Ja 2829 du 290315 au 040415 dossier agriculture

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KAGAMÉ l’hommE dE FEr

Un entretien avec le président rwandais

Hebdomadaire international indépendant • 55e année • n° 2829 • du 29 mars au 4 avril 2015

sÉnÉGAl JUsqU’où ira l’aFFairE karim wadE ?

jeuneafrique.com

dossier AGriculture Spécial 12 pages

MAroc aU royaUmE dEs sTaTisTiqUEs

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Béji Caïd essebsi « unis, nous pouvons faire des miracles » Terrorisme, Ennahdha, UGTT, France, relance économique… Une interview exclusive du chef de l’état.

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Dossier

Agriculture

IntervIew

Mamadou Sangafowa Coulibaly Ministre ivoirien de l’Agriculture

Céréales

Consommer local,

mission impossible? Causées par la flambée des prix sur les marchés mondiaux, les émeutes de la faim de 2008 ont servi de leçon : il faut limiter les importations de denrées agricoles et développer leur production en Afrique. Le défi implique de surmonter les aléas climatiques… et de libérer l’initiative. n o 2829 • du 29 mars au 4 avril 2015

jeune afrique


stratégie

Pour exporter plus, PHP doit soigner l’image de ses bananes

développement

En Algérie, la wilaya d’El-Oued a la patate

portraits

Ces Maliens qui relèvent le défi du coton

la hausse spectaculaire des cours des matières premières agricoles. Néanmoins, beaucoup de pays restent dépendants des importations pour répondre à l’augmentation de leurs besoins en céréales. C’est par exemple le cas des pays maghrébins. En 2014, leur production a chuté de 20 %, pour un total d’environ 12,9 millions de tonnes. L’Algérie a notamment vu ses récoltes de blé s’effondrer pour passer de 3,3 millions à environ 2 millions de tonnes, notamment en raison de la sécheresse qui a frappé l’est du pays. Pour couvrir leurs besoins, Alger, Rabat et Tunis devraient importer dans les prochains mois environ 9 millions de tonnes de blé. Près de 5 millions de tonnes de maïs devraient aussi être achetées sur les marchés internationaux.

t L’Afrique subsaharienne a augmenté sa production de céréales de 24 millions de tonnes depuis 2008 (ici, du blé au Kenya).

Julien Clémençot

jeune afrique

S

ept ans après les émeutes de la faim, le spectred’unecrisealimentairepermanente en Afrique s’est éloigné. Selon le think tank britannique Overseas Development Institute (ODI), la productionmondialedecéréalesadoublé depuis 2008, ramenant le prix des denrées agricoles à des niveaux beaucoup plus raisonnables. Une prouesse à laquelle les économies du Sud ont largement contribué. En mai 2014, ODI notait que l’Afrique subsaharienne a augmenté sa production de plus de 24 millions de tonnes depuis 2008, une progression trois fois plus importante que celle enregistrée au cours des sept années précédant

Trevor Snapp/BloomBerg via geTTy imageS

défiCit pluviométrique. En Afrique de l’Ouest,

malgré une production de céréales de 56,6 millions de tonnes en 2014, en hausse de 3 % par rapport à 2013, selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la plupart des États devront aussi recourir aux importations. Au niveau régional d’abord, en ce qui concerne le sorgho et le mil, car de nombreux pays sahéliens ont connu un déficit pluviométrique. Mais aussi en achetant sur les marchés internationaux, notamment du blé et du riz. D’après Yann Lebeau, chef de mission MaghrebAfrique de France Export Céréales, une association regroupant les exportateurs de l’Hexagone, les États d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale devraient importer environ 8 millions de tonnes de blé, dont la moitié pour le seul Nigeria. Concernant l’approvisionnement en riz, le continent connaît la même dépendance. Les producteurs asiatiques lui fournissent environ 40 % de ses besoins, soit 14 millions de tonnes par an, malgré les efforts entrepris au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou encore au Nigeria pour favoriser la production locale. Laculturedumaïs,trèsgourmandeeneau,estelle aussi insuffisante pour couvrir les besoins. Dans ce domaine, 2015 devrait être une année particulière en Afrique australe, compte tenu de la sécheresse, la pire depuis vingt-trois ans, qui a affecté les rendements de l’Afrique du Sud. Pretoria a vu sa production de maïs blanc (9 millions de tonnes) chuter d’un tiers, l’obligeant à s’approvisionner en partie sur le marché argentin pour limiter le déficit. Par effet domino, le Zimbabwe voisin devra trouver de nouvelles sources d’importation, probablement en Zambie. L’an dernier, Harare avait acheté plus de 20 % de la production de son voisin du Sud. De l’Algérie au Cameroun, en passant par le Nigeria, Jeune Afrique a choisi trois exemples qui illustrent la dépendance des pays africains en matière d’approvisionnement céréalier, mais aussi les politiques mises en place pour en sortir, et les opportunités parfois inattendues qui s’offrent aux agriculteurs. l n o 2829 • du 29 mars au 4 avril 2015

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Entreprises marchés

didier ruef/Cosmos

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Guinness brasse le sorgho camerounais La filiale de Diageo prévoit d’acheter 9 000 tonnes de céréales par an. Objectif : abaisser les coûts de production de ses bières.

L

ancée en septembre 2013, la bière blonde Harp Premium est brassée par Guinness Cameroon à partir de sorgho local. Depuis 2009, la deuxième entreprise brassicole du pays a dépensé plus de 1,5 milliard de F CFa (2,3 millions d’euros) pour se procurer 6000 tonnes de cette céréale principalement destinée à l’alimentation, mais aussi utilisée pour la fabrication du bil-bil, la bière artisanale prisée dans les régions du Nord et de l’Extrême-Nord. Persuadé de la pertinence de

sa stratégie, Guinness entend maintenant développer ce segment en en achetant chaque année 9 000 t. Pour maîtriser la chaîne de valeur, la société s’est alliée à deux groupements fédérant plus de 4 500 paysans répartis dans 33 coopératives, chargés de collecter, nettoyer, empaqueteretvendrelemuskwari(sorgho de saison sèche) à Guinness. Si la maison mère, Diageo, veut réduire ses importations, c’est parce qu’elle peut ainsi faire chuter ses coûts

de production. De 2 700 t actuellement, ses besoins s’élèveront à 17 000 t dans trois ans. « Notre ambition est de nous fournir à hauteur de 50 % en matières premières locales d’ici à 2017, annonce Baker Magunda, directeur général de Guinness Cameroon. À terme, elles représenteront une part importante des ingrédients de nos marques Guinness, Guinness Smooth, Malta Guinness, Satzenbrau et Harp. » Le brasseur va, dès avril, installer un cuiseur sur son site de Douala pour optimiser l’utilisation du sorgho et investira plus de 2 milliards de F CFa jusqu’en 2018 pour accroître ses ressources humaines et technologiques. Il bénéficie également du concours du ministère de l’agriculture. débouChés. Du côté des agriculteurs,

la politique d’approvisionnement de Guinness est favorablement accueillie, car elle offre un débouché plus rentable que la vente sur les marchés locaux. Certains producteurs songent déjà à augmenter les surfaces consacrées au sorgho si la situation sécuritaire le permet. En Ouganda, SaB Miller et plusieurs autres brasseurs appliquent une politique similaire pour un volume d’achat qui dépasserait 10 millions de dollars par an (9,1 millions d’euros). l omer mbadi, à Yaoundé

Alger fait pleuvoir les aides sur le blé La dernière moisson a été catastrophique, avec une chute de production de 30 %. La faute à une météo capricieuse, affirment les autorités, qui ne cessent de déployer des mesures de soutien.

a

nnoncée dans un « avenir proche » depuis 2008 (année de production record, avec 6,1 millions de tonnes), l’autosuffisance en céréales de l’algérie semble plus éloignée que jamais. avec 3,4 millions de tonnes produites au cours de la campagne 2013-2014, soit 30 % de moins que la saison précédente, le pays enregistre son plus faible rendement depuis six ans. Une baisse due essentiellement au manque de pluie, a justifié abdelwahab Nouri, le ministre de l’agriculture et du Développement rural. La sécheresse passée, les 600000 producteurs de blé du pays font leurs comptes : près de 800 000 ha sur les 3,3 millions consacrés aux céréales n’ont rien produit, selon les chiffres de l’Institut technique des grandes cultures.

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Un coup dur pour les autorités, qui augmentent chaque année les montants débloqués au profit de l’agriculture (un secteur qui représente 9,7 % du PIB). « Les céréaliers peuvent bénéficier d’une aide de l’État de 50 % pour l’acquisi-

les exploitations de plus de 300 ha se comptent sur les doigts de la main. tion de matériel d’irrigation, de 20 % pour l’achat des engrais et de prêts sans intérêts, énumère Mohamed Belabdi, directeur général de l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OaIC). Et nous avons signé en avril 2013 un protocole d’accord avec le groupe français

axereal pour fournir aux agriculteurs des semences de qualité. » «Les décrets existent mais, dans la pratique, leur application prend beaucoup de temps », déplore Ramy Sellam, 26 ans, qui cultive depuis trois ans 12 ha, dont 5 de céréales, à 200 km à l’ouest d’alger. « Depuis mon installation, j’ai déposé plusieurs dossiers, mais je n’ai jamais reçu de réponse », poursuit le jeune agriculteur, qui a donc investi sur ses fonds propres. Quant aux céréales, « elles ne me rapportent rien car j’ai une trop petite surface », explique-t-il. Un problème commun en algérie, où les exploitations agricoles de plus de 300 ha se comptent « sur les doigts de la main », selon le directeur de l’OaIC. l Chloé rondeleux, à Alger jeune afrique


Le riz gagne du terrain au Nigeria Le pays devrait en importer environ 3 millions de tonnes cette année. Mais les autorités et les acteurs privés mettent les bouchées doubles pour conquérir l’autosuffisance.

L

agos espère bientôt en avoir fini avec les importations de riz. Elles coûteraientchaquejourenviron1milliard de nairas (4,6 millions d’euros) au pays. Depuis 2011, l’État a mis en place un plan d’action qui vise l’autosuffisance à l’horizon 2015. Mais selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), même si la production locale grimpe (4,9millionsdetonnesderizpaddyen 2014, selon les estimations de la FAO en décembre), les achats effectués sur le marché international restent importants. Pour la campagne 20142015, ils devraient atteindre environ 3 millions de tonnes. Afin de favoriser le décollage de la filière nigériane, les pouvoirs publics avaient décidé de porter les droits de douane à 40 % sur le riz poli et 110 % sur le riz blanchi. Conséquence: les importations illégales via les pays voisins ont explosé, obligeant le gouvernement, en juillet 2014, à plafonner les taxes à 30 % et 70 %. Enparallèle,Lagosasollicitél’implication des groupes agro-industriels pour étendre les surfaces cultivées et construire des rizeries (usines de traitementduriz).Legroupesingapourien Olam s’est ainsi engagé à aménager 10 000 ha dans l’État de Nassarawa (Centre) et à construire une rizerie d’unecapacitéde105000tonnesderiz blanchi.Olamévaluel’investissement

nécessaire à 18 milliards de nairas. Le conglomérat Stallion, dont le siège est à Dubaï, a également contribué à faire grimper la production nigériane. L’entreprise anotammentinvestidans une usine d’une capacité de 360000 t par an. engagements. Mais l’annonce la plus retentissante est celle du milliardaireAlikoDangote,qui,enaoût2014, a révélé avoir signé un accord avec le gouvernement pour un investissement de 1 milliard de dollars (760 millionsd’eurosàl’époque).D’iciàquatre ans, le tycoon nigérian affirme vouloir produire 4 millions de tonnes de riz non usiné. Il disposerait aujourd’hui de 150 000 ha. Le projet prévoit la construction de deux rizeries d’une capacité de 120 000 t de riz blanchi, avec l’objectif de doubler leur taille dans les deux prochaines années. « Nous allons être la Thaïlande de l’Afrique », a lancé Akinwumi Adesina, le ministre de l’Agriculture. Si le Nigeria a les moyens de réussir le pari de l’autosuffisance dans les annéesàvenir,legouvernementdevra néanmoins veiller à ce que les industriels tiennent leurs engagements. Fin février, la presse locale a révélé que les groupes Olam et Stallion avaient volontairement dépassé leurs quotas d’importations de riz. l julien clémençot

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Dossier Agriculture

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interview

Mamadou Sangafowa Coulibaly

Ministre ivoirien de l’Agriculture

« Cultures de rente et vivrières peuvent être complémentaires » Du 3 au 12 avril, Abidjan abrite le Salon de l’agriculture et des ressources animales. L’occasion de passer en revue les grands dossiers du secteur en Côte d’Ivoire, de la réforme foncière à celle du cacao. Il a très vite répondu présent et participe à hauteur de 60 % au financement du PNIA. Sur trois investisseurs qui viennent en Côte d’Ivoire, deux s’intéressent au secteur agricole, qui représente un tiers du PIB du pays. Cette contribution du privé se fait déjà sentir dans les résultats que nous enregistrons en termes de production pour 2014, avec une hausse de 9 % sur les cultures de rente et de 27 % sur le vivrier. Il nous faudrait maintenir un niveau de croissance équivalent pendant trois ou quatre ans.

Vincent Fournier/J.A.

Le secteur privé français a-t-il aussi répondu à l’appel ?

P

résentauSaloninternational de l’agriculture (SIA), fin février, Mamadou Sangafowa Coulibaly, le ministre ivoirien de l’Agriculture, est venu promouvoir à Paris le troisième Salon de l’agriculture et des ressources animales (Sara), qui fait son grand retour à Abidjan, du 3 au 12 avril, après seize ans d’absence. L’occasion de faire le point sur les grands dossiers d’un secteur agricole qu’il connaît sur le bout des doigts pour avoir été lui-même producteur, avant de devenir directeur de cabinet adjoint au ministère (2003-2010), puis ministre.

d’investissement agricole [Pnia], quel premier bilan en tirez-vous ? MaMaDOu SanGafOwa COuLiBaLY : Il est en bonne voie.

jeune afrique: trois ans après le lancement du Programme national

quelle a été la contribution du secteur privé ?

n o 2829 • du 29 mars au 4 avril 2015

Les objectifs du PNIA sont de faire reculer la pauvreté, d’assurer la sécurité alimentaire, de développer plus de 2 millions d’emplois supplémentaires et d’assurer à l’horizon 2020 la transformation de 50 % de notre production. Sur tous ces points, nous progressons. Nous avons démarré nos projets dès 2013 et avons déjà engagé plus de 52 % de notre enveloppe budgétaire, c’està-dire plus de 1 000 milliards de F CFA [plus de 1,5 milliard d’euros].

p Au Salon international de l’agriculture, le 25 février, à Paris.

Oui, même s’il pourrait faire beaucoup plus. Les entreprises françaises n’occupent pas en Afrique francophone la place qui devrait être la leur. C’est d’ailleurs pour les encourager à s’intéresser davantage à la Côte d’Ivoire que nous sommes présents au SIA de Paris. Les entrepreneurs français que nous avons rencontrés se sont montrés très réceptifs. La plupart connaissent déjà le pays pour y avoir travaillé ou pour disposer d’un partenaire sur place. Ils cherchent tous de nouvelles opportunités, et ce type de grands salons, comme le SIA ou le Sara, permet d’exposer notre patrimoine agricole et, surtout, de mettre nos producteurs en contact avec de grands acteurs internationaux. vous avez rencontré de nombreux fabricants d’intrants. est-ce la priorité dans l’agriculture ivoirienne ?

Pas uniquement ivoirienne, mais africaine. Pour améliorer la productivité, il faut des semences de qualité, des fertilisants et du l l l jeune afrique



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Dossier Agriculture l l l matériel agricole, aujourd’hui très peu disponible sur le continent.

durant la colonisation… qui n’est pas celui qu’appliquent les paysans. L’objectif est donc de consacrer le droit coutumier, puisque c’est celui qui, dans les faits, régit les terres. Il faut le rationaliser et formaliser une tradition essentiellement orale.

La parcellisation des terres freine l’utilisation de ces équipements en Afrique…

Absolument, mais la situation était comparable en Asie, et cela n’a pas empêché la Chine et l’Inde de mécaniser leur agriculture. C’est ce que nous devons faire. Pour bénéficier d’un matériel adapté à nos conditions, nous devons convaincre les constructeurs internationaux de s’intéresser à l’Afrique et en particulier à la Côte d’Ivoire, qui peut être la vitrine de ce qu’ils peuvent offrir au continent.

Cela permettra-t-il aux jeunes Ivoiriens de revenir à la terre ?

Ils y reviennent déjà ! Même des gens qui ont fait des études en ville vont aujourd’hui s’établir en zone rurale. Les jeunes vont là où ils peuvent gagner leur vie, et l’agriculture peut le leur permettre. Nous avons bien sûr encore beaucoup d’efforts à réaliser pour les accompagner, les aider à trouver les financements, leur apporter la formation nécessaire pour maîtriser les méthodes modernes de production.

Faut-il passer d’une agriculture paysanne à des exploitations industrielles ?

Il n’y a aucune raison d’opposer ces deux types d’agriculture. Il s’agit plutôt de trouver l’ancrage qui leur permettra d’être complémentaires. À nous de développer les projets où ils pourront cohabiter, selon le principe que les cultures de rente peuvent favoriser le développement de l’agriculture vivrière dans leur environnement proche. Je vous rappelle que la Côte d’Ivoire est devenue le premier producteur mondial de cacao en s’appuyant sur ses planteurs. En Afrique de l’Ouest, les petites exploitations de coton ont montré qu’elles étaient plus rentables que les grandes plantations nord-américaines. Et sans bénéficier de subventions.

Il faut consacrer le droit coutumier, car c’est lui qui régit réellement les terres.

La réforme foncière est inachevée, et cela pèse sur le développement du secteur…

Le problème est toujours de savoir comment concilier les droits coutumiers avec ceux hérités des colonies. Une grande majorité d’États africains continuent de fonctionner selon le cadre défini

Qu’en est-il des OGM ?

C’est un débat communautaire qui dépasse la seule Côte d’Ivoire. Nous n’avons pas encore légiféré au niveau national, mais la prochaine loi d’orientation agricole évoque les biotechnologies, qui sont loin d’être toutes nocives pour la santé ou pour l’environnement. Nous suivons de près les expériences du Burkina Fasodanslecotonetnesommespas fermés à la question, mais il nous faut des règles précises pour entrer en action et développer nos cultures de rente. Avec l’anacarde, mais aussi le coton et la mangue, nous voyons quecetypedegrandesculturespeut exister, notamment dans le nord du pays, avec pour effets le recul de la pauvreté et la redistribution des

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richesses nationales. L’anacarde joueunrôlemajeurdansl’économie ivoirienne. Nous en produisons 560 000 tonnes. Reste maintenant à les transformer sur place. Le cacao va rester incontournable encore longtemps. Où en est la filière après deux ans de réforme?

Les principaux objectifs ont été atteints. Tant pour le prix versé aux paysans, garanti pour la première fois à hauteur de 60 % des cours internationaux, que pour l’amélioration de la qualité de nos fèves. La gouvernance de la filière s’est elle aussi améliorée. Nous disposons d’agents sur l’ensemble du territoire, qui sont là pour confirmer que la qualité et les prix sont bien respectés. Le Conseil du café-cacao doit maintenant anticiper les défis qui attendent la filière en matière de productivité et de débouchés. L’encadrement des filières passerat-il de plus en plus par ce genre de structure public-privé ?

Le tout-État a montré ses limites, le sans-État aussi. Le système actuel semble plus équilibré. C’est un mode de gestion qui a tendance à se généraliser et que nous appliquons aussi dans le coton et l’anacarde. Quel est votre regard sur les dernières évolutions du secteur agricole ?

J’ai le sentiment que l’ensemble des filières renouent avec leurs performances passées. Il faut juste être sûr que toutes les conditions seront réunies pour que cette évolution s’inscrive dans la durée. Et le Sara doit justement y contribuer en encourageant les échanges, l’innovation et l’investissement. La Côte d’Ivoire a besoin d’agrofournitures, et nos partenaires ont tout intérêt à venir voir sur place. l Propos recueillis par OLIvIer CAsLIn


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Dossier Agriculture

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CONCURRENCE

Au Sénégal, la colère rouge tomate de la Socas Pour dénoncer l‘importation de concentrés chinois par ses rivaux, l’entreprise menace de ne plus passer de contrats avec les cultivateurs locaux. une crise qui révèle la fragilité de la filière.

la plupart des 15000 producteurs de tomates de la vallée (qui jonglent le plus souvent entre plusieurs cultures) n’ont pas pu en profiter. En janvier, inspectant une parcelle de ses champs, Madiop Niang, président de l’Union des producteurs de Thilène, s’en désolait : « J’ai commencé à piquer il y a un mois sans savoir si cette production serait achetée. La Socas [Société de conserves alimentaires au Sénégal] m’achète d’habitude 100 % de la production. Cette année, elle a refusé de signer les contrats. Tout le monde attend. »

Baptiste de Ville d’aVray/HaNs-lUCas

refuS. Pour ces agriculteurs,

U

n peu de répit pour les producteurs de tomates du nord du Sénégal. Alors que la saison s’annonçait risquée, la campagne 2014-2015, qui s’achève en mai, est finalement bien engagée : la grande majorité de la production a été achetée par les industriels locaux pour être transformée en double concentré, très apprécié dans la cuisine sénégalaise. La tomate est l’une des cultures les plus rentables pour les paysans

de la vallée du fleuve Sénégal, le long de la frontière avec la Mauritanie. Non seulement la rentabilité à l’hectare est très élevée (3 millions de F CFA, soit environ 4 570 euros, contre 1,8 million de F CFA/ha pour le riz), mais l’écoulement de la production est garanti. Les paysans passent un contrat avec les industriels, ce qui leur permet aussi d’accéder à un préfinancement auprès des banques. Toutefois, depuis quelque temps, le système s’est enrayé. Cette année,

p Marché Kermel, à Dakar. Le secteur du frais ne permet d’écouler qu’une petite fraction de la production.

la grande usine de concentré de la Socas représente depuis des dizaines d’années le principal débouché. Les entrepôts et les fours de cette société sont installés depuis plus de quarante ans à Savoigne, à quelques kilomètres à peine des terres de Madiop Niang. Selon des producteurs rencontrés dans le bassin, la Socas justifierait sonrefusparlescentainesdetonnes de stock qu’elle aurait sur les bras. « C’est une fausse information », tranche Éric Binson, son directeur général. Dans ses locaux dakarois, à plus de 200 km de la zone maraîchère, il ne cache pas sa colère. Longtemps seule sur le marché, son entreprise fait maintenant face à deux concurrents. Le premier, Agroline, s’est lancé en 2004. Le deuxième, Takamoul, a débarqué en 2011. Les deux entreprises ont implanté leurs usines de concentré directement à Dakar, tout en promettant d’acheter elles aussi des tomates fraîches dans la vallée. Mais selon Éric Binson, elles n’ont pas tenu leurs engagements, privilégiant la transformation de triple concentré de tomates chinois, environ 30 % moins cher que les


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tomates fraîches, qu’elles transforment en double « en ajoutant un peu d’eau ». Une situation qui aujourd’hui déstabilise toute la filière. « Nous perdons de l’argent depuis trois ans, assure Éric Binson. Dans ces conditions, nous refusons de prendre des engagements avec les producteurs car, malgré de nombreusesréunions,l’Étatnefaitrien.» Finalement,AgrolineetTakamoulse sont engagés cette année à acheter 20 000 tonnes chacun, et la Socas 40000 t. La fin de la campagne dira si les promesses ont été tenues. surplus. Pris au piège de cette

bataille entre industriels, les agriculteurs ont la possibilité de vendre directement leur production sur le marché du frais. Mais celui-ci représente moins de 30 % des volumes. « Les commerçants viennent chercher les tomates pour les vendre à Dakar. Mais ce n’est jamais planifié », explique Ablaye Dieng, président du Comité national de

concertation sur la filière tomate industrielle. Pour les paysans, cela permet surtout d’écouler un surplus de production. Car si les contrats passés en amont avec les industriels se basent sur des rendements de 30 t en moyenne à l’hectare, un agriculteur peut obtenir jusqu’à 45 à 50 t. « C’est surtout avantageux en début de campagne, car les premiers cageots se négocient

Faute d’être calibrée, la production ne peut pas être exportée en Europe. 10 000 F CFA l’unité, quand les usines en offrent 1500 F CFA », souligne Ablaye Dieng. Ce prix baisse ensuite rapidement et massivement au cours de la campagne. Peu d’espoirs de débouchés alternatifs s’offrent à ces producteurs inquiets. Faute d’être calibrées, les tomates ne peuvent pas intégrer un circuit d’exportation vers l’Europe,

souligne un spécialiste du secteur. La durée de vie des fruits est également trop courte (il faudrait passer de deux à vingt et un jours). Et le mode de culture, en plein champ, les rend trop vulnérables aux maladies comme la « mousse blanche ». Ablaye Dieng place aussi le manque d’instruction des agriculteurs au rang des nombreux obstacles à la modernisation de la filière. En outre, ces derniers ont gardé de mauvais souvenirs de la dernière tentative de diversification. Au début des années 2010, les paysans avaient signé des contrats avec une entreprise italienne, venue produire de la tomate séchée. « Une énorme déconvenue », se souvient Ablaye Dieng, rappelant que de nombreux producteurs n’ont jamais été payés. Pour lui, l’espoir réside dans la promesse récente de Takamoul de construire et d’exploiter dès 2016 une usine dans la vallée. l Marion DouEt, envoyée spéciale à Saint-Louis

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Dossier Agriculture t Dans les unités de traitement, les employés en conditionnent 152 000 tonnes par an.

FERNAND KUISSU

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stratégie

Pour exporter plus, PHP doit soigner l’image de ses bananes Face à la concurrence des producteurs sud-américains et aux critiques des ONG, la filiale camerounaise de la Compagnie fruitière de Marseille fait évoluer ses pratiques environnementales et sociales.

L

e soleil qui darde ses rayons sur les vastes étendues de bananeraies est tempéré par la fraîcheur qui parcourt la plaine de Njombé. Une trentaine d’employés de la Société des plantations du HautPenja (PHP) s’affairent dans l’une des 20 stations de conditionnement du domaine pour préparer des colis qui seront expédiés vers le port de Douala, à une soixantaine de kilomètres. Rien ne semble pouvoir troubler la quiétude ambiante. Surtout pas le retrait, en mai 2014, de Dole, le géant américain de la production de fruits, du capital de la maison mère de PHP, la Compagnie fruitière de Marseille. Le leader camerounais de la banane, avec 152000 tonnes récoltées annuellement (soit 51 % de la production nationale), affiche même des ambitions à la hausse. Il a déjà planté une centaine d’hectares de bananiers à Dehane, dans le sudest du pays, dont il récoltera les premiers fruits début septembre. Et va investir près de 20 millions d’euros pour créer 800 ha de bananeraies n o 2829 • du 29 mars au 4 avril 2015

afin d’accroître sa production de 40 000 t par an dès 2017. PHP répond ainsi à l’ambition gouvernementale qui vise une production nationale de 500 000 t en 2020 (contre plus de 300 000 t actuellement). « Nous contribuerons à hauteur de 60 000 à 70 000 t à cette augmentation », confirme Armel François, qui se demande toutefois si le marché européen, unique débouché de la banane camerounaise, pourra absorber cette offre supplémentaire. En attendant, le producteur semble plutôt en forme. Son chiffre d’affaires s’est établi à 62 milliards de F CFA (95 millions d’euros) en 2014 (+ 7,8 % sur un an). Ses exportations continuent de progresser. Elles sont passées de 135300 à 152000 t sur les deux dernières saisons, et l’objectif de 165000 t est en lignede mire pour la fin de l’année. « Ces résultats ont été obtenus grâce à une amélioration de nos rendements de 10 % au cours des trois dernières années. Ce qui nous situe actuellement à 46 t par hectare », se réjouit Armel François.

Si l’horizon semble pour le moment dégagé à Njombé, quelques nuages font toutefois leur apparition. L’engorgement du port de Douala n’a certes pas entravé les exportations du fait d’une priorité d’accostage dont l’entreprise bénéficie pour les deux embarquements hebdomadaires. Cependant, l’approvisionnement en intrants chargés dans des navires en provenance d’Amérique latine a souffert de cette congestion. déséquilibre. Mais la menace

la plus sérieuse vient de Bruxelles. Bénéficiant du programme MAB (mesures d’accompagnement « bananes ») de l’Union européenne (UE), les producteurs africains assistent à la remise en cause des aides – qui s’ajoutent aux exemptions de taxes à l’importation – dont ils bénéficiaient pour leurs exportations vers l’Europe. La Commission européenne rechigne à apporter les 10 millions d’euros promis pour porter l’enveloppe à 200 millions d’euros, et a annoncé que le programme ne sera pas prolongé après 2020. Ces aides avaient été mises en place pour compenser le choc de compétitivité provoqué par l’allégement des droits de douane auxquels sont soumis les producteurs d’Amérique latine. Les taxes prélevées sur la « banane dollar », qui étaient de 132 euros la tonne en 2014, passent à 110 euros cette année et devraient baisser à 75 euros d’ici à la fin de la décennie. « Le danger, c’est que les producteurs sud-américains exigent de diminuer encore les droits d’importation », prévient Denis Loeillet, le directeur de l’observatoire des marchés au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), à Paris. Le risque de voir les multinationales américaines engager une guerre des prix – qui serait dévastatrice pour les producteurs du continent – n’est pas exclu. jeune afrique


Lire aussi Huile de palme: l’Afrique nouvelle frontière de la certification sur economie.jeuneafrique.com Pour PHP, le salut réside sans doute en partie dans une démarche qualitative. La société a obtenu les certifications ISO 14001 pour la protection de l’environnement, Global Gappourlasécuritédesconsommateurs et la protection des employés sur le lieu de travail, et le label Fair Trade (commerce équitable). L’objectifestd’écouler20000cartons Fair Trade annuellement. « Ces initiatives que mène PHP depuis quelques années sont à même de répondre à la demande dumarchéeuropéenetdepréserver lesmargesàunmomentoùellesont tendance à s’éroder, estime Denis Loeillet. Par ailleurs, l’investissement dans le commerce équitable permet d’accéder aux réseaux des grandes chaînes de distribution, notamment britanniques, qui absorbent de grandes quantités de cesproduitscertifiés.»Deplus,pour chaque carton de bananes vendu dans le circuit Fair Trade, 1 dollar est

un géant agricole Chiffre d’affaires

62 milliards de F CFA (2014) Production

bananes et poivre Exportations

152 000

tonnes de bananes en 2014 Effectifs

6 500

employés Surface cultivée

4 500 ha

versé sur un compte bancaire géré par les travailleurs pour financer des réalisations sociales au sein des communautés locales. audits. Ces certifications coûtent

chaque année 1,2 million d’euros à PHP. L’évolution des modes de production était aussi devenue une obligation pour l’entreprise, dont la réputation a été mise à mal en raison de « ses pratiques sociales et environnementales datant de l’époque coloniale », selon des ONG telles que le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), Oxfam-Agir ou Transparency Cameroon. La charge a porté atteinte à l’image de la société – sans pour autant affecter ses résultats, reconnaît-on à Njombé. « Nous ne sommes peut-être pas parfaits, mais ces organisations n’ont pas pris la peine d’apprécier les progrès réalisés du point de

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vue des conditions de travail et de vie des employés, se désole Armel François. D’autre part, en dépit de notre engagement auprès des communautés vivant près de nos plantations, il est impossible de satisfaire les doléances de plus de 250 000 personnes. » Les reproches faits à PHP ne sont pas toujours fondés, notamment sur le niveau des salaires versés qui sont supérieurs à ceux pratiqués parl’entreprisepubliqueCameroon Development Corporation dans ses plantations. Ils ont toutefois incité l’entreprise à faire évoluer ses pratiques, par exemple en prenant des mesures pour limiter les conséquences sanitaires des traitements répandus par avion ou en autorisant une représentation syndicale. Prochaine étape: la conquête du label Ethical Trading Initiative. Pour faire rimer bénéfices avec éthique. l Omer mbadi, à Yaoundé


Dossier Agriculture DÉVELOPPEMENT

En Algérie, la wilaya d’El-Oued a la patate Grâce au volontarisme de l’État, cette zone désertique est devenue la première région productrice de pommes de terre du pays. Prochaine étape : la tomate.

L

e long de la route qui traverse la wilaya d’El-Oued (Sud-Est), des cercles verts apparaissent soudain au milieu des dunes ocre du Grand Erg oriental. Ce sont les champs du désert, qui ont commencé à essaimer au début des années 2000. « Et leur nombre ne cesse d’augmenter depuis », témoigne Azzeddine Zoubidi, un habitant de la région. Les surfaces agricoles, quasi inexistantes en 1993 avec 200 ha cultivés, recouvrent aujourd’hui 33000 ha. Et le nombre de producteurs est passé de 800 à près de 5000 entre 2004 et 2014, selon la Chambre de l’agriculture d’El-Oued. La filière s’est si bien développée qu’en 2013 la wilaya est devenue la premièrerégion productrice de pommes de terre d’Algérie, avec 24 % des 5 millions de tonnes récoltées dans le pays. « Le développement de l’agriculture dans le Sud est le résultat d’une politique lancée dans les années 1980 qui avait pour objectif lamiseenvaleurdenouvellesterres, explique Abed Charef, journaliste spécialiste de l’agriculture. Or les terres du Sud présentent un double avantage : elles sont disponibles en abondance et sont exploitables toute l’année, contrairement à celles du Nord, où le climat ne permet que trois mois d’exploitation. » À ces facteurs naturels s’ajoutent la hausse du prix de la pomme de terre sur le marché et un soutien appuyé de l’État à la filière. La région a ainsi bénéficié de la construction de 400 km de pistes agricoles et de 300 km de lignes électriques depuis 2010. Des facilités sont par ailleurs accordées aux agriculteurs en matière de vente des semences à n o 2829 • du 29 mars au 4 avril 2015

GeorGe Steinmetz/CoSmoS

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des prix étudiés et d’acquisition des pivots d’irrigation avec paiement échelonné. « GHOUT ». Dopées par ce soutien

étatique, les pratiques agricoles ont considérablement évolué dans cette région de tradition phœnicicole (culture des palmiers). Les plus anciens fellahs, spécialisés dans la datte, se sont ainsi lancés dans la pomme de terre. C’est le cas d’Abdelkader Louassaa, un agriculteur à la peau brunie par le soleil. « Dans ma famille, on a toujours cultivé les ghout, ces palmeraies traditionnelles situées dans une crevasse qui puisent l’eau de la nappe phréatique, raconte le vieil homme. Mais depuis quelques années, en plus de nos sept palmeraies, nous cultivons aussi la pomme de terre. » À la faveur d’une production en pleine croissance, la pomme de terre d’El-Oued commence à sortir des frontières algériennes pour faire son apparition sur des marchés étrangers, notamment en Russie. Pour l’instant, les quantités exportéesdemeurentminimes–quelques centaines de tonnes – et sont le fruit d’actions individuelles des producteurs; mais elles ne cessent d’augmenter. Les exportations de

p Depuis une dizaine d’années, des champs circulaires sont apparus dans le Grand Erg oriental.

1,2

million de tonnes

C’est la récolte de pommes de terre de la wilaya d’El-Oued en 2013

pommes de terre d’El-Oued vers la Russie sont ainsi passées de 50 à 500 tonnes entre 2011 et 2014, selon la Chambre de l’agriculture. Autre nouveauté : la tomate. « C’est le bébé des agriculteurs, qui la cultivent depuis à peine cinq ans. Ce produit a évolué très rapidement, plus vite que la pomme de terre », déclarait Zeghib Saadoune, président de la Chambre de l’agriculture d’El-Oued, à l’occasion du dixième Salon de l’agriculture saharienne et steppique Sud’Agral, en décembre 2014. « Actuellement, nous sommes à 800 quintaux par hectare, et son prix reste stable, autour de 30 dinars le kilo. Si ça continue comme ça, El-Oued deviendra, dans deux ans, un leader sur ce créneau », prédisait-il. Uneperspectivequineréjouitpas tout le monde: « D’ici à une dizaine d’années, la plupart des dunes de sable seront aplanies et cultivées », se désole un ancien d’El-Oued. D’autant que l’exploitation intensive de ces nouvelles parcelles pose des questions environnementales. Pauvres en éléments nutritifs, elles nécessitent une grande quantité d’engrais et une irrigation importante, pour un cycle de culture qui n’excède pas trois ans. l CHlOé ROndeleUx, envoyée spéciale jeune afrique



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Dossier Agriculture PORTRAITS

Ces Maliens qui relèvent le défi du coton La production nationale d’or blanc doit atteindre 800 000 tonnes d’ici à 2018. de l’impulsion politique à la mise en pratique, qui sont les artisans de ce grand chantier ?

A

près avoir progressé de 25 % entre 2013 et 2014 pour atteindre 550 000 tonnes, la production malienne de coton doit passer à 800 000 tonnes d’ici à 2018. Un objectif ambitieux qui repose sur la réussite d’une politique volontariste engagée par les acteurs du secteur : subvention des engrais, envoi de techniciens auprès des producteurs,

mise à disposition de semences de meilleure qualité… Au total, la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) prévoit d’y consacrer entre 60 et 70 milliards de F CFA par an (entre 91,5 et 106,7 millions d’euros). Jeune Afrique vous présente les grands artisans de ce chantier national. l

Kalfa Sanogo, le chef d’orchestre PDG de la Compagnie malienne pour le développement du textile

E

n 2013, Kalfa Sanogo coule une retraite tranquille quand le chef de l’État lui demande de prendre la direction de la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT). Homme de devoir, ce natif de la région de Sikasso, fort d’une expérience de vingt ans au sein du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), n’hésite pas. À peine arrivé aux commandes, il va impulser une nouvelle dynamique en augmentant de 5 % le salaire de tous les travailleurs de la CMDT. Puis il assure les cotonculteurs qu’ils seront dorénavant payés dans des délais raisonnables. Message reçu : le nombre des exploitants de la CMDT bondit de 10 %. Avec une production de 550 000 tonnes (+ 25 % sur un an), le bilan de la campagne 2013-2014 est une réussite, ce qui a permis à la CMDT de verser 250 milliards de F CFA (381 millions d’euros) aux cotonculteurs.

Cheibane Coulibaly, le conseiller Chef de la Mission de restructuration du secteur coton

P

remier président de l’Institut malien de recherches appliquées au développement, en 1989, Cheibane Coulibaly, 65 ans, est depuis deux ans le directeur de la Mission de restructuration du secteur coton (MRSC, rattachée au ministère du Développement rural), après avoir œuvré au sein de la cellule « développement rural » de la primature. « C’est là que j’ai mis en évidence les difficultés du coton malien et proposé des solutions. Parmi celles-ci, n o 2829 • du 29 mars au 4 avril 2015

impliquer les cotonculteurs dans le capital de la CMDT afin de les inciter à produire plus, et mettre en place un fonds d’appui pour amortir les variations du cours mondial du coton, détaille-t-il. Nous transformons moins de 2 % du coton : ma prochaine bataille est donc de convaincre le gouvernement d’investir dans des usines de filature. »

BaBa ahmed, à Bamako


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Mamadou Lamine Sylla, l’ingénieur Directeur intérimaire de l’Office de la haute vallée du Niger

I

ngénieur agricole, Mamadou Lamine Sylla, 61 ans, a fait toute sa carrière au sein de l’Office de la haute vallée du Niger (OHVN). Nommé directeur général adjoint en 2010, il occupe le poste de directeur par intérim depuis quelques mois. Interlocuteur privilégié de la CMDT et des organisations professionnelles, il est l’un des artisans de l’amélioration des pratiques agricoles, du respect de la date des semis à l’observance des règles d’utilisation des intrants en passant par la mise en œuvre des méthodes de lutte contre l’érosion.

Bakary Togola, le producteur Président de l’Union nationale des sociétés coopératives de producteurs de coton

À

Ministre du Développement rural

E

n septembre 2013, lorsque Ibrahim Boubacar Keïta est investi président, il pense naturellement à Bokary Tréta, alors enseignant chercheur à l’Institut polytechnique rural de formation et de recherche appliquée, à Katibougou, pour prendre en charge le portefeuille du Développement rural. À 61 ans, ce docteur en nutrition animale a déjà dirigé le ministère de l’Élevage et de la Pêche, de 2011 à 2012. Dès son arrivée, il s’est illustré en nommant un nouveau directeur à la tête de la CMDT, puis en récupérant la supervision de la Mission de restructuration du secteur coton (MRSC), auparavant rattachée à la primature. l

crédits photos : EMMAnuEl dAou BAKArY ; dr

Bokary Tréta, le politique

55 ans, Bakary Togola préside à la fois la puissante Union nationale des sociétés coopératives de producteurs de coton (UNSCPC) et l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali (Apcam). « Mon père m’a enlevé de l’école en sixième et, depuis, je me consacre à mes champs », aime-t-il raconter. Natif de la région de Sikasso, il exploite à lui seul 1 000 hectares entièrement consacrés au coton. S’il a su fédérer les quatre principaux syndicats de la profession, certains lui reprochent aujourd’hui de ne pas vouloir passer la main alors qu’il a déjà effectué deux mandats.



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