Ja 2816 17 du 28 dec 14 au 100115

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2015 l’année de tous les défis

numéro double

en vente deux semaines

N° 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

jeuneafrique.com

Hebdomadaire international indépendant • 55e année

palmarès les 50 africaiNes les plus influentes

niger issoufou : « l’état islamique est à Nos portes ! »

côte d’ivoire

Abidjan 2.0

comment la capitale économique entend faire sa révolution. Spécial 28 pages

édition CÔTE D’IVOIRE France 6 € • Algérie 350 DA • Allemagne 8 € • Autriche 8 € • Belgique 6 € • Canada 11,90 $ CAN • Côte d’Ivoire 2500FCFA • DOM 8 € • Espagne 7,20 € Éthiopie 95 birrs • Grèce 8 € • Italie 7,20 € • Maroc 40 DH • Mauritanie 2000 MRO • Norvège 75 NK • Pays-Bas 7,20 € • Portugal cont. 7,20 € RD Congo 11 $ US • Royaume-Uni 6 £ • Suisse 11,80 FS • Tunisie 6 DT • USA 13 $ US • Zone CFA 3200 F CFA • ISSN 1950-1285


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MercI Et continuez : en 2015, des surprises vous attendent.

Le premier média digitaL africain

vous souhaite une très bonne année

*Analytics - du 1er janvier au 20 décembre 2014

d’avoir été encore plus nombreux à consulter Jeune Afrique en 2014.


Le pLus

de Jeune Afrique

Panorama Une métropole sous pression

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IntervIew Robert Beugré Mambé, gouverneur du district rePortages Côté chic, popu, business ou loisirs tendance Geek City, la vi(ll)e en numérique

nabil zorkot

Abidjan, le retour

jeune afrique

n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015



Le pLus

Le Plus de Jeune Afrique

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de Jeune Afrique

Abidjan, le retour

Prélude

Abidjan et les autres

À

sa construction, au début du XXe siècle, pendant la colonisation française, Abidjan n’était qu’une petite bourgade située autour de l’actuel quartier du Plateau et occupée par des pêcheurs. Pêcheurs rapidement « déguerpis » (déjà…) pour les premiers travaux de la future capitale économique et du chemin de fer. Un millier d’habitants tout au plus. Un siècle et quelques plus tard, ils sont près de 5 millions. Ils dépasseront les 10 millions vers 2035…

heureusement, cette prise de conscience, ici et là en Afrique, a déjà eu lieu. Difficile de nier qu’à Abidjan, depuis l’élection d’Alassane Ouattara, on se préoccupe de cet avenir. Cela ne se fait pas sans poser de problèmes – travaux permanents, embouteillages monstres, déguerpissements humainement mal gérés, etc. –, mais on progresse. De nombreux programmes de logement ou d’assainissement sont en cours, les infrastructures poussent à vue d’œil (le fameux pont Henri-Konan-Bédié, pour la plus récente), la loi est de plus en plus respectée, la lagune, ce cloaque à ciel ouvert, draguée. Depuis longtemps, c’est-à-dire depuis la fin de la crise postélectorale, la vie a repris ses droits, à Abobo, à Yopougon ou

« Dieu fit la campagne et l’homme fit la ville », écrivait le poète britannique William Cowper. Il va falloir à ce dernier, l’homme, et aux Africains en particulier, affronter l’un des défis les plus complexes des temps Le continent est le dernier à modernes : imaginer les entamer sa mue urbaine et les défis cités de demain en tentant de se débarrasser du carcan sont légion. Mais les solutions aussi. induit par une conception originelle, celle généralement élaborée à Adjamé comme au Plateau, à Cocody, par un colonisateur loin d’envisager un dans les très résidentiels quartiers Riviera développement démographique hors ou en Zone 4, fief des loisirs nocturnes ou norme, qui rend les fondations de nos « gastronomiques ». villes obsolètes. Et, donc, limite idées et Les défis sont légion, mais, fort projections sur l’avenir. heureusement, les solutions aussi. De Abidjan, comme Dakar, Kinshasa ou l’avantage d’être le dernier continent à Libreville, loin de Yamoussoukro ou mener sa révolution urbaine… Parmi les d’Abuja, sorties de nulle part ou presque, piliers de cette dernière, sécurité, paix, n’a cessé de s’étendre pour absorber l’afflux égalité, dynamisme économique, dévepermanent de populations. Ici comme loppement durable, accès aux services de base, gouvernance, identité, mixité ailleurs, le même schéma « directeur » : anarchie et mise en danger des habitants, sociale, etc. en multipliant par exemple les logements précaires ou insalubres ; non-satisfaction Reste une gageure, dans ce maelström des besoins les plus élémentaires (eau, d’écueils à surmonter et de concepts à électricité, assainissement, transports) ; confronter : l’identité africaine de nos absence de vision à long terme ; bricolage villes, qui ne doivent pas devenir les permanent. vitrines d’un avenir où les fondements de nos sociétés disparaissent sous le feu Ces mutations, l’Europe, l’Amérique ou d’oukases venus d’ailleurs ou par simple l’Asie les ont opérées bien avant nous, en réflexe pavlovien. Soyons nous-mêmes, plusieurs décennies. Nous n’avons pas ce africains et intelligents, modernes et luxe : le temps presse, car nous sommes authentiques, bref, « entrés dans l’Hisparvenus à la limite du supportable. Fort toire », comme dirait l’autre… l jeune afrique

n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

nabil zorkot

Marwane Ben Yahmed

jeune afrique

n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

Panorama Une métropole sous pression

p. 82

Côté stratégie Interview de robert Beugré mambé, gouverneur d’Abidjan p. 84 Circulez !… Si vous le pouvez

p. 86

Plan du district

p. 87

Côté chic Cocody la coquette

p. 90

Témoignage Souvenirs d’Ernest n’koumo mobio, dernier maire d’Abidjan p. 93

Côté populaire Voisins, voisines

p. 94

Côté business & conso mini-manhattan adjamé, en virtuel

p. 98 p. 104

Tribune mon Babi à moi, par Kajeem, chanteur p. 109

Côté loisirs

Balade initiatique

p. 110

Côté tendance Savez-vous parler nouchi ?

p. 114

Geek City, la vi(ll)e en numérique

p. 117

Un cartoon total mandingue

p. 121


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Le Plus de Jeune Afrique

ABIDJAN

Sous pression Démolitions, constructions, travaux routiers tous azimuts… Quatre années après la crise politico-militaire, et moins d’une avant la présidentielle, l’État met les bouchées doubles pour que la capitale économique ivoirienne retrouve son aura de centre névralgique de l’Afrique de l’Ouest. HABy NIAkAté,

envoyée spéciale

M

InuIt À CoCoDY, le 17novembre.L’interminable cortège de voitures du Premier ministre ivoirien, Daniel Kablan Duncan, se disperse à vive allure, achevant la visite nocturne de quelques grands chantiers d’Abidjan, une tournée marathon qu’il a entamée quatre heures plus tôt avec son ministre des Infrastructures économiques, Patrick Achi. Restauration de l’esplanade de la présidence de la République, travaux de réhabilitation de la voirie

n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

à l’entrée du Plateau, renforcement du réseau de distribution d’eau à Yopougon, travaux d’adduction d’eau de Bonoua (à 50 km à l’est d’Abidjan)… À chaqueétape,DanielKablanDuncanetPatrickAchi, portant le casque et le gilet de sécurité réglementaires,arpententleslieuxpendantquelquesminutes, échangeantavecleschefsdechantiers,écoutantl’un expliquer le fonctionnement du réseau de canalisations, l’autre celui d’une raboteuse assourdissante. « Patrick, tu ne veux pas conduire la machine ? » plaisante alors l’un des conseillers du ministre. Derrière lui, on entend le cadre, français, d’un grand groupe de l’Hexagone, un peu nostalgique, bougonner contre les « entreprises étrangères trop nombreuses » aujourd’hui dans le pays et « qui ne s’intéressent pas assez au sort des travailleurs ivoiriens ». L’ambiance est bon enfant, mais sur le visage des employés qui travaillent en pleine nuit sur les différents sites, à la lueur de lampes torches ou de petites lanternes fixées sur leurs casques, transparaît tout de même une certaine tension. Il jeune afrique


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pensent qu’il s’agit d’un caprice. En voyant le Premier ministre se déplacer en personne, ils comprennent que c’est du sérieux. C’est aussi un message vis‑à‑vis des populations. Il faut que les gens comprennent que tant que le travail n’est pas fini on ne peut pas s’arrêter, que les équipes doivent se relayer sur le terrain comme cela se fait en Europe ou en Asie… En Afrique, si on veut atteindre l’émergence, travailler huit heures par jour ce n’est pas suffisant, il faut aller beaucoup plus vite que ça ! » Quitte à rendre la circulation plus cauchemar‑ desque encore pendant les travaux qu’elle ne l’était déjà. Ainsi, avant l’ouverture, le 16 décembre, du pont Henri‑Konan‑Bédié, des nouvelles routes et de l’échangeur qui y sont connectés (lire pp. 86-87), les embouteillages étaient devenus monstrueux dans le centre d’Abidjan. Rejoindre l’aéroport Félix‑Houphouët‑Boigny depuis la commune du Plateau pouvait parfois prendre deux heures et demie en période de pointe – un trajet de moins de 15 km. « Ce chantier a rendu la circulation insupportable, reconnaît un conseiller du ministre des Infrastructures. Mais si nous n’avions pas entrepris ces travaux, la circulation aurait été impossible à gérer d’ici à cinq ans. »

Nabil Zorkot

COURSE À L’ÉMERGENCE. Sur la route de

faut faire bonne figure. Montrer aux politiques, et surtout aux médias, que les travaux avancent, de jour comme de nuit. Quelques heures auparavant, les entreprises concernées avaient d’ailleurs reçu des consignes claires, notamment par e‑mail, les priant de « prendre toutes les dispositions pour que les équipes de nuit soient au rendez‑vous et, surtout, au travail ». Car, oui, Abidjan est au travail, Abidjan est en chantier. Et si cela se voit au premier coup d’œil, cela doit aussi se savoir. La présidentielle est dans un an à peine, et Alassane Dramane Ouattara (ADO) sera particulièrement attendu sur son bilan et ses « solutions » – en référence à son slogan de campagne en 2010 : « ADO solutions ». CAUCHEMARDESQUE. « Ce type de visite, c’est une façon de mettre la pression sur les collabo‑ rateurs, de leur expliquer que j’ai moi‑même des contraintes de temps imposées par ma hiérarchie, qui exige que tout cela finisse le plus rapide‑ ment possible, explique Patrick Achi. Lorsque je leur demande de travailler la nuit, beaucoup jeune afrique

p Le quartier d’affaires du Plateau, bordé à l’est par le boulevard du Général-de-Gaulle.

Bingerville, dans l’est d’Abidjan, certaines des voitures du convoi gouvernemental sont un peu à la traîne et s’égarent. Il faut dire que le rythme imposé par les motards ouvrant la voie est sou‑ tenu. On se téléphone. « Mais où est le Premier ministre ? » On se coordonne. On se rassure. On se rattrape. De part et d’autre de la route, elle aussi en cours d’élargissement, les engins et machines en tout genre sont légion. Il y en a presque plus que d’ouvriers. Dans leur sillage, les débris de maisons et de commerces précaires, détruits, parfois déjà remplacés par de coquets pavillons. Si quelques « déguerpis » ont reçu des dédom‑ magements, la plupart affirment n’avoir eu ni compensation ni solution de relogement. « C’est sans doute l’aspect le plus difficile de cette politique de grands travaux, admet‑on dans l’entourage du ministre des Infrastructures. Mais que faire lorsque vous avez d’un côté une population qui s’est installée, souvent anarchiquement, sur la chaussée et de l’autre une route à moderniser dont vous avez besoin pour, entre autres, faire passer des canalisations d’eau potable qui alimenteront tous les quartiers d’Abidjan ? » Jusqu’ici, le choix des pouvoirs publics ivoi‑ riens a été clair. Mais ce pari sur l’avenir suscite aujourd’hui une certaine incompréhension, voire une frustration, au sein d’une frange de la popu‑ lation abidjanaise se sentant comme oubliée sur la ligne de départ de la fameuse course à l’émergence. l n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015


Le Plus de j.a. Côté stratégie

SIA KAMBOU/Afp

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robert beugré Mambé « tout le monde revient pour faire des affaires » Rénovation des routes, développement des réseaux d’eau et d’électricité… Le gouverneur du district d’abidjan évoque les grands chantiers qui devraient rendre la cité plus viable et attractive.

S

orti vice-major de l’École nationale supérieure des travaux publics en 1976, Robert Beugré Mambé a poursuivi sa formation d’ingénieur au Centre des hautes études de la construction, à Paris, avant d’intégrer le Bureau central des études techniques à Abidjan. On peut dire que l’homme maîtrise les questions d’aménagement. Après avoir quitté la présidence de la Commission électorale indépendante début 2010, l’ancien ingénieur des travaux publics a été nommé gouverneur du district autonome d’Abidjan le 4 mai 2011. Depuis, l’objectif principal de Robert Beugré n O 2816-2817 • dU 28 déceMBre 2014 AU 10 jAnvIer 2015

Mambé, 62 ans, est de faire de la capitale économique ivoirienne la vitrine de l’Afrique de l’Ouest sur l’Atlantique. Il a ainsi mis en œuvre un plan de développement articulé autour de projets prioritaires dont le montant s’élève à plus de 2 milliards d’euros. Pour réunir les investissements requis par les différents chantiers – et pas seulement les plus grands ni les plus visibles –, le gouverneur reçoit beaucoup et sillonne, aussi, les métropoles et collectivités du monde entier, notamment dans le cadre de l’Association internationale des maires francophones (AIMF), dont il est vice-président.

jeune afrique : quels sont les principaux axes du plan de développement 2013-2015 ? robert beugré MaMbé : Nous avons

de grands projets d’investissement à moyen et long termes. Ceux-ci nécessitent de lourds financements. Sur le court terme, nous avons donc amorcé le programme de développement 20132015 du district qui porte sur six points : les routes, l’électricité, l’adduction d’eau, l’assainissement, la réhabilitation des écoles primaires et la lutte contre la pauvreté, avec la création de richesses et la construction d’équipements structurants, enparticulierdeshôpitaux multifonctions. En accord avec le chef d’État et avec le conseil de district, nous avons décidé de bitumer les routes et d’ouvrir de nouvelles voies d’accès pour améliorer la circulation. L’électrification des villages occupe elle aussi une place importante dans notre programme, puisque l’accès à l’énergie est à la base du développement. Des travaux sont donc en cours pour faciliter la connexion au réseau électrique. Cela s’applique également à l’eau, car beaucoup de maladies sont jeUne AfrIqUe


Abidjan, le retour liées à la mauvaise qualité de celle-ci. Nous comptons donc développer l’accès de nos populations à l’eau potable, mais aussi leur assurer de vivre dans un environnement sain. C’est pourquoi nous avons engagé de grands travaux d’assainissement. Pendant la saison des pluies, l’eau de ruissellement envahit les rues, les cours et même les maisons… Tout cela ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Que comptez-vous faire en matière de logement ?

Avec les transports et l’aménagement des espaces publics, le logement est un souci constant pour le district. Comment faire alors pour que les habitants aient tous un toit ? Nous avons engagé des discussions avec de grands groupes pour la construction de logements, et je peux déjà annoncer la bonne nouvelle : à l’initiative du district, 25000 logements économiques, dont 1000 pour les ménages à revenus faibles, sont en cours de construction, sur 4 sites à Bingerville et à Bassam. Le programme s’étale sur cinq ans. Le montant d’une maison en location-vente n’excédera pas 14,5 millions de F CFA [22 105 euros]. Au total, cette importante opération immobilière coûtera 72,5 milliards de F CFA – prix du terrain, des aménagements et des constructions compris. Le district a-t-il un rôle dans l’assainissement de la lagune ?

L’assainissement de la baie, qui est en cours, est un projet très lourd. C’est donc l’État qui en a la charge. Le district autonome, lui, intervient au niveau de

l’aménagement et de l’embellissement des berges de la lagune, afin que les riverains bénéficient d’un cadre agréable pour se détendre et, pourquoi pas, pour développer de petites activités économiques. Comme dans nombre de métropoles, les problèmes de sécurité sont récurrents. Que faites-vous pour répondre à l’inquiétude des populations ?

La sécurité relève des pouvoirs régaliens de l’État. Malgré la conjoncture économique difficile, nous faisons le maximum pour contribuer à la lutte contre le grand

aussi d’en faire un vrai pôle d’attractivité, dans tous les domaines. Nous avons par exemple pour projet la construction d’un parc des expositions, à l’image de celui qui existe à Paris. Plus largement, pour piloter le développement de la ville, nous réfléchissons aussi à la création d’une agence d’urbanisme et de prospective. Quel est l’impact du retour, ces derniers mois, de la Banque africaine de développement (BAD) à son siège d’Abidjan ?

L’institution avait quitté la ville il y a onze ans pour des raisons de sécurité.

Pour assurer la sécurité des habitants, la vidéosurveillance est primordiale. banditisme et la criminalité. Le district d’Abidjan construit des commissariats et des gendarmeries, offre du matériel roulant et du carburant aux policiers et aux gendarmes, du matériel de constat rapide pour les accidents. Il participe aussi à la sécurisation avec l’implantation de caméras dans les points sensibles de la ville… La vidéosurveillance est primordiale. Par ailleurs, le partenariat noué avec des collectivités territoriales européennes nous a permis d’offrir des camions d’incendie aux sapeurs-pompiersmilitaires.Auregarddes besoins, c’est une goutte d’eau dans la mer, mais c’est tout de même mieux que rien. Au-delà des chantiers urgents, comment voyez-vous la future Abidjan ?

Notre ambition est de faire d’Abidjan une grande ville où il fait bon vivre. Mais

Cela a été pour nous un très mauvais signal de la part de la communauté internationale. Le fait que la BAD ait enfin réintégré son siège abidjanais signifie que la Côte d’Ivoire a retrouvé son rang sur la scène internationale et que notre pays, locomotive de l’Union économique et monétaire ouest-africaine [UEMOA], est redevenu fréquentable. Cela a évidemment un impact sur le plan économique. Les investisseurs, qui cherchent à placer leur argent dans un environnement stable, vont eux aussi revenir à Abidjan pour faire des affaires. Par ailleurs, ce retour de l’institution va nécessairement « booster » la consommation dans l’agglomération grâce au pouvoir d’achat de ses travailleurs. C’est un volet qu’il ne faut pas négliger. l Propos recueillis à Abidjan par BAUDELAIRE MIEU

DEs jEUx Et DEs tRAvAUx

A

près la station balnéaire française de Nice, en 2013, c’est Abidjan qui accueillera les Jeux de la Francophonie 2017, qui vont réunir plus de 3 000 athlètes et artistes. Le gouvernement ivoirien a déjà remis à niveau certaines infrastructures sportives existantes, dont celles du campus universitaire de Cocody et du palais des sports de Treichville. « Pour la première fois depuis plus de trente ans, l’État a prévu jeune Afrique

un budget d’investissement pour réhabiliter et construire des infrastructures sportives. Des appels d’offres ont donc été lancés cette année en vue de la réhabilitation complète des complexes sportifs de Yopougon, Abobo, Angré, Bingerville et de la piscine d’État de Treichville », souligne Alain Lobognon, le ministre de la Jeunesse et des Sports. La plupart de ces projets seront conduits dans le cadre de partenariats public-privé

(PPP). Afin d’améliorer son offre en infrastructures répondant aux normes techniques imposées par les instances internationales, le pays s’est porté candidat à l’organisation d’autres grands événements sportifs et a notamment accueilli la Coupe du monde par équipe de taekwondo en novembre 2013 (une première en Afrique) et sera l’hôte de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2021. De quoi redoubler d’efforts pour

accélérer la stratégie de construction d’installations sportives. Après une année consacrée au montage technique et financier du projet, dont le coût est estimé à 47,1 milliards de F CFA (71,8 millions d’euros), la construction du complexe olympique d’Abobo (AbidjanNord) commencera en 2015. Si le délai de livraison est respecté, le stade pourrait être prêt pour les Jeux de la Francophonie 2017. l BAUDELAIRE MIEU, à Abidjan

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Le Plus de J.A. Abidjan Côté stratégie

circulez!… Si vous le pouvez Les Abidjanais passent leur vie dans les embouteillages, même si le troisième pont vient d’ouvrir. Le développement des réseaux de bateaux-bus et le futur train urbain changeront-ils la donne?

P

our les automobilistes comme pour les usagers des bus et des taxis, se déplacer dans Abidjan reste un cauchemar. Malgré les voies de contournement et le plan de circulation élaboré par le gouvernement, les goulets d’étranglement sont légion dans toutes les communes de la ville : du boulevard du Général-de-Gaulle, à Adjamé, à celui des Martyrs, à Cocody, en passant par le boulevard Principal de Yopougon jusqu’à l’infernal boulevard Valéry-Giscard-d’Estaing (VGE), à Marcory, les Abidjanais vivent en permanence dans les embouteillages. Un fléau que ne résout que ponctuellement le troisième pont sur la lagune, inauguré à la mi-décembre. Réalisé par le groupe français Bouygues via sa filiale, la Société de construction du pont Riviera-Marcory (Socoprim), pour un coût estimé à 125 milliards de F CFA (190,5 millions d’euros), le pont à péage Henri-Konan-Bédiépermet tout de même de désengorger les ponts Charles-deGaulle et Houphouët-Boigny, en reliant le quartier de La Riviera, à Cocody, à la commune de Marcory. Long de 1,5 km en 2 × 3 voies (comprenant 21 guichets de péage), l’ouvrage est prolongé au nord par 2,7 km de route en 2 × 2 voies (jusqu’au boulevard Mitterrand) et au

sud, à Marcory, par 2 km en 2 × 3 voies (jusqu’au boulevard VGE). Pour se déplacer mieux et plus rapidement, les Abidjanais comptent sur l’amélioration du réseau de bateaux-bus et, plus encore, sur le futur train urbain, dont les travaux devraient commencer en 2015. C’est au consortium franco-coréen composé des groupes Bouygues (pour le génie civil), Dongsan Engineering et Hyundai Rotem Company (pour les rames et la sécurisation du réseau) que le gouvernement ivoirien a confié, en avril, la

transporter 320 000 passagers par jour. « La réalisation de cet important chantier permettra à la population de se déplacer rapidement, pour un coût abordable, et donnera à Abidjan cette dimension de grande métropole qu’ont les villes de taille équivalente en Occident ou en Asie », souligne Gaoussou Touré, le ministre ivoirien des Transports, qui a suivi toutes les étapes de montage de ce projet. concurrence. Le gouvernement sou-

haite également mieux utiliser la lagune, qui borde dix des treize communes du district. Aussi, tout en continuant à renforcer son parc d’autobus, la Société des transports abidjanais (Sotra) a adopté un plan d’investissement de 7,5 milliards de F CFA pourdéveloppersonréseaudebateaux-bus etfairefaceà la concurrence,puisque l’État a mis fin à son monopole sur le transport lagunaire. L’entreprise publique prévoit d’acquérir une dizaine Malgré le plan de mobilité, d’embarcations et de construire le long de la lagune, les goulets aumoinshuitnouvellesgares.Pour le moment, elle exploite trois lignes d’étranglement sont légion. de bateaux-bus (Abobo-Douméréalisation de ce chantier, dont le coût est Treichville, Blokosso-Plateau et Aboboévalué à 1 milliard d’euros. La première Doumé-Plateau), qui relient quatre gares phase du projet porte sur 37,5 km de voies lagunaires. ferrées entre Anyama (banlieue nord) et Dès l’année prochaine, la Sotra ne sera l’aéroport international Félix-Houphouëtplus seule à transporter les Abidjanais sur BoignydePort-Bouët(ausud)entraversant la lagune. Créée début 2014, la compagnie privée ivoiro-turque Rainbow Ferry Lines, le centre de la capitale et la zone sud. Ce tronçon, qui utilise les anciennes voies filiale du groupe ivoirien Snedai et du turc de la Sitarail, devrait être mis en service Yildirim Holding, va investir 20 milliards d’ici à 2017. Une extension reliera ensuite de F CFA pour construire une dizaine de Yopougon (à l’ouest). Avec un service opéquais ou de gares lagunaires et s’équiper rationnelde5heuresà22heures,septjours de 45 bateaux-bus d’ici à la fin de 2015. l sur sept, le train urbain d’Abidjan pourra BAuDeLAIre MIeu

u Depuis sa mise en service le 16 décembre, et jusqu’au 2 janvier, le pont HKB est gratuit.

SIA KAMBOU/Afp

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ANYAMA

Treize communes pour un district La ville d’Abidjan comprend 10 communes urbaines réparties entre Abidjan-Nord et Abidjan-Sud, de part et d’autre de la lagune Ébrié. Depuis qu’elle a pris, en 2001, le statut de districtGounioubé autonome, son territoire s’est étendu à 3 souspréfectures, encore principalement rurales : Songon (Ouest), Anyama (Nord) et Bingerville (Est), et compte aujourd’hui près de 6 millions d’habitants.

ABOBO

Forêt du Banco DeuxPlateaux Autoroute du Nord ATTÉCOUBÉ YOPOUGON

SONGON

Pont Houphouët-Boigny Lagune Ébrié

COCODY

BINGERVILLE

ADJAMÉ Pont HenriKonan-Bédié

Anono Riviera

LE PLATEAU

Île Désirée MARCORY

Pont Général-de-Gaulle

TREICHVILLE Île Boulay

Biétry

KOUMASSI

Lagune Ébrié

PORT-BOUËT

Vridi Lac Dadié Lac Labion

Lac Bakré

Petit-Bassam

Océan Atlantique

Aéroport international Félix-Houphouët-Boigny

2 km

Voie express de Bassam


R T AU

B I D J AN

PO

NOM E D

’A

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COMMUNIQUÉ

Une Référence Internationale

Devenir un pays émergent à l’horizon 2020, telle est l’ambition des autorités ivoiriennes. Cette vision repose sur la mise en œuvre d’un certain nombre de projets nationaux, notamment dans le secteur maritime et portuaire.

UN PORT AMBITIEUX AU SERVICE D’UN PAYS EMERGENT

La construction d’un deuxième terminal à conteneurs pour accroître le trafic conteneurisé et particulièrement celui des conteneurs en transbordement. Ce terminal disposera d’une longueur totale d’accostage de 1250 m linéaire avec – 18 m de profondeur. Il s’étendra sur une superficie de 37,5 hectares et pourra traiter 1 500 000 TEU par an. La signature de la convention de concession pour la réalisation et la construction de ce deuxième terminal à conteneurs du Port d’Abidjan a eu lieu le 19 décembre 2013 entre l’État de Côte d’Ivoire et le consortium APMTerminals/Bollore Africa Logitics/Bouygues TP, vainqueur de l’appel d’offre.

1

L’élargissement et l’approfondissement de la passe d’entrée du canal de Vridi. Il permettra au Port d’Abidjan d’accueillir en tout temps des navires porteconteneurs et conventionnels de plus de 250 m de long et de 16 m de tirant d’eau dans de meilleures conditions de sécurité. Bénéficiant d’un financement d’EXIMBANK, ce projet après son démarrage est prévu pour une durée de trois ans.

2

L’approfondissement des postes 6, 7 et 8 du quai ouest pour permettre l’accueil de navires conventionnels et vraquiers exigeant un tirant d’eau allant jusqu’ à 13,5 m.

3

La construction d’un terminal RORO aux quais sud du port dans l’optique d’accroître le trafic roulier et disposer d’un véritable terminal moderne. Ce projet consiste à réaliser un quai de 250 m linéaires et un quai retour de 350 m linéaires avec 13,5 m de tirant d’eau. Ce terminal aura une superficie de 10 hectares et sera réalisé par remblaiement.

6

Récemment, le 17 décembre 2014, à l’issue de la signature d’une convention avec l’État de Côte d’Ivoire, la République populaire de Chine vient d’octroyer un prêt de 396 milliards de Francs CFA pour le financement des projets d’élargissement et d’approfondissement de la passe d’entrée du canal de Vridi, de modernisation des quais et de construction du second terminal à conteneurs. Grâce à cet important appui financier, les travaux de ces trois projets pourront être lancés dans les prochains mois. La réalisation de l’ensemble de ces infrastructures permettra au Port d’Abidjan non seulement de rattraper son retard dû à la faiblesse des investissements structurants depuis 2000, du fait de la crise ivoirienne, mais également de réaliser une avancée notable vers l’ambition des autorités portuaires de créer sur la façade Atlantique de l’Afrique un troisième hub port de référence internationale, après ceux de Tanger et Durban. ■ OME N

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TO

B I D J AN

Une Référence Internationale

DIFCOM/FC - Photos : DR

La réhabilitation et la modernisation du port de Pêche qui se traduira par la construction d’un môle, la réalisation de quais de 8 à 10 m de tirant d’eau et la création de 19 hectares de terrain industriel par remblaiement de la darse existante.

4

La construction d’une station de traitement de déchets liquides afin d’offrir aux navires et aux industries, la possibilité de se délester de leurs résidus liquides dans de meilleures conditions de sécurité garantissant la protection de l’environnement marin et lagunaire.

5

R T AU

Parmi ces projets, l’on peut citer :

À travers ce projet, les responsables du Port d’Abidjan ambitionnent d’une part d’accroître le trafic de pêche par l’accueil de tous types de navires et d’autre part de dégager de nouveaux espaces pour l’implantation d’unités industrielles liées au secteur de la pêche. À l’issue d’un appel d’offre international lancé en 2013, ce marché a été attribué au groupement SOGEA/SATOM-EMCC-DREDGING et les travaux, qui ont déjà démarré, devraient s’achever au terme du premier semestre 2015.

PO

D

ans cette perspective, des projets ambitieux à court, moyen et long terme ont été initiés pour d’une part, réhabiliter les infrastructures portuaires existantes et d’autre part, en développer de nouvelles afin de répondre aux exigences sans cesse croissantes de compétitivité dans le secteur et affronter efficacement la concurrence sous régionale.



Le Plus de J.A. Côté chic

Nabil Zorkot pour J.a.

90

p Une villa du quartier Riviera.

Cocody la coquette

C’est la commune la plus sélecte du district et du pays. Des demeures cossues, de larges avenues, les meilleurs établissements scolaires et médicaux… De quoi attirer les personnalités et les gros revenus.

L

es nombreux surnoms dont on l’a affublée sont sans équivoque. De « Cocody la belle » à « Cocody la luxueuse », en passant par « le triangle d’argent », cette commune du centre d’Abidjan est connue pour compter la plus forte concentration de VIP au mètre carré et abriter les plus grosses fortunes du pays, tant ivoiriennes qu’étrangères. Son maire, Mathias Aka N’Gouan (lire p. 91), a beau souligner qu’elle compte tout de même 36 % de pauvres (c’est‑à‑ dire de personnes vivant avec moins de 450 F CFA par jour, soit 0,68 euro, le seuil national de pauvreté) et que le niveau de vie des populations est très variable selon ses villages, aujourd’hui comme hier, Cocody apparaît, avant tout, comme la commune la plus chic de la ville, et même du pays. Y vivre est signe de réussite. Certains cadres et « nouveaux riches » n’ont d’ailleurs qu’une obsession: quitter la plèbe d’Abobo, de Yopougon ou d’Adjamé pour venir s’installer ici, parmi l’élite. n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

Une image confortée par les équipe‑ ments et les infrastructures dont bénéficie la commune. À commencer par le Sofitel Ivoire, héritier du mythique hôtel Ivoire, premier et unique cinq‑étoiles du pays, entièrement rénové en 2011, avec sa vue

imprenable sur le Plateau, Treichville et Marcory. Plus au nord, quelques lounges très sélects comme le Zino (Deux‑ Plateaux) ou le Rooftop (Riviera‑II). Il y a aussi l’immense Polyclinique inter‑ nationale Sainte‑Anne‑Marie et son

Les Loyers fLaMBent Depuis le retour à la stabilité, en mai 2011, les abidjanais n’ont pas attendu longtemps avant d’être confrontés à la flambée des prix de l’immobilier, dans les quartiers chics comme dans les plus simples. alors que les salaires moyens mensuels sont compris entre 36 000 et 60 000 F CFa (entre 55 et 91,5 euros), à Yopougon, dans les quartiers populaires

d’ananeraie ou de Maroc, un studio se loue entre 40 000 et 50 000 F CFa, et un appartement de 3 pièces entre 80 000 et 120000 F CFa. l’affluence d’étudiants et de cadres venus (ou revenus) de l’étranger, comme ceux de la banque africaine de développement, rend les coûts des loyers intenables, même pour les plus aisés. « abidjan a

rejoint Dakar en matière de prix de l’immobilier », explique un fonctionnaire international. un appartement dans les beaux quartiers de Cocody (Cannebière) ou de Marcory (Zone 4 ou biétry), comme à Dakar-plateau ou aux almadies, dans la capitale sénégalaise, peut désormais se louer à plus de 1 million de F CFa par B.M. mois. l jeune afrique


Abidjan, le retour

excès. Depuis que le président Alassane

Ouattara y a posé ses valises, après la destruction de sa résidence de CocodyAmbassades pendant la crise politicomilitaire de 2002, la zone Riviera-Golf a vu emménager quelques personnalités, notamment des ministres, comme Cissé Bacongo (Fonction publique), et des people, comme la star camerounaise de football Samuel Eto’o, désormais voisins du chef de l’État. Par ailleurs, le centre de la commune étant saturé, d’autres quartiers ont été aménagés pour accueillir de nouveaux résidents fortunés : Beverly-Hills, Palmeraie-Extension, Deux-Plateaux, Angré-7e-Tranche, 8e-Tranche… où certains riches propriétaires n’hésitent pas à faire construire des demeures extravagantes, d’autres à copier l’architecture de villasdeluxeeuropéennesouaméricaines, yajoutantparfoismêmedescheminées.Le quartier de Beverly-Hills est certainement celui quicumuledésormaistous cesexcès: larges avenues, immenses résidences cachées derrière de hauts murs équipés de systèmes de sécurité de dernière génération… On frôle la « bunkérisation ». l Baudelaire Mieu jeune afrique

questions à

Mathias aka n’Gouan

Maire de Cocody

« notre modèle, c’est Beverly hills… »

a

ssis dans son immense bureau de l’hôtel communal, il enchaîne les coups de fil sur son fixe et ses deux portables. Quelques problèmes d’administrés à régler… Économiste de formation, Mathias Aka N’Gouan a consacré une grande partie de sa carrière à l’agriculture et présidé l’Organisation centrale des producteurs-exportateurs d’ananas et de bananes pendant seize ans. Il a été élu à la tête de la municipalité de Cocody lors des locales d’avril 2013, où il conduisait la liste du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA). jeune afrique: comment appréhendez-vous les problèmes de sécurité? Mathias aka n’Gouan : Cocody

est une commune riche où le luxe est très présent. Cela attire les braqueurs et les criminels, qui viennent notamment des communes voisines, Abobo et Adjamé. Mais la situation s’améliore. Nous envisageons d’ailleurs de créer deux commissariats pour la police municipale et, avec l’État, de construire une école nationale de police municipale. Nous avions aussi prévu d’installer des caméras sur les principales artères et points sensibles, mais leur coût était trop élevé pour le budget communal. Votre budget est-il si faible que cela?

La commune n’a vraiment pas assez de moyens pour être autonome et mener à bien ses projets. La loi nous autorise à lever des fonds sur les marchés financiers, mais, pour le moment, il ne nous est pas possible de prendre une telle initiative, la situation de notre trésorerie ne nous le permettant pas. Nous avons cependant lancé une étude pour avoir une idée de notre capacité à mobiliser des ressources propres. Vous avez quand même engagé des chantiers ?

Les travaux de voirie continuent. Nous allons bénéficier de 50 km de

dr

plateau technique de pointe, l’un des plus modernes d’Afrique de l’Ouest, ainsi que les lycées Blaise-Pascal et Jean-Mermoz, des établissements scolaires de référence pour les expatriés français qui ont élu domicile dans la commune. À Cocody, il est rare de voir une avenue ou une rue défoncée. Les artères principales (boulevards de France, de l’Université, des Martyrs, François-Mitterrand…) comme les voies secondaires (avenues de l’Entente, Aka, rue MonseigneurKouassi…) sont propres, bien entretenues et bichonnées, à l’image des bâtiments et villas qui les bordent. Dans les quartiers de Danga et de Cocody-Ambassades, qui jouxtent la résidence présidentielle (construite par Houphouët-Boigny), les belles demeures des diplomates, des actuels et des anciens barons de la politique ou des affaires se succèdent, alternant architecture coloniale et design contemporain. Quand ils ne sont pas logés au Sofitel Ivoire, les invités de marque du pays sont d’ailleurs hébergés dans de grandes résidences (d’État ou privées) de Cocody-Ambassades. C’est le cas du souverain marocain Mohammed VI qui, lorsqu’il vient à Abidjan, y prend ses quartiers dans une résidence-forteresse.

chaussée bitumée et, surtout, Cocody s’apprête à révolutionner le transport: à partir de 2015, nous allons en effet mettre en service plusieurs lignes de bus propres à la commune. Nous avons aussi un plan de renouvellement du parc de taxis communaux. En revanche, les projets de parc des expositions et de stade omnisports sont en stand-by… comment voyez-vous la cocody du futur ?

Nous voulons en faire un « Beverly Hills sous les tropiques ». Attention, c’est une vision très réaliste. Afin d’y parvenir, nous multiplions les actions pour que la commune bénéficie des services indispensables au bien-être de ses habitants. Par exemple, un projet de caserne de pompiers civils est en cours avec le soutien du Canada, et on prévoit la mise en place d’une structure d’ambulanciers pour les évacuations d’urgence… Nous avons aussi décidé d’embellir les trottoirs et les grandes artères, de faire des plantations pour avoir de larges avenues ombragées (comme à Beverly Hills), de mettre l’accent sur la propriété pour mieux assurer la tranquillité des citoyens, tout en déverrouillant certains quartiers, où les habitants s’étaient barricadés en fermant des voies, ce qui a créé des embouteillages interminables. Cocody prépare sa renaissance. Comme tout le pays. l Propos recueillis à Abidjan par Baudelaire Mieu n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

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Abidjan, le retour

TéMOIgNagE

souvenirs du dernier maire d’abidjan

THomaS coeX

Opinions & éditoriaux

ErNEsT N’KOUMO MObIO Maire d’Abidjan de 1985 à 2001

a

vant de devenir, en 2001, un district autonome géré par un gouverneur, abidjan était dirigée par un maire – celui de la mairie centrale, chacune des dix communes urbaines disposant toujours d’un conseil municipal. de 1956 à 2001, la capitale a eu quatre maires, tous issus de l’ancien parti unique, le Parti démocratique de Côte d’ivoire (PdCi) : Félix Houphouët-Boigny (1956-1960), antoine Konan Kanga (1960-1980), emmanuel dioulo (1980-1985) et ernest n’Koumo Mobio (1985-2001). À 81 ans, ce dernier est toujours épris de sa ville, dont un tableau orne le hall de sa résidence des deux-Plateaux, à Cocody. il confie à Jeune Afrique quelques souvenirs de cette abidjan d’un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. ■■■

« L’Abidjan des années 1980 n’était pas si différente de celle d’aujourd’hui. La plupart des immeubles du Plateau ont été construits à cette époque, et le quartier était déjà surnommé “le Manhattan d’Afrique”. Abidjan était belle. C’était “la Perle des lagunes”. Le week-end, on pouvait faire du ski nautique en face de l’hôtel Ivoire, c’était formidable ! Aujourd’hui, la lagune est devenue la poubelle de la ville. Elle dégage une odeur pestilentielle… Pendant près de vingt ans, de la mort de Houphouët à la fin de la crise post-électorale de 2010-2011, Abidjan n’a pas bénéficié d’investissements importants. Pourtant, elle a grossi. Et sa population dépasse aujourd’hui les 6 millions

Il arrivait souvent à Houphouët de sortir la nuit pour observer la ville. d’habitants. Il aurait fallu investir dans les infrastructures, l’évacuation des eaux, l’assainissement… Les catastrophes que nous vivons désormais à chaque saison des pluies sont évidemment liées à ces manquements, ainsi qu’au laisser-aller de l’administration, qui a permis aux populations de construire n’importe où, n’importe comment, sans aucun respect des règles élémentaires d’urbanisme. C’est quelque chose que je regrette profondément. Cela dit, j’ai l’impression que, depuis deux ans, la ville repart. Elle s’équipe en infrastructures de base, on refait les caniveaux, on détruit les maisons construites de façon anarchique et, même jeune afrique

si la circulation est toujours un enfer, j’ai espoir que le troisième pont la rendra plus viable. Je rêve qu’Abidjan retrouve sa beauté. » ■■■

L’ancien édile se lève pour attraper un épais ouvrage publié en 1991, Notre Abidjan, écrit par Henriette diabaté (ministre de la Culture de 1990 à 1993 et actuelle grande chancelière de l’Ordre national de la république) et par l’universitaire Léonard Kodjo, son ex-directeur de cabinet. Page après page, ernest n’Koumo Mobio montre les clichés d’une abidjan coquette, aux nombreux espaces verts, aux rues entretenues… remarquant cependant qu’on avait sûrement dû faire nettoyer un peu avant de prendre certaines photos. ■■■

« À l’époque, j’étais assez libre en tant que maire. Même si je présentais toujours mes projets au président Houphouët pour obtenir son accord. Il tenait beaucoup à cette ville. Yamoussoukro était sa ville natale, sa ville de cœur, mais il veillait vraiment sur Abidjan. Il lui arrivait souvent de sortir la nuit pour l’observer. Et lorsqu’il n’était pas satisfait, on passait généralement un très mauvais quart d’heure ! Nous recevions également nombre d’amis étrangers de Houphouët, notamment Jacques Chirac, qui, au fil du temps, est aussi devenu mon ami. Il s’est rendu à plusieurs reprises à Abidjan. Il aimait beaucoup le pays, sa cuisine et, même s’il logeait à l’hôtel Ivoire, c’est dans les petits maquis que l’on aimait se retrouver. Tout n’était pas rose dans les années 1980-1990. Mais on découvrait la décentralisation, et la possibilité de prendre en main le développement de nos villes était quelque chose de stimulant. Nous étions également proches de la population qui, il est vrai, était moins nombreuse qu’aujourd’hui. La commune faisait ce que l’État ne faisait pas, selon le fameux principe de subsidiarité. On s’occupait donc des écoles, des dispensaires, etc. Je me souviens qu’à l’époque il y avait une telle pénurie de lycées que les enfants d’Abidjan étaient obligés d’aller étudier à l’intérieur du pays. Il a donc fallu s’occuper prioritairement de cela, en construisant au moins un lycée dans chaque commune, les doter d’infrastructures sportives de base, de terrains de football… Ma plus grande fierté, c’est certainement d’avoir vu grandir les générations d’élèves qui ont fréquenté ces établissements. » l Propos recueillis à Abidjan par Haby NIaKaTé n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

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Le Plus de J.A. Côté populaire

Voisins, voisines Ils gagnent leur vie, mais simplement. Ils se croisent chaque jour dans les quartiers modestes ou huppés de Cocody. Rencontre avec Mariette, Éric, Isaac et Franck. Leur quotidien, leurs rêves, leurs regrets.

L

a maison où Mariette a emménagé se trouve dans l’un des nouveaux quartiers d’Anono. Les quartiers de « ceux qui s’ajoutent », comme on dit ici. Loin des axes routiers, des rues les plus animées et du marché. Anono est un village ébrié (ethnie du groupe Akan, originaire de la région lagunaire dont les membres sont considérés comme les premiers habitants d’Abidjan). Il se situe à Cocody, la commune huppée de la capitale. Un village en pleine ville, c’est plutôt chose courante à Abidjan. Cocody en compte d’ailleurs six. L’AIDE MÉNAGÈRE. On est en pleine semaine, au beau milieu

de la journée, le ciel est bleu. Comme dit le proverbe ivoirien, « l’étranger ne connaît pas le sentier qui passe sous les calebasses », et Mariette accepte volontiers de jouer les guides jusqu’à chez elle. Il faut traverser tout le village, passer des lotissements, s’enfoncer inexorablement dans cette autre Abidjan. Loin du tumulte et des gratte-ciel du Plateau. Ici, les maisons sont basses, les cours traditionnelles et communes, le silence apaisant et l’insalubrité parfois extrême dans certains passages. Vu l’heure, les hommes sont sûrement au travail, « en ville ». Les femmes, elles, sont là. Qui travaillent, elles aussi. Certaines préparent de l’attiéké, d’autres vendent des fruits ou s’occupent des enfants. Mariette, 34 ans, n’est pas ébriée mais agnie (une autre ethnie du grand groupe Akan). Elle a décidé de s’installer ici il y a quelques mois pour se rapprocher de son lieu de travail et éviter l’enfer des transports abidjanais. Elle est aide ménagère chez un jeune cadre ivoirien qui habite à dix minutes de sa maison, au huitième étage d’un immeuble cossu. Et « cela se passe très bien », assure la jeune femme. Assez, en tout cas, pour payer le loyer du modeste studio (50 000 F CFA, soit 76 euros) qu’elle partage avec une amie. « Il y a de tout dans ce village, des Ivoiriens, des étrangers… Et ce que je préfère, c’est que l’on s’y sent plutôt en sécurité », explique-t-elle d’une voix aussi fluette que déterminée. Parler de sa vie, de ses sentiments, de ses rêves, ce n’est pas vraiment son « truc ». Son regard fuit à la moindre question sur sa vie privée. L’ÉTUDIANT RÉGLO. Tout le contraire d’Éric, 25 ans,

qu’elle nous présente et qui habite dans le même village. Lui a choisi Anono « à cause des difficultés de la vie ». Ici, dit-il, « on vient un peu se cacher, se refaire ». L’université Félix-Houphouët-Boigny, où il étudie l’anglais, est à quelques minutes seulement, en plein cœur de Cocody. Baoulé originaire de Bouaké (deuxième ville du pays par sa population), grand, distingué, Éric vit à Abidjan avec son oncle. n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

« Tout ce que je peux faire à l’extérieur, je le fais. Je mange et je fais mes “petits soins” dehors, comme ça, quand je rentre, je n’ai plus qu’à dormir, explique-t-il. J’ai des petits frères, et je préfère que mon oncle dépense de l’argent pour eux. » Éric fait partie de ce que les Ivoiriens appellent « la génération 3G », celle qui a été frappée de plein fouet par la crise électorale de 2010-2011 et qui, pendant deux ans, n’a pas pu aller en cours. Si bien que, à la rentrée académique de 2012, trois promotions de bacheliers (2010, 2011 et 2012) se sont retrouvées en même temps sur les bancs de la fac. « En cours d’anglais, par exemple, nous sommes 3 000. Un matin, jeune afrique


Abidjan, le retour Pour subvenir à ses besoins et payer les fascicules régulièrement demandés par les professeurs (en moyenne 2 000 FCFA l’unité), Éric a son gombo. Quand il n’est pas en cours, il vend des recharges téléphoniques. Juste au pied de l’immeuble du patron de Mariette. Il gagne en moyenne 35 000 FCFA par mois : de quoi payer ses frais de scolarité au début de l’année (30 000 F CFA), ceux des petits frères, et aider la famille restée à l’intérieur du pays. Pour économiser un peu, il participe à une tontine avec des amis, comme beaucoup d’Abidjanais. Évidemment, l’avenir des jeunes diplômés ivoiriens l’inquiète (6 millions de jeunes sont en situation de sous-emploi ou de non-emploi, selon le ministère de l’Emploi), mais il préfère dire que « c’est chacun sa chance » et qu’un jour il sera businessman. L’ÉBÉNISTE AMOUREUX. En sortant d’Anono, sur la route,

Mariette rencontre Isaac, ébéniste, qui se rend chez un client habitant le même immeuble que son patron. À 34 ans, Isaac, lui, ne connaît pas grand-chose de la vie étudiante. Il a arrêté l’école très tôt, en CM2, pour subvenir aux besoins de sa famille après la mort de son père. D’origine burkinabè, il est né à Adjamé (commune populaire du nord de la ville, lire pp. 104-108), où il vit toujours. Il a choisi son métier un peu par défaut, parce qu’il savait dessiner. Doué, rapide, Isaac crée ou recopie n’importe quel meuble en un temps record. « Le seul problème, c’est que les affaires ne marchent plus, dit-il. Quand les temps sont durs, les gens font des sacrifices sur tout, notamment sur les meubles et la décoration. » Il ne sait pas vraiment ce que son travail lui rapporte chaque mois. « Si tu gagnes 5 000 F CFA un jour, tu les dépenses dans la foulée, en nourriture et en frais de transport. La situation était différente il y a quelques années, et je ne sais pas comment expliquer cette dégradation : on gagne moins d’argent et tout est devenu cher. » Il s’interrompt longuement, pour finalement ajouter : « Mais, ça a aller ! » (comprenez « ça va aller »). Pour le moment, Isaac vit en colocation et s’en sort avec une participation de 5 000 F CFA par mois. Ce qui lui permet d’économiser un peu pour pouvoir épouser un jour la mère de sa fille (qui est musulmane, alors que lui est chrétien) et payer les mois de caution nécessaires (jusqu’à sept ou huit loyers d’avance) pour louer un appartement à Abidjan. En attendant, pas un jour ne se passe sans qu’il aille donner à sa dulcinée les 1 000 à 1 500 F CFA dont elle a besoin au quotidien pour vivre. je me suis retrouvé nez à nez avec un élève à qui je donnais des cours particuliers deux ans auparavant, se souvient Éric. Le gars m’a lancé : “Eh ! vieux père, tu es là ?” Ce jour-là, j’ai vraiment cru que j’allais arrêter mes études. Mais j’ai tenu, car je sais que l’avenir n’est pas dans les petits gombos [les petits boulots]. » Le jeune homme n’est pas boursier. Il n’a pas non plus obtenu de chambre sur le campus. « L’administration ne dit jamais pourquoi les dossiers sont refusés. Mais nous, on sait : ses agents font des magouilles, affirme l’étudiant. Moi, j’ai voulu suivre la voie normale, mais beaucoup de mes amis ont obtenu une bourse moyennant une somme d’argent. Le deal c’est : “Je t’accorde la bourse, et lorsque celle-ci tombe, on se la partage…” » jeune afrique

LE VIGILE INSPIRÉ. Au rez-de-chaussée de l’immeuble du patron de Mariette, Franck, l’un des quatre vigiles qui gardent la résidence, est lui aussi adepte du « ça-a-aller-isme ». Pourtant, si son salaire est fixe (60 000 F CFA par mois), son job, lui, l’est beaucoup moins. « Ici, nous sommes sur un siège éjectable. Il n’y a pas de CDI [contrat à durée indéterminée], et tout peut s’arrêter du jour au lendemain. La semaine dernière, une voiture garée sur le parking de l’immeuble s’est fait voler ses quatre enjoliveurs et on a tous cru qu’on allait se faire virer ! » Ce qui serait une vraie catastrophe pour cet homme de 38 ans, père de deux enfants.

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Le Plus de J.A. Abidjan Originaire de la commune de Treichville (dans le sud de la ville), Franck habite désormais à Cocody, dans le quartier du Gobelet – ainsi baptisé à cause de sa forme incurvée, mais aussi parce qu’il se remplit d’eau quand il pleut… Le Gobelet est un bidonville que le gouvernement essaie de vider depuis plusieurs mois. En juillet, certains habitants se sont même vigoureusement opposés aux opérations de déguerpissement [expulsions]. « C’est vrai que lorsqu’il pleut on n’arrive pas à dormir… Mais ils n’ont qu’à viabiliser le site au lieu de nous demander de partir, explique Franck. Et puis, l’année scolaire a commencé, alors où allons-nous mettre nos enfants si nous sommes obligés de partir ? »

questioNs à

S’il aime tant Le Gobelet, c’est qu’il y retrouve toute l’Afrique et que les loyers y sont bas : son studio ne lui coûte « que » 12000 F CFA par mois. Fan de reggae, il compose des chansons, souvent inspirées par la différence entre son niveau de vie et celui des personnes dont il garde le domicile. « C’est un peu le Bronx et Hollywood », plaisante-t-il de sa voix rauque. Avant de murmurer qu’il espère « avoir sorti au moins un album d’ici à cinq ans », en regardant ses pieds, comme s’il fallait ne pas parler tout haut de ses rêves, de peur qu’ils ne s’envolent. Il aurait du mal à choisir les chansons qui y figureraient. Il en a tellement. Celle qu’il vient d’écrire y sera, c’est sûr. Son titre : « La désillusion ». l Haby Niakaté

fraNçois albert amicHia

Maire de Treichville

« on nous a transféré les problèmes, pas les solutions » située près du centre d’affaires mais enclavée entre la lagune ébrié et marcory, treichville souffre d’un manque de place et de revenus pour construire de nouveaux logements.

S

es rues numérotées, ses façades décrépies, ses marchés, son port, son ambiance, sa population venue de toute l’Afrique de l’Ouest, qui lui vaut le surnom de « cité N’zassa » (« cité du brassage », en agni, langue du groupe Akan)… Treichville est une commune populaire et l’une des plus emblématiques d’Abidjan. Membre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), François Albert Amichia, 62 ans, est à la tête de sa municipalité depuis près de vingt ans. Il préside actuellement l’Union des villes et communes de Côte d’Ivoire et le Conseil des collectivités territoriales de l’Union économique et monétaire ouest-africaine. jeuNe afrique: quels sont les principaux problèmes auxquels votre commune est confrontée ? fraNçois albert amicHia: Nous aurions sou-

haité avoir plus d’espace pour accueillir les investisseurs qui s’intéressent à la

commune, mais Treichville est pratiquement enclavée car elle est bordée par la lagune Ébrié d’un côté et par Marcory de l’autre, et n’a malheureusement pas de possibilité d’extension. De même, beaucoup de ceux qui naissent et grandissent à Treichville doivent partir lorsqu’ils entrent dans la vie active, car nous n’avons pas assez de logements à leur proposer. Les plus aisés s’installent à Cocody ou à la Riviera, les autres à Yopougon ou à Abobo. C’est dommage, car cette population jeune et plus aisée représente les forces vives et le futur de notre commune. alors, comment les retenir?

Il faut construire des habitations qui correspondent à leur nouveau statut social. Par exemple, le quartier Yobou-Lambert, dit « quartier Biafra », situé en bordure de la lagune, serait idéal pour envisager un quartier résidentiel à Treichville. Il faut aussi prévoir de construire plus en hauteur.

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Même si Treichville est l’une des communes les moins peuplées d’Abidjan [environ 200 000 habitants, a l o r s q u ’A b o b o o u Yopougon en comptent chacune plus de 1 million], elle est et restera centrale. Elle est située à cinq minutes du quartier d’affaires du Plateau et, avec le nouvel échangeur, à moins de quinze minutes de l’aéroport. Nous devons donc moderniserTreichville pour profiter de cette position stratégique et faire de son enclavement une force. mais en avez-vous les moyens ?

En tant que municipalité, nos ressources sont évidemment limitées. Depuis le début de la décentralisation, en 1980, nous nous sommes vu transférer de nombreux domaines de compétences – salubrité, santé primaire, éducation de base, aménagement, etc. –, mais, malheureusement, les moyens financiers et humains n’ont pas suivi.

dr

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D’ailleurs, je dis souvent qu’on nous a transféré les problèmes, mais pas les solutions. comment moderniser la commune sans qu’elle perde son âme ?

Il faut évidemment préserver le Treichville multiculturel et celui des maquis. Pendant un temps, Yopougon nous a un peu ravi le titre de commune « ambiancée », avec sa fameuse rue Princesse. Mais nous comptons bien y remédier grâce à une vraie politique culturelle. En décembre 2013, nous avons ouvert une nouvelle médiathèque. Aujourd’hui, nous voulons créer un complexe N’zassa, qui accueillerait des activités culturelles, où l’on pourrait aussi former des artistes et développer les métiers liés à la culture. l Propos recueillis à Abidjan par H.N. jeune afrique



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Le Plus de J.A. Côté business & conso

Mini-Manhattan Même si de nouveaux quartiers d’affaires sont en projet, le Plateau concentre encore l’essentiel des activités financières et administratives du pays. Et il n’est pas près de perdre sa vocation.

I

ci, difficile de trouver des mètres carrés à louer, de circuler ou de se garer. Commune presqu’île prise dans les bras de la lagune Ébrié, le Plateau concentre l’essentiel des activités économiques, financières, politiques et administratives du pays. Depuis deux ans, face à sa saturation, l’État, les institutions et le secteur privé tentent de redéployer leurs activités sur d’autres sites et, pour la première fois, quelques projets immobiliers tertiaires ont germé hors du périmètre du Plateau. Comme le centre commercial de CFAO-Carrefour (lire p. 102), qui doit ouvrir fin 2015 dans la commune voisine de Treichville, du côté sud de la lagune. Pourtant, la plupart des projets de relocalisation ont fait long feu, malgré

la vétusté de certains immeubles qui menacent la sécurité de leurs occupants. Et il semble que le centre névralgique des affaires de la capitale économique et du pays restera au Plateau. cernée. Vitrine de l’ère du miracle ivoi-

rien des années Houphouët-Boigny, le Plateau, avec ses immeubles et ses tours aux allures futuristes (bien que bâties dans les années 1970), a toujours fière allure. On continue d’ailleurs de le surnommer « le Manhattan d’Afrique », tant sa situation (cernée par les eaux) et son architecture (en hauteur) rappelle, toutes proportions gardées, sa grande sœur américaine. L’ancien président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz, est tombé sous son charme, alors qu’il était

en visite à Abidjan, en 2005, et arrivait de l’aéroport de Port-Bouët. « Wonderful ! », s’était-il extasié en passant le pont Charles-de-Gaulle, à la vue des tours du Plateau scintillant dans la nuit.

huMeur

Opinions & éditoriaux Olivier caslin

en route vers le futur

d

ans une quinzaine d’années, les embouteillages d’abidjan pourraient bien n’être plus qu’un mauvais souvenir. imaginez-vous, cher automobiliste, propulsé en janvier 2030. À peine sorti des beaux quartiers de Cocody, une fois contourné le campus de l’université Houphouët-Boigny, vous empruntez le tablier au béton un peu moins blanc qu’à l’origine du pont Henri-Konan-Bédié, sur une lagune ébrié aux allures vénitiennes, avec plaisanciers et jeux nautiques en sus. Vous traversez alors Marcory aussi vite que la voie rapide construite en direction de Biétry vous le permet, avant de rejoindre Vridi, grâce au pont lancé dans les années 2020. À ses pieds, les centaines d’hectares gagnés sur la lagune forment une vaste zone industrielle, autour de l’usine de retraitement des déchets flambant neuve bâtie derrière les installations de la siR, la société ivoirienne de raffinage. De l’autre côté du canal deVridi, désormais franchissable par les gigantesques liners qui viennent accoster au TC2 – le deuxième terminal à conteneurs du port, inauguré il

n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

y a déjà près de dix ans, côté Treichville –, le paysage ne change guère. Mais en face, les premiers quais du futur TC3 redessinent déjà les berges de l’île Boulay. Vous poursuivez votre route entre les torchères de la zone pétrolière (tout récemment étendue jusqu’au rivage atlantique) et le chantier de la future deuxième raffinerie. Le ruban d’asphalte vous entraîne tout droit jusqu’au lac Bacré, avant de remonter vers le nord et de traverser les nouveaux quartiers de l’île Boulay, grâce aux deux ponts tout juste inaugurés par le président didier drogba. au loin, le quartier d’abobo-doumé est en train d’être consciencieusement rasé pour laisser place aux futurs docks, qui, d’en bas, regarderont le Plateau. de là, vous rejoignez l’autoroute du nord… direction : Yamoussoukro ! Ce scénario digne d’un film d’anticipation se rapproche de la réalité depuis l’annonce, début décembre, du lancement des travaux de construction du TC2 et de l’approfondissement du canal de Vridi dès le début 2015. en tout, les pouvoirs publics ivoiriens devraient débourser entre 1,2 et 1,6 milliard d’euros pour redéfinir les contours de la lagune. et simplifier la vie des abidjanais. l jeune afrique


Abidjan, le retour

Nabil ZORKOT pOuR les ÉdiTiONs du JaguaR

t La plupart des institutions et des banques régionales, nationales et internationales y ont leur QG.

Comme Manhattan a sa célèbre Wall Street, le Plateau (à bien plus petite échelle) a sa « rue des banques », l’avenue Joseph-Anoma, où sont installés les quartiers généraux de nombreuses banques

nationales, régionales et internationales: la Société générale de banques en Côte d’Ivoire (SGBCI), la Banque internationale de l’Afrique de l’Ouest (BIAO-NSIA), le siège de la Bourse régionale des valeurs

mobilières (BRVM), sans oublier celui de la Banque africaine de développement (BAD) – encore en cours de rénovation –, où l’institution a fait officiellement sa rentrée en septembre. Malgré la décision prise en 1983 par le président Houphouët-Boigny de transférer la capitale à Yamoussoukro, où leur sont construits de nouveaux sièges, la présidence de la République, l’Assemblée nationale et les ministères sont encore établis au Plateau, tout comme nombre de grands groupes, tel le russe Lukoil. « La mort du Plateau n’est pas pour maintenant. Nous avons des projets de nouveaux centres commerciaux et d’hôtels », précise un membre du conseil municipal de la commune qui, comme les autres, se modernise de plus en plus. Et où le futur train urbain aura évidemment une gare. l Baudelaire Mieu

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COMMUNIQUÉ



Le Plus de J.A. Abidjan

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Côté business & conso t Le grand centre commercial Sococé, du groupe Prosuma.

franchises Casino, les magasins Gifi et Cash Ivoire. Si les embouteillages qui congestionnent le centre-ville d’Abidjan gênent encore la fréquentation à CapSud, le groupe « n’est pas mécontent » des résultats obtenus.

Youri Lenquette pour J.A.

buzz. Plusieurs spécialistes du secteur

Tant bien que mall Toujours plus de galeries commerciales en centre-ville, avec toujours plus de boutiques… Les clients ont davantage de moyens, mais n’est-ce pas un peu trop ?

D

ans la toute nouvelle galerie du centre commercial Cap Sud, les acheteurs sont rares. En cet après-midi de début de semaine, à un mois des fêtes de fin d’année, seuls les espaces de restauration et la boutique Orange, toujours prise d’assaut, font le plein. « C’est normal, mais à partir du vendredi, c’est la folie ! Nous avons ouvert il y a seulement deux mois, et les affaires marchent très bien… », s’enthousiasme le vendeur du magasin de chaussures Aldo. Dans les rayons de l’enseigne canadienne, où des dizaines d’escarpins aux talons vertigineux côtoient sacs à main et accessoires éclatants de strass, deux jeunes Libanaises et une quadragénaire française cherchent leur pointure. « La clientèle est surtout constituée d’expatriés, mais les Ivoiriens aisés y sont de plus en plus nombreux », précise le commerçant. Dans cette extension, inaugurée en septembre, de l’un des premiers malls du centre-ville (boulevard Valéry-Giscardd’Estaing, à Marcory), les boutiques haut de gamme se succèdent sur deux niveaux: des cascades de capsules « grands crus » n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

de chez Nespresso aux vins et spiritueux de la cave de L’Œnophile en passant par les grandes enseignes de prêt-à-porter, toutes européennes. impeccable. À quatre semaines des

se montrent cependant sceptiques sur la multiplication des galeries et des centres commerciaux. Ils soulignent que le marché abidjanais n’est pas extensible et qu’Abidjan compte déjà 4 grands malls en centre-ville: Cap Sud et Prima Center à Marcory, Cap Nord (Riviera-III) et Espace Latrille (Deux-Plateaux) à Cocody. Ils rappellent également que le niveau de consommation progresse, mais lentement, et que la grande émergence de la classe moyenne n’est pas encore d’actualité. « La clientèle ciblée par ces centres commerciaux dits “modernes” représente 8 % à 10 % de la population, mais cela ne signifie pas que ces gens vont y dépenser chaque mois tout leur salaire ou y remplir des chariots entiers », précise Julien Garcier, fondateur de Sagaci Research. Le cabinet d’intelligence économique a recensé cinq projets de centres commerciaux à Abidjan. Le plus attendu est celui du distributeur CFAO, qui marquera l’arrivée du groupe français Carrefour en Côte d’Ivoire et dont l’ouverture est prévue pour la fin de 2015. Situé lui aussi en centre-ville, boulevard VGE, le futur mall de 20 000 m2 doit accueillir une cinquantaine d’enseignes en plus du

fêtes, le père Noël, son traîneau et ses rennes accueillent déjà les clients à l’entrée du Super Hayat. Locomotive du centre commercial, l’immense s u p e r m a rc h é s’é t e n d derrière une longue ranla consommation progresse, mais gée de caisses. Rayons l’émergence de la classe moyenne impeccables et espaces « traiteur » répartis en n’est pas aussi rapide qu’escompté. îlots thématiques attirent une clientèle bien plus nombreuse et supermarché. Mais pour Julien Garcier, variée que les autres magasins de la ce projet biaise la perception des obsergalerie. « Nous avons voulu répondre vateurs. « L’arrivée de Carrefour et de à la demande ivoirienne, qu’elle soit CFAO a créé une sorte de buzz, reconnaîtexpatriée ou locale », résume Vincent il, mais Abidjan n’est pas la métropole régionale où l’attractivité est la plus forte Lambert, directeur général adjoint pour les enseignes internationales. » Selon du groupe Prosuma, qui a conçu la nouvelle galerie de Cap-Sud et gère la lui, ces dernières cherchent d’abord à grande surface. Le spécialiste ivoirien s’implanter dans d’autres villes ouestde la distribution compte une quinzaine africaines, à commencer par Lagos et d’implantations à Abidjan, parmi lesAbuja (Nigeria), Accra (Ghana) ou encore quelles les supermarchés Sococé (dont Dakar (Sénégal). l l’hypermarché des Deux-Plateaux), les marion DoueT, envoyée spéciale jeune afrique



Le Plus de J.A. Abidjan

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marc dja

Côté business & conso

Le virtuel s’invite à Adjamé

p Le marché, c’est 20 000 personnes travaillant quotidiennement.

Filiale d’Africa Internet Group, Kaymu vient de s’installer près du plus grand marché d’Abidjan, dont elle a déjà mis en ligne les produits de milliers de commerçants. Les ventes explosent, les chiffres d’affaires aussi.

O

n n’en voit pas la fin. Le marché s’étire aussi loin que porte le regard. Une succession de boutiques et d’étals en tout genre, petits ou grands, de toutes les couleurs, à ciel ouvert ou couverts, éphémères ou installés là depuis des décennies. Dans les allées principales, les bus de la Sotra (la Société des transports abidjanais) peinent à se frayer un chemin parmi la foule, mobile et compacte, qui joue des coudes au milieu des camions et des taxis. Selon les estimations, près de 20 000 commerçants (grossistes, détaillants, vendeurs ambulants) y travaillent quotidiennement. Les marchands sont ivoiriens, ouest-africains, libanais ou chinois (de plus en plus nombreux), et les consommateurs trouvent de tout: attiéké et ses légumes, smartphones dernier cri, tissus, ventilateurs, quincaillerie, sans oublier les contrefaçons (très prisées) de vêtements et de sacs de marque. n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

Bienvenue au marché d’Adjamé, le plus grand d’Abidjan. Situé dans le nord de la ville (dans la commune du même nom), derrière le chaos apparent et malgré son insalubrité, ce lieu bouillonnant est l’un des poumons économiques de la métropole et du pays. Les chiffres d’affaires réalisés par certains de ses commerçants feraient pâlir d’envie nombre de patrons de boutiques climatisées des quartiers chics.

main, arborant des tee-shirts aux mêmes couleurs, imprimés du même nom. « Kaymu est un site internet qui permet aux professionnels, aux grossistes et aux particuliers d’échanger des produits ou des services », explique Mehdi Ben Abroug, directeur du site en Côte d’Ivoire. C’est-à-dire l’équivalent, à l’échelle ivoirienne, de géants de l’ecommerce tels que l’américain eBay, le chinois Alibaba ou le sud-américain MercadoLibre. Comme le site de commerce en ligne panafriCertaines boutiques ont vu cain Jumia, numéro un sur le leurs revenus augmenter de continent, l’entreprise est l’une 20 % à 30 % en quelques mois. des huit filiales d’Africa Internet Group (AIG), joint-venture créé JOint-venture. Depuis le début de en 2012 entre l’allemand Rocket Internet l’année sont apparus d’étranges stickers et les opérateurs de télécoms MTN et sur les murs et certaines devantures. Ils Millicom. Déjà présent dans quinze pays sont bleu et orangé et portent l’inscription africains et onze pays asiatiques, Kaymu « Kaymu ». On croise aussi régulièrement a débarqué sur les bords de la lagune lll des jeunes gens, stylo et pochette à la Ébrié en janvier 2014. jeune afrique



Le Plus de J.A. Abidjan Côté business & conso t Le bureau logistique de Kaymu, à Adjamé.

olivier pour j.a.

q Au QG de la société, au Plateau.

« En parlant avec les vendeurs ambulants de toute la ville, on s’est vite rendu compte que beaucoup se ravitaillaient au marché d’Adjamé et que, selon l’endroit où ils se trouvaient à Abidjan, le prix d’un même produit pouvait passer du simple au double, voire au triple, ajoute Mehdi Ben Abroug. C’était donc le lieu parfait pour démarrer nos activités : là où il y a le plus de produits et où ils sont vendus le moins cher. » Après avoir étudié le fonctionnement du marché, de l’aspect sociologique à la chaînededistribution–quidébutesouvent à l’étranger, passe par l’incontournable Port autonome d’Abidjan, les grossistes, puis les détaillants des marchés et des centres commerciaux de la ville –, Mehdi Ben Abroug et son équipe se mettent en quête de commerçants susceptibles de s’inscrire sur le site pour y vendre leurs produits. Ils visent toutes les spécialités, à l’exception du secteur alimentaire, et se mettent à arpenter le marché, segment par segment.«Personnen’avaitjamaisentendu parler de nous, explique le directeur de Kaymu. Certains nous prenaient même pour des escrocs! Mais après deux mois de travail sur le terrain, les gens ont vu que nous insistions, que nous nous inscrivions dans la durée. C’est ainsi que nous avons convaincu de premiers partenaires. Le bouche-à-oreille a commencé et s’est propagé, en mode “viral” ! » Pour chaque nouveau « partenaire », il faut prendre en photo les articles qu’il souhaite proposer sur kaymu.ci, les mettre en ligne et lui apprendre à se servir du site. Un travail de titan, effectué par « une équipe de commerciaux très lll

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photos : olivier pour j.a.

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street-smarts » (comprenez « débrouillards »), qui ne cesse de s’agrandir. L’effectif de l’entreprise, dont le siège est basé dans le nord du Plateau, à cinq minutes de l’entrée du marché d’Adjamé, est passé de 2 à 31 collaborateurs en quelques mois.

bijoux se vendent plus mal. « Du coup, je suis en rupture de stock sur certains produits et c’est ma faute si la demande n’est pas satisfaite! » plaisante-t-elle, avant d’ajouter que le site lui a aussi apporté des clients « physiques ». « Certains nous appellent pour savoir où réticents. Quant aux nous sommes, car ils ont vu Africa internet commerçants d’Adjamé, nos produits sur internet et Group (AiG) 2 700 sont déjà présents préfèrent venir en boutique Fondé en 2012, il est sur le site. Parmi eux, pour acheter. » actuellement présent Mme Gueye, 33 ans, Un peu plus loin, dans 26 pays du patronne d’une bijouterie Djakaridja, 30 ans, est continent, où il a déjà du grand marché couvert propriétaire d’un magacréé 71 sociétés à (qu’on appelle Le Forum). sin d’accessoires de mode travers ses 9 filiales Elle n’est « pas trop interimportés d’Asie. Son stock d’e-commerce : Jumia, net », mais a tout de même de marchandises est telleZando, Hellofood, choisi d’utiliser Kaymu. ment important que, dans Kaymu, Lamudi, Ce sont ses frères, plus sa boutique, il fait nuit en Carmudi, Easy Taxi, plein jour… Partout, du sol jeunes, qui gèrent la page jovago.com et Lendico de sa boutique sur le site. au plafond, des chaussures et des sacs. Djakaridja est « Dans le marché, certains sont encore réticents, mais moi je crois inscrit sur Kaymu depuis six mois et il en est « très content ». « Cela me rapau dicton “Qui ne tente rien n’a rien”, porte entre 25 000 et 30 000 F CFA [entre confie-t-elle. Et puis, il s’agit surtout de 38 euros et 45 euros] de plus par jour, se positionner pour le futur. » Ses ventes en ligne marchent particulièrement bien murmure-t-il. Ce sont surtout les chauspour les parures et les montres – les petits sures qui ont du succès sur internet. » l l l jeune afrique



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Le Plus de J.a. Côté business & conso l l l Certains commerçants ont vu leur chiffre d’affaires bondir de 20 % à 30 %. D’autres ont même carrément démarré une nouvelle activité, 100 % online. Le seul problème, explique Djakaridja, « c’est que, parfois, au moment de la livraison, certains clients disent ne pas avoir d’argent sur eux, ne sont pas chez eux ou ont simplement changé d’avis, donc on perd du temps… » En effet, contrairement à eBay, qui propose un paiement sécurisé via PayPal, chez Kaymu, le client paie à la livraison et, pour le moment, en cash – le taux de bancarisation étant encore relativement faible en Côte d’Ivoire (12 %) et, de plus, beaucoup de gens craignant les arnaques à la carte bleue. Le vendeur est donc obligé d’attendre la fin du processus avant de pouvoir toucher son argent. Améliorer la livraison est d’ailleurs l’un des principaux défis à relever pour Kaymu, comme pour tous les acteurs de la vente en ligne qui démarrent leur activité dans une Afrique subsaharienne où les adresses précises (noms des rues, numéros, etc.) sont une denrée rare. Pour

être plus efficace, Kaymu s’appuie sur le campagnes de marketing menées en réseau de livreurs locaux de sa sociétéville et sur les réseaux sociaux. La prosœur, Jumia, et compte mettre en place chaine, baptisée Adjamé 2.0, prévoit un de plus en plus de points-relais, où les mélange d’affichage, d’annonces sonores produits sont déposés avant d’être et de vidéos. Kaymu, qui tient déjà récupérés par les clients. Le site d’e-commerce, des réunions régulières de formation avec les lui, se rémunère en prélevant, sur chacune des commerçants dans ventes effectuées en les locaux de la mairie d’Adjamé,veutdavantage ligne, une commission allant de 10 % à 20 % s’impliquer dans la vie du marché, par exemple en selon les catégories de produit. Unpourcentage organisant des journées un peu élevé… « C’est nettoyage. Des actions qui vrai, reconnaît Mehdi permettent aux équipes de Ben Abroug, mais il ne Kaymu de mieux connaître faut pas oublier que les le terrain et aux marchands marchandisesvenduessur de mieux s’approprier le site d’ele site le sont quasiment au Le top des ventes commerce.«Toutpourune prix de gros ou de demiexpérience 2.0 complète(au 1er décembre) gros et que nous sommes ment futuriste », conclut complètementtransparents.Doncleclient Mehdi Ben Abroug. Qui permettra au y trouve son compte. » marché virtuel de se développer, aussi, Fin 2014, le site revendique entre au profit du marché réel, d’Adjamé, de ses 20 000 et 60 000 visites par semaine, commerçants et de ses habitants. l une fréquentation qui varie selon les Haby Niakaté

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Abidjan, le retour

Témoignage

Opinions & éditoriaux

mon Babi à moi

dr

a Kajeem Chanteur de reggae

bidjan est uneville forte, un esprit fort. Mari semper altior (« toujours plus haut que la mer ») est sa devise. une cité insubmersible, qui ne se laisse jamais abattre. s’il y a des conflits le matin et que l’on décide dans l’après-midi d’y mettre fin, les maquis seront ouverts le soir même, où l’on tournera déjà en dérision les événements du jour. C’est aussi une ville multiple. il y a l’abidjan des maisons et des voitures climatisées du quartier d’affaires du Plateau, celle des golden boys et des énormes tableaux publicitaires, celle où l’accueil que te réserve la secrétaire dépend fortement de ton apparence… d’ailleurs, je me déguise parfois, par exemple lorsque je vais à la banque. récemment, je m’y suis rendu « attaché comme un cabri », avec costume et cravate – le vigile en est resté bouche bée!tous les abidjanais font ça ; même le plus misérable d’entre nous a ses fringues des grands jours. À Adjamé, à Abobo ou à Yopougon, la ville est en revanche bien différente. Moi, je suis né à treichville, dans le sud de « babi ». lorsque j’étais petit, « treich » était un peu une capitale dans la capitale, une afrique en miniature. Mes voisins étaient maliens, nigérians, béninois… on a grandi ensemble. nos nationalités, on s’en fichait. les rues étaient propres, les bennes à ordures circulaient, et le moindre papier jeté à terre pouvait vous coûter 600 f Cfa. on avait d’ailleurs surnommé les agents chargés de la propreté « les 600 francs ». Cetreichville-là n’existe malheureusement plus. en grandissant, on nous a appris que nous étions différents les uns des autres, et les bennes ont petit à petit été remplacées par des brouettes… suis-je, comme tant d’autres, trop nostalgique de cette abidjan d’avant ? on dit que la nostalgie est le lot des gens qui ont du mal à imaginer l’avenir. je dirais simplement que nous nous posons beaucoup de questions car tout, ici, est

en train de changer.tout et en même temps. alors, la seule chose à laquelle nous pouvons nous raccrocher, c’est à la ville telle que nous la connaissions avant. attention, si je me permets de critiquer abidjan, cela ne veut pas dire que tout le monde peut le faire ! il ne faut jamais en dire du mal devant un abidjanais si on ne l’est pas soi-même, car la fierté abidjanaise, l’amour des habitants pour leur cité existent bel et bien. À des touristes canadiens qui m’expliquaient, il y a quelque temps, qu’ils n’avaient pas trop aimé la ville, la trouvant trop moderne, j’ai d’ailleurs répondu que nous n’allions pas nous mettre à vivre dans des grottes pour assurer leur dépaysement. AprèsTreichville, je suis allé vivre à Cocody, où j’ai étudié les langues vivantes à l’université. je voulais être diplomate. Mais j’ai découvert le reggae et le lien si spécial qu’il entretient avec babi. je ne sais d’ailleurs pas trop depuis quand ni pourquoi, mais ce genre musical et abidjan sont presque indissociables. Même avant qu’arrive le tsunamialpha blondy, toutes les stars ivoiriennes chantaient déjà systématiquement un titre reggae dans leur album ou leur concert. C’est à abobo, dans le nord de la ville, que se trouve aujourd’hui mon abidjan de cœur. C’est

Je ne sais pas pourquoi, mais Abidjan et le reggae sont indissociables.

Kajeem prépare la sortie de son 6e album, Gardien du feu. ses précédents opus sont N’gowa (1997), RevelationTime (1999), La Voix du ciel (2000), Positif (2004), Qui a intérêt ? (2008) et, en duo avec spyrow, Ghetto Reporters (2010). il est aussi l’auteur d’un recueil de nouvelles, Le Petit Garçon qui peinait à parler, préfacé par venance Konan (frat-Mat Éditions, 2012, 89 pages, 2 500 f Cfa) jeune afrique

la commune qui m’a artistiquement porté. la plus peuplée de la ville – et du pays –, celle aussi qui a sans doute payé le plus lourd tribut pendant la dernière crise post-électorale. la vie n’y est pas facile. lorsqu’on arrive au rond-point principal, on a toujours l’impression qu’il y a une manifestation, mais ce ne sont que des jeunes au chômage, qui attendent là, toute la journée. les infrastructures sont à l’agonie. Cette commune aurait presque besoin d’un plan Marshall… Pourtant, alors qu’il y a aujourd’hui des travaux partout dans abidjan, abobo est celle où il y en a le moins ! j’habite dans le quartier résidentiel de la 8e-tranche, dans le nord de Cocody, à la porte d’abobo. et c’est aussi une façon, même symbolique, de montrer aux jeunes que, avec du travail, dans n’importe quel domaine, on peut s’en sortir. l n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

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vincent fournier/j.A.

Côté loisirs

t Jeanine Zogo, dans le jardin de son étonnante villa, Kajazoma, aux Deux-Plateaux.

Balade initiatique Épicerie fine, salon de thé branché, galerie d’art-restaurant nichée dans un patio ou maquis les pieds dans le sable: visite réservée aux gourmets et aux connaisseurs.

A

bidjan ne se dévoile jamais entièrement. Et surtout pas lors du premier rendez-vous, même si, pour l’occasion, elle ne manquera bien sûr pas de mettre en avant quelques beaux atours : ses gratte-ciel du Plateau, sa cathédrale Saint-Paul, son hôtel Ivoire, ses centres commerciaux, sa baie des milliardaires, ses villas luxueuses… Mais pour vraiment la connaître, mieux vaut insister. Et, de préférence, demander l’aide d’« initiés ». Grâce à eux, en empruntant de petites ruelles anonymes, en poussant des portes anodines, en cherchant ici et là, on découvre une ville bien différente. Avec de nombreux endroits, plus ou moins cachés, où les Abidjanais aiment

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à se retrouver entre amis, dans un entresoi assumé, afin de fuir un instant le tumulte de la ville. COCON CONNECTÉ. Première escale

maisons française Dammann Frères et panafricaine Yswara), ainsi que quatre cafés arabica de la marque française Olivier Langlois et un robusta ivoirien. Un vrai paradis, pour les connaisseurs comme pour les simples amateurs. En mezzanine, juste au-dessus de la boutique, où l’on peut feuilleter les journaux du jour et quelques livres, se trouve le salon de thé. Les prix varient de 2 500 à 3 000 F CFA (de 3,80 à 4,50 euros) pour un thé et de 1 500 à 3 000 F CFA pour un café ou un chocolat chaud. Au fil des heures, s’y succèdent des étudiants, des cadres d’ici et d’ailleurs, des intellectuels, des artistes, des couples d’amoureux…

en plein cœur du quartier des DeuxPlateaux, à Cocody, chez Couleur Café. Situé rue des Jardins, dans la bouillonnante galerie du Super Hayat, l’endroit est en Des coins dans lesquels les réalité un véritable cocon. Abidjanais aiment à se retrouver Impossible de deviner son existence depuis l’extérieur. entre amis, loin du tumulte urbain. Ambiance cosy, meubles, parquets et huisseries de bois, murs et « La plupart de nos clients ont déjà plafonds peints en jaune profond. La une expérience des coffee shops, tels boutique propose une cinquantaine de qu’on en trouve en Europe ou aux Étatsthés haut de gamme (ceux des célèbres Unis, et ils viennent chez nous retrouver

jeune afrique


Abidjan, le retour

PUBLI-INFORMATION

AMP Advanced Management Program Organisé par la majorité des Business School de haut niveau, l’AMP est un programme qui permet aux managers seniors d’améliorer leur processus de prise de décision, de développer leurs talents de leadership et de renforcer leurs connaissances pratiques. Les participants sont ainsi en mesure de faire face aux défis de la direction avec un regard plus perçant, et ils sont capables de dominer les opportunités créées par les changements actuels. Profil des participants Chefs d’entreprise ou dirigeants de premier niveau avec une carrière stabilisée et une expérience de 10 à 15 ans minimum. A un poste de direction. Habituellement plus de 40 ans. Exemples de fonction : Associé propriétaire, directeur général, directeur exécutif, directeurs pays etc

cette ambiance si particulière », explique Fabienne Dervain, 26 ans, maîtresse des lieux. C’est l’année dernière, tout juste rentrée au pays, que la jeune Ivoirienne, diplômée de l’université américaine de Paris et du King’s College de Londres, décide de reprendre l’affaire familiale (le salon de thé appartient à sa mère depuis 1999) et de la moderniser : refonte totale de la carte, nouvelle décoration et, surtout, nouvelle communication… Le salon, qui disposed’uneconnexionWi-Fi,estprésent sur Facebook, Twitter et Instagram, pour communiquer avec les clients et leur faire part régulièrement des nouveautés. « Ce qui me séduit, c’est surtout le côté “initiateur” des lieux, explique un client. Venir ici, c’est un peu comme aller à la librairie, on peut travailler ou lire un bouquin tout en découvrant de nouveaux thés, que l’on déguste en même temps. » DESIGN ET PAPILLES. Toujours aux Deux-

Plateaux,surleboulevardLatrille,Kajazoma est un endroit encore plus discret. Pour vous y rendre, ne faites surtout pas l l l jeune afrique

PMD – Program for Management Development Le PMD est un standard international pour la formation des entrepreneurs et managers qui veulent développer leur vision globale de l’entreprise et leur rôle de leader pour faire face à des problèmes de haute direction. Ce programme permet aux participants d’exceller et d’innover dans leurs responsabilités, de relever de nouveaux défis et d’améliorer les performances de l’entreprise. Profils des participants - Jeunes entrepreneurs, directeurs généraux adjoints, directeurs opérationnels etc... - Cadres intervenant dans le comité de direction ou se préparant à une position de direction générale - Managers ayant au moins (à 10 ans d’expérience à un poste de direction et âgés d’au moins 30 ans).

MDE Business School (IHE Afrique) 04 BP 633 Abidjan 04, Côte d’Ivoire

www.mde.ci

Tél : +225 22 41 71 11 Fax +225 22 41 12 77 Info@mde.ci

DIFCOM/FC - Photos : DR


Le Plus de J.A. Abidjan

Coups

Côté loisirs

de Cœur

dr

de la rédaCtion

olivier pour j.a.

37° 2 Piano-bar… et plus si affinité Rue du Canal – Zone 4, Marcory

Ouvert depuis quelques mois, le 37° 2 ne désemplit pas. Au rezde-chaussée, le piano-bar, avec ambiance lounge, murs capitonnés, poufs en velours et musique soul. On y propose des petites tapas élégantes. Au premier étage, le restaurant, très chic, au design contemporain. Tout brille et scintille. Y compris dans les assiettes. Pour le déjeuner, le restaurant propose des formules à 18000 F CFA (27,50 euros). Pour le dîner, multipliez le prix par 3.

dr

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Parker Place L’âme du reggae Rue Paul-Langevin – Zone 4, Marcory

C’est le temple de la musique reggae à Abidjan où se retrouvent fans et profanes. On peut y croiser le même soir des maîtres du genre, comme Ismaël Isaac, ou les stars de la génération montante, comme Kajeem. Sur scène, les artistes interprètent les classiques de Bob Marley et d’Alpha Blondy. Dans la salle, tout le monde connaît par cœur les paroles de Jerusalem (de Blondy) et de Marie-Jeanne (de Kajeem), les têtes et les jambes bougent en rythme, les yeux se ferment. Ici, le reggae se vit. Vraiment. Passionnément. Courez-y ! Ambiance non guindée garantie. n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

p Chez Ambroise, à Marcory. l l l confiance à un chauffeur de taxi affirmant « voir à peu près où ça se trouve », il vous en coûterait une interminable balade dans le quartier – au demeurant charmant. Le premier élément déroutant de ce lieu est qu’il faut en chercher l’entrée, cachée derrière quelques bananiers. Canapés et gros coussins, tableaux contemporains et lampes design, piscine et plantes reposantes, silence délicieux… Il faut ensuite prendrequelquesinstantspourréaliserque l’on n’est pas dans un jardin privé ni une villa, mais bien au restaurant-galerie d’art Kajazoma, ouvert il y a quelques années par Jeanine Zogo, créatrice d’objets et restauratrice de meubles anciens. Le concept est simple : tout ce qui est exposé peut être acheté. Même les lieux peuvent être loués pour des événements. On peut aussi y déguster une cuisine exquise, préparée avec des produits frais, et qui mêle influences africaines et européennes. Mais attention, car le temps, chez Kajazoma, file aussi vite que les prix sur l’addition – en moyenne 20 000 F CFA pour un plat et une boisson.

FRANCHOUILLARD. Prochaine escale, rive

sud. Dans la commune à la fois très résidentielle de Marcory et de sa festive Zone 4 (quartierBiétry).RuedesMajorettes,parallèle au boulevard de Marseille, de prime abord, La Boule Bleue est un restaurant presque banal, coquet, avec de bons vins et une cuisine européenne (de la pizza à la choucroute, en passant par la paella et le cassoulet). Mais, assez rapidement, à l’arrivée des habitués, l’ambiance change. Et ce qui semblait n’être qu’un étrange jardin, se transforme en… terrain de pétanque. Les boules, le pastis, les chaises métalliques, le bleu Provence et le violet lavande

de la peinture et des meubles… Tout est « raccord » : de quoi se croire en plein Marseille, d’où est originaire Gilbert, le propriétaire, qui a ouvert l’établissement avec Solange, son épouse, il y a quatre ans. Peut-être un peu trop « franchouillard » ou « expatrio-centré » pour certains, La Boule bleue n’en reste pas moins un excellent dépaysement et une adresse sympathique. INCONTOURNABLE. C’est également à

Marcory, en plein centre, que se trouve l’un des meilleurs et des plus célèbres maquis d’Abidjan : Chez Ambroise. Le jour, c’est un terrain de football. La nuit, en plein air, les pieds dans le sable, sous des grandes tentes et sur des tables basses, on y déguste des spécialités typiquement ivoiriennes:pouletoupoissonbraisés,brochettes, attiéké, alloco, légumes pimentés, escargots grillés, etc. Habitués, touristes, hommes politiques ivoiriens et étrangers, hommes d’affaires, groupes d’amis, étudiants… Tout le monde se retrouve Chez Ambroise, quitte à créer quelques encombrements en cuisine. Les groupes de musique traditionnelle qui passent de table en table en agacent certains et en enchantent d’autres. Ils ont d’ailleurs le mérite de faire passer le temps d’attente, assez long, avant que l’on soit servi. Ambroise, le patron, qui vient très souvent « en salle » pour saluer les clients, est un personnage, qu’il convient de « mettre dans sa poche » afin de pouvoir passer sa commande par téléphone les prochaines fois et d’être accueilli avec un plat chaud dès son arrivée. Plus qu’un maquis, Chez Ambroise est une véritable institution. Et si votre « guide » ou votre « initié » ne vous y emmène pas, changez-en ! l HABy NIAkATé jeune afrique



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Le Plus de J.A. Abidjan Côté tendance

Savez-vous parler nouchi? Né au début des années 1980 dans les glôglô, les quartiers précaires, l’argot abidjanais est désormais utilisé par tous, écrivains et politiques compris. Pour les néophytes, un petit décodage s’impose…

C

est un élément essentiel de la culture abidjanaise. Le nouchi, argot mêlant le français et différentes langues parlées en Côte d’Ivoire (dioula, baoulé, bété, attié…), est désormais présent dans toutes les sphères de la société. De la rue aux salons feutrés des grands hôtels, des médias classiques aux réseaux sociaux, des milieux d’affaires au monde politique… Tout le monde parle nouchi. À tel point qu’en juillet 2013, lors de la 39e session de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, l’ancien secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Abdou Diouf, déclarait : « La langue française doit féliciter tous les Ivoiriens pour leur imagination et leur façon savoureuse de s’exprimer en français. Chaque fois qu’on me demande de donner des expressions qui ne sont pas venues de l’Hexagone ou des pays du Nord, les exemples qui me viennent à l’esprit sont des exemples ivoiriens. » Un hommage auquel le président Alassane Ouattara avait répondu: « Président, nous sommes enjaillés [contents] de toi. Certains diront, président, nous sommes fans de toi. Le président Diouf est vraiment un président chocó [stylé, classe]. » Jamais les mots de différentes langues n’auront été aussi bien modifiés, tripatouillés et combinés les uns avec les autres, ni leur sens si insolemment

lexique

C’est comment ?

Comment ça va ? La réponse courante est : « On est là ! » ou « Ça va un peu ! »

Il a fini avec ça

C’est un professionnel, un expert

Elle est kpata

Elle est belle

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détourné. Bien plus qu’un simple langage, à La Haye ! » peut-on se voir rétorquer le nouchi représente l’esprit d’Abidjan, lors d’une dispute, en référence, bien sûr, l’humour de ses habitants et leur capaau procès de l’ancien président Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale cité à rire de tout (surtout du pire). Petit florilège imagé : le mangement remplace (CPI) et à son incarcération en banlieue la corruption, les cambodgiens désignent de la métropole néerlandaise. les étudiants qui n’ont pas obtenu de Autre exemple. En juin, lors de l’élecchambres universitaires et squattent tion de Miss Côte d’Ivoire 2014, la mère celles de leurs amis (souvent à plusieurs, d’une des candidates malheureuses s’est en dormant sur un matelas par terre), les emportée à l’annonce des résultats, hurmicrobes sont les jeunes des gangs violant à l’un des membres du jury : « Tu as lents qui sévissent dans le nord d’Abidjan (un surnom jamais les mots de différentes inspiré de celui des gangs langues n’auront été aussi bien d’enfants des favelas du film brésilien La Cité de Dieu) et modifiés, tripatouillés, combinés. les virus les membres des abusé de moi ! Tu vas mourir ! » Il n’en mêmes gangs, mais plus âgés. fallait pas moins pour créer le buzz… Et pour que le verbe « abuser » soit utilisé du jour au lendemain. Certains par tout le monde et à toutes les sauces : mots et expressions sont devenus des pour dire que l’on a été trompé, que l’on classiques, comme go (« une fille »), a eu un accident de voiture, etc. woody (« un garçon »), s’enjailler (« être content »), gaou (« stupide »), ya fohï (« il Enfin, parmi les dernières expressions n’y a rien »), kpakpatoya (« commérage »), tendance, celles dérivées du vocabulaire dja (« tuer, ou mourir »), bara (« travail »), des réseaux sociaux, où « faut cliquer sur wêre-wêre (« turbulent, vantard ») ou quitter » signifie qu’il est temps d’abréjetons (« argent »). D’autres arrivent du ger une conversation qui commence à jour au lendemain, sans qu’on sache où, vous énerver. Et si, d’aventure, vous vous comment et par qui ils ont été inventés. retrouvez complètement pantois devant Les Abidjanais s’inspirent aussi d’épiun idiome qui vous dépasse, n’hésitez pas à le dire : les Abidjanais adorent se sodes et d’événements bien précis pour lancer certaines expressions et blagues lancer dans des explications très drôles et bien à eux, qui se propagent très, très imagées de leurs néo(nouchi)logismes. l rapidement. « Si tu es fâché, envoie-moi Haby niakaté

En même temps est mieux Mieux vaut agir surle-champ

C’est mon comme ça C’est ma nature

On est ensemble, on s’attrape, on se reprend

Avoir des foutaises

Exagérer ou plutôt «déconner», dans le mauvais sens du terme

Pour se dire au revoir et qu’on va se revoir

jeune afrique


Development requires reliability

• Pointes • Tôle bac aluzinc 100 std • Tôle bac aluzinc prélaquée • Tôle bac aluminium std Tôle métal tuile prélaqué • Tôle métal tuile Texturée • Tôle ondulée aluzinc std • Tôle ondulée aluminium Tôle ondulée aluzinc prélaquée • Tôle bac aluzinc texturée • Tôle bac aluminium prélaquée • Tôle Plane Noir Tôle Plane Galvanisée • Tube carré • Tube rond • Profilés en acier • Cornières • Persiennes…

C Ö T E

D ’ I V O I R E



Abidjan, le retour

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Côté tendance

La vi(ll)e en numérique La métropole n’est pas que le repaire international des « brouteurs », ces brigands du web. C’est aussi la capitale africaine des geeks. Passionnés de technologie, toujours connectés, souvent créatifs, ils ont des looks, des méthodes et des lieux bien à eux.

«

G

e e k » ( p ro n o n c e r « guik »), terme angloaméricain signifiant « fou de », désigne, selon Le Petit Larousse, un « fan d’informatique, de science-fiction, de jeux vidéo, etc., toujours à l’affût des nouveautés et des améliorations à apporter aux technologies numériques ». Si vous ne vous reconnaissez pas dans cette définition, certes un peu vague, réfléchissez un instant et vous penserez forcément à une personne de votre entourage qui répond à ce portrait. Depuis l’émergence d’internet, impossible en effet d’échapper à ces geeks, souvent caricaturés en introvertis mordus d’ordinateur, qui pullulent aux quatre coins du monde. Bien sûr, l’Afrique n’est pas épargnée par le phénomène et, à Abidjan, ils sont de plus en plus nombreux et de plus en plus visibles. Organisation d’afterworks (soirées où l’on se rend juste après sa journée de travail pour rencontrer des gens et boire un verre), de conférences, de concours et même d’une Fashion Geek en avril dernier, tout est bon pour se regrouper, partager sa passion du web et des nouvelles technologies, et même refaire le monde.

jeune afrique

p Paul Sika, Isabelle Guipro et BacelyYorobi œuvrent, chacun à sa façon, au cyberdéveloppement de la cité. n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

olivier pour j.a.

même se méfier du terme, qui est utilisé à tort et à travers. Les gens confondent souvent le fait d’être un acteur du web ou de l’informatique et celui d’être un véritable geek », explique Bacely Yorobi, 26 ans, développeur et expert en stratégie web, fondateur de la start-up SocialSpot. « On peut être geek sans avoir jamais travaillé dans l’un de ces secteurs. En fait, cela signifie simplement être un passionné des technologies dans leur ensemble. » Quant à savoir si Bacely Yorobi se définit lui-même comme cela… « Un geek ne dit pas qu’il est geek », répond-il. Sous un soleil de plomb, attablé à la terrasse d’un restaurant en plein centre du quartier d’affaires du Plateau, le jeune entrepreneur se distingue : bob sur la tête, sweat-shirt à capuche, pantalon baggy, baskets, sac à dos volumineux l l l

crédit photo

ÊTRE OU NE PAS ÊTRE. « Il faut tout de


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Le Plus de J.A. Abidjan Côté tendance l l l renfermant, entre autres, son ordinateur… Peu importe si certains trouvent cet attirail bizarre, Bacely Yorobi assume: « C’est une non-mode, qui est notre mode à nous ! » plaisante-t-il. Avec un débit impressionnant ponctué d’anglicismes, il raconte les origines de SocialSpot : « Pendant la crise postélectorale, je suis allé à l’intérieur du pays, et il n’y avait pas internet. J’en suis tombé presque malade, j’étais comme un “addict” à qui il manquait sa dose!… Je me suis donc dit qu’il fallait trouver une solution pour qu’internet soit gratuit partout et pour tous, grâce à des points d’accès wi-fi en libre service disséminés dans les villes ivoiriennes. » Bacely Yorobi est encore à la recherche de business angels, « trop rares dans le secteur abidjanais des nouvelles technologies », pour développer sa start-up. Son modèle économique est simple : « Les utilisateurs de ces bornes wi-fi gratuites sont autant de cibles de choix pour les annonceurs. Donc, d’un côté on offre un service non payant, et de l’autre un trafic de bonne qualité. »

c’est la même chose pour les jeux vidéo : tromper, rater, gommer, sauvegarder, attendre, mettre de côté et revenir. C’est le jour où un appareil nous permettra de extraordinaire. Je n’aurais d’ailleurs sûrevivre nos rêves ou d’autres réalités virment pas commencé la photographie s’il tuelles sans encourir le moindre danger, n’y avait pas eu le numérique, car je troules jeux vidéo n’auront plus de raison vais l’analogique trop lent, trop statique. d’être. » Le numérique, lui, permet d’insuffler du mouvement, de la rapidité. » « updated ». Retour à la réalité, justeL’Abidjanais se préparait à une carment, avec Isabelle Guipro, 32 ans. Le rière d’ingénieur en informatique (il est soleil vient de se coucher sur Abidjan diplômé en génie logiciel de l’université et elle sort tout juste du travail. Elle est de Westminster). À 29 ans, il est devenu comptable en entreprise. Un boulot un artiste digital reconnu qui assume sa pas très passionnant, mais utile « pour « geekitude ». Fan de mangas, de jeux vidéo, de films « Ce que je préfère, c’est la fonction de science-fiction, il cite “Ctrl + z”… C’est une version des extraits de discours de numérique de la rédemption! » Steve Jobs, le défunt patron paul Sika, « photomaker » d’Apple, ou des passages du Seigneur des anneaux, la avoir pied sur caillou », comme disent célèbre trilogie de Tolkien, et explique les Ivoiriens (« pour vivre correcteson amour pour les nouvelles technoloment »). Dès qu’elle a le temps, la jeune gies par « le potentiel d’expression et de femme assiste aux événements geeks connexion à l’ensemble de l’humanité » d’Abidjan, quand elle ne participe pas à qu’elles offrent. Une manière de dire que leur organisation. Elle non plus n’aime les moyens comptent peu au regard de la pas qu’on lui colle une étiquette. « Il est fin. « D’ailleurs, ajoute-t-il, si l’on passait à un monde où les hommes commuvrai que les gens me qualifient souvent génie. Autre lieu, autre geek. Rendezvous est pris à Cocody, dans un salon de niquent par télépathie, je pense que je ne de “geekette”, reconnaît-elle. Mais je me thé, avec un artiste qu’on ne présente serais plus intéressé par l’ordinateur. Et soigne ! » Au quotidien, Isabelle Guipro plus : Paul Sika. Repéré en 2009 met aussi ses compétences et par le rappeur américain Kanye ses connaissances numériques West, le photomaker, comme il au service d’artisans ivoiriens se définit lui-même (il prend pour promouvoir leurs produits des photos qu’il retravaille à l’export. ensuite), est rapidement devenu D’aussi loin qu’elle se souD’autres pros du web abidjanais… vienne, elle a toujours aimé une référence, « un prodige du Édith Brou l’informatique et a eu la chance multimédia », selon le New 16 363 abonnés @edithbrou d’avoir une éducation moins stéYork Times. Ses images ont été réotypée que beaucoup d’autres exposées dès 2012 à la galerie • Blogueuse, cofondatrice d’Ayana jeunes Ivoiriens. « Mes parents Cécile Fakhoury, à Abidjan, Webzine, premier webzine féminin ivoirien • Digital manager de People Input CI • Fan elles « tournent » actuellement m’offraient à la fois des poupées, de stratégie digitale des ordinateurs et des jeux en en Suisse et en France. Et si sa tout genre, que je démontais patte est reconnaissable entre Jean-PatrICk ehouman 11 730 souvent pour savoir comment mille, c’est parce qu’il a acquis abonnés @jpehouman ils fonctionnaient », raconte la une technique bien singulière, • architecte logiciel, blogueur jeune femme. Fan de mangas entre mise en scène cinéma• Fondateur et président d’AllDenY tographique, photographie et elle aussi et de séries télé (même et de l’onG Akendewa • Lauréat du prix tremplin postproduction sur ordinateur si elle ne regarde presque jamais unesco-CePS 2013 pour l’entrepreneuriat des la télévision), elle est complè(avec le logiciel Photoshop). jeunes en afrique tement « droguée » à l’inter« Je suis un amoureux de l’ornet. Impossible de se rendre dinateur, de ses capacités très ISraëL YoroBa 9 416 à un événement, d’aller dans proches du mind [de l’esprit]. Ce abonnés @yoroba un quartier ou dans une ville que je préfère, c’est la fonction • Journaliste et web entrepreneur “Ctrl + Z”, une version numérique qui ne soient pas « connectés », • Fondateur et catalyseur d’équipe de la rédemption ! explique-t-il car il est essentiel d’« être toude @EyoLab • afro-optimiste • Écrivain et musicien en riant derrière ses petites jours updated [au courant], de dans une autre vie lunettes et sous son pull ajusté. savoir ce qui se passe dans le On peut essayer quelque chose monde. » l et revenir en arrière. on peut se Haby niakaté n o 2816-2817 • du 28 décembre 2014 au 10 janvier 2015

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$$$%!*#%&# " $()'!*#%&# Boulevard des martyrs - Cocody | 08 BP 883 Abidjan 08 TĂŠl. (225) 22 40 12 50 | Fax : (225) 22 44 78 23


Côté tendance

abidjan, le retour

un cartoon total mandingue

Parmi eux, Abel Kouamé, 36 ans, plus connu sous son nom d’artiste, Kan Souffle. Originaire de Yopougon, nourri aux Après Pokou, princesse ashanti, Afrikatoon sort un nouveau comics américains, diplômé de l’École nationale des beaux-arts d’Abidjan et long-métrage : Soundiata Keïta, le réveil du lion. l’histoire animée, formé à l’animation en France, l’illustradébridée et en 3D de l’empereur du mandé. teur et bédéiste est devenu le premier réalisateur ouest-africain de longs-métrages n juillet 2013, dans les salles Mandé, considérée comme la première animés. Après s’être fait connaître, en de cinéma abidjanaises, les 1999, avec sa bande dessinée Gbassman déclaration universelle des droits de Ivoiriens avaient pu découvrir et son « super-héros à l’africaine », comme l’homme. Mêlant l’Histoire à l’humour Pokou, princesse ashanti, le preil le dit lui-même, Kan Souffle a voulu et à la fiction, Soundiata Keïta, le réveil mier long-métrage du studio Afrikatoon. donner vie à ses planches en les anidu lion est sorti en août dans les salles Un dessin animé qui raconte l’exil de la mant. C’est naturellement « avec la grande abidjanaises (où il est toujours projeté). princesse ashanti qui, au XVIIIe siècle, famille de Gbich ! », pour laquelle il desdécida de quitter son royaume en pleine balbutiEmEnts. Le studio Afrikatoon sinait déjà, qu’il tente le pari de créer un studio d’animation. Le secteur, qui division (qui couvrait les deux tiers de est né en 2005 sous la bannière de l’hebdomadaire satirique Gbich ! (onomaen est encore à ses balbutiements en l’actuel Ghana) pour rejoindre de nouAfrique de l’Ouest, nécessite velles terres (qui deviendront la Côte d’Ivoire). non seulement des qualités l’équipe du studio veut Toujours avec l’objectif de raconter les artistiques, mais aussi des continuer à raconter belles histoires du continent, le studio compétences techniques les belles légendes du continent. abidjanais vient de réaliser un second film pluridisciplinaires et des d’animation, de soixante-dix minutes, moyens financiers. topée signifiant « coup de poing ») et sur Soundiata Keïta, figure emblémaModeste, d’une voix calme et assules conseils avisés de son directeur de tique de l’Afrique de l’Ouest. Accédant au rée, Kan Souffle, aujourd’hui directeur publication, le dessinateur Lassane trône malgré son handicap, ce prince du artistique du studio, revient non sans XIIIe siècle apporta prospérité et justice Zohoré, également producteur des films une certaine nostalgie sur ses débuts au royaume du Mandé (l’actuel Mali), conçus et animés par les illustrateurs et dans un local exigu de la Zone 4. Une où il instaura notamment la charte du infographistes du studio. salle, du papier, des ordinateurs l l l

E

Vincent KowalsKi pour J.a.

q Kan Souffle, créateur et grand manitou de l’aventure Afrikatoon.

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Le Plus de J.A. Abidjan Côté tendance l l l équipés de logiciels complexes et entourés de ventilateurs pour éviter la surchauffe pendant les calculs… Le laboratoire Afrikatoon est lancé. Pour se faire la main et générer des revenus qui, plus tard, leur permettront de choisir leurs productions, les artistes se concentrent, pendant deux ans, sur les films de commande institutionnels et publicitaires. En 2007, ils décrochent leur premier gros contrat : la réalisation d’une campagne de 22 films d’animation en 2D, de deux minutes chacun, pour l’opérateur Côte d’Ivoire Télécom. L’équipe se met au travail sans compter ses heures afin de livrer des spots aux finitions parfaites. Une formidable carte de visite pour présenter les compétences du studio, de son commando d’illustrateurs, graphistes, scénaristes, acteurs (pour les voix), et attirer de nouveaux clients. Les recettes vont aussi permettre à Afrikatoon d’envisager la réalisation de ses propres projets, notamment un long-métrage d’animation en 3D.

moyens du bord. En 2008, le studio

s’installe dans les locaux de Gbich ! à Koumassi-Remblais. L’ambiance est « celle d’un joyeux bordel », un peu « geek-satirique » et très arty. On déjeune parfois devant les ordinateurs, que l’on ne quitte le plus souvent que tard dans la nuit, les yeux cernés et rougis par les écrans. Kan Souffle s’attelle à la formation d’une équipe avec les moyens du bord. Non sans difficultés – les compétences recherchées étant très spécifiques –, il parvient à réunir six infographistes, quatre illustrateurs, une scénariste et une assistante de réalisation, tous ivoiriens (une volonté plus qu’un critère), qui travaillent d’arrache-pied pendant

deux ans pour mettre en scène et en image l’histoire de la princesse Pokou. Un défi relevé avec un petit budget, sur fonds propres de 96 millions de F CFA (146 350 euros). C’est en juillet 2013 que les Abidjanais ont pu découvrir ce premier film d’animation ivoirien de soixante-cinq minutes, projeté aux cinémas Primavera (Prima Center, à Marcory) et La Fontaine (galerie Sococé, à Cocody). Le graphisme est soigné, l’animation fluide, les dialogues bien sentis et la sensibilité ouest-africaine remarquablement exprimée. Le tout renforcé par un rendu en 3D littéralement captivant. Un premier essai indéniablement transformé puisque, rien que dans ces deux salles, Afrikatoon parvient à rembourser jusqu’à 60 % de son budget initial. Kan Souffle est clair : « Ce n’est pas rentable, mais nous n’avons pas voulu faire appel à des financements internationaux dont nous ne maîtrisons pas les rouages. » Reste que, pour le studio, qui continue de produire des spots publicitaires, Pokou est le coup d’éclat qui lui a permis de montrer tout ce dont il est capable. Le film a d’ailleurs fait le tour des festivals internationaux de cinéma en 2014, d e Ou aga d ou g ou (Burkina Faso) à Montréal (Canada) en passant par Annecy (France). HÉros AFrICAIn.

Chez les AngloSaxons, les collaborateurs d’Afrikatoon seraient sans nul doute qualifiés de workaholics, c’est-à-dire d’addicts au travail – et de travail

bien fait. À peine Pokou achevé, ils se remettent à la tâche. Même budget, même équipe, avec une douzaine d’acteurs, pour raconter et animer en 3D les aventures d’un autre héros africain exemplaire ayant marqué l’enfance du storyteller Kan Souffle… Il se souvient encore du petit Abel, assoupi dans sa salle de classe de l’école primaire de Yopougon. Il était environ 14 heures. Brusquement, il se réveille lorsque l’instituteur se met à raconter l’épopée de Soundiata Keïta, le légendaire souverain mandingue, fondateur de l’empire du Mali. « Afrikatoon est le seul studio à produire des longs-métrages d’animation en Afrique de l’Ouest. Pour nous, il est très important de contribuer à faire connaître des légendes africaines, explique Kan Souffle. Nous souhaitons valoriser la dimension éducative de nos films, qui sont des outils ludiques pour les enseignants et une manière de perpétuer un patrimoine africain en le transmettant aux plus jeunes. » Le studio se veut aussi un lieu de formation aux métiers de l’animation, un domaine artistique et technique encore émergent en Afrique francophone. Fin août, à l’occasion de la sortie en salles de Soundiata Keïta, il a d’ailleurs lancé un concours vidéo 2D-3D intitulé « Anime ta plus belle légende d’Afrique ». Les prix des trois lauréats : trois stages de deux semaines à Afrikatoon. « Nous souhaitons valoriser des talents, mais aussi insuffler une dynamique de l’animation en Afrique », souligne Kan Souffle le bien nommé, qui entend transmettre son savoir-faire et sa passion. Une manière de découvrir de nouveaux talents et, peutêtre, de futurs collaborateurs. D’autant que le studio entame déjà son troisième long-métrage. Pour la première fois, ce sera une pure fiction : l’histoire d’un masque africain méprisé de tous qui finira par sauver son village. l JoAn TILouIne, envoyé spécial

Soundiata Keïta, le réveil du lion, film d’animation en 3D de soixantedix minutes. En salles à Abidjan depuis août 2014 www.soundiatalefilm.com jeune afrique


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