas moins de 20 milliards de dollars (15 milliards d’euros) en 2010. C’est dire que la production n’a pas trop Noureddine Cherouati a été nommé PDG le 3 mai. souf fer t de l’épisode judiciaire du début de (par exemple, à Rome, la société Maril’année. Par ailleurs, le groupe annonce consult, avec l’italien ENI). avoir fait neuf découvertes prometteuCherouati touche également à la ses, dont sept en Algérie et deux dans la politique quand, en 1992, il devient région de Ghadamès (à 650 km au suddirecteur de cabinet du ministre de ouest de Tripoli, en partenariat avec la l’Industrie, Abdenour Keramane, ou libyen National Oil Corporation). quand, en 2002, il assure le secrétariat Les ambitions de Cherouati pour général du ministère des Mines et de 2011 sont de remettre à niveau l’outil l’Énergie, portefeuille alors occupé par Chakib Khelil. Noureddine Cherouati connaît donc parfaitement Sonatrach et son environnement, ainsi que le personnel politique et les milieux industriel de Sonatrach, notamment les pétroliers internationaux. Bref, pour raffineries d’Alger (contrat de 908 mille président Abdelaziz Bouteflika, il est lions de dollars avec le français Techl’homme de la situation. nip) et de Skikda, et de lancer, enfin, le projet de grande raffinerie à Tiaret. OPÉRATION DE MORALISATION Autre dossier délicat à gérer : la volaHuit mois après sa nomination à tilité des prix du gaz naturel liquéfié la tête de la première entreprise afri(GNL) sur le marché international, qui caine, quel premier bilan peut revenimpacte fortement Sonatrach, quatrièdiquer Noureddine Cherouati ? Après me exportateur mondial. ■ avoir restructuré la direction, sillonné CHERIF OUAZANI les sites de production dans le Sud et

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LOUIZA AMMI/LIBERTÉ

LE NOUVEAU PATRON

Familier de l’entreprise et des milieux politiques et pétroliers, il est l’homme de la situation.


148 DOSSIER HYDROCARBURES RESSOURCES HUMAINES

l’eau et de l’environnement (2IE) au Burkina Faso ou l’université de Wits en Afrique du Sud ont déjà été signés –, une grande partie des ingénieurs africains continuent d’être formés hors du continent, en France, aux États-Unis ou au Royaume-Uni. La crise mondiale, durement ressentie en Occident, en a poussé un certain nombre à revenir en Afrique, à la grande joie des recruteurs locaux.

Champ libre pour les managers locaux LES COMPAGNIES PÉTROLIÈRES EMBAUCHENT DE PLUS EN PLUS D’A FRICAINS À DES POSTES D’INGÉNIEURS OU DE CADRES DIRIGEANTS. UNE ÉVOLUTION GUIDÉE PAR DES CONTRAINTES RÉGLEMENTAIRES, SOCIALES ET FINANCIÈRES.

ANDERSEN ROSS

Fonctions dirigeantes ou postes à vocation technique: tous les échelons profitent de l’africanisation des effectifs.

«

I

l y a cinq ans, l’africanisation des effectifs restait un sujet de colloque. Aujourd’hui, les directeurs des ressources humaines [DRH] du secteur pétrolier viennent dans mon bureau pour recruter des talents locaux. » Paul Mercier, directeur général du cabinet de recrutement Michael Page Africa, en est persuadé : les mentalités évoluent et, avec elles, les politiques d’embauche et de promotion des compagnies occidentales. Le recours aux expatriés n’est plus systématique, loin de là. Un changement de cap dans lequel les gouvernements africains ont joué un rôle de premier plan, en imposant des quotas pour les salariés nationaux dans les majors et chez leurs sous-traitants. Ce fut d’abord le cas en Angola à partir de 2003, puis en Guinée équatoriale, au Nigeria et au Ghana. Bien sûr, la mesure n’est pas sans poser des difficultés, « notamment en Angola, un pays dévasté par la guerre », explique Alexandre Fabre, directeur associé du cabinet de recrutement Adexen. Et même au Nigeria, où la population est très importante, l’objectif fixé par les autorités publiques – 70 % des effectifs pour 2010 – n’a été finalement qu’à moitié atteint.

MOINS CHER QU’UN EXPATRIÉ

Tous les échelons profitent de cette évolution, y compris les fonctions dirigeantes. Parmi les multinationales les plus en pointe, les professionnels du recrutement citent Shell, British Gas, Afren pour les compagnies, Transocean, Schlumberger ou Acergy pour les sociétés de services. De nombreux Africains occupent les fonctions de DRH ou de responsable de la communication dans les filiales des grands groupes. C’est le cas d’Abdelkrim Sekkak, DRH de Shell Maroc depuis 2003, ou de son homologue Cyriaque Bibang, chez Total Gabon depuis 2008. Avantage : mieux qu’un expatrié, l’enfant du pays saura comprendre les enjeux locaux, négocier avec un syndicaliste ou un ministre. Pour les postes à vocation technique, cela reste plus difficile, admet Tony Brisset, DRH Afrique et Moyen-Orient du groupe Total pour la division marketing et raffinage. La faute à des cursus locaux pas encore au niveau des meilleurs. Si Total incite depuis quelques mois ses filiales à se rapprocher des meilleures formations africaines – des accords avec l’Institut international d’ingénierie de

Tenant compte de toutes leurs contraintes réglementaires, sociales et financières, les majors se sont engagées dans des stratégies de ressources humaines à long terme pour développer leur réservoir de managers locaux. En Angola, Total dépense ainsi 30 millions d’euros par an pour former son personnel et vient d’annoncer la création d’un Institut du pétrole au Gabon. Pour les cadres dirigeants, cela prend plus d’une dizaine d’années pendant lesquelles l’élu va parfaire ses compétences en travaillant dans différentes filiales du groupe, mais aussi au siège. Ainsi Total suit environ 250 hauts potentiels africains qui, un jour, seront amenés, comme Antonin Fotso, secrétaire général Afrique de la branche exploration et production, à occuper les plus hautes fonctions au niveau régional. Reste qu’aujourd’hui, moins de 50 % des directeurs généraux des filiales du groupe français sur le continent sont des Africains. Les activités « aval » (raffinage et distribution) sont celles où l’africanisation du management a été la plus importante. Pourquoi? Parce que les marges des compagnies y sont moins grandes et que les talents locaux restent beaucoup moins chers que les expatriés occidentaux. Un manager camerounais travaillant au

En Angola, Total dépense 30 millions d’euros par an pour former son personnel. Gabon sera en effet payé, hors avantages (logement, assurances, scolarité des enfants…), « 30 % à 40 % moins cher que son homologue français », reconnaît Patrice Kombot-Naguemon, du cabinet Michael Page. Le niveau de vie du pays d’origine et l’éloignement du salarié par rapport à ce dernier sont autant de critères qui expliquent cette différence. ■ JULIEN CLÉMENÇOT

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Collections

150 LIRE, ÉCOUTER, VOIR

À g.: Alassane Ouattara; ci-dessus, de g. à dr.: Léopold Sédar Senghor, Étienne Tshisekedi; ci-dessous et ci-contre : Omar Bongo Ondimba; page de droite: François Tombalbaye, Jean-Bedel et Catherine Bokassa, Gnassingbé Eyadéma.

AUTREMENT Le continent se collectionne sous toutes ses formes : pagnes à effigie, vinyles des années 1970, perles multiséculaires... Autant de manières originales de conserver le patrimoine culturel africain. À découvrir.

Dossier coordonné par SÉVERINE KODJO-GRANDVAUX

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ls aiment l’Afrique passionnément. Et y consacrent l’essentiel de leur temps (toujours) et de leur fortune (parfois). À la recherche de la pièce unique ou de l’objet rare. Amateurs ou professionnels, ces collectionneurs d’un genre particulier construisent une Afrique haute en couleur. Point de masques ou de tableaux, mais des tissus, des disques et des perles qui témoignent d’un patrimoine et d’une créativité intarissables.

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PHOTOS : BERNARD COLLET

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L'AFRIQUE Compilées à partir d’objets a priori ordinaires, ces collections du quotidien n’en apportent pas moins de riches enseignements. Les pagnes « à effigie », tissus imprimés en l’honneur d’un chef d’État ou d’un dirigeant de parti, montrent à quel point le politique peut envahir la rue. Créés à l’occasion de cérémonies particulières, ils sont ensuite portés pour aller au marché, au bureau ou à l’église. On affiche alors son engagement et l’on se transforme en un magnifique « espace publicitaire ». Ces étoffes confirment que le pouvoir ne se partage pas : les

femmes qui ont un pagne à leur effigie font figure d’exception. AU GOÛT DU JOUR

Reflets d’un statut social ou matrimonial, symboles de richesse, les perles nous en disent long sur l’histoire du continent. Inventés par les Égyptiens au Ve siècle avant J.-C., perfectionnées par les Italiens, les millefiori sont arrivées en Afrique de l’Ouest au XVIIIe siècle, troquées contre des esclaves. Depuis, elles ont dessiné une esthétique africaine chatoyante que l’on retrouve sur les pochettes des vinyles des années

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1970. C’est l’époque de la star ivoirienne Soro Ngana et du père du jazz éthiopien, Mulatu Astatke, du highlife ghanéen et de l’afrobeat nigérian. Autant de styles qui reviennent au goût du jour. Le combo d’afro-funk béninois, le Tout-Puissant Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou, prépare son grand retour sur la scène internationale pour début 2011, après vingt ans d’absence. Ce qui ne manquera pas d’apporter un regain d’intérêt pour ces pépites des années 1970 dont les prix peuvent parfois atteindre quelques milliers d’euros… ■


152 LIRE, ÉCOUTER, VOIR

Chasseur de têtes

L

ibreville, 1970. Une vieille dame marche le long de la route goudronnée qui mène à l’aéroport. Elle arbore une tenue aux couleurs chatoyantes. Dans le dos, imprimé au milieu des figures géométriques du pagne, un médaillon encercle une photographie de Charles de Gaulle. Sur le buste, un autre président honoré, Léon Mba. Bernard Collet l’observe, amusé. Une image « sympathique » qui lui donnera envie, dix-sept ans plus tard, de collectionner les pagnes à l’effigie de chefs d’État subsahariens. À ce jour, il en possède entre 350 et 400, dont trente-cinq sont exposés jusqu’en janvier 2011 au Musée royal de l’Afrique centrale, à Tervuren (Belgique), à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de la RD Congo. ESPACE PUBLICITAIRE

« Les pagnes à effigie sont fabriqués à diverses occasions, justifie Bernard Collet. Au moment des élections surtout, mais aussi à l’occasion de célébrations particulières, lorsqu’un pays fête son indépendance ou un président ses années de règne. Ils sont souvent édités par le groupe des femmes du parti au pouvoir ou ils sont directement commandés par les hommes politiques eux-mêmes. » La visite d’un chef d’État étranger est aussi l’une des rares occasions où deux personnages sont représentés sur un même tissu. Parmi les trésors de Bernard Collet, l’on peut en trouver un à l’effigie de François Mitterrand et d’Abdou Diouf, de Georges Pompidou et de François Tombalbaye, ou encore de Baudouin de Belgique et de Mobutu. « J’en ai même un de la reine d’Angleterre, mais toute seule, s’enorgueillit-il. Mais le plus surprenant reste celui de Charles de Gaulle et d’Ahmed Ben Bella, car c’est le seul que je possède avec un chef d’État maghrébin, mais je n’ai, hélas, aucune indication me permettant de le dater. »

Véronique, la gérante congolaise de la boutique de textile Parilux, en plein cœur de Château-Rouge, quartier africain de la capitale française, est devenue l’une des principales sources d’approvisionnement du collectionneur. Deux ou trois séjours sur le continent, mais aussi des amis missionnés, une femme ex-navigante chez Air France et quelques rabatteurs à Lomé et à Abidjan, lui ont permis d’étoffer sa collection. Avec environ 80 tissus semblables, il échange aussi parfois, mais très rarement. « En Afrique, un pagne de 5,40 m coûte entre 6 000 et 8 000 F CFA, soit autour de 10 euros. À Paris, ça vaut 30 euros », explique Bernard Collet, qui ne vend ni ne donne aucun de ses pagnes. Pas même au musée du Quai Branly: Hélène Joubert, la directrice de la collection Afrique, lui avait suggéré un don, se déclarant non « habilitée à montrer des collections privées » ; ce qu’il refusa catégoriquement. Si Bernard Collet recherche surtout les pagnes anciens, il lui est bien difficile de citer une pièce qu’il convoite particulièrement. Et pour cause, rien

VINCENT FOURNIER/J.A.

Pour raconter l’ histoire de ses pagnes, le photographe reçoit dans son appartement du 7e arrondissement parisien, où 200 étoffes sont soigneusement pliées dans un meuble ancien. « J’en stocke aussi dans mon studio de prises de vue et dans une chambre de bonne à l’étage », explique-t-il en dépliant une pièce à l’effigie de BokasEN SOUVENIR DE sa « en grande tenue ». « Je m’intéresse FRANÇOIS TOMBALBAYE uniquement aux pagnes politiques, qui EN 2003, BERNARD COLLET passe une annonce dans les quotisont majoritairement produits en Afridiens gratuits de Paris à la recherche de pièces rares. « Une dame que francophone », précise ce passionde 75 ans m’a répondu, prête à vendre né très organisé. ses cinq pagnes soigneusement pliés Chaque pagne est sur une chaise. » Son mari – décédé répertorié. Dans aujourd’hui – était « médecin colonial » ses petits classeurs et avait rapporté de ses séjours africains noirs – un par zone quelques pagnes à effigie. Le collectiongéographique –, il neur achète le lot dans lequel figure une range la photo de pièce en hommage à François Tombalchacun d’eux, avec baye. L’histoire aurait pu s’arrêter là. au dos sa proveSeulement voilà : quinze jours plus tard, nance et le numéro Bernard Collet se rend dans un laboratoidu sac dans lequel Au centre, pagne à l'effigie re photographique à Paris. Il y croise un il est rangé. « J’ai du premier président tchadien. homme qui attend sa femme et sa petite com mencé à les fille venues pour une photo d’identité. répertorier cette En discutant, il apprend qu’il est tchadien et lui parle alors de sa derannée après ma première exposition, nière acquisition. « Voici Isabelle Tombalbaye », lui répond l’homme au Tropenmuseum d’Amsterdam », en montrant du doigt son épouse. Stupéfait, Bernard Collet demande raconte-t-il. Jusqu’au mois d’août derà la fille du chef d’État ses coordonnées afin de lui envoyer une photo nier, une centaine de pagnes étaient du pagne de son père. « Je lui ai téléphoné une vingtaine de fois pour en effet exposés aux Pays-Bas dans obtenir son adresse. Sans succès… », regrette-t-il, avant de nous ce musée dédié aux arts non occidendemander de publier son adresse mail (colletbernard@hotmail.com). taux, dont 56 appartenaient à Bernard J.S. Sait-on jamais… ■ Collet.

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LIRE, ÉCOUTER, VOIR 153 n’est référencé. « Il n’y a pas d’archives, déplore-t-il. Hormis quelques articles, pas un historien ni un sociologue ne s’est spécifiquement intéressé aux pagnes politiques. » Un constat partagé par Samuel Sidibé, directeur du Musée national du Mali, à Bamako: « Il n’existe, à ma connaissance, aucun spécialiste sur le sujet, mais il y a un département du pagne africain au musée de l’Impression sur étoffes, à Mulhouse. » Difficile donc de dater l’origine de ce phénomène, mais, avant les indépendances, on en imprimait déjà. « Le plus ancien que j’ai vu, à Mulhouse, date de la création de la Fédération du Mali par Modibo Keita, poursuit Samuel Sidibé.

Il faut dire que le pagne est un formidable moyen de communication politique. Dès qu’ils le portent, les gens se transforment en espace publicitaire ! » commente Samuel Sidibé, qui vient d’ailleurs de commencer une collection de pagnes imprimés spécialement pour le cinquantenaire des indépendances. « À long terme, ils deviendront les témoins de notre époque et de ces événements », assure-t-il. EYADÉMA ET CHIRAC

Si Bamako compte deux usines de production, la plupart ont aujourd’hui disparu, mais, selon Samuel Sidibé, il en reste encore une dans chaque pays.

Il y a six ans, à Kinshasa, Bernard Collet a visité l’une d’elles, Utexafrica : les ouvriers avaient sorti pour lui tous les pagnes politiques qu’ils avaient fabriqués. « Pendant deux heures, j’ai photographié les pièces pendant qu’ils les repassaient », se remémore-t-il. « Depuis, la Chine a racheté l’usine », ajoute-t-il en rangeant un pagne à l’effigie de Gnassingbé Eyadéma et de Jacques Chirac. Une pièce emblématique, qu’il ressortira bientôt. Fin 2011-début 2012, ses pagnes sur les « rapports Europe-Afrique » seront exposés à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, à Paris. ■ JUSTINE SPIEGEL

Des galettes pour tous les goûts

VINCENT FOURNIER/J.A.

Rangés sur des étagères ou dans des cartons, quelque 30000 vinyles font la richesse de la boutique parisienne Superfly Records.

«

P

eu m'importe le support. Ce que j'aime, c'est le son, qu'il soit sur disque, cassette, CD ou lecteur MP3. » Dans la bouche d'un collectionneur de vinyles dont la réputation dépasse les frontières hexagonales, c'est une phrase qui peut faire désordre. À voir Manu Boubli, cheveux longs, gilet jaune, nonchalamment appuyé à un présentoir, on pourrait le

croire blasé. Mais derrière des lunettes à montures noires, ses yeux bruns pétillent lorsqu'il parle disques, musique, recherches et trouvailles. Un petit sourire relève les coins de sa bouche lorsqu'il se remémore la collection de bandes dessinées commencée lorsqu’il avait 15 ans, abandonnée quelques mois plus tard pour des galettes, « encombrantes, mais beaucoup plus passionnantes ». Trente ans après, il

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fait partie du cercle très fermé des collectionneursvendeurs de disques d'anthologie, microcosme qui reg roupe u ne cent a i ne de personnes en Europe. Superfly Records, le magasin qu'il possède avec son alter ego Paulo Goncalves, est devenu incontournable pour tous les aventuriers à la recherche d'artistes oubliés ou d'éditions rares. Depuis un peu plus d'un an, Superfly Records a pris ses quartiers dans le 3e arrondissement de Paris, entre grossistes de vêtements et restaurants. Dans le magasin à la décoration sobre – murs blancs, quelques pochettes accrochées en guise de décor –, des présentoirs pleins de disques, classés par genres ou par zones. En bonne place, la musique africaine des années 1970


154 LIRE, ÉCOUTER, VOIR pour redonner forme au disque, une autre pour nettoyer la galette. Pour ce qui est de la pochette, un peu de jus de poignet, un emballage dûment étiqueté, et voilà les vinyles comme neufs, prêts à rejoindre les présentoirs, puis les discothèques d'amateurs avertis. « C'est un travail d'artisan », commente Manu Boubli avec un petit sourire. Remis à neuf, les disques peuvent valoir entre 15 et 1 500 euros. De quoi faire hésiter entre un disque compact et l'écoute gratuite sur le web… « Les CD se vendent plus, c'est sûr. Mais les LUSTRE D'ANTAN vinyles, c'est un autre public », souLa délicate opération a lieu dans ligne Manu Boubli, avec un sourire la cave, dont l'éclairage au néon entendu. Le collectionneur sait de fait penser à un bloc opératoire. quoi il parle. Producteur mais aussi DJ de renom, il avoue avoir acheté, à certaines périodes, des disques MANU BOUBLI, collectionneur. « 350 jours par an ». Cela paraît compulsif ? Lui explique sa frénésie par sa faim inextinguible : Rangés sur des étagères ou dans « J'ai sans cesse envie de découvrir des cartons, quelque 30 000 disdes choses différentes. Alors j'achèques – toutes origines confondues – te et j'écoute. Et parfois qu'une seule exhalent une odeur de moisi. Des fois: il y en a tant d'autres à écouter années passées entassés dans des qu'on n’a pas forcément le temps de garages humides, ou échoués au repasser deux fois le même morsoleil sur les étals poussiéreux des ceau. » Aussi Manu Boubli ne pos« marchés par terre » des capitasède-t-il que « 8 000 vinyles, parce les africaines, ça laisse des traces. qu'il a fallu faire de la place à la Et lorsqu'un lifting s'impose, il y a maison ». ■ tout ce qu'il faut pour leur rendre MALIKA GROGA-BADA leur lustre d'antan. Une machine et 1980. Gloires éphémères ou légendes vivantes, ils sont tous là, du Nigérian Fela Anikulapo Kuti à l'Angolais Ruy Mingas, de la Zaïroise Abéti Masikini à l'Éthiopien Mahmoud Ahmed, « glanés çà et là, un peu partout dans le monde. En Afrique, mais aussi aux États-Unis et en Europe, raconte Manu Boubli. Pour trouver le disque qu'on cherche, il faut être prêt à sauter dans un avion à tout moment. Et quand les disques arrivent, ils sont parfois très abîmés, il faut les restaurer. »

« Remis à neuf, les disques peuvent valoir 1500 euros. »

POUSSÉE D’ADRÉNALINE « POUR RENTRER CHEZ MOI, raconte Manu Boubli, je passe par le boulevard Saint-Michel où se trouve le magasin Boulinier. J'aime beaucoup ce bazar parce qu'on y trouve de tout, à petit prix. En plus, vu qu'il ferme tard, il y a toujours de l'animation le soir, entre les promeneurs et ceux qui, comme moi, rentrent du travail. Une des particularités de cette enseigne, ce sont les vinyles. Ils sont tous à 1 euro, quels qu'en soient l'année, la qualité, le genre… Tous au même prix et en vrac. Un soir, alors que je jetais un coup d'œil un peu distraitement, je tombe des nues : au milieu de disques de peu d'intérêt, un disque d'anthologie : Emnete, de l'Éthiopien Mulatu Astatke, un immense jazzman. En plus, une version originale. J'étais comme fou, j'ai eu une de ces poussées d'adrénaline ! La musique de la Corne de l'Afrique s'est peu exportée, alors que, dans les années 1960, elle était très riche et très variée. Les gens me regardaient bizarrement, mais qu'importe. Ils ne pouvaient pas savoir que je venais de trouver un vrai trésor dans les bacs de Boulinier ! » ■ Propos recueillis par M.G.-B.

À la


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recherche de la perle rare

I

l la caresse du regard, la fait rouler dans sa paume, l’effleure du bout du doigt, puis la suspend dans les airs. « Elle est unique. C’est une daoud de Mauritanie. Elle a plus de 5 000 ans. Avec ses alvéoles et ses couleurs, elle est totalement psychédélique », s’extasie Patrick devant sa pièce préférée. Intense moment de plaisir qu’il ne partage qu’en de très rares occasions. Ne méritent de poser les yeux sur ses perles que ceux à qui il accorde sa confiance. En général, des passionnés comme lui, qui ne voient pas en elles de simples objets pouvant rapporter de l’argent. TROC ET ORNEMENTS

« CHERCHEUR AUTODIDACTE »

Patrick de Gorée, lui, les cherche le plus souvent sur le terrain, mais il n’en dit pas beaucoup sur ses « fournisseurs », qui sont parfois de simples compagnons de route arborant de jolies parures. Deux ou trois fois par an, il parcourt les marchés de la sous-région à bord de taxis-brousse. Sa collection compte, selon lui, des

millions de pièces trouvées, achetées ou troquées depuis son adolescence. L’on y trouve des pièces qui servaient de contrepoids pour maintenir perruques et autres coiffes. Mais aussi des millefiori (perles de Venise) qui ont été offertes à certains chefs africains en échange d’esclaves lors de la traite. Ces perles, façonnées dans de la pâte de verre et produites en grande quantité en Italie à partir du XVe siècle, étaient déjà connues des Égyptiens. Celui qui fut à ses débuts créateur de bijoux se définit comme un « chercheur autodidacte ». Aujourd’hui, son plus grand rêve est d’ouvrir à Gorée un musée des perles pour « montrer de façon exhaustive tout ce qui a pu exister en Afrique de l’Ouest, qu’il s’agisse de pièces faites sur place ou venues d’ailleurs ». Un projet qu’il mûrit depuis vingt-cinq ans, mais qui, selon lui a du mal à voir le jour en raison de difficultés familiales qui l’ont laissé sur le carreau… En attendant, il continue de cacher ses « merveilles ». ■ CÉCILE SOW, à Gorée

PHOTOS : ÉRICK AHOUNOU POUR J.A.

Cet après-midi de décembre, c ’est sur la petite plage rocailleuse de l’ancienne prison de Gorée – il a grandi et vit depuis toujours sur l’île située au large de Dakar – qu’il reçoit Jeune Afrique. Et expose quelques-unes de ses pièces les plus rares. Ambre, amazonite, turquoise, agate, jaspe bleu… et même des ornements en argent ou en or massif dénichés en Afrique de l’Ouest. En Mauritanie et au Mali surtout. Mais pas question de photographier « sa daoud ». « Elle est précieuse. Je ne suis pas prêt à la montrer », explique le collectionneur « sénégalais d’origine française » né à Dakar en 1962 de parents français et dont le père a également vu le jour au pays de la Teranga. Cette pièce de la taille d’une mandarine, Patrick Fievet – ou « Patrick de Gorée » – l’a achetée il y a quelques années auprès d’un de ses amis haoussa. Combien l’a-t-il payée ? « Le prix n’est pas une référence. Il n’y a aucun critère. Tout se passe entre le

vendeur et l’acheteur. Et, pour moi, le plus important n’est pas la valeur marchande d’une perle, mais ce qu’elle me raconte. Chacune a une histoire et témoigne de l’évolution de l’humanité. » Il dit d’ailleurs avoir acquis il y a une quinzaine d’années de l’ambre verte pressée à 30 francs français (4,50 euros) l’unité et en avoir refusé 10 000 francs suisses (7 800 euros) dix ans plus tard car il ne se sépare jamais d’une perle s’il n’en a pas plusieurs exemplaires. Et son plus grand regret reste d’avoir laissé filer il y a vingt ans un jeu de 73 kifas de Mauritanie proposé à 15 000 F CFA (23 euros). De nos jours, la pièce vaut 60 euros ! Encore peu connues il y a une trentaine d’années, les perles et pierres que l’on trouve en Afrique subsaharienne, autrefois utilisées pour le troc et comme ornements, ont en effet pris de la valeur. Car elles sont aussi devenues plus difficiles à trouver. La publication de plusieurs ouvrages spécialisés aurait suscité l’intérêt de nouveaux collectionneurs, qui se retrouvent désormais dans des ventes aux enchères en Europe, aux États-Unis et en Asie.

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Djo Munga et Sandrine Bonnaire, le 11 décembre à Kinshasa.

Un thriller made in Kinshasa

Du suspense, de la violence, du sexe... Tous les ingrédients du genre sont réunis dans Viva Riva ! Un film de Djo Munga sélectionné au Festival de Berlin.

V

iva Riva! est un film explosif. Du rythme, du suspense, de la violence et du sexe, tous les ingrédients d’un thriller à l’américaine… en lingala. Avec son premier long-métrage, Djo Munga a réussi un film de genre, qui respecte tous les codes, mais aussi un portrait de Kinshasa, une peinture sociale qui brise nombre de tabous. S’il y avait encore des salles de cinéma en République démocratique du Congo, l’entrée serait interdite au moins de 18 ans, et si Viva Riva ! devait passer à la télévision congolaise, ce serait accompagné d’une mise en garde et pas avant 22 heures. Pour le moment, le film n’a eu qu’une diffusion confidentielle, deux séances au centre culturel français de Kinshasa, les 8 et 10 décembre, avant une présentation au Festival de Berlin en février, et une sortie en salle d’ici à six ou huit mois. Riva, un jeune Congolais, revient au pays après quelques années en Angola. Il n’a qu’un bagage, un chargement de carburant dérobé qui vaut une fortu-

ne. Mais l’argent va brûler Riva. Sapé comme un prince, il écume les boîtes de nuit de la capitale et croise Nora, envoûtante femme aux cheveux rouges, compagne d’un marlou en costume cintré. Pendant qu’il séduit l’énigmatique beauté, Riva oublie de se méfier des Angolais, bien décidés à retrouver le camion volé. Pendant une heure trente, le rythme ne faiblit pas. On se défie, on se cherche, on se tire dessus, on se torture mais, surtout, on fait l’amour. Djo Munga filme le sexe avec passion et volupté, comme jamais le cinéma africain ne l’a montré. Et il ose tout, même une scène torride entre deux femmes, une « commandante » de la police et sa compagne. « L’Afrique est violente et ce film est un miroir de notre société. Il y a le sexe, la violence physique, morale, mais aussi la violence familiale. Le cinéma permet d’aborder les problèmes sociaux, mais aussi de garder une distance », explique Djo

Munga. « Viva Riva ! est une fiction, un film noir qui doit aussi nous faire réfléchir sur ce que nous sommes. Je veux que le public puisse à la fois s’y reconnaître et se divertir », poursuit-il. Le réalisateur, qui en juin dernier avait rencontré à Cannes Sandrine Bonnaire, a offert à ses acteurs, un peu avant Noël, une master class avec l’actrice française. « Elle m’avait promis qu’elle viendrait au Congo, je n’y croyais pas. Même une semaine avant, je doutais encore », confie Djo Munga. « Ces acteurs sont excellents, très sincères. Ils ont cette spontanéité que nous avons perdue et que nous essayons, sans cesse, de retrouver », avoue Sandrine Bonnaire, après un échange de deux heures avec les acteurs de Viva Riva ! « Quand j’ai vu le film une fois

« Ces acteurs, excellents, ont la spontanéité que nous avons perdue. » SANDRINE BONNAIRE monté, je me reconnaissais sur l’écran, mais ce personnage n’était pas moi. Et puis j’ai vu mon nom au générique et là je me suis dit : “C’est incroyable, je rêve” », raconte Alex Herabo. Une réflexion qui laisse Sandrine Bonnaire songeuse : « En Europe, nous faisons du cinéma pour donner du rêve, ici, ce sont les acteurs qui rêvent en faisant du cinéma. » ■ FABIENNE POMPEY, à Kinshasa

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3:HIKTPJ=\UYUUW:?k@a@a@s@a;

No 8 - Déc. 2010

Jan.

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UBLE NUMÉRO DO

N° 8

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N°8 EN N°6 EN KIOSQUE. KIOSQUE


Musique Fusion pêchue

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Pichu, de Sophia Charaï (Universal Classics & Jazz), sortie le 10 janvier.

l le c ha nte pieds et dos nus, elle est très br une et por te une f leu r rouge piquée dans ses cheveux courts. Elle a une allure folle et une voix à la fois grave et légère. Sophia Charaï est née sur les rives de l’Atlantique, à Casablanca, il y Mathias Duplessy et Sophia Charaï. a une quarantaine d’années. On la qualifie parfois de « Rita Mitsouko orientale » : elle en a le piquant, d’Anusha Rizvi, produit par Aamir Khan la drôlerie, le corps et l’âme juvéniles. en 2010). Cette architecte de formation, qui a trouL’album est donc le creuset de ces sonové la foi dans le New York des clubs de jazz, rités glanées lors de ces voyages au long a mis tout ce qu’elle aime dans Pichu, un cours et oscille entre blues du bled et moralbum fusion très réussi, cinq ans après son ceaux plein de drôleries. À l’image du titre premier opus resté assez confidentiel. On y « Pichu-Pichu », dont le clip, tourné dans entend de l’accordéon, du banjo, de la guila région de Marrakech, fait penser à un tare manouche et flamenca. Sophia Chamélange d’Almodovar et de Kusturica. raï revendique des influences métisses : au Dans le maelstrom de cette musique transMaroc, elle s’est formée au piano classique frontières, Sophia Charaï est revenue aux et a grandi dans une famille où l’on écousources : presque tout l’album est chanté en tait du jazz, de la soul et où l’on chantait en darija, le dialecte marocain, et c’est beau. arabe devant les films égyptiens. Le très sensuel « Mêle ta langue » est, lui, Avec son mari, le musicien, producen français. « Mais avec beaucoup de mots teur et arrangeur Mathias Duplessy, elle et d’expressions hérités de l’arabe », précia exploré le flamenco et parcouru l’Inde se, malicieuse, la chanteuse. « Saurez-vous (ils ont d’ailleurs travaillé sur la BO de les trouver tous ? » À vous de jouer. ■ OLIVIA MARSAUD plusieurs films indiens, dont Peepli Live, JMLUBRANO/UNIVERSAL

La pétillante Marocaine Sophia Charaï sort un album tonique, entre jazz manouche, soul, blues et flamenco. Un joyeux maelstrom chanté en darija.

C’EST DANS L’AIR

HAKILI

de Mamady Keïta et Sewa Kan (Cristal) Il le porte jusqu’à sa boucle d’oreille… Âgé de 60 ans, le percussionniste et chanteur guinéen Mamady Keïta, aujourd’hui installé à San Diego après avoir vécu à Bruxelles, fait figure de maître et ambassadeur du djembé à travers le monde. En témoigne Hakili (« bon esprit » en malinké), un double CD et DVD live enregistré en 2009 lors de la tournée réalisée à l’occasion de ses 50 ans de carrière. Dominé par

les chants de Sewa Kan (groupe de percussionnistes et chanteuses qu’il créa en 1988) et les instruments mandingues (la kora de Prince Diabaté, le balafon de Djélimady Kouyaté, la calebasse de Baba Touré), Hakili mêle morceaux empruntés au répertoire traditionnel et compositions piochées dans sa discographie. Le DVD, tourné lors du festival Jazz sous les pommiers, à Coutances (France), offre quant à lui un témoignage haut en couleur des performances scéniques de cette troupe incontournable. Superbe. ■ JEAN BERRY

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Interview CHEIKH HAMIDOU KANE « Il ne faut pas sʼinspirer seulement de lʼOccident »

Relations Nord-Sud, crise en Côte dʼIvoire, importance des traditions orales, crispations identitaires… Entretien avec lʼun des pères de la littérature africaine.

L

e cost ume est sobre, parfa itement coupé. L’a l lu re énergique ne trahit pas les quatre-v ing t-deux années d’une vie bien remplie. Le visage laisse deviner une certaine sérénité. Concentré, attentif, l’homme politique et écrivain sénégalais Cheikh Hamidou Kane apprécie la palabre. Invité à Bamako (Mali) à l’occasion du festival Étonnants Voyageurs, il parle à tous : confrères auteurs, écoliers, journalistes, rappeurs, etc. Sa réputation le précède : rares sont ceux qui n’ont pas lu son chef-d’œuvre sur la colonisation, L’Aventure ambiguë. Plus rares encore ceux qui ne se seraient pas reconnus dans la figure de son jeune héros, Samba Diallo, déchiré entre deux mondes antagonistes. Mais Cheikh Hamidou Kane ne vit pas les yeux tournés vers un passé poussiéreux. Indécrottable optimiste, il reste le farouche défenseur d’une Afrique unie qui saurait utiliser les enseignements de ses propres traditions, de son histoire, pour trouver sa voie. JEUNE AFRIQUE: Vous venez de visiter une école de Bamako. Un professeur admiratif vous a déclaré : « Je croyais que vous étiez malien ! »… CHEIKH HAMIDOU KANE : Cette remarque m’a fait chaud au cœur. Je l’ai entendue souvent en Afrique,

mais aussi en dehors du continent. En 1983, à Istanbul, des Turcs m’ont déclaré : « On dirait que vous avez écrit L’Aventure ambiguë pour nous. Nous sommes musulmans sans être arabes et européens sans être reliés à l’Europe. » Vous avez aujourd’hui 82 a n s… e t vou s ê t e s reconnu dans le monde pour deux livres. J’ai écrit L’Aventure ambiguë pour évoquer les trente dernières années de la colonisation. Les Gardiens du temple portent sur les trente premières années de l’indépendance. Il s’agissait dans les deux cas de témoigner sur le devenir de l’Afrique. Je suis plus un témoin qu’un écrivain.

nue de se poser. Pour apprendre de l’autre, est-on condamné à perdre ce que l’on est ? Apprendre le français, par exemple, c’est courir le risque de ne plus parler sa langue. Aujourd’hui, les enfants vont à l’école de plus en plus jeune. Dans L’Aventure ambiguë, Samba Diallo n’y est allé que vers 9 ou 10 ans et il avait auparavant reçu une éducation de sa communauté et de ses parents. Aujourd’hui, en milieu urbain, la cellule familiale a éclaté. On peut se demander si ce que les nouvelles générations apprennent vaut ce qu’elles vont oublier.

Les Gardiens du temple, de Cheikh Hamidou Kane, Stock, 338 pages, 18,29 euros.

La question centrale de votre premier roman porte sur l’opportunité et le risque, pour un Africain, d’aller étudier à l’école des Blancs. Est-ce toujours d’actualité ? Même si certaines questions ne se posent plus avec autant d’acuité, celle de l’ouverture de l’homme africain à l’homme blanc du Nord – qui est souvent l’ancien colonisateur – conti-

Vous n’avez pas l’impression que, actuellement, le repli sur soi l’emporte ? J’ai eu, dès les années 1960, le pressentiment qu’il risquait d’apparaître, dans les pays du Sud, des crispations identitaires et religieuses face à la violence et au mépris reçus du Nord. Le rejet de la culture occidentale pouvait déboucher sur ce cri : « Nous ne voulons rien de vous. » Et cela est effectivement apparu dans certains pays d’Afrique.

Que voulez-vous dire quand vous parlez de crispations identitaires ? Le recours à la médecine traditionnelle pour essayer de contrer les ravages du sida, plutôt que de s’en remettre à la médecine moderne est, selon moi, une forme d’intégrisme. Mais ce qui est le plus apparent aujourd’hui, c’est

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L’écrivain sénégalais devant le Centre culturel français de Nouakchott, le 9 décembre.

essentiellement l’intégrisme au sein de l’islam et du christianisme. Le personnage du fou qui tue Samba Diallo dans L’Aventure ambiguë est une préfiguration de ce conservatisme. Diallo a pensé qu’il pouvait être musulman et libre penseur. Le fou ne lui a pas permis de différer le moment de sa prière : il l’a poignardé. Vous craignez la menace intégriste ? Ce qui prévaut dans la culture africaine, c’est une très grande ouverture. En ce qui concerne l’islam, les premiers musulmans n’ont pas voulu ou pu entrer dans les profondeurs de l’Afrique : ils ont converti les rois et les dirigeants. Très tôt, l’islam a été repris, diffusé, enseigné par les Africains eux-mêmes d’une manière qui tenait compte des réalités locales. C’est un islam orthodoxe et en même temps très ouvert, tolérant, qui explique que nous ayons longtemps été protégés de l’intégrisme. Dans le Coran, il est dit : « Il n’y a pas de contraintes en religion. » Dans sa pratique, le prophète Mohammed a proclamé la liberté de culte à Médine entre juifs, chrétiens

et musulmans. Les intégrismes, qui ne sont pas l’apanage du monde musulman, sont nés de problèmes différents. Les crispations identitaires sont une conséquence du rejet du modèle occidental. L’Occident ne se montre lui-même guère ouvert. Il n’est pas certain que ceux du Nord comprennent que l’ouverture est la garantie de leur propre prospérité. La colonisation a pris fin formellement, mais les relations de domination se poursuivent. Le Nord est venu prélever les matières premières pour développer son industrie, son commerce. Il a engagé les Africains dans ses guerres et, depuis, il s’est fermé. Mais il n’est pas possible de clore ses frontières et de rester les maîtres du jeu. On ne pourra pas empêcher ce que l’Occident appelle une nouvelle « invasion des barbares ». On voit bien la manière dont la Chine brise les règles imposées par le Nord !

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Croyez-vous à la fin des frontières ? L’étude des zones transfrontalières a permis des découvertes remarquables. Les échanges entre la Guinée, la Guinée-Bissau, le Sénégal et la Gambie, lors des marchés hebdomadaires, ont une valeur financière supérieure aux échanges constatés par les États. Autre exemple: si dans un pays comme le Burkina Faso on apprend qu’il y a un guérisseur, l’afflux de personnes

« Optimiste, je le suis par option philosophique, mais aussi parce que j’observe la réalité. » venant du Sénégal se fait sans tenir compte des frontières. De même si c’est un bon pédiatre… Vous êtes très optimiste ! Optimiste, je le suis par option philosophique, mais aussi parce que j’ai observé la réalité. Nous fêtons les 50 ans de l’indépendance et beaucoup de choses ont été bien faites malgré

ÉMILIE RÉGNIER POUR J.A.

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162 LIRE, ÉCOUTER, VOIR tout. Au Sénégal, en 1960, le taux de scolarisation était de 12 %. Vers l’an 2000, ce taux était monté à 65 %. Wade prétend qu’il est aujourd’hui à 90 %. Même chose pour la santé. Quand on se souvient que c’est dans le courant des cinquante dernières années qu’il y a eu à la fois l’apartheid

reprenait nombre de règles héritées de l’empire du Ghana sur la coexistence entre ethnies. Il a transformé en loi d’empire des traditions existantes, comme celle des équivalences patronymiques qui font qu’un Diarra du Mali s’appelle Ndiaye au Sénégal. Il existait une forme de citoyenneté dans l’empire. Il existait même une forme de habeas corpus. Je pense à la charte de Kouroukan Fougan. Voilà un document important pour le patrimoine de l’humanité. Ce texte de 1236, quasiment inconnu dans le monde et, pis, des Africains, propose une manière de gérer les relations au sein de la famille, des clans, des générations, des différentes classes de la société, mais qui offre aussi la liberté de circulation, le droit à la protection de l’intégrité physique et morale de l’individu. Pourquoi devrions-nous aller chercher des règles ailleurs, sans recourir à ces fondements ?

« La Côte d’Ivoire doit tourner le dos à la “balkanisation” voulue par Houphouët-Boigny. » et la réconciliation en Afrique du Sud, qu’un homme comme Mandela a su faire entendre la voix des siens qui ployaient sous le joug d’une minorité, on peut être optimiste. Mandela, c’est un modèle ? J’ai été frappé, en lisant ses deux livres, par le fait qu’il fait toujours référence aux leçons qu’il a tirées de l’éducation reçue de sa tribu. Il rappelle notamment les palabres qui se tenaient chez le régent, les réunions de la communauté xhosa qui visaient à atteindre une forme de consensus. Lorsque l’on voit à quel point cela l’a éclairé, on se dit que la cause n’est pas perdue. Je pense qu’il faut se tourner vers sa culture d’origine, non pour retourner aux sources, mais pour y avoir recours.

Comment lutter contre cette méconnaissance de la culture africaine ? L’écriture n’est qu’un outil permettant d’accéder au gisement de la culture orale. Les progrès techniques – la radio, la télévision, internet – enrichissent aujourd’hui le nombre d’outils permettant l’expression des cultures noires via les musiciens, les conteurs, les griots. Prenez Que voulez-vous dire ? Le Roi lion : c’est un conte Joseph Ki-Zerbo a montré essentiellement africain ! que l’histoire du continent C’est pourquoi, ces derniènoir est caractérisée par une res années, je me suis mis triple dépossession. L’Afrique en relation avec des écria été dépossédée de l’initiavains, des cinéastes, des tive politique, de son identité musiciens, des hommes et de son espace, découpé en de théâtre pour mettre en 53 parties distinctes par les spectacle cette étape imporenvahisseurs du Nord. Kitante que sont le surgisseZerbo a, par ailleurs, donné ment de Soundiata Keïta et une idée du mouvement à L’Aventure la fondation de l’empire du suivre : « Le développement, ambiguë, de Cheikh Hamidou Mali en 1236, qui ouvre le c’est un retour de soi à soi Kane, 10/18, Moyen Âge africain. Cette à un niveau supérieur. » 192 pages, 6 euros. étape essentielle de l’HisCe qu’on apprend de noutoire n’est connue que des veau ne doit pas nous faire griots. Il faut utiliser tous les moyens oublier les codes anciens. Certaines de disponibles pour la faire connaître nos valeurs du passé sont néanmoins – et surtout pour dire que la liberté obsolètes et il faut leur substituer de de l’individu a été proclamée par les nouvelles versions. Africains au début du XIII e siècle, grâce à la charte du Kouroukan FouPar exemple ? gan. Laquelle est aussi importante que Soundiata Keïta a créé un empire la Magna Carta, texte fondateur de la doté d’une loi fondamentale où il

démocratie de type westminstérien. Il ne s’agit pas de contester la monarchie, mais d’y ménager des espaces de liberté. Il ne faut pas s’inspirer seulement de la manière dont les Occidentaux ont réglé le problème de la circulation des biens et des hommes. Vous avez donc un projet bien précis ? Pour ce projet de spectacle, de film ou d’opéra, nous avons interpellé les cinq ou six chefs d’État de la région en espérant qu’ils nous donnent les moyens nécessaires. Nous nous sommes réparti les tâches. J’ai été sollicité pour écrire le livret. Malheureusement, les difficultés politiques en Guinée et les agendas des hommes politiques n’ont pas permis d’avancer d’un pas. Moi-même, j’ai beaucoup travaillé et pris des notes pour voir comment ce spectacle devait se monter. Comment expliquez-vous ce faible intérêt des chefs d’État ? Les dirigeants actuels sont complètement absorbés par la gestion du quotidien, et ils n’ont pas le temps de déterminer des priorités. Le domaine de la

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Cheikh Hamidou Kane, dans sa bibliothèque à Dakar, en 2005.

culture reste le parent pauvre de la plupart des gouvernements. Les industries culturelles modernes, comme les grandes chaînes de télévision, peuvent offrir des ressources importantes, mais ce sont des milieux difficiles à aborder. J’en ai parlé avec Youssou N’Dour, qui était enthousiasmé par l’idée. Il a eu l’occasion d’en parler avec Mo Ibrahim, qui serait peut-être prêt à financer. Voilà où nous en sommes. En quelle langue imaginez-vous ce spectacle ? Sans doute en mandingue avec des sous-titres. Sinon, pour l’essentiel, si je dois écrire le livret, je le ferai en français. Je ne crois pas qu’on y trouvera à redire. Un livre ne suffirait pas ? Un griot prestigieux du Mali disait un jour à un journaliste, griot et écrivain, son neveu Massa Makan Diabaté, qui l’interviewait: « Tu as écrit un livre, mais ça ne respire pas, ça ne parle pas ! Mes histoires, je les raconte avec mon corps, mes membres, mes expressions de visage. » Dans un texte d’Amadou Hampâté Bâ, il est dit : « L’écri-

ture, c’est l’ombre de la parole. » Tout comme une photo ne montre jamais que l’extérieur… Jusqu’à présent, vous-même avez surtout utilisé l’écrit. Je ne me perçois pas comme un homme faisant métier d’écrire. Ce n’est pas dans ma tradition, qui est orale… Notre génération, celle des premiers écrivains africains, a réussi à franchir les obstacles que le colonisateur avait placés sur notre chemin pour nous confiner à l’enseignement primaire. Le colon a envoyé certains Africains se former à l’école vétérinaire d’Alfort, car il pensait que c’était bien pour la gestion de l’élevage. Amadou Karim Gaye, Birago Diop, Ousmane Diop sont passés par là… D’autres ont pu échapper au numerus clausus en passant par le séminaire, comme Senghor… Mais cette minorité qui a formé la première génération d’écrivains n’était pas préparée à l’écriture : ils devaient devenir professeurs, vétérinaires, administrateurs. Ils ont maîtrisé la langue pour témoigner. Nombre d’entre nous sont devenus écrivains accessoirement aux tâches pour lesquelles ils étaient formés.

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DJIBRIL SY/PANAPRESS/MAXPPP

Comment répondent les jeunes générations quand vous évoquez votre projet ? Les jeunes générations adhèrent avec enthousiasme. Elles sont désireuses de s’abreuver à ce gisement qu’est la tradition orale. J’ai été confirmé dans cette idée par les rappeurs et les slameurs que j’ai pu entendre ici, à Bamako. Ils doivent avoir une place importante dans notre spectacle car ils peuvent être bien plus efficaces que nous pour faire passer le message. Comment réagissez-vous à la crise ivoirienne ? La crise en Côte d’Ivoire suscite chez moi à la fois déception et satisfaction. La déception résulte d’une nouvelle manifestation de la crise de leadership qui touche les élites politiques africaines modernes. Il est décevant que Laurent Gbagbo, qui appartient au petit nombre des intellectuels arrivés à la tête d’un État, qui fut un militant, un opposant de la première heure au pouvoir personnel d’Houphouët-Boigny et un partisan de l’unité africaine, n’ait ni évité d’instrumentaliser les appartenances ethniques des électeurs, ni su échapper à la tentation de s’accrocher au pouvoir malgré le verdict des urnes. En félicitant Alassane Ouattara d’avoir été choisi par la majorité du peuple ivoirien, on peut lui souhaiter de garder la tenue et la retenue dont il a fait preuve pendant la campagne et après cette victoire outrageusement contestée par son adversaire. On doit surtout l’adjurer de restituer à son pays le rôle d’acteur pivot de l’intégration économique, financière, culturelle et politique de l’Afrique. Il faut tourner le dos à la « balkanisation » voulue et consacrée par Houphouët, à l’« ivoirité » et à tout ce qui maintient les divisions héritées de la colonisation. Les Ivoiriens, comme les Guinéens, sont allés aux urnes dans la discipline et la paix. Ils ont résisté aux démons de l’instrumentalisation à des fins politiciennes, de leur appartenance ethnique ou religieuse, et cela après des décennies pendant lesquelles ils ont été privés de la possibilité d’exprimer leurs choix. ■ Propos recueillis à Bamako par

NICOLAS MICHEL

Retrouver l’intégralité de l’interview de Cheikh Hamidou Kane sur jeuneafrique.com


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Q U IZ

Par CÉCILE MANCIAUX

Jésus et Marie dans lʼislam b) Elle est vierge et fiancée à Joseph c) Elle est adolescente et vierge

8. Où le Coran situe-t-il la nativité ? 2. Quelle femme autre que Marie a) Dans une étable est citée nommément dans le b) Dans une grotte Coran ? c) Sous un palmier a) Sarah, l’épouse d’Abraham b) Khadija, l’épouse de Mohammed 9. Comment Marie explique-tc) Aucune elle la naissance de Jésus aux siens ? 3. Selon le Coran, qui est le père a) Elle donne la parole au nouveaude Marie ? né a) Imran b) Elle les emmène dans le désert b) Joachim c) Elle leur montre, vers l’orient, c) Zacharie l’étoile des mages de Syrie

4. Où Marie est-elle éduquée ? a) Auprès de sa mère b) Au temple de Jérusalem c) À l’école de Nazareth 5. Quels objets sont utilisés pour désigner le protecteur de Marie ? a) Des bâtonnets b) Des billes c) Des grains de blé 6. Quel archange annonce à Marie qu’elle va porter un enfant et révélera la parole de Dieu à Mohammed ? a) Michel b) Gabriel c) Raphaël 7. Dans la tradition islamique, alors que Marie est enceinte : a) Elle est mariée à Joseph

10. Selon le Coran, Jésus n’est pas : a) Un prophète b) Le fils de Dieu c) Le Messie 11. Qu’enseigne Allah à Jésus ? a) Le Coran b) Le Décalogue et la Bible c) Le Livre, le Pentateuque et l’Évangile 12. Quel prodige Dieu permetil à Jésus d’accomplir selon le Coran ? a) Il donne la vie à des oiseaux d’argile b) Il transforme l’eau en vin c) Il fait jaillir l’eau de ses doigts 13. Pour l’islam, Jésus ne peut mourir sur la croix. Que se

Fragment d’une coupe qui représente Marie tenant Jésus dans ses bras, XIVe siècle, Syrie.

passe-t-il ? a) Un autre est crucifié à sa place b) La condamnation à mort est annulée c) Le bourreau refuse de le crucifier et le libère 14. Dans la tradition musulmane, Jésus est-il ressuscité ? a) Oui, après sa mort, il est revenu sur terre, puis a été élevé auprès de Dieu b) Non, puisqu’il n’a pas eu de mort terrestre c) Non, il ressuscitera et reviendra sur terre au moment du jugement dernier 15. Que s’est-il passé le jour du six cent dixième anniversaire de la naissance de Jésus ? a) La naissance du prophète Mohammed b) La révélation du Coran au prophète Mohammed c) Mohammed est contraint de quitter La Mecque pour Médine

RÉPONSES : 1/a - Youssouf est Joseph en arabe. Yehoshua est Jésus en hébreu. 2/c - Marie est la seule femme citée nommément dans le Coran, la sourate XIX, Maryam, lui est même dédiée. Elle est le personnage féminin le plus important, parce qu’Allah « l’a choisie entre toutes les femmes du monde » pour porter sa parole (Coran, III, 42-51). 3/a - Zacharie (Zakaria), prêtre et prophète de l’islam, est celui auquel Allah confie la garde de Marie. Joachim est le père de Marie dans la tradition chrétienne. 4/b - 5/a - Dans la tradition chrétienne, les bâtonnets désignent Joseph, dans la tradition musulmane, ils désignent Zacharie. 6/b - Gabriel (Djibril). 7/c - Le Coran souligne à plusieurs reprises la pureté et la virginité de Marie (Coran, LXVI, 12) ainsi que, alors qu’elle n’est pas encore femme, le caractère miraculeux de la naissance de Jésus, conçu par la seule volonté de Dieu (III, 59). 8/c - 9/a - 10/b - Pour l’islam, Jésus est à la fois un prophète et le Messie, mais en aucun cas Dieu ne s’attribue d’enfant : il n’y a personne d’essence divine ni de divinité autre que lui. 11/c - 12/a – Il lui permet également de guérir l’aveugle et le lépreux et de ressusciter les morts (Coran, III, 49). 13/a - 14/c - Coran, IV, 157-158. Il reviendra sur terre, en tant que musulman, pour vaincre le faux messie (Dajjal), correspondant à l’antéchrist. 15/b Le prophète Mohammed aurait reçu la première révélation de la parole de Dieu par l’archange Gabriel. Le calendrier musulman se basant sur l’année lunaire et non pas solaire, cette Nuit du destin (Leïla el-Kadr) ne correspond plus avec le Noël chrétien. J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11

PHILIPPE MAILLARD/AKG-IMAGES

1. Quel est le nom de Jésus en arabe ? a) Aïssa b) Youssouf c) Yehoshua


DJIBOUTI

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En une dizaine d’années,

la République de Djibouti du président Ismaïl Omar Guelleh a réussi à se faire une place au soleil. Forte de sa stabilité politique, de sa bonne gouvernance et de sa situation stratégique au débouché de la mer Rouge, elle a bâti une économie de services qui privilégie les transports, les télécommunications et les nouvelles technologies.

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Un essor sans précédent L’émergence de la République de Djibouti, du statut de petit pays peu connu à celui d’un État parvenu en une dizaine d’années au niveau des meilleures économies de sa région, tient de la success story. Dans une certaine mesure, les attentats de New-York, en 2001, en furent l’élément déclencheur : pour la communauté internationale, qui entrait alors en guerre ouverte contre le terrorisme, la position stratégique de Djibouti, entre mer Rouge et Océan Indien, Afrique de l’Est et monde arabe, faisait du pays du président Ismaïl Omar Guelleh une base idéale d’observation et d’intervention. Et l’entrée en scène des pirates somaliens, dans les années 90, en menaçant la sécurité du transport maritime, ne fit qu’accélérer le processus de participation du pays à la défense des intérêts stratégiques des grands États. Mais c’est aussi la politique de développement économique et social mise en œu-

vre par le gouvernement de Djibouti, à partir des années 2002/2003, qui a incité les investisseurs à s’engager dans un pays depuis longtemps pacifié et assuré d’une stabilité unique dans la région. On a vu ainsi le PNB djiboutien pratiquement doubler en dix ans, passant de 100 milliards de francs Djibouti, en 2000, à 186 milliards en 2010 (1 dollar = 175,75 francs Djibouti). Le taux de croissance a doublé, lui aussi, entre 2001 et 2008, passant de 3 % à près de 6 %, avant de s’établir en 2009, en dépit de la crise mondiale, à 5 %. L’inflation a été maîtrisée à 2,2 % à la fin 2009. Le flux des investissements, qui représentait 8 % du PIB en 2005, a dépassé 40% en 2009. Un signe qui ne trompe pas : le nombre de banques installées à Djibouti est passé de deux établissements en 2005 à neuf à l’été 2010. Une dixième banque – l’irakienne Warka-Bank y est incessamment attendue. ■

Le terminal à conteneurs de Doraleh.

L’hôtel Kempinski, fleuron de l’hôtellerie djiboutienne.

UNE HISTOIRE À LA FOIS ANCIENNE ET RÉCENTE La ville de Djibouti a longtemps fait partie du sultanat de Tadjourah, un centre de commerce et de transit sur la mer Rouge. Elle fut annexée par les Français en 1888, avec le territoire qui l’environnait, et l’ensemble reçut alors le nom de Côte française des Somalis. En 1967, le pays fut rebaptisé Territoire français des Afars et des Issas. Il devint indépendant le 27 juin 1977, mais son développement fut longtemps retardé par les guerres qui sévissaient dans la région (guerre Éthiopie/Érythrée, guerre civile somalienne) et qui entraînèrent des troubles sur son propre territoire. Il fallut attendre l’arrivée au pouvoir du président Ismaïl Omar Guelleh, en mai 1999, pour qu’une paix définitive fût enfin signée - en 2001 - avec les derniers groupes armés, ce qui ouvrit enfin la voie au développement économique et social du pays.

L’envol du trafic du Port de Djibouti (en millions de tonnes) 11,29 5,48

9,33

7,42 3,6

2006

4,01

2007

■ Trafic total ■ Dont transit

7,51

5,08

2008

2009

Un porte-conteneurs dans le Port Autonome International de Djibouti (PAID).

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Le secteur des télécommunications est l’un des moteurs de l’économie djiboutienne.

L’usine d’exploitation de sel du lac Assal.

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Forage pour la création d’un nouveau point d’eau.

Une économie boostée par le secteur des services Dans un pays dépourvu de ressources naturelles et de grandes infrastructures industrielles, le gouvernement a misé sur le secteur des services pour tirer l’économie vers le haut. Le taux de croissance de ce secteur, qui avait atteint 18,4 % en 2007 et jusqu’à 28,7 % en 2008, a observé une pause en 2009, avec 6,6 %. C’est la chaîne des transports et celle des télécommunications qui ont le plus bénéficié des efforts du gouvernement et des investissements étrangers. Il est vrai que le pays voit passer l’essentiel du trafic maritime entre l’Europe et l’Asie et que son port le Port Autonome International de Djibouti, PAID est doté des installations les plus modernes. Géré par DP World depuis 2000, il a considérablement renforcé son potentiel en transférant, dès 2006, son trafic pétrolier au terminal de Doraleh, non loin de la capitale. Son trafic total, en forte croissance, a atteint 11,29 millions de tonnes en 2009 (voir infographie). La plus grosse part de ce trafic environ les deux tiers est constituée des importations et exportations du grand voisin éthiopien, dépourvu de débouché maritime, et qui a reporté sur Djibouti le trafic assuré jusqu’en 1998 par le port d’Asmara, en

Érythrée. Si le PAID ambitionne de devenir la plaque tournante du Comesa, le Marché commun de l’Afrique orientale et australe, qui regroupe 19 pays, les infrastructures routières, ferroviaires et aériennes bénéficient, elles aussi, des efforts du gouvernement et d’importants investissements. À lui seul, l’axe routier Djibouti-Addis Abeba voit passer de 500 à 600 camions par jour. Le secteur des télécommunications est en pointe et Djibouti Telecom, qui exploite 5 câbles sous-marins, a fait du pays le pôle d’éclatement des télécommunications de la région vers le reste du monde. Parmi les autres activités de services privilégiées par le gouvernement, le tourisme tient une place notable, le pays possédant, dans ce domaine, de nombreux atouts. Les autres secteurs ne sont pas pour autant négligés. Ainsi la décentralisation économique voulue par le gouvernement, qui vise à assurer le développement des régions, s’accompagne-t-elle de grands projets tels que le Port de Tadjourah, l’extraction du sel du lac Assal, la cimenterie d’Ali Sabieh, ou la route Tadjourah-Balho, qui désenclavera l’Éthiopie par le nord. ■

Les défis de l’eau et de l’énergie Dans un pays dont les besoins en eau sont de l’ordre de 100 millions de m3 par an, mais qui n’en produit guère, par forages, que 20 millions, la problématique de l’eau se retrouve au centre de toutes les préoccupations. Le gouvernement fonde de grands espoirs sur le dessalement de l’eau de mer, et un projet, en cours de réalisation, doit fournir, à ses débuts, 20 millions de m3 par an, puis, à terme, près du double. Dès 2013, dans le cadre d’un vaste « Projet de mobilisation des eaux de surface et de gestion durable des terres », la collecte des eaux de surface, au potentiel énorme, débutera grâce à la construction de barrages et à

l’établissement de lacs collinaires et de citernes enterrées. Cette problématique de l’eau rejoint celle de l’énergie, indispensable pour alimenter les forages, les

Le président Ismaïl Omar Guelleh inaugurant un forage.

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pompes et les unités de dessalement. De gros efforts portent sur l’énergie solaire, particulièrement adaptée aux milieux désertiques, et dont des villages entiers commencent à bénéficier. Des essais sont tentés dans le domaine de l’éolien, mais, dans un pays au volcanisme toujours actif, c’est à la géothermie que l’avenir semble appartenir et les essais menés par la société islandaise REI autorisent tous les espoirs. En attendant, une interconnexion électrique établie entre Djibouti et l’Éthiopie, sur un financement de la BAD, va fournir au pays jusqu’à 300 MGW par an, soit l’équivalent de la production thermique nationale. ■


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Un rôle stratégique de premier plan La République de Djibouti, située au carrefour de l’Afrique, de l’Asie et du monde arabe et jouissant d’une stabilité politique et sociale unique dans la région, n’a pas seulement attiré des investisseurs en quête de profits. Elle a également incité les grands États, menacés par la recrudescence des actes de piraterie dans le Golfe d’Aden et la mer Rouge, à la choisir pour alliée et base arrière dans ce nouveau combat qu’il convient de mener pour la sécurité du commerce maritime. Il est vrai qu’il passe, au large des côtes du pays, près de 20 000 navires par an, que des forces navales de diverses origines s’efforcent de protéger des attaques de pirates. On trouve ainsi, basées à Djibouti, la Task-Force 151 des États-Unis, celles de l’OTAN, du Japon et de l’Union européenne. Celle-ci, la plus importante, a été mise en œuvre dès la fin 2008 sous le nom d’Atalante. Elle comprend des militaires français, allemands, espagnols, suédois. Des contingents tchèques et italiens doivent se joindre à eux prochainement. En plus de ces forces, des unités de Chine et de Corée du Sud opèrent dans les mêmes eaux. La réussite de cette entreprise de coopération internationale doit beaucoup à la diplomatie de paix, de dialogue et de coopération que le pays du président Ismaïl Omar Guelleh ne cesse de mener, vis-à-vis de ses voisins. Il a été victime, en 2007, de la part de l’Érythrée, d’une agression délibérée dont les séquelles

ne sont toujours pas purgées, mais l’action d’Asmara a été unanimement condamnée par la communauté internationale. Dans la guerre civile somalienne, les efforts du président djiboutien pour amener les parties somaliennes en conflit à une solution pacifique ont conduit aux Accords de Djibouti, conclus en août 2008, qui font référence pour la communauté internationale. Quant au conflit soudanais, c’est sur le sol de Djibouti que s’est engagé, dès 2000, le long processus de la réconciliation nationale. ■

VENIR EN AIDE AUX PLUS VULNÉRABLES

Le président chinois Hu Jintao recevant à Pékin son homologue djiboutien, le président Ismaïl Omar Guelleh.

BALISES Superficie : 23 200 km2 Population : 818 159 habitants Croissance démographique : 1,7 % Peuplement : Afars, Somalis, Arabes Alphabétisation : 70,3 % Langues : arabe et français (officielles), afar, somali PIB/Hab. : 1 282 $ Inflation : 2,2 %

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DIFCOM/FC - PHOTOS : DR / FOTOLIA

L’action en faveur des plus vulnérables est au coeur des préoccupations du gouvernement depuis que le président Guelleh a lancé, en 2007, l’Initiative Nationale pour le Développement Social. Il s’agit d’un ensemble d’opérations coordonnées par un Secrétariat d’État chargé de la Solidarité Nationale. Ces opérations ont notamment pour objectifs la création de nouveaux quartiers pour les plus démunis, de centres scolaires et de dispensaires, ainsi que la promotion de l’accès à l’eau, à l’électricité et à l’assainissement. Pour lutter contre l’insécurité alimentaire, des essais de culture sous serre ou sous abri ont été engagés et ils ont donné d’excellents résultats : 2010 est ainsi l’année de la première récolte de fruits et légumes produits sous abri. Environ 15 000 hectares de terres ont été, par ailleurs, loués à l’étranger - au Soudan, en Éthiopie, au Malawi. On y produit blé, riz, sorgho et tournesol avec pour objectif de faire baisser les prix de produits traditionnellement importés. De nombreux programmes sont en cours – agroalimentaires, hydrauliques, énergétiques – qui visent à améliorer les conditions de vie des populations nomades, particulièrement vulnérables.


AC BANQUE DES ETATS DE L'AFRIQUE CENTRALE

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ANNONCES CLASSÉES Concernant cette rubrique, adressez-vous à Fabienne Lefebvre Tél. : 01 44 30 18 76 – Fax : 01 44 30 18 77 – f.lefebvre@jeuneafrique.com DIFCOM Régie publicitaire centrale du Groupe Jeune Afrique - 57 bis, rue d’Auteuil – 75016 Paris –France

BANQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE CENTRALE (BEAC) PLAN DIRECTEUR DU SYSTEME D’INFORMATION

Avis de présélection internationale ouverte N ° 01/BEAC-/DGE/DIT/2010 pour l'élaboration du Plan Directeur du Système d’Information de la BEAC. tions requises et jouissant d’une bonne expérience, sont invités à manifester leur intérêt à fournir le service décrit ci-dessus. Ils devront fournir les informations établissant qu’ils sont qualifiés pour exécuter le service (brochures, références concernant l'exécution des contrats analogues, l'expérience dans l'exécution des projets semblables, la disponibilité des compétences appropriées parmi le personnel, etc.)

2. La BEAC a décidé d’entreprendre l'élaboration d’un Plan Directeur du Systéme d’information (PDSI) afin de tracer les orientations stratégiques de ses activités sur une période de 3 à 5 ans. L'opération, financée sur ses fonds propres, devra prendre en compte les besoins de son Siège a Yaoundé et des vingt-un (21) autres Centres répartis dans les six pays et la France.

5. Les Cabinets intéressés peuvent obtenir des informations supplémentaires aux adresses indiquées ci-dessous, de 9 heures à 12 heures, heure locale.

3. A cet effet, la BEAC compte recourir aux services d’un Cabinet de consultants pour : • Elaborer sur la base de l’existant un Plan Directeur du Système information qui devra permettre la mise en place d’un système intégré utilisant les technologies standardisées ; • Evaluer les besoins des métiers de la BEAC et proposer un plan d’informatisation selon les priorités arrêtées par le Gouvernement de la Banque ; • Elaborer le plan d'évolution du Système d`information (sur 5 ans) en vue d’assurer la couverture opérationnelle des besoins exprimés et garantir la satisfaction de la qualité du service rendu ; • Prendre en compte la problématique de la mise en place des solutions de secours et de reprise d’activités en cas d’indisponibilité partielle ou générale du système d’information.

6. Les manifestations d’intérêt doivent être déposées aux adresses ci-dessous au plus tard le 7 janvier 2011 à 12 heures, heure locale. A- BANQUE DES ETATS DE L'AFRIQUE CENTRALE – SERVICES CENTRAUX DIRECTION DE L’INFORMATIQUE ET DES TELECOMMUNICATIONS IE : BP 1917 Yaoundé - CAMEROUN Tél. : (237) 22 23 40 30 ; (237) 22 23 40 60 M. EWORO MBA Quintín José, 1er Adjoint au DIT (e-mail : eworo@beac.int) M. MVOU Martial, 2éme Adjoint au DIT (e-mail : mvou@beac.int) B- BANQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE CENTRALE BUREAU DE LA BEAC A PARIS (A l'attention de la Direction de l’Informatique et des Télécommunications) 48, Avenue Raymond Poincaré 75016 Paris Tél. : (33) (0)1 56 59 65 96

4. Les Cabinets intéressés, disposant des qualifica-

JEUNE AFRIQUE N° 2607-2608 – DU 26 DECEMBRE 2010 AU 8 JANVIER 2011

Le Directeur Général de l'Exploitation Yvon Bertrand SONGUET

Avis de présélection

1. La Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) est un Institut d`Emission Monétaire commun à six pays d‘Afrique Centrale : Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad. Elle exerce le privilège exclusif de l'émission monétaire dans les pays membres où la monnaie qu’elle émet, le Franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale (FCPA) a cours légal et pouvoir libératoire.


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AC Subventions de recherches de l'Union Africaine :

Bénin Terminal, filiale du groupe Bolloré, lance une consultation pour les travaux d’aménagement des terre-pleins du futur terminal à conteneurs du port de Cotonou, qui sera situé au sud du quai de 600 m actuellement en cours de construction à Cotonou.

2011 – Avis à manifestation d’intérêt

Couvrant une surface trapézoïdale d’environ 17 hectares, lesdits travaux comporteront trois lots :

Appel d’offres - Manifestation d’intérêt

Réf: HRST/ST/AURG/CALL1/2011/ EuropeAid/130-741/D/ACT/ACP

L'Union Africaine est en quête de projets de recherche sur les priorités thématiques suivantes indiquées dans le Plan d'action consolidé de l’Afrique pour la Science et la Technologie (CPA) et dans ses projets phares (a) la Post-récolte et l’Agriculture, (b) l’Energie renouvelable et durable, et (c) l’Eau et l’Assainissement en Afrique. Le programme est financé grâce à l’Accord financier entre la Commission de l’Union européenne et le Groupe des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et de l’Enveloppe budgétaire intraACP du 10ème FED consacrée au Programme de recherche du Groupe ACP pour le développement durable. Toutes les directives concernant l’avis à manifestation d’intérêt, le formulaire de demande et d'autres documents pertinents peuvent être téléchargés sur les sites Internet suivants: 1.http://www.africahrst.org/stict/rgp 2.http://www.africa-union.org 3.https://webgate.ec.europa.eu/europeaid/onlineservices/index.cfm?do=publi.welcome La date limite de soumission des projets de recherche est fixé au 30 avril 2011 à 17h 00 heures (GMT+3). Courrier électronique: research-info@africa-union.org

- Un lot « Génie Civil » couvrant des travaux de terrassement et de revêtement de terre-pleins, des travaux d’assainissement des eaux pluviales, des travaux d’alimentation en eau et d’équipement de lutte contre l’incendie. - Un lot « Electricité » couvrant la construction d’une centrale de production électrique, de postes transformateurs, la mise en place de câbles d’alimentation notamment pour l’alimentation des futurs portiques de quai, l’installation de prises pour conteneurs frigorifiques et la mise en place de mâts d’éclairage. - Un lot « Bâtiment » couvrant essentiellement trois bâtiments d’exploitation situés à l’entrée sud-ouest du futur terminal, ainsi qu’un complexe de contrôle d’entrée-sortie. Les candidats intéressés soit par l’ensemble des 3 lots, soit seulement par les lots « Génie Civil » et « Electricité », soit seulement par le lot « Bâtiment », devront se manifester par courriel entre le 3 et le 7 janvier 2011 auprès du concepteur (andre.merrien@egis.fr) et du maître d’ouvrage (eric.gravot@bollore.com). Les candidats autorisés recevront alors par courriel retour les instructions pour télécharger le dossier de consultation. Les offres seront dues pour le vendredi 1er avril 2011.

COMPAGNIE ENERGIE ELECTRIQUE DU TOGO

Siège Social : 426, avenue MAMA Fousséni B.P. 42 - LOME - Standard : 221 27 44 | Dépannage : 220 8 220 | Fax : 221 64 98

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Avis d’appel d’offres régional (UEMOA) N° 008/CdM/CEET/2010

Projet de renforcement et d’extension du réseau de distribution d’énergie électrique au Togo

Travaux de pose de lignes MT/BT (20/0,4 kV) et raccordement des nouveaux abonnés - Prêt N° : 2007011/PR TG 2008 01

1. La CEET a obtenu un prêt de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) en vue d’un financement partiel du projet de renforcement et d’extension du réseau de distribution d’énergie électrique au Togo et se propose d’utiliser une partie des fonds de ce prêt pour effectuer des paiements autorisés au titre du contrat pour lequel cet appel d’offres est publié. 2. Le présent Appel d’offres est lancé pour les entreprises régulièrement installées dans l’espace UEMOA et spécialisées dans la mise en œuvre des ouvrages de distribution MT/BT et de branchement. 3. La CEET invite, par le présent Appel d’Offres, les entreprises intéressées à présenter leurs offres sous pli fermé, en vue de la réalisation des travaux conformément aux clauses et aux conditions de l’appel d’offres. 4. La participation au présent Appel d’offres est ouverte à égalité de conditions à toute personne physique ou morale et justifiant des capacités juridiques, techniques et financières requises. 5. Le DAO rédigé en français sera remis contre paiement de la somme forfaitaire et non remboursable de deux cent cinquante milles (250 000) francs CFA. Le paiement s’effectuera en espèce au Secrétariat du Département Approvisionnement et Gestion des Stocks sis à la Direction Générale de la CEET à l’adresse ci dessous indiqué où sera retiré le DAO. 6. La soumission des offres par voie électronique ne sera pas autorisée. Les offres arrivées après la date et l’heure limites fixées ci-dessus ou qui

parviendront sous enveloppes non scellées seront déclarées non recevables et retournées non ouvertes ou en état à leur expéditeur. 7. Les offres doivent demeurer valides pendant cent vingt (120) jours, à compter de la date prévue pour l’ouverture des offres. Elles doivent être accompagnées d’une garantie d’offre dont la valeur est indiquée dans le DAO. 8. Les offres doivent être assorties d’une garantie de soumission d’un montant de 5 000 000 FCFA. 9. Toutes informations complémentaires seront obtenues à l’adresse suivante : COMPAGNIE ENERGIE ELECTRIQUE DU TOGO (CEET) DIRECTION GENERALE 426 avenue Mama Fousséni - BP: 42 Lomé – TOGO Tel: + 228 221 07 74 / 221 37 74 - Fax: + 228 221 64 98 e-mail : ceet@ceet.tg 10. Les propositions sous plis fermés devront être déposées au Secrétariat du Directeur Général de la CEET à l’adresse ci-dessus au plus tard le 25 janvier 2011 à 11 heures 30 minutes TU. 11. L’ouverture des plis aura lieu le même jour en séance publique à partir de 15 heures 00 minute TU à la salle de réunion de la direction générale de la CEET en présence des soumissionnaires qui désirent y assister. La Direction Générale

JEUNE AFRIQUE N° 2607-2608 – DU 26 DECEMBRE 2010 AU 8 JANVIER 2011


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AOI no 283/PMEDE/SNEL/BCECO/DPM/NZ/2010/MT

Lot 1 – Réhabilitation des groupes G21 et G22 de la Centrale d’Inga IIA. Contrat clef en main pour étude, fabrication et essais en usine, transport, fourniture, montage et essais sur site, et mise en service.

AVIS DE REPORT DE LA DATE DE REMISE DES OFFRES

La date limite de remise des offres pour le marché susmentionné, initialement fixée au jeudi 13 janvier 2011, est reportée au mardi 15 février 2011 à 15H00’ (TU+1). Les Soumissions seront ouvertes physiquement en présence des représentants des soumissionnaires qui souhaitent assister à la séance publique d’ouverture des plis qui aura lieu le même mardi 15 février 2011 à 15H30’ (TU + 1) à l’adresse ci-dessous du BCECO : Bureau Central de Coordination (BCECO) Avenue Colonel Mondjiba n° 372 Complexe Utexafrica – Kinshasa – Ngaliema – R.D. Congo Tél. + (243) 81 513 6729, (243) 81 999 9180 E-Mail : bceco@bceco.cd avec cc : dpm@bceco.cd, bcecobceco@yahoo.fr, dpmbceco@yahoo.fr

MATONDO MBUNGU Directeur Général a.i. du BCECO

REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

Projet de réhabilitation et de renforcement des centrales hydroélectriques d’Inga et du réseau de distribution de Kinshasa - PMEDE Don FAD No 2100155010866 AAOI No. 268/PMEDE-FAD/BCECO/DG/DPM/NZ/2010/MT

Lot 8 : Nouveau poste 220/20 kV de Kimbanseke

AVIS DE REPORT DE LA DATE DE REMISE DES OFFRES

La date limite de remise des offres pour le marché susmentionné, initialement fixée au jeudi 6 janvier 2011, est reportée au jeudi 17 février 2011 à 15H00’ (TU+1). Les Soumissions seront ouvertes physiquement en présence des représentants des soumissionnaires qui souhaitent assister à la séance publique d’ouverture des plis qui aura lieu le même jeudi 17 février 2011 à 15H30’ (TU + 1) à l’adresse ci-dessous du BCECO : Bureau Central de Coordination (BCECO) Avenue Colonel Mondjiba n° 372 Complexe Utexafrica Kinshasa – Ngaliema – R.D. Congo - Tél. + (243) 81 513 6729, (243) 81 999 9180 E-Mail : bceco@bceco.cd avec cc : dpm@bceco.cd, bcecobceco@yahoo.fr, dpmbceco@yahoo.fr

MATONDO MBUNGU Directeur Général a.i. du BCECO

info@sai2000.org UNIVERSITÉ CHEIKH ANTA DIOP DAKAR ECOLE SUPÉRIEURE POLYTECHNIQUE DÉPARTEMENT GÉNIE CIVIL

LICENCE PROFESSIONNELLE CONDUCTEUR DE TRAVAUX EN GENIE CIVIL EN COLLABORATION AVEC SOGEA – SATOM

ANNEE UNIVERSITAIRE 2010/2011 1/ OBJECTIFS DE LA FORMATION La licence professionnelle Conducteurs de travaux vise à former les conducteurs de travaux capables d’assurer l’étude de dossiers, la consultation d’entreprises, la préparation et la conduite des travaux, le management des équipes, le pilotage du chantier et de son environnement, la gestion des moyens, la gestion administrative et budgétaire du chantier. 2/ ORGANISATION ET DUREE La formation, répartie sur deux (2) semestres, s’étend sur l’année 2011. (Rentrée : 2e quinzaine de janvier). Le premier semestre comprend un enseignement théorique sous forme de cours magistraux, de travaux dirigés et de travaux d’études personnels. Le second semestre comprend un enseignement pratique, avec un stage de 4 mois en entreprise et un projet tutoré avec soutenance. 3/ CONDITIONS D’ACCES La formation est ouverte à tout étudiant titulaire d’un DUT, DST, BTS ou équivalent dans une des options du Génie civil.

4/ ADMISSION Sur dossiers et entretien. Date limite de dépôt/réception des dossiers au département de GC de l’ESP (Dakar) : 14/01/2011

5/ PIECES A FOURNIR • Un formulaire de demande d’inscription à remplir • Un extrait de naissance datant de moins de 3 mois • 2 photos d’identité • Les copies légalisées des diplômes à partir du baccalauréat • Les relevés des notes du DUT, BTS, DST ou diplôme équivalent 6/ CONDITIONS DE FORMATION Ouverte en partenariat fort avec les entreprises, cette formation propose aux jeunes, retenus par les entreprises partenaires (Sogea-Satom, CDE, CSE, Eiffage Sénégal), les meilleures solutions de prise en charge de leurs frais, dont les coûts de formation.

Contact : Ecole Supérieure Polytechnique – Département Génie Civil - B.P. 5085 DAKAR - FANN - Tél. (221) 33 824 48 87 Site web : www.esp.sn - Email : genie.civil@esp.sn

JEUNE AFRIQUE N° 2607-2608 – DU 26 DECEMBRE 2010 AU 8 JANVIER 2011

Appel d’offres - Formation

Tél. (212) 840-7111 Fax (212) 719-5922

REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO


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AC

Spécialistes de l’adaptation aux changements climatiques/Séquestration - Afrique The European Centre for Development Policy Management (ECDPM) in Maastricht, the Netherlands, has established itself as an independent ‘broker’ with respect to the policy dialogue and institutional capacity building activities that underlie Europe and African, Caribbean and Pacific (ACP) countries relations for development. We wish to strengthen the quality and impact of the Centre’s activities in the context of ACP-EU development cooperation and reinforce our staff in the head office in Maastricht with a • Policy Officer in Political Economy of Reforms and Development

Recrutement

The policy officer should have practical experience in economic governance and equitable growth strategies, domestic resources mobilisation initiatives or regional integration processes in Africa. An interest and ability to facilitate and engage in policy processes and capacity development is required along with contributions to the planning, managing, sharing, publishing and disseminating of state-of-the-art practically oriented knowledge for the benefit of the Centre’s stakeholders and networks. For full texts of the vacancies and more, please go to www.ecdpm.org/vacancies Application deadline January 7, 2011

International Resources Group (IRG) recherche des experts internationaux qualifiés dans le domaine des changements climatiques pour des postes de longue et de courte durée dans le cadre de futurs projets réalisés avec des bailleurs de fonds internationaux. En prévision d’opportunités futures, IRG recherche des spécialistes ayant au moins 5 années d’expérience une expérience dans un ou plusieurs des domaines suivants : Adaptation : Données, évaluation et outils sur la vulnérabilité et l’adaptation ; Planification, conception et mise en œuvre de l’adaptation associées à une expérience de travail à différents niveaux ; Populations vulnérables et impacts de la migration ; Gestion des conflits liés aux terres et aux ressources ; Diversification des moyens de subsistance ; Sécurité alimentaire et liens avec les besoins d’adaptation aux changements climatiques ou Planification sectorielle et/ou SIG. Séquestration : Méthodologies et comptabilité du carbone ; Stratégies de REDD ; Accès équitable aux bénéfices et leur distribution ; Législation et règlementation sur les crédits carbone ; ou Développement et marketing des crédits carbone. Qualifications : • Diplôme d’études supérieures dans un domaine technique pertinent. • 10 années d’expérience au sein de projets avec la communauté internationale des bailleurs de fonds. • Une expérience antérieure de la recherche appliquée • Anglais obligatoire avec de préférence une aptitude dans une langue pertinente (français, portugais, arabe). Pour manifester votre intérêt : Veuillez envoyer votre CV et un courriel de motivation à ClimateChangeExperts@irgltd.com en indiquant « Climate Change-JA » comme sujet. English language curriculum vitae preferred. Pour plus d’informations, veuillez consulter notre site www.irgltd.com.

La Banque Africaine de Développement Nomination d’un membre sur le fichier d’experts

du Mécanisme indépendant d’inspection du Groupe de la Banque africaine de développement Le Mécanisme indépendant d’inspection (MII) du Groupe de la Banque africaine de développement a été créé en 2004 pour répondre à des plaintes introduites par des personnes, qui craignent d’être touchées par les effets néfastes d’un projet financé par le Groupe de la Banque, en raison du non-respect des politiques et procédures de la Banque. Le MII répond à ces plaintes par la résolution des problèmes et/ou la vérification de la conformité. Le fichier d’experts du MII comprend trois membres extérieurs, nommés par les Conseils d’administration pour un mandat non renouvelable de cinq ans. Ces experts travaillent à temps partiel au sein des Panels de vérification chargés de mener des investigations sur des accusations de non-respect de la conformité ou de préjudices éventuels. Pour de plus amples informations sur le MII, veuillez visiter le site : www.afdb.org/irm Les candidatures au poste de membre sur le fichier d’experts du MII sont suscitées chez les experts/consultants individuels ressortissants des pays membres du groupe de la Banque Africaine de Développement, maîtrisant parfaitement à l’oral et à l’écrit le français, et ayant une bonne connaissance pratique de l’anglais.

Le candidat qui sera jugé satisfaisant doit démontrer un sens avéré de l’indépendance et de l’intégrité; une formation universitaire pertinente et solide (au moins un diplôme de DEA; DESS ou de Master 2, ou de préférence un Doctorat d’Etat), avec une expérience pratique dans le domaine du développement, notamment sur les questions environnementales, sociales, économiques et juridiques applicables aux secteurs public et/ou privé; une vaste expérience en matière de vérification de la conformité, et une aptitude à accomplir ses fonctions et attributions de manière impartiale. Pour de plus amples informations sur les fonctions et attributions, ainsi que les termes et exigences du poste, les candidats intéressés sont priés de visiter la page Carrières/Postes vacants du site web de la Banque (http://www.afdb.org). Les candidatures doivent être enregistrées en ligne avec un CV complet au plus tard le 31 janvier 2011 sur le site suivant : www.afdb.org/jobs

www.afdb.org

JEUNE AFRIQUE N° 2607-2608 – DU 26 DECEMBRE 2010 AU 8 JANVIER 2011


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Université Senghor

Université internationale de langue française au service du développement africain

Opérateur direct de la Francophonie

Retrouvez toutes nos annonces sur le site : www.jeuneafrique.com JEUNE AFRIQUE N° 2607-2608 – DU 26 DECEMBRE 2010 AU 8 JANVIER 2011

DANIDA CHERCHE CONSEILLER TECHNIQUE Conseiller principal (N2) au Bénin Renforcement de la coordination, planification budgétaire, du suivi et de l’ établissement de rapports au niveau ministériel dans le secteur de l’éducation. www.danidajob.dk Visitez www.danidajob.dk pour une description complète du poste et des informations sur le travail et le rôle en tant que conseiller Danida. Le cabinet de consultants, Mercuri Urval, participera au recrutement.

Recrutement - Propositions Commerciales

Concours de Recrutement au « Master en Développement » (Promotion 2011-2013) L’Université Senghor lance, pour la rentrée 2011, un concours d’entrée au programme du Master en Développement dans 9 spécialités : Management de Projets ; Gouvernance & Management Public ; Gestion du Patrimoine Culturel ; Gestion des Industries Culturelles ; Communication et Médias, Gestion de l’Environnement ; Gestion des Aires Protégées, Santé Internationale et Politiques Nutritionnelles. Conditions d'admission et Dossier de candidature • Être âgé de moins de 36 ans, le 1er septembre 2011 ; • Être titulaire d’une licence ou d’un diplôme équivalent et faire état d’une expérience professionnellepertinente d’un an au minimum ; • Réussir les 3 étapes du concours d’entrée au Master en Développement : examen du dossier de candidature rempli obligatoirement en ligne sur le site de l’Université ; épreuve écrite et entretien oral avec un représentant de l’Université. Les dossiers de candidature doivent être remplis obligatoirement en ligne sur le site Internet de l’Université Senghor : www.usenghor-francophonie.org, avant le 24 février 2011 à 24h00 GMT. Modalités pratiques L’Université Senghor offre aux candidats définitivement admis à l’issue du concours de recrutement, 120 bourses couvrant les frais de scolarité, de vie et de stage. Les candidats boursiers de l’Université Senghor auront seulement à s’acquitter d’un droit d’inscription de 500 €. Par ailleurs, l’Université Senghor inscrira des candidats admissibles supplémentaires n’ayant pas été classés pour l’obtention d’une bourse mais qui sont en mesure d’assumer les droits d’inscription ainsi que leurs frais de vie à Alexandrie (2000 € pour l’année académique 2011-2012) ; les frais de scolarité étant offerts. Ces étudiants devront en outre, assurer la totalité de leurs frais de stage. Pour tout renseignement, contactez : Université Senghor - Concours de Recrutement 1, Place Ahmed Orabi El Mancheya - B.P. 21111 415 Alexandrie – Égypte Téléphone : + (203) 48 43 374 - Télécopieur : + (203) 48 43 479 Courriel : concoursderecrutement@usenghor-francophonie.org www.usenghor-francophonie.org


174 VOUS & NOUS

Opinion TSHITENGE LUBABU M.K.

Requiem pour un cinquantenaire

L

année 2010, celle du cinquantenaire de la première vague des indépendances des pays africains, appartient maintenant au passé. Comme il se doit, chacun des dix-sept États concernés, à une exception près, a mis un point d’honneur à célébrer l’événement avec tout le faste y afférent. Les lampions éteints, que faut-il retenir ? Première leçon, les Africains ont été très durs envers eux-mêmes. Plutôt envers ceux qui ont tenu le gouvernail depuis 1960. Sans indulgence aucune, la plupart d’entre eux considèrent les indépendances de 1960 comme un immense gâchis. Cela se résume en quelques mots : corruption, faillite des élites, manque d’infrastructures de base et du minimum vital, coups d’État à répétition, instabilité, conflits sans fin, pauvreté, déni de démocratie… La liste des plaintes est longue. D’aucuns, sortant de leurs propres traditions, se sont référés à la Bible pour parler de la prétendue malédiction divine d’un certain Cham, deuxième fils de Noé, et de toute sa descendance, pour irrévérence envers son père. Ce fameux Cham, père de Canaan, serait l’ancêtre des Noirs ! De son côté, l’écrivain malien Moussa Konaté a publié en cette année du cinquantenaire un essai intitulé L’Afrique noire est-elle maudite ? Il insiste sur le poids de la collectivité sur l’individu, qui constitue, selon lui, un frein au développement. Les Africains « radicaux » s’en prennent, eux, à un Occident perfide et avide, pilleur invétéré des matières premières du continent et source de tous les maux. RESTE QUE POUR LES PLUS RÉALISTES, si la mau-

vaise gouvernance est la principale caractéristique des régimes qui se sont succédé depuis 1960, il serait exagéré d’affirmer que le continent est resté statique. Ces derniers évoquent l’héritage colonial, qui, en termes de routes, d’hôpitaux, d’écoles, d’universités, de libertés publiques, de diversification économique, n’était pas glorieux. Ils soutiennent que l’Afrique d’il y a cinquante ans n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Que des progrès ont été réalisés dans beaucoup de domaines, même s’ils ne sont pas à la hauteur des attentes. Et que le plus grave reste la prédation à laquelle se livre quiconque détient une parcelle de pouvoir, au détriment du plus grand nombre, sans oublier l’impunité dont jouissent les privilégiés. Avant de souligner que beaucoup de pays, naguère

dirigés par des dictateurs, ont connu des alternances démocratiques crédibles. Les uns et les autres ont sans doute raison. Mais l’Afrique a encore un long chemin à parcourir. S’il est vrai que cinquante ans représentent peu de chose dans la vie de peuples, il est également vrai qu’en cinquante ans il est possible d’améliorer les conditions de vie d’une population donnée. Ce dont le continent a le plus besoin, c’est de dirigeants intègres, soucieux du bien-être collectif, ayant une vision qui ne se limite pas à la conquête du pouvoir pour les avantages matériels qu’il procure. Il faut à l’Afrique des dirigeants capables de résoudre des problèmes aussi élémentaires que le manque d’électricité, d’eau potable, l’accès aux soins et à l’éducation. Des leaders dont la seule ambition ne doit pas consister à vouloir à tout prix voir leurs États être reconnus comme « pays pauvres très endettés » – ce statut indigne qui leur permet, une fois leur dette annulée, de compter, une fois de plus, sur la générosité des pays du Nord. Le bon sens devrait plutôt les inciter à se battre seuls pour sortir les populations des conditions de vie infrahumaines. Au c o ur s d u p r o chain demi-siècle, les Africains devront apprendre une bonne fois pour toutes qu’ils font partie de l’humanité. Et considérer que les problèmes auxquels ils sont confrontés ne résultent d’aucune malédiction. Ils devront aussi se dire que tous les peuples du monde ont connu, au cours de leur histoire, des moment s dif f ic ile s . Mais que l’histoire des autres n’est pas forcément la leur. Ils devront alors, pour aller de l’avant, croire en eux-mêmes, compter sur eux-mêmes. Ils pourront alors dire, comme Léopold Sédar Senghor : « Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l’aurore ? / Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l’homme aux espoirs éventrés ? / Ils nous disent les hommes de la mort. / Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur ». ■

La mauvaise gouvernance est la principale caractéristique des régimes africains qui se sont succédé depuis 1960.

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VOUS & NOUS 175

COURRIER DES LECTEURS SPÉCIAL 50 ANS DE « JEUNE AFRIQUE »

Souvenirs, souvenirs

■ Je crois avoir découvert Jeune Afrique au cours de l’année scolaire 1977-1978. Le numéro qui m’avait frappé présentait en couverture l’actuel président sénégalais, Abdoulaye Wade, à l’époque dans l’opposition. C’était titré « Cet homme n’ira pas en prison ». J’avais été subjugué par la qualité du papier journal, celle des images et la diversité du courrier des lecteurs. Les noms des journalistes me captivaient également : Béchir Ben Yahmed, Siradiou Diallo, Hamza Kaïdi, Jean-Pierre Ndiaye… Jeune Afrique a véritablement contribué à ma formation. Le premier article dont je garde un grand souvenir – parce qu’il a ouvert mes yeux sur l’un des plus vieux conflits du monde contemporain – est un large extrait du rapport d’une commission d’enquête des Nations unies sur le traitement subi par les Palestiniens dans les territoires occupés par Israël. Alors que j’étais devenu enseignant, en 2001, mon salaire me permettait à l’époque de me procurer presque régulièrement le journal. Je me souviens d’un numéro consacré au Hezbollah. Le monde découvrait avec stupéfaction, surtout grâce à vous, ce mouvement de patriotes libanais. J’avais lu auparavant une longue interview que le président Léopold Sédar Senghor vous avait accordée. De cette interview, j’ai retenu sa fameuse phrase : « Je m’en vais avant que les murs que j’ai édifiés ne s’écroulent. » ABDOU SIDDO ISSOUFOU, CONSEILLER PÉDAGOGIQUE, KEITA, NIGER

Lʼesprit est toujours jeune

■ Cinquante ans pour un journal africain, c’est énorme! Félicitations chaleureuses et cordiales à tous ceux qui ont participé à cette aventure ! À Béchir Ben Yahmed, bien sûr, qui a créé Jeune Afrique. À tous ceux qui l’ont fait hier et, naturellement, à ceux qui le font aujourd’hui. Depuis quand je lis Jeune Afrique ? Je ne m’en souviens plus très bien. Cela devait être vers 1964, à partir de la tentative de coup d’État contre le président Léon Mba. J’étais alors étudiant à Rennes, dans l’ouest de la France. Depuis, je ne l’ai plus quitté. Je suis fier qu’un Africain ait réussi, contre vents et marées (au vrai sens de l’expression) à faire vivre pendant Casimir Oyé Mba, lors cinquante ans un d’une visite à J.A. en 2009. organe de presse qui soutient la comparaison avec les meilleurs du monde. Cette réussite et cette longévité véhiculent, pour nous, Africains, un message : avec du travail et de la volonté, « yes we can ». Quand on met cela en regard des tumultes de l’Afrique pendant cette période, on mesure la portée de la performance. Naturellement, je ne suis pas toujours d’accord avec ce que dit votre journal. Mais, globalement, je partage ses craintes, ses phobies, ses joies et ses espoirs concernant notre continent. Pour l’avenir de Jeune Afrique, j’emprunterai volontiers les mots du président camerounais Paul Biya recevant les joueurs de l’équipe nationale de retour de la Coupe du monde de football organisée en Italie. C’était en 1990 : « Un seul mot : continuez ! » CASIMIR OYÉ MBA, ANCIEN PREMIER MINISTRE, LIBREVILLE, GABON

Une longue fidélité

■ C’est en 1961 que j’ai lu pour la première fois Jeune Afrique, à Paris, alors que je venais de quitter La Martinique, mon île natale, pour raisons d’études. Cela fait quaranteneuf ans. Cette immersion fut rendue possible par un beau-frère guinéen qui était abonné à votre journal.

TOU T E S L E S CU LT U R E S D’A F R IQU E

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■ Jeune Afrique et moi nous nous sommes connus à… Genève où j’étais étudiant. Ce coup de foudre a débouché sur un abonnement d’un an. Au moment où je suis revenu au Cameroun, à la fin de 1971, l’idylle a continué, en dépit d’une petite infidélité d’un an avec un autre magazine. Retraité depuis 2001, je vis dans mon village, Nkolemvon. Jeune Afrique est resté toujours jeune. Compte tenu de mes moyens, je ne peux m’offrir maintenant qu’un numéro sur deux dans les kiosques. Longue vie! PHILIPPE MBIAME, NKOLEMVON, CAMEROUN

J.A. doit continuer

BRUNO LEVY POUR J.A.

Le 17 octobre, « Jeune Afrique » a célébré son cinquantième anniversaire. Vous avez été très nombreux à nous témoigner votre amitié. Nous fermons notre séquence spéciale avec vos derniers courriers. Merci pour votre fidélité.

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176 VOUS & NOUS ▲ ▲ ▲

Quand il dut quitter la France, il me transmit son abonnement. De retour à La Martinique en 1974, j’ai continué à être une fidèle lectrice de Jeune Afrique. Vous avez même publié une lettre de moi dans la rubrique « Vous et Nous » lors de la disparition de la compagnie aérienne multinationale Air Afrique. L’africaniste que je suis devenue a beaucoup appris dans vos articles, tout en gardant le sens critique. Grâce à Jeune Afrique, j’ai pu mieux appréhender les aspects géopolitiques, économiques et culturels de l’Afrique. Ainsi, lorsque j’ai décidé de visiter certains pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Mauritanie, le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, etc., je n’étais pas en terre inconnue. Continuez d’exister: c’est mon souhait. J’ai été déçue quand le journal a changé d’appellation. Fort heureusement, il a retrouvé son nom « normal »! FRANCETTE PARTEL, LE LAMENTIN, LA MARTINIQUE, FRANCE

Éveilleur des consciences

■ Ma première rencontre avec Jeune Afrique remonte à 1975, l’année de mon entrée à l’université. C’était dans le Zaïre de Mobutu, avec la pensée unique du parti-État, avec un lavage des cerveaux, un blocus des

idées et des informations. Une sorte de prison à ciel ouvert. Pour nous, jeunes étudiants toujours prompts à contester, tous les moyens furent utilisés pour sortir de l’obscurantisme et de la propagande du régime. Cela, en recherchant d’autres sources d’information crédibles et fiables. C’est là que J.A., notre seul hebdomadaire du nord au sud du continent, est intervenu de façon providentielle pour assouvir notre soif d’information. Il était très lu sur le campus universitaire de Kinshasa. Trente-cinq ans plus tard, je continue, comme un drogué, à acheter chaque semaine mon numéro de J.A., quoi qu’il en coûte. Les cinq décennies d’existence du journal ont été indiscutablement un grand succès et méritent d’être fêtées, contrairement à la longue série des célébrations marquant le cinquantenaire des indépendances de dix-sept pays africains. Très peu d’ailleurs peuvent être fiers de leur bilan. Mon profond souhait est que les cinquante prochaines années de J.A. soient consacrées au développement de l’Afrique. Votre rôle d’éveilleur de la conscience des peuples africains et de dénonciateur des gâchis et de la mauvaise gestion des États sera déterminant. Longue vie! JEAN-PIERRE K AZU, LAVAL, CANADA

Une cure de rationalité

■ Je suppose qu’il ne vous est jamais arrivé de perdre la mémoire. Moi, si. C’était à la suite d’un accident de la circulation, le traumatisme crânien dont j’ai été victime m’ayant plongé dans le coma. À la sortie de l’hôpital, je ne pouvais reconnaître personne. Selon mon médecin traitant, il me fallait tout réapprendre ou presque. Me voici, donc, en train de bouquiner tout en laissant voguer mon imagination dans un passé vieux de quarante-cinq ans. Élève au lycée de Sousse, je me souviens avoir eu, un jour, l’audace d’interpeller notre professeur de français en train de lire un journal. Pourtant, c’est lui qui nous interdisait la lecture des journaux de crainte que nous n’abîmions la langue de Molière par le pullulement de fautes de grammaire et de conjugaison. Bien qu’embarrassé, sa réponse fut sans appel : « Mon journal, fiston, fait exception, car je suis en train de savourer en ce moment Jeune Afrique. Une information crédible écrite en bon français. » Depuis, je m’étais mis à lire régulièrement Jeune Afrique. N’est-ce pas là le gage d’une véritable cure de rationalité ? En tout cas, c’est ce que je crois moi aussi. JOMAÂ ABDELHAMID, NUTRITIONNISTE, TÉBOULBA, TUNISIE

AGENDA JANVIER 2011 ANITA CORTHIER

1ER UNION EUROPÉENNE La Hongrie prend la présidence pour six mois.

Parti démocratique du peuple (PDP) pour l’élection présidentielle du 9 avril.

1ER BRÉSIL Dilma Rousseff est investie présidente, et succède à Lula.

16 RD CONGO 10e anniversaire de l’assassinat du président Laurent-Désiré Kabila.

9 SUD-SOUDAN Référendum sur l’indépendance.

16 HAÏTI Second tour de la présidentielle

11 TCHAD Célébration du 50e anniversaire de l’indépendance.

17 RD CONGO 50e anniversaire de l’assassinat de Patrice Lumumba.

13 NIGERIA Élections primaires au sein du

19 PARIS, FRANCE Ouverture du procès

en appel de l’« Angolagate », qui se tiendra jusqu’au 4 mars. 23 PORTUGAL Élection présidentielle. 23 CENTRAFRIQUE 1er tour des élections présidentielle et législatives. Le second est prévu le 20 mars. 25 NEW YORK, ÉTATS-UNIS Verdict dans le procès d’Ahmed Khalfan Ghailani, Tanzanien accusé de « conspiration afin de détruire des biens américains » lors des deux attentats

contre les ambassades américaines de Dar es-Salaam et de Nairobi en 1998. 26-30 DAVOS, SUISSE Forum économique mondial. www.weforum.org 30-31 ADDIS-ABEBA, ÉTHIOPIE 16e Sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine. www.africa-union.org 31 NIGER Élections présidentielle et législatives. Le second tour est prévu le 14 mars.

J E U N E A F R I Q U E N ° 2 6 0 7 - 2 6 0 8 • D U 2 6 D É C E M B R E 2 0 10 A U 8 J A N V I E R 2 0 11


VOUS & NOUS 177 ■ Jeune Afrique représente pour moi ce que la ceinture est au pantalon : nous sommes intimement liés. Âgé aujourd’hui de 49 ans, je l’achète depuis presque vingt-huit ans, entre Paris et Kinshasa, dès que je vois en couverture un titre concernant mon pays d’origine, la RD Congo. Je me suis profondément attaché à ce journal à partir de juillet 2008, lorsque François Soudan m’avait prodigué quelques conseils efficaces pour condenser ma pensée. Depuis cette date, une douzaine de textes signés de moi ont contribué, entre autres, au bonheur des amateurs de « Vous et Nous ». D’ailleurs, l’existence de cette section démontre à quel point J.A. est ouvert au débat et accepte les critiques en vue de toujours s’améliorer et de changer la société. PAUL NIBASENGE NʼKODIA, PARIS, FRANCE

Lʼimage dʼune Afrique meurtrie

■ Tous les analystes politiques avaient prévu une issue chaotique aux présidentielles en Guinée et en Côte d’Ivoire. La Guinée l’a échappé belle. Tardivement, Cellou Dalein Diallo vient de reconnaître sa défaite. La Côte d’Ivoire, quant à elle, par la volonté d’un seul homme qui s’accroche au pouvoir, a cédé aux sirènes de l’anarchie. Elle est, aujourd’hui, le seul pays au monde à avoir deux présidents et deux gouvernements. Cela à l’issue d’une élection présidentielle qualifiée de démocratique par la communauté internationale. Il y a, d’un côté, un président sorti proprement des urnes selon les normes admises : Alassane Ouattara. De l’autre, un tricheur qui, une fois son hold-up électoral réalisé, est allé, sans scrupules, jusqu’à prêter serment à la face du monde : Laurent Gbagbo. Une élection peut être contestée. On l’a vu, une fois, aux États-Unis, lors de la bataille engagée entre George W. Bush et Al Gore. Mais il existe un système de correction. Dans le cas ivoirien, le Conseil constitutionnel aurait dû suspendre la proclamation des résultats et appeler les départements mis en cause à revoter. Au lieu d’opter « consciemment » pour une mauvaise solution dont l’aboutissement est, au mieux, le blocage des institutions et, au pire, la reprise de la guerre civile. JEAN-JULES LEMA LANDU, PARIS, FRANCE

Forum FRANÇOIS SERRES

Avocat à la cour d’appel de Paris et défenseur de Hissène Habré

Affaire Habré : un poids, une mesure

L

a Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a rendu, le 18 novembre 2010, dans l’affaire opposant l’ancien président du Tchad Hissène Habré à l’État du Sénégal, plusieurs décisions d’importance pour le continent africain. La saisine de la juridiction par Hissène Habré visait à remettre en cause le mécanisme judiciaire mis en œuvre par le Sénégal, consécutivement au mandat que celui-ci avait obtenu en 2006 de l’Union africaine (UA), avec l’appui des présidents Déby et Kaddafi. Limité à la seule personne de Hissène Habré, ce mandat avait pour objet de le faire juger par une juridiction sénégalaise compétente avec les garanties d’un procès juste. La Cour a rejeté la thèse selon laquelle l’affaire Hissène Habré relèverait de la compétence de l’UA, soulignant qu’« elle n’est pas une Cour internationale car sa mission n’est pas d’administrer la justice ». Elle critique ainsi l’ingérence d’un organe politique – la Conférence des chefs d’État – dans la sphère du judiciaire. LA COUR A CONDAMNÉ par ailleurs les violations des droits de l’homme

perpétrées par le pouvoir sénégalais sur la base des réformes constitutionnelles et législatives opérées, en « disant aussi que l’État du Sénégal doit se conformer au respect des décisions rendues par ses juridictions nationales – dans la même affaire en 2001 – et [en] lui ordonnant le respect du principe absolu de non-rétroactivité des lois pénales ». Cette victoire du judiciaire sur le politique est une bonne nouvelle pour le continent. Par cette décision, la Cour affirme un principe fort: la possibilité de sa saisine en cas de violation potentielle des droits de l’homme. Elle n’a certes pas, comme l’affirment certains, donné au pouvoir sénégalais le mandat de constituer une juridiction ad hoc pour juger Hissène Habré. Le Sénégal, condamné et privé du droit de juger, n’a d’autre solution que de remettre son mandat à l’UA. Celle-ci décidera-t-elle, pour autant, de créer un tribunal international, ad hoc ou spécial pour le Tchad ? Verra-t-on la Conférence des chefs d’État de l’UA, composée de dirigeants impliqués dans le conflit tchadien, décider de la création d’un tribunal dont ils seraient les premières cibles et ouvrir la voie vers le réexamen dans d’autres régions d’événements passés, elle qui peine à juger le présent ? De fait, la Cour rappelle à l’organisation continentale, alors que celle-ci appuie par ailleurs des processus de réconciliation nationale et de véritéjustice, que si elle souhaite lutter contre l’impunité, elle ne saurait le faire en dehors du respect du droit, en ignorant les dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme en matière de non-rétroactivité ou de respect de l’autorité de la chose jugée.

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Le Sénégal, condamné et privé du droit de juger, doit remettre son mandat à l’UA.

D.R.

La ceinture et le pantalon


POST-SCRIPTUM

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL

P O L I T I Q U E , É C O N O M I E , C U LT U R E Fondé à Tunis le 17 oct. 1960 par Béchir Ben Yahmed (51 e année)

Édité par SIFIJA

Dans le secret des dieux UN JOUR, J’ÉTAIS DANS UN TAXI À ALGER. Le chauffeur m’ayant prise en sympathie – à moins qu’il ne fût un bavard né – se mit à me raconter les mille et une aventures de son métier. De quoi écrire un roman, je vous jure ! Je m’empressai de lui demander si je pouvais puiser dans ses histoires et les rendre publiques. Il reFAW ZIA fusa net, arguant de l’obligation du sitr, ce ZOUARI rideau de pudeur qu’il faut maintenir sur la vie intime que seul Dieu a le droit de connaître et de protéger. Pour illustrer son propos, il m’a raconté l’histoire suivante: « L’ange Gabriel fut appelé un jour par une créature féminine qui lui demanda d’intercéder auprès de Dieu pour son salut, car elle avait beaucoup fauté. L’ange monta au ciel, formula la demande au Créateur, qui, sans même réfléchir, accorda son pardon. Revenu sur terre, Gabriel annonça la bonne nouvelle à la croyante. Elle s’exclama: “Tu as dû te tromper. Dieu ne peut pardonner si facilement à quelqu’un qui a commis autant d’atrocités que moi!” Et de lui raconter par le menu sa vie jalonnée d’adultères, d’inceste et d’homicides. “S’il te plaît, remonte voir Allah, et assure-toi de ce qu’il t’a dit.” L’ange s’en alla informer Dieu de la réaction de la femme en même temps qu’il lui montra la liste de ses délits. C’est alors que l’Unique laissa tomber: “Tu lui diras qu’elle ira en enfer.” Désarçonné, Gabriel osa: “Mais, enfin, Dieu, il y a un quart d’heure, tu m’as dit que tu lui pardonnais!” “Oui, mais il y a un quart d’heure, il n’y avait qu’elle et moi qui étions au courant de ses secrets. Maintenant tu es le troisième!” » Pourquoi je vous raconte cette histoire? À cause de WikiLeaks. Et de cette mise à nu, ces révélations sur la place publique de toutes les nations, des péchés secrets de l’Amérique. Péchés jusque-là pardonnables parce qu’ils dormaient dans les notes confidentielles des chancelleries et dans les rapports des services secrets. On ne connaît pas encore les conséquences des révélations de WikiLeaks sur les Américains. Les mèneront-ils au paradis ou en enfer? Autrement dit, s’ensuivra-t-il des crises diplomatiques majeures ou des revanches inédites? Ce qui est sûr, c’est que nous n’avons pas à nous plaindre. Qui nous? Nous les petits peuples qui n’avions point tort de soupçonner que des complots se tramaient dans notre dos par une Amérique soucieuse davantage de ses intérêts que de nos destinées. Nous, simples gens devenus témoins, comme Gabriel, des tractations entre Dieu et ses pécheurs et heureux de se prévaloir pour une fois de la qualité d’anges. Nous, lecteurs curieux, journalistes de tous poils, romanciers à la recherche d’intrigues, pour qui jamais récolte d’informations ne fut aussi bonne. Qu’on ne nous confisque donc pas notre bien, même s’il fut acquis sans effort. Qu’on ne nous snobe pas avec des théories sur la prétendue « transparence qui nuit à la démocratie » ou « l’info qui frise le fascisme ». De grâce, pas de grands mots! Nous recommandons quant à nous ceci: cueillez, cueillez, bonnes gens, n’écoutez pas ceux qui vous disent que les fruits sont mauvais, ça se voit qu’ils ne connaissent pas la faim! Ni que les infos de WikiLeaks sont des secrets de Polichinelle. À l’évidence, ils n’ont pas été, comme nous, exclus des coulisses des grandes puissances ni bernés par leurs complots. Merci WikiLeaks, Dieu punisse l’Amérique et bénisse les Ass-Anges! ■

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