JUIN 2020
NO 3089 – JUIN 2020
GRAND FORMAT
GUINÉE Interview exclusive Alpha Condé : « Mes adversaires ont une mentalité de putschistes » ALGÉRIE Tebboune et l’armée : l’heure de la reprise en main
SOPHIE GARCIA/HANSLUCAS.COM
Pour tout comprendre de l’évolution d’un pays
BURKINA FASO Mobilisation générale
S’il maintient un haut niveau de vigilance face à la pandémie, mais aussi contre le terrorisme, le pays tout entier se concentre désormais sur la relance de l’activité économique et la préparation de la présidentielle et des législatives du 22 novembre. no3089H
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BURKINA FASO Spécial 30 pages
BTP
CES GRANDS
CHANTIERS QUI VONT CHANGER LE CONTINENT
CAMEROUN Le crépuscule des Fotso
JEUNE AFRIQUE N ° 3 0 8 9
Si la pandémie est encore loin d’être vaincue, le continent, contrairement aux prévisions catastrophistes, s’est distingué dans bien des domaines. Réactivité, solidarité, élaboration de solutions locales, implication de ses élites… En ces temps où tous les sujets sont sur la table et où le monde entend se réinventer, l’« Afrique d’après » semble porteuse de promesses.
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Une nouvelle Afrique ?
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SPÉCIAL COVID-19
France 7,90 € Algérie 420 DA Allemagne 9 € • Belgique 9 € Bénin 7,32 € • Congo 7,30 € • DOM 9 € Espagne 9 € • Guinée 7,30 € Italie 9 € Maroc 50 DH • Pays-Bas 9,20 € • RD Congo 10 $ US Royaume-Uni 8,5 £ Rwanda 7,30 € • Sénégal 2000 XOF Suisse 15 CH • Tunisie 8 DT • Zone CFA 4800 F CFA ISSN 1950-1285
RD CONGO Marthe Tshisekedi, la gardienne du temple
Marwane Ben Yahmed
ÉDITORIAL
@marwaneBY
JA de retour en kiosque… dans une nouvelle Afrique
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epuis maintenant dix semaines, les dispositifs de confinement adoptés en France, où se trouve notre siège, mais aussi dans de nombreux pays africains, nous ont imposé une décision inédite : la suspension, le temps que ces mesures soient levées, de la publication de l’édition papier de Jeune Afrique. Que nos fidèles lecteurs et abonnés se rassurent, ce numéro spécial, en vente quatre semaines, consacré essentiellement à la crise engendrée par le Covid-19, à ses conséquences pour l’Afrique et aux leçons que nous devons en tirer, signe le grand retour de JA en kiosque. Une édition repensée, dans son contenu comme dans la forme, avec une nouvelle maquette, et particulièrement riche (196 pages). La crise sanitaire qui s’est subitement abattue sur nos têtes, faisant voler en éclats nos certitudes, nos habitudes et nos repères, a mis en lumière un fait nouveau, source d’espoir : contrairement à ce que nous annonçaient les habituels haruspices des temps modernes, qui n’aiment rien tant que prévoir le pire pour l’Afrique, notre continent s’est illustré positivement dans bien des domaines. Il a fait preuve d’une résilience incontestable et d’une réactivité que nous ne lui connaissions guère. À l’exception de l’Asie, il s’en tire mieux sur le plan sanitaire que la plupart de ses prospères partenaires
internationaux, qui en ont subitement oublié leur pavlovienne condescendance. Mieux, tout le monde a pu constater que, une fois n’est pas coutume, l’Afrique a su se mobiliser tout entière pour parler d’une même voix, faire preuve de solidarité, explorer ses solutions, ouvrir le débat, y compris sur des sujets jusqu’ici tabous, par exemple celui de la dette. Last but not least, l’implication inédite de nos experts et de nos intellectuels. Qui
CETTE PÉNIBLE ET ÉTRANGE PARENTHÈSE A ÉTÉ UNE VÉRITABLE LEÇON D’HUMILITÉ POUR TOUS. n’ont cessé de remettre en question les dogmes jusqu’ici en vigueur et de pousser nos dirigeants à chercher des réponses sur le continent, sans attendre que le reste du monde nous vienne en aide. Pour faire émerger du cloaque dans lequel nous avons été précipités une Afrique nouvelle, souveraine, innovante et responsable. Tous les sujets sont sur la table, de la démocratie au rôle des femmes, de l’apport des nouvelles technologies à l'élaboration d'un modèle de développement qui nous soit propre. Débarrassée des fers aux pieds et des carcans qui l’ont trop longtemps contrainte à l’inertie, cette « Afrique
d’après » qui s’esquisse semble riche de promesses. Il nous a donc semblé indispensable, notamment pour que cette dynamique se poursuive et s’étende à d’autres champs, de lui consacrer une large part de ce numéro de reprise. Cette pénible et étrange parenthèse, véritable leçon d’humilité pour tous, a été l’occasion d’une réflexion globale. Pour revenir à l’essentiel. S’interroger sur la place de notre entreprise dans la société, de manière concrète (son utilité) mais aussi plus émotionnelle (les liens que nous tissons avec vous). Repenser notre mission. Mais aussi notre engagement à vos côtés qui, évidemment, ne peut plus être identique à celui qui présida, il y a soixante ans de cela, à la création de votre hebdomadaire. L’Afrique évolue, Jeune Afrique aussi. Depuis l’émergence de cette crise, nous avons mis en place un dispositif online de grande envergure, à la mesure de notre audience, en forte croissance: 2,3 millions d’utilisateurs, 5,3 millions d’abonnés sur les réseaux sociaux (2,5 millions sur Facebook et 2,8 millions sur Twitter). Ce faisant, nous accélérons un mouvement stratégique – notre transformation digitale – lancé il y a déjà plusieurs mois. Malgré la pandémie et les contraintes qu’elle impose, l’ensemble de la rédaction de Jeune Afrique est pleinement mobilisée pour vous offrir en temps réel, sur notre site et notre application mobile,
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COMMUNIQUÉ
AVIS D’EXPERT
Union Européenne En savoir plus sur :
ec.europa.eu/eu-eip
Plan d’investissement externe de l’Union européenne Faire face à la crise du Covid-19 en Afrique
L’
Union européenne soutient la lutte contre la pandémie du Covid-19 en Afrique. L’un des principaux moyens mis en œuvre a consisté à réorienter les 4,6 milliards d’euros du Plan d’investissement externe (PIE) pour permettre notamment de maintenir à flot les petites et les moyennes entreprises ou d’installer des laboratoires d’essais contre le coronavirus. Stimuler l’investissement et l’emploi Nous avons conçu ce Plan pour aider les pays africains à attirer davantage d’investissements qu’ils ne pourraient le faire autrement, en particulier en provenance du secteur privé, local et international. Il s’agit de favoriser la création d’emplois et la croissance économique, tout en créant de nouvelles opportunités pour les individus comme pour les investisseurs. Une approche en trois volets Avec ce Plan, nous fournissons un appui financier, nous apportons notre expertise et nous soutenons la mise en place d’un climat favorable aux investissements. 1. Finance Nous apportons deux types d’appuis financiers, susceptibles de générer davantage d’investissements que l’argent de l’Union européenne ne pourrait le faire seul. Le premier appui est une garantie. Nous partageons le risque d’investir pour que les banques de dévelop-
pement et les investisseurs privés prêtent aux entrepreneurs locaux ou financent les projets de développement. Le second appui est constitué de subventions. La plupart combine les aides européennes avec des prêts ou d’autres apports financiers d’investisseurs privés ou publics. La subvention couvre une partie des coûts qui va permettre à un projet de voir le jour. Ces financements ciblent essentiellement les secteurs de l’énergie, des transports, de l’eau et de l’assainissement, ainsi que le soutien aux petites entreprises. Par exemple, nous aidons à : • créer/soutenir 5 millions d’emplois ; • prêter 2 milliards d’euros aux petites entreprises ; • produire chaque année 15 000 gigawatts d’énergie renouvelable. 2. Expertise Nous fournissons également une assistance technique. Nos experts, en ingénierie comme en comptabilité, aident les promoteurs à développer des projets de qualité ou les gouvernements avec leurs réformes. 3. Soutenir un climat favorable aux investissements Les gouvernements d’Afrique améliorent le climat des investissements pour renforcer l’attractivité de leurs pays aux yeux des investisseurs et des entrepreneurs. Nous les aidons
Kay Parplies Chef de l’Unité investissements et financements innovants, Direction générale de la coopération internationale et du développement, Commission européenne, Bruxelles
dans ces efforts. Nous réunissons également les pouvoirs publics et le secteur privé pour échanger sur les défis liés aux investissements. Faire face ensemble à la crise L’UE a déjà alloué 4,6 milliards d’euros à ce Plan pour mobiliser à terme jusqu’à 47 milliards d’euros d’investissements. A présent, pour faire face au Covid-19, nous recentrons les garanties vers les chefs d’entreprises, les femmes et les jeunes. Nous encourageons les banques locales à prêter davantage aux petites et aux microentreprises pour les aider à surmonter leurs difficultés. Nous contribuons à améliorer les conditions financières qui leur sont faites pour leur faciliter les emprunts auprès des banques locales, y compris en devise locale. Nous redoublons également d’efforts pour investir dans la santé, en particulier dans les laboratoires d’essais. Ces évolutions reflètent notre souplesse et notre détermination à aider à protéger les populations dans toute l’Afrique et à rester à leurs côtés pour faire face à cette crise sans précédent.
INTERNATIONAL UNION EUROPÉENNEUNION AFRICAINE
D’égal à égal Prévu en octobre, le 6e sommet UE-UA devait entériner un partenariat renouvelé entre l’Europe et l’Afrique. Mais la crise du Covid-19 est venue perturber le calendrier… et les relations entre Bruxelles et Addis-Abeba.
F OLIVIER CASLIN
idèle à son agenda, l’UE avait prévu de consacrer l’année 2020 à ses relations diplomatiques, politiques, économiques et culturelles avec l’Afrique. La nouvelle Commission a pris ses fonctions le 1er décembre 2019. Une semaine plus tard, sa présidente, l’Allemande Ursula von der Leyen, se rendait à Addis-Abeba pour rappeler devant Moussa Faki, son homologue de la Commission de l’UA, à quel point « le continent africain compt[ait] pour l’UE ». Dès le 13 mars, Josep Borrell, vice-président de la Commission et haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, présentait, avec la commissaire aux Partenariats internationaux, Jutta Urpilainen, la nouvelle stratégie européenne pour l’Afrique, censée dépoussiérer la précédente, datant de 2007. Juste avant cette communication, une vingtaine de commissaires n’avaient pas hésité à faire un déplacement inédit jusqu’à la capitale éthiopienne pour s’enquérir des attentes et des propositions africaines. Les négociations promettaient de durer au cours de l’été avant qu’un accord émerge avec l’automne et qu’un « nouveau partenariat d’égal à égal » soit adopté en octobre lors du 6e Sommet UE-UA, organisé à Bruxelles.
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La fin d’année pouvait même se conclure en beauté avec la signature des accords Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP), destinés à prendre la suite de ceux de Cotonou – signés en 2000 entre l’UE et 79 pays – et objet d’âpres négociations depuis plus de deux ans.
Rencontres annulées
Mais la crise du Covid-19 a grippé le calendrier européen et bouleversé l'ordre des priorités chez les deux partenaires. Épicentre de la crise sanitaire dès avril, l’UE post-Brexit a dû faire face à l’urgence de sa propre situation, ainsi qu’à la remise en question de certains principes de solidarité interne par quelques-uns de ses pays membres. L’Afrique, de son côté, continue de se mobiliser en attendant un possible pic à venir. Les rencontres prévues sont annulées les unes après les autres, et, même si les vidéoconférences se multiplient, « les discussions n’avancent pas », regrette un négociateur africain. Au point de se demander, aussi bien au siège de l’UE qu’à celui de l’UA, « s’il est bien nécessaire d’organiser un sommet qui n’aurait qu’une valeur symbolique ». Le sujet est pour l’instant tabou à Bruxelles, où l’on attend toujours de connaître la vision africaine pour donner un contenu « au cadre général » dévoilé dans la capitale belge en mars.
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TIKSA NEGERI/REUTERS
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, au côté de Moussa Faki, son homologue de l’UA, le 7 décembre 2019, à Addis-Abeba.
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INTERNATIONAL
UNION EUROPÉENNE-UNION AFRICAINE
La Commission n’en démord pas: son document n’a rien perdu de sa pertinence, et les cinq axes de sa stratégie – transition verte, transformation numérique, croissance soutenable et emploi, paix et gouvernance, migration et mobilité – demeurent prioritaires sur le continent. Les circonstances rendent le discours inaudible en Afrique et renforcent l’impression héritée du sommet de 2017 à Abidjan d’une Europe déconnectée de ses réalités. D’autant que l’UE n’a pas su profiter de la crise pour souligner la particularité de ses relations avec le continent. Elle s’est même fait ravir la vedette par la Chine, qui, pendant quelques semaines, semblait voler au secours de l’Afrique quand Bruxelles peinait à rassembler une quinzaine de milliards d’euros pour parer au plus pressé. « Une bataille des narratifs » qui a mis dans une colère noire Josep Borrell à mesure qu’elle soulignait les limites politiques de l’UE. Justement, l’Afrique aussi entend changer de discours et
LA MISE EN PLACE DE LA ZLECA VA ÉLARGIR LE POUVOIR DE NÉGOCIATION DE L’UA, QUI POURRAIT ÊTRE TENTÉE D’ALLER VOIR AILLEURS.
semble prête à prendre au mot son partenaire lorsqu’il lui propose de sortir de la traditionnelle relation donneur-receveur. Le camp africain n’a peut-être pas encore présenté sa stratégie, mais il fait entendre ses arguments, comme la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), « qui va nous donner le pouvoir de négocier avec tous les partenaires du monde », estime la présidence de l’UA. Lassée d’attendre le partenariat équilibré que l’Europe lui promet depuis des années, l’Afrique pourrait être tentée d’aller voir ailleurs. « L’UE prendrait alors le risque de n’apparaître que comme un bailleur de fonds ou un opérateur sécuritaire », craint déjà l’un de ses diplomates. Une éventualité dont ne veut pas entendre parler Ursula von der Leyen, qui va devoir convaincre les pays membres et l’institution communautaire de lui accorder les moyens de « faire plus pour l’Afrique ». Si l’Europe ne veut pas voir quelqu’un d’autre s’en charger à sa place.
Jutta Urpilainen
Commissaire aux Partenariats internationaux de l’Union européenne
« L’Afrique veut un partenariat équilibré, c’est ce que nous lui proposons »
S RONI REKOMAA/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES
Propos recueillis par OLIVIER CASLIN
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i elle n’est pas officiellement la « Madame Afrique » de la Commission von der Leyen, Jutta Urpilainen est au cœur de nombreuses négociations avec le continent, à commencer par celles qui concernent les accords commerciaux post-Cotonou avec les pays ACP. C’est également cette Finlandaise de 44 ans, ancienne vice-ministre, qui a présenté, le 13 mars, la très attendue nouvelle stratégie européenne pour l’Afrique. Quelques jours seulement avant l’arrivée de la pandémie…
Jeune Afrique: Quelle est la principale évolution apportée par la nouvelle stratégie européenne?
Jutta Urpilainen: Avec seulement trois mois pour préparer ce document, nous n’avions pas l’ambition de tout réinventer. Les priorités définies lors du sommet d’Abidjan de 2017 restent valides, qu’il s’agisse de la transition écologique, de la transformation numérique, de la croissance soutenable et de l’emploi, de la paix et de la gouvernance, et enfin des questions de migration et de mobilité, qui sont les cinq domaines clés, identifiés par la Commission, de notre future coopération avec l’Afrique. Le principal changement vient peut-être du discours lui-même. Nous voulons faire comprendre en Afrique, mais également en Europe, qu’il est temps de sortir du prisme donneur-receveur pour mettre en place des partenariats équilibrés dans le monde en général et avec l’Afrique en particulier.
TASK FORCE DE CHOC Personne ne sait encore si le prochain sommet UE-UA pourra avoir lieu physiquement à la date prévue, mais tout le monde s’accorde à dire que l’Afrique n’a jamais semblé aussi bien préparée que pour ce 6e rendez-vous. « La présidence de l’UA joue toujours un rôle majeur dans ces rounds de négociations », précise l'un de ses conseillers, et beaucoup reconnaissent aujourd’hui le leadership de Cyril Ramaphosa en la matière. « La voix de l’Afrique du Sud porte beaucoup plus que celle d’autres pays à Bruxelles », confirme un diplomate africain. Le président en exercice depuis le 10 février peut compter sur le soutien de celui qui a occupé la fonction en 2018, Paul Kagame, aujourd’hui président du comité d’orientation de la future agence de développement de l’UA – créée sur
La pandémie actuelle ne rend-elle pas déjà cette nouvelle stratégie caduque?
Le contexte a significativement changé ces deux derniers mois, mais cette stratégie n’a rien perdu de sa pertinence. Les tendances de fond concernant les questions climatiques ou l’innovation digitale restent les mêmes. Bien entendu, l’urgence de la situation nous demande de nous concentrer sur la lutte contre le virus, mais les besoins d’une politique de coopération au sens large demeurent en Afrique. La présentation de notre stratégie n’est que le début du processus, et nous avons lancé de vastes consultations auprès de nos partenaires africains, de nos pays membres et de nombreuses organisations présentes en Afrique et en Europe. Malgré les difficultés liées à la pandémie, ces consultations se poursuivent, et nous attendons de connaître les positions africaines pour pouvoir présenterunelignepolitiquecommune lors du sommet que nous prévoyons toujours de tenir à Bruxelles en octobre. Cette pandémie n’aurait-elle pas été l’occasion pour l’UE de confirmer qu’elle est bien le partenaire particulierqu’elleprétendêtrepourl’Afrique?
L’A f r i q u e e s t u n e p r i o r i t é pour Bruxelles, et nous sommes
les cendres du Nepad – et grand architecte des réformes en cours au sein de l’organisation panafricaine. Moussa Faki, le président de la Commission de l’UA, profite justement de ces changements profonds pour mieux mobiliser son administration. Les dirigeants de l’UA n’ont pas hésité cette fois à faire appel aux meilleurs économistes du continent. Carlos Lopes conseille depuis deux ans les présidents qui se sont succédé. Et si la mission officielle des « envoyés spéciaux » nommés le 12 avril par Cyril Ramaphosa porte sur les conséquences de la pandémie en Afrique, Ngozi Okonjo-Iweala, Donald Kaberuka, Tidjane Thiam et Trevor Manuel ne manqueront pas de porter à Bruxelles les propositions de l’UA. O.C.
entièrement mobilisés, aux côtés de nos partenaires africains, pour traverser cette crise ensemble, sur le court terme, le moyen terme et le long terme. Je rappelle que nous avons distribué, depuis 2014, un total de 1,1 milliard d’euros pour renforcer les systèmes de santé dans quinze pays du continent. Et je considère personnellement que les 15 milliards d’euros que nous venons de réorienter pour aider en urgence l’Afrique sont un exemple significatif de notre solidarité envers nos pays partenaires. Avez-vousdéjàuneidéedesattentesdu côté africain?
Avant de présenter notre stratégie, l’ensemble ou presque du collège de commissaires s’était rendu à Addis-Abeba pour justement écouter les propositions de l’UA. Nous nous entretenons beaucoup avec les différents leaders du continent ces derniers mois, et leur attitude me semble très constructive envers cette nouvelle stratégie. Ils veulent un partenariat équilibré, et c’est ce que nous leur proposons. Beaucoup demandent une simplification des instruments de financements européens pour plus de clarté et d’efficacité.
C’est en effet nécessaire. Le budget européen en cours de négociation pour le prochain cycle financier de sept ans contient justement la proposition émise par la Commission en 2019 de regrouper onze instruments financiers existants en un seul. Si le principe de cet Instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (Ndici) est accepté, ce sera une énorme évolution dans le financement de notre coopération extérieure, dont l’architecture deviendra ainsi plus lisible pour nos partenaires. Le Ndici pourrait voir le jour dès la confirmation du nouveau budget et démarrer l’année prochaine. Faut-il s’attendre également à une réorientation des investissements européens en Afrique ?
Nous sommes un investisseur de premier plan sur le continent et nous voulons le rester. Notre objectif est de développer l’investissement privé en Afrique. Nous ne pourrons pas atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) sans le secteur privé. Pour investir plus, dans davantage de projets, il nous faut le soutien des entreprises, en Europe comme en Afrique.
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UNION EUROPÉENNE-UNION AFRICAINE TRIBUNE
Cinq axes pour une refondation
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LES DIRECTEURS DES ORGANISATIONS MEMBRES DU EUROPEAN THINK TANKS GROUP (ETTG)
actuelle crise sanitaire représente un défi extraordinaire pour notre monde globalisé. À commencer par l’Union européenne (UE), qui, face à cette pandémie, doit impérativement regarder au-delà de ses frontières, en direction notamment de son partenaire le plus proche, l’Afrique. Au nom de la réciprocité des intérêts. Juste avant la pandémie, en mars, l’UE avait dévoilé sa nouvelle stratégie africaine, bâtie justement avec l’ambition de forger « un partenariat d’égal à égal ». L’apparition du Covid-19 risque déjà de la rendre obsolète, et la lutte contre le virus constitue même un test majeur quant à la volonté européenne de respecter ses orientations. « Si nous ne réglons pas le problème en Afrique, nous ne pourrons pas le régler en Europe », affirme Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne. L’Europe doit donc penser à sa sortie de crise en se préparant à accompagner l’Afrique dans la sienne. L’UE doit travailler avec l’Afrique dans sa lutte contre le virus, mais également dans l’élaboration d’un nouveau partenariat sur le long terme. Les crises majeures sont propices aux changements historiques et peuvent être un formidable accélérateur de réformes sociales, économiques et politiques. Cette crise nous fournit l’occasion de sortir de notre politique d’aide traditionnelle pour inaugurer un modèle de coopération sincère entre l’Europe et l’Afrique. Pour poser de telles fondations, l’UE doit: 1 Appuyer les programmes de reprise économique de l’Afrique Le coût de la pandémie s’annonce déjà très lourd pour les économies africaines. Les ministres des Finances du continent doivent trouver plus de 100 milliards de dollars pour espérer réduire l’impact du virus. Les 15 milliards d’euros annoncés récemment par le Conseil européen des Affaires étrangères ne peuvent constituer dans ce contexte qu’un premier pas. L’UE devra faire beaucoup plus et s’associer aux efforts multilatéraux entrepris par le G20, le FMI et la Banque mondiale. Soutenir pleinement les initiatives de l’Union africaine (UA) et de la Banque africaine de développement (BAD). 2 Participer à la reconstruction d’une économie plus respectueuse de l’environnement Il est de notre devoir et de notre responsabilité envers les générations futures d’avancer vers un avenir écologicocompatible. Les programmes de relance économique à venir doivent tenir compte d’objectifs environnementaux. Réconcilier
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impératifs climatiques, croissance économique et politiques de développement, la tâche s’annonce compliquée pour l’Afrique. À trop vouloir imiter la Chine, l’UE a surtout investi ces dernières années dans les industries extractives et les infrastructures en Afrique, accroissant l’endettement des pays et leur vulnérabilité. Il faut désormais investir dans la diversification des économies locales, dans la recherche de nouvelles chaînes de valeur écologiquement acceptables. Porter une attention particulière aux PME, génératrice d’emplois. Soutenir l’innovation en généralisant l’accès digital pour les populations et éviter de nouvelles inégalités. 3 Agir contre les aspects négatifs de la mondialisation La crise actuelle nous a rendus conscients des vulnérabilités créées par la globalisation de l’économie. Malgré ses réussites incontestables, elle n’a pas pu empêcher les pénuries de matériel sanitaire de première nécessité constatées dans de trop nombreux pays. L’intégration économique semblant devoir se poursuivre, il pourrait être sage pour l’Europe et l’Afrique de développer une approche plus régionale, moins liée aux dépendances externes. 4 Investir dans des secteurs publics efficaces et performants Les difficultés affichées par de nombreux systèmes de santé à travers le monde soulignent l’importance de secteurs publics efficaces. Certaines questions de gouvernance ayant été négligées ces dernières années, elles doivent retrouver leur place dans l’agenda des relations entre l’Afrique et l’Europe. L’UE devra avoir une approche plus sensible des réalités et des différents contextes politiques locaux. Avec la réciprocité comme modèle à suivre. 5 En finir avec la relation de dépendance entre le Nord et le Sud L’Afrique et l’Europe doivent rééquilibrer leur relation. C’est en partageant les connaissances et les expériences qu’ensemble elles réduiront l’impact sanitaire et économique de cette pandémie. Le soutien financier européen et l’annulation de la dette sont cruciaux pour l’Afrique, mais les élites du continent doivent éviter de tomber dans le piège de l’aide extérieure. L’UE doit les aider à mobiliser leurs ressources domestiques et à lutter contre les flux financiers illégaux. Sur les cendres de cette crise doit émerger un partenariat d’un nouveau genre entre l’Afrique et l’Europe.
COMMUNIQUÉ
AVIS D’EXPERT
Proparco
151, rue Saint-Honoré - 75001 Paris - FRANCE Email : severacc@proparco.fr
www.proparco.fr
Grâce à son partenariat avec l’UE, Proparco diversifie ses activités et augmente ses impacts D ans les pays en développement et émergents, les petites et moyennes entreprises (TPME) constituent 90% du tissu entrepreneurial et créent 60 % des emplois formels. Ces acteurs clés ont besoin de ressources financières pour développer leur activité mais leur accès au financement reste très limité, souvent parce qu’ils sont perçus comme une clientèle risquée par les banques.
Pour faciliter l’accès au crédit des TPME dans les pays en développement ou émergents, le Groupe AFD a lancé en mars 2019 avec le soutien de l’Union européenne (UE) et du Groupe des États d’Afrique,des Caraïbes et du Pacifique, un nouveau mécanisme de garantie : Euriz. Sur le terrain, les banques, vers lesquelles les PME s’adressent pour obtenir un prêt en monnaie locale, peuvent désormais faire appel à Proparco pour garantir une partie du risque lié au prêt. Proparco a ainsi signé en mai 2019 une opération avec la United Bank for Africa (UBA), afin d’accroître l’accès au crédit des TPME opérant dans des secteurs à fort impact social et sociétal au Nigéria. Ce projet soutient notamment des start-up - dans le cadre de Choose Africa, une initiative de la France mise en œuvre par le Groupe AFD pour accompagner et financer 10 000 start-up et TPME africaines d’ici 2022- et finance des projets d’énergies renouvelables et d’efficacité
énergétique.Un autre projet ayant bénéficié de la garantie Euriz a été signé en Mauritanie,en décembre 2019,avec un acteur majeur du financement de l’entrepreneuriat, Attijari Bank Mauritanie (ABM).Proparco a octroyé une garantie de portefeuille qui cible les secteurs de l’agriculture, de la pêche, de l’éducation et de la santé.
Proparco parvient ainsi, grâce à l’UE qu’elle mobilise depuis son accréditation en 2015, à soutenir davantage d’opérations que ce que sa propre structure financière et organisationnelle lui permet. Proparco peut ainsi aujourd’hui appuyer le financement de nouveaux types de clientèles, plus risquées pour les banques mais porteuses d’impacts positifs majeurs.
Camille Severac, Responsable de la cellule Accompagnement Technique et mixage des ressources
Groupe AFD soutenu par l’UE dédié au financement des énergies renouvelables hors réseau en Afrique. En investissant dans Rensource,Proparco grâce à l’appui de l’UE contribue à faciliter l’accès à l’énergie dans un contexte de déficit énergétique important et croissant au Nigéria, une priorité commune.
Grâce à Euriz, un nouveau mécanisme de garantie mis en place avec l’Union Européenne (UE), plus de 6 200 PME africaines - dont 1 200 dans les pays fragiles - devraient bénéficier dans les prochaines années de prêts pour créer leur projet ou développer leur activité. C’est aussi avec le soutien de l’UE que Proparco a investi en fonds propres dans la société Rensource, une entreprise spécialisée dans les énergies renouvelables au Nigeria. Une opération réalisée dans le cadre de la facilité Africa Renewable Energy Scale-up (ARE Scale-up), un outil du
Pourl’accès à ces outils,pourla mise en place de mécanismes innovants mais aussi pour la richesse des échanges techniques et la complémentarité de nos différentes actions, Proparco souhaite poursuivre et approfondirson partenariat avec l’UE afin de renforcer l’impact de ses activités.
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UNION EUROPÉENNE-UNION AFRICAINE
Carlos Lopes Conseiller à la présidence de l’UA
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ERIC PIERMONT/AFP
« L’Europe doit traiter l’Afrique en adulte » Propos recueillis par OLIVIER CASLIN
epuis le 2 juillet 2018 et le sommet de Nouakchott, l’Union africaine (UA) a t rè s o f f i c i e l l e m e n t appointé Carlos Lopes pour l’épauler lors des délicates négociations avec la Commission européenne. En tant que conseiller à la présidence, l’économiste bissau-guinéen dispose de l’oreille attentive de Cyril Ramaphosa et travaille en étroite collaboration avec la commission dirigée par Moussa Faki.
Un avis qui compte à Addis-Abeba et irrite parfois Bruxelles. Jeune Afrique: Qu’attend aujourd’hui l’Afrique de l’Europe ? Carlos Lopes : Nous voulons sortir
d’une relation asymétrique, entre une partie qui a les moyens, et donc décide des priorités, et une autre qui doit s’adapter. La relation doit changer de mode de fonctionnement. Et nous attendons pour cela de disposer d’un instrument de gouvernance de
continent à continent qui aujourd’hui n’existe pas. Nous ne voulons plus d’une relation centrée sur l’aide mais sur les intérêts communs en matière de commerce, de paix et de sécurité, de migration et de changement climatique. Dans ces quatre domaines sur lesquels nous pouvons introduire des conditionnalités nouvelles, nous devons pouvoir discuter en direct, sans intermédiaire, dans un cadre aux responsabilités bien établies, avec des obligations de part et
VERS UN REGROUPEMENT DES INSTRUMENTS FINANCIERS Contrairement aux idées reçues, l’UE reste bien le premier partenaire économique de l’Afrique. Le rythme n’est peut-être pas aussi soutenu qu’avec Pékin, mais Bruxelles fait toujours la course en tête (voir infographie). C’est justement pour accélérer la cadence et « inverser les narratifs », explique un fonctionnaire européen, que les deux dernières Commissions tentent d’accorder les nombreux instruments financiers à leur disposition pour mettre en musique la politique d’action extérieure communautaire. En 2018, l’UE a débloqué, tous mécanismes et tous pays confondus, plus de 74 milliards d’euros, soit 57 % du montant total investi dans la coopération, contre à peine 10 % pour la Chine. Et personne ne le sait. Alors, pour apporter un peu de cohérence, comme demandé par le « comité des sages » en décembre 2019, et tisser « ce nouveau partenariat avec l’Afrique », la Commission a repris à son compte la proposition émise en juin 2018 de regrouper ses instruments financiers de coopération extérieure en un seul. Si son principe était entériné lors des négociations en cours sur le prochain budget communautaire 2021-2027, ce nouvel Instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (Ndici) disposerait
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d’une enveloppe globale de 32 milliards d’euros pour l’Afrique subsaharienne, plus 22 milliards pour la politique de voisinage, qui concerne le nord du continent. Cette possible réorganisation des fonds a déjà rallumé la vieille querelle institutionnelle entre la Banque européenne d’investissement (BEI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) que certains rêvent d’éteindre avec la création d’une « super-banque européenne de développement », également suggérée par les sages. L’arrivée d’un tel bras financier permettrait de renforcer le volet externe de l’ambitieux Plan européen d’investissement (PIE), adopté en 2017 par la Commission Juncker, qui, pour la première fois, place le secteur privé au rang des priorités. En plus de vouloir contribuer à l’amélioration du climat des affaires dans les pays partenaires, le PIE apporte la garantie communautaire aux projets soutenus par les agences de développement des différents pays membres, ainsi que par les institutions financières internationales. Doté d’un fonds de démarrage de 4,1 milliards d’euros dès cette année, il doit permettre de mobiliser jusqu’à 44 milliards d’euros. O.C.
COMMUNIQUÉ
African Trade Insurance Agency (ATI) /Assurance
AVIS D’EXPERT
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Promouvoir l’énergie propre en Afrique en encourageant l’investissement privé L
a population en Afrique augmente rapidement ; elle attein-
Ici, l’assurance a un rôle à jouer. Les
dra deux milliards d’habitants en
investisseurs privés peuvent être at-
2040.La faim d’énergie augmente en
ténués par l’Agence pour l’Assurance
conséquence.Aujourd’hui, 600 mil-
du Commerce en Afrique (ATI). L’ATI
lions d’Africains n’ont pas accès à
est une institution panafricaine d’as-
un approvisionnement énergétique
surance contre les risques d’entreprise
Obbie Banda,
Thomas Pohl,
moderne. Souvent l’électricité est
en Afrique, entre autres dans le sec-
Assurance du Commerce en Afrique (ATI-ACA)
KfW Banque de Développement Projets d’énergie Afrique australe
risques auxquels sont confrontés les
disponible quelques heures par
teur de l’énergie. Fondée en 2001, elle
jour seulement. L’Afrique est donc
compte aujourd’hui 17 États membres,
déjà confrontée à un grave déficit
dont l’Éthiopie, le Kenya, le Nigeria et
énergétique et la demande va encore
le Rwanda, et 10 actionnaires institu-
augmenter. Cette demande supplé-
tionnels dont la Banque africaine de
mentaire peut et doit être couverte
développement.
par des sources d’énergie largement renouvelables.
L’ATI ne peut cependant pas prendre
Toutefois, cela nécessite des investis-
qui surchargerait son bilan.Pour cette
sements d’environ 20 milliards USD
raison elle collabore avec des compa-
par an, qui ne peuvent être couverts
gnies de réassurance et des donateurs
par les seuls budgets publics. Mais
publics pour transférer le risque. La
l’intégralité du risque des projets, ce
« Nous fournissons des solutions innovantes permettant davantage d’investissements dans les énergies renouvelables en Afrique. » John Lentaigne, Directeur Général Intérimaire, ATI-ACA
l’engagement des investisseurs privés dans des projets d’énergie renouvelable est souvent entravé par des restrictions de la capacité de crédit des gouvernements et opérateurs africains. Les risques entrepreneuriaux sont donc perçus comme élevés. Pour lever cet obstacle structurel, une action vigoureuse s’impose.
KfW, banque de développement allemande,ensemble avec Munich Re et la Banque européenne d’investissement, permet à l’ATI d’offrir exactement les régimes d’assurance requis pour des investissements privés à long terme. La KfW apportera 50 millions USD comme garantie de deuxième perte pour couvrir des projets d’une valeur
supérieure à 1 milliard USD. Ceci est rendu possible par une garantie de l’Union européenne, à savoir le Fonds européen pour le développement durable. Ainsi, des risques sont éliminés qui freinent les investissements privés dans l’expansion des énergies renouvelables. En fait, le potentiel est gigantesque : l’Afrique vient juste de commencer à utiliser ses vastes ressources. En outre, le projet approfondit le partenariat entre les institutions et les investisseurs européens et africains - un objectif déclaré de l’UE et du gouvernement allemand. Une atténuation adéquate des risques décide souvent de la réussite d’un projet.Or,l’ATI et ses partenaires fournissent des solutions innovantes pour promouvoir les investissments dans les énergies renouvelables en Afrique.
INTERNATIONAL
UNION EUROPÉENNE-UNION AFRICAINE
d’autre selon des engagements mutuels. Et je constate avec satisfaction qu’après avoir longtemps résisté la Commission européenne semble prête à en accepter le principe. Que pensez-vous justement de cette nouvelle commission ?
Les positions prises par Ursula von der Leyen sont très encourageantes. Elle a réservé son premier déplacement officiel à l’UA et elle est venue à Addis-Abeba avec 23 commissaires, ce qui n’était encore jamais arrivé, pas même à Bruxelles. Les déclarations de Josep Borrell vont également dans le bon sens en ce qui concerne la mobilité et la relation politique entre les deux continents. Maintenant, il reste à mesurer cette évolution de manière concrète. Et la stratégie africaine présentée à Bruxelles au début de mars ?
Ils ont fait leurs propositions, nous ferons les nôtres, et nous trouverons le meilleur chemin entre les idées des uns et des autres. L’histoire entre nos deux continents est toujours très émotionnelle. Et cela peut rapidement provoquer un déficit de confiance. Pour éviter cela, il faut traiter l’Afrique en adulte, et j’espère que la nouvelle commission le fera. L’Afrique peut-elle se passer du soutien de l’UE ?
Les Africains ont toujours regardé ailleurs. C’est dans leur intérêt. L’Afrique a actuellement de fortes relations d’un point de vue économique avec la Chine. Et il est dans son intérêt de maintenir ces relations fortes qui injectent beaucoup de capital et provoquent donc d’importantes transformations à travers le continent. Mais cela ne se fait pas au détriment de l’Europe. Au contraire, nous
aimerions qu’elle soit, en matière de progression de ses investissements et de ses échanges commerciaux, au même niveau que la Chine. Qu’est-ce que l’Europe devrait faire pour redonner confiance à l’Afrique et montrer qu’elle est bien le partenaire particulier qu’elle assure être ?
Elle semble déjà ne pas saisir l’opportunité apportée par la pandémie pour voir au-delà. Peut-être devrait-elle simplement écouter les dirigeants de certains de ses pays membres, partager par exemple l’enthousiasme pour l’Afrique que semblent vouloir communiquer Mme Merkel et M. Macron aux acteurs économiques de leurs pays. Même si le rôle le plus important reste tenu par la Commission. C’est la direction que prendra Bruxelles qui permettra de combler ou non ce déficit de confiance.
UE, premier partenaire de l’Afrique 235 Échanges commerciaux avec l’Afrique en 2018 (en milliards d’euros)
222
Stock des investissements directs étrangers en 2017 en Afrique (en milliards d’euros)
125
Aide publique au développement en 2018 (en milliards d’euros)
19,6
Union européenne
Part des échanges commerciaux (en %)
38 46 % du total reçu par l’Afrique
Chine
32 %
46
42
États-Unis 6%
SOURCE : UE
100
no3089 – JUIN 2020
17 %
COMMUNIQUÉ
AVIS D’EXPERT
Banque européenne d’investissement (BEI) 98-100, boulevard Konrad Adenauer L-2950 Luxembourg, Luxembourg E-mail : barragam@eib.org
www.eib.org
La crise du Covid-19 est une opportunité pour relancer une économie plus verte Quelle a été la réponse de la Banque européenne d’investissement (BEI) à la crise sanitaire liée au Covid-19 en Afrique ? La réponse de la BEI a été rapide et d’envergure. L’objectif est de lutter à la fois contre la crise sanitaire et la crise économique qui en découle. Dès le 8 avril, nous avons annoncé une enveloppe de 5,2 milliards d’euros consacrée aux pays situés en dehors de l’UE, dont 3 milliards pour l’Afrique. Il s’agit d’une première réponse destinée à : • soutenir les États africains en matière de santé mais également d’eau et d’assainissement ; • appuyer ces États pour leur permettre d’aider les entreprises victimes de la crise et ainsi préserver les emplois ; • travailler étroitement avec les banques et les institutions financières africaines avec la mise en place de nouvelles lignes de crédit destinées principalement aux PME et un mécanisme renforcé de partage des risques. Nous accélérons également le déboursement de lignes de crédits existantes pour donner de la liquidité aux entreprises en difficulté ; • prêter directement aux grandes entreprises locales des secteurs de la santé et du digital. Nous accordons une attention particulière à la question du genre afin
de soutenir les entreprises dirigées par des femmes et/ou employant un nombre élevé de femmes. Comment intervenez-vous dans la lutte contre le changement climatique ? En tant que banque du climat,le développement durable et la lutte contre le changement climatique sont au cœur des priorités de la Banque de l’Union européenne. D’ici 2025,nous y consacrerons 50 % de nos financements. Nous intervenons dans des projets en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (transports urbains, énergies renouvelables, systèmes solaires off-grid, etc.) et d’adaptation au changement climatique (agriculture, prévention des crues, etc.).
Maria Shaw Barragan, Directeur des Prêts Afrique, Caraïbes, Pacifique,Asie et Amérique latine à la Banque européenne d’investissement (BEI)
Comment voyez-vous l’avenir du partenariat avec l’Afrique ? Nous sommes tous confrontés aux mêmes défis. L’UE et la BEI souhaitent travailler avec l’Afrique pour élaborer ensemble des réponses communes. Ce partenariat se traduit par une coopération étroite avec
Nous apprenons beaucoup des Africains grâce à leur dynamisme et à leur capacité à nous aider à trouver des solutions concrètes. C’est un partenariat dans les deux sens. Le Covid-19 ne doit pas conduire à relâcher nos efforts dans ce domaine. Bien au contraire. La crise sanitaire doit être une opportunité pour agir autrement, intensifier la lutte contre le changement climatique et promouvoir un développement durable et responsable.
toutes les parties prenantes (gouvernements, entreprises privées, etc.) dans la mise en œuvre des projets. En retour, nous apprenons beaucoup des Africains grâce à leur dynamisme et à leur capacité à nous aider à trouver des solutions concrètes. C’est un partenariat dans les deux sens.