SEPTEMBRE 2020
MALI LE RÉCIT EXCLUSIF
DE LA CHUTE D’IBK NO 3092 – SEPTEMBRE 2020
CÔTE D’IVOIRE
2011-2020 : LE VRAI BILAN Spécial 24 pages
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ANKARA POUSSE SES PIONS
ENQUÊTE
RIFIFI À LA CEMAC
RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE NOS ENTREPRISES FACE AU COVID-19
8 pages
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DOSSIER LES ENTREPRISES FACE AU COVID-19
RSE
Quand la pandémie a frappé le continent, les groupes déjà rompus au dialogue social incluant l’ensemble des parties prenantes – autorités, communautés, salariés, fournisseurs – se sont plus rapidement adaptés.
L
CHRISTOPHE LE BEC
a pandémie de Covid-19 apparaît comme un test – parfois violent – de l’engagement réel des entreprises sur les terrains social et environnemental, et particulièrement sur le continent, où les défis en la matière sont légion. Si la plupart des grandes sociétés ont, depuis plus d’une décennie, élaboré puis étoffé une stratégie ad hoc, seules celles qui avaient véritablement pris en compte leurs relations avec leurs salariés,
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Un agent de Cargill, acteur majeur du cacao en Côte d’Ivoire, met en avant l’application numérique du groupe destinée à accompagner les cultivateurs.
CARGILL
Amortisseur de crise fournisseurs et communautés locales, puis transformé adéquatement leur organisation, ont pu affronter la pandémie avec agilité. En revanche, celles qui considèrent encore la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) comme une simple affaire de réputation et de communication ont rencontré davantage de difficultés, faute d’avoir créé des espaces de dialogue avec d’autres parties prenantes de leur activité que leurs clients et leurs actionnaires. « Alors que plusieurs de nos concurrents installés dans les mêmes pays avaient carrément arrêté leur exploitation au début de l’épidémie, parfois sur injonction de leur siège
international ou du fait de leur dépendance aux expatriés, chez Barrick, nous avons pu continuer de travailler grâce à nos cadres originaires du pays, mais aussi et surtout en nous appuyant sur nos comités de développement communautaire locaux [CDC], institués depuis le début des années 2000 au Mali, en RD Congo et en Côte d’Ivoire. Grâce à eux, nous avons très rapidement mis en place des procédures sanitaires extrêmement rigoureuses, mais bien acceptées par les salariés et les communautés jouxtant nos mines », indique le SudAfricain Grant Beringer, responsable RSE du géant minier canadien, numéro deux mondial dans l’or. « Les CDC appuyés par Barrick – un par site minier – sont composés de membres désignés ou élus par la communauté locale. Ils sont issus de l’administration régionale, de groupes de femmes ou de jeunes, de la chefferie traditionnelle du lieu, voire d’ONG. Chaque comité ne compte qu’un seul représentant de la compagnie, qui ne préside pas les séances. Son rôle est de sélectionner les projets locaux soumis par des membres de la communauté qui recevront un appui financier et humain de Barrick », explique Beringer.
L’approche participative, une méthode éprouvée avec succès
Ce dirigeant établi à Johannesburg indique que cette approche participative a d’abord fait ses preuves en Afrique de l’Ouest avant d’être étendue en 2019 à la Tanzanie ainsi qu’à tous les sites nord-américains et sud-américains du groupe. « La mise en place des CDC a créé une plateforme constructive qui a permis de rendre les populations locales responsables de l’émergence et du choix des projets financés », estimet-il. « Quand la pandémie nous a touchés, début mars 2020, nous avons pu nous appuyer sur la confiance créée au sein de ces comités pour trouver des relais locaux de communication des bonnes pratiques sanitaires et de coordination avec les autorités », poursuit le Malien Hilaire Diarra, responsable RSE de Barrick pour l’Afrique, basé en Tanzanie. « Nous avons pu apporter le soutien de nos équipes de médecins et d’infirmiers aux autorités sanitaires, mais aussi financer et faciliter l’approvisionnement de matériel médical, de tests et d’équipements de protection, ce qui a représenté des dépenses supplémentaires de 8 millions de dollars pour Barrick à l’échelle continentale », fait-il valoir. Moins participative, la démarche quasi sociologique de la Société minière de Boké (SMB), premier producteur de bauxite de Guinée, a
permis, selon ce groupe, de limiter l’impact de l’épidémie sur ses activités en protégeant au mieux salariés et communautés locales. « Après avoir traversé en 2018 et en 2019 plusieurs périodes délicates avec les populations locales – en raison du climat politique, de l’absence d’infrastructures et de tensions entre travailleurs locaux et allogènes –, nous avions cartographié avant la pandémie l’ensemble des acteurs locaux – autorités, syndicats, représentants communautaires, religieux, etc. – et désigné au sein de l’entreprise des interlocuteurs pour chacun de ces intervenants afin d’apaiser les conflits et de mieux nous coordonner », rappelle Ismaël Diakité, le délégué général de SMB, consortium sino-singapourien-guinéen. « Lorsque l’épidémie est survenue, nous nous sommes appuyés sur ce canevas pour adapter rapidement notre réponse sanitaire et sociale, et ce sans susciter de nouvelles tensions », assure le dirigeant guinéen de SMB. Dans le secteur agricole, Cargill, géant américain de la filière cacao, impliqué dans les questions de traçabilité de la production et dans l’accompagnement de cultivateurs ivoiriens, ghanéens et camerounais, a quant à lui mis les innovations technologiques développées dans ces domaines au service de la lutte contre le coronavirus. « Nous avons adapté nos outils digitaux – qui servent en temps normal à géolocaliser les plantations de cacao et à collecter des informations sur les récoltes – pour diffuser auprès de quelque 10000 cultivateurs ivoiriens les messages du gouvernement sur les attitudes à adopter face à l’épidémie – en cinq langues – et contrer ainsi les fausses nouvelles », précise Jean-Marie Delon, responsable des programmes durabilité de Cargill pour l’Afrique de l’Ouest. Le groupe américain a par ailleurs noué un partenariat régional avec MTN pour lancer le programme « No cash, no virus », destiné à favoriser les paiements sur mobile plutôt qu’en espèces. Enfin, Cargill et ses acheteurs internationaux de cacao, avec lesquels il travaille étroitement, ont également financé une trentaine de points d’eau en Côte d’Ivoire afin de faciliter les gestes d’hygiène contre le virus dans les plantations. « Ces projets d’adduction d’eau avaient déjà été identifiés avant la pandémie grâce au travail de terrain des ONG partenaires de Cargill, dont Care. Avec l’arrivée du virus dans nos pays, nous les avons privilégiés par rapport à d’autres besoins recensés dans d’autres thématiques », précise Jean-Marie Delon, qui indique que 400 millions de F CFA – soit 610000 euros environ – y ont été consacrés.
DANS LE SECTEUR AGRICOLE, CARGILL A MIS SES INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES AU SERVICE DE LA LUTTE CONTRE LE CORONAVIRUS.
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DOSSIER LES ENTREPRISES FACE AU COVID-19
RSE
Chez Cargill, à la SMB tout comme chez Barrick, les responsables RSE expliquent que leur bonne compréhension des contextes locaux les a aidés à accompagner et à compléter – et non pas à supplanter – les politiques sanitaires nationales, notamment en concentrant leurs efforts dans les zones rurales où ils sont actifs, tandis que les gouvernements privilégiaient leurs actions dans les grandes villes.
Une situation à même de faire évoluer la vision de certains patrons
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L A RR AYA DIE U P O UR J
A
Mais en dehors des entreprises des secteurs industriels, extractifs ou agricoles, pour lesquels les relations avec les syndicats, les coopératives et les communautés locales sont depuis longtemps cruciales pour la pérennité des exploitations – et qui disposent de référentiels internationaux (en matière sociale, d’approvisionnement, de traçabilité ou de protection de l’environnement) dans d’autres domaines, notamment les services –, l’absence ou la fragilité des politiques de RSE en place a pu avoir des conséquences dramatiques dans le cadre de la pandémie. En Tunisie et au Maroc, les centres d’appels, frappés brutalement par l’arrêt de l’activité des donneurs d’ordre européens à la mi-mars, ont été sérieusement ébranlés. Souffrant depuis longtemps d’un turnover élevé de ses salariés, ce domaine d’activité a été sévèrement critiqué par les syndicats – notamment l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) – pour son incapacité à faire respecter la distanciation physique dans des open spaces comptant des dizaines voire des centaines de salariés. Quant à la transition vers le télétravail, elle a rarement été un succès, et plusieurs grands groupes ont tout bonnement fermé leurs portes pendant plusieurs mois faute d’un dialogue social solide, de standards sanitaires ou d’accords de télétravail antérieurs à la crise qui auraient pu permettre de mieux s’adapter, alors que ce domaine représente en Tunisie pas moins de 25000 employés et pèse 300 millions d’euros de revenus chaque année, soit 1,2 % du PIB. Sur les quelque 200 centres d’appels tunisiens actifs répertoriés, beaucoup risquent de ne pas reparaître une fois l’épidémie jugulée… In fine, la pandémie a pu faire évoluer la vision de certains patrons sur l’intérêt de vraies politiques RSE qui ne soient pas des vernis de communication autour de valeurs humanistes consensuelles mais désincarnées. Ils ont compris – dans la douleur – que prendre en compte
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toutes les parties prenantes de l’entreprise permettait de mieux traverser une crise. Le géant de l’agroalimentaire Danone, qui met depuis longtemps en avant sa volonté « d’apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre », entend ainsi passer à la vitesse supérieure. Bien avant le Covid-19, qui a peu affecté ses résultats ausecond trimestre de 2020 (seulement 5,7 % de baisse de chiffre d’affaires), le groupe français piloté par EmmanuelFaber (photo) avait été confronté au Maroc à un boycott désastreux de ses produits à la suite d’une campagne sur les réseaux sociaux l’accusant de profiter d’une position dominante appuyée par les autorités du royaume. Un épisode qui lui avait fait perdre 178 millions d’euros et réduire de 30 % son approvisionnement local en lait.
Danone, première « entreprise à mission » du CAC 40
Désireux de renforcer ses engagements sociaux et environnementaux pour créer de la « valeur durable », Danone est devenu le 26 juin 2020 la première « entreprise à mission » du CAC 40, qui regroupe les plus grands groupes français. Approuvée en assemblée générale par 99,4 % de ses actionnaires, l’adoption de ce nouveau statut rend la direction générale de l’entreprise comptable devant son conseil d’administration de la réalisation de ses objectifs sociaux et environnementaux au même titre que de celle de ceux relatifs à ses résultats financiers. « Vous avez déboulonné une statue de Milton Friedman, [qui considérait que le seul but d’une entreprise était de faire du profit]! » a déclaré Emmanuel Faber pour remercier ses actionnaires de soutenir ce changement – même si plusieurs organisations syndicales et ONG, dont Oxfam, ont regretté qu’il n’entraîne pas un encadrement des dividendes distribués, en hausse de 8 % chez Danone malgré la crise sanitaire. Pour mesurer les progrès accomplis sur les volets non financiers de ses activités, Danone s’est doté d’un « comité de mission » auquel participe notamment Ngozi OkonjoIweala, ancienne directrice générale de la Banque mondiale et ministre nigériane des Finances de 2011 à 2015. Reste à voir si ce nouveau statut d’entreprise à mission permettra de faire évoluer durablement le groupe agroalimentaire sur le terrain, en Afrique, grâce à une déclinaison concrète de ces objectifs sociaux et environnementaux, notamment au Maroc… Tout en restant performant sur le plan économique.
La Banque africaine de référence mondiale Implantée dans 20 pays en Afrique, et également au Royaume-Uni, aux États-Unis et en France, UBA (United Bank for Africa) connecte des particuliers et des entreprises à travers toute l'Afrique grâce à des services bancaires à la clientèle de détail, de commerce et des entreprises, des paiements et des transferts dʼargent transfrontaliers innovants, ainsi que le financement du commerce et des services bancaires auxiliaires.
DOSSIER RSE ET COVID-19
INDUSTRIE
Au Maroc, le dialogue social à l’épreuve de la pandémie Pour faire face au virus et protéger leurs équipes, les entreprises du royaume ont dû développer de nouvelles pratiques.
U
L’usine Renault de la zone franche de Melloussa, près de Tanger.
n choc! La crise du Covid19 est venue frapper avec violence l’industrie du Maroc et singulièrement l’automobile, premier secteur exportateur du pays. Passée la période de sidération de mars-avril qui a vu l’arrêt total de chaînes de production dans les usines de PSA (Kenitra) et de Renault (à Tanger et Casablanca) comme de celles de plus de 150 sous-traitants et équipementiers du royaume, la production a repris peu à peu. Sans retrouver encore les niveaux antérieurs. Dans le secteur, qui emploie plus de 180 000 salariés, les urgences se multiplient aux niveaux sanitaire, économique et social. Cela dans un contexte social généralement consensuel… mais pas toujours. En témoignent les récents débats musclés entre la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM, le patronat), le gouvernement de Saadeddine El Othmani et les syndicats. Des discussions portant sur les dispositifs de relance et de pérennisation des aides aux entreprises après la disparition de la prime liée au
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MOHAMED DRISSI KAMILI POUR JA
PIERRE-OLIVIER ROUAUD
Covid-19 (de 2000 dirhams, soit environ 180 euros par salarié) financés par un fonds spécial public-privé. « Le patronat estime pouvoir bénéficier des aides futures en ne s’engageant que sur le maintien de 80 % des emplois. Notre syndicat veut conditionner ces nouvelles aides au maintien de 100 % des postes. Nous dénonçons aussi le fait que certaines entreprises aient voulu s’affranchir de la hausse du smig de 5 %, le 1er juillet, dans cette période critique pour les travailleurs et leurs familles. Nous faisons appel à la solidarité nationale, d’autant que de nombreux clusters sont apparus dans des usines, comme la Somaca [le 20 mai] ou Valeo [le 25 juin], sans parler des catastrophes dans les ateliers de fruits ou de poissons », pointe Younès Firachine, membre du bureau
Si une poignée de grands groupes ont signé des accords de maintien de l’emploi, c’est encore très loin d’être le cas dans toutes les entreprises. Nous craignons une catastrophe à la rentrée. YOUNÈS FIRACHINE, membre du bureau exécutif de la Confédération démocratique du travail (CDT)
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exécutif de la Confédération démocratique du travail (CDT). Pour Fouad Benseddik, expert international en responsabilité sociétale des entreprises (RSE), ancien dirigeant de l’agence de notation sociale Vigeo Eiris au Maroc et membre du Conseil économique, social et environnemental, « bien plus qu’une récession classique, cette crise a agi comme un test à l’acide de certains dysfonctionnements, notamment dans la santé au travail ou par rapport à la précarité des intérimaires dans des secteurs comme la pharmacie ou l’automobile ».
Grande réactivité du secteur privé dès le début de la crise
Du côté de la CGEM, on met en avant la très forte réaction du secteur privé dès le début de la crise, en particulier dans l’industrie. Mohamed Bachiri, président de la commission innovation et développement industriel à la CGEM, par ailleurs directeur général de Somaca, l’usine casablancaise de Renault, appuie : « Toute l’industrie du Maroc s’est fortement mobilisée auprès du gouvernement pour répondre à l’urgence sanitaire
DOSSIER RSE ET COVID-19
et assurer une continuité économique dans l’intérêt de tous : État, entreprises et salariés. Il y a eu un fort élan de solidarité du secteur privé dans une démarche réellement citoyenne avec, par exemple, la mise en place d’une filière de production de masques en tissu sous l’impulsion du ministre de l’Industrie, Moulay Hafid Elalamy. » Des industriels de l’automobile et de l’aéronautique se sont lancés, avec des écoles d’ingénieurs, dans un collectif d’ingénierie bénévole qui a mis au point des respirateurs ou encore fabriqué par impression 3D des visières de protection. Renault et PSA ont fait don au secteur hospitalier de plusieurs dizaines de véhicules. Les entreprises Somaca, Aviarail, Onyx et Sermp ont, par ailleurs, développé la première machine marocaine de fabrication de masques.
De trop nombreuses failles en matière de médecine du travail
Mais le débat majeur a bien vite porté sur les conditions de reprise dans un contexte marqué par plusieurs épisodes de déconfinement-reconfinement, notamment dans le grand pôle industriel de Tanger, où plusieurs clusters sont apparus. Ce qui a entraîné la fermeture des zones franches au début du mois d’août. « À cette occasion, il est apparu que certaines entreprises, en particulier dans l’industrie, étaient très faiblement organisées en matière de santé au travail, regrette Fouad Benseddik. En général, elles le sont pour les accidents du travail car il y a un risque pénal. Mais – sans même parler de pratiques de RSE très avancées – le simple respect de la loi, en matière de médecine du travail ou avec la constitution d’un comité d’hygiène et de sécurité, n’est, le plus souvent, pas assuré. » Dans ce domaine, s ouligne Younès Firachine, de la CDT, « il faut tout reconstruire, ou plutôt construire à l’occasion de cette crise. En tout et pour tout, il n’y a que 24 médecins du travail pour l’ensemble du royaume ». Autre exemple de faille systémique, la Caisse nationale des organismes de
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BRUNO LEVY
INDUSTRIE
Toute l’industrie s’est fortement mobilisée pour répondre à l’urgence sanitaire et assurer la continuité économique dans l’intérêt de tous: État, entreprises et salariés. MOHAMED BACHIRI, président de la commission innovation et développement industriel à la CGEM et directeur général de l’usine Renault Somaca
prévoyance sociale (Cnops) refusait jusqu’à la fin d’août d’assimiler certains impacts sociaux du Covid-19 à un risque professionnel… avant de devoir faire volte-face. Du côté des entreprises, on met en avant une importante démarche citoyenne. « Dans le secteur automobile comme dans toute l’industrie ou les services, la priorité absolue pendant la période d’arrêt et, surtout, la reprise du travail, a été de tenir compte de la sécurité sanitaire des collaborateurs et de l’intérêt général. Nous travaillons d’arrache-pied avec nos 33 fédérations et 16 délégations régionales sur ces sujets », martèle Mohamed Bachiri. Celui-ci a piloté la mise en place des référentiels de la CGEM : des guides sur les mesures préventives à déployer en entreprise, avec des adaptations propres à chaque secteur, réalisés par les fédérations sectorielles, comme l’Association marocaine pour l’industrie et la construction automobile (Amica). « La CGEM s’est inspirée des bonnes pratiques internationales validées par les pouvoirs publics. Nos référentiels ont été vus plus de 10 millions de fois sur internet! » se félicite Marwa Tellal, responsable du pôle communication de la confédération. Lancée dès mars dans l’urgence, cette démarche s’est peu à peu enrichie. Quatre guides pratiques adaptés à la taille des entreprises (des grands groupes aux PME) ou aux actions visées (audit, formation) ont été publiés par le patronat
La perte d’activité pour l’industrie automobile marocaine est estimée à
1,25 milliard
d’euros, soit 40 %, sur les cinq premiers mois de 2020.
en juillet. Des élèves ingénieurs de Centrale Maroc sont même allés tester et déployer en conditions réelles les préconisations de ces guides dans des PME pour mieux les adapter au terrain. L’automobile, notamment, a su intégrer la dimension sécuritaire dans son management industriel : distanciation, désinfection régulière des postes de travail, gestion des entrées et sorties… Des pratiques dont Renault, par exemple, s’assure que ses fournisseurs les ont bien adoptées. Point crucial, ces démarches doivent désormais se mener à coût constant ou presque pour retrouver les niveaux antérieurs de performance économique. « C’est là une condition clé du maintien d’une activité de production compétitive sur le plan international dans notre pays, et donc le gage le plus sûr de pérennisation de l’emploi », assure Mohamed Bachiri. La question de l’emploi reste toutefois une grande préoccupation des partenaires sociaux. Si une poignée de grands groupes ont signé des accords de maintien de l’emploi, souvent en échange de contreparties de la part des collaborateurs (abandon de primes ou de congés…), « c’est encore très loin d’être le cas, hélas, dans toutes les sociétés. Nous craignons une catastrophe à la rentrée », déplore Younès Firachine. Plus globalement, estime Fouad Benseddik, « cette crise révèle le chemin qu’il reste à parcourir à la majorité des entreprises du royaume pour intégrer les pratiques internationales en matière de RSE. De [son] point de vue, les filiales de multinationales ne se distinguent pas en la matière alors que, souvent, dans leur pays d’origine – par exemple la France – le droit les y contraint ».
Banque Ouest Africaine de Développement 68, avenue de la libération - B.P : 1172 Lomé TOGO Tél.: +228 22 21 59 06 / +228 22 21 42 44 Fax : +228 22 21 52 67 / +228 22 21 72 69 E-mail : boadsiege@boad.org / rseboad@boad.org Site : www.boad.org
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L’approfondissement d’une gouvernance responsable dans la conduite de nos activités.
Une contribution renforcée au respect des droits de l’homme et au développement des territoires.
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ENGAGEMENT SOCIETAL DE LA BOAD
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Les cinq piliers de la démarche RSE
Une participation active et directe à la lutte contre les changements climatiques par la réduction de nos impacts environnementaux.
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DOSSIER RSE ET COVID-19
TOTAL/ZYLBERMAN LAURENT/GRAPHIX IMAGES
CLIMAT
Total gère la centrale solaire de Prieska (Afrique du Sud), lancée en 2016.
Pourquoi les pétroliers européens accélèrent leur transition L’épidémie de Covid-19 a accru la pression sur BP, Shell et Total pour qu’ils se fixent des objectifs plus ambitieux en matière de réduction de leur empreinte environnementale.
E
CHRISTELLE MAROT
n février dernier, juste avant que la pandémie mette un coup de frein à la croissance mondiale et à la demande d’hydrocarbures, la compagnie BP annonçait qu’elle visait la neutralité carbone d’ici à 2050. Elle promettait de réduire de 40 % sa production et d’investir massivement dans les énergies renouvelables. La majorbritanniqueemboîtaitainsilepas aux autres pétroliers européens, l’anglo-néerlandais Shell, le français Total, l’italien Eni et le norvégien Equinor, tous ayant annoncé auparavant des plans de réduction de leur empreinte carbone. Contraintes par les politiques et les réglementations de l’Union européenne, qui visent désormais zéro émission de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2050, et sommées par les opinions publiques et par une partie
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grandissante de leurs actionnaires et de leurs partenaires de changer leur mix énergétique, les compagnies pétrolières européennes ont négocié il y a trois à quatre ans un virage « vert », que la situation sanitaire devrait accentuer. « La crise du Covid-19 a été un choc pour tout le monde, elle a révélé des fragilités de notre système global. Le confinement s’est imposé à tous, indépendamment de la nationalité, du métier, de la richesse ou de la pauvreté, ainsi qu’à toutes les industries. Cette pandémie suscite des interrogations au sujet de la biodiversité, des systèmes de santé, des stratégies de développement économique, des rapports NordSud, du partage de la valeur ajoutée, et pointe nombre de risques, dont ceux affectant le climat », relève Grégoire Cousté, délégué général du Forum pour l’investissement responsable. Dans cecontexte,ledépôtd’unerésolution climat à l’encontre de Total lors de sa dernière assemblée générale, en
mai 2020, est une première. Déposée par onze investisseurs européens, parmi lesquels Meeschaert Asset Management, Crédit Mutuel Asset Management, Actiam, Candriam, La Banque Postale Asset Management (LBPAM), cette résolution avait pour objet de modifier les statuts de Total afin de fixer des objectifs de réduction en valeur absolue des émissions directes et indirectes de GES provoquées par la production et la transformation d’hydrocarbures ainsi que par leur utilisation par les clients finaux, dans le respect de l’accord de Paris.
Des dizaines de milliers de suppressions d’emplois
« Crises sanitaire et climatique sont désormais liées par un nombre grandissant de partenaires du secteur énergétique », fait valoir Aurélie Baudhuin, chargée de la recherche ISR chez Meeschaert AM et porte-parole du groupe dans le dépôt de la résolution climat. Celle-ci n’a pas été adoptée mais a néanmoins recueilli 16,7 % des voix, ce qui est un « succès », sachant que des acteurs comme BNP Paribas se sont abstenus parce qu’ils ont
Isaac Kalala,
PUBLI-INFORMATION
Directeur Conformité et RSE
Quelles ont été les priorités de Rawbank face à la pandémie ? Nos priorités face à cette pandémie sont guidées par un objectif principal : protéger nos employés et notre clientèle tout en assurant la continuité de nos services. Ainsi, nous avons très rapidement lancé une campagne de sensibilisation sur les gestes barrières et sur la conduite à adopter en cas d’apparition de symptômes, et avons renforcé les mesures d’hygiène dans nos installations. Puisque notre métier est un métier de contact, et compte tenu de la nécessité de garantir une distance d’au moins un mètre entre chaque client, il a fallu repenser le mode de fonctionnement de nos agences, réguler les entrées des visiteurs et réaménager nos horaires de travail. En prime, nous avons basculé l’intégralité de nos effectifs dont les postes le permettaient en télétravail, le reste de l’effectif étant géré en shift. Ce dispositif complet a permis à Rawbank de continuer d’assurer sa mission dans les meilleures conditions.
“ Dans ce contexte où la distanciation sociale est de rigueur, comment parvenir à maintenir le même niveau de prestation à sa clientèle ? Rawbank place l’expérience client au cœur de sa stratégie de développement. Nous nous devons d’être disponibles et à l’écoute de notre clientèle, Quelles que soient les circonstances. Ainsi, nous avons encouragé nos clients à utiliser davantage nos solutions digitales et optimisé notre service de call center pour leur permettre de joindre aisément nos conseillers pour l’assistance nécessaire dans leurs opérations courantes. A cet effet, nos solutions digitales à l’instar de illicocash et Rawbankonline se
sont révélées particulièrement efficaces. Bien entendu, nous avons renforcé la surveillance de notre réseau de distributeurs automatiques de billets pour qu’il demeure 100% opérationnel sur toute la période. Selon Rawbank, quel est le rôle des banques dans ce contexte ? Nous sommes convaincus que les banques ont un grand rôle à jouer dans cette période. Dans un contexte de pandémie, elles doivent demeurer fidèles à leur engagement économique et citoyen, c’est-à-dire continuer de soutenir les entreprises et les pouvoirs publics, mais aussi promouvoir le bien-être des populations tout en se préparant à la relance post-pandémique.
Contact : 66 avenue Colonel Lukusa, Gombe - Kinshasa.République Démocratique du Congo Tél. +243 99 60 16 300 / Numéro gratuit : 4488. Site web : www.rawbank.com
Rawbank place l’expérience client au cœur de sa stratégie de développement...
En tant que banque congolaise, l’engagement RSE de Rawbank l’a poussé à s’engager, dès le départ, aux côtés des autorités et de la population congolaise pour venir à bout de la covid-19. Cet engagement s’est traduit par des dons de matériel médical et de denrées alimentaires aux communautés les plus vulnérables. Nous avons également assisté le gouvernement lors du rapatriement des ressortissants congolais bloqués à Dubaï en avril. Enfin, nous avons participé au financement de la réhabilitation de deux bâtiments d’utilité publique. Plus que jamais, nos effectifs sont mobilisés au quotidien pour aider la Banque à contribuer davantage à l’émergence de l’économie de notre pays.
DOSSIER RSE ET COVID-19
CLIMAT
Total promet d’investir 2 milliards dans l’électricité bas carbone
De la même manière, Total, qui accuse 8,4 milliards de dollars de pertes nettes ausecond trimestre de 2020,se retirede projets pétroliers matures au Gabon, et a abandonné l’acquisition des actifs africains d’Anadarko au Ghana et en Algérie, croit beaucoup au GNL. En pleinecrisesanitaire,Totalsemblemarquer son engagement en faveur du climat avec de nouveaux investissements dans les énergies renouvelables (à l’imagedesafermesolairesud-africaine de Prieska), ainsi que dans l’électricité bas carbone pour 2 milliards de dollars, soit 15 % des dépenses totales en capital
L’EXPLOITATION DU GAZ NATUREL MOZAMBICAIN PAR TOTAL FAIT CONTROVERSE. 140
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BP
(Capex). Au début de juillet, le français a rejoint la « Coalition pour l’énergie de demain » aux côtés de dix autres grandes entreprises internationales, dont CMA CGM, Engie, Faurecia, en vue d’accélérer la transition énergétique du transport et de la logistique. Cette coalition planche sur le développement de l’utilisation du GNL – présenté comme une alternative durable et bien moins émettrice de GES que les autres carburants fossiles –, de l’hydrogène vert, des biocarburants et du biogaz. Malgré la crise, le géant français piloté par Patrick Pouyanné (3) a obtenu à la mi-juillet un financement de 14,9 milliards de dollars pour le développement à terre d’une usine de production de GNL au Mozambique, qui comprendra la construction de deux trains de liquéfaction d’une capacité totale de 13,1 millions de tonnes par an. Total détient déjà des participations relativement modestes dans des usines de liquéfaction au Nigeria, en Égypte et en Angola, mais le développement de son projet mozambicain fait controverse. Dans un rapport paru en juin,l’ONG Les Amis de la Terre s’interroge sur l’empreinte carbone de l’exploitation du GNL mozambicain, « véritable bombe climatique », et qui pourrait selon elle « générer autant de gaz à effet de serre que sept années d’émissions de la France ». Si elles sont plus avancées que leurs rivales américaines Exxon et Chevron, qui continuent de croireaupétroleetau gaz de schiste, les majors européennes ont encore un long chemin à parcourir. Selon un rapport publié à la fin de juillet par l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis, pour atteindre leurs objectifs de neutralité carbone d’ici à 2050, Shell et Total devraient investir au moins chacun 10 milliards de dollars par an dans les énergies renouvelables, soit 50 % de leurs dépenses en capital, contre aujourd’hui 5 % et 10 % respectivement. SHELL
de son mégaprojet gazier offshore de Grand-Tortue, à cheval sur la frontière maritime entre le Sénégal et la Mauritanie, aux réserves estimées à 450 milliards 1 de mètres cubes de gaz, attendu en 2023. De son côté, soucieux de la « résilience de son modèle économique », Royal Dutch Shell entend devenir le « numéro un mondial » de l’électricité tout en misant 2 également sur le GNL. Malgré de sérieuses pertes de 17 milliards de dollars au bilan du second semestre, le groupe anglo-néerlandais a pris la décision, aux côtés de ses partenaires, d’investir pour augmenter ses capaci3 tésdeproductiondeGNLau Nigeria, avec l’ajout d’un septième train de liquéfaction pour porter sa production à 30 millions de tonnes par an. Le directeur de Shell, Ben Van Beurden (2), estime que « la demande de pétrole mettra plusieurs années à se redresser, si elle se redresse un jour » – contrairement à celle de GNL, appelée selon lui à doubler d’ici à 2040.
BRUNO LÉVY POUR JA
choisi un autre canal de dialogue avec le pétrolier français via la coalition Climate Action 100+. « En France, une résolution déposée en assemblée générale est contraignante. C’est pour cela qu’en général le taux d’abstention est faible, autour de 0,5 %. Pour cette résolution, le taux d’abstention a été de 11 %, ce qui est extrêmement significatif et montre l’intérêt manifeste d’un quart des actionnaires de Total pour cette problématique du climat », pointe Aurélie Baudhuin. Le Covid-19 aura bouleversé les perspectives pétrolières. La baisse de la demande mondiale et des prix a rogné les revenus des majors, qui prévoient désormais des dizaines de milliers de suppressions d’emplois. Les déclarations et les décisions des compagnies européennes après la première vague de l’épidémie indiquent une réallocation du capital – timide pour l’instant, mais réelle – dans les énergies vertes. « Le contexte est très favorable pour interroger les plans de développement des grandes compagnies. Avec des prix aussi bas, les entreprises sont dissuadées de produire du pétrole et du gaz non conventionnels, qui ont un fort impact négatif sur l’environnement », se réjouit Luisa Florez, responsable de l’équipe de gestion et recherche thématiques durables à LBPAM. Après une perte record de 21,6 milliards de dollars au second trimestre de 2020 et des dépréciations d’actifs passées pour 13,5 milliards de dollars, BP a annoncé à la fin de juillet que les dividendes distribués seraient divisés par deux par rapport au trimestre précédent. Dans le même temps, son PDG, Bernard Looney (1), a réitéré son engagement d’investir 5 milliards de dollars par an dans les énergies renouvelables et de multiplier par vingt, d’ici à 2030,lescapacités installées dansl’éolien, le solaire et l’électricité. Et continue de parier sur le gaz naturel liquéfié (GNL), avec l’entrée en exploitation
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