Ja 2853 du 13 au 190915 enquete sante

Page 1

bad les vérités d’adesina

Un entretien exclusif avec le nouveau président de la Banque africaine de développement

Hebdomadaire international indépendant • 55e année • n° 2853 • du 13 au 19 septembre 2015

jeuneafrique.com

maroc la surprise benkirane burkina présidentielle 2015 : kaboré, cartes sur table dossier santé Spécial 10 pages

Face aux nouvelles menaces terroristes…

Que valent (vraiment) nos services secrets ? édition générale France 3,80 € • Algérie 220 DA • Allemagne 4,80 € • Autriche 4,80 € • Belgique 3,80 € • Canada 6,50 $ CAN • Espagne 4,30 € • Éthiopie 67 birrs • Grèce 4,80 € Guadeloupe 4,60 € • Guyane 5,80 € • Italie 4,30 € • Maroc 25 DH • Martinique 4,60 € • Mauritanie 1200 MRO • Mayotte 4,30 € • Norvège 48 NK • Pays-Bas 4,80 € Portugal cont. 4,30 € • Réunion 4,60 € • RD Congo 6,10 $ US • Royaume-Uni 3,60 £ • Suisse 6,50 FS • Tunisie 3,50 DT • USA 6,90 $ US • Zone CFA 1900 F CFA • ISSN 1950-1285


Dossier

Santé

interview

Éric Djibo

PDG de la Pisam

ClAsse moyenne

Dis-moi comment De Casa à Douala, J.A. a interrogé des patients sur leurs habitudes médicales et la manière dont ils financent leurs dépenses.

I

ls sont salariés dans des sociétés privées ou fonctionnaires, exercent une profession libérale ou dirigent une entreprise. Plus éduqués, plus informés, plus prévoyants, plus exigeants et surtout plus prospères que leurs aînés, ils sont le reflet des mutations du continent. La manière dont cette nouvelle classe moyenne africainegèresonbudgetsanté enestunparfaitexemple.Dans des pays où les infrastructures sanitaires sont encore largementperfectibles,lessituations decesfamillesillustrentl’adoption progressive par les États des couvertures médicales obligatoires, la popularité de la médecine privée, l’importance prise par les assurances complémentaires…Maisaussi, dans un certain nombre de cas, l’absence de filets sociaux, obligeant à assumer seul ou à recourir à la solidarité des proches. J.A. a pris le pouls de ces patients néanmoins privilégiés, alors que 93 % de la population subsaharienne n’a pas accès aux actes chirurgicaux de base, selon une étude publiée par The Lancet en 2015. ● Julien Clémençot n O 2853 • du 13 au 19 septembre 2015

© Nicolas Fauqué/www.imagesdetuNisie.com

66

u Salle de cathétérisme de la clinique El Amen de Mutuelleville, à Tunis. jeune afrique


marché

Au Maroc, l’industrie pharmaceutique s’impatiente

stratégie

Teriak, de Tunis à Douala

matériels

Le traitement du cancer fait leurs affaires

tu te soignes… tunisie

Zaineb, remboursée tant que tout va bien

P

our Zaineb, il y a eu un avant- et un après-2004, année de la création de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam). « J’ai deux enfants, dont l’un est né par césarienne en 1995, raconte-t-elle. Nous avons dû payer 2 000 dinars pour l’intervention. » Une somme importante pour cette famille qui gagne 1 800 dinars par mois (environ 820 euros) : Zaineb travaille comme documentaliste dans l’enseignement supérieur, son mari est cadre dans le domaine de l’agriculture à Tunis. Depuis l’apparition de la Cnam, dont les cotisations sont directement prélevées sur les salaires, Zaineb ne débourse plus qu’une centaine de dinars de sa poche chaque année pour les soins de santé: « Nous sommes remboursés à hauteur de 500 dinars par an, auxquels s’ajoutent 100 dinars par personne, enfants inclus, au titre de ma complémentaire santé. Nous avons donc le droit à un remboursement de 900 dinars par an et nous en dépensons un millier environ. » Mais à regarder les chiffres en détail, le bénéfice n’apparaît pas si flagrant. Entre les cotisations à la Cnam et la mutuelle, 7,2 % du revenu de la famille est alloué aux dépenses de santé, contre un remboursement équivalent à 4,2 %. Et au moindre ennui de santé important, la facture grimpe. « Les remboursements, c’est trois fois rien, se désole Zaineb. Mon mari a eu une opération de la cataracte qui a coûté 1300 dinars, et on n’a été remboursé qu’à hauteur de 550 dinars. On a de la chance, personne n’a eu de gros ennuis chez nous. » Souffrant d’arthrose, Zaineb se paie des séances de kinésithérapie dont les remboursements par la Cnam sont « à la tête du client, déplore-t-elle, nous ne sommes pas assez bien informés ». Ce déficit d’information est l’un des principaux défauts du système de santé, selon Zied Mhirsi, président de l’ONG Tunisian Center for Public Health : « Le pays n’a jamais investi dans la prévention alors que les maladies chroniques se développent à mesure que la population vieillit. Si rien n’est fait à ce niveau, notamment concernant les maladies cardio-vasculaires, le déficit de la Cnam [32 millions de dinars début 2014] ne finira jamais de se creuser. » ● Mathieu Galtier, à Tunis

jeune afrique

n O 2853 • du 13 au 19 septembre 2015

67


Dossier Santé caMeroun

Faute d’assurance, Hugues fait du sport

T

rois ans déjà qu’Hugues Antoine Mba, 39 ans, n’a pas franchi la porte d’une clinique, ni même d’un généraliste ou d’un spécialiste. « Je ne ressens aucun mal qui me pousse à voir un médecin », glisse le fondateur de High Class Technology, un cabinet d’ingénierie informatique qui emploie quatre personnes à Douala. Épargné par les ennuis de santé, ce père de trois enfants ne fait pas partie des 2 % de Camerounais (principalement des cadres d’entreprises privées et de certaines administrations publiques) disposant d’une assurance-maladie. En cas de besoin, il préfère pour le moment puiser dans son épargne (il met 25 % de ses revenus de côté chaque mois). L’entrepreneur a bien contacté des compagnies d’assurance, « mais le mode de couverture n’est pas à mon avantage, déplore-t-il. Il faut soit payer avant d’être remboursé, soit constituer un collectif d’au moins 20 personnes pour que les soins soient préfinancés ». « Il est quasiment impossible de souscrire une assurance-maladie à titre individuel, car la plupart des compagnies ne proposent que des tarifs de groupe, dégressifs en fonction des effectifs et de la sinistralité anticipée », abonde le professeur Pierre Ongolo-Zogo. Directeur du Centre pour le développement des bonnes pratiques en santé, une unité de recherche au sein de l’hôpital central de Yaoundé, il milite pour l’adoption d’une loi rendant l’assurance-maladie obligatoire, comme au Ghana et au Rwanda. Dans la force de l’âge, Hugues a néanmoins conscience qu’il est important de préserver son capital santé. C’est en partie pour ça qu’il s’offre le luxe d’un abonnement dans une salle de sport, moyennant 30 000 F CFA (45,73 euros) par mois. ● oMer Mbadi, à Yaoundé n O 2853 • du 13 au 19 septembre 2015

GODONG/BSIP

68

p Échographie cardiaque dans un hôpital de Brazzaville (ci-dessus) et consultation chez un chirurgien-dentiste à Casablanca (à dr.). Le Congo compte 0,1 médecin pour 1 000 habitants, le Maroc, six fois plus.

Maroc

Hakim ne regarde pas à la dépense

A

u Maroc, la classe moyenne est plutôt choyée en matière de santé. Cette frange de la population, de plus en plus nombreuse, n’hésite pas à consulter un médecin spécialiste, à recourir aux services d’un dentiste au moindre pépin, à changer de lunettes tous les ans ou à faire appel systématiquement aux services d’une clinique privée dans le cas d’une hospitalisation, d’un accouchement ou d’une opération chirurgicale. Issue essentiellement du secteur privé ou de la fonction publique, elle dispose généralement d’une assurance-maladie privée, aux frais de l’employeur, en plus bien sûr de la fameuse couverture maladie obligatoire fournie par la sécurité sociale. « Nos dépenses médicales et pharmaceutiques sont remboursées à hauteur de 80 % par notre assurance, explique Hakim, 36 ans, ingénieur dans l’industrie agroalimentaire. Et les délais de remboursement ne dépassent pas un mois en moyenne. Pourquoi alors se priver de services de qualité, surtout quand il s’agit de la santé de nos enfants ? On aurait bien aimé avoir des services moins chers dans les structures publiques, mais vu l’état calamiteux de nos hôpitaux… » Parents de deux enfants (6 et 2 ans), Hakim et sa femme, cadre bancaire, ont un budget santé (consultations et médicaments) de pas moins de 4 000 dirhams par mois

(environ 365 euros). « C’est un montant énorme, certes, reconnaît l’ingénieur. Mais vous savez, un enfant, ça tombe malade toutes les deux semaines, sans parler des visites régulières que l’on doit faire, notamment chez le dentiste ou le médecin de famille. » Mais si notre couple de cadres dépense sans compter en matière de santé, ce n’est pas le cas de toute la classe moyenne marocaine. Les professions libérales, par exemple, ne bénéficient pas des mêmes avantages. « Je suis médecin depuis quinze ans mais je n’ai pas la moindre couverture médicale. Donc la pire chose pour moi, c’est de tomber malade ou que quelqu’un de ma famille ait un problème de santé », raconte Amine, généraliste à Casablanca. Considérées comme riches, les professions libérales (avocats, notaires, architectes, médecins…) n’ont à ce jour pas la possibilité de souscrire à l’assurance obligatoire de la Caisse nationale de sécurité sociale. Il leur reste les compagnies privées, qui facturent leur police d’assurance jusqu’à 20 000 dirhams par an pour un couple avec un enfant. « C’est trop cher. Et ça ne couvre généralement pas toutes les pathologies », estime notre médecin, qui demande à être traité sur un pied d’égalité avec les salariés et les fonctionnaires. ● Mehdi Michbal, à Casablanca jeune afrique


Joan Bardeletti/Picturetank

69

Sénégal

Côte d’ivoire

Eva compte sur son employeur, Astou sur ses proches

Comme beaucoup, Alain préfère le privé

E

S

va est une privilégiée. À 47 ans, s’acquittent de cette obligation », cette mère de trois enfants, cadre remarque la même source. « Pendant dans le secteur du tourisme, bénéficie huit ans, je n’ai jamais cotisé et perd’une couverture santé inaccessible sonne ne m’a jamais rien demandé », à l’immense majorité de ses compaconfesse un ancien chef d’entreprise. triotes. « Dans les grandes entreprises Les fonctionnaires sont mieux lotis : où je suis passée, mon employeur cotileurs frais de santé sont pris en charge sait à une mutuelle pour ses salariés, à hauteur de 80 %. À l’opposé, pour témoigne-t-elle. Les trois quarts des les travailleurs du secteur informel, la santé reste hors de portée. frais médicaux étaient pris en charge par la mutuelle et le reliquat était Selon Philippe Guinot, directeur déduit de mon salaire. » Astou, elle, de l’ONG Path-Sénégal, « au moins n’a pas cette chance. En août, lorsque 50 % des patients ne sont pas diason fils de 8 ans a dû subir en urgence gnostiqués, et ceux qui le sont n’ont pas les moyens de se soigner s’ils une intervention chirurgicale, cette ne se trouvent pas à secrétaire administraproximité d’un centre tive sans la moindre rares sont les spécialisé ». Un lourd couverture maladie entreprises qui handicap pour les s’est tournée vers son s’acquittent de populations rurales, entourage pour réunir les 200000 F CFA (envimais même à Dakar, leur obligation ron 300 euros) requis la classe aisée peut se de cotiser pour par l’hospitalisation et trouver confrontée aux leurs salariés. les frais annexes. carences du secteur. Au Sénégal, les esti« J’ai dû récemment mations les plus optimistes font état aller me faire soigner en France car les d’un taux de couverture approchant hôpitaux sénégalais ne disposaient ni 20 % de la population. « Je pense que des équipements ni des médicaments requis », témoigne un chef d’entreça ne dépasse pas 10 % », relativise le prise, dont la facture hospitalière responsable d’une organisation patronale. Officiellement, les employeurs donne le vertige : 100 000 euros, dont sont tenus de cotiser à une assurance« seulement 30 000 ont été rembourmaladie pour leurs employés, « mais sés par [sa] mutuelle sénégalaise ». ● seules les entreprises structurées Mehdi Ba, à Dakar jeune afrique

elon les statistiques officielles, 82 % de la population ivoirienne a accès aux soins de santé, et seulement 5 % des habitants sont couvertsparuneassurance.Maisavantmême la mise en place de la couverture mutuelle universelle, les classes moyennes font de la prise en charge des soins médicaux une priorité. Les fonctionnaires et leurs ayants droit sont couverts par une mutuelle qui leur garantit des soins dans les établissements publics et privés dits conventionnels. Dans le privé et dans les sociétés d’État, les employeurs assurent une couverture comprise entre 50 % et 100 % à leurs employés via des assurances privées, mais cela n’est parfois pas suffisant, et les assurés doivent mettre la main à la poche pour certaines prestations comme la chirurgie lourde. Alain Tome, cadre au service des ressources humaines d’une entreprise locale, consacre chaque année entre 500000 et 800000 F CFA (de 760 à 1 220 euros) à la santé de sa famille – il a trois enfants. En plus de l’assurance santé de son employeur, il a dû souscrire une assurance personnelle chez un courtier. « Nous n’avons pas de médecin attitré, ce serait un luxe, explique-t-il. Mais les enfants sont suivis régulièrement par un pédiatre. » En cas d’urgence, la famille consulte des spécialistes et, si besoin, se rend dans une clinique. « Les gens préfèrent le privé, qu’ils estiment plus professionnel et mieux équipé que le public », reconnaît-il. ● Baudelaire Mieu, à Abidjan n O 2853 • du 13 au 19 septembre 2015


dossier santé radiographie du secteur

LES BONS ÉLÈVES AFRICAINS Guinée équatoriale

714

Afrique du Sud

260

551

Libye

1,4

Algérie/Tunisie

Afrique subsaharienne

Maroc

1,9

1,2

0,2

Afrique du Sud

0,8

0,6

Nombre de lits d’hôpital pour 1 000 habitants (2007-2013)

6,3

Éthiopie/Gabon

101 Maurice

2,8

Maghreb et Moyen-Orient

593

Seychelles

Égypte

Nombre de médecins pour 1 000 habitants (2007-2013)

Dépenses de santé par habitant (en dollars, en 2013)

3,7 3,6 3,4

Libye

463

Seychelles Maurice

Gabon

441

2,9

São Tomé-et-Príncipe Afrique Maghreb subsaharienne et Moyen-Orient

Maghreb et Moyen-Orient Afrique subsaharienne

0,8 0,7

LES MAUX DU CONTINENT

DES INVESTISSEURS PLUS PRÉSENTS

La malaria

Le cancer Nombre de nouveaux cas par an

En Afrique,

Taux de rémission

40 % des dépenses de santé

sont consacrées à la lutte contre le paludisme. Une réduction de 10 % du nombre de personnes atteintes permettrait d’augmenter de 0,3 % le PIB des pays les plus touchés.

10 % à 25 %

Afrique subsaharienne

645 000 Guinée Maghreb et Moyen-Orient

555 000

Ebola

Sierra Leone

Le manque à gagner dû à l’épidémie au Liberia, en Guinée et en Sierra Leone était estimé début 2015 à près de

55 % à 60 %

Liberia

1,5 milliard d’euros,

sur un PIB de 11,5 milliards.

99,4 M$

C’est la somme qu’a levée l’Investment Funds for Health in Africa en juillet pour son fonds Ifha II. Il y a sept ans, Ifha I, premier fonds de capital-investissement privé consacré à la santé en Afrique subsaharienne, avait récolté 50,1 millions de dollars.

200 M$

C’est le budget du North Africa Hospital Holdings Group, cofondé début 2015 par le capital-investisseur Abraaj et trois institutions européennes de développement pour investir dans des cliniques en Égypte, en Tunisie, et demain au Maroc.

Bienvenue à bord et bonne lecture. Retrouvez-nous sur vos compagnies aériennes préférées.

SOURCES : BANQUE MONDIALE, REUTERS, J.A., ONE, IFHA

70


1

ère

usines de production

60%

de médicaments produits localement

4 400 collaborateurs engagés

William Beaucardet / PWP

entreprise de Santé

7

L’AFRIQUE AU CŒUR DE NOTRE ENGAGEMENT

Leader mondial diversifié de la santé, centré sur les besoins des patients, Sanofi découvre, développe et distribue des solutions de santé adaptées au continent Africain. Pour en savoir plus : www.sanofi.com – http://reportingrse.sanofi.com


Dossier Santé interview

Éric Djibo

PDG de la polyclinique internationale Sainte-Anne-Marie

« Nous préparons l’hôpital du futur » Le patron de la Pisam, à Abidjan, veut faire de son établissement un hub médical ouest-africain. Pour cela, il investit dans des équipements de dernière génération.

prendre en charge. Notre projet consiste à bâtir un centre de radiothérapie attenant à la Pisam. Nous devrions commencer les travaux d’ici à deux ou trois mois, pour une ouverture dans un an. C’est un projet pour lequel nous avons déjà identifié un partenaire qui possède plusieurs centres identiques en Europe et qui nous accompagnera à hauteur de 50 % des investissements, estimés entre 3 et 3,5 milliards de F CFA.

D

iplômédel’Écolesupérieure de commerce d’Abidjan (Esca) en 1993, Éric Djibo a passé plus de quinze ans au sein du groupe Coca-Cola, exerçant des responsabilités en Sierra Leone, au Ghana et au Maroc. En 2013, il rentre en Côte d’Ivoire et reprend la direction de la polyclinique internationale Sainte-Anne-Marie (Pisam), fondée par son père en 1985. À son arrivée, la situation financière du premier hôpital privé du pays est catastrophique. Son passif atteint 12 milliards de F CFA (18,3 millions d’euros), pour un chiffre d’affaires de 6,8 milliards. Et maintenant ? jeune afrique: il y a dix-huit mois, la Pisam était très endettée. Où en êtes-vous aujourd’hui ? ÉriC DjiBO : Tous les voyants

sont au vert. Les dettes qui plombaient notre bilan ont été apurées, et nos indicateurs de performance s’améliorent clairement : taux d’occupation en hausse de 30 %, durée moyenne de séjour en baisse, indice de satisfaction client en nette progression. La Pisam profite d’une meilleure répartition des rôles entre les professionnels de la gestion et le corps médical. Nous avons annoncé il y a quelques mois vouloir lever 10 milliards de F CFA ; nous sommes très proches de cet objectif. En parallèle, nous étudions la possibilité d’ouvrir notre capital à un groupe qui exploite déjà des cliniques privées en Europe. n O 2853 • du 13 au 19 septembre 2015

Les cliniques privées ivoiriennes font-elles des bénéfices ?

© dr

72

p Devant le portrait de son père, William Djibo, fondateur de la clinique en 1985.

À quoi va servir l’argent levé ?

Lors de sa création, en 1985, la Pisam était la plus grosse clinique d’Afrique de l’Ouest, avec 220 lits et un plateau technique de pointe. Aujourd’hui, notre capacité est limitée à 116 lits. Pour retrouver notre statut de hub médical, nous devons réhabiliter les blocs opératoires, acquérir des équipements d’imagerie de dernière génération, créer un service de radiologie interventionnelle et refondre notre système de fonctionnement, grâce à de nouveaux outils de gestion qui mettent le patient au cœur de nos préoccupations. Nous voulons tendre vers l’hôpital du futur, avec zéro papier. vous avez aussi des ambitions dans le domaine du traitement du cancer…

Plus de 10 000 patients ivoiriens sont concernés chaque année, et il n’y a rien ou presque pour les

Avec la décennie de crise qu’a connue le pays, elles n’ont pas gagné d’argent. Elles avaient même du mal à atteindre l’équilibre. Des coûts en hausse, des recettes en moins avec le départ de la clientèle expatriée, l’arrêt des évacuations sanitaires… Cet environnement peut expliquer la percée du marocain Saham, qui a repris six établissements récemment. Sa venue a-t-elle réveillé un secteur quelque peu endormi ?

On ne peut pas nier que l’arrivée de Saham a redynamisé le marché. Avec cette nouvelle concurrence, les cliniques ont intérêt à monter en gamme. La Pisam a elle aussi bénéficié de l’intérêt du groupe marocain. Si tout le monde a compris que nous n’étions pas à vendre, cela a incité des partenaires potentiels à nous contacter, y compris des fonds d’investissement. Pour l’heure, nous n’écartons aucune possibilité. Les établissements privés pratiquent-ils une médecine réservée aux riches ?

Non, pas du tout. Privé et public doivent jouer la complémentarité. La capacité d’investissement des cliniques doit leur permettre de développer des secteurs jeune afrique


73

d’excellence, comme la cancérologie. Mais il faut un accompagnement, avec un régime fiscal étudié et une réduction de la tarification de services publics comme l’électricité… Nous vendons des soins, nous ne sommes pas des entreprises comme les autres. En retour, le privé doit garantir un niveau d’investissement minimum pour assurer un renouvellement permanent de son plateau technique, et ce pour le bien des populations. L’État réfléchit d’ailleurs à la mise en place de contrôles des cliniques, ce qui est une bonne chose. Quant à l’hôpital public, plus limité financièrement, il peut se concentrer sur les soins moins techniques et sous-traiter certaines pathologies aux structures privées. Ses priorités doivent être d’offrir des soins basiques, d’avoir des urgences qui fonctionnent et d’améliorer les conditions d’hospitalisation ainsi que la gestion financière des

mesure qui va dans le bon sens, à condition d’assurer un financement pérenne et d’éviter la spirale des déficits.

établissements. La nomination récente de gestionnaires à la tête des centres hospitaliers universitaires est un bon signal. Y a-t-il une pénurie de personnel médical en Côte d’Ivoire ?

Non. Les médecins ivoiriens sont parmi les meilleurs d’Afrique de l’Ouest, et notre rôle est de leur donner des outils pour qu’ils puissent perfectionner leur art. En revanche, il y a une pénurie de personnel paramédical: infirmiers, aides-soignants…

Les médecins ivoiriens sont parmi les meilleurs de la sous-région.

Il semble que le dispositif de couverture maladie universelle n’ait pas encore convaincu les Ivoiriens ?

Peut-être parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils peuvent en retirer. À quelle prise en charge auront-ils droit ? Dans quels hôpitaux ? Tous les acteurs du système aimeraient en savoir un peu plus. C’est une

En Côte d’Ivoire, la distribution de médicaments est réservée à des distributeurs agréés. Est-ce un bon système ?

Pour un pays qui sort de crise, il y a plus d’avantages que d’inconvénients. Cela permet notamment un contrôle des prix. Même si parfois nous devons faire face à des ruptures d’approvisionnement et que nous aimerions que ces distributeurs nous donnent accès à davantage de médicaments génériques. ● Propos recueillis par JulIEn ClémEnçot

Depuis 1973

Plus de 40 ans au service de la santé, dans le progrès et l’excellence

Chirurgie

9R.RQL2B !QM6,+RD4SKB 5Q,2,84SKB 9A.RF,P!IOMRMQ4SKB VRD4LMQ4SKB !U# BM "LC422,P:LF4L2B 3LOFK2L4QB ;OM6RM4SKB <B 21!IRO4MR

www.cliniqueavicenne.com =DQBOOB & @ UKB ",6L0BD $L00B24 ;2 "L.LQ %% EJ'E 7K.4O 7B2 & /TEG*- )G ((( JJJ P :LC & /TEG*- )G ((( GGG ;P0L42 & 4.?,>F24.4SKBLH4FB..BNF,0


Dossier Santé marché

Au Maroc, l’industrie pharmaceutique s’impatiente Près de deux ans après l’adoption d’un décret faisant baisser les prix des médicaments, le secteur a gagné en transparence… mais perdu en chiffre d’affaires. La hausse de la demande, c’est pour quand ?

E

n décembre 2013, Rabat adoptait un décret sur la fixation des prix des médicaments. L’objectif? Alléger la facture des Marocains et faciliter l’accès à ces produits, alors que seul un tiers des 33 millions d’habitants du royaume en achètent. Le principe ? Prendre comme référence les tarifs pratiqués dans sept pays (Espagne, Portugal, France, Belgique, Turquie, Grèce et Arabie saoudite) et choisir le moins élevé comme prix de base du produit original (princeps), celui des génériques subissant une baisse supplémentaire. Résultat : une baisse des prix de 30 %. Mais quel bilan les industriels du secteur dressent-ils de cette mesure ? « Le nouveau système représente une rupture avec les pratiques du passé, où le lobbying et

q Production de poches de sérum au laboratoire Sothema, à Bouskoura, près de Casablanca.

le favoritisme jouaient à plein, se réjouit Abdelmajid Belaïche, directeur général de l’Association marocainedel’industriepharmaceutique (Amip, qui compte 19 sociétés). La fixation des prix est désormais transparente: les marges de chacun sont connues, ainsi que les taxes. La méthode choisie a aussi permis de baisser le tarif, anormalement élevé, de certains médicaments, tout en préservant le prix de ceux à faible marge pour les industriels. » Abdelmajid Belaïche n’hésite cependant pas à parler d’annus horribilis pour le secteur pharmaceutique marocain. « En chiffre d’affaires, l’industrie affiche une baisse de 10 % de janvier à décembre 2014, la distribution de 11 %, et les pharmacies de 7 %. » Les officines ont en effet bénéficié d’un transfert de marge et ont donc mieux résisté à

n O 2853 • du 13 au 19 septembre 2015

la baisse des prix et aux mauvaises performances du marché. La mesure étant devenue effective en juin 2014, l’impact est en réalité encore plus important. Dans une étude à paraître et dont les chiffres définitifs ne sont pas encore connus, l’Amip a par exemple constaté que le marché des produits de la psychiatrie avait accusé une chute de 38 %. Abdelmajid Belaïche s’attend néanmoins à une reprise : « Après cette phase critique, les volumes vont finir par tirer les résultats vers le haut », espère-t-il. MOLÉCULES. Du côté des mul-

Hassan Ouazzani

74

tinationales, on aimerait aussi que le rebond se fasse sentir. Mehdi Zaghloul, directeur général de Novartis Maroc (cinquième acteur du marché avec 150 salariés, 8 millions d’unités produites par an et 1 million d’unités importées), a suivi la mise en place de la mesure lorsqu’il était président de Maroc Innovation et Santé. Il est aujourd’hui secrétaire général de ce groupement de quinze multinationales qui font de la recherche et de l’innovation, et estime que les mesures ont eu « un impact important sur la santé des entreprises ». « Le marché est petit et sans croissance depuis neuf mois, observet-il. Celui des molécules princeps a baissé de 4 % en un an, et les pertes n’ont été qu’en partie absorbées. On s’attendait à une redynamisation du secteur, mais cela suppose une hausse de la demande. » Selon Mehdi Zaghloul, la logique de la baisse des prix des médicaments devrait aller de pair avec « davantage de remboursements ». « Or la majorité des produits lancés depuis trois ans n’est pas remboursée, mais les discussions avec les autorités sont fluides et ouvertes sur ce point », précise le patron de Novartis Maroc, qui regrette néanmoins de ne pas pouvoir tabler sur une échéance claire. « Le marché, qui représente 1,5 milliard de dollars [environ 1,3 milliard d’euros], a augmenté en moyenne de 10 % de 1999 à 2004, note-t-il. Aujourd’hui, il est complètement atone. » ● StÉphaniE wEngEr, à Casablanca jeune afrique



Dossier Santé groupe exporte déjà. Le site de Douala est amené à produire les quelque 80 médicaments génériques dont Cinpharm possède les licences, ainsi que ceux de Teriak (plus de 150), qui envisage aussi de commercialiser au Cameroun ses produits fabriqués en Tunisie. Malgré sa fermeture au printemps 2013, l’usine, inaugurée en 2010, demeure en bon état. « Il faut la remettre aux normes, mais cela ne nécessite pas de gros investissements », explique Sara Masmoudi, sans plus de précisions. Actuellement, deux employés de Teriak sont sur place. D’autres collaborateurs devraient les rejoindre, mais l’objectif est de faire tourner l’usine avec du personnel camerounais d’ici à deux ou trois ans.

stratégie

Teriak, de Tunis à Douala

Afin de trouver un relais de croissance au sud du Sahara, l’entreprise tunisienne veut relancer le laboratoire camerounais Cinpharm, à l’arrêt depuis 2013.

© Nicolas Eyidi pour J.a.

76

L

p À moyen terme, l’objectif est de faire tourner l’usine avec du personnel local.

es laboratoires Teriak posent un pied à Douala, où, d’ici à la fin de l’année, leurs dirigeants comptent relancer la production de Cinpharm. En mars, J.A. révélait l’entrée de la société tunisienne dans le capital de l’entreprise camerounaise, dont l’activité s’était arrêtée face à l’ampleur de ses dettes : 3,5 milliards de F CFA (environ 5,3 millions d’euros). Les deux partenaires n’ont pas voulu communiquer le montant de la transaction, Teriak précisant simplement avoir pris le contrôle de la majorité des parts. De son côté, Célestin Tawamba, PDG de Cadyst Invest (le holding qui gère Cinpharm), évoque un montant de « quelques milliards de francs CFA ». Pour Teriak, ce mariage doit permettre de trouver de nouvelles zones de développement pour prendre le relais de son marché domestique. Le laboratoire tunisien fabrique sous licence pour des multinationales pharmaceutiques, ce qui lui permet d’être présent sur une large gamme de n O 2853 • du 13 au 19 septembre 2015

médicaments, de la neurologie psychiatrique (Lexomil) jusqu’à la rhumatologie (Voltarène) en passant par des antalgiques classiques (Panadol). Son chiffre d’affaires a atteint 70 millions de dinars (environ 31 millions d’euros) en 2014, selon Sara Masmoudi, directrice générale de Teriak. « Notre marché du médicament est atone, avec une croissance de 0,1 %, constate-t-elle. Il est donc crucial d’aller en Afrique subsaharienne francophone. Et au Cameroun, la langue, la culture et l’attrait des médicaments fabriqués en Tunisie sont autant d’avantages dont nous profitons. » À Douala, l’entreprise devra en revanche composer avec l’absence de banques tunisiennes, de vols directs via Tunisair et d’appuis diplomatiques pour faire avancer son projet (l’ambassadeur de Tunisie en poste dans la zone couvre cinq pays). Cinpharm, première acquisition deTeriakdansunpayssubsaharien, doit servir de base à son expansion en Afrique centrale mais aussi en Côte d’Ivoire et au Sénégal, où le

ÉCHECS. Mais relancer Cinpharm

ne sera peut-être pas si facile. Le laboratoire camerounais a en effet déjà connu deux échecs avec des partenaires étrangers. En 2010, il s’était rapproché de Cipla pour obtenir un appui technique, mais l’expérience avait tourné court à cause de la mauvaise qualité des matières premières fournies par l’entreprise indienne. Puis, en 2012, le tunisien SAIPH s’était montré intéressé, mais le partenariat technique avait capoté à cause des difficultés financières de Cinpharm. Si Célestin Tawamba voit d’un bon œil l’arrivée de Teriak, il reste donc prudent quant à l’avenir de cette collaboration et précise que c’est la seule compagnie qui s’est manifestée. Gérant du cabinet de conseil Capinvest Partners, Maher Zaanouni se montre pour sa part confiant : « Le groupe Kilani [maison mère de Teriak] investit sur du

Cette acquisition doit servir de base d’expansion en afrique centrale et en afrique de l’Ouest. long terme. S’il a besoin d’un appui financier, ce projet d’investissement “Nord-Sud” au sein de l’Afrique ne pourra que séduire les filiales dévolues au secteur privé des banques de développement », avance-t-il. ● MatHiEu GaltiEr, à Tunis jeune afrique



Dossier Santé Matériels

Le traitement du cancer fait leurs affaires Le suédois Elekta et l’américain Varian en tête, les spécialistes de la radiothérapie veulent équiper l’Afrique en technologies de pointe.

B

ien que leurs hôpitaux soient rarement équipés d’appareils permettant des diagnostics précis, la plupart des pays africains sont aujourd’hui capables de diagnostiquer les cancers. Mais très peu disposent des moyens pour les traiter. « Seuls le Maroc, l’Égypte et l’Afrique du Sud peuvent actuellement s’équiper en matériel de radiothérapie de pointe », estime Van Phuc Le, directeur commercial pour l’Afrique subsaharienne du fabricant suédois Elekta, leader sur le continent. Pourtant, depuis deux ans, les fabricants mondiaux d’appareils de radiothérapie et de radiochirurgie (comme Elekta ou les américains Varian et Accuray) s’intéressent aux marchés africains. Leur discours est simple: le cancer tue en Afrique plus de personnes que le sida, le paludisme et la tuberculose, et le nombre de nouveaux cas détectés atteindra 1,6 million par an à l’horizon 2020, d’après l’OMS. Or peu de pays sont en mesure d’utiliser la radiothérapie parmi les différents traitements contre le cancer. Sur le continent, on a plus souvent recours à la chirurgie et à la chimiothérapie. Certainscontinuentmêmed’utiliser le cobalt, un procédé ancien jugé dangereux mais parfois considéré comme un moindre mal. Pour les fabricants, les pays africains doivent directement passer à l’utilisation de matériel de pointe. En mai, Elekta a ainsi annoncé s’être engagé à livrer des appareils à une douzaine de pays, en lien avec leurs ministères de la Santé. Parmi ceux-ci figurent l’Angola, le Kenya, l’Ouganda, le Sénégal et le Bénin,àraisondedeuxmachinesen n O 2853 • du 13 au 19 septembre 2015

© elekta

78

p En mai,

Elekta a signé moyenne chacun (soit une capacité des contrats de traitement de 1 000 patients par avec une an), dont le prix varie de 700 000 à douzaine 3 millions d’euros. Pour un coût de pays du continent. d’environ 5 millions d’euros, et avec la collaboration d’experts français, le Bénin « va passer directement à la VMAT [volumetric modulated arc therapy], une technologie qui protège mieux les organes sains, explique Van Phuc Le. Le président béninoisacomprisquel’onpourrait soigner près de 1500 personnes pour un montant équivalent à celui dépensé pour envoyer milliards d’euros 600 fonctionnaires se faire soigner à l’étranger ». C’est la valeur du marché

4,8

FORMATION. L’Algérie,

mondial des appareils de radiothérapie en 2014, selon le cabinet BCC Research. Varian, Elekta et Accuray détiennent 90 % de ce marché.

qui malgré ses pétrodollars a longtemps tardé à mettre en œuvre son plan cancer, semble être aussi passée à la vitesse supérieure. Le pays a annoncé des accords aussi bienavecElekta,quidoitéquiperen accélérateurs linéaires sept centres de radiothérapie, qu’avec Varian, le numéro un mondial. Ce dernier, qui s’est installé cette année à Alger dans le cadre d’une coentreprise, a signé en 2014 un contrat de plus de 40 millions d’euros pour équiper six centres de lutte contre le

cancer. Signe de l’intérêt porté aux nouveaux marchés africains, Dow Wilson, le PDG de Varian, a été nommé en novembre 2014, aux côtés de quatorze autres patrons, au sein du conseil présidentiel sur le commerce en Afrique mis en place par l’administration Obama. Le manque d’argent n’est pas la seule explication du retard pris par le continent, selon le docteur Adama Ly, fondateur du réseau Afrocancer. « Le manque de volonté politique est criant, affirme-t-il. Ce sont des programmes de santé publique que nos gouvernements doivent mettre en place, avec une formation de spécialistes à tous les niveaux. » Les fabricants en sont conscients, qui investissent dans ce secteur. Elekta a ainsi mis en place un centre de formation au Cap, en Afrique du Sud, tandis que Varian développe son programme « Access to Care ». « Des initiatives bienvenues si elles concernent la formation sur les équipements des fabricants, estime Adama Ly. Mais il faut veiller à ce que ces entreprises ne rendent pas les États partenaires dépendants de leurs technologies. » ● SAïd AïT-HATRIT jeune afrique




Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.