JA 3092 DU 30 AOÜT 2020 FOCUS AGROBUSINESS ET SECURITE ALIMENTAIRE

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SEPTEMBRE 2020

MALI LE RÉCIT EXCLUSIF

DE LA CHUTE D’IBK NO 3092 – SEPTEMBRE 2020

CÔTE D’IVOIRE

2011-2020 : LE VRAI BILAN Spécial 24 pages

CONGO

LE COMPTE À REBOURS

14 pages

MAGHREB-TURQUIE

L’année où l’Afrique s’est réveillée

JEUNE AFRIQUE N O 3 0 92

Algérie 420 DA • Allemagne 9 € • Belgique 9 € Canada /A 12,99 $CAN • Espagne 9 € • France 7,90 € Grèce 9 € • DOM 9 € • Italie 9 € • Maroc 50 MAD Pays-Bas 9,20 € • Portugal continental 9 € • RD Congo 10 USD Suisse 15 CHF • Tunisie 8 TND • TOM 1 000 XPF Zone CFA 4800 F CFA • ISSN 1950-1285

• Achille Mbembe « Le vrai défi, c’est de raviver la mémoire des luttes anticoloniales » • Cameroun Le choix des armes • RD Congo Lumumba, ce héros • Côte d’Ivoire Ce que Houphouët veut… • Sénégal L’indépendance tranquille

ANKARA POUSSE SES PIONS

ENQUÊTE

RIFIFI À LA CEMAC

RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE NOS ENTREPRISES FACE AU COVID-19

8 pages


FOCUS

AGROBUSINESS ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

AFRIQUE DE L’OUEST

Haro sur la dépendance aux importations de riz! Le Nigeria a pris des mesures drastiques pour développer sa production locale, emboîtant le pas au Mali, au Sénégal et à la Côte d’Ivoire.

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Q JACQUES TORREGANO POUR JA

ESTELLE MAUSSION

La Côte d’Ivoire a dû importer 1,5 million de tonnes de riz en 2018 (ici, sur le port d’Abidjan).

uelque 300 milliards de F CFA pour la Côte d’Ivoire, environ 190 milliards pour le Sénégal et autour de 163 milliards pour le Cameroun. Ce sont les montants des factures annuelles acquittées par ces trois pays pour combler leur déficit en riz en recourant aux importations. Ces dernières années, ils se sont pourtant engagés (comme l’ensemble des États de la région, à commencer par le géant nigérian) à atteindre l’autosuffisance au plus vite. À Dakar, on l’avait annoncée pour 2017, en vain. Abuja vise 2022, Niamey 2021, et Abidjan s’est fixé la date de 2025. Questions de sécurité alimentaire et de souveraineté nationale. En Afrique de l’Ouest, le riz, plus que toute autre céréale, est stratégique. Sous l’effet conjugué de l’essor démographique, de l’urbanisation et de la hausse des besoins individuels, la consommation de riz a été multipliée par quatre en trente ans, selon le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). « Or, malgré les progrès observés dans la production locale, surtout grâce à l’extension des surfaces rizicoles, la région doit importer l’équivalent de 45 % de sa consommation totale, contre 40 % au début des années 2010, et 20 % seulement dans les années 1960 et 1970 », souligne Patricio Méndez del Villar, spécialiste de la céréale au Cirad. Résultat, les importations de la région, majoritairement en provenance d’Asie, ont grimpé en flèche, triplant entre 1990 et 2018 pour représenter environ un quart des importations mondiales selon le Cirad. Si les États ont bien tenté de contrer cette évolution à travers le soutien à la production et l’imposition de barrières à l’importation, la crise financière de 2008 a cassé leur élan: face à la flambée des cours du riz, ils ont abandonné les mesures protectionnistes afin d’éviter pénuries et émeutes. Depuis, les initiatives, publiques et privées, se multiplient alors que l’épidémie de coronavirus fait à nouveau planer le risque de difficultés d’approvisionnement et renforce la pression en faveur de l’indépendance alimentaire. Dans cette course à l’autosuffisance, le Nigeria se distingue. Depuis 2015, sous l’impulsion du président Buhari, le pays a pris des décisions fortes pour réduire sa dépendance aux importations alimentaires, notamment

de riz. Après la hausse drastique des taxes sur les céréales venant de l’extérieur, il a coupé l’accès aux devises étrangères pour régler ces importations. Avant de fermer ses frontières, en août 2019, afin d’empêcher l’entrée de riz de contrebande, venant principalement du Bénin. Controversée, cette politique semble porter ses fruits : le Nigeria est le seul des trois pays africains du top 20 mondial des importateurs de riz (avec la Côte d’Ivoire et le Sénégal) à avoir réduit ses importations entre 2013 et 2019, selon le trader genevois Alliance Commodities, même si cela se solde par une flambée des prix. En parallèle, Abuja a soutenu le secteur privé viaunesériedemesures(prixminimumgaranti, fourniture d’intrants, prêts agricoles, exonérations fiscales pour les rizeries…). Cela a permis d’améliorer la productivité des petits producteurs (qui représentent 80 % du secteur) et d’encourager les investissements de grands groupes (seulement 20 %), dont les nationaux Dangote, Coscharis, BUA, et les étrangers Olam et Stallion (conglomérat de l’Indien Sunil Vaswani, dont le siège est à Dubaï). Le singapourien Olam entend ainsi produire 240000 t lors de la prochaine saison, quand le groupe d’Aliko Dangote a lancé en 2017 un plan d’investissement de 1 milliard de dollars pour cultiver 150000 hectares et installer dix usines avec l’ambition d’atteindre le million de tonnes par an à l’horizon 2022.

Avec sa longue tradition rizicole, le Mali constitue une exception historique

Dans le monde francophone, même si les résultats sont modestes, trois acteurs sortent du lot. Le Mali, pays enclavé avec une longue tradition rizicole, constitue une exception historique puisqu’il est parvenu à maintenir sa quasi-autonomie (plus de 3 millions de t produites en 2018, selon la FAO). « Il pourrait même exporter chez ses voisins », avance Pierre Ricau, analyste de marché chez Nitidæ. Plus récemment, le Sénégal, en 2010, et la Côte d’Ivoire, en 2012, se sont dotés d’une stratégie nationale consacrée au riz. Côté sénégalais, l’État a massivement subventionné les intrants pour booster la production (dans la vallée du fleuve Sénégal et en Casamance), bénéficiant aussi entre 2010 et 2015 du soutien de l’Agence française de développement (AFD) à hauteur de 13,3 millions d’euros. Une action payante: le ratio importations/production nationale, de 80 %-20 % par le passé, s’est rééquilibré à 55 %-45 % en 2018. Mais la crise liée au coronavirus pourrait mettre en péril le financement d’une telle politique.

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FOCUS AGROBUSINESS ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

AFRIQUE DE L’OUEST

Côté ivoirien, l’Agence pour le développement de la filière riz (Aderiz) a mis l’accent sur l’industrialisation, obtenant en 2018 un prêt de 30 millions de dollars auprès d’Eximbank of India pour la construction de trente unités de transformation dans les dix régions du pays au plus fort potentiel rizicole. Le projet, réalisé par la société indienne Lucky Exports, accuse toutefois un important retard (les usines auraient dû être livrées à la fin de 2018) alors que la production nationale n’augmente que lentement, obligeant le pays à maintenir un important volume d’importations (2,1 millions de t produites et 1,5 million importées en 2018).

La demande augmente plus vite que la production

De fait, de nombreuses difficultés demeurent. Outre les aléas climatiques et la faiblesse de la recherche agronomique, frein à l’amélioration des variétés de riz, les États sont engagés dans une impossible fuite en avant. Ainsi en est-il du Nigeria : si sa production a augmenté de 41 % entre 2013 et 2018, selon la FAO, elle reste inférieure à la demande (6 millions de t produites, contre 7 millions consommées en 2018), et, surtout, elle croît moins vite que celle-ci. Un constat valable aussi pour tous ses voisins. À cette donnée s’ajoute un autre écueil: l’absence de compétitivité du riz ouest-africain face à un riz asiatique qui, produit et transformé à grande échelle, arrive sur le continent à des prix défiant toute concurrence. « Alors que les prix sont bas sur le marché mondial depuis cinq ans, ce riz est vendu entre 350 et 400 dollars la tonne

quand il devrait atteindre au moins 500 dollars pour laisser une chance aux productions africaines », résume Pierre Ricau. Pour ce dernier, le développement de la filière pose aussi un problème plus politique : il impose aux États d’arbitrer entre les aspirations du monde rural, qui souhaite vendre sa production locale à un bon prix, et celles des consommateurs urbains, à la recherche du riz le moins cher possible. La deuxième catégorie est généralement favorisée, ce qui fait le jeu des importateurs. Face à cette situation, plusieurs pistes sont mises en avant. « Il faut non seulement plus d’investissements, mais aussi mieux les coordonner sur l’ensemble de la chaîne de valeur pour réduire les coûts de production du riz ouest-africain », avance Kathiresan Arumugam, consultant pour l’Alliance pour une révolution verte en Afrique. De son côté, Patricio Méndez del Villar plaide pour la mise en place de contrats plus flexibles entre vendeurs (les producteurs) et acheteurs (organismes publics ou investisseurs privés) de riz local afin d’éviter les ruptures d’approvisionnement ou les grandes variations de prix, point faible de la production nationale par rapport aux importations. Quant à Pierre Ricau, il propose de maintenir le prix du riz importé à un niveau élevé par l’imposition de taxes, un moyen pour les États ouest-africains de récupérer des fonds destinés à financer la production locale. « Quoi qu’il en soit, conclut l’analyste de Nitidæ, le problème du riz en Afrique de l’Ouest ne pourra être résolu qu’à l’échelle régionale. »

La disparition de Phœnix profite à Louis-Dreyfus et à Olam

L

annonce de sa liquidation, en mai, a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le monde du négoce de riz. Membre du trio mondial du secteur, derrière les géants Louis Dreyfus et Olam, Phœnix Global DMCC, fondé en 2000 à Bangkok par des cadres indiens, a fait faillite, anéanti par 400 millions de dollars de pertes. Si la direction du groupe de négoce de produits agricoles a blâmé le coronavirus et ses effets sur les marchés financiers, il semble que le désastre s’explique aussi par des pratiques de couverture très risquées

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et douteuses… Réalisant un tiers de ses recettes sur le continent, Phœnix Global, dont le siège était à Dubaï, s’était développé en Afrique de l’Est (Kenya, Madagascar, Mozambique), en Afrique centrale, en particulier au Cameroun, ainsi qu’en Afrique de l’Ouest, notamment en Côte d’Ivoire et au Sénégal, où il était l’un des fournisseurs de l’importateur Comptoir commercial Mandiaye Ndiaye (CCMN), dirigé par Moustapha Ndiaye. Sa disparition va sans nul doute profiter au suisse Louis-Dreyfus et au singapourien Olam, fournisseurs, entre autres,

du premier importateur ivoirien de riz, la Société de distribution de toutes marchandises (SDTM), de Zouheir Ezzedine. Mais d’autres acteurs sont en embuscade. Spécialiste des grains et engrais, le groupe suisse Ameropa, qui avait arrêté le négoce de riz, aurait repris du service. L’autrichien Voestalpine, les suisses Swiss AgriTrading (SAT), Cereal Investments Company (CIC) et Capezzana pourraient aussi pousser leurs pions sur un marché africain de 15 millions de tonnes d’importations par an. E.M.



FOCUS AGROBUSINESS ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

ALGÉRIE

Agrana croit ferme au « made in Algeria »

« Avant 2018, nous utilisions 100 % de fruits importés, rappelle Djemaa Boukheddami, directeur général d’Agrana Fruit Algeria. Le marché algérien était insuffisamment structuré, notamment du fait des intermédiaires, pour nous permettre d’être compétitifs en nous approvisionnant localement. » Désormais, tous les agrumes et les pommes utilisés sont algériens, tout comme 50 % des abricots, des pêches et des fraises. Alors qu’elle importait ses mûres sauvages, l’entreprise a divisé leur coût par deux en les récoltant sur place cette année, couvrant des besoins de 100 tonnes (t). Agrana Algeria a congelé 1 500 t de fruits en 2019. Pour ce faire, il a fallu convaincre les agriculteurs de respecter des normes qualité, notamment en évitant l’usage inapproprié de pesticides. Il a aussi fallu rétablir la confiance entre agriculteurs et industriels.

Ce groupe autrichien, leader mondial de la transformation de fruits, veut être le chaînon manquant entre les cultivateurs et les producteurs de jus, de yaourts, de glaces et de pâtisseries.

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Des prix fixes garantis aux partenaires

ÉVOLUTION DE LA PRODUCTION ALGÉRIENNE DE FRUITS (en tonnes)

1 013 636 Pommes

Pêches

8 304

3 745

186 045

103 811

251 968

151 954

Abricots

Cerises

NURPHOTO VIA AFP

Oranges

Moyennes : 2006 - 2008 2016 - 2018

494 300 244 739

Algérie doit-elle restreindre l’importation des dérivés des fruits qu’elle produit pour créer une industrie de transformation ? Le débat réapparaît régulièrement depuis cinq ans dans un contexte marqué par la hausse des récoltes d’oranges, d’abricots ou encore de pêches, et la chute concomitante des revenus d’exportation, surtout issus des hydrocarbures. La facture des aliments importés a explosé en dix ans, affichant un record de 11 milliards de dollars en 2014 (8 milliards en 2019). Au début de 2020, face au gaspillage d’oranges, le chef de l’État a menacé d’en interdire le concentré acheté par les fabricants de jus sur le marché mondial. « Nous avons expliqué au ministère du Commerce que si nous, industriels, devions utiliser les oranges algériennes, nous nous trouverions hors compétition, tout en précisant qu’une année de production nationale ne nous permettrait de travailler que dix jours, car une infime quantité de nos oranges convient à l’industrie », relate Slim Othmani, vice-président de l’Association des producteurs algériens de boissons (Apab). Cependant, les fruits algériens ne sont pas ignorés. « Neuf opérateurs récupèrent des fruits pour réaliser une première transformation destinée à l’agroalimentaire, explique Ali Hamani, président de l’Apab. Mais cela reste en deçà de nos besoins. » « Les purées de fruits locales sont partiellement utilisées dans les yaourts, les confitures ou les boissons, un secteur intégré à plus de 70 %, à l’exception du

jus d’orange », complète Slim Othmani, convaincu que l’Algérie, comme le Brésil avec le concentré d’orange ou la Chine avec la pomme, pourrait devenir un grand transformateur d’abricots. C’est néanmoins sur d’autres étapes qu’Agrana Fruit parie. Ce groupe autrichien, premier producteur international de concentrés de jus et de préparations à base de fruits pour les industriels de jus, de yaourts, de glaces et de pâtisseries (2,48 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 1,18 milliard pour sa division fruits et 26 millions en Afrique), a pris en 2018 49 % d’Elafruits, numéro un algérien des transformateurs. Présent sur cinq continents avec 42 usines, notamment au Maroc, en Égypte et en Afrique du Sud, il a développé en Algérie la seule unité de préparations à base de fruits existant à ce jour. Il a aussi mis en place une filière de congélation des fruits destinés à ces préparations.

489 453

L’

SAÏD AÏT-HATRIT

« En l’absence de carte agricole nationale, les agriculteurs plantent à l’aveugle, regrette Hacène Menouar, président de l’association El Amane pour la protection du consommateur. Résultat: en cas de pénurie ou d’abondance, ce sont soit les agriculteurs, soit les consommateurs qui gagnent, rarement les deux. » Désormais, Agrana Fruit Algeria garantit l’achat de fruits à prix fixe à ses partenaires pour une grande partie de leurs récoltes. En trois ans, la société est passée de 2 000 à 10 000 t de solutions alimentaires produites. Elle compte pour 55 % de ce marché en Algérie, face aux produits importés, et pourrait atteindre 7 millions d’euros d’exportation en 2021, notamment en Tunisie et au Maroc. Dans la congélation, « l’Algérie pourrait exporter pour plus de 100 millions d’euros dans deux ans en développant la filière, car les fruits surgelés pour l’industrie sont plus faciles à exporter que les fruits de bouche », assure Djemaa Boukheddami, qui souhaite que les excédents de surgelés soient expédiés dans d’autres usines du groupe pour y être transformés en solutions d’ici à trois ans.



FOCUS AGROBUSINESS ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

COMAFRUITS

MALI

La compagnie est installée dans le bassin de Sélingué, à une centaine de kilomètres au sud de Bamako.

ComaFruits secoue la mangue malienne

Après avoir structuré la filière grâce à la montée en puissance de son usine de transformation, la société diversifie ses produits finis avec l’appui du fonds d’Edmond de Rothschild, Moringa.

L

AÏSSATOU DIALLO

e Mali est l’un des principaux producteurs de mangues en Afrique de l’Ouest. Selon la Banque mondiale, sa production était de 600 000 tonnes en 2015 et a permis de récolter 30 millions de dollars de recettes d’exportations. Mais la quantité de mangues exportées demeure faible en raison des défis que représentent le stockage, la transformation et l’exportation de ce fruit. Ainsi, selon les organisations locales de la filière, le pays n’en a exporté que 22 276 t – fraîches et sèches – en 2018. Installée dans le bassin de Sélingué depuis 2009, la Compagnie malienne de fruits (ComaFruits), créée par l’entrepreneur italien Dino Ballestra, veut répondre à ce besoin. « La matière première est disponible. Mais, lorsque vous arrivez dans un petit village,

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95 % des mangues pourrissent au sol. L’encadrement des producteurs sur les techniques phytosanitaires et la mise en place d’une unité de transformation étaient nécessaires afin d’exploiter cette ressource abondante », confie un responsable malien de l’entreprise. La société s’approvisionne auprès de quelque 3 000 petits producteurs, ce qui permet à ces derniers d’avoir un débouché stable au-delà de la saison de la mangue, qui court

« L’AFRIQUE A SA CARTE À JOUER SUR LE MARCHÉ BIO, LES CONSOMMATEURS SONT DE PLUS EN PLUS EXIGEANTS VIS-À-VIS DE CE QU’ILS MANGENT. »

habituellement d’avril à juin. Environ 10000 t par an sont collectées et transformées en purée dans une usine où travaillent 460 saisonniers et une cinquantaine de permanents. La purée de mangue est ensuite exportée vers l’Europe, les États-Unis et le Canada, où des entreprises les reconditionnent en compotes ou en jus. En janvier 2020, Moringa, le fonds d’investissement d’impact du groupe Edmond de Rothschild, dévolu au financement de projets d’agroforesterie durable, a annoncé son entrée à hauteur de 40 % dans ComaFruits. C’est le cinquième investissement en Afrique subsaharienne de ce fonds, qui participe déjà à la transformation du moringa au Kenya, de la noix de cajou au Bénin, de l’ananas au Togo et de l’huile de palme au Ghana.

Des cubes pour l’exportation et une gamme de jus

Le montant de l’opération n’a pas été dévoilé. Mais Moringa investit généralement entre 4 et 10 millions d’euros dans ce type de cas. « Notre investissement a servi à un projet d’extension de l’usine. En plus de la purée de mangue, nous allons fabriquer des cubes de mangue congelée pour l’exportation. Pour le marché malien, nous allons lancer une gamme de jus de fruits. Nous nous intéressons également au fruit de la liane [une plante rampante] », explique Hervé Bourguignon, associé du fonds Moringa. « Mais tous ces projets sont pour l’instant retardés par l’épidémie de coronavirus. La venue de techniciens italiens pour régler les appareils n’est pour l’heure pas possible », ajoute-t-il. Les produits de ComaFruits sont certifiés bios, donc sans pesticides. L’entreprise collabore également avec le label Rainforest Alliance, qui garantit de bonnes conditions de travail et un impact limité sur l’environnement. « L’Afrique a sa carte à jouer sur le marché bio, dans un contexte où les consommateurs sont de plus en plus exigeants vis-à-vis de ce qu’ils mangent, et où une méfiance existe à l’égard des produits d’Amérique du Sud », estime Hervé Bourguignon.


MESSAGE

Agricorp SAM

Gildo Pastor Center ,Bloc B 7, rue du Gabian - 98000 Monaco Tél. : +377 97 98 43 00 E-mail: info@agri-corp.com www.agri-corp.com

AVIS D’EXPERT

AGRICORP, un développement basé sur une agriculture durable Présentez-nous Agricorp ? Agricorp est une filiale de Monaco Resources Group, un groupe international actif dans les ressources naturelles : les secteurs Métaux & Minéraux, la Logistique & les Infrastructures et l’Agri-business. Agricorp intervient dans le domaine de l’agro-alimentaire et constitue un groupe international présent via des filiales en Europe et en Afrique. Nos activités incluent la culture, la transformation, la vente en local et à l’international de produits issus de nos propres concessions (vanille, épices, riz), l’achat/vente de fruits et légumes frais et la production de conserves de légumes dans des usines détenues en propre.

- le transfert de compétences avec les agriculteurs locaux, via des programmes d’incitation pour l’adoption de bonnes pratiques agricoles. Avez-vous un exemple concret ? Dans l’Océan Indien notamment, notre filiale Agri Resources Madagascar est producteur, préparateur et exportateur d’huiles essentielles et de vanille certifiée Agriculture Biologique produite sur 2 terrains dans la région d’Antalaha, au sein de la SAVA. Nos activités privilégient des relations durables avec les agriculteurs, les producteurs, les clients et les partenaires : • nos équipes opérationnelles assurent

« Une approche centrée sur la création de valeur en local en Afrique est le garant d’une croissance durable et d’un vrai partenariat gagnant-gagnant avec les agriculteurs » Comment conciliez-vous développement économique et agriculture durable en Afrique ? Le pilier du développement d’Agricorp en Afrique a été la création de valeur en local, traduite par la volonté d’investir durablement à la source : - dans la sécurisation de concessions, pour permettre la mise en place de programmes pérennes impliquant les communautés locales ; - l’acquisition d’équipements et d’entrepôts, pour permettre de disposer d’un environnement de qualité pour le déroulement des opérations ;

au quotidien une gestion écologiquement durable des terres et des ressources naturelles en préservant les forêts résiduelles et en mettant en œuvre l’agroforesterie. • Nous nous attachons particulièrement au transfert de compétences, à la formation et au partage sur les méthodes anciennes et traditionnelles. Nos équipes travaillent en étroite collaboration avec des groupements de planteurs, avec l’aide d’associations locales, pour la mise en place de programmes de traçabilité et de certifications (AB, HACCP), devenues

Frédéric DALMASIE, CEO AGRICORP SAM

essentielles pour les acheteurs internationaux. • Au sein de nos « magasins » locaux, les équipes attachent beaucoup d’importance à la préservation des bonnes pratiques agricoles et autour de la préparation de la vanille, ce qui permet à Agri Resources Madagascar d’exporter à l’international à une clientèle diversifiée. Agricorp s’efforce de garantir les meilleurs pratiques sociales et durables concernant la culture de la vanille et des épices, en créant de la valeur et des opportunités pour les partenaires locaux, et en garantissant des produits de qualité pour les clients finaux, tout en minimisant son empreinte sur l’environnement.


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GABON

Sur le long chemin de l’autosuffisance

La dépendance de Libreville à l’égard des importations agricoles est apparue au grand jour avec l’épidémie de coronavirus. Le programme Graine, partenariat entre l’État et Olam qui ambitionnait de changer la donne, est en pleine refonte. CAROLINE CHAUVET

À

la suite de la fermeture des frontières due au coronavirus, le prix des denrées alimentaires est allé jusqu’à doubler au Gabon. Avec une économie orientée vers l’extraction pétrolière, le pays à forte population urbaine (89,7 % en 2019) importe la plupart de ses produits alimentaires pour ses 2,1 millions d’habitants. Afin d’inverser la tendance, le gouvernement a lancé en 2014 le programme Graine (Gabonaise des réalisations agricoles et des initiatives des nationaux engagés). Il vise l’autosuffisance alimentaire d’ici à 2030 dans des productions vivrières (banane, tomate, manioc, piment) ainsi que le développement de la filière du palmier à huile. Le Gabon a fait le pari d’un partenariat public-privé (PPP) avec le singapourien Olam, qui a lancé, la même année, sa production de palmiers à huile dans le pays. Ce PPP a donné naissance, en 2015, à la Société de transformation agricole et de développement rural (Sotrader). « De 2015 à 2018, Graine a englouti 119 milliards de F CFA [plus de 180 millions d’euros] sans résultat tangible », déplore Hervé Omva, président de l’ONG IDRC Africa – qui agit en lien avec le gouvernement pour l’autosuffisance alimentaire. Selon cet agronome, le projet a été mal compris. Graine offrait 100000 F CFA par mois à chaque agriculteur. « Les planteurs ont cru à un salaire, alors qu’il s’agissait d’une subvention à l’investissement », regrette-t-il. De nombreux

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projets agricoles ont été abandonnés à l’arrêt des subventions. « Mis en place à la veille de la présidentielle de 2016, Graine a aussi parfois été perçu comme un appui politique aux ruraux », estime quant à lui Ladislas Ndembet, président de l’ONG Muyissi Environnement. Par ailleurs, au début du projet, le rachat de la production et les circuits de distribution n’étaient pas au point avec la Sotrader. Quant à l’état des routes de l’arrière-pays, il reste un obstacle au transport des denrées.

Davantage de marchés et de points de vente

Aujourd’hui, Graine se redéfinit, rétorque le directeur de la Sotrader, Ahmed Bongo, en poste depuis 2019. La distribution des produits s’est améliorée, avec davantage de marchés et points de vente. « Depuis l’ouverture des marchés Graine, la Sotrader a acheté près de 172 tonnes de produits agricoles aux planteurs

locaux », précise Ahmed Bongo. La société ne s’appuie plus seulement sur les coopératives, mais s’ouvre aussi aux producteurs indépendants de taille moyenne. Le directeur souligne que près de 850 coopératives ont été constituées, 400 agriculteurs indépendants enregistrés, 1148 emplois créés et 2600 agriculteurs formés. « De plus en plus d’entrepreneurs s’intéressent à l’agriculture », reconnaît Hervé Omva, qui forme des jeunes à ce secteur dans le village Graine de Bolokoboué, près de Libreville. Alors que, du fait de la faible densité de population du pays et de l’exode urbain, la moyenne d’âge augmente en zone rurale, il reste encore de nombreux défis à relever pour faire éclore une nouvelle génération de planteurs. Pour continuer le projet, la BAD a accordé en 2019 un prêt de 66 milliards de F CFA au Gabon. Une partie de l’enveloppe a cependant été redirigée vers la lutte contre le Covid-19.

DES PRODUITS IMPORTÉS DU CAMEROUN, DU CONGO… ET DE FRANCE Le secteur agricole gabonais dépend à plus de 60 % des importations, soit environ 800 milliards de F CFA (1,22 milliard d’euros) par an. Le Cameroun et le Congo exportent vers Libreville manioc, bananes, tomates et piments, les produits locaux les plus consommés. La France exporte vers le Gabon plus de 90 milliards de F CFA par an de produits agroalimentaires transformés. « L’ONU a encouragé les pays africains à allouer 10 % de leurs ressources à l’agriculture, mais le Gabon y consacre moins de 1 % du budget », remarque l’économiste Mays Mouissi. C.C.


COMMUNIQUÉ

Vous n’imaginez pas tout ce qu’il y a derrière cette banane… Derrière ce fruit, il y a l’engagement sans faille d’une entreprise familiale de fruits et légumes fondée à Marseille en 1938 devenue depuis un leader européen du secteur et le premier producteur de fruits d’Afrique. La Compagnie Fruitière produit, transporte, fait mûrir et commercialise plus de 900 000 tonnes de fruits et légumes : bananes, ananas, tomates, mangues, pommes de terre, ...

Derrière cette banane, un partenariat gagnant-gagnant. Très investi sur le continent africain (Cameroun, Côte d’Ivoire, Ghana, Sénégal), la Compagnie Fruitière exporte la majorité de sa production vers l’Europe, mais une part croissante est vendue dans des pays de l’ouest africain. Grâce à sa flotte de navires spécialisées offrant des liaisons maritimes régulières, elle permet également aux autres producteurs africains de fruits d’accéder aux marchés européens dans les meilleures conditions.

Derrière cette banane, une démarche durable. L’agriculture biologique et la mise en place de nouvelles pratiques culturales agro-écologiques que les consommateurs réclament, s’imposent aussi comme une exigence pour le bien-être des populations locales et la préservation de la biodiversité. La Compagnie Fruitière fait figure d’avant-garde en ce domaine avec 7% de ses bananeraies passées en agriculture bio et un objectif fixé à 20% à l’horizon 2025. Suppression des pesticides, compost organique, effeuillage et désherbage manuels, recours aux plantes de couverture pour lutter contre les parasites et régénérer les sols… Voici quelques exemples de nouvelles pratiques agro-écologiques en développement et soutenues par le WWF France dans le cadre d’un partenariat pour une agriculture durable et responsable.

compagniefruitiere.com

Derrière cette banane, un engagement solidaire. Avec près de 20 000 collaborateurs répartis sur 4 pays, la Compagnie Fruitière est un employeur majeur en Afrique. Elle figure également parmi les premiers producteurs mondiaux de bananes certifiées Fairtrade Max Havelaar. Ce label permet de garantir, entre autres, de meilleures conditions de travail et de vie pour les travailleurs et les communautés environnantes. Accès à l’eau potable et à l’électricité, construction d’écoles et de centres de santé, cantines ou solutions de transport pour les salariés, dans un dialogue social sain et équilibré, les exemples sont nombreux montrant que la Compagnie Fruitière cultive tous les jours plus que des fruits et des légumes, et notamment une éthique responsable à travers son activité.

Le goût de la vie


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