toGo
présidentielle 2015
Faure cartes sur table
jeuneafrique.com
Hebdomadaire international indépendant • 55e année • no 2831 • du 12 au 18 avril 2015
côte d’ivoire La résistibLe ascension de guiLLaume soro
élections 2015
Aux urnes,
Burundais !
pages Spécial 25
édition afrique de l’est et Belgique
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Le pLus
de Jeune Afrique
panorama Top départ
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opposition Les petites rivières font les grands fleuves café Quel tracas, cet arabica! monarchie Histoires d’outre-tombe
burundi
Le grand saut
Carl de Souza/aFP
Législatives, communales, présidentielle, sénatoriales, collinaires… Le pays va se lancer, fin mai, dans un marathon électoral qui s’achèvera en août. Et le climat est tendu.
jeune afrique
n o 2831 • du 12 au 18 avril 2015
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Le Plus de Jeune Afrique
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Prélude Pierre Boisselet
Modèle à l’épreuve
T
rop souvent, l’histoire du génocide des tutsis au rwanda, telle que racontée par les grands médias occidentaux, se focalise exagérément sur son « élément déclencheur »: l’attentat du 6 avril 1994. Cette version simplificatrice fait l’impasse sur la succession d’événements qui, depuis l’indépendance, ont progressivement amené le pays des Mille Collines au bord de l’abîme. et, au passage, elle maintient dans l’ombre ce jumeau démographique, linguistique et culturel du rwanda qu’est le Burundi.
des discours publics, au profit de la construction d’une nouvelle identité nationale. Le Burundi s’est choisi une autre voie : celle de la reconnaissance officielle des identités hutues, tutsies et twas, assortie d’une répartition constitutionnelle des postes entre ces différentes composantes. Depuis l’accord de paix de 2005, ce système a permis d’atténuer les clivages ethniques. Des alliances qui les transcendent se sont formées et des divisions se sont fait jour au sein de ces groupes. Même s’il n’est pas encore scellé, le rapprochement entre Charles nditije (issu d’un parti tutsi) et Agathon rwasa (ancien chef d’une rébellion hutue), tend à pérenniser cette logique providentielle.
L’histoire de ces deux pays est intimement liée, pour le meilleur et pour lepire.en1993,l’assassinatduprésident hutu du Burundi, Melchior ndadaye, provoque une onde de chocdanstoutelarégion. Entre Hutus, Tutsis et Twas, Aurwanda,oùdenomles clivages se sont estompés. breux Hutus burundais Mais la présidentielle approche… souvent traumatisés s’exilentimmédiatement, il affaiblit un peu plus le fragile équiPourtant, à mesure que la camlibrepolitiqueissudesaccordsd’Arusha, pagne présidentielle approchera, avec signésenaoûtdelamêmeannée.Ceux-ci son lot de tensions, qui peut prédire volent en éclats avec l’attentat du 6 avril que les fantômes du passé ne risquent 1994,danslequelmeurentlesprésidents pas de ressurgir ? plus encore que le des deux pays: Juvénal Habyarimana et résultat, c’est donc le bon dérouleCyprien ntaryamira. ment du scrutin que guettent tous les observateurs étrangers. De l’autre côté de la frontière, le Après tout, le Burundi se lance cette année dans l’inconnu. Jamais, Burundi se déchire également dans dans son histoire, ce pays n’a connu une guerre civile ultraviolente qui, pende transition démocratique réussie dant plus d’une décennie, opposera les au sommet de l’État. et rarement la Hutus aux tutsis, faisant des centaines de milliers de victimes. Cet héritage pression pour que le sortant s’en aille aurait pu secréter la même idéolon’a été aussi forte à l’intérieur comme gie politique qu’au rwanda, où les à l’extérieur du pays. Le 26 juin, toute anciennes identités « ethniques » sont la région des Grands Lacs aura les désormais bannies des statistiques et yeux rivés sur Bujumbura. l jeune afrique
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opposition les petites rivières font les grands fleuves p. 70 tRiBUne Marie-louise sibazuri, dramaturge p. 73 inteRVieW Mgr Jean-louis nahimana, président de la CVR éconoMie Work in progress
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p. 82
agRicUltURe
Quel tracas, cet arabica ! p. 86 déVeloppeMent dURaBle tanganyika & dolce vita p. 88 MonaRchie histoires d’outre-tombe p. 92 cUltURe tambours battants
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BURUNDI
Top départ
Martina Bacigalupo/vu
À quelques semaines des législatives, prélude à la présidentielle de juin, l’opposition, dans les starting-blocks, dénie au chef de l’État le droit de briguer un troisième mandat. Ce dernier ne l’entend pas de cette oreille. Le clash est-il évitable ?
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olivier caSlin,
c
envoyé spécial
omme tous les cinq ans, alors que se profilent les élections générales, et la présidentielle en particulier, le Burundi sort des coulisses où il est si souvent oublié pour revenir sur le devant de la scène et faire à nouveau parler de lui. Pas toujours pour le meilleur. Après les accusations de fraude qui, en 2010, avaient provoqué le retrait de l’opposition du processus électoral, c’est la question de la constitutionnalité d’un éventuel troisième mandat de Pierre Nkurunziza qui, cette année, attise les tensions, y compris au sein du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDDFDD), le parti présidentiel. Au cœur de ce débat qui divise le pays depuis des semaines, la volonté clairement affichée du chef de l’État de briguer un troisième quinquennat alors que, selon la loi fondamentale, son mandat n’est renouvelable qu’une fois. « Toute la difficulté est de savoir quel texte prime, entre l’accord d’Arusha, signé en 2000, et la Constitution burundaise, promulguée cinq ans plus tard », résume Didace Kiganahe, spécialiste en droit constitutionnel. Le préambule de la Constitution semble pourtant indiquer l’ordre des priorités, puisqu’« il réaffirme l’antériorité d’Arusha », comme le rappelle François Bizimana, le porteparole du Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD), formation d’opposition issue d’une scission avec le parti présidentiel en 1998. Or, si l’accord d’Arusha indique que « le chef de l’État est élu pour un mandat renouvelable une fois », la Constitution de 2005 précise quant à elle, dans son article 96, que « le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois »… champion. C’est sur cette nuance de taille – celle du suf-
p Pierre Nkurunziza, à Gatumba (ouest du pays), lors de la campagne de 2010. jeune afrique
frage « direct » – que surfe le camp Nkurunziza pour justifier la nouvelle candidature de son champion, aujourd’hui âgé de 51 ans. Puisqu’il a été élu en 2005 par le premier Parlement post-transition, le président estime n’être passé qu’une seule fois par le vote « direct » des électeurs, en 2010, et que rien ne peut donc légalement l’empêcher de se présenter à nouveau. La polémique aurait pu être définitivement éteinte, en sa faveur, en mars 2014, lorsque le gouvernement a présenté un projet de révision constitutionnelle au Parlement. Mais l’amendement a été rejeté à une voix près, contraignant aujourd’hui le chef de l’État à tenter le passage en force. Et ce n’est pas la Cour constitutionnelle, qui n’a rien à lui refuser, qui devrait l’empêcher de se présenter au rendezvous du 26 juin. Pierre Nkurunziza (lire son portrait p. 67) a pourtant multiplié les gestes de bonne volonté pour s’attirer la bienveillance de la communauté internationale, tout en cultivant une image de président rassembleur. En novembre 2014, le chef de l’État a fait le ménage dans son premier cercle de fidèles, afin de se débarrasser des personnalités les plus contestables et les plus critiquées. Quelques semaines n o 2831 • du 12 au 18 avril 2015
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Le Plus de J.A. Burundi plus tard, il a autorisé la mise en place – avec quatorze ans de retard sur le calendrier prévu par l’accord d’Arusha – de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR), censée faire la lumière sur les massacres commis dans le pays de 1962 à 2008 (lire pp. 76-77). Enfin, en demandant à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), fin décembre, de reprendre le processus d’enrôlement des électeurs, il a éteint le début d’incendie allumé par l’opposition qui criait à la falsification des listes. Une décision saluée par la communauté internationale et la société civile. Mais, depuis, un durcissement très net a été constaté, à mesure que se multiplient, dans le pays comme à l’étranger, les objections à sa troisième candidature. indigence. Dans ce contexte, le 19 février
marque un véritable tournant. En moins de vingt-quatre heures, Pierre Nkurunziza a dû faire face à l’une des plus importantes manifestations spontanées jamais vues dans le pays après la libération du journaliste Bob Rugurika, patron de la Radio publique africaine (RPA, lire encadré ci-dessous). Au même moment, il prenait connaissance d’une note interne du Service national des renseignements (SNR) aux conclusions alarmantes pour le régime et la stabilité du pays au cas où il briguerait un nouveau mandat. Fou de rage, le chef de l’État a limogé sur-le-champ le général Godefroid Niyombare, patron du SNR, prenant le risque d’aggraver la fracture qui se fait jour au sein du CNDD-FDD. Depuis, le Burundi joue à se faire peur, et les pires rumeurs circulent à Bujumbura. On évoque le retour aux affaires des faucons du régime,
calendrier des scrutins de 2015
26 mai Élections législatives et communales 26 juin Premier tour de l’élection présidentielle (le cas échéant, second tour le 27 juillet) 17 juillet Élections sénatoriales 24 août Élection des conseils de collines et de quartiers
ou bien l’infiltration de milices formées par le pouvoir en RD Congo pour venir semer le chaos. La voie s’annonce beaucoup moins royale que prévu pour le président sortant, qui comptait sur un parti aux ordres, une opposition minée par les ambitions de ses chefs (dont certains sont toujours en exil, lire pp. 70-71) et une population tout entière acquise à son chef pour forcer la décision. Certes, Pierre Nkurunziza est toujours donné gagnant aux prochaines élections, mais l’ampleur du rassemblement populaire du 19 février semble dorénavant limiter sa marge de manœuvre. Et il aura beau organiser de grandes contre-manifestations « pour la paix » et en sa faveur, comme ce fut le cas le 28 février dans plusieurs villes du pays, la présence spontanée de quelques dizaines de milliers de Burundais dans les rues de la capitale a passablement écorné sa popularité. Plus encore que le rejet d’un président qui refuse de partir, il semble que ce soit l’indigence généralisée de la population qui ait poussé les Burundais à manifester leur mécontentement. Le pays connaît pourtant une réelle reprise économique (lire pp. 82-83), mais son rythme est tellement lent qu’elle reste difficilement exploitable comme argument de campagne. Et la croissance, si elle est bien au rendez-vous, est encore insuffisante pour permettre une élévation du niveau de vie de la population. Le gouvernement a fait beaucoup d’efforts ces dernières années, notamment dans l’accompagnement du secteur privé local et étranger, mais les incertitudes associées à cette période préélectorale risquent, encore une fois, de provoquer un gel des investissements, dont le pays a pourtant un besoin urgent. l
charlie, bOb et les autres Fait unique dans la sous-région, une centaine de personnes ont défilé silencieusement le 11 janvier dans les rues de Bujumbura, jusqu’à l’ambassade de France. En hommage à Charlie Hebdo « et à la liberté d’expression », ajoute un journaliste qui, avec ses confrères, formait le gros du bataillon, en compagnie de quelques hommes politiques et de représentants de la société civile… mais pas du gouvernement. Neuf jours plus tard, Bob Rugurika, directeur de la Radio publique africaine, l’un des plus importants n o 2831 • du 12 au 18 avril 2015
médias privés du pays, est jeté en prison pour « complicité d’assassinat » après avoir interviewé un criminel qui reconnaissait avoir participé au meurtre de trois religieuses italiennes, en septembre 2014, pour le compte des services secrets. Le journaliste a été mis en liberté provisoire et relâché le 19 février, de manière aussi arbitraire qu’il avait été incarcéré un mois plus tôt. Au Burundi, la presse est sous très haute surveillance et, comme à la veille de chaque scrutin présidentiel, les signes de reprise en main se sont multipliés ces
derniers mois. « Chaque numéro est un peu une aventure », confie Antoine Kaburahe, directeur de l’hebdomadaire Iwacu, qui admet que les médias se heurtent à une « grande méfiance et à une hostilité certaine » du pouvoir. « Avec le retrait de l’opposition du processus électoral, en 2010, la presse s’est retrouvée en première ligne », explique le responsable du principal journal indépendant du pays, qui peut compter sur le soutien des organismes de coopération suisse et néerlandais pour garantir sa liberté financière.
Pour survivre et conjurer les menaces récurrentes de l’État, les journaux locaux ont vite été obligés de se professionnaliser, de se structurer et surtout de se montrer « irréprochables et inattaquables sur les informations publiées », souligne Antoine Kaburahe. Tout en gardant une certaine liberté de ton. « Nous pouvons écrire des choses qui seraient tout simplement impossibles au Rwanda », sourit le patron d’Iwacu. À condition de ne pas s’attaquer trop ouvertement aux caciques du parti au pouvoir. Comme l’a appris à O.c. ses dépens Rugurika. l jeune afrique
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nkurunziza, tout foi tout flamme Obama lui fait les gros yeux, l’Union européenne le critique, sa candidature est contestée au sein de son propre parti ? Il n’en a cure. Cet évangélique ne se fie qu’à sa bonne étoile.
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Martina Bacigalupo/vu
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lors que le scrutin du 26 juin avance à grands pas, Pierre Nkurunziza a l’air bien sûr de lui. Il n’est même pas encore candidat qu’il fait déjà figure de favori. Et ce ne sont pas les appels toujours plus pressants lancés depuis son pays par l’ensemble de la société civile, par le clergé catholique et par une grande majorité de la classe politique, jusque dans son propre camp, qui vont le pousser à renoncer à un troisième mandat. Aux manifestations organisées dans les rues de Bujumbura par la société civile, comme aux pétitions qui circulent au sein de son parti, le chef de l’État se contente d’opposer une « fin de non-recevoir ». Seul contre tous, Pierre Nkurunziza semble défier le monde entier. Jusqu’à son homologue américain, Barack Obama, qui lui a plusieurs fois fait les gros yeux ces derniers mois, ou l’Union européenne, qui, début mars, a confirmé son opposition de principe à sa tentative de briguer un nouveau mandat. Une assurance à toute épreuve qui, pour certains, ressemble fort à de la provocation. À moins que cet évangélique born again ne croie tout simplement en sa bonne étoile. Celle qui lui a permis, pendant les années de rébellion, de coiffer au poteau des officiers aux états de service bien plus fournis que les siens pour prendre les rênes du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) et de négocier en son nom l’accord d’Arusha, en 2000. Après dix ans à la tête de l’État et malgré les tensions grandissantes, il n’entend pas abandonner son fauteuil. Esprit de compétition ? Sans doute, pour ce sportif invétéré qui n’hésite pas à laisser ses ministres en plan le mercredi soir pour aller mener l’attaque de son Alleluia Football Club.
p Les deux amours du président : la politique et son Alleluia Football Club. FAux nAïF. En attendant d’avoir le droit
voir, donc, avec l’image de marionnette manipulée par un quarteron de généraux affairistes dont on l’affuble volontiers. À preuve, en novembre, il n’a pas hésité à écarter deux membres de sa garde rapprochée, Alain Guillaume Bunyoni, son chef de cabinet civil, et le très controversé Adolphe Nshimirimana, chef des services de renseignements. Un limogeage de façade selon les observateurs, mais qui a permis au président du CNDD-FDD de donner suffisamment de gages à l’opposition grandissante au sein de son parti et d’assuen distribuant à tout-va sacs rer l’union sacrée autour de sa de riz ou de haricots, il a assis personne, à quelques semaines de la désignation officielle du sa popularité dans les collines. candidat de la majorité. matin, dans un survêtement noir dernier Car c’est « le parti qui décidera », cri qui lui donne des airs de gangsta. Tous comme ne cesse de le répéter le chef de derrière et lui devant. Au point parfois de l’État lui-même ces dernières semaines, donner l’impression de ne pas toujours tout en donnant rendez-vous en avril bien contrôler ses ouailles. pour le congrès du CNDD-FDD. À moins « C’est un faux naïf. Il sait très bien ce que, d’ici là, les « vénérables » de la Cour qui se passe dans le pays », objecte un constitutionnelle n’en décident autrediplomate en poste à Bujumbura. Rien à ment. l Olivier CASlin pour lui, Pierre Nkurunziza espère toujours pouvoir compter sur le soutien indéfectible des campagnes, où vit plus de 80 % de la population. En multipliant les visites de terrain et en distribuant à tout-va sacs de riz et de haricots à des Burundais qui se serrent la ceinture, le président a assis sa popularité dans les collines. Avec un brin de populisme, comme lorsqu’il se mêle aux paysans le temps des travaux collectifs du samedi
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R é publique d u b uRundi
SOcIéTé
Les Burundais sur la voie de la réconciliation
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our mémoire, le peuple burundais hérite d’un passé très douloureux. Massacres, guerre civile, élimination ethnique et coups d’état se sont succédé, du troisième anniversaire de l’indépendance (acquise en 1962), jusqu’à l’accord de paix d’Arusha, signé le 28 août 2000 sous l’égide de Nelson Mandela, et même un peu après. Aujourd’hui, si certaines blessures ont encore du mal à cicatriser, les visiteurs du Burundi peuvent constater que les querelles politiques ne se basent plus sur les ethnies mais sur le partage de l’espace public, le respect des droits et libertés, la bonne gouvernance… Les Burundais s’expriment librement et en tout lieu. Ils consomment sans modération les trésors que sont la liberté de presse et d’opinion. À tel point que les médias privés traitent parfois de sujets à la limite du libertinage…
PUBLI-INFORMATION
Corriger les erreurs du passé Si les jalons de la réconciliation nationale ont été posés dans les accords d’Arusha, la politique entreprise par le Président Nkurunziza dès son élection a favorisé le rapprochement sincère des ethnies. Il ne s’est pas contenté de nommer des ministres issus de formations politiques ayant obtenu au moins 5 % des suffrages, comme le préconise la constitution. Et il y a bien d’autres exemples de cadres hutus ou tutsis nommés à des postes importants pour leurs compétences notoires. ces gages de bonne volonté ont rassuré. Mais c’est surtout du côté des organes mis en place pour gérer les injustices liées au passé qu’il faut trouver des réalisations intéressantes. La commission nationale terre et autres biens (cNTB) a bénéficié de l’appui sans faille du gouvernement pour encourager le règlement à l’amiable des litiges liés aux propriétés foncières ou immobilières entre les ayants-droits des vic-
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Bien sûr, certaines blessures ont encore du mal à cicatriser. Mais depuis dix ans, les autorités et la population construisent pas à pas une Nation pacifiée dont toutes les composantes vivent en harmonie.
Depuis 2015, les mentalités évoluent et le pays peut reconstruire son économie.
times et leurs occupants du moment. La plupart des cas ont été réglés à l’amiable, mais la cNTB a parfois dû trancher, ce qui lui a valu bien des critiques. c’était un chantier crucial, tout comme la mesure du gouvernement d’accorder des rentes viagères aux orphelins, veuves ou ayantsdroits des fonctionnaires tués en 1972. Plus de cinq mille dossiers ont déjà été traités par le ministère de la Fonction publique.
La commission vérité et réconciliation Un nouveau chantier majeur est en phase de démarrage. Il concerne la recherche de la vérité sur le passé. c’est le travail de la commission vérité et réconciliation prévue par les accords d’Arusha. Onze commissaires choisis sur des critères assez complexes ont déjà prêté serment. Bien avant la mise en place de cet organe, de larges consultations populaires ont pu recueillir les avis et souhaits de la population sur ses attentes et les objectifs à atteindre. Dans son volumineux rapport, la commission chargée de mener ces consultations a conclu que les Burundais voulaient surtout connaître la vérité, encourager des confessions et des témoignages afin de démanteler les charniers pour enterrer les restes des suppliciés dans la dignité. ce n’est qu’en cas d’obstruction à l’éclatement de la vérité, de refus de repentir et de responsabilités graves et avérées dans les tragédies que le pays a connues que les responsables seraient
Après la signature des accords d’Arusha, les Burundais se sont libérés d’un autre lourd fardeau. Du temps des dictatures militaires, les débats sur les questions ethniques et les politiques d’exclusion de certaines catégories de Burundais étaient tabous. Mouchards et agents de renseignements faisaient arrêter et écrouer des individus, le plus souvent sans dossier… Aujourd’hui, le Burundi compte plus d’une vingtaine de radios privées et communautaires, plus de cinq mille associations de la société civile et pléthore de partis politiques (officiellement une quarantaine). c’est probablement beaucoup trop mais après tout, l’apprentissage de la démocratie prend du temps et requiert l’éducation des citoyens et des acteurs publics. Il faudra encore un peu de temps avant que certains cessent d’alerter l’opinion internationale sur des risques imaginaires de massacres et de génocide. Et que d’autres arrêtent de défrayer la chronique par des faits divers dramatiques, quitte à présenter le Burundi comme un pays à la dérive. Dans leur majorité, les Burundais se félicitent des acquis en matière de libertés publiques. Le Burundi est devenu un modèle de respect de la liberté d’expression et d’association dans la sous-région. La constitution garantit et encourage les libertés publiques. Les associations de la société civile, les partis politiques et les professionnels des médias veillent et les instances de régulation jouent leur rôle avec des moyens qui, certes, sont encore loin d’être suffisants.
L’intégration des forces de défense Grâce aux accords d’Arusha et à l’accord global de cessez-le-feu, les militaires burundais ne proviennent plus essentiellement d’une seule ethnie, comme c’était le cas après les purges des années 1965, 1969 et 1972, qui ont vu le nombre de Hutus diminuer singulièrement au sein de l’armée. Pour reconstituer les Forces de défense nationale, les Burundais se sont prononcés en faveur des quotas : 40 % pour les Tutsis et
50% pour les Hutus. Le partage des postes de commandement respecte les mêmes critères, tout comme le recrutement de nouveaux officiers ou sous-officiers… Avec une nouveauté: un nombre croissant de femmes briguent ces postes. Lors des cérémonies de lancement de l’année académique 2014-2014 à l’Institut supérieur des cadres militaires (IScAM), le colonel Aloys Bizindavyi, commandant de l’académie militaire du Burundi, a indiqué que 71 filles ont été formées à l’IScAM depuis sa création en 1975 et que 31 d’entre elles ont terminé leurs études. La nouvelle promotion compte huit filles.
Aujourd’hui, les Burundais s’expriment librement et en tout lieu.
Aujourd’hui, les forces armées burundaises sont composées de militaires issus de groupes hier rivaux qui vivent en harmonie et défendent courageusement les institutions et les frontières du
l’armée joue un grand rôle dans le maintien de la paix en Somalie et en Centrafrique. pays. Elles jouent un grand rôle dans les opérations de maintien de la paix en Somalie, où le Burundi a déployé plus de six mille militaires dans le cadre de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). c’est d’ailleurs un Burundais qui occupe le poste de commandant en chef et le peuple somalien ne tarit pas d’éloges envers le courage et la discipline de ses troupes. Récemment, le Burundi a déployé un bataillon de 850 militaires en République centrafricaine dans le cadre de la Mission internationale de soutien à la centrafrique (MIScA). D’autres troupes burundaises épaulent les casques bleus de Nations unies ou verts de l’Union africaine au Mali. Le Burundi étudie actuellement la possibilité de répondre à la demande de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD, corne de l’Afrique) en envoyant des militaires burundais au Soudan du Sud. n
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Les libertés publiques restaurées
© Su San A
poursuivis en justice. Il faudrait alors mettre en place un tribunal spécial faisant appel à des experts étrangers, comme ce fut le cas pour le Rwanda et comme cela fut un temps discuté avec les Nations unies pour le Burundi. Mais au stade actuel, le Burundi suit le modèle sud-africain.
Le Plus de J.A. Burundi politique
Les petites rivières font les grands fleuves Fini le boycott et les intérêts particuliers. Décidés à unir leurs forces, les partis d’opposition élaborent des listes communes pour les législatives. De là à désigner un candidat unique pour la présidentielle…
C
ette fois c’est sûr, ils iront jusqu’au bout. « Un seul député vaut mieux que pas du tout », insiste François Bizimana, le porte-parole du Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD), qui fait partie de la dizaine de formations d’opposition radicale regroupées au sein de l’Alliance démocratique pour le changement (ADC-Ikibiri). Une coalition créée en 2010, quelques jours seulement après la victoire de Pierre Nkurunziza à la présidentielle. Celui-ci venait d’être réélu pour undeuxièmemandatsansluttepuisqueles candidats de l’opposition avaient décidé à l’unanimité de se retirer d’un processus qu’ils estimaient frauduleux. « C’était vraiment une erreur, surtout que nous avions obtenu ensemble près de 36 % des suffrages aux communales. Nous aurions eu les moyens de peser au Parlement », regrette aujourd’hui François Bizimana. MOBILISATION. Les absents ayant
toujours tort, l’opposition a vite été remplacée dans son rôle par la société civile et les médias indépendants. Comme on a pu d’ailleurs le constater ce 19 février 2015, lorsque plusieurs milliers de Burundais se sont retrouvés dans Bujumbura à la suite de l’appel lancé par la Radio publique africaine (RPA) pour célébrer la libération provisoire de son directeur, le journaliste Bob Rugurika (lire p. 66). Une mobilisation sans précédent dans le pays. Désargentée,morceléeparlesambitions de ses différents chefs – dont certains sont toujours en exil – et par le travail de sape du pouvoir, l’opposition saura-t-elle surfer sur cette vague spontanée pour retrouver un peu de visibilité et d’influence face à la machine de guerre du Conseil national pour ladéfensede la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti du président Nkurunziza ? « Le plus important pour l’instant est de concentrer nos forces pour présenter n o 2831 • du 12 au 18 avril 2015
une alternative crédible lors des prochains scrutins », estime Agathon Rwasa, l’ex-secrétaire général des Forces nationales de libération (FNL, lire p. 72), principale composante de l’ADC-Ikibiri, qui semble bien décidé à jouer la carte de l’union jusqu’au bout. Le leader historique des FNL vient en effet de se rapprocher de son vieil adversaire, Charles Nditije, l’ancien président de l’Union pour le progrès national (Uprona, lire portrait p. 71), débarqué de son poste sur décision du ministère de l’Intérieur en janvier 2014. Dépassant le clivage Hutus-Tutsis, ils forment ensemble le noyau dur d’une seconde alliance, le Rassemblement national pour le changement (Ranac), destinée selon ses promoteurs à rejoindre l’ADC-Ikibiri. L’objectif est de regrouper toutes les forces d’opposition derrière un candidat commun lors des prochaines élections. « Nous voulons démontrer que nous pouvons faire de la politique autrement,
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électeurs que l’opposition, unie face au pouvoir, est en ordre de marche. Trois partis ont déjà désigné le champion qui les représentera lors du choix du candidat de l’ADC-Ikibiri à la présidentielle. Le Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu, le seul à être représenté àl’Assembléenationale,aveccinqdéputés) a sans surprise élu son leader, Léonce Ngendakumana – qui préside d’ailleurs l’Alliance. Les deux autres prétendants ont pour particularité d’être contraints à l’exil depuis 2010 et les violences consécutives à la contestation des résultats des scrutins présidentiel et « C’était une erreur de ne pas législatif.Mi-janvier,lesdéléparticiper. Ensemble, nous aurions gués du Mouvement pour la pu peser au Parlement. » solidarité et le développeFrANçOIS BIzIMANA, porte-parole du CNDD ment (MSD) ont désigné à l’unanimité leur président, en dépassant nos intérêts personnels », l’ancien journaliste Alexis Sinduhije. Ce explique François Bizimana. dernier, toujours en Europe, est sous le coup d’un mandat d’arrêt des autorités COALITION. Chaque parti est en train burundaises depuis un an, à la suite des de choisir les grands électeurs qui, au affrontements qui ont opposé la police à cours de primaires internes, vont établir des centaines de militants, en mars 2014, la composition des listes communes pour à Bujumbura. les législatives du 26 mai et désigner le De son côté, le comité directeur du candidat qui représentera l’ADC-Ikibiri CNDD (issu d’une scission avec le CNDDpour le scrutin présidentiel du 26 juin. FDD) a élu comme candidat à la candiLe nom de cette grande coalition, ainsi dature son leader historique, Léonard que le programme qu’elle défendra, Nyangoma, l’un des rares rescapés du seront présentés au plus tard en avril, putschde1993quicoûtalavieauprésident afin de pouvoir engager la campagne le Melchior Ndadaye (il était son ministre plus rapidement possible. Ces quelques de la Fonction publique). Lui non plus, semaines ne seront en effet pas de trop malgré plusieurs annonces de retour, n’est pour sillonner le pays et faire savoir aux pas revenu au Burundi depuis la mi-2010. jeune afrique
Le grand saut
Charles Nditije
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RÉUNIFICATION. Du côté de l’opposition plus modérée, puisque appartenant à la coalition gouvernementale avec trois portefeuilles et une représentation au Parlement de 17 députés (sur 106) et 2 sénateurs (sur 41), l’Uprona s’est également choisi un candidat pour la présidentielle. Plus exactement l’Uprona « aile Concilie », ainsi qu’on surnomme désormais la branche officielle du parti, dirigée par Concilie Nibigira depuis que le ministère de l’Intérieur a destitué Charles Nditije de sa présidence. Arguant que Nditije était devenu un obstacle à la réunification de l’Uprona, sa vice-présidente et représentante légale l’a elle-même exclu du parti, en juin 2014, pour rester seule aux commandes d’une Uprona progouvernementale. Lors du congrès extraordinaire qu’ils ont tenu le 28 février, les dirigeants de l’Uprona-Concilie n’ont cessé de répéter qu’ils n’étaient pas « un parti satellite du pouvoir » et ont désigné l’ancien porte-parole du parti, Gérard Nduwayo, comme leur candidat à la présidentielle de juin. L’ex-diplomate devenu consultant international en gestion des conflits, médiation et consolidation de la paix a travaillé en 2012-2013 comme expert pour les Nations unies en RD Congo et en Centrafrique (où il effectuait encore une mission pour l’ONU en février) et, en juillet 2014, a été nommé par décret présidentiel ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire. l Isy PeRPÉTUe KIMANA, à Bujumbura, et CÉCIle MANCIAUX jeune afrique
président Nkurunziza, Charles Nditije, 61 ans, est dans le collimateur de la majorité. Quelques mois après avoir été relevé de ses fonctions, il aurait échappé de peu, l’an dernier, à une tentative d’assassinat – « fomentée par le pouvoir », répète à l’envi l’intéressé. Au grand dam de la présidence, qui le voit revenir dans le jeu électoral à travers le Rassemblement national pour le changement (Ranac), constitué avec Agathon Rwasa. Docteur en psychologie et professeur à l’université de Bujumbura, Nditije, ancien député et ministre, jouit de suffisamment de reconnaissance et de soutiens pour jouer un rôle de premier plan lors des prochains scrutins. La plus grande légitimité d’Agathon Rwasa comme chef de l’opposition pourrait toutefois le contraindre à s’effacer. l I.P.K.
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p Lors des législatives de 2010.
ondé en 1958 par le prince Louis Rwagasore, fils du roi Mwabutsa IV (lire pp. 92-93), l’ancien parti unique du président Pierre Buyoya aimerait bien retrouver un peu de son lustre. À condition de savoir de quelle Union pour le progrès national (Uprona) on parle puisque, depuis janvier 2014, elle s’est scindée en deux à la suite de l’éviction de Charles Nditije, son président. Officiellement, le seul parti d’opposition à avoir poursuivi le processus électoral de 2010 est présidé par Concilie Nibigira. En réalité, il est toujours entre les mains de son ancien responsable qui, bien qu’expulsé d’un mouvement dont il avait pris les rênes en 2012, peut compter sur le gros des troupes, réunies au sein de l’Uprona non reconnue. Depuis qu’il a ouvertement pris position contre un troisième mandat du
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Le Plus de J.A. Burundi
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Agathon Rwasa
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l a rendu les armes en 2008, mais n’a jamais baissé la garde. Agathon Rwasa, le chef historique de l’ex-rébellion hutue, n’a guère connu le repos depuis que son mouvement, sortant de la clandestinité, est devenu un parti politique en avril 2009. Fort des 24 % obtenus par sa formation lors des élections communales de mai 2010, le président des Forces nationales de libération (FNL) décide de se présenter à la présidentielle le mois suivant, puis se laisse convaincre par les autres leaders de l’opposition de boycotter, avec eux, le reste du processus électoral prévu cette année-là (présidentielle, législatives, sénatoriales et collinaires). n o 2831 • du 12 au 18 avril 2015
Cette prise de position lui vaut d’être destitué par son parti, qui lui reproche sa stratégie de retrait. Lui y voit la main du président Nkurunziza. Accusé de vouloir déstabiliser le pays, il disparaît pendant trois ans, avant de refaire surface en août 2013 pour apprendre que le parquet de Bujumbura ouvre une enquête sur plusieurs massacres commis par ses troupes lors de la guerre civile. Il se retranche derrière la même immunité (provisoire) que celle qui prévaut pour l’ancien chef rebelle Pierre Nkurunziza, lui-même condamné à mort en son temps, et qui voit certainement là une bonne occasion de se débarrasser définitivement de son principal adversaire.
En octobre 2013, Jacques Bigirimana, le secrétaire général des FNL, est désigné à la tête du mouvement. À 51 ans, Agathon Rwasa ne tient peutêtre plus le gouvernail de son parti, mais sa popularité semble intacte auprès de ses militants et, plus généralement, dans le pays.CommeCharlesNditije,l’ex-président del’Unionpourleprogrèsnational,ilacréé son propre mouvement, le FNL-Rwasa, non reconnu par le ministère de l’Intérieur, mais devenu l’une des principales forces politiques du pays. L’ancien combattant s’est transformé en habile négociateur. Son principal objectif aujourd’hui: parvenir à fédérerlesnombreusesformationsd’opposition. Si possible, sur son nom. l I.P.K. jeune afrique
Le grand saut
Tribune
MARTINA BACIGALUPO
Lingua franca Marie-Louise sibaZuri Dramaturge, ambassadrice du Burundi déléguée à la Francophonie
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epuis la signature de la convention de Niamey, en 1970, le Burundi est membre de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Enseigné à tous les niveaux – du primaire au supérieur –, le français est devenu la langue de l’administration. Cela lui a donné une avance notable sur les autres langues étrangères de par le nombre de ses locuteurs, les livres publiés, les travaux de recherche, les productions artistiques… Cependant, depuis son adhésion à la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) en 2007, les spéculations vont bon train. La langue française tiendra-t-elle le coup face aux quatre autres pays de l’EAC, dont trois sont de tradition anglophone (Kenya, Ouganda,Tanzanie), le quatrième (le Rwanda) étant passé résolument à l’anglais depuis 1994 ? Certes, une langue qui ne se pratique pas peut être appelée à disparaître. Mais est-ce le cas du français au Burundi ? L’engagement politique, qui vient de se traduire par la signature d’un pacte linguistique entre le gouvernement et l’OIF, et les recommandations issues des différents colloques entre experts sur la question, montrent que l’État a pour objectif majeur de donner au français un rôle de langue d’ouverture afin de faire du Burundi un foyer de rayonnement régional pour cette langue. Loin d’être préjudiciable à cette dernière, l’adhésion du Burundi à l’EAC devrait au contraire contribuer à la valoriser. Le pays, qui est aussi membre d’autres ensembles sous-régionaux francophones, incite en effet ses partenaires de l’EAC à promouvoir et à favoriser le plurilinguisme, notamment en adoptant le français comme seconde langue de travail au sein de cet organisme. En outre, le Burundi se fait fort de stimuler ses partenaires dans l’apprentissage et le perfectionnement du français à travers son Centre
des langues, qui a déjà fait preuve d’excellence en la matière. Selon le panorama La Langue française dans le monde [publié en novembre 2014 par l’observatoire de l’OIF], « le nombre de francophones ne cesse de progresser et la demande de français ne faiblit pas… ». Il n’y a donc pas péril en la demeure. Le français se porte bien. Que ce soit au Burundi ou ailleurs. En Afrique, on peut même dire qu’il a le vent en poupe. Et cela tombe sous le sens au regard de la politique que prône l’OIF, qui met non seulement l’accent sur le domaine socioculturel, mais aussi sur l’économie. Une politique qui donne une place de choix aux femmes et aux jeunes, en tant que vecteurs de paix et acteurs de développement, selon le thème choisi par la Francophonie pour son XVe sommet des chefs d’État et de gouvernement, les 29 et 30 novembre 2014, à Dakar. En tant qu’ambassadrice déléguée à la Francophonie au Burundi, je ne peux certes pas
Une langue synonyme d’ouverture, une langue qui vit et qui bouge. verser dans l’autosatisfaction. Il y a encore beaucoup à faire pour que la place privilégiée qu’occupe le français dans notre système éducatif porte de beaux fruits, tant pour la qualité de la langue que pour la quantité des locuteurs. C’est un projet de longue haleine, que le pays porte en partenariat avec la Francophonie. Quant à la présence de l’anglais à côté du français, non seulement elle permettra de développer une certaine flexibilité et une plus grande ouverture, mais la maîtrise des deux langues sera un atout qui multipliera les chances d’insertion sur le marché du travail. Au Burundi, le français est une langue qui vit et bouge. Et ce qui vit ne peut pas ne pas être ! l
Marie-Louise Sibazuri a écrit sa première pièce Quoi qu’il arrive, la vie est belle, en 1976, à l’âge de 16 ans. Elle est célèbre pour ses contes et ses feuilletons radiophoniques hebdomadaires particulièrement populaires, dont Umubanyi niwe muryango (« Nos voisins, c’est notre famille »), enregistré par les studios Ijambo à Bujumbura et diffusé à partir de 1997 par la Radio nationale du Burundi (plus de 850 épisodes), et Tuyange twongere (« Discutons-en encore »), diffusé à partir de 2003 (plus de 330 épisodes). Elle a publié son premier roman en 2013 : Les Seins nus (296 pages, 15 euros, autoédité chez Copy-Média). jeune afrique
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BURUNDI : LANDLOCKED, BUT LAND LINKED ! Un pays enclavé mais connecté ! BBS (Burundi Backbone System) réunit les opérateurs de télécommunications et l’État pour relier le pays au reste du monde en fibres optiques.
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La société BBS (Burundi Backbone System) est née de la volonté de sortir le Burundi de l’enclavement numérique en le connectant aux autoroutes internationales de l’information. En incitant à la création de BBS, le gouvernement du Burundi, la Banque mondiale et les opérateurs actionnaires ont été convaincus que l’usage des technologies de l’information est un facteur essentiel pour l’émergence de la société du savoir et peut activement contribuer au développement humain, à l’amélioration de la cohésion sociale et à la croissance de l’économie burundaise.
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Dès l’origine, le consortium BBS concrétise cet objectif : il est le fruit d’un partenariat publicprivé entre le gouvernement du Burundi, les opérateurs des télécommunications Africell, Onatel, Leo, Econet et le fournisseur d’accès à internet CbiNet. L’objectif essentiel de BBS est de construire une dorsale nationale à fibres optiques, longue de 1 250 Km. L’État subventionne à hauteur de 65 % la construction de
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cette infrastructure, poussant ainsi le consortium à connecter des localités qui jusque-là ne représentaient pas un grand intérêt pour ces opérateurs. Grâce à ce réseau, le Burundi peut avoir accès, via Dar es-Salaam en Tanzanie et Mombasa au Kenya, aux câbles sousmarins transcontinentaux (EASSY, SEACOM, TEAMS…) offrant ainsi des liaisons internationales rapides et de haute qualité pour le transport de données. Numériquement, le Burundi est enfin désenclavé. De plus, BBS a doté la ville de Bujumbura d’une composante métropolitaine de son réseau, plus de 350 km à travers toutes les zones de la capitale, permettant ainsi aux institutions de l’État, aux entreprises et aux habitants de profiter pleinement du haut débit. Des services à forte valeur ajoutée Dès cet été, BBS va lancer le premier Data Center commercial du pays. Répondant aux meilleurs standards internationaux, il permettra à la société de se positionner comme un centre de services pour le gouvernement et d’accompagner le Burundi dans la mise en place de l’administration électronique (e-Gov). Il sera aussi au service des opérateurs, dont il acheminera le trafic international, dans la région et au delà. Pour les fournisseurs d’accès à internet, le consortium BBS a l’intention de mettre en place une plateforme susceptible d’offrir des services
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à forte valeur ajoutée comme la télévision sur internet (IPTV), la vidéo à la demande (VOD), le Cloud Computing, l’hébergement email/web et le stockage de données. De plus, la société va dans les prochains mois assurer la couverture de la capitale burundaise par un réseau 4G/LTE qui permettra au plus grand nombre de profiter du haut débit à des prix défiant toute concurrence. Déjà, en collaboration avec le SETIC (Secrétariat du gouvernement chargé des TIC) et sur financement de la Banque mondiale, BBS a doté le gouvernement du Burundi d’un réseau virtuel dédié (COMGOV) qui connecte la plupart des institutions gouvernementales et d’un autre réseau opérationnel - BERNETT qui relie toutes les universités du pays. Dans le cadre de sa politique de responsabilité sociale, la société travaille cette année à un programme en faveur des écoles rurales en les dotant de médiathèques qui permettent aux écoliers de disposer d’une salle avec une station TV, dix ordinateurs et une connexion à internet.
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pour enrichir son offre de services, notamment vers l’Est du Congo. BBS peut compter sur le soutien de ses actionnaires et du gouvernement du Burundi qui vient d’investir dans un large réseau métropolitain à fibre optique. Géré par l’opérateur historique Onatel, égalemnet actionnaire de BBS, ce réseau offrira à BBS l’opportunité d’accéder à une autre clientèle. Tous ces réseaux font du Burundi le pays disposant de la plus forte densité de fibres optiques au sein de la Communauté de l’Afrique de l’Est ! Une équipe multinationale, hautement qualifiée, orientée satisfaction client Au quotidien, BBS s’appuie sur une équipe de jeunes ingénieurs burundais et étrangers très dynamiques. Une parfaite alchimie s’est établie entre eux et l’encadrement, qui cumule des années d’expériences dans les nouvelles technologies dans le monde entier. C’est notamment le cas de son Directeur général, Monsieur Donatien Ndayishimiye (ancien de Thales, Atos Origin, Air France…), ancien Directeur général d’Onatel Burundi, et de son Directeur des opérations, Dr. Idriss Ismaël Aouled, consultant international et ancien Directeur général de Djibouti Telecom.
Un pont entre l’Est, l’Ouest et le Sud du continent africain Les 1 250 km de câbles à fibres optiques de BBS sont connectés en six points frontaliers avec la Tanzanie, le Kenya et la République démocratique du Congo. Cette situation confère à BBS un rôle de « pont » entre l’est et l’ouest du continent en assurant la continuité des réseaux de dorsale à fibres optiques vers l’Afrique australe via les 800 km de longueur du lac Tanganyika, jusqu’àu Port de Mpulungu en Zambie. Aujourd’hui, BBS vend du trafic internet dans les pays voisins et discute activement avec les principaux opérateurs européens et asiatiques
À discuter avec cette équipe, vous comprendrez très vite la passion qui les anime et leur désir de voir le Burundi numérique devenir une réalité.
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BURUNDI BACKBONE SYSTEM S.M. (BBS) Kigobe, Avenue Mwambutsa N 20 P.O. Box 1458, Bujumbura, Burundi Tél. : (+257) 22 27 82 89
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Mgr Jean-Louis nahimana « on ne peut pas tourner une page sans la lire » Elle doit enquêter sur les massacres commis de 1962 à 2008, établir les responsabilités, et libérer la parole des victimes. La Commission Vérité et réconciliation a quatre ans pour réussir, explique son président.
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uatorze ans après la date prévue par l’accord d’Arusha (signé en 2000), les membres de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) burundaise ont enfin pu siéger. Ils ont quatre ans – et non deux, comme le prévoyait le texte initial – pour faire la lumière sur les massacres interethniques commis depuis l’indépendance du pays, en 1962, jusqu’en décembre 2008, date de la signature de l’accord général de cessez-le-feu entre le gouvernement et les rebelles du Front national de libération (FNL). La méfiance perdurant entre le pouvoir et l’opposition, la mise en place de cette CVR a pris beaucoup de temps. L’Union pour le progrès national (Uprona), ancien parti unique et principal mouvement tutsi du pays, a d’ailleurs boycotté la très longue séance plénière du 3 décembre 2014, à l’Assemblée nationale, au cours de laquelle les onze membres de la CVR ont été élus : six Hutus, quatre Tutsis, une Twa, parmi lesquels quatre femmes (conformément aux quotas d’ethnie et de genre imposés par la loi) et six représentants religieux.
karaté. Parmi ceux-ci, deux personnalités très respectées, qui font l’unanimité au-delà de leurs groupes ethniques, ont été désignées à la tête de la nouvelle instance : Mgr Jean-Louis Nahimana, un Hutu, qui dirigeait la Commission Justice et Paix de l’église catholique du Burundi, a été élu président, et Mgr Bernard Ntahoturi, un Tutsi, archevêque de l’église anglicane du Burundi, vice-président.
Il faut recoudre le tissu social déchiré par la cruauté de certains de nos compatriotes. Né en 1964 à Rennes (France), JeanLouis Nahimana a fait toutes ses études au Burundi – à l’école Saint-Joseph, à l’Athénée national, au grand séminaire de Bujumbura et au grand séminaire de Burasira (Centre) –, complétées par un master de recherche en théologie dogmatique et fondamentale à l’Institut catholique de Paris (2009-2012). Ordonné prêtre en 1992, il a fait partie, en 1994, de la commission nationale chargée de
un soMbre Passé Les massacres et guerres interethniques qui ont émaillé l’histoire du pays depuis son indépendance (en 1962) jusqu’à 2008 ont fait plus de 500000 morts et entraîné l’exil de 900000 Burundais, notamment vers les pays voisins (rwanda, rD congo, Zambie etTanzanie), dont la plupart ont été rapatriés depuis 2002. Parmi les épisodes les n o 2831 • du 12 au 18 avril 2015
préparer le débat garantissant la continuité des institutions après le coup d’État au cours duquel Melchior Ndadaye, premier président démocratiquement élu du pays, fut assassiné. Ceinture noire de karaté, l’ancien vicaire général de Bujumbura a l’habitude de saisir les problèmes à bras-le-corps, comme lorsqu’il a été le vice-président de la Commission nationale chargée du désarmement (2007-2008). Le succès lar-
plus sombres: la rébellion hutue, d’avril à septembre 1972 (150 000 morts), et les quinze années de guerre civile (300000 morts), déclenchée par un coup d’État et l’assassinat du président melchior Ndadaye, le 21 octobre 1993. malgré la succession des accords de paix (d’arusha, le 28 août 2000, et de Dar es-salaam, le
16 novembre 2003) puis le cessez-le-feu (7 septembre 2006), cette guerre n’a pris fin qu’avec l’accord du 4 décembre 2008 entre le gouvernement et la rébellion du Front national de libération (Palipehutu-FNL) d’agathon rwasa (lire p. 72), à partir duquel ont pu commencer le désarmement et la démobilisation des rebelles. l CéCiLe ManCiaux
gement reconnu de cette dernière donne aujourd’hui au prélat toute autorité et légitimité pour diriger la CVR, dont les conclusions sont attendues par tous les Burundais. Jeune afriQue : De quel modèle d’instance « vérité et réconciliation » comptez-vous vous inspirer ? Mgr Jean-Louis nahiMana : Après
avoir étudié, y compris sur place, le fonctionnement des Commissions Vérité et Réconciliation de différents pays, j’ai remarqué qu’aucune ne se ressemble. Notre but n’est pas de faire un copier-coller. Nous voulons surtout laisser la population s’exprimer. Notre rôle ne consiste pas à dire aux Burundais ce qu’ils doivent dire ou faire, mais à instaurer un cadre de dialogue qui puisse libérer la parole. Les Burundais doivent prendre en main leur destinée en optant pour la voie de réconciliation qu’ils jugeront la meilleure. Il n’y a pas de recette miracle ; ce sera un travail de longue haleine. La CVr mettra-t-elle davantage l’accent sur la vérité ou sur la réconciliation ?
Le but ultime est la réconciliation. Mais pour y parvenir, la vérité est primordiale. On ne peut pas tourner une page sans la lire. Dans un premier temps, nous allons enquêter pour établir la vérité sur le passé jeune afrique
Le grand saut vérité [et notamment de l’opportunité de mettre sur pied un tribunal spécial pour le Burundi, TSB].
q À Bujumbura, fin février.
Le climat de méfiance qui prévaut entre le gouvernement, la société civile et l’opposition radicale ne va-t-il pas faire obstacle à votre mission ?
C’est vrai qu’il y a une mauvaise collaboration entre les différentes parties prenantes dans ce processus de réconciliation nationale. Il est cependant encourageant de constater que personne ne conteste la légitimité des membres de la CVR. Ses modalités de mise en œuvre, en revanche, posent problème. Et c’est un défi que nous devrons affronter en instaurant un cadre de dialogue. Nous nous rapprocherons de chaque intéressé afin de l’impliquer dans notre travail. Car cette vérité que nous voulons percer et exposer au grand jour, tout Burundais en a besoin, y compris la société civile et les partis de l’opposition radicale.
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Que répondez-vous à ceux qui estiment que la CVR ne sera pas vraiment indépendante ?
douloureux de notre pays. Ensuite, il nous faudra réfléchir à ce que nous allons faire de cette vérité pour l’exploiter de manière positive, dans l’optique d’une réconciliation. Il faut recoudre un tissu social déchiré par l’irresponsabilité et la cruauté de certains de nos compatriotes. Quelle place et quelle portée devrait avoir son volet judiciaire ?
Une CVR sans justice serait vaine. Maintenant, reste à savoir ce que nous entendons par justice. Il ne suffit pas de punir les auteurs de crimes pour que les Burundais se réconcilient. La justice sociale est, selon moi, plus importante. Jeune afrique
Le fait de dire la vérité, de réhabiliter les personnes tuées injustement ou qui ont été affectées au cours des crises cycliques qu’a connues notre pays constitue une étape. Cependant, la loi qui régit la CVR ne relevant pas du domaine judiciaire, nous n’allons pas traiter des questions dépendantes de la compétence d’un tribunal. Ce qui nous a été demandé, c’est de faire la lumière sur notre passé. À la fin de ce processus, nous rédigerons un rapport, que nous soumettrons aux Nations unies, ainsi qu’au Parlement et au gouvernement burundais. Ces trois instances décideront, par la suite, de ce qu’elles voudront faire de cette
Les doutes que certains émettent sont peut-être fondés, car ils relèvent de leur propre expérience. La réussite de la CVR dépend avant tout de la volonté de tous les Burundais qui, plutôt que de verser dans la fatalité et le découragement, devraient sortir de leur torpeur pour que nous puissions nous appuyer sur toutes les bonnes volontés. Concrètement, qu’allez-vous faire pour les rassurer ?
Nous allons travailler dans la transparence et rester ouverts à tous.
Et qu’en est-il du pardon ?
Desmond Tutu a écrit qu’il n’y a pas d’avenir sans pardon. Pour moi, c’est une étape dans la guérison des blessures que les gens ont subies, des violences et des violations massives des droits de l’homme auxquelles ils ont été confrontés. L’un des signes qui montre qu’une personne est guérie, c’est sa capacité à accorder son pardon. Pardon qui n’est d’ailleurs pas incompatible avec la justice. C’est un long cheminement personnel qu’il incombe à chacun de faire… Les Burundais doivent le comprendre, dans leur propre intérêt. l Propos recueillis à Bujumbura par Isy PERPétuE KIMANA n o 2831 • du 12 au 18 aVril 2015
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R É P UBLIQUE DU B URUNDI
DÉVELOPPEMENT HUMAIN
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Nets progrès dans la santé et l’éducation
En institutionnalisant les travaux communautaires du samedi, le président Nkurunziza a permis la construction de 3 000 salles de classe.
Dévastés par les années de guerre civile, les systèmes sanitaires et éducatifs du pays se reconstituent progressivement. Ils bénéficient de la motivation des populations, suscitée par la politique de travaux communautaires du samedi.
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a Politique nationale de santé du Burundi (PNS 2005-2015) et le Plan national de développement sanitaire (PNDS) s’inscrivent en ligne avec les outils de planification stratégiques que sont la Vision Burundi 2025 et le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSPL). Ils mettent notamment l’accent sur l’information et la sensibilisation à travers l’implication des autorités à tous les niveaux. Parmi les ou-
tils dont les résultats sont de plus en plus visibles figurent la généralisation de l’accès universel aux soins. Depuis 2005, le gouvernement supporte les soins administrés aux enfants de moins de cinq ans, ainsi qu’aux femmes enceintes ou en couches. De plus, au niveau du personnel soignant, des contrats de performance ont été mis en place : ils permettent aux infirmiers et médecins d’augmenter leurs revenus proportionnellement au nombre de prestations. Une véritable révolution ! La politique de couverture médicale universelle a poussé le gouvernement à mettre en place une carte d’assurance maladie (CAM), qui permet aux familles pauvres de
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Depuis 2005, les soins aux enfants de moins de cinq ans sont totalement pris en charge.
Des résultats de plus en plus visibles
se faire soigner dans les centres de santé et les hôpitaux publics. Pour permettre aux fonctionnaires et agents publics de bénéficier de soins, la Mutuelle de la fonction publique a ouvert des agences dans toutes les provinces et l’objectif est d’implanter une agence dans chaque commune. Afin de résoudre le problème de financement de cette politique, le gouvernement a créé des Comptes nationaux de santé (CNS) qui fournissent une vision globale du système de santé sous un angle financier et constituent un instrument important de planification et d’aide à la décision. Les décideurs ont en effet besoin d’informations fiables sur le montant, l’origine et l’utilisation des ressources financières afin d’élaborer des politiques pour améliorer les performances des systèmes de santé.
Les indicateurs publiés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’ONUSIDA ou encore le Fonds des Nations unies pour la Population (FNUAP) sont éloquents. En dix ans, même s’il reste beaucoup à faire, la situation sanitaire du Burundi s’est nettement améliorée dans les principaux domaines que voici. >>> Le taux de mortalité infantile et maternelle a sensiblement baissé. Le Burundi est le pays qui a le plus progressé sur le continent. Mais la situation nutritionnelle demeure une préoccupation, avec un taux de malnutrition chronique de 58 % en 2013 chez les enfants de moins de cinq ans, audelà des normes acceptables (40 %).
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>>> Vaccination. Les efforts du gouvernement et de ses partenaires (OMS, UNICEF, GAVI) ont permis de bonnes performances. Jusqu’en décembre 2012, une gamme de huit vaccins garantissait la protection optimale de l’enfant en réduisant l’incidence des maladies graves et évitables par la vaccination. Le Burundi a maintenu son statut de pays libéré du poliovirus sauvage (un statut acquis en 2006). Avec le soutien de l’OMS, les maladies de l’enfant sont totalement prises en charge. >>> VIH-Sida. L’enquête démographie et santé réalisée en 2010 a estimé la séroprévalence à 1,4 % dans la population des 15 à 49 ans. Des progrès importants ont été enregistrés en matière de prévention et de prise
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en charge des personnes atteintes. Le Burundi concentre les appuis des partenaires au suivi, au traitement, à la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant mais aussi au renforcement des capacités des acteurs. En 2013, la couverture en médicaments antirétroviraux était de 52 % chez l’adulte et de 42 % chez la femme enceinte.
Chaque jeune doit avoir une école à moins de cinq kilomètres de son domicile. >>> Lutte contre le paludisme. Les enfants de moins de cinq ans constituent la catégorie la plus touchée, représentant 62 % des consultations ambulatoires dans les structures de soins. La prévalence nationale est de 22 %. Des campagnes de sensibilisation à l’utilisation de moustiquaires imprégnées (MILDA) et la distribution de traitements gratuits ont permis des avancées significatives.
>>> Enfin, le Burundi s’est engagé dans la lutte contre les maladies chroniques non transmissibles (diabète, broncho-pneumopathies obstructives, HTA, cardiopathies, cancers…).
3 000 classes construites dans le primaire Les longues années de troubles et de guerre civile ont eu un effet dévastateur sur le système éducatif burundais. Envoyer les enfants à l’école était bien loin d’être une priorité pour les parents ! De plus, l’influence de certains régimes militaires l’a complètement déséquilibré, certains enfants, en l’occurrence les Hutus, étant plutôt orientés vers les écoles techniques ou les formations d’instituteurs et empêchés d’accéder aux facultés. Avec pour conséquence une prolifération des écoles secondaires dans certaines parties du pays… Conscient de toutes ces injustices, le président Nkurunziza a rapidement décidé de rendre l’enseignement de base gratuit. La systématisation d’une ancienne coutume de la société burundaise, c’est à dire l’instauration des travaux communautaires tous les samedis, a permis la
Le nouveau parcours scolaire dure neuf ans au cours desquels les élèves apprennent un métier.
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construction de plus de trois mille salles de classe. L’objectif est que chaque jeune puisse accéder à l’enseignement à moins de cinq kilomètres de son domicile. Pour harmoniser son système éducatif avec celui des autres pays de l’Afrique de l’Est, le Burundi a introduit l’enseignement de base de neuf ans sous l’appellation d’école fondamentale. Au cours de ce parcours, l’élève apprend des langues étrangères, découvre l’entreprenariat et apprend un métier. Au terme de cette étape, l’élève est soumis à un test pour entrer au lycée ou poursuivre quelque formation technique. Il ne doit plus sortir de l’école en demandeur d’emploi. En décembre 2014, les états généraux de l’éducation ont fait l’inventaire des problèmes qui handicapent l’enseignement au Burundi, réfléchi sur les réformes à mener, notamment les stratégies permettant d’améliorer la qualité de l’enseignement et l’image des éducateurs. Les recommandations ont été très nombreuses et les deux ministères en charge (enseignement de base et secondaire) assurent le suivi et rendent compte au président de la République.
Amélioration des conditions de vie La politique des travaux d’intérêt communautaire du samedi a eu bien d’autres effets. Elle a mobilisé les populations, notamment dans les milieux défavorisés, à construire des centres de santé et des hôpitaux. Les établissements publics de ce genre se comptent par milliers à travers le pays. Le gouvernement a également entrepris une politique de création de villages et de centres à vocation urbaine,
D’importants travaux d’assainissement ont été entrepris aux abords des grandes villes.
dans l’objectif de faciliter la libération de terres arables en évitant l’habitat dispersé sur les collines. Dans la plupart des provinces, les conseils communaux ont identifié et délimité des parcelles. Ceux qui reçoivent des parcelles sont encouragés à construire des maisons modernes et la Présidence de la République leur donne gratuitement des tôles et du ciment. Ceux qui ont construit en matériaux durables reçoivent également des panneaux solaires pour l’éclairage.
Pour libérer des terres arables, le gouvernement favorise la création de villages. Les villages déjà construits et habités bénéficient de l’électricité soit par le solaire, soit par raccordement au réseau national d’électrification rurale ou à celui de la société publique de production et de distribution de l’eau et de l’électricité, la Regideso. Dans plusieurs régions, le développement de la vie en villages donne lieu à la création de nouveaux centres de vie commune et d’affaires, qui vont bientôt servir de base de modernisation des conditions de vie des populations rurales. Les villes ne sont pas en reste. Le pavage des rues de Gitega, Kirundo et Ngozi améliore les conditions d’hygiène. Bujumbura s’est enrichie de nouveaux quartiers, comme Carama, Gasekebuye et Gihosha rural. La ville est propre, ses rues et ses avenues sont pavées, et ses axes routiers éclairés grâce à l’énergie solaire. ■
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Le taux d’accès de la population à l’eau potable s’est amélioré en zones rurale et urbaine.
BTC/DieTer Telemans
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p Rénovation dans la région du Mosso.
Économie
Work in progress du FMI qui s’est rendue à Bujumbura en décembre. Or, « il faudrait une croissance à deux chiffres pendant plusieurs années pour sortir la population de son indigence », s’agace Faustin Ndikumana. (fixé à 0,33 dollar par jour). « Compte Même diagnostic du côté de la Banque tenu de la croissance démographique, le mondiale, qui souligne que quand bien pouvoir d’achat des ménages est même même son économie continuerait de croître au taux de 5 % par an entre 2015 plus faible aujourd’hui qu’il y a vingt ans », estimait la Banque mondiale dans et 2025, le pays resterait parmi les plus son rapport de suivi, en septembre 2014. pauvres du monde. Le Burundi a cependant obtenu à bout de bras. Cet état de pauvreté quelques résultats encourageants. persistant illustre à lui seul les insuffiSon taux d’inflation, par exemple, est sances d’une économie peu compétitive, enfin maîtrisé. Après avoir culminé à près de 15 % en 2011, les prix à la consommation n’ont en Plus de la moitié du budget effet progressé que de 6 % en de l’État est toujours moyenne en 2014, aidés par la baisse des cours internationaux alimentée par l’aide étrangère. sur les produits alimentaires et dominée par le secteur informel (qui énergétiques. Le taux d’inflation devrait emploie 90 % de la population active) être maintenu autour de 5 % ou 6 % en et qui n’arrive pas à décoller malgré les 2015 et dans les prochaines années, grâce efforts du gouvernement, soutenu à à une politique budgétaire prudente, qui bout de bras par les bailleurs de fonds, a permis de contenir le déficit à moins puisque l’aide extérieure représente plus de 2 % en 2014, contre 4 % en 2012. de 52 % du budget de l’État. Après avoir ramené les dépenses Après avoir progressé de 4 % à 5 % publiques à un niveau soutenable pour le en moyenne annuelle au cours de la pays, l’objectif est maintenant de mobidernière décennie, la croissance garde liser les recettes intérieures. La création le rythme, avec un taux de 4,7 % en 2014, de l’Office burundais des recettes (OBR), qui devrait atteindre 4,8 % pour l’année en 2009, a permis dans un premier temps 2015, selon les prévisions de la mission d’améliorer les rentrées fiscales de 4 %
Côté face, une inflation maîtrisée et des exportations dopées par l’adhésion à la Communauté de l’Afrique de l’Est. Côté pile, une croissance insuffisante et une pauvreté endémique.
L
e Burundi revient de loin. Des décennies de crises successives ont rendu son économie exsangue. Entre 1993 et 2003, le PIB par habitant a chuté de plus de 45 % (passant de 200 à 109 dollars). Il serait de 330 dollars (271,50 euros) en 2014 selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI), soit plus de quatre fois inférieur à la moyenne de l’Afrique subsaharienne, qui est de 1 400 dollars par tête. Et encore « bien loin des 700 dollars par habitant promis par le gouvernement dans sa vision 2025 », rappelle Faustin Ndikumana, responsable de l’ONG Parole & Action pour le réveil des consciences et l’évolution des mentalités (Parcem). Certes, de réels progrès ont été accomplis ces dernières années en matière d’éducation et de santé, ce qui a permis au Burundi de grappiller quelques places dans le classement sur le développement humain 2014 du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Mais il n’y figure qu’au 180e rang sur 187 et reste l’un des pays les plus démunis au monde, avec 68 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté national n o 2831 • du 12 au 18 avril 2015
jeune afrique
le grand saut des exportations trop dépendantes du café…
jeune afrique
29,9
28,3
29,8
14,7 117,3
12,4
179,2
52,9
Recettes dont café
Recettes dont aides et dons Dépenses
Importations dont produits pétroliers Balance commerciale
Dette dont dette intérieure Solde courant
-17,2
-795,6
des résultats en demi-teinte et une population fragilisée PIB par habitant
CROISSANCE
En dollars, en 2014
(variation du PIB réel, en %, en prix constants)
3,5
5,5
3,3
5
3
3,0
2,5
2,4
4,0
* estimations ** prévisions
1,5
3,5 2009
2010
2011
2012
2013
Rwanda
721
Ouganda
686
Burundi
330
2014* 2015**
PrévalEncE dE la malnutrItIon
EsPérancE dE vIE
En % de la population, en 2010-2012
En années, en 2013
64,1
Rwanda
3
,8 38 4,6 4
768
4,5
4,5
4
1,8 3,8
Tanzanie
4,8
4,7
4,2
2
2,0
1 461
5,0
2,7 2,5
Kenya
,9
Rwanda Kenya Ouganda Tanzanie Burundi
Kenya
61,7
Tanzanie
61,5
Ouganda Burundi
59,2 54,1 n o 2831 • du 12 au 18 avril 2015
SourceS : autoritéS burundaiSeS, FMi ; FMi – banque Mondiale – Pnud
PIB (en milliards de $, en prix courants, éch. de gauche)
73,4
olivier CAsliN
En pourcentage du PIB, estimations pour 2014
912,9
modeste. Faute de pouvoir recourir à
l’aide internationale pour ne pas fragiliser davantage sa position budgétaire, le Burundi doit promouvoir l’investissement privé, quasiment au point mort. Ces dernières années, le pays s’est donc évertué à réformer son environnement des affaires, avec un succès certain (lire interview p. 84). Mais le flux d’investissements directs étrangers (IDE) reste modeste. Il était de 7 millions de dollars en 2013, contre 111 millions au Rwanda et près de 2 milliards en Tanzanie. La seconde priorité du gouvernement est de doper les exportations, seul véritable moteur de croissance à la disposition du pays. Le Burundi ne peut que progresser dans ce domaine, les volumes exportés, essentiellement agricoles, représentant en valeur chaque année moins de 10 % du PIB depuis 2008, soit l’un des taux les plus faibles du monde. « Cela traduit non seulement le manque de compétitivité de l’économie burundaise, mais aussi son isolement », note le rapport de la Banque mondiale. L’adhésion à la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) depuis 2007 est donc perçue comme « une chance à saisir, surtout pour un pays enclavé », insiste Léontine Nzeyimana, ministre chargée de l’EAC. Les effets ont été bénéfiques pour le Burundi, qui a vu ses exportations vers la Communauté augmenter de 75 % en valeur entre 2009 et 2012. Reste à diversifier les produits, en attendant l’arrivée programmée des infrastructures routières et ferroviaires à vocation régionale qui, via les ports de Mombasa et de Dar es-Salaam, relieront enfin le Burundi au reste du monde. l
… et un budget trop tributaire des donateurs
En millions de dollars, estimations pour 2014
30 28 ,
jusqu’en 2011, avant que les baisses d’impôt sur le revenu plombent à nouveau les comptes. Un casse-tête pour les pouvoirs publics, qui doivent impérativement disposer de plus de moyens pour investir dans les infrastructures qui lui font toujours défaut. C’est vrai pour le transport et plus encore pour l’énergie, sans laquelle aucune industrialisation ni diversification n’est possible, dans le secteur minier notamment. La capacité électrique du Burundi est en effet évaluée à 44 MW « quand il en faudrait quatre fois plus pour assurer le bon fonctionnement du pays », soulignent les experts de la Banque mondiale.
83
Le Plus de J.A. Burundi interview
Gervais rufyiriki Deuxième vice-président du Burundi, chargé des questions économiques
« en cinq ans, 5000 entreprises ont été créées »
n
ommé en août 2010 deuxième vice-président de la République, chargé des questions économiques, Gervais Rufyiriki passe pour être l’un des seuls véritables techniciens de l’exécutif. Il s’est attelé personnellement à l’amélioration du climat des affaires et à la promotion du secteur privé local, symbolisées par la création de l’Agence nationale de promotion des investissements (API) en 2009. Il est aussi en première ligne pour trouver des investisseurs étrangers, dans la sous-région et en Europe, en particulier à Bruxelles et à Paris, comme le 27 janvier dernier lorsqu’il a été accueilli par le patronat français au siège de Medef International. Ingénieur agronome formé à l’Université catholique de Louvain (UCL), en Belgique, Gervais Rufyiriki suit de très près la privatisation en cours de la filière café (lire p. 86) et le développement d’un secteur rizicole susceptible d’assurer la subsistance de la population. Président du conseil communal de Bugendana, dans
u Dans son bureau, à Bujumbura, en février. « Doing Business » de la Banque mondiale ces dernières années. Était-ce une priorité pour le gouvernement ? Gervais rufyiriki : Bien sûr !
Comment assurer le développement d’un pays sans s’appuyer sur un secteur privé dynamique? Nous avons fourni des efforts particuliers pour améliorer l’environnement des affaires, afin de mobiliser nos ressources internes et nos partenaires étrangers.
Il nous reste d’importants défis à relever, notamment celui de l’accès à l’énergie. la province de Gitega (centre du pays) depuis 2005, il a été élu la même année à la présidence du Sénat (mandat qu’il a assuré jusqu’à sa nomination à la vice-présidence du pays) et a intégré le conseil des sages du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD, au pouvoir) en 2007. À presque 50 ans, Gervais Rufyiriki apparaît aujourd’hui comme l’une des personnalités montantes du parti.
La mise en place de l’API [Agence de promotion des investissements] a notamment permis de stimuler un entrepreneuriat encore embryonnaire au Burundi. Ces cinq dernières années, plus de 5000 sociétés ont été créées. Même si la plupart d’entre elles existaient déjà dans le secteur informel, c’est un véritable succès, qui permet au Burundi d’être classé parmi les vingt premiers pays au monde en termes de création d’entreprises.
jeune afrique : Le Burundi a progressé de vingt places dans le classement
il reste néanmoins beaucoup à faire selon de nombreux patrons locaux et
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MartIna BacIgalupo/vu pour J.a.
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étrangers, qui regrettent un décalage entre la conception et la mise en œuvre des réformes. que leur répondez-vous ?
Que nous sortons d’une période très difficile et que nous avons déjà beaucoup progresséenmatièredetaxationdesentreprises, de protection des investissements, de délivrance des permis de construire et de transfert de propriété. Cela étant, il nous reste d’importants défis à relever, à commencer par celui de l’accès à l’énergie. Là encore, l’API doit nous aider en identifiant les investisseurs potentiels et en facilitant leur implantation au Burundi. L’adhésion du pays à la Communauté d’afrique de l’est (eaC) favorise-t-elle l’afflux d’investisseurs d’autres États membres ?
Tout à fait. Nous avons déjà pu constater l’arrivée d’investisseurs kényans et tanzaniens dans le tourisme et dans le secteur bancaire. L’intégration du Burundi à la Communauté a également des effets bénéfiques en matière d’encadrement, de gouvernance et d’échanges commerciaux. Nous avons beaucoup à gagner en tant que membre de l’EAC, laquelle peut agir comme un accélérateur de développement pour notre pays. l Propos recueillis par OLivier CasLin jeune afrique
R É P UBLIQUE DU B URUNDI
INTÉGRATION RÉGIONALE
Un marché de plus de 300 millions de consommateurs
E
PUBLI-INFORMATION
n novembre 2007, le Burundi est devenu membre à part entière de la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC, East African Community), aux côtés du Kenya, de l’Ouganda, du Rwanda et de la Tanzanie. Avec une croissance économique de 6,4 % en 2014, c’est l’un des ensembles régionaux africains les plus dynamiques. Malgré les inégalités entre les économies qui le composent, l’union douanière et la circulation des capitaux, des personnes et des biens fonctionnent. Les cinq pays travaillent à la mise en place d’une monnaie commune à l’horizon 2025. Le Burundi est aussi membre du COMESA (Common Market of East and Southern Africa, Marché commun de l’Afrique orientale et australe), qui regroupe 19 pays, ce qui lui permet de bénéficier du partenariat entre le COMESA et la SADC (Southern Africa Development Community, Communauté de développement de l’Afrique australe). En complément, il demeure un membre actif de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC), qui regroupe onze pays et s’étend vers l’ouest jusqu’à la façade atlantique, ainsi que de la Communauté économique des pays des grands lacs (CEPGL, avec le Rwanda et la RD Congo) et de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), qui réunit les efforts de paix et de développement des douze États de la région.
De l’Égypte à l’Afrique du Sud Grâce à quoi le Burundi se trouve dans une situation stratégique centrale, au cœur d’un
marché de plus de 300 millions de consommateurs, qui s’étend de l’Égypte (membre du COMESA) à l’Afrique du Sud (membre de la SADC). Cette position se renforcera à l’avenir, grâce aux grands chantiers d’infrastructures en cours, comme le chemin de fer reliant le Burundi au port de Dar es-Salaam (Tanzanie), l’oléoduc entre le port d’Eldoret (Kenya) et l’Ouganda, le Soudan du Sud, le Rwanda et le Burundi, les barrages hydroélectriques de Rusumo Falls (Rwanda) ou encore les routes inter-États des futurs corridor Nord et corridor central. Les Burundais se félicitent des retombées de cette intégration malgré le handicap qu’est l’usage du français au Burundi tandis que l’anglais s’impose dans l’administration et le fonctionnement des structures de l’EAC. D’ailleurs, tout en étant actif dans l’Organi-
S’inspirer des peuples voisins et, si nécessaire, ouvrir bureaux et boutiques 7 jours sur 7. sation internationale de la Francophonie, le président Nkurunziza a engagé le pays dans le processus d’adhésion au Commonwealth. Il plaide sans relâche en faveur du changement de mentalités afin que les Burundais soient de plus en plus compétitifs sur le marché du travail régional et qu’ils s’inspirent des peuples limitrophes qui, si nécessaire, ouvrent bureaux et boutiques 7 jours sur 7. Pour un pays jadis isolé par un embargo régional, l’intégration est un motif de satisfaction et un signe qu’il est en train de tourner la page des épisodes de régression qu’il a connus par le passé. ■
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Autrefois isolé par un embargo, le Burundi occupe aujourd’hui une position géographique centrale, au cœur des cinq communautés économiques régionales dont il fait partie.
Le Plus de J.A. Burundi stations de lavage, les investisseurs ne se sont pas bousculés au portillon. Par ailleurs, les coûts se sont révélés bien trop élevés pour les producteurs locaux, qui se trouvent dans l’impossibilité de mobiliser le million de dollars nécessaire pour participer aux appels d’offres du gouvernement. Jusqu’à présent, seul le suisse Webcor a fait l’acquisition de treize stations… sur les cent dix-sept que compte le pays. Toujours faute d’investisseurs, le Burundi ne torréfie encore que 5 % de sa production à l’intérieur du pays.
Agriculture
Quel tracas, cet arabica! Vieillissement du verger, aléas climatiques, libéralisation mal ficelée, manque d’investisseurs étrangers… rien ne va plus pour la filière café, qui peine à franchir le cap de l’industrialisation.
à genoux. Conscient des failles du
système, le gouvernement vient d’autoriser les coopératives de planteurs à participer aux prochaines ventes. Mais l’organisation reste à trouver, ainsi que les capitaux, dont ils manquent cruellement. Mis à genoux par de longues années de guerre civile, le secteur ne s’est toujours pas relevé. Environ 24 000 tonnes de café vert (débarrassé de ses enveloppes) ont été produites au cours de la campagne 2012-2013 (contre 40 000 t au début des années 1990), seulement 11 500 t ont été récoltées en 2013-2014 et, pour la campagne en cours, la production ne devrait pas dépasser les 10 000 t. Le manque d’intrants, le vieillissep Les producteurs vivent de plus en plus difficilement de la « petite cerise ». ment du verger et les aléas climatiques es Burundais se seraient bien Delen. « Nous travaillons à perte. Il fauprovoquent des fluctuations qui vont du contentés de cultiver leurs jardrait que le prix du kilo soit deux fois plus simple au double d’une année sur l’autre. dins. De récolter des haricots élevé pour que nous puissions espérer Et il est impossible d’améliorer les rendesecs, dont ils sont les premiers gagner de l’argent », confirme un caféiments sur des parcelles aussi réduites, consommateurs au monde, plutôt que culteur de la région de Ngozi (Nord), qui disséminéesdanstoutlepays…Lapriorité, du café qu’ils ne boivent pas. Pourtant, regrette que l’État ne fixe aucun pour la Banque mondiale comme depuis les années 1950, la logique coloprix minimum garanti. pour les transformateurs, niale a fait du Burundi l’un des principaux reste donc de stabiliser les ventes producteurs d’arabica du continent. Au fLuct uations. En volumes de production à perte point que la petite cerise rouge fait office outre, le cultivateur se pour permettre à la Pour la campagne 2014-2015, le de baromètre socio-économique du pays. trouve dépossédé de filière de faire face aux prix d’achat du kilo de café-cerise La filière emploie directement 55 % de la sa récolte dès la stavariations des cours aux producteurs a été revu à la population active (plus de 4 millions de tion de lavage, confiée internationaux. « Nous baisse par l’InterCafé, de 600 personnes) et contribue chaque année au secteur privé. « Ce pourrons ainsi amélioà 530 francs burundais (FBU), soit à 60 % des recettes d’exportation nation’est donc plus lui qui rer les revenus des payde 0,33 à 0,29 euro, alors que pour rentabiliser une parcelle, nales. Autant dire que depuis sa privatisadécide quand remettre sans », estime-t-on au il devrait être de tion, encouragée par la Banque mondiale, son café au négociant, en ministère de l’Agriculture. 1 000 FBU/kg. en 2008, son évolution a été scrutée de fonction des fluctuations La qualité reconnue de très près. Pour un résultat jusque-là plutôt des cours », explique un cadre son arabica doit également « décevant », de l’aveu même de Tabu de la Confédération nationale des permettre au Burundi de mieux Abdallah Manirakiza, le ministre des associations de caféiculteurs (Cnac). valoriser sa production sur les marchés. Finances et de la Planification. Parce que sa libéralisation a été « Sinon, nous risquons de voir nos caféiComme souvent, les petits paysans, mal préparée et mal menée, la filière culteurs abandonner, au profit d’autres qui, à l’origine, devaient être les premiers caféicole burundaise risque de rater cultures plus rentables », redoute Tocoma bénéficiaires de la réforme, « en paient le virage – ô combien crucial – de la Sy, qui espère voir l’État se réimpliquer aujourd’hui le prix », déplore Tocoma Sy, transformation industrielle. Lors de dans l’encadrement de la filière. l représentant de l’ONG belge Broederlijk la mise en vente des premiers lots de oLivier casLin dr
86
L
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jeune afrique
Le grand saut fois –, Donatien Ndayishimiye prend les rênes de l’Office national des télécommunications (Onatel) en mars 2012. Dépassé par les autres compagnies de téléphonie mobile, l’opérateur pâtit Après avoir redressé l’Office national des télécommunications, donatien Ndayishimiye a pris la tête de Burundi Backbone System, d’une réputation calamiteuse. « C’est une institution qui ne s’était pas rendu le consortium chargé d’assurer le maillage du pays en fibre optique. compte qu’elle était devenue une entreprise », résume Ndayishimiye, qui, en ublié le « Qu’est-ce que je deux ans, a remis l’Onatel sur les rails. section française du Conseil national fais là ? » des premiers jours à pour la défense de la démocratie (CNDDPlutôt que de se « tropicaliser » en se Bujumbura, s’amuse-t-il. S’il FDD), à partir de 2005, et sa rencontre à coulant dans la langueur locale, comme n’a découvert son Burundi Paris avec le général Agricole Ntirampeba il le dit lui-même, il insuffle à l’Office natal qu’à l’âge de 40 ans, Donatien (alors élève à l’École de guerre et futur une culture d’entreprise et une nouvelle Ndayishimiye y a rapidement occupé chef des renseignements burundais) ont dynamique, fondée sur la rénovation et des fonctions clés. Il incarne cette diascertainement contribué à cette rapide la maintenance des infrastructures, une pora formée en Europe ou en Amérique promotion. Mais c’est surtout sa parfaite politique de recouvrement efficace et la du Nord, rentrée au pays pour le servir. création de services tournés Aujourd’hui, le directeur général de vers la clientèle. À son retour au pays, en 2011, Burundi Backbone System (BBS) a pour Une stratégie vite payante, il a participé à l’organisation mission d’assurer le maillage en fibre puisque, pour la première fois optique de tout le territoire. des services de renseignements. depuis plus de dix ans, l’Onatel Diplômé de l’École supérieure de obtient des résultats positifs commerce et de management (Escem connaissance des systèmes d’information, dès 2012. Donatien Ndayishimiye ne de Tours, centre-ouest de la France) acquise en France et aux États-Unis (il a parle pas encore le kirundi, mais il sait se et après quatre ans chez Thales où il a étudié un an à Boston), qui lui ont valu faire comprendre de ses interlocuteurs. occupé les fonctions d’analyste principal, de participer à l’un des chantiers prioriY compris des Chinois de Huawei avec cet ingénieur en informatique a intégré taires du gouvernement : l’organisation lesquels il négocie l’extension des réseaux l’équipe des conseillersdu président Pierre des services de renseignements. fixe et mobile du pays. Nkurunziza dès son arrivée à Bujumbura, Après un an auprès du président en 2011. Son poste de secrétaire à la – qu’il n’aura rencontré qu’une seule haut débit. À peine l’Onatel redressé, il regagne son poste de conseiller à la q Le directeur général de BBS, à Bujumbura, en mars. présidence en mai 2014. Seulement pour quelques mois, le temps que ses anciens collègues et concurrents des télécoms le convainquent de prendre la direction de BBS, en septembre 2014. Soutenu par l’État et la Banque mondiale, ce consortium réunit les cinq opérateurs de téléphonie titulaires d’une licence 3G. Sa mission : gérer l’infrastructure, élargir l’accès au réseau haut débit et réduire les coûts de communication. Doté d’un budget de 19 millions de dollars (17,5 millions d’euros), dont 65 % financés par les pouvoirs publics, BBS a tiré plus de 1 250 km de câbles à travers l’ensemble des provinces burundaises de début 2011 à septembre 2013, date officielle de mise en route du système, désormais entièrement opérationnel. L’an dernier, l’entreprise a bénéficié d’un chiffre d’affaires de 7 millions de dollars et son directeur général espère voir ce résultat quadrupler pour l’exercice 2015. Pour cela, il compte sur la généralisation de la 4G à l’ensemble du territoire et sur l’ouverture, en juillet, du premier centre de données commerciales du pays. l Profil
un homme de réseaux
Martina Bacigalupo/agence Vu pour j.a.
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olivier CaSliN n o 2831 • du 12 au 18 avril 2015
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Le Plus de J.A. Burundi
u Plages de sable blanc, collines verdoyantes… et quelques rares touristes.
MARTINA GACIALUPO/vU POUR j.A.
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Développement Durable
Tanganyika & dolce vita Au cœur de la vallée du rift, le grand lac alimente les pays limitrophes en eau potable. Mais la pollution, la surpêche et l’érosion des côtes menacent ce coin de paradis.
L
es pieds dans le sable blanc de la plage du Bora Bora, le tumulte de Bujumbura semble loin, très loin. Les signes de surchauffe de la capitale toute proche restent pourtant bien visibles, mais la brise qui descend des monts du Sud-Kivu, depuis l’autre rive, fait un peu retomber la pression atmosphérique. Devant, les eaux calmes du Tanganyika s’étirent entre les collines verdoyantes pour se fondre avec l’horizon. S’il n’y avait quelques hippopotames paissant près de la rive, la vue depuis les transats rappellerait certains paysages italiens. Avec ses hôtels, bars et restaurants, la Buja Riviera reste the place to be, comme disent les expats américains qui, à l’exception de quelques privilégiés, sont n o 2831 • du 12 au 18 avril 2015
Quelques cargos finissent de rouiller dans les bassins, à côté des rares vraquiers qui viennent encore approvisionner le pays. Dimensionnés dans les années 1950 par les Belges pour traiter un demi-million de tonnes de marchandises par an, les quais n’en manutentionnent même pas la moitié. « Avant, les navires remontaient de Zambie chargés de ciment ou de maïs et redescendaient avec notre café », soupire Jean-Marie Nibirantije, le directeur exécutif de l’Autorité du lac Tanganyika (ALT) depuis janvier 2014. Un temps révolu ? Pas si sûr.
les seuls à avoir les moyens de profiter de ce petit coin de paradis lové le long de la route menant en RD Congo. Ces cinq dernières années, des établissements touristiques plus ou moins huppés ont fleuri sur les bords du lac, mais en dehors des membres des missions onusiennes et Objectif des quatre États riverains : de quelques Rwandais venus s’encanailler le relancer l’activité portuaire tout en week-end, la destination respectant l’environnement. burundaise fait encore assez peu recette. Malgré le formidable potentiel du pays, seuleCommune aux quatre pays riverains ment 15 000 entrées touristiques ont été – Burundi (8 % de la surface du lac), enregistrées à l’aéroport international de RD Congo (45 %), Tanzanie (41 %), Bujumbura en 2013. Zambie (6 %) –, l’ALT a justement pour Plus près de la ville, l’activité du port mission de relancer « ce formidable outil de commerce tourne elle aussi au ralenti. économique », mais aussi d’en assurer jeune afrique
Le grand saut
protéines. L’enjeu est aussi de taille sur
le plan environnemental. Cet immense réservoir classé au patrimoine mondial de l’Unesco alimente les pays limitrophes en eau potable et, avec ses ndagalas (petites sardines endémiques au Tanganyika), il fournit le principal apport en protéines aux habitants de la région, qui restent en situation de malnutrition chronique. D’où l’urgence pour les gouvernements des pays riverains de se réunir au chevet de leur lac menacé par la pollution, la surpêche et l’érosion de ses côtes.
Les quatre États sont « engagés au plus haut niveau politique », selon Jean-Marie Nibirantije, lui-même ancien ministre burundais de l’Environnement. Ils coordonnent leur politique de conservation, ainsi que les programmes d’aménagement et de développement financés par différents bailleurs, dont la Banque africaine de développement (BAD) et, en fédérant leurs actions à travers l’ALT, œuvrent pour éviter une catastrophe écologique semblable à celle qui touche les eaux désormais troubles du lac Victoria. Les motifs d’inquiétude ne manquent pasdepuisladécouverteen2010d’indices d’hydrocarbures, attestant la présence de gisements dans les profondeurs du Tanganyika. « Il va falloir se montrer vigilants », confirme Jean-Marie Nibirantije, d’autant que de premières opérations de prospection ont été lancées dans les eaux tanzaniennes et burundaises. l olivier CAslin
Un bAssin XXl Superficie du lac
32 600 km2 (2e plus grand lac africain, après le lac Victoria), soit plus que la superficie de la Belgique
Longueur
670 km (le plus long lac d’eau douce au monde), largeur maximale : 72 km
Profondeur maximale
1 470 m, et 570 m en moyenne, pour un volume de 19 000 km3 (2e au monde par sa profondeur et son volume, après le lac Baïkal, en Russie)
Superficie du bassin versant 223 000 km2
Population riveraine 10 millions de personnes
Source : ALT
la protection environnementale. Afin de redynamiser l’activité côté burundais, l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) a décidé, l’an dernier, de débloquer 2,8 milliards de yens (plus de 20 millions d’euros) pour la rénovation complète du port de Bujumbura. « L’objectif est de redévelopper le transport commercial et touristique sur le lac, afin qu’il retrouve son rôle d’interface au cœur de l’Afrique », explique le patron de l’ALT.
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R É P UBLIQUE DU B URUNDI
INVESTIR
La voie de la reprise économique est tracée internationaux du Buruni, pleinement mobilisés sur le retour de la stabilité institutionnelle. De fait, à la veille de 2005, le taux de croissance du PIB burundais oscille autour de 1,5 % par an, quand il n’est pas négatif, très loin de la dynamique que connaissent les autres pays de l’Afrique de l’Est, dont la croissance annuelle varie entre 5 % et 10 %.
Le Burundi se trouve désormais sur une trajectoire confirmée de développement et de lutte contre la pauvreté. À condition de savoir mobiliser les moyens.
A
u lendemain des élections générales de 2005 remportées haut la main par le parti CNDD-FDD dont est issu le Président Pierre Nkurunziza, le Burundi est un pays grandement affecté par les douze années de guerre civile qu’il vient de boucler par la mise en place des institutions démocratiquement élues. Tous les aspects de la vie nationale ont été touchés par ce qui sera pudiquement appelé « crise ». Des infrastructures d’intérêt public (écoles, établissements sanitaires…) sont détruites et le tissu social est particulièrement touché : des centaines de milliers d’habitants sont réfugiés dans les pays limitrophes ou déplacés sur le territoire national.
La signature des Accords d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation (2000), puis celle de l’Accord global de cessez-le-feu entre le Gouvernement de Transition et le mouvement CNDD-FDD (2003) enclenchent un retour progressif du calme sur le territoire national. Le gouvernement issu des scrutins de 2005 se retrouve avec un triple objectif : la pérennité des institutions républicaines issues des élections, la consolidation de la paix et la lutte contre la pauvreté.
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Se doter des outils du décollage économique
PUBLI-INFORMATION
Depuis 2005, la relance de l’économie est au cœur des réformes structurelles entreprises par le Président Nkurunziza.
La persistance des conflits armés avait conduit à une chute drastique de la production dans le pays et une augmentation spectaculaire de la proportion de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, passée de 35 % en 1990 à 81,3 % en 1998. La pauvreté est en outre répartie de manière inégale : 69 % en zones rurales et 34 % en zones urbaines. De plus, le rétablissement de la production économique n’est guère la priorité des partenaires
Le 12 décembre 2014, le Burundi franchissait un pas important dans son histoire avec la tenue des cérémonies marquant la fin de la présence politique des Nations Unies dans le pays. À cette occasion Jeffrey Feltman, Secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des affaires politiques, a rappelé que la présence des institutions onusiennes serait désormais concentrée vers le renforcement de la démocratie et surtout un appui pour le développement socio-économique. Cette étape tant attendue par le gouvernement burundais donne désormais plus d’ampleur aux initiatives menées pour attirer des investissements au Burundi. Sur les dix dernières années, la relance de l’économie a été au cœur des différentes réformes structurelles entreprises par le gouvernement. Ainsi, la mise en place de l’Office Burundais des Recettes (OBR), en 2009, a permis de centraliser la collecte des recettes
© Evert Jakobs - Access Rwanda Safaris Ltd
Autre instrument-clé de la relance : l’Agence de la Promotion de l’Investissement (API). Les différentes réformes initiées par cette institution créée en 2009 ont permis de faire gagner au Burundi 29 places dans le classement Doing Business sur quatre ans, plaçant le pays parmi les 10 meilleurs pays réformateurs au monde pendant trois années consécutives.
À peine positive dans les années 1990, la croissance du PIB atteint 5 % par an. Croissance et investissements en hausse La Banque mondiale note à propos du Burundi une gestion macroéconomique saine dans un contexte de volatilité qui lui a permis de maintenir une croissance économique oscillant entre 4 % et 5 %. Les investissements privés burundais ont augmenté, de même que la consommation des ménages, alors que le pays enregistrait une baisse de l’inflation, à 7,9 % en 2013 après avoir dépassé 20 % en mars 2012. Toutefois, pour assurer un réel décollage économique, les études montrent que le pays doit tabler sur un PIB annuellement en hausse de plus de 7 %. La perspective prioritaire de développement économique dans laquelle s’inscrit l’agenda gouvernemental exige donc de lever des investissements importants pour financer des secteurs porteurs tels que les mines, l’hôtellerie et l’agro-alimentaire.
Avec une économie dépendant fortement des importations, qui représentent 40 % du PIB et sont financées en majorité par l’aide extérieure, le pays doit impérativement et significativement augmenter ses exportations, en s’appuyant principalement sur l’intégration régionale. La décision du gouvernement burundais d’intégrer comme acteur à part entière le Projet de Corridor Nord (avec le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda et le Soudan du Sud) peut s’interpréter comme un signe de cette prise de conscience. En outre, le Burundi se positionne déjà aussi comme un bénéficiaire important des facilités de transport qu’offre le Projet de Corridor Central, avec la voie ferrée qui partira du port de Dar es-Salaam pour aboutir à Gitega, la deuxième plus grande ville du Burundi.
Une image de plus en plus positive à l’international Parmi les autres signes très encourageants, le nombre de passagers enregistrés à l’aéroport de Bujumbura a presque triplé entre 2005 et 2014, pour atteindre 227 000 personnes. Bujumbura est désormais reliée plusieurs fois par semaine à l’Europe (Brussels Airlines, Ethiopian Airlines, Kenya Airways), ainsi qu’aux autres capitales de la région par des compagnies aussi diverses que Air Tanzania, South African Airways, RwandaAir, Air Uganda, Fly Dubai, etc. Enfin, le Burundi a remporté le second prix du meilleur exposant à la Foire internationale du tourisme de Berlin, en 2014, après sa première place en 2013. En novembre 2014, après des années d’attente, les tambours du Burundi ont été inscrits sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Ils sont accompagnés par la danse rituelle au tambour royal, un spectacle qui associe le battement au rythme codé des tambours à des chorégraphies, de la poésie héroïque et des chants traditionnels. ■
De l’industrie au tourisme, l’API a traité plus de 400 dossiers d’investissements en trois ans.
Site officiel de l’Agence de promotion des investissements (API) www.investin burundi.com
Base de données de la Cnuced et de la Chambre de commerce internationale www.theiguides. org/Burundi
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publiques, et de participer à la réduction de la pauvreté en donnant à l’État les moyens de mettre en œuvre ses politiques par le financement de plus de la moitié du budget. À titre d’exemple, les recettes annuelles sont passées de 250 milliards de FBU en 2008 à 654 milliards de FBU en 2014.
Le Plus de J.A. Burundi Monarchie
Histoires d’outre-tombe Depuis 2012, la maison royale plaide auprès des autorités suisses pour le retour au pays de la dépouille de Mwambutsa IV. Un rapatriement que le souverain excluait dans son testament.
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ne nouvelle veillée funèbre se joue entre Genève et Bujumbura depuis bientôt trois ans. Déjà en butte à des tracasseries juridiques afin de pouvoir postuler à un troisième mandat présidentiel, Pierre Nkurunziza se retrouve également au cœur d’une procédure administrative dont il se serait bien passé : celle relative au rapatriement de la dépouille du roi Mwambutsa IV Bangiricenge, enterré près de Genève, à Meyrin, où il est décédé en 1977.
Une simple formalité, pensait le chef de l’État lorsqu’il a sollicité auprès des autorités suisses, en avril 2012, le retour au Burundi du corps de l’avant-dernier monarque de la dynastie Ganwa qui a régné sur le pays pendant plus de trois siècles. Pierre Nkurunziza avait pourtant l’accord de SAR la princesse Rosa Paula Iribagiza, 81 ans, fille aînée et dernier enfant encore en vie du défunt mwani. À quelques mois du cinquantième anniversaire de l’indépendance (célébré le 1er juillet), le président voyait là une
bonne occasion de sceller la réconciliation du pays avec lui-même, en offrant à Mwambutsa IV des funérailles nationales. ÉPARPILLÉS. Beau symbole d’unité que
le retour à sa terre de ce roi monté sur le trône à l’âge de 3 ans, en décembre 1915. Il le quittera en juillet 1966, chahuté par l’armée et destitué par son deuxième fils, Charles (Ntare V), alors âgé de 19 ans – lui-même déposé, quelques mois plus tard, lors du coup d’État qui aboutit à l’instauration de la République. Mwambutsa IV prit le chemin de l’exil en 1967 et s’installa près de Genève, où il vécut jusqu’à sa mort. Loin des siens et d’un pays sur lequel il régna cinquante et un ans. D’abord sous les régimes coloniaux allemand, puis belge (à partir de 1919) et, après qu’il eut créé un Parlement et organisé les premières élections multiethniques, en tant que q Le mwani (en blanc), lors de la cérémonie annuelle de l’Umuganuro, la fête des semailles du sorgho, en 1964.
hagerimana lazare
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premier chef d’État du Burundi indépendant. Le pays lui a pris ses deux fils. L’aîné, né de son union avec Thérèse Kanyonga (dont il divorça en 1946), le prince héritier Louis Rwagasore, fut assassiné sur ordre des Belges en 1961 en raison de son combat pour l’indépendance. Quant au cadet (qu’il eut avec sa seconde épouse, Baramparaye), Charles Ndizeye, éphémère roi Ntare V de juillet à novembre 1966, il fut tué lors des massacres d’avril 1972. Un destin aussi tragique pour la dynastie Ganwa que méconnu des Burundais d’aujourd’hui, dont les deux tiers n’étaient pas nés à l’époque. Éparpillés en Europe, les membres de la famille royale durent attendre 2003 pour se voir réhabilités par le président Pierre Buyoya qui, en toute fin de mandat, les réinscrivit sur la liste civile de l’État, au nom de « l’union sacrée » du pays. Après trente ans d’exil, Rosa Paula est rentrée à Bujumbura en 2004 et, l’année suivante, a été élue députée sous l’étiquette du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti présidentiel. Mandat qu’elle a honoré jusqu’en 2010, date où elle est devenue héritière de la maison royale, à la suite du décès de la reine mère, Baramparaye, à Gitega, l’ancienne capitale royale. RESPECT. Parti depuis longtemps déjà,
Mwambutsa IV n’a pu apprécier, depuis les rives du Léman, l’hommage rendu par la République burundaise, « avec les honneurs » (mais dans un désintérêt général), à sa deuxième épouse, qui vivait à Gitega depuis 1966. Le monarque a emporté avec lui « l’image d’un pays qui l’a chassé, qui a assassiné ses enfants et dispersé sa famille », confirme la princesse Louise Muhirwa, sa petite-fille, rencontrée à Bujumbura. Au point de ne jamais vouloir y rentrer, même pour s’y faire enterrer, ce qu’il a « expressément » exclu dans son testament. C’est justement ce document que brandit la princesse Esther Kamatari, nièce du roi (lire p. 94), pour demander à la justice suisse de faire respecter les dernières volontés de son oncle, « plutôt que de spéculer sur les enjeux d’une quelconque réconciliation nationale », comme elle l’a rappelé dans un droit de réponse envoyé à la presse helvétique. Après avoir vu disparaître son père, le prince Ignace (décédé en 1964 dans des jeune afrique
government press office
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p Devant le lac de Tibériade, en Israël, en 1962.
du monarque, favorable au rapatriement du corps. « Le Burundi n’a pas besoin de la dépouille de son roi pour faire la paix. Personne n’en est le propriétaire ! » rétorque la princesse Esther, que l’avocat des autorités burundaises qualifie d’« ambitieuse » et d’« intrigante ». La demi-sœur de la princesse Rosa Paula, Colette Uwimana, qui s’occupait de la concession « En exil, il gardait l’image d’un au cimetière de Meyrin et a pays qui l’a chassé et a assassiné donc autorisé l’exhumation en 2012, a été relaxée mi-janses enfants », note sa petite-fille. vier par le tribunal pénal de CHAMBRE FROIDE. Les deux camps première instance, où elle comparaissait familiaux s’opposent donc au civil et pour « atteinte à la paix des morts » sur au pénal devant la justice suisse, qui a plainte de la princesse Esther et de nomautorisé l’exhumation de Mwambutsa IV breuses ONG burundaises. Fin février, dès le mois de mai 2012, avant de geler le la justice suisse a rejeté la demande de rapatriement dans la foulée… Et, depuis l’État burundais, qui peut encore saisir près de trois ans, les restes de l’ancien soule tribunal fédéral. Plus que quelques verain attendent donc dans une chambre semaines, donc, avant de connaître la froide des pompes funèbres genevoises. destination finale de la dépouille du bon « Il ne s’agit pas juste de mon grand-père. roi Mwambutsa, qui ne sera certainement Le roi fait partie de l’Histoire et de son pas mécontent de pouvoir à nouveau se peuple. Le symbole dépasse largement la retourner dans sa tombe. Que ce soit à famille », a déclaré à la barre la princesse Meyrin, à Bujumbura ou à Gitega. l Anne-Marie Ndenzako, autre petite-fille OlIvIER CASlIN
circonstances jamais élucidées), et son frère Godefroid (mort à Kigali, au Rwanda, en 2005), la princesse Esther n’est pas prête à abandonner le corps de son oncle à un régime auquel elle s’est opposée lors des scrutins de 2005. Et qu’elle semble mépriser autant que la branche de la famille rentrée à Bujumbura l’encense.
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couronnée de succès Exilée en France depuis 1970, la princesse Esther Kamatari a défilé pour les plus grands couturiers, puis s’est lancée en politique. De sa vie elle a su faire un conte de fées.
«
N
on ! » Esther Kamatari le clame haut et fort : elle ne se présentera pas aux scrutins de 2015. Elle a déjà donné il y a dix ans, en représentant le mouvement monarchiste Abahuza (« rassembler », en kirundi)
« dans des élections générales jouées d’avance », où elle n’avait grappillé qu’un petit pourcentage des suffrages, un siège au conseil municipal de Bujumbura et aucun au Parlement. À l’époque, elle avait battu campagne pendant un mois, redécouvrant un pays et un
peuple qu’elle avait quittés depuis trentecinq ans. Elle voulait renforcer le rôle des femmes au Burundi en étant la première d’entre elles à se porter candidate à une élection présidentielle. « Princesse, ce n’est pas un programme », assure la nièce de Mwambutsa IV. Conseillère municipale de BoulogneBillancourt, en région parisienne, où elle vit depuis 1987, la princesse Esther reçoit en toute simplicité dans la salle de mariage de style monumental de l’hôtel de ville boulonnais. Elle aurait pu également nous accueillir chez Guerlain, dont elle est ambassadrice depuis le mois de décembre. Car malgré l’assassinat de son père, en 1964, la chute de la monarchie en 1966, puis l’exil, sa vie de princesse ressemble à un conte de fées. œil malicieux. Quand elle débarque
en France, en 1970, à 19 ans, sans le sou ni aucun contact, elle se fait rapidement remarquer avec son port altier, son mètre quatre-vingt et ses 55 kilos. Une taille mannequin qui la propulse sur les podiums. Alors que son pays sombre dans la crise, Esther, premier mannequin noir à défiler en France, parcourt la planète pour les plus grands noms de la haute couture française. Paco Rabanne, Lanvin, Dior… « Le monde de la mode n’est pas si différent de la vie au palais », fait-elle remarquer, l’œil malicieux, en se remémorant la banderole « Welcome to the Princess Kamatari from Burundi », qui l’accueillit à Sydney un soir de 1979. Dorénavant, ce qui passionne son altesse, « c’est de transmettre, d’éduquer », de donner de l’espoir aux jeunes Burundais qui en manquent tant, et aux ados des banlieues françaises, à qui elle donne des cours d’élégance et de maintien. « Je leur apprends à marcher », explique Esther qui n’a jamais vraiment eu besoin de quelqu’un pour mettre un pied devant l’autre. Si ce n’est peut-être de cet inconnu qui la prit sous son aile à sa descente d’avion, il y a quarantecinq ans. Le temps d’un déjeuner et de quelques coups de fil, qui lui permirent de prendre son envol, de toucher les étoiles, et de croire plus que jamais en la sienne. l vincent FOURnieR/J.A.
Olivier caSliN
t Elle est le premier mannequin noir à avoir arpenté les podiums de l’Hexagone. n o 2831 • du 12 au 18 avril 2015
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portraits
Ceux qui bougent à Buja Qu’ils jouent avec le tissu ou les notes, ils ont la réussite au bout des doigts. Zoom sur deux jeunes créateurs de Bujumbura.
Krystal shabani 23 ans, styliste
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Martina Bacigalupo/agence Vu pour j.a.
lle n’a pas atterri dans le monde de la mode par hasard. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Krystal Shabani a toujours eu à portée de main « une petite trousse remplie d’aiguilles et de fil ». Son entourage n’est donc pas surpris lorsque, en 2012, elle décide de créersapropremarque,KrysbelDesign,avecpourprincipal objectif de mettre le coton africain à l’honneur. Les quelque 2 000 francs burundais (à peine plus de 1 euro) dont elle dispose lui suffisent pour créer des boucles d’oreilles en pagne, qui trouvent rapidement clientes, puis des bracelets, qui se vendent aussi très bien. Suffisamment en tout cas pour qu’elle lance sa collection, « avec trois vêtements ». Comme ses bijoux, ils « font le buzz » dès leur apparition sur internet. Les commentaires fusent, les commandes affluent. Krystal multiplie les modèles. Elle se lance alors dans la fabrication de chaussures, de lunettes… Et se retrouve invitée dans les Fashion Weeks de la sous-région. En l’espace de deux ans, la jeune styliste s’est fait un nom et, à 23 ans, avec le diplôme de marketing qu’elle a décroché en décembre 2014, elle a tous les atouts en mainpourtransformersonpetitatelierdeconfectionen maison de couture. En routevers le succès, laprochaine étape pour elle sera l’ouverture, « dans le courant de cette année », de sa première boutique à Bujumbura. l Isy PErPétuE KIMANA
Bobona 28 ans, auteur-compositeur et interprète nnovembre2014,BonfilsNikuze, alias Bobona, est arrivé deuxième au concours Découvertes RFI 2014. Une première pour un Burundais. Et un résultat d’autant plus remarqué que c’est sur lui que se sont majoritairement portés les votesdesinternautes,quicomptaient pour une voix. Bien qu’il ne soit pas issu d’une famille d’artistes, ce fils de Kamenge, commune du nord de Bujumbura, ne s’imaginait pas faire autre chose que de la musique et n’a jamais regretté son choix. « Déjà, lorsque j’étais gamin, je chantais tout le temps », se rappelle Bobona. Il acquiertunepetitenotoriétéà15ans, lorsqu’il intègre successivement plusieurs groupes des quartiers nord jeune afrique
de la capitale (Kamenge, Gihosha, Cibitoke, Kinama) en tant que choriste. Il apprend la guitare et décide de mettre ses études en veille pour multiplier les concerts. En 2011, il part en Italie, prend la décision d’entamer une carrière solo, et sort dans la foulée son premier album, Ikirangaminsi (« Calendrier » en kirundi), qui rencontre un énorme succès au Burundi. Mêlant sons modernes et traditionnels, rythmes salsa et chants coutumiers, Bobona attire un large public. Depuis Bujumbura, il rêve désormais à un second album, qu’il espère sortir en 2016, et à une vraie carrière internationale, au-delà de l’Italie, le pays de son épouse. l I.P.K.
Martina Bacigalupo/ agence Vu pour j.a.
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Le Plus de J.A. Burundi q Les chorégraphies acrobatiques rendent les cérémonies plus spectaculaires.
BrUno De HoGUeS/Gamma
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Culture
tambours battants
sorgho, qui marquaient le début de la campagne agricole.
Les Burundais ont gagné la bataille de l’ingoma. Depuis la fin de 2014, leur célèbre danse rituelle est inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco. À eux de faire respecter la tradition.
invités dE mArquE. Depuis l’avè-
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près quatre ans d’un intense combat diplomatique mené par le ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, la danse rituelle au tambour royal du Burundi (lire encadré) a été inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco le 27 novembre 2014. Une immense fierté pour le pays, même si, en pratique, la préservation de ce patrimoine se révèle difficile. Car le gouvernement souhaite non seulement promouvoir l’instrument à l’intérieur du pays et à l’étranger, mais aussi protéger son identité et son caractère sacré. Une dimension qu’il avait quelque peu perdue au fil du temps, notamment auprès de la jeunesse. À l’origine, l’ingoma – qui signifie à la fois « tambour » et « royaume » en kirundi –, symbole du pouvoir et de n o 2831 • du 12 au 18 avril 2015
nement de la République, l’ingoma n’est plus royal, mais reste sacré, tout comme les rituels qui lui sont liés. À la fois respecté et populaire, l’instrument l’unité de la nation, n’était battu que n’est censé battre que pour la nation, par les tambourinaires ritualistes, à la notamment lors des célébrations de cour royale ou à celles des princes. « On l’indépendance ou pour accueillir des le battait le matin pour réglementer les invités de marque. Pourtant, depuis activités de la journée et montrer que quelque temps, des groupes vendent le roi était bien réveillé et au travail. leurs services pour agrémenter mariages ou fêtes de famille. Au grand dam des tambourinaires. Pour Jadis instrument royal, il reste ces derniers, l’apprentissage de sacré. Et n’est censé résonner l’instrument et de la danse doit évidemment être encouragé, en qu’en l’honneur de la nation. particulier auprès des jeunes. En Même chose le soir, pour sonner la fin revanche, les représentations officielles de la journée, l’arrêt des activités chamdes tambourinaires doivent être redépêtres et le début de la soirée », précise finies et justifiées uniquement par des l’étiquette de la dynastie Ganwa. Le tamévénements d’importance pour la nation bour résonnait également pour annoncer ou les communautés locales. un événement, comme le sacre ou les Le gouvernement s’attelle donc à funérailles d’un souverain et, à la fin de mieux faire respecter les règlements qui chaque année, pour les cérémonies de encadrent l’utilisation de l’instrument, l’umuganuro, la fête des semailles du aussi bien au Burundi qu’à l’étranger. jeune afrique
Le grand saut Ainsi, la sortie des tambours hors du pays reste soumise à une autorisation officielle. Et plus question de laisser jouer n’importe quel groupe, à tout bout de champ, n’importe où. Seuls les orchestres reconnus ont droit de battre tambour lors des cérémonies nationales ou pour de grands événements. Enfin, même si la société burundaise accorde désormais des responsabilités aux femmes, la fonction de tambourinaire reste l’apanage des hommes. héritage. Pour veiller sur le patrimoine et perpétuer la tradition ingoma, l’État renforce par ailleurs ses actions de restauration et de protection des sites historiques, à commencer par
le sanctuaire des tambours sacrés de Gishora. Situé dans la première cour du domaine royal, au sommet de la colline de Gishora, près de Gitega (à 100 km de Bujumbura), ce sanctuaire est placé sous la tutelle du ministère de la Culture et géré par les batimbos, descendants des familles ritualistes de la région, qui non seulement jouent, mais fabriquent les instruments. Antime Baranshakaje, gardien du sanctuaire (et de ses deux derniers tambours royaux), se félicite de la reconnaissance de la tradition ingoma par l’Unesco et des décisions prises par le gouvernement. « C’est le couronnement de toute une vie », s’émeut le vieux tambourinaire. À plus de 80 ans, il est
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chargé de transmettre l’héritage aux jeunes générations et de « veiller à ce que les tambours retrouvent leur noblesse d’antan ». Depuis quelques mois, celle-ci lui semble à nouveau perceptible. L’État envisage même de protéger l’umuvugangoma (Cordia africana), l’arbre utilisé traditionnellement pour la fabrication des fûts de tambour, et qui les fait bourdonner de façon si particulière. De jeunes plants ont récemment été découverts à Bujumbura et le gouvernement voudrait engager des programmes de recherche pour assurer la pérennité de cette essence. Et, avec elle, le savoir-faire et l’art des tambourinaires. l isy PerPétue KiMana
Code et CadenCes a tradition ingoma obéit à des rythmes et à des gestes très codifiés. Le tambour ne peut être battu – ni même touché – que par des hommes, avec deux baguettes (imirisho en kirundi). Chaque groupe compte au moins 9 à 11 tambourinaires, toujours en nombre impair, dont un enfant ou un adolescent, afin de perpétuer le savoir ingoma. Ils jouent pieds nus et disposés en arc de cercle autour d’un tambour central (inkiránya), qui donne la cadence. La danse rituelle au tambour royal (umurisho w’íngoma), à laquelle peuvent participer des femmes, associe le battement des tambours à de la poésie héroïque, des chants traditionnels et des chorégraphies, individuelles ou collectives, utilisant des gestes précis et des figures parfois acrobatiques. Les tambours rejoignent et quittent le lieu de la danse sur la tête des percussionnistes, posés sur un coussin. Une fois le spectacle commencé, certains sont battus sur un rythme continu, tandis que les autres suivent la cadence jeune afrique
Kennan Ward
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p Leur instrument sur la tête, les percussionnistes rejoignent le lieu de la danse.
ordonnée par le tambour central, duquel s’approchent ensuite alternativement les tambourinaires, seuls ou par groupe de deux ou trois, pour exécuter leur danse au rythme du groupe. Ces chorégraphies spectaculaires et pleines de rigueur, le son puissant et le rythme impétueux des percussions (qui sont censés réveiller les esprits des ancêtres et
chasser les esprits maléfiques) soudent la communauté. La danse rituelle au tambour royal se pratique aujourd’hui dans toutes les communes du pays, dans les écoles et les établissements d’enseignement supérieur. Les groupes célèbres se rencontrent surtout dans le centre du pays, en particulier près des sanctuaires de
Gishora, Mugera, Higiro et Makébuko. L’État organise régulièrement des concours de danse, pendant lesquels sont sélectionnés les meilleurs groupes de tambourinaires, ceux qui participent aux célébrations et manifestations culturelles organisées dans le pays et sont envoyés aux quatre coins du monde pour le représenter. l CéCile ManCiaux n o 2831 • du 12 au 18 avril 2015
R É P UBLIQUE DU B URUNDI
PORTRAIT
Pierre Nkurunziza, rebelle devenu homme d’État Témoin et acteur des décennies de crises qui ont ravagé la société burundaise, il a su convaincre ses hommes de négocier la paix et transformer ses troupes en un puissant parti politique.
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ncien chef rebelle issu de la communauté hutue, Pierre Nkurunziza est président de la République du Burundi depuis le 26 août 2005. Très populaire, plus particulièrement auprès des populations rurales, il a transformé le pays et suscité des espoirs de paix inédits dans le cœur de ses compatriotes. Sportif, passionné de football, fervent chrétien, il est à l’aise aussi bien dans son costume de Président qu’en tenue d’ouvrier, travaillant aux champs ou préparant du ciment. À la veille des élections qui se tiendront de mai à août prochains, il fait face à une fronde sans précédent. Sans prendre parti mais en souhaitant que ce soit l’apaisement qui l’emporte – à peine sorti des tourments, le Burundi mérite bien des années supplémentaires de paix et de progrès – nous avons choisi de rappeler le parcours de ce jeune leader. Une manière, aussi, d’évoquer les tragédies que connaît ce petit pays de l’Afrique des Grands Lacs depuis son accession à l’indépendance, le 1er juillet 1962.
PUBLI-INFORMATION
Les massacres de 1972 Né le 18 décembre 1964 à Ngozi, dans le nord du Burundi, Pierre Nkurunziza a huit ans lorsqu’éclatent les massacres de 1972. Il est issu de l’ethnie hutue, majoritaire dans la population. Cette année-là, le régime du capitaine Micombero procède à l’élimination systématique de tout ce qui représente une forme de réussite sociale et appartient à l’ethnie hutue. Selon certaines sources, il réagit à l’attaque de rebelles hutus qui avait massacré des Tutsis dans le Sud. Quoiqu’il en soit, la période se solde par plusieurs dizaines de milliers de morts, dont le père de Nkurunziza, Eustache Ngabisha, élu membre du parlement
en 1965 et devenu plus tard gouverneur de province. La mère de Nkurunziza, qui est tutsie, ne choisit pas l’exil. Elle reste au Burundi pour éduquer ses sept enfants, dont Pierre est l’aîné. Après ses études secondaires, celui-ci se présente à l’Institut supérieur des cadres militaires (ISCAM). Sa candidature est rejetée. Les Tutsis dominent l’armée comme l’administration et la discrimination ethnique bat son plein. Pierre s’inscrit alors à l’université du Burundi, en faculté d’éducation physique et sportive. Licence en poche, il devient enseignant à cette même université, métier qu’il combine avec celui d’entraîneur d’équipes de football de la capitale. En 1976, Micombero est chassé du pouvoir par son cousin, le colonel Jean Baptiste Bagaza. En 1987, Bagaza sera lui-même renversé par un des ses cousins, le major Pierre Buyoya…
1993 : le pays sombre dans le chaos Octobre 1993. Vingt années viennent de s’écouler, marquées de troubles et de coups d’État. Mais là, le Burundi sombre dans le chaos. Le président Melchior Ndadaye, élu démocratiquement cinq mois auparavant, est assassiné par l’armée. De terribles massacres s’ensuivent. Des régions entières connaissent la purification ethnique. Hutu ou Tutsi, plus personne n’échappe au lynchage. Avec l’aide de la communauté internationale, les politiciens tentent de restaurer la légalité issue des urnes. Cyprien Ntaryamira assure l’intérim du président assassiné. Mais il disparaît le 6 avril 1994 dans l’attentat contre l’avion du président rwandais, Juvénal Habyarimana. Les rivalités entre les deux communautés s’amplifient. Les agissements de leurs milices se radicalisent et s’étendent jusqu’à Bujumbura. L’assemblée nationale parvient à élire un président de la République, Sylvestre Ntibantunganya, qui forme un gouvernement de crise. Mais l’insécurité devient un casse-tête…
© D.R.
En 1998, Léonard Nyangoma est destitué de la direction du mouvement armé et remplacé par le colonel Jean Bosco Ndayikengurukiye. Les combats font rage. Ni les forces armées burundaises, ni la rébellion du CNDD-FDD, ni d’autres rébellions hutues, personne ne peut espérer gagner la guerre. Avec l’appui de l’organisation italienne San Egidio, le président Buyoya parvient à signer des accords de paix avec certains mouvements rebelles. Mais les morts et les dégâts ont semé la désolation dans le pays. Sur intervention de la communauté internationale, des négociations directes sont engagées entre le gouvernement de Bujumbura et les mouvements rebelles. Elles se déroulent à Arusha sous la médiation de Julius Nyerere, le père de la nation tanzanienne. La rébellion du CNDD-FDD, qui les boude, n’est pas signataire des Accords d’Arusha (28 août 2000).
Sportif et passionné de football, il a été entraîneur de plusieurs clubs de la capitale.
2003 : la rébellion devient force politique En 2001, Pierre Nkurunziza, grièvement blessé, est laissé pour mort par ses compagnons, non loin de la frontière avec la Tanzanie. Quatre mois plus tard, aidé et nourri par la population des environs, il reprend les combats et remplace Jean Bosco Ndayikengurukiye à la tête du CNDD-FDD. Il engage le mouvement dans les négociations en vue d’un cessez-le-feu qui est signé à Pretoria le 16 novembre 2003. Le CNDD-FDD fait son entrée dans les institutions de transition issues des accords d’Arusha. Nkurunziza devient Ministre d’État, chargé de la Bonne gouvernance. Son mouvement se transforme en parti politique. Lors des élections de 2005, il est élu député de la circonscription de Ngozi. En cette qualité, il est présenté par son parti comme candidat à la présidence de la République. Candidat unique et fort de la majorité écrasante de son parti au parlement, il prête serment le 26 août 2005. En 2010, fait historique, il est le premier président élu démocratiquement qui ait terminé un mandat sans être assassiné ! Il sollicite les suffrages du peuple et obtient un score stalinien, l’opposition ayant boycotté le scrutin, qui est par ailleurs validé par les observateurs de la communauté internationale. Depuis 2005, l’action du président Nkurunziza lui a valu bien des distinctions sur la scène internationale. Citons le prix de Commandant du soldat de la paix, décerné à Paris en 2014 par l’Association internationale des soldats de la paix ; le Prix pour la paix, attribué par l’ONG Accord à Durban en 2006 ; le prix Oscar Pacis de l’association Assise Pax International ; le Prix pour la paix (2009, par la Commission des Nations unies pour la consolidation de la paix au Burundi) ; le Crans Montana (Rabat, juin 2014) ou encore Doctor Honoris Causa de The Latin University of Theology de Californie. ■
Pierre Nkurunziza, président de la République du Burundi.
Il est aussi à l’aise dans son costume de président qu’en tenue d’ouvrier.
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En 1995, Pierre Nkurunziza échappe à une tentative d’assassinat au moment où il se rend à l’université pour dispenser ses cours. Il décide de rejoindre la rébellion hutue, commandée par Léonard Nyangoma, ministre déserteur du gouvernement de Ntibantunganya. Elle est à l’origine du Conseil national pour la défense de la démocratie et des Forces de défense de la démocratie, qui forme aujourd’hui le CNDD/FDD. En 1996, l’armée burundaise limoge le président Ntibantunganya, sans effusion de sang. Elle installe Pierre Buyoya aux commandes de l’État. Ce militaire démantèle les milices tutsies et c’est l’armée qui engage une guerre sans merci avec la rébellion hutue.
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1996-1998 : la guerre civile