PALMARÈS LES 100 LEADERS DU DROIT DES AFFAIRES NO 3091 – AOÛT 2020
LES 100 AFRICAINS LES PLUS INFLUENTS
CÔTE D’IVOIRE
POURQUOI OUATTARA SERA CANDIDAT
TUNISIE
LES FEMMES DU PRÉSIDENT
AFRIQUE DE L’OUEST Spécial 16 pages
DOSSIER
LE MAROC D’APRÈS
12 PAGES
Alors que la pandémie est encore loin d’être éradiquée, le royaume veut faire bon usage de la crise. Principal architecte de la riposte, M6 en est convaincu : ce sont des grandes peurs que naissent les grandes innovations. Algérie 420 DA • Allemagne 9 € • Belgique 9 € • Canada /A 12,99 $CAN Espagne 9 € • France 7,90 € • Grèce 9 € • DOM 9 € • Italie 9 € Maroc 50 MAD • Pays-Bas 9,20 € • Portugal continental 9 € RD Congo 10 USD • Suisse 15 CHF • TOM 1 000 XPF • Tunisie 8 TND Zone CFA 4800 F CFA • ISSN 1950-1285
OBJECTIF MAROC UN PAYS, SES DÉFIS
POLITIQUE
MAP
Riposte royale
Confinement décidé à bon escient, mesures de soutien à l’économie, optimisation des aides sociales… Face à la pandémie, l’État a su agir de manière rapide et innovante. Mais, alors que le virus fait de la résistance, le royaume parviendra-t-il à limiter ses effets dévastateurs ?
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FAHD IRAQI, À CASABLANCA
Le 20 mars, Mohammed VI préside une séance de travail consacrée à la gestion de la pandémie de Covid-19. Y participent le chef du gouvernement, Saadeddine El Othmani; le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit; le ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb; le directeur général de la Sûreté et de la Surveillance du territoire, Abdellatif Hammouchi; ainsi que le général Mohamed Haramou, commandant de la Gendarmerie royale, et le général Abdelfettah El Ouarrak, inspecteur général des FAR.
out commence le jeudi 12 mars. Ce jour-là, une activité royale est annulée au dernier moment. « Le souverain a failli se retrouver en contact avec une personne atteinte du coronavirus, confie une source proche du conseil de Casablanca, ville où devait se tenir l’événement. Plusieurs hauts responsables de la métropole ont d’ailleurs été mis discrètement en quarantaine. » Dès lors, la psychose du coronavirus prend de l’ampleur. D’autant que, chez les voisins européens, le Covid-19 commence à faucher des vies par milliers. Réaliste quant à ses capacités à affronter cette crise sanitaire, le royaume va prendre rapidement des mesures énergiques. Le soir même, il commence à verrouiller ses frontières. Une semaine plus tard, le Maroc tout entier est en lockdown (« confinement »). Des blindés de l’armée sont dans les rues pour faire respecter l’état d’urgence sanitaire.
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Cette ambiance apocalyptique fait craindre le pire aux Marocains, dont nombre étaient loin d’imaginer que leur royaume serait érigé en exemple au niveau international pour sa gestion de la crise sanitaire. Car rapidement et de plus en plus sûrement au fil des semaines de confinement, le Maroc a su se réinventer. « Le pays est sorti du lockdown avec de nombreux acquis, explique un cadre de l’exécutif. En matière de santé, dans le processus d’identification des personnes vulnérables, sur le plan industriel ou dans les domaines de la digitalisation et du paiement électronique, cette crise sanitaire a été un véritable accélérateur. Des choses que l’on disait impossibles à réaliser se sont révélées faisables. »
Générosité
Cette stratégie énergique et proactive a été rendue possible grâce à la prise en main directe par le Palais de la gestion de crise. Dès les premiers jours, le roi donne le ton en multipliant les réunions au sommet. Une sorte de task force est constituée pour gérer en premier lieu les questions sécuritaires et sanitaires. Les instructions sont données pour que tous les départements, administrations et services du royaume soient mobilisés, afin de se montrer inventifs et efficaces dans ce contexte inédit. L’implication personnelle de Mohammed VI s’est aussi traduite par l’instauration rapide d’un mécanisme de solidarité, le Fonds spécial pour la gestion de la pandémie de Covid-19, qui se révélera crucial pour la mise à niveau du dispositif sanitaire, ainsi que pour l’atténuation des conséquences socio-économiques (lire pp. 92-97). Le souverain y a lui-même contribué à travers le holding familial Al Mada, avec un don de 2 milliards de dirhams (plus de 180 millions d’euros). Tous les grands groupes et les grosses fortunes du royaume ont immédiatement rivalisé de générosité pour suivre l’exemple royal, permettant d’alimenter le fonds anticrise de quelque 35 milliards de dirhams, soit près de 3 % du PIB du pays. Le chef de l’État a par ailleurs pris ses responsabilités en tant que commandeur des croyants en décidant de fermer tous les lieux de culte, après consultation du Conseil des oulémas, dès la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, le vendredi 20 mars. Une première dans le royaume. La dynamique impulsée par le souverain a entraîné dans son sillage l’ensemble des composantes
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PRÉVISIONS À COURT TERME CROISSANCE Contraction historique de 5,2 % en 2020, puis rebond de 4,2 % en 2021
INFLATION Maîtrisée à 1 % en 2020 et en 2021
BALANCE COMMERCIALE Baisse estimée de 15,8 % des exportations et de 10,7 % des importations en 2020
IDE Chute à 1,5 % du PIB pour 2020, puis retour au niveau habituel de 3,2 % du PIB dès 2021
SOLDE ET DETTE Le déficit budgétaire devrait être de 7,6 % du PIB en 2020 (contre 4,1 % en 2019) et de 5 % en 2021. L’endettement du Trésor atteint 75,3 % du PIB en 2020 (contre 65 % en 2019) et devrait se maintenir à 75,4 % en 2021
institutionnelles. Même la grande muette s’est révélée plus ouverte que jamais : ses discrets galonnés sont devenus plus médiatisés, et les médecins militaires sont venus en renfort auprès de leurs confrères dans les hôpitaux publics. Du côté du cabinet exécutif, la cadence des Conseils de gouvernement s’est accrue, et l’appareil législatif s’est montré plus prolifique que jamais. En cette période d’état d’urgence sanitaire (prorogé jusqu’au 10 juillet), Saadeddine El Othmani a réuni deux à trois Conseils de gouvernement par semaine au lieu d’un seul habituellement. Entre le 12 mars et le 24 avril, pas moins de dix Conseils de gouvernement se sont ainsi tenus par visioconférence. Cette organisation a permis d’adopter très rapidement des décrets-lois importants, comme celui portant création du Fonds spécial pour la gestion de la pandémie de Covid-19 ou celui relatif aux modalités d’exécution des dépenses du ministère de la Santé. Il n’y avait plus de temps pour des débats, parfois stériles, en commission ou en sous-commission. Il fallait élaborer des décret-lois, les adopter et les mettre en œuvre quasiment le jour même. Avec son architecture institutionnelle particulière, le royaume est parvenu à allier rapidité dans la prise de décision et respect des règles constitutionnelles.
Travailleurs informels
En outre, des avancées considérables ont été réalisées en matière d’identification et de ciblage des populations les plus modestes. En plus des salariés inscrits à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) par des entreprises qui se sont retrouvées en difficulté, les autorités ont pu débloquer des aides pour soutenir les ménages démunis bénéficiant déjà du régime d’assistance médicale (Ramed) et, surtout, les travailleurs du secteur informel qui ne figuraient jusqu’alors sur aucun registre. Un véritable prélude à la constitution du Registre social unifié (RSU), censé optimiser les différentes aides sociales distribuées par l’État à travers de nombreux programmes. D’ailleurs, pour faire avancer ce chantier royal dès la sortie du confinement, le gouvernement s’est empressé de présenter à la Chambre des représentants le projet de loi 72.18 relatif au système de ciblage des bénéficiaires des programmes d’appui social
OBJECTIF MAROC
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et à la création de l’Agence nationale des registres, qui a été adopté par la commission des secteurs sociaux le 11 juin. Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) s’est quant à lui autosaisi pour donner un avis sur le texte. Pour les experts de ce conseil consultatif, il reste toutefois des points à améliorer. « Le processus d’élaboration de la loi n’a pas été suffisamment participatif […]. Il discrimine indirectement les personnes sans domicile fixe ou ne pouvant, pour diverses raisons, justifier d’un lieu de résidence », peut-on lire dans les conclusions du Conseil. S’ils espèrent que ces remarques seront prises en compte, les membres du Cese ne
DES PROGRÈS CONSIDÉRABLES ONT ÉTÉ RÉALISÉS POUR IDENTIFIER ET CIBLER LES POPULATIONS VULNÉRABLES.
souhaitent pas pour autant qu’elles soient un prétexte pour retarder la machine législative. Des amendements peuvent être apportés très rapidement, de façon que ce chantier d’optimisation des aides sociales, qui a démontré toute son importance durant la crise sanitaire, continue d’avancer. « De toute manière, c’est un processus qui nécessite des ajustements en permanence. Le plus important, c’est de maintenir la cadence et de capitaliser rapidement sur les acquis de cette crise », souligne un membre du cabinet exécutif. Célérité et efficacité, tel devrait être le mantra du nouveau modèle de développement. Pandémie de Covid-19 oblige, la commission nommée par Mohammed VI en décembre 2019 pour travailler à son élaboration ne rendra finalement son rapport qu’en janvier 2021.
Le billet
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Politiques vs technocrates
ans toutes les équipes gouvernementales qui se sont succédé au Maroc ces vingt dernières années, on a pu observer un clivage entre professionnels de la politique et technocrates expérimentés. Les premiers décrochent pour la plupart leur maroquin grâce à leur position au sein d’un parti – lequel a gagné sa légitimité dans les urnes – et restent globalement fidèles à la ligne de leur formation, parfois contraints à quelques manœuvres et calculs imposés. Les seconds sont généralement recrutés dans le milieu des affaires pour leur compétence. Ils n’ont pas de légitimité électorale et, bien qu’ils finissent souvent par se ranger sous la bannière d’un mouvement, ne se mêlent que rarement de la vie partisane. En situation de crise, le fossé entre les uns et les autres s’est creusé. Dans la perception du grand public, le sentiment que « les technos » font mieux que « les politiciens » a été conforté par les performances individuelles des ministres dans la guerre contre le Covid-19, sur les
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a remporté les dernières législatives avec 1,6 million de suffrages… alors que 16 millions de Marocains étaient appelés aux urnes.
Fahd Iraqi plans sanitaire, économique et social. Les Marocains estiment qu’ils ne devraient pas avoir à choisir entre légitimité électorale et efficacité. Ils semblent surtout de plus en plus désemparés face à l’incapacité des partis à attirer des profils compétents ou à donner leur chance aux plus méritants de leurs militants. Car qu’il s’agisse de fonctions à responsabilité, de postes de « cabinard » ou de conseillers ministériels, ce sont généralement les affinités particulières et le népotisme qui l’emportent sur le savoir-faire. Cette défiance désormais installée des citoyens à l’égard de la pratique politique s’exprime lors des élections. L’on bat des records d’abstention à chaque nouveau scrutin. Résultat, le parti le mieux organisé
Union nationale
Les prochains rendez-vous – les scrutins communaux, régionaux, législatifs et les élections à la Chambre des conseillers, tous maintenus en 2021 – risquent fort de ne pas échapper à cette tendance. D’où la revendication de plus en plus forte, au sein d’une partie de la classe politique et de la société civile, de former un gouvernement d’union nationale. Un moyen de forcer la main des partis pour qu’ils présentent leurs profils les plus compétents. Les promoteurs de ce paradigme rappellent que la formule avait plutôt bien fonctionné de 2002 à 2007, au sein du gouvernement de Driss Jettou. À tel point qu’elle avait alors permis aux partis politiques eux-mêmes d’accueillir dans leurs rangs quelques têtes bien faites qui ne les auraient jamais rejoints en d’autres circonstances. L’expérience vaut peut-être la peine d’être retentée.
OBJECTIF MAROC
DÉCRYPTAGE
JALAL MORCHIDI/ANADOLU AGENCY/AFP
À Rabat, le 25 juin, les restaurants et cafés rouvraient leurs terrasses.
Croissance sous perfusion Pour pallier la chute de la production, de la consommation et des recettes du tourisme, l’État apporte un soutien massif aux entreprises et aux ménages. Objectif: faire redécoller l’économie dès le mois de septembre… sans trop déséquilibrer les comptes publics.
C
EL MEHDI BERRADA, À CASABLANCA
«
’est la pire crise que le pays ait jamais connue. Elle est bien plus dure que les précédentes. Elle est planétaire, sanitaire, économique, financière et sociale », a indiqué Abdellatif Jouahri, le wali de Bank Al Maghrib (gouverneur de la Banque centrale) à propos de la crise causée par l’épidémie de Covid-19 qui s’est abattue sur le royaume en mars. Venant de celui qui a géré dans les années 1980 l’une des périodes les plus difficiles de l’histoire récente du pays, celle du Plan d’ajustement structurel (PAS), la phrase est éloquente. À la mesure de la menace, bien réelle, que confirment les chiffres et les projections. Le royaume a détecté son premier cas de coronavirus le 2 mars et comptait environ 17 000 cas déclarés et
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plus de 270 décès au 20 juillet. Dès le 20 mars, le gouvernement a décrété l’état d’urgence sanitaire et imposé un confinement strict et généralisé. Une façon de protéger la population et, aussi, d’éviter que les hôpitaux ne soient rapidement saturés faute de lits en nombre suffisant. Selon des sources médicales, force est de constater que, plus de quatre mois après le début de la pandémie, la situation sanitaire du Maroc reste relativement « bonne » en comparaison de celle de bien d’autres pays. C’est sur le plan économique et social que le bât blesse. Le retour à la vie normale se fait progressivement depuis le 11 juin, mais il faudra encore quelques mois pour mesurer l’impact de la crise sanitaire sur la santé socio-économique du pays. Ce qui est certain, c’est que le Covid-19 aura une incidence sur les avancées réalisées par le Maroc ces dernières années.
Un malheur n’arrivant jamais seul, il a très peu plu au Maroc cette année. « La saison agricole est marquée par une diminution des précipitations. Celles-ci n’atteignent que 141 mm, contre une moyenne de 254 mm au cours de ces trente dernières années, soit un déficit de 40 % par rapport à l’an passé et de 44 % par rapport à une année normale », a indiqué en mars Aziz Akhannouch, le ministre de l’Agriculture, lors d’une intervention devant le Parlement. La situation météorologique ne s’est pas arrangée depuis.
Sécheresse
Pâtissantdel’effetconjuguédelasécheresse et des mesures restrictives mises en place pour limiter la propagation de la maladie, l’économie marocaine devrait accuser une contraction de 5,2 % en 2020, selon Abdellatif Jouahri. Ce qui en ferait la plus mauvaise année depuis 1996. Cette récession trouve son origine dans l’arrêt des lignes
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Bruno PITOU, Directeur Général de Bureau Veritas pour l’Afrique du Nord
plongée la planète. Cette épidémie qui frappe durement tous les pays n’est pas terminée. D’autres virus du même type pourraient même émerger s’il on en croit certains scientifiques. Ceci suppose la plus grande vigilance et la plus grande prudence pour tous. Que l’on soit usagers, collaborateurs, clients, on doit pouvoir disposer de
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OBJECTIF MAROC
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de production. Car, si quelques secteurs ont continué à fonctionner normalement ou presque, comme la santé, le commerce et la distribution, l’économie a souffert de l’arrêt brutal de nombreuses activités. Pendant le confinement, près de six entreprises sur dix ont suspendu temporairement leurs activités, voire définitivement fermé leurs portes. Ce qui s’est traduit, selon le Haut-Commissariat au plan (HCP), par la perte d’environ 726000 emplois, essentiellement dans les secteurs des services, de l’industrie et de la construction. Parallèlement au choc subi du côté de l’offre, la demande a considérablement chuté. Les revenus d’une grande partie de la population se sont mécaniquement effondrés avec le confinement, entraînant une baisse de la consommation. « Nous en sommes arrivés à un cercle vicieux, puisque la demande faiblit faute de revenus. C’est cette simultanéité des problèmes d’offre et de demande qui rend la situation si exceptionnelle et dangereuse. Il est très difficile de mesurer combien de
temps cette onde de choc va affecter l’économie nationale », estime Tarik El Malki, docteur en économie, enseignant-chercheur pour le groupe Iscae et analyste au Centre marocain de conjoncture (CMC). Comme la plupart des partenaires étrangers du royaume sont également confrontés à cette situation dramatique, les entreprises exportatrices subissent le contrecoup de la crise : perturbations liées à l’approvisionnement, affaiblissement de la demande étrangère. « Pour l’année 2020, les exportations devraient accuser une baisse globale de 15,8 %. La quasi-totalité des secteurs serait affectée », indique Abdellatif Jouahri. Enfin, étant donné que l’état d’urgence sanitaire a été prolongé jusqu’au 10 août et que les frontières auront été fermées pendant plusieurs mois, les recettes du tourisme, qui avaient atteint 80 milliards de dirhams (7,2 milliards d’euros) en 2019 – une source non négligeable de devises pour le royaume –, vont chuter d’au moins 60 %. Les professionnels du secteur, qui n’ont cessé
DU PAIN ET DES MASQUES L’immobilier, le tourisme, le transport de voyageurs, le secteur aérien, les industries automobile et aéronautique, ainsi que bien d’autres activités ont été considérablement ralenties, voire mises complètement à l’arrêt, pendant le confinement entré en vigueur à la mi-mars. Toutes les activités dites « non nécessaires » et qui ne pouvaient pas être exercées en télétravail ont été suspendues. En revanche, la crise a profité à d’autres secteurs, en particulier au commerce de produits alimentaires. Zouhair Bennani, le PDG de Label’Vie – partenaire exclusif du français Carrefour au Maroc –, a révélé que le chiffre d’affaires de ses magasins avait triplé durant les quatre premières semaines du confinement. L’industrie textile du royaume a elle aussi connu une extraordinaire embellie après que le port du masque a été rendu obligatoire le 6 avril. Dès le lendemain, pour répondre aux besoins de la population, les autorités ont mobilisé 34 usines, avec une cadence de production de 5 millions d’unités par jour. Mieux, la demande nationale étant pleinement satisfaite, le Maroc s’est rapidement distingué comme un champion mondial de l’exportation de masques grand public, dont la production quotidienne atteint désormais 7 millions d’unités. E.M.B.
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de tirer la sonnette d’alarme depuis le mois de mars, savent qu’ils vont devoir se contenter des voyageurs locaux pour la haute saison et réclament un soutien massif de l’État.
Aide d’urgence du FMI
Pour contrecarrer cette situation inédite, le Maroc a, à la suite d’une initiative royale, rapidement créé un fonds anticrise qui a été généreusement abondé à hauteur d’environ 35 milliards de dirhams. Le gouvernement s’est empressé, à son tour, de mettre en place un comité de veille économique (CVE) – que préside Mohamed Benchaaboun, le ministre des Finances. Objectif: soutenir les entreprises et aider les ménages les plus vulnérables. Quelque trois cents mesures ont ainsi été prises, notamment pour accompagner les salariés déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), mais aussi les travailleurs du secteur informel. Au total, près de 5 millions de ménages ont bénéficié des aides de l’État (950 000 salariés, auxquels s’ajoutent 4 millions de travailleurs du secteur informel). « Le principal enjeu pour les pouvoirs publics reste de financer le coût exorbitant de ces mesures et d’en gérer l’impact sur le budget de l’État, particulièrement en période de récession. À mon sens, il convient pour un temps de mettre de côté la doxa libérale et le respect des sacro-saints équilibres macroéconomiques. Il faudra laisser filer le déficit du Trésor et, surtout, continuer à engager les dépenses publiques prévues par la loi de finances 2020. Et puis, s’endetter si nécessaire », conseille Tarik El Malki. La Banque centrale a estimé le déficit budgétaire du pays à 7,6 % du PIB en 2020, contre 4,1 % en 2019. L’endettement du Trésor devrait passer quant à lui de 65 % du PIB en 2019 à 75,3 % d’ici à la fin de l’année. Parmi les premières actions qu’il a engagées, le Maroc a débloqué sa ligne de précaution et de liquidité (LPL) auprès du FMI pour un montant de près de 3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros), remboursable sur cinq ans, avec une période de grâce de trois ans – cette
OBJECTIF MAROC
DÉCRYPTAGE
DISTRIBUTION Avant même l’annonce du confinement, les Marocains ont dévalisé les rayons des magasins. Les ventes de farine, d’huile, de sucre, de pâtes, de semoule, de riz et de féculents en tout genre ont doublé pendant les premières semaines de la crise. Quant aux ventes des produits sanitaires et d’hygiène, elles ont explosé, avec un chiffre d’affaires trois fois supérieur à celui réalisé habituellement. De l’épicier du coin à l’hypermarché, des logisticiens aux distributeurs, tous ont travaillé à plein régime. La grande distribution en a profité pour attirer de nouveaux clients: le chiffre d’affaires des magasins Carrefour a connu une hausse de 300 % durant les quatre premières semaines de confinement. Du jamais-vu, selon Zouhair Bennani, le PDG de Label’Vie (partenaire exclusif du groupe français au Maroc), qui espère fidéliser les nouveaux clients et gagner des points de part de marché – qui était d’environ 30 % avant la pandémie.
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LTÉ FICU DIF
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TÉLÉCOMMUNICATIONS Lien avec les proches, télétravail et visioconférences, cours par internet de l’école primaire à l’université, e-commerce… Les trois opérateurs locaux – Maroc Telecom, Orange et Inwi – auront passé le test de la crise du Covid-19 avec succès. Ils ont été promus « services de première nécessité » pendant le confinement, et ont connu une forte pression sur les échanges de données (data). Aucun chiffre officiel n’a été fourni mais, selon les estimations des experts, la croissance serait de 40 % en moyenne chez les trois opérateurs.
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LTÉ FICU DIF
« Depuis le début de la crise liée au Covid-19, nous avons tous été très impressionnés par la capacité d’anticipation, de planification et de réaction de l’État, par l’engagement exemplaire du personnel médical et des agents d’autorité, et par l’esprit de solidarité des citoyens. Il est impératif que cela perdure, confie Tarik El Malki, car ce sont là les bases de notre futur modèle de développement. » Interrogé sur ses prévisions pour la reprise économique, Abdellatif Jouahri explique qu’il privilégie un « scénario en V », autrement dit celui d’un rebond immédiat. Selon lui, l’ensemble des mesures prises par les autorités vont dans ce sens. À commencer par la décision de la Banque centrale de ramener son taux directeur, à compter du 16 juin, de 2 % à 1,5 % , un niveau historiquement bas. Les entreprises, petites et grandes, ont ainsi pu profiter de cette main tendue des autorités monétaires. Et une série de crédits ont été octroyés par les banques avec la garantie de l’État. « Avant de parler de plan de relance, il faut que les pouvoirs publics définissent une vision économique et stratégique à moyen terme et à long terme pour le pays. On fixe d’abord un cap, puis on affine afin d’apporter des réponses adaptées à chaque secteur, conseille Tarik El Malki. Je plaide depuis le début de la crise pour la mise en place d’un plan de soutien massif qui prendrait en considération le caractère concomitant et inédit de cette crise sur l’offre et la demande. » Redoutant une hausse fulgurante de l’inflation et ses conséquences sur la balance des paiements. Abdellatif Jouahri, lui, refuse catégoriquement l’idée de faire marcher la planche à billets. En tout cas, pour Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie et du Commerce, la relance de l’activité sera plus rapide que prévu.
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« Scénario en V »
Baromètre sectoriel EN F OR M E
aide d’urgence n’affectera donc pas le niveau de la dette publique. D’autres prêts ont suivi, notamment ceux de la Banque mondiale (325 millions de dollars) et du Fonds monétaire arabe (211 millions de dollars).
E-COMMERCE Le confinement, la peur de sortir, la facilité d’acheter et de payer en ligne ont fait décoller l’e-commerce, ainsi que le nombre de sociétés et de magasins désireux de s’équiper d’un module de paiement en ligne. Selon le Centre monétique interbancaire (CMI), les résultats du premier trimestre de 2020 sont déjà historiquement hauts: les sites qui lui sont affiliés ont réalisé 2,8 millions d’opérations de paiement, soit une hausse de 25,3 % par rapport au premier trimestre de 2019, représentant un chiffre d’affaires de plus de 1,4 milliard de dirhams (127 millions d’euros). D’après Mikael Naciri, le directeur général du CMI, les transactions en ligne ont bondi de 60 % entre le début d’avril et la mi-mai par rapport à la même période en 2019. Et il devrait en rester quelques effets dans les habitudes de consommation des Marocains. AUTOMOBILE L’arrêt des lignes de production des deux usines de Renault et de celle de PSA pendant un mois et demi a eu un impact négatif sur tout le secteur automobile, et en particulier sur les 250 équipementiers qui travaillent dans le sillage des deux constructeurs et emploient quelque 180000 personnes. La filière, qui représente 6,5 % du PIB, 27 % des exportations du pays et un chiffre d’affaires de plus de 7 milliards d’euros en 2019, connaît une reprise d’activité timide depuis la fin d’avril. La crise ne peut qu’inciter les constructeurs à augmenter le niveau de l’intégration locale, qui ne dépasse pas les 60 % dans le meilleur des cas.
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EN BONNE VOIE
AGRICULTURE La pluviométrie n’a pas été au rendezvous, et le secteur agricole (12,3 % du PIB) devrait connaître ses pires campagnes de récolte depuis longtemps, avec une chute de 44 % par rapport à une année normale, selon les prévisions du ministère de l’Agriculture. Estimée à 30 millions de quintaux, la production céréalière devrait reculer de 42 % par rapport à celle de 2019 et de plus de 60 % par rapport à la moyenne de ces cinq dernières années. Par ailleurs, en
raison de la pandémie, le secteur n’a pas pu organiser, en avril, son Salon international de l’agriculture au Maroc (Siam), qui rapporte habituellement 12 milliards de dirhams à la filière des coopératives et des groupes économiques, soit près de 80 % de leur chiffre d’affaires. Les constructeurs de machines agricoles, qui profitent du Salon pour démarcher leurs clients, devraient perdre entre 30 % et 50 % de leurs revenus annuels. TOURISME C’est l’un des secteurs qui souffrent le plus de la pandémie. Il représente 7 % du PIB au Maroc, où les hôtels ont pratiquement tous fermé leurs portes faute de clients. Au début de juillet, les opérateurs avaient reçu peu de signaux encourageants quant
à une éventuelle reprise. La Confédération nationale du tourisme (CNT) évalue les pertes du secteur à plus de 34 milliards de dirhams en 2020 (contre 78,6 milliards de dirhams de recettes en 2020), avec quelque 6 millions de touristes en moins. Même à supposer que la baisse du nombre de visiteurs étrangers soit partiellement compensée par le tourisme local, la banque d’affaires CFG estime que le nombre de nuitées devrait chuter de 30 % en 2020 (25,2 millions en 2019). D’autant que, pour le moment, la reprise d’exploitation des établissements ne peut se faire qu’à 50 % de leur capacité afin de respecter les contraintes sanitaires et la distanciation physique en vigueur dans le royaume. E.M.B.
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OBJECTIF MAROC
Tribune
Notre carte de visite pour demain Kamal El Mesbahi
Économiste, professeur à l’université Sidi-Mohamed-Ben-Abdellah, de Fès, membre du conseil national de Transparency Maroc
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es guerres, les épidémies et les grandes crises économiques et sociales ont changé le sort de l’Humanité. Consubstantielles à l’évolution du monde, elles influent sur le cours de l’Histoire. Soit pour le bloquer, soit pour enclencher des processus de remise en cause. Elles alimentent controverses et débats théoriques. Certains y voient une turbulence passagère. D’autres considèrent que c’est une rupture, un moment de mutation, une opportunité pour réformer et moderniser. Le coronavirus n’échappe pas à cette règle. Il pose les mêmes questions à tout le monde et au même moment. Engendre des réponses circonstanciées selon les pays, leur taille, leurs capacités. Oriente le débat autour d’une question quasi existentielle: « Quel monde après la crise? » Cette interrogation n’est pas nouvelle. Elle a souvent accompagné d’autres grandes crises mondiales auparavant.
Management agile
Chaque crise est en soi un temps d’incertitude. Elle réduit la visibilité, perturbe les habitudes, induit des avis nécessairement divergents. Face à cette complexité, il est sage d’encourager la délibération, de faciliter le débat contradictoire, d’alimenter les arbitrages du moment, d’évaluer leur impact, de mesurer leurs coûts ou leurs bénéfices. Gérer une crise de cette ampleur ne doit pas signifier mettre la démocratie sous une chape de plomb. Entre confinement et déconfinement, au Maroc comme ailleurs, les défis ne sont pas identiques. Il fallait parer au plus pressé, faire de la sécurité sanitaire un préalable de survie. Ce choix implique des coûts économiques et sociaux élevés. Il fallait ensuite agir vite pour circonscrire le feu, réduire autant que possible les dégâts. Cette double séquence permet à elle seule de mesurer la particularité du coronavirus, la nature des enjeux, les moyens multiples à mettre en œuvre. Depuis le 20 mars, début d’un confinement strict, long, pénible, pesant et coûteux, notre relation au temps semble
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métamorphosée. Fini les interminables palabres et l’enchevêtrement de commissions et sous-commissions pour prendre la moindre décision. La dilution irrationnelle des responsabilités a presque subitement disparu. Des décrets-lois sont conçus, discutés, votés et publiés au Bulletin officiel quasiment le même jour. Le temps est redevenu utile, efficace. Le reste du calendrier confirme ce changement positif. Une gestion réactive, souple, sage, réfléchie. Une communication assumée, plutôt transparente. De nouvelles capacités de management agile sont subitement apparues. Le Maroc sortira de cette crise sanitaire doté d’une expertise supplémentaire, d’un savoir-faire d’une grande valeur ajoutée et confiant en ses capacités intrinsèques. Voilà notre carte de visite pour demain. Le royaume peut s’enorgueillir de son habileté dans la gestion de la crise. L’État a utilisé tout son arsenal d’artillerie lourde pour maintenir et sauvegarder l’économie du pays. Des allégements, reports fiscaux et sociaux pour l’économie structurée; un appui pour préserver la liquidité des banques afin que celles-ci accompagnent les entreprises, avec des reports d’échéance ou des crédits de trésorerie ponctuels; des subventions pour les secteurs non structurés ou ne pouvant bénéficier des solutions précitées; de l’aide directe aux millions de ménages ne disposant d’aucune couverture. Autant d’actions à saluer, à sauvegarder, à maintenir. Si l’on devait décliner ce changement positif pour l’approfondir dans un monde post-Covid, l’on choisirait six axes se consolidant mutuellement: 1/ Améliorer le fonctionnement des règles de concurrence. 2/ Consolider les moyens juridiques, humains et financiers de l’instance de lutte contre la corruption. 3/ Donner corps à l’article 36 de la Constitution relatif aux conflits d’intérêts. 4/ Faire de la confiance et de la reddition des comptes la base d’un nouveau contrat social. 5/ Accroître la clarté de la prise de décision. 6/ Adopter un langage de vérité dans la gestion de la chose publique.
ENTREPRISE
Le goût du succès Hakim Marrakchi a fait de la PME familiale Maghreb Industries un champion de l’agroalimentaire. Il est aussi l’une des chevilles ouvrières du patronat marocain.
C
et présidé par Chakib Alj –, Hakim Marrakchi a repris goût au militantisme, puisant ainsi dans la success-story familiale. Diplômé de l’Essec, avant une première expérience dans la banque à Londres, puis au sein d’un groupe marocain en tant que directeur financier, Hakim Marrakchi rejoint en 1989 l’entreprise fondée trente ans plus tôt par son père (décédé en 2019), spécialisée dans la fabrication de chewinggum. Grâce à un actionnariat à 100 % familial, Maghreb Industries parvient à résister, au début des années 2000, à l’offensive du britannique Cadbury,
EL MEHDI BERRADA
Centrale photovoltaïque
BRUNO LEVY
es derniers mois ont été mouvementés, à la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). À l’instar de Chakib Alj, le patron des patrons, Hakim Marrakchi, président de la commission Fiscalité et Douane de l’institution, est monté au créneau pour défendre un secteur privé en grande difficulté et inquiet pour son avenir. « Pendant la crise sanitaire, il y a eu une interaction entre les pouvoirs publics et le secteur privé, ce qui est une bonne chose pour tous, souligne-t-il. L’aspect fiscal est très important, car les entreprises marocaines souffrent d’un manque de liquidités, et il était impensable de leur faire payer des impôts alors que l’activité était à l’arrêt. Les pouvoirs publics ont aussi pu mesurer l’importance des entreprises dans la création d’emplois. » Voici douze ans que le PDG de Maghreb Industries joue un rôle actif au sein du patronat, où son engagement et sa maîtrise des enjeux du secteur privé sont unanimement salués. Il a été vice-président de la CGEM de 2009 à 2012, puis président de la commission International de l’institution, avant d’échouer à prendre la présidence de celle-ci, en 2018, face à l’ancien ministre Salaheddine Mezouar, qui n’a pourtant jamais été chef d’entreprise. « Comme beaucoup d’autres, je pensais qu’un entrepreneur devait prendre les rênes de la Confédération. Je n’ai pas été assez convaincant, mais je suis heureux d’avoir mis en lumière le rôle essentiel de l’entreprise », commentait-il à l’époque. Au sein du nouveau bureau de la CGEM – élu en janvier dernier
qui avait racheté plusieurs fabricants de chewing-gum dans le monde. Avec des marques phares, comme Flash ou Rocket, le groupe représente la moitié du marché national sur son créneau et s’est développé à l’étranger. « Pour tester le marché européen, nous avons décidé de travailler avec des marques de distributeurs », explique Marrakchi. Actuellement, la moitié du chiffre d’affaires, qui s’élève à 200 millions de dirhams (plus de 18 millions d’euros), est réalisée à l’export, notamment en Europe (Belgique, Espagne, Autriche, Allemagne, Portugal…) et aux États-Unis, où ses produits rencontrent un énorme succès auprès de quelques distributeurs.
LE GROUPE REPRÉSENTE LA MOITIÉ DU MARCHÉ NATIONAL DU CHEWINGGUM ET RÉALISE LA MOITIÉ DE SON CHIFFRE D’AFFAIRES À L’ÉTRANGER.
« Pour une entreprise familiale, le plus important n’est pas le bénéfice ou les dividendes qu’on en tire, mais la continuité du business. Le plus important pour moi, c’est l’Ebitda [l’excédent brut d’exploitation] », poursuit le patron, autant attaché au développement durable qu’à la pérennité de son groupe. Il a d’ailleurs fait le choix d’investir dans un site trois fois plus étendu que le précédent et, surtout, avec une empreinte carbone des plus réduites – le toit est couvert d’une centrale photovoltaïque qui permet une quasi-autonomie en matière de consommation et de stockage d’énergie. Un patrimoine que l’industriel souhaite pouvoir céder à la future génération dans les meilleures conditions. « L’histoire d’une entreprise dépend beaucoup de sa capacité à se développer et à se transmettre », dit-il. En l’occurrence, son fils aîné, de 29 ans, qui travaille dans une société de conseil à l’étranger et devrait bientôt rentrer à Casablanca pour faire ses premiers pas au sein du groupe.
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OBJECTIF MAROC
ENTREPRISE
QUESTIONS À
Christophe Maquet Directeur Afrique & Moyen-Orient de Veolia
« Nous misons sur la digitalisation » PROPOS RECUEILLIS PAR JULES CRÉTOIS
C
hristophe Maquet se rend une fois par mois au Maroc, qui est le premier marché du groupe français Veolia sur le continent. Ses filiales Amendis et Redal assurent depuis dix-huit ans la gestion déléguée des services de l’eau, de l’électricité et de l’assainissement des agglomérations de Rabat-Salé et de Tanger-Tétouan. Loin de se désengager du royaume (la cession des deux filiales avait été évoquée en 2013), le leader mondial des services collectifs y diversifie ses activités, notamment pour accompagner les grands chantiers de l’État et des collectivités territoriales.
Jeune Afrique: Que représente le Maroc pour votre zone Afrique & Moyen-Orient?
Christophe Maquet: Pour Veolia, c’est le premier pays au sein de cette zone, en chiffre d’affaires comme en effectifs, avec 4000 employés sur un total de 10000. C’est aussi un pays qui dispose d’une réelle expertise en matière de développement urbain, avec des modèles très évolués de péréquation, l’électricité venant, par exemple, financer le traitement des eaux. Nos activités nous obligent à observer les changements dans la société, les nouvelles politiques en matière d’aménagement, d’environnement, de régionalisation… Autant de facteurs qui déterminent notre approche.
Cet intérêt est-il renforcé par le fait que le Maroc se veut un tremplin 100
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pour les entreprises visant une implantation continentale?
Le groupe est déjà très présent en Afrique. Pour nous, le Maroc est un pays très important, pas une simple vitrine. Mais, en effet, la politique Sud-Sud de Rabat n’est pas qu’une incantation, elle est bien concrète. Nous sommes prêts à accompagner l’essor des entreprises marocaines sur le continent.
Pour beaucoup, Veolia Maroc, c’est avant tout Amendis et Redal…
Ce sont nos deux principales activités dans le royaume, et il est logique que nos services B to C soient mieux connus que les autres. Mais nous sommes aussi présents ailleurs, par exemple auprès de Renault à Tanger. Nous utilisons des grignons d’olives comme combustible pour couvrir les besoins thermiques de l’usine. Cette solution permet au site d’être la première usine automobile au monde avec zéro rejet de CO2.
GRÂCE À L’UTILISATION DE GRIGNONS D’OLIVES, RENAULT-TANGER EST LA PREMIÈRE USINE AUTOMOBILE AU MONDE AVEC ZÉRO REJET DE CO2.
Où en sont vos projets en matière de traitement des déchets médicaux?
La pandémie de Covid-19 a légèrement retardé le lancement de cette activité, qui devrait voir le jour à la fin de 2020 dans le cadre d’une coentreprise avec SOS-NDD, une société marocaine spécialisée dans la gestion des déchets. Notre objectif est toujours le même: traiter 4000 tonnes de déchets médicaux par an, sur les 22000 tonnes produites.
Qui seront vos clients?
Pour le moment, de petites officines, essentiellement dans la région située entre Casablanca et Kenitra. Dans ce secteur où les mauvaises pratiques existent, nous offrons des garanties, de la transparence et des possibilités d’audit par des tiers. D’autant que c’est une activité que nous connaissons bien: nous traitons déjà des déchets dangereux en Afrique du Sud, et en France Veolia représente un tiers du marché du traitement des déchets médicaux.
Quel a été l’impact de la pandémie sur vos activités classiques au Maroc, à savoir la gestion déléguée des services des eaux et de l’électricité?
La priorité est de garantir la sécurité de nos équipes tout en assurant la continuité du service. Je crois que nous avons été au rendez-vous, car il n’y a eu aucune coupure. Plus généralement, nous avons interrompu momentanément une partie de nos activités, par exemple les chantiers, pendant qu’environ un tiers des effectifs restaient mobilisés.
Au siège social de Veolia, à Aubervilliers, dans la banlieue parisienne.
Nous avons par ailleurs accéléré la digitalisation de nos entreprises. Pendant le confinement, les usagers pouvaient relever eux-mêmes leurs compteurs, et le nombre de particuliers et d’entreprises connectés à l’« agence digitale » a triplé. Pour accompagner
ces nouvelles habitudes, Amendis propose désormais de gérer ses factures de A à Z de manière dématérialisée. La partie opérationnelle s’est elle aussi numérisée, avec la mise en place d’un système de gestion à distance à l’aide de capteurs.
BRUNO LEVY POUR JA
Le stress hydrique est un sujet de préoccupation majeur. Comment contribuer à le réduire?
Nous sommes attentifs aux objectifs définis par le royaume, notamment dans le cadre du Plan Maroc vert et de Vision 2030, et savons que les wilayas sont aussi très intéressées par ce sujet. Nous essayons d’être force de propositions, sinon de solutions. Réduire le stress hydrique, c’est d’abord assurer un bon rendement des réseaux. Avec un taux de rendement de 82 % au Maroc, nous sommes sur la bonne voie. Dans le cadre de nos contrats de gestion déléguée, nous assurons aussi la réutilisation des eaux usées. Ainsi, la station de traitement de Tamuda Bay permet de réutiliser l’eau pour l’irrigation agricole ou les terrains de golf. Sur le site de Renault, les eaux usées sont elles aussi réutilisées. Résultat, une voiture du constructeur à Tanger a « bu » deux fois moins d’eau qu’un véhicule sorti des chaînes de montage européennes.
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