maroc la chute des golden boys
numéro double en vente deux semaines
N° 2833-2834 • du 26 avril au 9 mai 2015
jeuneafrique.com
Hebdomadaire international indépendant • 55e année
LE PLUS
de Jeune Afrique
CAMEROUN
Mobilisation
générale Spécial
SÉNÉGaL macky face au casse-tête du mandat
mÉdiaS être caricaturiste en afrique
doSSier empLoi et formatioN Spécial 12 pages
20
pages
JEUNE AFRIQUE
N O 2833-2834 • DU 26 AVRIL AU 9 MAI 2015
EnquêtE
ExCLusivE
Les Corses Grandeur et décadence d’une tribu au cœur de la françafrique édition générale France 6 € • Algérie 350 DA • Allemagne 8 € • Autriche 8 € • Belgique 6 € • Canada 11,90 $ CAN • Côte d’Ivoire 2500 FCFA • DOM 8 € Espagne 7,20 € Éthiopie 95 birrs • Grèce 8 € Italie 7,20 € • Maroc 40 DH • Mauritanie 2000 MRO • Norvège 75 NK • Pays-Bas 7,20 € • Portugal cont. 7,20 € RD Congo 11 $ US • Royaume-Uni 6 £ • Suisse 11,80 FS • Tunisie 6 DT • USA 13 $ US • Zone CFA 3200 F CFA • ISSN 1950-1285
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Dossier
Emploi & formation
RESSOURCES HUMAINES
Aux petits soins
IntervIew
Matthew Gribble Directeur
Afrique et Moyen-Orient de PageGroup
reportage
Au Maroc, une fac pas comme les autres
portraIt
Moustapha Guirassy
Fondateur de l’IAM de Dakar
pour les salariés Concurrence oblige, les entreprises africaines ont enfin compris l’intérêt de choyer leurs employés. Formation, couverture santé, plan de carrière… Rien n’est trop beau pour attirer – puis garder – l’oiseau rare.
L
JuliEN ClÉmENçot
e vent du changement tant annoncé souffle-t-il enfin sur les entreprises africaines? Depuis plusieurs années, consultants et experts en ressources humaines (RH) avaient beau défendre une vision moderne de la gestion des compétences et des carrières, peu de dirigeants avaient intégré cette dimension à leurs préoccupations. Mais aujourd’hui, l’arrivée de nouveaux concurrents sur le continent, les attentes des jeunes diplômés et des cadres expérimentés recrutés au sein des diasporas tendent à bouleverser les pratiques établies. « Depuis environ deux ans, on constate que les candidats sont plus exigeants, notamment quant aux opportunités de carrière qui s’offriront à eux une fois embauchés. Certains n’hésitent plus à demander si leur progression peut les mener jusqu’à des postes de direction », constate Dienaba Sarr, du cabinet de recrutement Fed Africa.
t Karim Bernoussi, le PDG d’Intelcia, à Casablanca, organise une fois par mois un « café matin » au cours duquel il rencontre une vingtaine de salariés tirés au sort.
AlexAndre dUPeYrOn POUr J.A.
ÉCHANGES. Formation, évolution de carrière… Les multinationales
ont joué dans ces domaines un rôle d’éclaireur, appliquant en Afrique des pratiques déjà en vigueur sur des marchés plus matures. Dès 2007, Orange a par exemple mis en place un programme d’échanges de talents qui permet chaque année à plus d’une quinzaine de salariés de l’opérateur d’aller s’aguerrir, pendant six à dix-huit mois, dans une autre filiale que orange la leur. Très attaché à l’interculturalité, sans a permis doute pour atténuer l’image d’un groupe à certains franco-français mais aussi pour améliorer la pertinence de ses offres, Orange a égalede ses cadres ment permis à un certain nombre de cadres africains africains, notamment en provenance de de rejoindre Sonatel, safiliale sénégalaise,de rejoindre ses équipes parisiennes chargées du continent, ses équipes pour des durées plus longues, afin d’occuper parisiennes. les postes de directeur de la communication ou de directeur du marketing. Autre précurseur dans le domaine des RH au sud de la Méditerranée, Sogea Satom, filiale du groupe de BTP français Vinci, a développé depuis près de dix ans des relations étroites avec les écoles techniques africaines. Aujourd’hui l’entreprise, présente dans 20 pays du continent, revendique 60 % d’Africains parmi ses cadres. Pour poursuivre dans cette voie, Cheikh Daff, son DRH, prévoit l’ouverture dans quelques mois d’un campus Sogea Satom au Maroc. « L’enjeu est de renforcer la culture d’entreprise de nos collaborateurs, de créer un socle de n O 2833-2834 • dU 26 Avril AU 9 mAi 2015
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Dossier Emploi & formation connaissances communes et de fidéliser les plus talentueux en leur permettant d’intégrer des parcours de formation d’excellence. La formation est donc un vrai outil managérial », explique-t-il. En 2015, Sogea Satom offre aussi pour la première fois une couverture santé à ses collaborateurs – d’abord en test dans cinq pays –, en partenariat avec des assureurs locaux. L’objectif est de couvrir d’ici à 2017 l’ensemble des pays où la société est implantée. TRANSPARENCE. Pour accompagner ces projets, les entreprises africaines et les filiales des multinationales commencent à investir dans de véritables postes de responsables des ressources humaines, débarrassés des attributions purement administratives. Ces recrues doivent désormais développer les entretiens individuels, cartographier les compétences, réaliser des enquêtes de rémunération, piloter les plans de formation et superviser les recrutements. Rattachées à la direction générale, elles participent à la « conduite du changement concernant l’ensemble de la politique RH » et deviennent de « vrai[s] partenaire[s] des managers opérationnels»,commelerappelleuneoffrepubliée début avril sur le site de Michael Page Africa. Karim Bernoussi, PDG d’Intelcia, l’un des leaders marocains de la relation client, fait partie de ces dirigeants convaincus qu’innover est essentiel en matière de management. « Normal, je suis un ancien DRH », explique cet ingénieur sensibilisé à la question lors de son passage au sein du ministère de la Pêche maritime, à la fin des années 1990. Également très marqué par son expérience au sein de Microsoft, qu’il dirigea au Maroc de 2000 à 2005, il entend incarner cette volonté de changement à travers une approche fondée sur la proximité et la transparence. Dans un pays encore très attaché au respect de la hiérarchie, la démarche détonne. « Notre matière première, ce sont les ressources humaines. C’est ce qui peut nous différencier de nos compétiteurs », justifie Bernoussi. Une fois par mois, il participe à une réunion informelle appelée « café matin » et y rencontre une vingtaine de salariés tirés au sort pour discuter librement d’une ou de deux thématiques liées aux conditions de travail. « Pour
Au Maroc, Webhelp propose depuis 2007 des places en crèche pour les enfants de ses salariés.
REPéRER lES hAuTS POTENTIElS
P
our passer un nouveau cap dans la gestion de leurs ressources humaines, les entreprises doivent mieux cartographier les compétences au sein de leurs équipes. « L’objectif est d’identifier les salariés à haut potentiel pour ensuite faire en sorte qu’ils ne quittent pas l’entreprise », explique Abdoulaye Binate, DRH de Banque atlantique.
n o 2833-2834 • du 26 avril au 9 mai 2015
Dans ce domaine, la plupart des sociétés subsahariennes ont beaucoup de progrès à faire, reconnaît-il. Au-delà de l’existence d’entretiens individuels, il s’agit surtout de mieux exploiter les informations qualitatives que ces derniers permettent de recueillir pour adapter les plans de formation et les parcours de J.C. carrière. l
éviter qu’ils ne se censurent, leurs responsables hiérarchiques ne sont pas présents. Ils soulèvent des problèmes pratiques, comme l’organisation des navettes. Ensuite, nous faisons un compte rendu et prenons les mesures correctives qui s’imposent », explique-t-il. Pour ne pas perdre le contact avec ses salariés, le patron d’Intelcia a aussi créé une boîte aux lettres électronique grâce à laquelle ils peuvent l’interpeller en toute confidentialité. « Notre métier est jeune, donc nos managers le sont aussi. Ce système permet de sécuriser tout le monde en ne laissant pas les situations se dégrader », estime Bernoussi, qui loue la maturité de ses salariés : « Ils font un usage très modéré de cette boîte aux lettres. Je reçois trois ou quatre e-mails par mois. » Intelcia n’est pas le seul spécialiste des centres d’appels à miser sur de nouveaux dispositifs sociaux au Maroc. Son rival Webhelp propose depuis 2007 des places en crèche pour les enfants de ses salariés. Dans un secteur où les femmes représentent plus de la moitié des salariés, l’argument fait mouche. ROTATION. Ce changement d’époque s’observe
aussi dans les entreprises subsahariennes, comme en témoigne l’attention portée à la pénibilité du travail, y compris dans des milieux réputés pour leur dureté, comme l’agro-industrie. « Nous avons parmi nos clients un groupe ouest-africain qui a mis en place une rotation de postes permettant aux salariés des plantations de changer d’affectation pour limiter la survenue de maladies professionnelles », illustre Dienaba Sarr. Même le monde des banques, très réglementé et donc plutôt conservateur, est poussé à évoluer. Les salariés des établissements financiers ne sont pourtant pas les plus à plaindre. Au sein de l’UEMOA, un accord de branche leur assure quatorze mois de salaire et une retraite par capitalisation au travers d’un fonds de pension. Mais, engagées dans une guerre des talents, beaucoup de banques éprouvent le besoin de fidéliser leurs meilleurs éléments. « À chaque fois qu’un nouveau concurrent s’installe dans un pays, il recrute parmi les salariés des leaders du marché », explique Abdoulaye Binate, DRH de Banque atlantique. Pour se démarquer, le réseau bancaire ouest-africain a lancé une réflexion afin de mieux tirer profit des avantages que peut lui offrir sa maison mère, le marocain Banque populaire. Parmi les pistes étudiées: la possibilité de créer des passerelles pour poursuivre une carrière au Maroc ou, plus prosaïquement, de profiter des centres de vacances de Banque populaire. Dans cette course à l’attractivité, des entreprises africaines n’hésitent pas à offrir à leurs futurs cadres supérieurs des avantages plus intéressants que ceux proposés par les multinationales. Par exemple en les faisant voyager avec leur famille en business class quand, crise et pression sociale obligent, les géants européens proposent très souvent des billets en classe éco. Décidément, l’Afrique c’est chic. l jeune afrique
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étude
L’esprit d’entreprise, du rêve à la réalité En Afrique plus qu’ailleurs, les patrons ont la cote. Normal, créer sa société est souvent le seul moyen de décrocher un emploi. Mais rarement de faire fortune…
S
i en France les patrons ont parfois le sentiment d’être pris pour des « pigeons », malmenés par la presse et mal-aimés par leurs concitoyens, en Afrique la donne est bien différente. Selon le « Rapport mondial sur l’entrepreneuriat » (lire encadré) concernant 73 pays, dont l’Angola, le Botswana, le Cameroun, le Burkina Faso et l’Afrique du Sud en 2014, les Africains seraient, toutes régions confondues, ceux qui ont la meilleure opinion des chefs d’entreprise. Créer sa société est vu « comme un bon choix de carrière dans la plupart des économies africaines passées au crible, contrairement à ce que l’on observe en Europe », notent les auteurs de l’étude, qui constatent un intérêt marqué des médias locaux pour les success-stories entrepreneuriales. Naturellement, c’est aussi en Afrique que le taux de « jeunes » entrepreneurs, c’est-à-dire les adultes de 18 à 64 ans sur le point de démarrer ou gérant leur entreprise depuis moins de trois ans et demi, est le plus élevé. Il est de 37,4 % au Cameroun, de 35,5 % en Ouganda et de 32,8 % au Botswana. Dans les pays examinés par l’étude, seul l’Équateur (32,6 %) fait aussi bien.
À titre de comparaison, ce taux est de 7,8 % dans l’Union européenne. Il apparaît donc clairement qu’en Afrique le manque de débouchés dans le secteur formel pousse un certain nombre d’individus à se lancer. Si les hommes sont plus nombreux, l’écart entre les deux sexes est proportionnellement moins grand que dans les autres régions. PESSIMISME. L’Afrique est l’es-
pace géographique où la crainte de l’échec est le moins présente. Néanmoins, les jeunes patrons africains savent que le décollage de leur affaire risque d’être difficile. Seuls 6,8 % pensent être en mesure de créer plus de 20 emplois dans les cinq ans. Difficile de trouver plus pessimiste, sauf à mettre le
73 PayS PaSSéS au CrIblE Pour sa seizième édition, le « rapport mondial sur l’entrepreneuriat » (« Global entrepreneurship monitor », Gem) a compilé les résultats de 206000 entretiens jeune afrique
individuels menés dans 73 pays, mettant à profit les connaissances de plus de 500 experts. L’ensemble des territoires pris en compte représente 90 % du PiB mondial et 72,4 % de la population globale. Lancé
en 1999 par la London Business school et le Babson College (étatsunis), le Gem est la plus importante étude menée dans le monde sur ce thème. son budget s’élève à plus de 8 millions d’euros. l J.C.
cap sur l’Amérique latine et les Caraïbes. Peu pensent aussi innover en proposant des produits ou des services nouveaux pour leurs clients, et, bien que les économies soient peu matures, une grande partie d’entre eux (environ 40 %) s’attendent à faire face à une solide concurrence. D’une certaine manière, le rapport met en évidence le déficit d’intégration économique au niveau panafricain. L’immense majorité des patrons qui démarrent ou vont démarrer leur activité n’imagine pas se développer à l’étranger. Pourquoi les Africains ne font-ils pas montre de plus d’ambition ? Sans surprise, l’environnement économique – le cadre législatif et réglementaire, la faiblesse des infrastructures, le manque d’éducation – joue un rôle majeur. Les difficultés d’accès aux financements demeurent en outre une des premières causes, avec l’absence de profit, de la cessation d’activité des entreprises. Être patron en Afrique ne garantit en rien de confortables revenus. Souvent, constatent les auteurs de l’étude, cela n’offre même pas les moyens d’une subsistance durable. l JulIEn CléMEnçot n o 2833-2834 • du 26 avril au 9 mai 2015
Dossier Emploi & formation interview
Matthew Gribble
Directeur Afrique et Moyen-Orient de PageGroup
« Les groupes locaux sont de plus en plus exigeants vis-à-vis de leurs dirigeants » Spécialisé dans le recrutement de managers, le cabinet britannique PageGroup se réorganise en afrique. Objectif : satisfaire les besoins, toujours plus élevés, des entreprises du continent.
e
n Afrique, 2014 a été une année de profond changement pour le britannique PageGroup (anciennement Michael Page) : le cabinet de recrutement de managers a unifié le pilotage de l’ensemble de ses activités sur le continent. Basé à Dubaï, Matthew Gribble supervise désormais, en plus de Johannesburg, les bureaux de Paris et Casablanca. Pour J.A., le nouveau patron Afrique et MoyenOrient de PageGroup présente sa stratégie pour les années à venir et décrypte les évolutions du marché. jeune afrique: Depuis novembre, vous dirigez l’ensemble des activités africaines de PageGroup. auparavant, l’afrique francophone était pilotée depuis Paris. Pourquoi ce changement ? MattHew GriBBLe : C’est une
manière de mieux définir les responsabilités des différents bureaux. Doté de 14 collaborateurs, celui de Casablanca consacre l’essentiel de son temps au Maghreb. Celui de Paris, où nous avons une dizaine de collaborateurs, se concentre sur l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. Johannesburg, dont le bureau compte 40 salariés, couvre le reste de l’Afrique subsaharienne, et notamment l’Afrique de l’est. Pour compléter ce dispositif, nous sommes en train de créer une petite équipe à Dubaï et nous cherchons à développer davantage de synergies avec notre bureau de Londres. Développer l’activité africaine à Londres, c’est une nouveauté ?
Nous le faisions déjà. C’est la fréquence et l’intensité des échanges qui changent. La forte présence du n o 2833-2834 • du 26 avril au 9 mai 2015
groupe sur le marché britannique est un argument pour mieux faire connaître les services que nous offrons en Afrique. Cela traduit-il des ambitions au nigeria ?
Le Nigeria est évidemment un pays à fort potentiel, et Londres est une place importante pour l’industrie pétrolière. Mais cela va au-delà. Cela illustre notre volonté de développer l’ensemble de nos activités sur le continent. allez-vous ouvrir de nouveaux bureaux en afrique ?
C’est une possibilité que nous envisageons. Lagos, Nairobi et Le Caire constituent les objectifs les plus évidents, que nous continuons d’étudier.
Jacques Torregano/The ceo Forum/J.a.
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quelle est l’importance de l’afrique pour PageGroup ?
C’est une petite partie de notre activité, mais elle offre une rentabilité identique à la moyenne du groupe. Nous avons des milliers de concurrents sur ce marché, mais très peu d’entre eux offrent les mêmes services, que ce soit en matière de couverture géographique ou de qualité de processus de recrutement. C’est la force d’un groupe qui est présent dans 36 pays à travers le monde. Nous investissons beaucoup pour avoir cette présence globale. Cela correspond à une demande des multinationales, notamment sur les marchés émergents. et encore plus en Afrique qu’ailleurs. La chute des matières premières influe-t-elle sur votre niveau d’activité ?
Ces dernières années, de manière assez évidente, le secteur des mines a moins recruté. Depuis six mois, avec la baisse du prix du baril, nous observons la même chose pour les entreprises pétrolières. Mais les sociétés des secteurs des biens de consommation, de l’éducation, de la santé, des infrastructures, du transport, de la banque et de l’assurance voient quant à elles leurs besoins augmenter. en 2014, nous avons connu une croissance soutenue, supérieure à 10 %. Les chiffres sont confidentiels, mais ce fut une année record pour nos bureaux de Casablanca et de Johannesburg. Notre effort porte maintenant sur jeune afrique
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le développement d’une approche panafricaine. Les multinationales constituentelles encore la majorité de vos clients ?
Non, ce n’est plus le cas. Les groupes locaux sont de plus en plus exigeants vis-à-vis de leurs dirigeants et sont donc plus attentifs à la qualité du recrutement. La moitié des 1 000 recrutements que nous avons faits l’an dernier, c’était pour des entreprises africaines. Multinationales et entreprises locales recrutent-elles de la même façon ?
Comme les multinationales, les entreprises africaines recherchent maintenant des collaborateurs qui sont au fait des meilleures pratiques à l’échelle mondiale. La différence intervient surtout au niveau
des procédures de recrutement. Pour les groupes locaux, le processus de décision est encore très centralisé. Même pour le management intermédiaire, il n’est pas rare que le directeur général procède aux derniers entretiens de sélection. Les meilleurs profils sont-ils encore dans les diasporas ?
Pas nécessairement. Toutefois, pour les postes qui réclament une grande technicité, avec une expérience dans une multinationale, les réservoirs de candidats restent localement limités. Nous plaidons auprès des clients pour étendre la recherche à l’ensemble du continent, en y ajoutant les marchés internationaux si nécessaire. Y a-t-il au sein des entreprises une préférence pour les candidats résidant hors d’Afrique ?
en bref Présent dans
36 pays CA 2014 :
1,3
milliard d’euros
Coté à la Bourse de Londres
C’est variable. Certaines entreprises se focalisent sur l’expérience internationale, quand d’autres considèrent qu’il est plus important de recruter une personne qui a une réelle connaissance du marché local. Arrivez-vous à travailler dans les pays qui imposent une préférence nationale pour le recrutement ?
Cela n’empêche pas l’embauche d’étrangers, si vous apportez la preuve que vous ne pouvez pas trouver localement les profils recherchés. La seule condition est d’organiser ensuite le transfert de compétences vers des collaborateurs locaux. Les pays africains ne sont pas les seuls à recourir à ces politiques, c’est aussi le cas des États du Golfe. Il y a pourtant beaucoup d’étrangers qui y travaillent. l Propos recueillis à Genève par JuLien CLéMençot
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&
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Dossier Emploi & formation REPORTAGE
Au Maroc, une fac pas comme les autres Un campus niché dans le Moyen Atlas, un enseignement dispensé en anglais, un statut public mais une gestion autonome… Organisée selon le modèle américain, l’université Al Akhawayn est unique en son genre.
n
ous sommes le 19 décembre 1989, le Maroc vit l’une des crises écologiques les plus graves de son histoire. Le pétrolier iranien Kharg-5 explose dans l’Atlantique, à 200 km au large de Safi. Plus de 70 000 tonnes de brut se déversent dans les eaux du royaume. Pour venir à bout de cette marée noire, la coopération internationale s’organise. Des experts américains, britanniques, français, espagnols, néerlandais sont dépêchéspouraideràdépolluerlescôtes marocaines. Le roi Fahd d’Arabie saoudite, grand ami de Hassan II, participe aussi à l’effort international et envoie un chèque de 50 millions de dollars. Finalement, la catastrophe tant redoutée est évitée de justesse grâce à des vents cléments qui repoussent la marée noire vers le large. Le roi souffle, mais se retrouve avec un don saoudien sur les bras. Celui-ci servira à la réalisation d’un projet remontant aux années 1970 et auquel il tenait particulièrement: la création d’une université américaine au Maroc. Ce sera l’université Al Akhawayn, dont le nom – « les deux frères » – fait référence aux monarques marocain et saoudien. FORÊT DE CÈDRES. Au début, la
ville candidate était Tanger, du fait notamment de sa proximité avec l’Europe. Mais vingt ans plus tard, le choix se porte sur Ifrane. nichée au cœur du Moyen Atlas, à 1 700 m d’altitude, cette ville de 30 000 habitants est surnommée « la petite Suisse du Maroc » pour son climat, sa propreté et son urbanisme à l’européenne. Une architecture pensée en 1928 par Eirik Labonne, secrétaire général n o 2833-2834 • du 26 avril au 9 mai 2015
du protectorat français au Maroc, qui voulait en faire un centre de villégiature estivale pour les colons. Après l’indépendance, Ifrane sera l’une des destinations préférées de Hassan II, qui y construira un très beau château… avant de décider d’installer son université américaine au milieu de la forêt de cèdres. Créée par dahir royal en 1993, elle sera inaugurée en janvier 1995 par Hassan II en présence de grandes personnalités politiques et économiques, dont Abdallah d’Arabie saoudite, alors prince héritier, et Yasser Arafat. Elle jouit depuis d’un statut spécial, unique au Maroc. Le roi voulait quelque chose de différent, de nouveau. Si la langue de l’enseignement dans toutes les universités du royaume est le français,pourAlAkhawayn,ceseral’anglais. Mais ce n’est pas tout: « nous avons opté dès le départ pour un système résidentiel, à l’américaine, avec un enseignement très large organisé en semestres, explique Sa Driss Ouaouicha, le président de devise l’université. notre modèle assure en même temps une formation « Commencez générale et un enseignement ici. Allez partout pointu dans des spécialités telles que l’ingénierie informatique, les énergies renouvelables, le management, les sciences humaines ou encore les relations internationales. » « La spécificité d’Al Akhawayn, c’est l’ouverture à tous les domaines, complète Rhizlane Hammoud, professeure de comptabilité et de microéconomie. Par exemple, un étudiant de notre School of Business Administration doit suivre en parallèle des matières distinctes de sa spécialité, comme l’histoire, la littérature, la géopolitique, les sciences sociales… »
»
Le professeur Eric Ross, venu du Canada en 1997 pour enseigner sa matière de spécialité – la géographie en Afrique subsaharienne musulmane –, confirme : « J’ai eu des étudiants en géographie qui travaillent aujourd’hui dans la banque. notre mission, c’est de sortir des profils qui maîtrisent leur domaine de spécialité, mais qui sont ouverts à toutes les disciplines, qui ont une culture générale assez poussée pour pouvoir s’adapter au monde d’aujourd’hui. » ÉLÈVES PRINCIERS. Ce modèle avant-gardiste n’a pas manqué de séduire la bourgeoisie et la classe moyenne supérieure. Les étudiants des premières promotions sont pratiquement tous des fils de notables, d’hommes d’affaires, de personnalités politiques, voire de la famille royale. Le plus célèbre d’entre eux n’est autre que le prince Moulay Ismaïl, cousin du roi Mohammed VI et frère du fameux prince rouge, Moulay Hicham. « nous avons reçu ici plusieurs princes, dont Moulay jeune afrique
moHamed driSSi Kamili
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Driss, fils de Lalla Meryem [sœur de Mohammed VI], et le petit-fils de Lalla Aïcha [sœur de Hassan II] », confie Driss Ouaouicha. Des étudiants au sang royal qui ont côtoyé les fils du « peuple » sur le campus, au restaurant universitaire, sans traitement différencié. « C’est une occasion pour eux de se sentir à l’aise, d’être eux-mêmes, assure le président de l’université. Inversement, côtoyer des princes est aussi une expérience enrichissante pour nos étudiants. » La gestion et le mode de gouvernance d’Al Akhawayn sont aussi uniques en leur genre. Université publique selon ses statuts fondateurs, elle est gérée comme une affaire privée, mais sans la moindre obligation de résultats financiers. « Al Akhawayn est une université à but non lucratif, précise Driss Ouaouicha. Notre objectif à la fin de l’année est d’équilibrer nos comptes. On n’a pas d’actionnaires à qui on doit distribuer des dividendes, ce qui nous permet de nous concentrer sur l’essentiel : la formation. » jeune afrique
Nommé par le roi, le président de l’université rend compte directement à un conseil administration présidé par un chancelier, Abdellatif Jouahri (gouverneur de Bank Al-Maghrib), et composé de 32 membres qui viennent d’horizons divers : conseillers royaux, ministres et hommes d’a f f a i re s, c o m m e Mi r i e m Bensalah Chaqroun, présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), Mohamed El Kettani (Attijariwafa Bank), Mostafa Terrab (groupe OCP), Abdeslam Ahizoune (Maroc Télécom) et Driss Benhima (Royal Air Maroc). « Ce conseil se réunit deux fois par an pour examiner la bonne marche de l’université et voter les décisions stratégiques soumises par le management. Ses membres sont un peu les garants du devenir de l’université et ne touchent pour cela aucun jeton de présence », note Driss Ouaouicha. BOURSES DE MÉRITE. Dotée d’un
budget annuel de 200 millions de dirhams (près de 19 millions
p Inaugurée en 1995, l’institution accueille 2130 étudiants, dont 640 boursiers.
d’euros), l’université parvient à boucler son budget sans forcément faire appel aux subventions publiques. Et ce malgré un déficit de 25 000 dirhams accusé sur chaque étudiant. « Pour sa formation, sa résidence et sa restauration, un étudiant nous coûte 130 000 dirhams, alors que l’année est facturée 105 000 dirhams. Ce déficit est comblé par les autres activités de l’université, comme la formation continue des cadres et la location de nos bâtiments pour des conférences ou des événements sportifs », explique le président. Toutefois, l’État verse chaque année 25 millions de dirhams à l’université, réservés aux bourses de mérite et aux aides financières allouées aux étudiants des classes défavorisées. « Sur les 2 130 étudiants de l’université, nous comptons actuellement 640 boursiers, et ce grâce à cette contribution étatique », précise Driss Ouaouicha. L’excellence n’est pas l’apanage des princes… l MEhDI MIchBal, envoyé spécial à Ifrane n o 2833-2834 • du 26 avril au 9 mai 2015
Dossier Emploi & formation PORTRAIT
Moustapha Guirassy, ouvert à tout Enseignant, entrepreneur, homme politique… Le fondateur de l’Institut africain de management, à Dakar, ne s’interdit rien. Pas même de s’allier à l’ISM, son concurrent historique.
Youri Lenquette pour J.A.
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p À la tête du mouvement Forces citoyennes solidaires du Sénégal, l’ancien maire de Kédougou n’exclut pas de se porter candidat à la prochaine élection présidentielle.
h
omme d’affaires, homme politique et homme de foi. De son propre aveu, Moustapha Mamba Guirassy, 50 ans, est un peu tout cela à la fois. Très religieux – au point de porter sur son front une marque de prosternation –, le fondateur de l’Institut africain de management (IAM), à Dakar, est même artiste à ses heures, comme le prouvent les tableaux signés de sa main sur les murs colorés de son école de commerce. De multiples facettes n o 2833-2834 • du 26 avril au 9 mai 2015
qui traduisent une seule ambition : « Il faut donner du sens », répète cet admirateur du Français Jacques Attali, ancien conseiller du président François Mitterrand et chantre du développement personnel. La formation intellectuelle de cet homme dont la famille est originaire de Kédougou, dans le sudest du Sénégal, est marquée par la découverte du Canada, au milieu des années 1980. Venu suivre des études d’ingénieur, il débarque dans un Québec à la culture très
anglo-saxonne et autonomiste. Une révélation : « Il y avait là-bas cette ouverture à l’autre, un encouragement à être soi. Je me souviens qu’on me disait que j’étais beau quand je venais en tenue traditionnelle. » De retour au Sénégal, il devient professeur de management et d’informatique appliquée à la gestion, pendant quatre ans. L’un de ses étudiants le met alors en relation avec un riche homme d’affaires sénégalais, qui cherche un directeur pour l’école d’enseignement supérieur qu’il est en train de créer. Ce sera un échec, mais aussi l’occasion pour Moustapha Guirassy de se découvrir une fibre entrepreneuriale. Seul et sans un franc CFA de financement, il décide de poursuivre dans cette voie en s’inspirant de l’approche pédagogique découverte au Canada. L’IAM, qui voit le jour en 1996, naît aussi d’une frustration : « Les formations qui existaient étaient encore calquées sur le modèle colonial, avec comme objectif de former les Africains pour aller dans l’administration ou pour servir les intérêts des entreprises étrangères, souvent tournées vers l’exportation, et non pas de produire pour développer les pays. » VISIONNAIRE. Vingt ans plus
tard, l’IAM s’enorgueillit de former quelque 3 500 élèves d’horizons divers (28 nationalités africaines) aux métiers des ressources humaines, de l’audit, de l’immobilier et de la communication. En plus de son campus principal, situé dans le quartier chic de Mermoz, l’institut compte plusieurs antennes au Sénégal, ainsi qu’à Ouagadougou et à Bamako. En 2014, il s’est hissé au deuxième rang des écoles de commerce sénégalaises dans le classement de Jeune Afrique. jeune afrique
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L’IAM s’attache à offrir une « éducation africaine au management », tout en évitant le « nombrilisme », précise son fondateur. « Avant, nous voulions former des leaders africains. Nous souhaitons maintenant forger des “global leaders”, et c’est un changement important : il ne faut pas s’enfermer sur l’Afrique, cela entraîne des dérives, des contre-performances », poursuit celui que ses collaborateurs, admiratifs, qualifient de « visionnaire ». « Nous avons des cultures, des valeurs, mais l’Afrique n’est pas le centre du monde. Le bon produit, la bonne démarche peuvent être chinois, français ou africains. » En plus des échanges à l’étranger, de nombreux cours sont dispensés en anglais depuis la rentrée 2014. La reconnaissance internationale de son école est l’une des obsessions de Moustapha Guirassy, comme en témoigne la conférence donnée récemment à l’IAM par Christine Lagarde, la directrice du FMI. L’établissement suit en outre un programme de mentorat pour décrocher le label Equis, qui récompense les meilleures écoles de commerce dans le monde. Sur quelque 150 structures labellisées, seules trois sont situées sur le continent (en Afrique du Sud et en Égypte). GUERRIERS. Pour faire naître
un HEC africain dans un milieu très concurrentiel, Moustapha Guirassy a franchi l’année dernière un pas décisif. L’IAM s’est allié à son grand rival dakarois,
l’Institut supérieur de management (ISM). Occupant la première place sénégalaise du classement Jeune Afrique, ce groupe compte, en plus d’une business school, un institut de droit, plusieurs lycées et une école d’ingénieurs. Entre l’IAM et l’ISM, la course aux meilleurs professeurs et aux événements les plus prestigieux a duré de longues années. « C’est la rencontre de deux guerriers qui se sont toujours affrontés et qui ont décidé de relever le défi ensemble », résume, l’œil brillant, ce passionné. Un partenariat idéal, car complémentaire: alors que Moustapha Guirassy est posé et réfléchi, Amadou Diaw se révèle un entrepreneur plus « agressif ». Et le patron de l’ISM d’abonder dans ce sens en citant les atouts des deux écoles : « L’IAM est mieux
« Il est piqué à la politique, mais l’école, c’est son bébé. Il ne la quittera jamais. » aMaDOU DIaw, président de l’ISM
implanté dans l’est du Sénégal, quand nous sommes plus présents dans l’ouest du pays. Et à l’étranger, l’IAM est très proche des universités canadiennes, tandis que nous sommes davantage liés aux facultés françaises et américaines. » Cette alliance stratégique se concrétisera dès la rentrée 2015, notamment par des modules communs et une mutualisation de la bibliothèque, des activités de recherche et des activités internationales. À l’horizon 2017, selon
LICENCE > Gestion
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MASTER 2
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Guirassy, ancien vice-président de l’Assemblée sénégalaise, Moustapha a lui aussi fait de la politique l’un de ses champs d’expression. Conseiller régional en 2002, député en 2007, puis maire de sa ville d’origine en 2009, il est finalement propulsé ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement la même année, fonction qu’il quittera en 2011. De cette période, il a conservé une profonde admiration pour l’exprésident Abdoulaye Wade, dont il continue de vanter la vision. À la tête du mouvement Forces citoyennes solidaires du Sénégal, Moustapha Guirassy, bien qu’il ait perdu la mairie de Kédougou en 2014, n’exclut pas de se porter candidat à la prochaine élection présidentielle. Au risque d’effrayer son nouveau partenaire ? Pas vraiment. « Guirassy est piqué à la politique, mais l’école, c’est son bébé. Il ne la quittera jamais », veut croire Amadou Diaw. l MaRION DOUET, envoyée spéciale à Dakar
UNE VARIÉTÉ DE DIPLÔMES D’ÉTAT EN E-LEARNING
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Moustapha Guirassy, les deux entités intégreront un même campus et se fonderont dans une identité commune: l’université Madiba. La référence sonne comme une évidence pour le patron de l’institut, où sont affichées des photographies de l’ancien président sud-africain. « Nelson Mandela avait toutes les cartes en main pour se venger, mais il s’est positionné à un autre niveau, celui de la sagesse, du dialogue et de la réconciliation », rappelle-t-il.
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Dossier Emploi & formation ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
Les patrons aux abonnés absents Rapprocher organismes de formation et entreprises. Sur le papier, l’idée est bonne. Mais, en pratique, de nombreux obstacles et une certaine indifférence du secteur privé rendent sa mise en œuvre difficile.
A
lors que les entreprises recherchent des cadres bien formés, l’enseignement supérieur privé a besoin, lui, de plus de moyens pour améliorer sa qualité de service. Seule solution, rapprocher les deux camps : financer un cursus permet à l’entreprise d’avoir un droit de regard sur les programmes de formation et d’identifier les profils dont elle a besoin dans un vivier de jeunes diplômés à haut potentiel. Sauf que ce n’est pas si simple. Directeur délégué de HEC Yaoundé Business School, Alain Youmbi déplore la trop faible participation des entreprises camerounaises à l’effort de formation de ses étudiants – les PME et TPE, qui constituent l’essentiel du tissu économique du pays, étant surtout tournées vers la création de richesses. Si elles prennent volontiers en charge les frais de scolarité de leurs cadres dans des programmesdeformationcontinue tels que les MBA, elles se montrent en revanche frileuses dès qu’il s’agit des étudiants du cycle bachelor. Ainsi, les chaînes de télévision locales rejettent systématiquement ses propositions d’échange de services: des cours gratuits pour leurs salariés, contre des stages pour ses étudiants. Il évoque aussi les
barrières parfois érigées par un personnel indélicat, qui monnaie toute éventuelle mise en relation avec la direction générale. Alain Youmbi mise donc sur le prestige de partenaires étrangers comme Sup de Co La Rochelle, en France, pour attirer les entreprises locales. Sans grand succès pour l’instant. Il se donne cinq ans pour bâtir une relation gagnant-gagnant avec les sociétés, petites ou grandes. PROCÉDURE. Parfois, ce sont
u À Casa, des entrepreneurs siègent au conseil scientifique et pédagogique de l’Esca École de management.
les lourdeurs administratives qui plombent le rapprochement entreprise-école. Ainsi en Tunisie, où la réglementation laisse très peu de liberté. Par exemple, une société prête à équiper un établissement en ordinateurs est soumise à une procédure si complexe qu’elle finit par y renoncer. Pour Elyès Jouini, vice-président de l’université Paris-Dauphine et à l’origine de Dauphine-Tunis, il faut laisser à chaque structure la possibilité d’identifier les partenariats qui lui conviennent le mieux et de faire évoluer librement ses programmes en les mettant en adéquation avec les besoins de l’entreprise. Néanmoins, la volonté d’impliquer le secteur privé dans la formation des jeunes cadres peut se traduire par des formules plus
« NOUs sOmmEs RaREmENt sOlliCitÉs » Si Protais Ayangma, directeur général de l’assureur Colina au Cameroun, reconnaît que les entreprises s’investissent peu aux côtés des écoles d’enseignement supérieur, il y voit deux raisons principales : « Premièrement, nous sommes rarement n o 2833-2834 • du 26 avril au 9 mai 2015
sollicités. Deuxièmement, personne ne nous consulte pour élaborer les programmes. Le système éducatif reste déconnecté des préoccupations des entreprises. » Et d’ajouter qu’il est très difficile pour le secteur privé d’identifier les bonnes écoles parmi toutes celles
qui ouvrent. Pour Célestin Tawamba, PDG du groupe pharmaceutique Cinpharm, cela tient aussi au manque d’intérêt de ses pairs pour les ressources humaines et le management. « Peutêtre qu’une incitation fiscale pourrait faire bouger les lignes », C.J.-Y. suggère-t-il. l
originalesqu’unfinancementdirect. Lorsqu’il crée l’Institut supérieur de management (ISM) de Dakar, au début des années 1990, Amadou Diaw, ancien cadre exécutif au sein d’une organisation patronale, obtient de dirigeants d’entreprises qu’ilsprennentenchargelesfrais de scolarité de ses premiers étudiants, dans le cadre d’un programme d’excellence. Il décide par la suite de s’inscrire dans une dynamique sociale et entrepreneuriale en convertissant l’ensemble de ses bénéfices en bourses. Une formule qui, à ce jour, a permis à quelque 2000 jeunes d’étudier gratuitement. Pour Amadou Diaw, c’est certes une avancée, mais un obstacle majeur subsiste : le nonreversement aux organismes d’enseignement des sommes prélevées par l’État sur les salaires (3 %) au titre de la formation. Une situation qui a pour conséquence de décourager les meilleures volontés. Ces dix dernières années, sous la pression des organisations patronales, une infime partie de cette somme, conservée pendant des décennies, a été redistribuée. L’ISM mise par ailleurs sur ses partenariats avec des entreprises, comme Société générale, pour renforcer les liens entre les étudiants et le secteur privé. Concrètement, plutôt qu’un financement direct jeune afrique
Hassan Ouazzani pOur J.a.
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de leurs études, la banque choisit d’accompagner un groupe d’élèves méritants dans leur démarche d’insertion professionnelle. Elle organise et participe aux forums emploi au sein de l’établissement et peut leur octroyer des prêts à des taux préférentiels. LOCOMOTIVES. Certaines écoles
arrivent cependant à tisser des liens étroits avec le privé. Campus africain du français Kedge Business School, BEM Dakar a conclu de nombreux partenariats tant avec des entreprises locales (CCBM, Patisen, Groupe Chaka…) qu’avec des multinationales (CBAO, Allianz, KPMG, Sanofi…), qui offrent aux étudiants des opportunités de stage d’abord, de recrutement ensuite, dans des secteurs d’activité variés et sur des métiers différents. Le cabinet parisien Okan Consulting finance quant à lui deux bourses pour cinq années complètes d’études à BEM Dakar. Ces partenariats prévoient en outre un soutien
au lancement de la Fondation BEM pour l’égalité des chances. Au Maroc, l’Esca École de management a également fait de la relation école-entreprises l’une des composantes de son dispositif de formation. Son conseil scientifique et pédagogique regroupe ainsi 39 patrons, cadres de direction et anciens élèves, souvent issus de grandes entreprises, qui jouent
Le groupe bancaire BGFI a créé à Libreville son propre pôle de formation, BGFI Business School. alors le rôle de locomotives en finançant des contrats de recherche ou en ouvrant leurs locaux aux chercheurs et aux étudiants de l’école. Reste que les mariages réussis entre entreprises et écoles privées sont encore rares. Si nombre d’institutions travaillent par exemple à la créationdechairesd’entrepriseavec des groupes tels que Shell ou Total, peu d’initiatives sont couronnées
de succès. À leur arrivée sur le continent, les dirigeants des multinationales sont enthousiastes, mais, une fois sur le terrain, ils se laissent absorber par la gestion de l’entreprise au quotidien, reléguant les préoccupations du monde de l’éducation au second plan. Gabriel Bartolini, directeur du développement et des relations internationales de BEM Dakar, ne cache pas son désarroi : « Inutile de former des jeunes si on ne dispose pas de leviers opérationnels pour développer leur employabilité et renforcer leurs perspectives d’embauche. » Sans doute une partie de cette indifférence des entreprises tientelle à l’inadéquation parfois flagrante des programmes vis-à-vis des besoins du privé. C’est ce que laisse penser l’initiative du groupe bancaire gabonais BGFI, qui a créé à Libreville son propre pôle de formation, BGFI Business School, en 2008. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. l CLarISSE JuOMpan-YakaM