Ja 2821 du 1er au 07022015 plus france

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Algérie la fêtE Est fInIE ? No 2821 • du 1er au 7 février 2015

Hebdomadaire international indépendant • 55e année

jeuneafrique.com

NigeriA Goodluck, lE vraI bIlan LE PLUS

de Jeune Afrique

AFRIQUE-FRANCE

Un New Deal?

Spécial 12 pages

RD CONGO

La forteresse

Kabila

Ils sont dix, irréductibles fidèles, qui veillent jalousement sur le président. Enquête sur une garde rapprochée déterminée à défendre son chef.

édition internationale et afrique subsaharienne

France 3,50 € • Algérie 200 DA • Allemagne 4,50 € • Autriche 4,50 € • Belgique 3,50 € • Canada 5,95 $ CAN • Danemark 35 DKK • DOM 4 €

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Les Lauréats 2012 et 2014

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ECP Investments

Les entreprises et investisseurs du continent à l’honneur

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General Electric Africa

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PrIVate eQuItY ar INVestOr OF tHe Ye nse pe Ce prix récom le fonds de capitalinvestissement ayant s réalisé en Afrique le plu s ive cat nifi sig s d’opération e. ulé éco e né l’an t ran du INterNatIONaL COrPOratION OF tHe Year Ce trophée distingue l’entreprise internationale ayant réalisé la croissance s de ses activités la plu e iqu Afr en ble ua arq rem de rio dans une pé récente.

CeO OF tHe Year Ce trophée distingue le dirigeant africain Daphne Mashile-Nkosi dont l’action dans Kalagadi Manganese les domaines du développement, de la gouvernance et de la performance financière a marqué e l’actualité économiqu Tewolde Gebremariam de l’année. Ethiopian Airlines PARTNERS

MEDIA PARTNERS

INSTITUTIONAL PARTNERS OffICIAL CARRIER

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GALA DINNER COMMUNICATION PARTNER

unlimited Islamic Corporation for the Development of the Private Sector


Le pLus

de Jeune Afrique

Panorama Hollande prend les affaires en main

59

Tribune Pierre Gattaz, président du Medef STraTégie Là où l’herbe est plus verte DécryPTage Stanislas Zézé, PDG de Bloomfield Investment

Afrique-frANce

un New Deal?

illustration : séverine assous/illustrissimo pour J.a.

Le 6 février, à Paris, l’État et les patrons français accueillent leurs homologues du continent pour inventer un nouveau partenariat économique.

jeune afrique

n o 2821 • du 1 er au 7 février 2015


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LE PLUS

Le Plus de Jeune Afrique

de Jeune Afrique

AFRIQUE-FRANCE

Un New Deal?

Prélude François Soudan

Humilité

P

captifs. Même dans les pays où our le meilleur comme pour le pire, le commerce a touson influence était écrasante (Côte jours irrigué la relation entre d’Ivoire, Gabon, Congo, Djibouti…), la France et l’Afrique. Il y eut l’irruption de la concurrence le temps honteux des esclaves troqués chinoise, européenne, indienne, brésilienne, turque, émiratie, amécontre les verroteries de pacotille et ricaine, a réduit à néant ses avande l’ivoire échangé contre des fusils de traite. Puis vint celui des compatages comparatifs. Il a fallu, passé gnies concessionnaires mettant des la période de désarroi, tout revoir, territoires entiers en coupe réglée tout repenser et, pour les entreprises sous la protection du sabre et la bénécomme pour la diplomatie et le comdiction du goupillon. merce extérieur, cette révolution Au début du XXe siècle, on n’était culturelle a été douloureuse. Une pas, à de rares exceptions près, antidécennie de perdue, la première de ce siècle, pendant laquelle il a fallu colonialiste par principe moral ou conviction politique, mais parce que s’extirper de la paresse des contrats l’on jugeait l’aventure coloniale chimérique Les menaces ne fonctionnent et dispendieuse. Entre les deux guerres mon- plus et les missi dominici diales et jusqu’à l’aube ont pour la plupart disparu. des indépendances, les gouverneurs de l’empire avaient donc à renouvellement automatique et comme consignes, un peu comme de la culture du risque zéro, pour les ambassadeurs d’aujourd’hui, de rivaliser avec des adversaires qui « faire du chiffre » et de s’organiser faisaient tomber, l’une après l’autre, pour que le retour sur investissement les clôtures du fameux pré carré. soit le plus élevé possible pour la mère patrie. Un système d’exploiCertes, les amicales pressions, les tation directe bientôt jugé obsolète coups de pouce de l’Élysée, de Bercy et contre-performant par les milieux ou du Quai d’Orsay sont toujours de d’affaires, dont on a longtemps mise auprès de chefs d’État sensibles mésestimé le rôle déterminant dans à ce qui se dit d’eux à Paris, surtout en le processus de liquidation coloniale période préélectorale. La diplomatie opéré par le général de Gaulle. économique, c’est aussi cela. La place était libre pour un demiMais les menaces ne fonctionnent siècle de Françafrique, organisation plus, les missi dominici ont pour la parfaitement huilée de mise sous plupart disparu et le nombre de gros tutelle économique de toute une marchés « politiques » obtenus au partie du continent et âge d’or d’un forceps se réduit chaque année un mécanisme de contrôle, voire de prépeu plus, surtout quand il s’agit d’aller dation, mis en œuvre par un homme, les arracher en dehors de l’espace Jacques Foccart, qui fut aussi – on francophone. l’oublie souvent – un entrepreneur. Pour les entreprises françaises en Afrique, l’époque est à la compétitiEmportée, balayée par le tourvité, à la combativité, mais surtout à l’humilité. Sur le continent aussi billon de la mondialisation, l’hydre françafricaine est morte et la France le client est roi, et il faut savoir le a perdu l’essentiel de ses marchés séduire. l jeune Afrique

n o 2821 • du 1 er Au 7 février 2015

panorama Hollande pousse son avantage

p. 62

sécurité La nouvelle tactique du gendarme p. 66 tribune pierre Gattaz, président du Medef

p. 68

stratéGie Les entreprises françaises hors des sentiers battus p. 70 Libreville fait jouer la concurrence p. 72 tribune Lionel Zinsou, président de PAI Partners p. 75

témoiGnaGe paroles d’expats à Dakar p. 76 tribune stanislas Zézé, PDG de Bloomfield Investment Corp.

p. 77

61


62

Le Plus de Jeune Afrique

Afrique-frAnce

Hollande pousse

p Lors du sommet de Paris pour la sécurité au Nigeria, le 17 mai 2014. n o 2821 • du 1 er au 7 février 2015

jeune afrique


Un new Deal ?

son avantage

Après avoir convaincu ses pairs d’élaborer une stratégie commune en matière de lutte antiterroriste et les avoir sensibilisés à la question du climat, le président français espère doper le business avec le continent. Ce sera l’enjeu du Forum franco-africain, qui se tient à Paris le 6 février. AlAin FAUJAS

ALAIN JOCARD/AFP

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jeune afrique

uatorze mois après le sommet AfriqueFrance, réuni à Paris le 6 décembre 2013, le chef de l’État français garde le cap qu’il avait alors fixé. Ses trois priorités demeurent, dans l’ordre, la sécurité, le climat et les relations économiques. Pour les deux premières, la mobilisation commence à produire ses effets. En ce qui concerne la sécurité, les jalons posés au forum de Dakar les 15 et 16 décembre derniers, la prise de conscience des États africains qu’ils devront se substituer un jour à la France pour d’autres opérations Serval ou Sangaris et le départ du président burkinabè Blaise Compaoré ont permis au Mali, au Burkina Faso, à la Mauritanie, au Niger et au Tchad de se retrouver enfin sur la même longueur d’onde pour combattre le terrorisme. Une stratégie comparable prend forme contre Boko Haram avec le Bénin, le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad. François Hollande ne manque pas non plus une occasion de parler à ses pairs africains de la lutte contre le réchauffement climatique. Dans la perspective de la conférence Paris Climat 2015, qui se tiendra au Bourget du 30 novembre au 11 décembre, le président français entend faire de l’Afrique une alliée pour parvenir à un accord mondial ambitieux comportant les fonds et l’aide technique nécessaires pour permettre aux pays en développement de maîtriser leurs émissions de gaz à effet de serre. La France contribuera pour 1 milliard de dollars (environ 885 millions d’euros) aux 10 milliards prévus dans le Fonds vert de l’ONU pour le climat. Elle a également promis que l’Agence française de développement (AFD) consacrerait 1 milliard d’euros à cette question sur les 4 milliards qu’elle alloue au développement. Et elle a fait le forcing pour « verdir » l’aide européenne, obtenant que 20 % des sommes débloquées par le Fonds européen de développement (FED) soient affectés à la prévention des excès climatiques. En matière de relations économiques, les avancées l l l n o 2821 • du 1 er au 7 février 2015

63


Le plus de J.A. Afrique-France Les émergents gagnent du terrain Évolution des parts de marché des 10 premiers exportateurs en Afrique En % (sous les barres, variation de 2002 à 2013)

2002

2013

Les perdants

2002

2013

11,8 %

5,3 % 2,7 %

5,9 %

8% 6,2 %

14,5 %

7,6 % 5%

6,4 % 4,3 %

RoyaumeUni

– 2,6 %

Allemagne

– 2,7 %

3,1 % 3,3 %

Italie

– 2,1 %

4,3 %

France

– 5,9 % États-Unis

Chine

Espagne

– 1,8 %

+ 10,2 %

+ 0,3 %

5,2 % 2,1 %

3,2 % 2,5 %

Volume global des échanges avec l’Afrique subsaharienne

En milliards de dollars, en 2013 (variation en % par rapport à 2012)

63

anc e - A fri q u e

ue

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28,53

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-A

fri

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Ind

e-

(+ 7,8)

sont beaucoup moins notables. Certes, on a fait en sorte que les entreprises françaises bénéficient de quelques retombées en contrepartie de la contribution de Paris à la défense du continent (lire p. 66). La société Razel-Bec participera ainsi à la construction des camps de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma). Quant à l’armée tanzanienne, elle sera équipée pour la première fois d’hélicoptères de transport venus de l’Hexagone.

lll

« Attention positive ». C’est mieux que rien.

Mais les entreprises françaises continuent à perdre des parts de marché sur le continent, comme cela a été abondamment rappelé au Forum Afrique organisé le 20 janvier par Le Moci (Moniteur du commerce international), le Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian) et la chambre de commerce et d’industrie Paris - Île-de-France. Malgré la réorganisation des services et des stratégies commerciales. Et malgré les améliorations en matière de visas accordés par la France, basées sur les recommandations du rapport Védrine (remis en n o 2821 • du 1 er au 7 février 2015

59,7

(+ 8,3)

sources : ministères des finances et du commerce extérieur

Afrique ineCh

Fr

Éta

+ 0,7 %

(+ 5,1)

(– 2,8) (– 12,5)

Arabie saoudite

210,2

75,4

6,6 % 4,6 %

Afrique du Sud

– 2,1 %

Inde

+ 3,1 %

« Perdre des parts de marché n’est pas un drame » Selon Thierry Apoteker, président fondateur de TAC Economics (qui a établi cette comparaison entre les gagnants et les perdants en matière d’exportations en Afrique), dans un marché multiplié par 3,5 en dix ans, « perdre des parts de marché n’est pas un drame ». Cette analyse est valable pour la France, qui a certes perdu 5,9 points de parts de marché entre 2002 et 2013, mais se classe tout de même au troisième rang des pays exportateurs vers l’Afrique, derrière la Chine et les États-Unis. Elle a réalisé en 2013 un excédent commercial de 500 millions d’euros.

décembre 2013 en marge du sommet de l’Élysée, lire p. 77): désormais, les chefs d’entreprise africains peuvent bénéficier de visas multi-entrées d’une validité de cinq ans, et les ambassades ont établi des « listes d’attention positive » pour leur éviter d’humiliantes démarches. Car il ne suffit pas de regrouper plusieurs services de l’État sous les casquettes « business France » ou « expertise France » pour aiguiser l’intérêt des entreprises de l’Hexagone pour l’Afrique! Il ne suffit pas non plus de désigner comme nouveau marché à conquérir l’Afrique anglophone, nettement plus dynamique et plus peuplée que sa sœur francophone (lire pp. 70-71). Lesgrandes entreprises– Total,Carrefour,Bolloré, Société générale ou Somdiaa –, qui ont leurs aises à l’international et fréquentent l’Afrique de longue date, souscrivent sans difficulté au baromètre du Cian, annonçant pour 2015 des « perspectives d’activité moins fortes, mais toujours en hausse » sur le continent. Elles savent « transformer le risque en opportunités ». Elles ne se laissent pas jeune afrique

sources : tac economics, cnuced

Les gagnants

ue

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un new Deal ? impressionner par l’absence de visibilité politique, juridique et sociale, qui est le lot de nombreux pays africains, car elles ont appris que cette opacité – et les risques qui en découlent – est « compensée par un retour sur investissement élevé », comme le rappelle le Cian. Craintes. Mais les autres, les PME françaises

focalisées sur leur marché national, voire européen, et ignorant par exemple l’explosion du téléphone portable en tant qu’outil à tout faire (banque, achat d’électricité, etc.) au Kenya, ont bien du mal à surmonter les craintes que leur inspirent les mauvais classements du climat des affaires publiés chaque année par la Banque mondiale, parce que l’État est mauvais payeur au Gabon ou la main-d’œuvre peu qualifiée en Côte d’Ivoire, etc. On a beau leur rappeler que les importations africaines croissent de 15 % par an depuis 2003 ou leur faire miroiter l’exemple des entreprises chinoises qui exportent à tour de bras, difficile de gommer pour autant l’image véhiculée par les médias français d’une Afrique martyrisée par les épidémies, les coups d’État et le terrorisme. L’afro-optimisme des fonds de placement occidentaux et la multiplication des sites d’information francophones consacrés au

continent n’ont pas encore eu le temps de crédibiliser la montée en puissance de la fameuse classe moyenne africaine, facteur de paix, de stabilité et de création de richesses. réCiproque. La Fondation franco-africaine pour

la croissance créée en juillet, dont l’architecte est Lionel Zinsou (lire p. 75), deviendra opérationnelle le 6 février lors du Forum franco-africain pour une croissance partagée, coorganisé par l’Élysée, le ministère de l’Économie et des Finances et Medef International. Elle a du pain sur la planche car, pour promouvoir la coopération mutuelle chère à François Hollande, elle va devoir tisser – et vite ! –, par-dessus les mers et les déserts, une connaissance réciproque à partir de colloques, de forums, de rencontres, d’échanges techniques ou universitaires, de formations. Comme le répète Richard Arlove, directeur général de la société mauricienne Abax Corporate Services, spécialisée dans l’accompagnement des investissements transfrontaliers : « La croissance, c’est beaucoup d’humain. » Ajoutant que « grâce à sa diaspora la France a beaucoup d’atouts pour devenir un excellent partenaire des entreprises africaines ». La place est désormais aux actes. l

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le Plus de J.a. afrique-france SÉCURITÉ

la nouvelle tactique du gendarme La France reste l’un des rares pays occidentaux à disposer de forces permanentes sur le continent. Mais les missions ont évolué, et les postes avancés supplantent les bases d’antan.

l

aFranceestencorelegendarmedu continent africain. Un gendarme qui a certes changé de visage et de méthodes, qui n’a plus les mêmes objectifs ni les mêmes ennemis, mais un gendarmetoutdemême.Sesinterventions se sont multipliées ces dernières années: en Libye et en Côte d’Ivoire en 2011, au Mali et en Centrafrique en 2013, un peu partout dans le Sahel depuis quelques mois. Aujourd’hui, la France, qui compte près de 10000 soldats en Afrique et dans les eaux alentour (soit, de loin, le plus gros contingent de soldats non africains), est en première ligne dans la plupart des conflits qui ensanglantent le continent. Elle se permet même de tenter de mettre de l’ordre dans des zones qui ne relèvent pas de son influence historique, comme au Nigeria, où elle est en pointe dans la lutte contre Boko Haram depuis mai 2014. désengagement. Pour Paris, il s’agit en

N’Djamena Atar

Djibouti

Tessalit

Abidjan

Niger

Abéché

Niamey

Côte d’Ivoire

450

Ouagadougou

200

5 000 soldats prépositionnés (sur 10 000 hommes)

300

Golfe de Guinée

Tchad Centrafrique

Gabon

300

Émirats arabes unis

Faya-Largeau

Mali Burkina

2 000

Libreville

450

Forces permanentes (en janvier 2015) Pôles opérationnels de coopération à vocation régionale (POC) Bases opérationnelles avancées (BOA) Opération Barkhane État-major Points d’appui principaux Points d’appui secondaires

quelque sorte d’un retour vers le passé. Opération Sangaris La France disposait, aux indépendances, islamique (Aqmi) et de leurs alliés, puis de 30000 soldats en Afrique. Ils n’étaient plus que 15000 en 1980 et 5000 en 2012. Le en Centrafrique (opération Sangaris) pour éviter,dit-onàParis,ungénocide,laFrance désengagement était à la mode. La France arevusondispositifàlahausse.L’opération venait de renégocier la totalité des accords Barkhane, lancée en août 2014 à la suite de défense conclus au lendemain des de Serval, mobilise plus de 3000 hommes décolonisations avec ses anciennes possessions, et son armée pliait déjà bagages. dans cinq pays du Sahel (Mauritanie, Mali, La cure d’amaigrissement, dictée autant par des consides dispositifs militaires discrets dérations budgétaires que nichés dans un coin d’aéroport ou par des visées stratégiques et annoncée dans le Livre blanc au fin fond du désert. sur la sécurité et la défense nationale publié en 2008, était alors drasBurkina, Niger, Tchad) et compte une constellation de bases à leur périphérie. tique.Rienqu’en2011,prèsde2500soldats Ce dispositif est à l’image de la nouvelle avaient quitté Dakar, Djibouti et Abidjan. doctrine française. Fini le temps des bases « Ce Livre blanc faisait de l’Afrique un imposantes auxquelles il était impossible enjeu mineur. C’était une grave erreur », d’échapper à Dakar, Libreville ou Djibouti. estime-t-on aujourd’hui dans les milieux La mode est désormais à la base discrète militaires à Paris. et sans prétention, souvent nichée dans Depuis, la menace jihadiste est devenue prioritaire. Poussée à intervenir au Mali un coin d’aéroport, parfois même perdue (opération Serval) pour contrer l’avanau fin fond d’un désert. « Notre mission a cée des hommes d’Al-Qaïda au Maghreb évolué, indique un officier français. Nous n o 2821 • du 1 er au 7 février 2015

1 950

Madama

Mauritanie Sénégal

350

750

1 100

60

Dakar

Abou Dhabi

1 300

Gao

source : ministère de la défense

66

n’avons plus pour fonction de soutenir un État ou un régime contre des agressions extérieures ou intérieures, mais de lutter contre les trafics et le terrorisme. Pour cela, on n’a pas besoin de grosses bases. » Certaines, que l’on appelle à Paris des « postes avancés » et qui se situent au plus près du front jihadiste, n’abritent pas plus de 50 hommes. fer de lance. Pour autant, la France n’a

pas fait table rase de tout le passé et reste le seul pays occidental (avec les États-Unis) à disposer de forces prépositionnées sur le continent. Elle a ainsi maintenu, au prix d’une forte réduction d’effectifs, ses bases historiquesetpermanentesdeDakar(quia perdulesdeuxtiersdeseshommesen2011 et en compte aujourd’hui 350), Libreville (450 hommes, contre 900 auparavant) et Djibouti (1950) et tend à faire de sa base « provisoire » d’Abidjan (450) une place à durée indéterminée. Abidjan doit servir de pôle logistique à l’opération Barkhane. Quant aux bases de DakaretdeLibreville,désormaispôlesopérationnelsdecoopérationàvocationrégionale (POC), elles constituent le fer de lance de la nouvelle ambition française: former les armées africaines. Paris veut désormais donner la priorité à la coopération avec les forces de sécurité africaines, afin qu’elles assurent elles-mêmes leur défense, tout en admettant que cela « prendra du temps ». D’ici là, la France continuera de jouer son rôle de gendarme. l rémi carayol jeune afrique



Le Plus de J.A. Afrique-France

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Tribune

Opinions & éditoriaux

Ce qu’on attend de nous

ROMUALDMEIGNEUX/SIPA

A Pierre GATTAZ Président du Medef

LORS QUE LA FRANCE EST À UN TOURNANT dans sa relation économique avec l’Afrique, le Forum francoafricain pour une croissance partagée du 6 février, coorganisé par Medef International et les ministères économiques et financiers, constitue une nouvelle opportunité pour les entrepreneurs africains et français. Plus aucune entreprise ne peut bâtir sa stratégie internationale en ignorant l’Afrique, qui représentera un quart de la population mondiale d’ici à 2050 et affiche depuis dix ans un taux de croissance supérieur à 5 %. Un continent en mouvement que beaucoup d’entreprises ont découvert ou redécouvert. Les quatre axes sur lesquels nos partenaires africains nous attendent sont la jeunesse, l’innovation, le défi des villes, et la question du financement de l’économie et des projets des entreprises. Les jeunes générations sont les premières concernées par l’évolution des relations économiques franco-africaines. Notre présence doit être la source d’une amélioration constante et durable de la formation et de l’employabilité à tous les niveaux de l’entreprise. Ce qui s’accompagnera de transferts de technologies, et contribuera au développement du tissu entrepreneurial. L’Afrique se retrouve aussi autour d’associations de jeunes professionnels issus de la diaspora, formés en France ou travaillant dans nos entreprises. L’énergie qu’ils mettent à renforcer les échanges économiques est un atout précieux.

modèle se redessine afin qu’elles soient reliées et intégrées de manière plus inclusive, qu’elles soient plus compactes et plus sobres en matière de dépense énergétique. Des projets d’envergure sont accessibles à nos entreprises dans la conception, la gestion et le développement des municipalités africaines de demain, en lien avec les sociétés et décideurs locaux. Le financement demeure un goulet d’étranglement, justifiant la mobilisation des institutions publiques de développement, en particulier pour l’immense chantier des infrastructures, dont le besoin en investissements supplémentaires est évalué à 50 milliards de dollars [plus de 43 milliards d’euros] annuels. Des passerelles doivent être mises en place pour créer un relais entre financements public et privé. Des solutions innovantes et des fonds d’investissement, davantage présents, sont aujourd’hui à l’œuvre, ce qui permet d’identifier les projets du secteur privé local et les besoins en infrastructures – en vue de les financer. Reste à mieux apprécier la notion de risque en Afrique, qui demeure un obstacle à une mobilisation efficace et à moindre coût des capitaux. Dans cette Afrique en mouvement et dans un environnement de plus en plus compétitif, nous avons perdu du terrain. Il n’y a plus d’acquis, pour aucun partenaire étranger. Notre présence dans les pays anglophones et lusophones a tardé à se développer. Nos « logiciels » de compréhension

L’énergie des jeunes de la diaspora : un atout économique précieux.

L’innovation doit être au cœur de notre partenariat. Elle est un puissant accélérateur de développement, que l’Afrique a adopté en sautant des étapes technologiques avec la révolution mobile et numérique. Près de 60 % des paiements mondiaux réalisés avec un téléphone portable y sont effectués. Les entreprises qui implantent leurs centres de recherche et de développement sur le continent détiendront la clé pour optimiser leur fonctionnement, former la population (via l’elearning), gérer la programmation et le développement des villes (connectées) ou faire gagner en efficacité les procédures administratives ou douanières (e-administration, guichets uniques). La question des villes est cruciale, avec une population qui sera à 75 % urbaine dès 2030. Leur n o 2821 • du 1 er au 7 février 2015

et d’action dans les États francophones étaient devenus obsolètes. Le secteur privé français doit jouer un rôle moteur dans le renforcement d’un partenariat croisé. C’est le rôle et la mission du Medef, et plus particulièrement de Medef International, d’accompagner et d’accélérer le développement des entreprises françaises en Afrique. Parallèlement, nous continuons à renforcer nos liens avec nos homologues africains et à les soutenir dans les instances internationales. L’Afrique a besoin d’investissements dans le cadre d’une relation équilibrée. Et les entreprises françaises, de renforcer leurs liens économiques avec des partenaires d’avenir. l jeune afrique



70

Le plus de J.a. afrique-France STRATÉGIE

Là où l’herbe est plus verte Leurs marchés traditionnels sont saturés ? Qu’à cela ne tienne : les groupes français se tournent vers de nouveaux espaces. direction : l’afrique anglophone et lusophone.

T

out un symbole ! Pour réaliser sa première opération de croissance externe en Afrique, le groupe français JCDecaux n’a choisi ni le Maroc, ni la Côte d’Ivoire, ni le Cameroun, mais… l’Afrique du Sud. D’ici à quelques semaines, le leader mondial de la communication extérieure finalisera la reprise de Continental Outdoor Media avec à la clé une présence dans quatorze pays d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe. Passé directement d’une implantation dans trois pays au rang de numéro un continental, le groupe familial français ne cache pas sa principale motivation : saisir sa chance, quelle que soit la zone. « Nous ne cherchions pas à acquérir un opérateur dans chaque pays, car cela aurait pu se révéler complexe à intégrer. Et dans notre domaine, les opérateurs panafricains sont en Afrique du Sud », explique Jean-Sébastien Decaux, directeur général pour l’Europe du Sud, la Belgique, leLuxembourg,l’AfriqueetIsraël du groupe fondé par son père. À l’instar de JCDecaux, les sociétés françaises n’hésitent plus à sortir de la zone francophone. « Il n’y a plus de freins psychologiques en matière de géographie pour les grandes entreprises. La plupart ont déjà des équipes très techniques et expérimentées. Elles recrutent

désormais des actifs quelle que soit la zone linguistique concernée », souligne Bruno Derieux, avocat associé chez Linklaters, un cabinet international parmi les plus actifs sur le continent. reTard. Les exemples sont désormais

nombreux. En deux opérations, menées en moins d’un an, Danone a rattrapé le retard accumulé par rapport à certains de ses concurrents implantés depuis de longues années au sud du Sahara, à commencer par Nestlé. Pour ce faire, le numéro un mondial des produits laitiers n’a pas hésité à sortir, comme son compatriote, de la zone d’influence historique de la France en Afrique : Fan Milk et Brookside Dairy, les deux compagnies dans lesquelles Danone a investi plusieurs centaines de millions d’euros, réalisent l’essentiel de leurs opérations respectivement au Ghana et au Kenya. De même, dans sa nouvelle stratégie continentale, Pernod Ricard a sélectionné six pays, dont un seul francophone (le Maroc). Enfin, si l’arrivée de Carrefour en Afrique subsaharienne a été bruyamment annoncée via son implantation en Côte d’Ivoire, le groupe français devrait lancer à peu près au même moment ses activités dans un autre pays, anglophone celui-là : le Kenya.

horS deS SeNTierS baTTuS Kenya • Acquisition par Danone de 40 % de Brookside Dairy, numéro un du lait en Afrique de l’Est (juillet 2014)

le développement de plateformes logistiques à l’intérieur du pays (janvier 2015)

angola • Inauguration par Total de la plateforme Clov (décembre 2014)

afrique du Sud • Accord d’acquisition par JCDecaux de Continental Outdoor Media, numéro un africain de l’affichage urbain (décembre 2014)

• Partenariat entre CMA-CGM et l’opérateur angolais Multiparques pour

• Contrat de 4 milliards d’euros entre une filiale locale d’Alstom Transport

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et Prasa, l’agence publique sud-africaine de transport ferroviaire de passagers, portant notamment sur la fourniture de 600 trains sur dix ans (octobre 2013) Nigeria • Acquisition par Axa de l’assureur Mansard Insurance, pour 198 millions d’euros (décembre 2014)

Fini les chasses gardées françaises dans les économies africaines ? « L’idée même d’une chasse gardée est trompeuse, lance un observateur. Prenez un exemple récent qui a fait beaucoup de bruit : l’attribution du second terminal à conteneurs d’Abidjan à Bolloré. Qui était en face de lui ? CMA-CGM et Necotrans, des groupes français… » Étienne Giros, président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian), ne dit pas autre chose: « L’Afrique s’est ouverte à la mondialisation. Les liens des élites du continent avec la France sont désormais davantage de l’ordre de la concurrence. Enfin, n’oubliez pasquedansplusieurspaysfrancophones, comme la Côte d’Ivoire, les groupes français sont déjà très présents. La marge de progression y est minime. » pouvoir d’achaT. Même si quelques

retraits ont marqué les esprits (comme celui de Crédit agricole, qui a cédé ses filialessubsahariennesàpartirde2008),les groupesfrançaishistoriquementimplantés en Afrique ont utilisé leur connaissance du terrain pour se déployer au-delà de leurs implantations historiques. Héritier d’Elf et à ce titre symbole de la Françafrique, Totalaconsidérablementélargisonchamp d’influence, au point de faire de l’Angola, payslusophone,lenavireamiraldugroupe sur le continent. En décembre, après 7 milliards d’euros d’investissements, le groupe a inauguré à 240 km au nord-ouest de Luanda, en plein océan Atlantique, une nouvelle et monumentale barge flottante de production et de stockage. Lafarge, dont les premières implantations africaines s’étaient faites en Algérie ou au Cameroun, a beaucoup grossi au Nigeria, en Afrique de l’Est et en Afrique australe. Le cimentier a même choisi sa filiale de Lagos pour absorber ses activités en Afrique du Sud, nommant ce nouvel ensemble (coté à la Bourse nigériane) Lafarge Africa. Sous la houlette de Dominique Lafont, Bolloré Africa Logistics (BAL) a quant à lui résolument mis le cap sur l’Afrique anglophone. Enfin, inenvisageable il y a une poignée d’années, un retour au Nigeria n’est plus exclu pour le groupe Société générale, numéro un des banques françaises en Afrique francophone. La stratégie des groupes français en Afrique est de plus en plus déterminée par les opportunités de marché. Ainsi, l’importance que donne Business France (exUbifrance,l’agencepourledéveloppement jeune afrique


un new deal ?

Jon Arnold/hemis.fr

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international des entreprises françaises) à l’Angola tient en une phrase : ce pays à fort pouvoir d’achat importe la quasi-totalité de ses besoins. Le cabinet de conseil McKinsey rappelait il y a quelques années que dix pays réalisaient 81 % de la consommation privée du continent. Parmi ceux-ci, seulement trois francophones (l’Algérie, le Maroc et la Tunisie). Les opérateurs français enAfriquecommencentàintégrer cette réalité. illusions. Il ne faudrait pas, pour autant,

se faire d’illusions. Plus l’entreprise française est petite, plus il y a de chances pour que ses premiers pas se fassent en zone francophone.«Lecôtélinguistiquecompte toujours, surtout pour les entreprises de taille modeste, mais il ne faut pas y voir une dimension politique, résume Joël Krief, banquier d’affaires chez AM Capital, actif depuis plusieurs décennies sur le continent. C’est un lien naturel qui fait qu’une PME française ira avant tout en Côte d’Ivoire, au Maroc ou en Tunisie. » Historiques ou nouveaux, les groupes français s’adaptent aussi, peu à peu, aux nouvelles pratiques du continent. Parmi elles, l’africanisation du management. Même si le chemin reste long (il suffit jeune afrique

p En Afrique du Sud, après le consortium franco-canadien Bombela, qui a construit et exploite le Gautrain (photo), Alstom a à son tour décroché un contrat pour la fourniture de 600 trains à Prasa, l’agence sud-africaine de transport ferroviaire.

Vivement concurrencées sur leurs terres par des groupes turcs, chinois ou marocains, les entreprises de l’Hexagone semblententoutcasmoinscomplexéespar leur origine, considérant que les soupçons de Françafrique ne pèsent plus sur les relations d’affaires. « Les entreprises françaises bénéficient aujourd’hui d’une image plus positive. Fini le temps où des soupçons Elles profitent peut-être d’un de Françafrique pesaient certain nombre de décepsur les relations d’affaires. tions qu’ont suscitées des opérateurs venant d’autres locaux. Au Cameroun, le groupe bancaire continents. Leur constance, malgré les est même allé débaucher son numéro crises, a sans doute fait remonter leur deux, Georges Wega, chez un concurrent, cote », constatait récemment dans Jeune United Bank for Africa (UBA). Afrique Marc Rennard, vice-président Les Français envisagent également Afrique d’Orange et membre de Medef la possibilité de partenariats avec des International. Beaucoup rejettent désorlocaux. Danone a ainsi accepté une place mais l’idée qu’il puisse subsister une colluminoritaire (40 %) dans Brookside Dairy, sion entre intérêts privés et intérêts publics laissant le contrôle à une famille kényane entre la France et l’Afrique. « S’il y a encore très influente, les Kenyatta. Un cas qui des entreprises françaises qui croient en devrait toutefois rester rare : la plupart la Françafrique, c’est regrettable, avance des grands groupes français, à l’instar Joël Krief. Car cela donne une mauvaise des autres multinationales, aiment garder image des autres acteurs français sur le le contrôle. continent. » l Frédéric Maury pour s’en convaincre de regarder la composition du comité de direction de CFAO, distributeur français passé sous contrôle japonais), les lignes bougent. Société générale, longtemps symbole de la structure française dirigée par des expatriés, a ainsi fait monter un grand nombre de cadres

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Cerise sur le gâteau, l’Agence nationale des grands travaux (ANGT), maître d’ouvrage délégué chargé depuis 2010 de superviser l’ensemble des principaux chantiers prévus dans le cadre du programme « Gabon émergent», a pour partenairestratégiquel’américainBechtel,géant de l’ingénierie et du BTP, qui a participé à l’élaboration du Schéma directeur national d’infrastructure.

DR

FRIlosItÉ ? La nouvelle génération de

p Le Port-Môle, où le chinois CHEC est en train de gagner 40 ha sur la mer.

libreville, libre choix Il est sorti de son tête-à-tête avec la France et fait jouer la concurrence. Ses nouveaux partenaires sont chinois, turcs, mauriciens, américains… Volage, le Gabon ? Non, réaliste !

l

orsqu’on s’apprête à atterrir à Libreville, on ne peut pas le rater. Le stade de l’Amitié-Sino-Gabonaise d’Angondjé, en périphérie nord de la capitale, est à lui seul le symbole d’un changement d’ère. Près de 600 ouvriers mobilisés par Shanghai Construction Group ont travaillé jour et nuit afin de livrer l’ouvrage à temps pour accueillir la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2012. « Il n’y avait que les Chinois pour réussir une telle performance»,commenteunmembreducomité d’organisation de l’événement. On ne peut pas non plus rater le titanesque chantier mené sur le front de mer par China Harbour Engineering Company (CHEC), Champ-Triomphal - Port-Môle, l’un des projets spéciaux du septennat d’Ali Bongo Ondimba: 40 ha sont en passe d’être gagnés sur la mer pour accueillir une marina ainsi qu’un complexe commercial et culturel. Coût estimé du projet : 450 millions de dollars (environ 350 millions d’euros), pour une livraison prévue en 2020. Et c’est encore un groupe

chinois, Sinohydro, qui construit le barrage de Grand Poubara, dans l’est du pays (300 millions d’euros). Et les entreprises chinoises ne sont pas les seules à disputer aux Français la place prédominante qu’ils occupaient dans l’économie du pays. Le groupe agroindustriel singapourien Olam, arrivé au Gabon en 1999, y a diversifié ses activités et est devenu le partenaire de l’État pour le développement de la zone économique spéciale de Nkok, inaugurée en 2011. logements. Début 2013, le conglomérat mauricien Ireland Blyth Ltd (IBL) a signé un accord avec le Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS) pour l’essor de la filière pêche, qui s’est déjà concrétisé par la création d’une coentreprise, Tropical Holding, et la remise en état de l’usine de Gabon Seafood. Quant à la construction des premiers lots de logements sociaux d’Angondjé, elle a été confiée à des entreprises turques (Dorce et Afrika Rönesans).

dirigeants gabonais prône la diversification des partenaires. Elle veut sortir du « tête-à-tête » avec l’ancienne puissance coloniale en ouvrant grand le pays, tout en se défendant d’entraver les intérêts des entreprises françaises. Seul l’attentisme de ces dernières serait en cause. « Au moment où l’économie gabonaise prend son envol avec des perspectives encourageantes, je constate malheureusement que nos partenaires traditionnels, de qui nous aurions attendu plus, marquent le pas. Est-ce par simple prudence ? est-ce par frilosité ? ou par désintérêt ? » s’interrogeait Ali Bongo Ondimba devant les patrons français réunis au siège du Medef en avril 2014. Les entreprises françaises n’ont semblet-il pas vu venir ce tournant, pourtant clairement énoncé par le Plan stratégique Gabon émergent (PSGE 2011-2016). Leur volume d’activités a-t-il réellement chuté pour autant ? « Dire que les Français perdent du terrain au Gabon est une présentation erronée de la situation. Nous assistons à un ajustement, à un retour des choses à leur juste proportion », tempère un conseiller du chef de l’État. Cette volonté de rééquilibrage ne remet pas en question les positions de groupes bien implantés, tels que le forestier Rougier. C’est aussi le cas de Veolia, dont le partenariat avec la Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG, dont il a acquis 51 % en 1997 dans le cadre d’un contrat de concession de vingt ans) devrait aller jusqu’à son terme en dépit de désaccords avec le gouvernement. l geoRges DoUgUelI, envoyé spécial


* 1ère Êcole de commerce mondiale en formation continue. Classement Financial Times 2014


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Crédit photo : © Joseph Moura

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Opinions & éditoriaux

La croissance, c’est notre affaire

Vincent Fournier/J.A.

l LioneL Zinsou Président de PAI Partners AfricaFrance.org @AfricaFrance

a croissance économique africaine, mesurée par l’évolution du PIB, est depuis vingt ans régulière, homogène, forte et lisible aussi bien dans les paysages que dans les indicateurs sociaux. Elle résiste aux pandémies, aux troubles politiques, aux crises mondiales et aux rechutes européennes… Longtemps inaperçue ou même niée, elle apparaît aujourd’hui comme sous-estimée quand on avance le chiffre de 5 % sur une longue période. Les prévisions récentes des comptes nationaux du Ghana et du Nigeria ont conduit à les rehausser respectivement de 40 % et 80 %. D’autres pays importants suivront, conduisant à la même conclusion : le rythme du changement en Afrique a égalé celui de l’Asie sur deux décennies. On rendrait cependant un très mauvais service à l’Afrique si l’on pensait que 5 % de croissance économique est un chiffre magique, suffisant pour relever les défis du continent. On doit accélérer le rythme. Si nous faisions le rêve d’une production suffisante d’électricité, d’infrastructures de transports modernisées, d’une formation professionnelle adéquate, d’une plus grande intégration des marchés régionaux, de meilleurs accès au financement pour les PME et l’agriculture, etc., nous pourrions, dans de nombreux pays, rejoindre le petit groupe des croissances à deux chiffres. Ce n’est pas qu’une question de rythme, c’est aussi un besoin de meilleure qualité de la croissance. Laissée au marché, celle-ci ne va pas spontanément produire des normes environnementales adaptées au changement climatique ; elle ne va pas d’elle-même produire un contenu suffisant d’emplois pour les jeunes ; elle ne sait pas trouver les moyens de fournir ces biens publics que sont l’éducation, la santé ou la sécurité. Si on veut la croissance sans la surchauffe et sans l’anomie sociale, il faut que la génération qui monte aujourd’hui aux affaires pour créer l’Afrique de 2040 sache produire plus et mieux. Elle ne le fera pas seule.

Hubert Védrine, Tidjane Thiam, Jean-Michel Severino et Hakim El Karoui, elle avait été entérinée lors du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité, en décembre 2013, par les chefs d’État africains et français. Elle rassemble des États, des entreprises, des collectivités locales, des associations, des établissements d’enseignement et de recherche. Ces acteurs, venus de la société civile et de la sphère publique, vont travailler ensemble dans des clubs sectoriels rassemblant des opérateurs africains aussi bien que français. Pour la première fois naît simultanément en France et en Afrique une forme d’institution qui n’est pas une administration mais une véritable communauté, organisée à la manière d’un réseau social, qui n’est pas financée par l’impôt mais par des cotisations et contributions volontaires, dont la gouvernance n’est pas politique mais associative et privée. Ses premiers programmes, lancés le 6 février, sont des programmes de formation. Ses premiers objectifs : l’emploi, les jeunes, les réseaux de femmes, l’environnement. Ses méthodes : le partenariat direct d’entreprise à entreprise, de métropole à métropole, de communauté rurale

La génération qui va créer l’Afrique de 2040 doit savoir produire plus et mieux. Elle ne le fera pas seule.

C’est la raison d’être de la Fondation francoafricaine pour la croissance, AfricaFrance, dont les opérations commencent en février 2015. Proposée par un groupe de travail réunissant jeune afrique

à communauté rurale, d’université à laboratoire… Dans l’Afrique 2.0, il s’agit de susciter la collaboration de la société civile et de la société marchande, à l’appui des politiques publiques de développement. L’Europe a besoin de croissance économique, elle a donc besoin de ce continent si proche – qui en connaît aujourd’hui une quatre fois plus élevée que la sienne –, de sa créativité et de son énergie humaine. Et l’Afrique a besoin de tous les alliés possibles, et donc des Européens, parce qu’il y a urgence : urgence des technologies, urgence des qualifications, urgence du capital. Entre les deux mondes, un atout essentiel : les diasporas. Leurs cultures, leurs langages, leurs loyautés et leurs enthousiasmes sont métis. Pour leur sécurité et leur paix intérieure, ni la France ni l’Afrique ne peuvent différer leur mobilisation pour une croissance partagée. l n o 2821 • du 1 er au 7 février 2015

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Le Plus de J.A. Afrique-France Témoignage

Épatant, disent les expats Entre une vie européenne aseptisée et la joyeuse anarchie qui règne à dakar, ce couple de cadres français n’hésite pas une seconde…

Youri Lenquette pour J.A.

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p Dans le jardin de leur villa dakaroise.

«

J

e sais que je quitterai le Sénégal en pleurant. » Anne-Marie Deransart, 35 ans, achève cette année sa mission à Dakar, cinq ans après s’y être installée en famille. Chargée d’opérations à la Banque européenne d’investissement (BEI, dont le siège est à Luxembourg), elle supervise le financement d’infrastructures en Afrique de l’Ouest. Depuis la fin de leurs études de commerce à Marseille, elle voulait tenter l’expatriation avec son mari Benjamin. Une première expérience les a conduits au Luxembourg, où ils ont résidé près de dix ans. Jusqu’à ce qu’un poste de la BEI se libère à Dakar pour Anne-Marie, en 2010. Le couple met aussitôt le cap au sud avec ses deux premiers enfants, alors âgés de 5 et 2 ans. Le troisième naîtra à Dakar. « On quittait un monde normé, policé et aseptisé pour un univers vivant, où l’imprévu se trouve à chaque coin de rue », résume Benjamin, 38 ans. Anne-Marie connaissait un peu l’Afrique de l’Ouest. Lui la découvrait. Et l’un des premiers chocs culturels fut la joyeuse anarchie n o 2821 • du 1 er au 7 février 2015

dakaroise… Les piétons qui traversent quand et où bon leur semble, les automobilistes qui se garent sur les passages cloutés sans craindre une contravention… Dans leurs univers professionnels respectifs, le dépaysement ne fut pas moins grand. « On ne fonctionne pas avec ses collaborateurs sénégalais comme en

impensable ici. » Au bureau, il apprend donc la souplesse et l’humilité, en même temps qu’il prend conscience du goût prononcé des Ouest-Africains pour les salutations interminables. Pendant que Benjamin doit conseiller des sociétés dans leur développement sans parvenir à trouver de « données de marché » dignes de ce nom, Anne-Marie se réconforte en constatant qu’elle est davantage prise au sérieux, depuis qu’elle réside au Sénégal, que lorsqu’elle y effectuait des passages éclair depuis l’Europe. À la maison, le changement de vie a été tout aussi radical. « Les expatriés peuvent se permettre d’avoir du personnel pour gérer la cuisine, les courses, le ménage ou aller chercher les enfants à l’école, résume Anne-Marie. Mais on se retrouve rapidement à la tête d’une petite PME chez soi, ce qui n’est pas toujours évident. » Un personnel « à l’africaine » qui fait désormais partie de la famille: « À Luxembourg, on vivait à 900 km de nos parents, un peu isolés. Ici on a recréé une cellule familiale avec les nounous, qui sont comme des grands-mères pour nos enfants. » Et pour garder le lien avec leur vrai foyer et leurs amis proches restés en Europe, rien de tel que Facebook, Skype et WhatsApp. Angoisse. Le couple apprécie le temps

libre (« une denrée rare en Europe ») et décrit sa vie sociale dakaroise comme « riche », même si moins diversifiée que ce qu’ils avaient imaginé. « On se rapproche de gens qui nous ressemblent… essentiellement des expatriés, admet Anne-Marie. Avec les Sénégalais, les liens sont plus difficiles à tisser à cause des différences culturelles. » Rares sont en effet les Dakarois Auprès de leurs collègues, ils ont qui se retrouvent pour un appris la souplesse, l’humilité… afterwork le vendredi ou un dîner au restaurant. Une et les salutations interminables. fois le travail terminé, ils Europe, en envoyant sèchement ses direcpréfèrent généralement rentrer chez eux. tives par e-mail, explique Anne-Marie. À l’idée de revenir sur le Vieux On approfondit davantage la relation Continent à la fin de l’année, Benjamin et personnelle avant d’aborder les aspects Anne-Marie nourrissent des sentiments professionnels. » ambivalents. Pour lui, « l’angoisse, c’est de revenir à un univers connu et de faire direct. Pour Benjamin, qui a commencé le deuil de nouvelles découvertes. Pour par travailler pour la filiale sénégalaise du nous, ça ne peut être qu’une étape ». « On cabinet d’audit Deloitte, l’adaptation est va souffler et se reposer, culturellement un vrai défi : « Les Occidentaux qui choiparlant, mais on ne passera pas les trentesissent l’expatriation sont insuffisamment cinq prochaines années à Luxembourg », préparés. En tant que manager, j’avais prévient Anne-Marie. l l’habitude d’être très direct, ce qui est Mehdi BA, à Dakar jeune afrique


afrique-France un new Deal ?

tribune

dr

Opinions & éditoriaux

StaniSlaS ZéZé PDG de Bloomfield Investment Corp., agence de notation financière panafricaine, à Abidjan

Paris est-il crédible?

L

a France envisage de renForcer sa présence en afrique à travers des politiques qui contribueraient à doper ses exportations de biens et services, afin de regagner des parts de marché dans ses échanges avec le continent… Lesquelles ne dépendent que de sa capacité à être de plus en plus compétitive. car un partenariat afrique-France n’a d’intérêt que si cette dernière a un avantage comparatif par rapport à tout autre partenaire. dans un environnement de plus en plus mondialisé, les États africains n’ont aucun intérêt à renforcer leur niveau de dépendance à un pays. ils doivent au contraire prendre conscience des changements géostratégiques qui s’opèrent et en profiter pour négocier les termes d’un partenariat équitable. Les quinze propositions du rapport védrine* devraient donc s’inscrire dans un environnement de compétition mondiale. elles présentent, hélas, de nombreuses lacunes, même si le constat établi est assez réaliste concernant les besoins des pays africains. Sur le plan universitaire et scientifique, par exemple, le partenariat tel qu’il y est évoqué n’est pas révolutionnaire, au regard de la situation que connaît déjà le monde de la recherche en afrique. en effet, la fuite de ses « cerveaux » vers les pays du nord ne permet pas au continent de profiter de son capital humain. La nécessité pour les pays africains est de mettre en place des partenariats faisant intervenir les centres de recherche locaux afin de renforcer leurs moyens et la collaboration avec leurs homologues à travers le monde. cela permettrait, dans un premier temps, de sédentariser les chercheurs et de faire en sorte que les résultats de leurs travaux profitent réellement au continent.

et un soutien de l’Usaid [agence des États-Unis pour le développement international], dakar a su répondre de façon concrète à plusieurs de ces préoccupations. La notation financière de la ville par Bloomfield investment lui permet de renforcer son autonomie financière à travers la mobilisation de 20 milliards de F cFa [30,5 millions d’euros] sur le marché régional très prochainement. dans certains domaines présentant des défis majeurs pour les pays africains, notamment le développement urbain, les transports et l’énergie, comme l’évoque le rapport védrine, la France possède des atouts qui se traduisent par la présence historique sur le continent de certains de ses acteurs experts de ces sujets. il pourrait être intéressant pour les pays africains de s’inscrire dans un partenariat gagnant-gagnant sur de tels points. Enfin, pour soutenir le financement des infrastructures en afrique, il existe une multitude d’instruments. La France envisage de renforcer son engagement dans les initiatives où elle intervient déjà. Le seul réel modèle de financement innovant proposé, qui se rapproche du c2d [contrat de désendettement et de développement], est la titrisation du portefeuille des banques de déve-

Les États africains doivent négocier les termes d’un partenariat équitable.

* « Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France. » rapport public remis au ministre français de l’Économie et des Finances en décembre 2013 par Hubert védrine, Lionel Zinsou, TidjaneThiam, Jean-Michel severino et Hakim el Karoui. jeune afrique

L’importance des collectivités territoriales et administrations africaines pour le développement local est un autre point évoqué par le rapport védrine, l’enjeu pour les pays du continent étant de renforcer le système administratif décentralisé à travers une meilleure gouvernance et un renforcement de l’autonomie financière des collectivités territoriales. sur ce plan, les stratégies locales sont mieux adaptées que le recours à une aide de la France, dont le modèle de décentralisation connaît de grandes lacunes et se révèle extrêmement coûteux pour les finances publiques du pays. À travers la mobilisation de compétences africaines

loppement intervenant en afrique. cette titrisation permettrait à ces établissements de desserrer les contraintes de ratio entre leur endettement et leurs fonds propres et, en conséquence, de se réendetter pour financer davantage de nouveaux projets. ce modèle pourrait être efficace à la seule condition que les bailleurs soient souverains dans leur stratégie d’allocation des ressources, en adéquation avec les besoins des pays africains. cela viendrait résoudre l’une des lacunes majeure du c2d concernant les décisions de réallocation du financement disponible. Ce qu’attend de la France la nouvelle génération d’africains en général, et les entrepreneurs en particulier, c’est un vrai partenariat d’affaires gagnant-gagnant, sans conditions de directives ou d’orientations politiques, et non la réinvention d’une relation paternaliste maquillée en révolution culturelle, économique et politique, doublée d’une pseudo- et soudaine prise de conscience pour un changement de tactique. l n o 2821 • du 1 er au 7 février 2015

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