OCTOBRE 2020
NO 3093 – OCTOBRE 2020
200 CLASSEMENT
CÔTE D’IVOIRE
Ouattara-Bédié : le dernier combat
les
MALI
PREMIÈRES BANQUES AFRICAINES
Goïta démasqué
ENQUÊTE
Les ambitions contrariées de M. Dangote
GUINÉE
Alpha vs Cellou : bras de fer à Conakry
BLACK LIVES MATTER
JEUNE AFRIQUE N O 3 0 93
Patrice Talon « J’ai pris le risque d’être impopulaire » Une interview exclusive du chef de l’État béninois.
Algérie 420 DA • Allemagne 9 € • Belgique 9 € Canada /A 12,99 $CAN • Espagne 9 € • France 7,90 € Grèce 9 € • DOM 9 € • Italie 9 € • Maroc 50 MAD Pays-Bas 9,20 € • Portugal continental 9 € • RD Congo 10 USD Suisse 15 CHF • Tunisie 8 TND • TOM 1 000 XPF Zone CFA 4800 F CFA • ISSN 1950-1285
Une colère noire vue d’Afrique
OBJECTIF MAURITANIE UN PAYS, SES DÉFIS
POLITIQUE
Le printemps de Nouakchott
Une affiche représentant le chef de l’État, alors candidat, dans une rue de Nouakchott, en juin 2019.
MOHAMED MESSARA/EPA-EFE/MAXPPP
En tendant la main à l’opposition et en favorisant une union sacrée sur une série de sujets, Mohamed Ould Ghazouani affirme un peu plus son leadership et tue dans l’œuf tout espoir de come-back de son mentor et prédécesseur, Mohamed Ould Abdelaziz.
S JUSTINE SPIEGEL
ur leurs terres mauritaniennes, Ahmed Ould Daddah, 78 ans, et Mohamed Ould Maouloud, 67 ans, retrouveraient-ils une seconde jeunesse ? Après avoir contribué à écrire trente années d’histoire politique, les deux opposants mauritaniens étaient jugés dépassés par beaucoup. À la présidentielle de 2019, Mohamed Ould Maouloud, soutenu par Ahmed Ould Daddah, n’avait réussi à séduire que 2,4 % des électeurs. La déception fut très grande, et la défaite, amère. « Le pouvoir a cherché à nous humilier », nous confiait alors Ould Maouloud, président de l’Union des forces de progrès (UFP). Ce dernier était loin d’imaginer que, quelques mois plus tard, le nouveau chef de l’État, Mohamed Ould Ghazouani, lui téléphonerait en personne pour s’enquérir de sa santé, après qu’il eut demandé en mars à être testé au Covid-19 – un examen qui s’est révélé négatif. Ce geste en apparence anecdotique est en réalité hautement symbolique. L’homme aux fines lunettes et au visage impassible qui s’est installé le 1er août 2019 au palais présidentiel de Nouakchott, où il se rend chaque matin à 9 heures, a révélé dans le courant de cette année des facettes insoupçonnées de sa personnalité. Durant la campagne, Mohamed Ould Ghazouani s’était fait une promesse: se débarrasser au plus vite, une fois élu, de l’image de « marionnette » dont l’avait affublé Mohamed Ould Abdelaziz et qui était solidement ancrée dans l’esprit des Mauritaniens. Les dix années de règne de son prédécesseur et mentor ayant été marquées par une forte crispation de la scène politique, l’un des premiers gestes du nouvel homme fort de Nouakchott a été de tendre à la main à l’opposition. « Le président a fait sauter les tabous tant sa volonté
de contacter tous ses détracteurs, même ceux considérés comme les plus radicaux, était inimaginable venant du pouvoir, analyse Lo Gourmo, premier vice-président de l’UFP. Jusqu’ici, ces rencontres ne pouvaient s’envisager qu’en situation de crise. » L’opposition traditionnelle n’a jamais pardonné à Mohamed Ould Abdelaziz ce qu’elle considère comme son péché originel : avoir renversé, en 2008, le premier président démocratiquement élu du pays, Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Les dialogues successifs entre pro- et antiputsch entamés après l’élection d’Aziz à la tête du pays ont tous tourné court. La majorité des partis ont boycotté les législatives de 2013, puis la présidentielle de 2014. Embourbés dans une véritable guerre ouverte avec l’ex-chef de l’État, ils sont devenus inaudibles, laissant le champ libre aux islamistes « modérés » de Tawassoul, qui accèdent alors au statut de leader de l’opposition au Parlement. Mohamed Ould Ghazouani, lui, a immédiatement opté pour une autre stratégie en recevant personnellement et de son propre chef chacun des opposants. Dès septembre 2019 et au fil des mois suivants, Ahmed Ould Daddah et Mohamed Ould Maouloud donc, mais aussi Biram Dah Abeid (IRASawab), l’ex-Premier ministre Sidi Mohamed Ould Boubacar ou encore Jemil Ould Mansour, l’un des leaders de Tawassoul, ont pris place dans l’intimité du petit salon de son bureau, situé au troisième étage du palais présidentiel. L’ancien chef d’état-major des armées les a longuement écoutés, tout en consignant soigneusement leurs revendications dans un petit cahier. « Aziz et Ghazouani ont des personnalités diamétralement opposées, explique un proche collaborateur de ce dernier. L’ancien président déteste les Kahidines [ex-membres du PKM, ancien parti composé d’étudiants maoïstes, cofondé par Mohamed Ould Maouloud], tout autant que les Frères musulmans [dont Tawassoul est réputé proche, bien qu’il s’en défende], ce qui rend tout échange impossible. » Dans cette même logique de décrispation, Mohamed Ould Ghazouani a franchi un ultime cap en autorisant, en mars 2020, le retour au pays de l’ennemi juré de Mohamed Ould Abdelaziz, le très riche homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, contre qui Nouakchott avait lancé des mandats d’arrêt
LE PRÉSIDENT VOULAIT SE DÉBARRASSER AU PLUS VITE DE L’IMAGE DE « MARIONNETTE » DONT L’AVAIT AFFUBLÉ AZIZ. C’EST DÉSORMAIS CHOSE FAITE.
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OBJECTIF MAURITANIE
MAAROUF OULD DAA/EFE/MAXPPP
POLITIQUE
Lors de la passation de pouvoir entre Mohamed Ould Abdelaziz (à dr.) et Mohamed Ould Ghazouani, à Nouakchott, le 1er août 2019.
internationaux pour des faits de blanchiment et d’évasion fiscale. En conflit notoire avec l’ancien président, dont il avait été auparavant un important soutien, le patron de Bouamatou SA (BSA), en exil volontaire pendant dix ans, fait pour le moment mystère de ses ambitions. Cette politique d’ouverture s’applique aussi à Moustapha Chafi, qui fut l’éminence grise de l’ex-président burkinabè Blaise Compaoré. Également recherché pendant plusieurs années par la justice de son pays pour « intelligence avec des groupes terroristes », il devrait séjourner à Nouakchott à la fin de septembre. Pour éloigner durablement la menace d’un retour d’Aziz, Mohamed Ould Ghazouani a aussi permis aux députés de la majorité comme de l’opposition d’auditer, via une commission parlementaire, toute une série de marchés publics passés durant les deux mandats (2009-2019) de son prédécesseur et soupçonnés d’être frauduleux. Le rapport remis à la fin de juillet a révélé de nombreuses irrégularités. Dans la foulée, l’ancien président, qui a toujours agi dans la toute-puissance, a été auditionné, puis placé en garde à vue pendant plusieurs jours. Il est désormais sous la menace d’un retrait de son immunité et d’un procès devant la Haute Cour de justice, qui vient d’être réhabilitée par les députés. Une situation à peine croyable il y a encore quelques mois.
SEULE LA BRANCHE DE TAWASSOUL DIRIGÉE PAR MOHAMED MAHMOUD OULD SIDI DEMEURE SUR UNE LIGNE DURE VIS-À-VIS DU POUVOIR.
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Le Covid-19 a aussi donné l’opportunité au chef de l’État de faire travailler ensemble majorité et opposition au sein d’une coordination parlementaire. Ce changement radical de politique pourrait enfin déboucher sur une concertation nationale sur les questions cruciales de l’esclavage, le « passif humanitaire » (les disparitions et les expulsions de Mauritaniens noirs vers le Sénégal et le Mali entre 1989 et 1991), et du fonctionnement démocratique du pays. Missionné par le chef de l’État, le nouveau Premier ministre, Mohamed Ould Bilal, a réuni tous les partis afin d’évoquer cette initiative.
« Aziz, l’ennemi numéro un »
En scellant cette toute nouvelle union sacrée, Mohamed Ould Ghazouani gouverne-t-il désormais sans détracteurs? « Aziz est l’ennemi numéro un, mais il est évident que Ghazouani gouverne seul, sans opposition, avance un proche de ce dernier. Cela ne relève pas d’une stratégie particulière, il a agi en pacificateur, comme il l’a toujours fait. » « Aziz ne fait de la politique que pour se défendre, ce n’est pas un stratège, analyse Moussa Ould Hamed, fin connaisseur de la vie politique de son pays. Certes, il a bien tenté de relancer un petit parti [l’autorisation ne lui a pas été accordée], qui s’est d’ailleurs toujours vendu au plus offrant, mais il n’a jamais été un véritable politicien. Il ne faut pas oublier que Mohamed Ould Ghazouani est aussi considéré au sein de sa tribu comme un chef religieux, il est dans sa nature de tenter de pacifier les relations entre tous. » Seule la branche de Tawassoul dirigée par Mohamed Mahmoud Ould Sidi, qui réclame le rétablissement des relations diplomatiques avec le Qatar, demeure sur une ligne dure vis-à-vis du pouvoir. Le reste de l’opposition est éclaté, les alliances s’étant dénouées après qu’il eut été impossible de désigner un candidat unique à la présidentielle de 2019. Ses leaders se défendent toutefois d’être rentrés dans le rang. « Il faut être bien naïf pour imaginer que, parce qu’on nous reçoit et qu’on nous traite avec respect, nous pourrions renier des décennies de combat politique! se défend Lo Gourmo. L’opposition a toujours été dans la confrontation absolue, sauf lorsque Ely Ould Mohamed Vall et Sidi Ould Cheikh Abdallahi étaient au pouvoir [de 2005 à 2007 et d’avril 2007 à août 2008]. Aujourd’hui, nous avons établi des ponts avec la majorité et nous prenons le temps de revoir notre stratégie et de définir, tous ensemble, quelle opposition nous souhaitons être. » Le temps est donc venu de se réinventer.
Mattel poursuit sa dynamique de croissance malgré le contexte difficile du Covid-19 Même si l’heure des bilans n’a pas encore sonné, l’année 2020 restera une année particulière marquée par la pandémie du Covid-19 qui a fortement impacté toutes les composantes sociales et économiques du pays et changé les habitudes de tout un chacun. Dans ce contexte inédit, fidèle à sa réputation en tant qu’entreprise citoyenne et responsable, « Mattel a contribué activement à l’effort national de lutte contre la pandémie », a déclaré Monsieur Elyes Ben Sassi, Directeur Général de Mattel. En effet, Mattel n’a pas hésité à contribuer au Fonds National de Solidarité Sociale et Lutte Contre le Coronavirus mis en place sur initiative du Président de la République et a participé activement à la diffusion, sur tous ses canaux de communication, de campagnes de sensibilisation sur les mesures préventives à adopter. Mattel a également accompagné sa chère clientèle pendant cette période difficile en lançant une panoplie d’offres et de solutions adaptées au contexte du Covid-19 telles que l’accès gratuit à l’internet durant certaines tranches horaires de la journée et des offres exceptionnelles de dépannage crédit pendant le confinement pour permettre aux clients de garder le contact avec leurs proches. Mr Elyes Ben Sassi, Directeur Général Mattel
Aussi, dans le cadre des efforts de l’état visant à favoriser l’enseignement à distance, Mattel, en collaboration avec le ministère de tutelle, a permis aux élèves et étudiants d’accéder gratuitement aux sites de e-learning mis en place à cet effet. « A travers ces d’initiatives, Mattel confirme son rôle d’acteur majeur dans le secteur des télécommunications et son engagement pour le développement de services innovants et la transformation numérique en Mauritanie » a déclaré Monsieur Elyes Ben Sassi.
Siège Social : Avenue Moctar Ould Daddah ZRF NB 858A - Nouakchott – Mauritanie Tél. : +222 36 17 12 12 / +222 45 29 53 54 Fax : +222 45 29 81 03
Malgré ce contexte difficile de la pandémie, Mattel a réussi à poursuivre sa dynamique de croissance depuis le lancement de son plan de relance en 2019 nous révèle Elyes Ben Sassi : « La croissance enregistrée au niveau de notre Chiffre d’affaires et les gains en parts de marché réalisés en 2020 confortent nos choix stratégiques basés sur le développement de l’internet mobile résidentiel et du haut débit sur fibres optiques pour les entreprises ainsi que l’amélioration de la qualité de service et de l’expérience client. »
OBJECTIF MAURITANIE
ÉCONOMIE
Rebondir après la pandémie Pour faire repartir l’activité, malmenée par la lutte contre le Covid-19, le président a annoncé la mise en place d’un programme de relance de plus de 500 millions d’euros.
’
est un « programme prioritaire élargi » (PPE) de belle taille qu’a annoncé le 2 septembre le président Mohamed Ould Ghazouani pour faire repartir une économie étranglée par la lutte contre le coronavirus. Pour apprécier cet effort, il faut comparer ces 24 milliards d’ouguiyas (près de 520 millions d’euros) avec les 100 milliards d’euros du plan de relance français. Le programme mauritanien représente presque 10 % du PIB du pays, quand celui de Paris pèse seulement 4 % du PIB hexagonal. Les trois domaines qui se taillent 84 % de l’enveloppe sont, par ordre décroissant, l’appui à la demande et aux secteurs sociaux (santé et familles défavorisées), les infrastructures urbaines, rurales et routières et l’autosuffisance alimentaire (pêche et agriculture). Ces chantiers devraient créer 52 000 « opportunités d’emploi » en trente mois. Commentaire d’un banquier: « Ce plan a du sens, car miser sur les infrastructures relancera la machine, mais il ne privilégie pas le secteur privé. » Ousmane Mamadou Kane, ministre des Affaires économiques et de la Promotion des secteurs productifs, en a précisé les enjeux. « Le risque important, c’est la mise en œuvre [du PE], a-t-il souligné. Il faut réunir de bonnes conditions pour réaliser un plan aussi ambitieux dans la transparence et dans les délais prescrits par le président de la République. » Il est essentiel que ce défi soit relevé, car les dommages provoqués par le confinement sont importants malgré le faible nombre de victimes du virus (161, entre le 13 mars et le 14 septembre). Selon le FMI, la croissance
devrait s’effondrer : de 5,9 % en 2019, elle tomberait à -2 % Pour repartir à 4,2 % en 2021. L’inflation, contenue à 2,3 % en 2019, s’accélérerait à 4,1 % en 2021. Le déficit des transactions courantes se dégraderait de 10,6 % du PIB à 18,5 % dans le même temps. La crise sanitaire a fait perdre à l’État 25 % de ses recettes en raison de l’arrêt des activités et des mesures d’allègement fiscal prises pour amortir le choc. Elle a aussi fait croître de 12 % ses dépenses pour cause d’appui aux 20000 personnes les plus démunies ainsi qu’au secteur de la santé. L’excédent budgétaire « considérable », de 3,2 % selon le FMI, enregistré en 2019 a toutes les chances de se transformer en un déficit de 5 % cette année. Tout n’est pas négatif pour autant. Lors de sa déclaration de politique générale devant les députés au début
DES FINANCES PUBLIQUES TRÈS AFFECTÉES 5,9
PIB réel (%)
4,5
3,9 3,1 2,1
2,3
2
Prix à la consommation (moyenne de la période)
– 3,2 2018
2019
2020
2021 Projections
Dette publique en % du PIB
51,3
2018
56,1
56,7
2020
2021
48,8
2019
Projections
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SOURCE : FMI
C
ALAIN FAUJAS
de septembre, le nouveau Premier ministre, Mohamed Ould Bilal, a annoncé que le Trésor détenait 27,2 milliards d’ouguiyas de liquidités, contre 2,2 milliards en septembre 2019, et que les réserves en devises du pays atteignaient 1,4 milliard de dollars (environ 1,25 milliard d’euros), soit plus de cinq mois d’importations.
Précieux métal jaune
Plusieurs facteurs aident la Mauritanie à amortir les dégâts provoqués par l’arrêt de l’activité de la pêche (40 % des exportations). Le cours du minerai de fer (30 % des exportations, via la Société nationale industrielle et minière – Snim) n’a jamais été aussi élevé depuis cinq ans, et le prix de ses contrats à terme a dépassé 120 dollars la tonne. Le très haut niveau du cours (plus de 1 900 dollars l’once) de l’or – qui représente 35 % des exportations – a provoqué une véritable ruée vers les filons chez plusieurs dizaines de milliers d’orpailleurs. La fermeture des frontières a interrompu l’exportation clandestine du métal précieux vers la Suisse via l’Afrique du Sud et obligé les chercheurs d’or à vendre leur production à la Banque centrale. À la surprise générale, les quantités de métal jaune apportées aux guichets de celle-ci ont été considérables. En juillet, on parlait d’un dépôt de quatre ou cinq tonnes depuis le début du confinement. Tout le monde y a gagné: la Banque centrale a accru ses réserves, les orpailleurs ont obtenu un meilleur prix, et l’économie a bénéficié d’une injection de liquidités, précieux soutien de la demande en ces temps de récession. Autre évolution favorable : la Mauritanie est en train de devenir l’un des chouchous de l’aide internationale. Pays le plus sûr du Sahel car exempt d’actions terroristes depuis
2011, il semble profiter de l’élection du président Ghazouani l’an dernier. Celui-ci a apaisé le climat politique en recevant l’opposition et en faisant revenir les exilés. Déjà bien en cour en Arabie saoudite, qui avait injecté 300 millions de dollars dans les caisses de la Banque centrale il y a cinq ans, ainsi que dans les Émirats, qui ont promis à la fin de 2019 d’y investir 2 milliards de dollars, la Mauritanie est en train de rentrer dans les bonnes grâces des États-Unis, qui l’avaient privée des bénéfices de l’Agoa (African Growth and Opportunity Act, une loi américaine sur le développement et les opportunités africaines) en raison d’atteintes aux droits humains et d’interdictions notifiées aux ONG américaines d’enquêter à ce sujet. L’envoyé spécial américain pour le Sahel, Peter Pham, a séjourné à Nouakchott plus longtemps que de coutume à partir du 7 septembre. Si l’on en croit ses conclusions sur l’amélioration du climat politique et social, il est vraisemblable que Washington fasse à nouveau bénéficier de l’Agoa et d’exemptions de droits de douane les produits mauritaniens. Certes, ceux-ci sont peu nombreux à prendre le chemin de l’Amérique, mais une telle mesure aurait une forte valeur symbolique.
CHEYAKHEY ALI/ANADOLU AGENCY/AFP
Les chantiers privilégiés, notamment celui des infrastructures, devraient créer 52000 emplois en trente mois.
LES SECTEURS SOCIAUX, LES INFRASTRUCTURES ET L’AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE CONCENTRENT 84 % DE L’ENVELOPPE. Les bailleurs de fonds ne sont pas en reste. Le FMI avait débloqué en avril une aide d’urgence de 130 millions de dollars. Il vient d’augmenter de 28,7 millions la « facilité élargie de crédit » de 154 millions accordée en 2017 et en a débloqué, le 2 septembre, une cinquième tranche de 52,2 millions de dollars. Union européenne, BAD, France, Allemagne et Japon multiplient leurs concours. Pour ne citer qu’elle, la Banque mondiale vient d’apporter 60 millions de dollars en faveur de l’autonomie des femmes et du dividende démographique, et 70 millions pour appuyer la lutte contre le Covid-19 ; la Société financière internationale (l’IFC, sa filiale) a fourni 35 millions dans le cadre d’une aide aux importations pétrolières.
Système éducatif médiocre
Si l’on ajoute que le moratoire sur le service de la dette décidé par le G20 pour les pays les plus pauvres permettra à la Mauritanie d’économiser 90 millions de dollars en 2020 et
peut-être autant en 2021, force est de constater que le pays n’est pas le plus mal loti et qu’il n’est menacé d’aucun défaut. Ce qui n’empêche pas son président de répéter, de discours en discours, qu’il ne faut pas suspendre mais annuler la dette des pays pauvres… La Mauritanie n’est pas tirée d’affaire pour autant. Elle figure à la 150e place des 157 pays classés par la Banque mondiale selon l’indice du capital humain. Dans un rapport sur la situation économique du pays publié le 22 juillet, l’institution consacre un chapitre spécial à la médiocrité du système éducatif. « La faible qualité de l’éducation en Mauritanie est un obstacle à la croissance économique et au développement du capital humain », résume Waly Wane, l’un des auteurs du document. La manne du vaste gisement de gaz off-shore de Grand Tortue Ahmeyim permettra peut-être d’accélérer – dans quelques années – cette indispensable remise à neuf qui figure en tête du programme électoral du chef de l’État.
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OBJECTIF MAURITANIE
INDUSTRIES EXTRACTIVES
Nuages sur le pactole gazier de Grand Tortue Ahmeyim À la perspective d’une manne gazière, Nouakchott rayonnait d’optimisme. Mais les mauvais résultats de BP et l’essor des énergies renouvelables vont différer l’entrée en production.
a Mauritanie rêvait d’un avenir radieux à partir de 2022 grâce aux quelque 425 milliards de mètres cubes de gaz contenus dans les réservoirs sous-marins situés à cheval sur la frontière maritime qu’elle partage avec le Sénégal. Pandémie, évolution erratique des prix des hydrocarbures, économie mondiale en berne et nouvelle sensibilité des majors pétrolières en faveur des énergies renouvelables jettent une ombre inquiétante sur ce projet. Grand Tortue Ahmeyim (GTA) semblait pourtant bien engagé. C’est en avril 2015 que la junior texane Kosmos Energy claironne la découverte du pactole situé dans le Bloc 8, à 125 km des côtes et à 2 700 m sous la surface de l’océan. De quoi produire du gaz pendant plus de vingt ans. De mois en mois, le projet prend forme. British Petroleum, le chef de file, Kosmos et les États mauritanien et sénégalais créent deux sociétés de développement. Le tour de table de la société mauritanienne attribue 62 % à BP, 28 % à Kosmos et 10 % à la Société mauritanienne des hydrocarbures et du patrimoine minier (SMHPM). Côté sénégalais, la répartition est à peine différente : 60 % pour BP, 30 % pour Kosmos et 10 % pour Petrosen. De façon approximative, les deux pays peuvent espérer se partager, sur vingt ou trente ans, 80 à 90 milliards de dollars de recettes, et entendent remplacer le fuel de leurs centrales électriques par ce gaz moins cher et moins polluant. De manière exemplaire, les gouvernements des deux pays tombent
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d’accord, en février 2018, pour se répartir à égalité pendant cinq ans au moins les recettes auxquelles ils ont droit. Dans la foulée, ils signent un accord de commercialisation du gaz avec la filiale BP Gas Marketing. L’impressionnant chantier démarre, et, divine surprise, Kosmos annonce en octobre 2019 que le puits ORCA-1 a révélé, à 5 266 mètres de profondeur – à Bir Allah, en zone mauritanienne –, un nouveau réservoir de gaz, lequel pourrait augmenter de 50 % les réserves de GTA. Il s’agit de la plus grande découverte d’hydrocarbures en eaux profondes de l’année. GTA mérite désormais d’être qualifié de « gisement de classe mondiale ». Il s’agira d’extraire le gaz à partir d’une plateforme, et de l’acheminer au fond de l’océan sur 80 km, jusqu’à une unité flottante de liquéfaction protégée par un brise-lames. La phase 1 doit permettre de produire, en 2022, 2,5 millions de mètres cubes par an, issus de deux puits. Les phases 2 et 3 porteraient la production à 10 millions de mètres cubes, extraits d’une douzaine de puits.
Kosmos n’a pas la surface financière pour accompagner le développement d’un chantier d’une telle ampleur. En revanche, la faillite de McDermott en janvier 2020 fait trembler, puisque de cette entreprise dépendent l’extraction et l’acheminement sous-marin du gaz. Tout le monde pousse un soupir de soulagement quand McDermott est placé sous la protection de la loi américaine des faillites et qu’une injection de 500 millions de dollars lui permet de poursuivre ses activités. Mais l’horizon ne se dégage pas pour autant. Le 8 avril 2020, BP invoque un cas de force majeure pour justifier un retard de onze mois. Le confi-
La future unité flottante Grand Tortue Ahmeyim, située sur la frontière maritime avec le Sénégal.
Soulagement
À ce jour, 40 % des investissements de la phase 1 sont engagés (entre 4 et 5 milliards de dollars). Le briselames (Eiffage et Saipem), l’ingénierie sous-marine (McDermott et Baker Hughes), le navire flottant d’extraction (TechnipFMC) et l’usine flottante de liquéfaction (Golar et Keppel Shipyard) sont lancés par BP et Kosmos. Lorsque ce dernier, en 2019, annonce qu’il met en vente ses parts dans le projet, personne ne s’en émeut tant cela paraît vraisemblable:
BP
L
ALAIN FAUJAS
nement dû à la pandémie aurait suspendu la construction de l’unité flottante. « L’invocation de force majeure attribuée au Covid-19 est injustifiée, affirme Mohamed Salem Ould Boidaha, directeur général du groupe Serval et ancien cadre du ministère mauritanien du Pétrole, de l’Énergie et des Mines. Ce sont les conditions du marché qui expliquent leur réserve : l’offre d’énergie excède la demande dans cette période de fort ralentissement économique, et la guerre des prix du pétrole déclenchée par l’Arabie saoudite a fait s’effondrer les cours des hydrocarbures. » BP a perdu 4,4 milliards de dollars au premier semestre de 2020, et Kosmos, dont la note a été dégradée par Moody’s, 200 millions au deuxième semestre. D’autre part, Bernard Looney, le nouveau patron de BP, veut vendre 25 milliards de dollars d’actifs entre 2020 et 2025 pour avoir les moyens d’investir dans les énergies renouvelables, et ainsi réduire de 40 % sa production pétrolière d’ici à 2030. « Le contexte international
LE PAYS DOIT AUGMENTER LA PARTICIPATION DE SES ENTREPRISES ET DE SA MAIN-D’ŒUVRE À L’EXPLOITATION DU GISEMENT GTA. ne permet pas une grande sérénité, commente Thierry Lauriol, associé du cabinet Jeantet et conseiller auprès du ministère mauritanien du Pétrole, de l’Énergie et des Mines. Mais à aucun moment BP ou Kosmos n’ont fait état d’une faute des États mauritanien et sénégalais. Toutes les parties ont intérêt à s’entendre pour mener à bien ce projet, lourd, et qui demande beaucoup d’investissements. » Les Sénégalais, qui se sont beaucoup endettés dans la perspective de l’arrivée de la manne gazière, semblent les plus pressés d’obtenir une date de mise en exploitation. Aucun expert ne parie sur un arrêt pur et simple du chantier – ce qui coûterait très cher aux opérateurs – ou sur un remplacement de BP comme chef de file. En revanche, le retard du projet semble aujourd’hui inévitable.
À quelque chose malheur est bon, car ce délai devrait être utilisé pour permettre à la Mauritanie d’augmenter son « contenu local », c’est-à-dire la participation de ses entreprises et de sa main-d’œuvre à GTA. La Banque mondiale a donné à chacun des deux États concernés 20 millions de dollars dans le but de former des techniciens.
Anticipation des besoins
Le Sénégal a pour sa part une longueur d’avance en matière de contenu local: 400 de ses entreprises seraient en position de faire des offres de service aux différents opérateurs du chantier. En Mauritanie, les contrats locaux étaient jusqu’à présent affectés à un petit nombre d’entreprises désignées par le pouvoir. Cet état de fait serait en voie de changement. « Le nouveau président Ghazouani a une structure mentale qui n’est pas orientée vers l’argent, explique Mohamed Salem Ould Boidaha. Son nouveau gouvernement va dans le bon sens, mais l’obtention des 10 % du chantier qui devraient revenir à la Mauritanie suppose une grande visibilité. En effet, il faut que les entreprises mauritaniennes connaissent à l’avance les besoins à satisfaire. Former un chauffeur parlant anglais demande plusieurs mois de formation, et idem pour les plongeurs ou les soudeurs. » Eiffage a publié, à la fin de 2019, une liste d’offres d’emploi pour recruter des dizaines de mécaniciens, de conducteurs de pelles ou de grues, et nombre d’autres techniciens appelés à travailler àlacarrièredeHajarDekhen (à275kmà l’est de Nouakchott), où ont commencé à être extraites les roches destinées aux brise-lames de GTA. Au ministère du Pétrole et des Énergies, on travaille sur le gazoduc qui acheminera le gaz jusqu’à la centrale duale de 180 MW de Nouakchott (laquelle fonctionne au fuel,àl’heureactuelle).Enespérantque cet élan ne sera pas cassé par la pandémie, et qu’il fera boule de neige…
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La Mauritanie revendique sa place Avec seulement quelque 300 cas actifs sur un total de cas recensés qui dépasse 7200, la Mauritanie espère tourner définitivement la page du COVID-19. Son secteur du tourisme, frappé d’aplomb par la pandémie reste d’une grande vitalité et sa volonté de se relancer est plus ferme que jamais grâce à l’engagement et le savoir-faire de la Ministre Madame Naha Mint Hamdi Ould Mouknass.
Une vocation séculaire de tolérance et d’accueil, une authenticité culturelle distinctive fondée sur de riches patrimoines culturels, des potentialités
considérables, une professionnalisation croissante de l’offre touristique, une gouvernance du secteur de mieux en mieux à la hauteur et des conditions de sécurité remarquables constituent les principaux atouts du pays.
D’une superficie de 1 036 000 km², le territoire est constitué à plus de 70 % de désert. Jadis associées à la désolation et à l’inhospitalité, ces vastes étendues arides, transfigurées par le tourisme, deviennent un lieu de prédilection pour des franges de touristes, en quête de dépaysement, d’évasion, de repos et de méditation. De l’immensité du désert, le touriste passe sans transition à une autre immensité (celle de l’océan) et à des attractions d’un autre genre : pêche sportive et sports nautiques (la Baie de repos, port de Tanit), découverte de colonies de phoques moines parmi les dernières au monde (Cap Blanc), spectacle de la pêche du mulet par les Imraguen en association avec les dauphins, spectacle de la fabrication de la poutargue et de l’huile pure du mulet (villages Imraguen). Synthèse de l’océan et du désert, le banc d’Arguin constitue par ses caractéristiques physiques, climatiques, faunistiques et floristiques un phénomène naturel unique en son genre.
PUBLI-INFORMATION Plus au sud, le parc du Diawling estpeuplé en permanence de milliers d’oiseaux. Le tourisme cynégétique (chasse au phacochère) est pratiqué depuis la première moitié du siècle dernier dans le campement de KeurMacène.
C’est dans cette optique, qu’une stratégie de développement du tourisme a été adoptée par le gouvernement en 2017. Son but affiché est de donner au secteur
toute la dimension qu’il mérite dans l’effort du développement socio-économique du pays. Pour le moment, l’accent sera mis sur la promotion à grande échelle, la modernisation du secteur à travers notamment la création d’une école professionnelle de tourisme, la mise en place d’un fond d’appui aux entreprises touristiques et l’aménagement des sites propices. Désormais, le pays est bien décidé à prendre sa place sur le marché touristique mondial.
À l’heure de la reprise
Sur le plan du Tourisme, la mise en œuvre de la stratégie nationale du tourisme, permettra de donner au secteur une impulsion décisive tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Le secteur du commerce sera réorganisé et modernisé de manière à formaliser la profession et à mettre en place un système efficace d’approvisionnement en produits de grande consommation. Ceci sera obtenu à travers la mise en place d’une véritable politique de concurrence, basée sur des règles renforcées pour assurer la protection des consommateurs et la création d’un mécanisme innovant de lutte contre la vie chère. Une attention particulière au consommateur sera donnée avec l’adoption de la loi spécifique à la protection du consommateur pour préserver la sécurité des consommateurs ainsi que la création d’un centre national de contrôle de la qualité des produits alimentaires
La Mauritanie pourra profiter de sa situation géographique sur le plan multilatéral avec l’Accord sur la Facilitation des Echanges qui permettra d’accélérer le dédouanement des marchandises, de lutter contre les obstacles techniques aux échanges transfrontaliers. Sur le plan du commerce extérieur et pour permettre au pays de mieux tirer profit d’un marché élargi de biens, de services et d’investissements, la politique d’intégration régionale sera renforcée à travers la mise eœuvre et le suivi des Accords d’Association avec la CEDEAO et la ZLECAf. Sur le plan de l’industrie, le département veillera à développer les industries de transformation en donnant la priorité aux secteurs de la pêche, de l’élevage et de l’agriculture. Le département veillera également à la promotion des investissements nationaux et étrangers dans le secteur industriel, en collaboration avec les Institutions et départements ministériels concernés tout en appuyant le développement des petites et moyennes industries.
Enfin, dans un souci de promouvoir la transparence des entreprises et d’assurer la modernisation des pratiques commerciales du pays, un registre central du commerce qui regroupe et relate l’ensemble des informations relatives aux personnes physiques et morales qui exercent des activités de nature commerciale, sera mis en place
Ministère du Commerce de l’Industrie et du Tourisme Nouakchott, Tevragh Zeina M BP :182 - Tél. : (+222) 45258182 - Fax : (+222) 45251057 Email : mail@commerce.gov.mr - f com/MinisterCommerceIndustrieTourismeMauritanie
JAMG @ MCIT
Le gouvernement compte par le biais du ministère du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme, accélérer sa reprise pour permettre le développement d’activités économiques génératrices de revenus et créatrices d’emplois en mettant à profit l’excellent environnement de sécurité qui prévaut dans notre pays.
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OBJECTIF MAURITANIE
DROITS DES FEMMES
Saadani Mint Khaytour, face à son propre camp
La jeune députée du parti islamiste Tawassoul milite en faveur d’une loi pour améliorer le statut des Mauritaniennes. Un combat délicat dans une société très conservatrice.
lle est de celles qui rompent avec les idées reçues dans un pays où les préjugés l’emp or tent bien trop souvent. Élue lors des dernières législatives de septembre 2018, la députée Saadani Mint Khaytour, 34 ans, a choisi les rangs très conservateurs du parti islamiste Tawassoul pour défendre les droits des Mauritaniennes. « J’y subis la violence inouïe des autres femmes de la formation », déplore-t-elle. Après avoir longtemps travaillé et écrit « dans les domaines de l’exclusion et de la marginalisation », elle a rejoint le combat d’Aminetou Mint El Moctar, grande militante en faveur d’une loi sur les violences faites aux femmes. Ce texte, élaboré en collaboration avec des oulémas et des juristes, est une version modernisée du code du statut personnel organisant la vie de la famille, adopté en 2001 par le président Maaouiya Ould Taya. La nouvelle loi, qui vient pallier d’immenses lacunes dans le code pénal élaboré sur la base de la charia, a été approuvée par le gouvernement en 2016, mais rejetée à deux reprises par l’Assemblée nationale, en 2017 et en 2018. Elle prévoit, entre autres, l'aggravation des peines pour viol, la
« LE FAIT QUE LES FEMMES SOIENT CONSIDÉRÉES COMME DES MINEURES EST COMMUNÉMENT ADMIS. » 88
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À Nouakchott, le 17 septembre.
DAOUDA CORERA POUR JA
E
JUSTINE SPIEGEL
pénalisation du harcèlement sexuel, l’interdiction du mariage aux moins de 18 ans, et consacre l’autorisation pour les Mauritaniennes de voyager sans l’autorisation de leur époux. « Le fait que les femmes, qui représentent 52 % de la population, et 54 % hors des centres urbains, soient considérées comme des mineures est communément admis, même si cela ne figure pas tel quel dans les textes, dénonce Saadani Mint Khaytour. Alors que l’article 10 de la Constitution garantit la liberté de mouvement, c’est une véritable discrimination. » Si cette dernière reconnaît que, parmi les députés responsables du blocage, figurent ceux de Tawassoul, elle ajoute que « les forces traditionnelles, présentes dans tous les partis, le sont également ». La jeune députée dénonce une grande hypocrisie, au sein de la société comme de
son propre parti. Chez les islamistes, elle est en théorie soutenue par l’un des leaders, Jemil Ould Mansour, et par le vice-président, Mohamed Ghoulam Ould El Hadj Cheikh, mais « ils ne font rien en faveur du projet. Personne ne dira officiellement qu’il est contre la nouvelle loi, mais tout le monde trouvera toutes les bonnes excuses possibles pour s’y opposer », s’insurge-t-elle. Elle dénonce aussi le lobbying actif de chefs de tribu, d’oulémas et d’intellectuels qu’elle accuse de « manipuler les femmes, en leur disant que le projet de loi viole leur religion ». Sans compter que Mahfoudh Ould El Waled, l’ancien grand mufti d’Al-Qaïda installé en Mauritanie, a fait campagne contre ce texte, en promettant l’instabilité s’il venait à être voté.
Le pari de la solidarité
Alors pour tenter d’obtenir des avancées, Saadani Mint Khaytour, par ailleurs présidente du groupe parlementaire pour le genre et le développement, mise sur la solidarité entre les partis. Le Réseau des femmes parlementaires, qui regroupe les députées issues de la majorité comme de l’opposition, entend solliciter un entretien avec le président, Mohamed Ould Ghazouani, et son Premier ministre, Mohamed Ould Bilal. Mais elle soupçonne les nouvelles autorités de ne pas faire du combat en faveur des droits des femmes une priorité, car elles ne sont pas prêtes, selon elle, à « affronter la société traditionnelle ». Dans son programme électoral, le chef de l’État a promis « la mise en application des textes juridiques protégeant les femmes contre toutes les formes de violence et renforçant leur accès à leurs droits ».
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OBJECTIF MAURITANIE
Tribune
L’interculturalité dans les gènes Mbarek Ould Beyrouk Écrivain mauritanien
I
l en est des peuples comme des gens: les rencontres sont aussi bien richesse que, parfois, confrontation, attraction et révulsion, embrassades et embrasements. Mais il arrive toujours que les vilains cris s’éteignent et que s’élèvent de beaux chants. La Mauritanie est fille des amours et des rejets, des sagesses et des folies, mais aussi, surtout, des belles communions et des fières solidarités.
War Diabi, grand chef toucouleur, beau-frère de Boubacar Ben Amer, le premier chef almoravide, guerroiera avec les siens aux côtés des tribus berbères. Au Ghana meurtri par les guerres de religion succédera un Mali où l’extrême richesse s’alliera au respect de toutes les cultures qui composent l’Empire. Au XIVe siècle, de nouveaux conquérants apparaissent. Les guerriers Hassane, fraction des tribus Maqil qui désolèrent le Maghreb, commencèrent à s’infiltrer dans la région. L’affrontement avec les tribus berbères ne se fera pas attendre. Carrefour des différences Nacer Eddine, nouvel illuminé des tribus berbères Zwayza, Déjà, il y a près de mille ans, dans ces contrées alors peu allié aux Almamy toucouleurs lance une guerre sainte pour désolées, le parler berbère sanhadja et le soninké se mêlaient imposer la charia – déjà! – dans la région et contrer la traite dans un idiome aujourd’hui disparu, des esclaves menée par les Français l’azer, dont le dernier vrai locuteur à partir de Saint-Louis du Sénégal. – honte aux linguistes – est mort il y a La ferveur religieuse et combattante CHINGUITTI, OUADANE, quelques années seulement. L’empire de cet érudit succombera, après TICHITT, OUALATA, ET du Ghana, dont la capitale Koumbi Saleh de sanglants combats, aux assauts des est située aujourd’hui dans le Hodh guerriers Hassane et des aristocraties LEUR SŒUR JUMELLE, mauritanien, a su unir en son sein des wolof du Walo, au grand bonheur TOMBOUCTOU… populations aux multiples cultures des commerçants esclavagistes et religions. La cour du roi, comme de Saint-Louis. CES CITÉS SONT la décrit El Bekri, est déjà, en ce DEVENUES AU FIL DU Un peuple métissé XIe siècle, un carrefour de toutes les différences. Le prince, en ses luxuriantes La colonisation ne fera taire ni les TEMPS DES CAPITALES audiences, reçoit des croyances et des embrassades ni les guerres. C’est DU SAVOIR, DES peuples divers. Les Noirs sont animistes encore au nom de Dieu que Cheikh ou déjà musulmans, les Berbères sont Melainine ou Cheikh Omar Tall REFUGES POUR LES islamisés sur le bout des ongles: appelleront à l’unité des musulmans. SAVANTS ET LES LIVRES. Là encore les ethnies, les peuples la tolérance est l’apanage des peuples heureux. Mais les Almoravides, illuminés de la région s’embrasseront au sein Sahariens en ce siècle où, en Occident, de convulsions qui laisseront de fortes la furie religieuse réveille les croisades, vont bouleverser cette traces dans les esprits et dans les cultures. Les petits-fils de Sidi Abdoullah Ould El Hadj Brahim, l’un des plus grands quiétude et se lancer, le Coran à la main – et surtout le sabre dans l’autre – à la conquête du Ghana, qu’ils détruiront. érudits du XVIIIe siècle, disparaîtront aux côtés de Cheikh Omar Tall dans les grottes de Bandiagara. Ils iront jusqu’en Andalousie, où ils affronteront et vaincront Les étrangers sont souvent étonnés de la complexion d’autres fanatismes. L’aventure almoravide était aussi, négroïde des émirs maures. Les émirs du Trarza descendent on l’oublie souvent, celle des peuples noirs de la région.
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de la reine du Walo, et ceux de l’Adrar et du Tagant ont pour mères des concubines négro-africaines. Les Maures sont avant tout un peuple métissé. Ce sont les caravanes, ces vaisseaux qui traversent de part et d’autre le Sahara et transportent en même temps que leurs marchandises les us et les coutumes des peuples, qui seront les grands couturiers des belles broderies du mélange des cultures. De là naîtront ces grandes étapes du voyage vers l’Autre que constitueront les villes caravanières. Chinguitti, Ouadane, Tichitt, Oualata et, bien sûr, leur sœur jumelle, Tombouctou. Ces cités sont devenues au fil du temps des capitales du savoir, des refuges pour les savants et les livres. Aujourd’hui encore, au sein des bibliothèques familiales et de celles ouvertes au grand public, on peut retrouver des ouvrages antiques rares, disparus dans le reste du monde. J’ai personnellement été étonné de voir dans les rayons d’une bibliothèque de Chinguetti un très vieux livre de prière hébreu.
Des mélopées légendaires
C’est de ce métissage aussi que naîtra le « hawl », musique savante des élites maures, qui saura allier les instruments d’origine africaine, ardine ou tidinitt, aux mélopées arabes,
une musique qui exhale le parfum des splendeurs du Mali et celui des souvenirs chagrins de l’Andalousie perdue. C’est ce métissage qui fera l’art des forgerons maures qui savent graver dans des confections apparemment anodines, en un étrange mélange, toutes les subtilités du génie des deux rives du Sahara. C’est aussi ce métissage qu’on retrouve dans la vieille poésie maure, celle de Sedoum Ould Ndartou, par exemple, qui, dans des poèmes grandioses et dans un arabe dialectal pur, a su brosser des mélopées légendaires qui s’apparentent grandement aux sagas africaines chantées aujourd’hui encore par les griots du Mali.
La seule vraie richesse
La Mauritanie donc, encore une fois, est une terre où se sont embrassées les ethnies, les langues, les cultures, les races. Ce mélange est là la seule vraie richesse que nous pouvons revendiquer. À nous de le protéger, de nous protéger. Le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani a réaffirmé à plusieurs reprises depuis son arrivée au pouvoir sa volonté de soutenir fermement les cultures et les littératures locales. C’est dans cet esprit-là, certainement, que nous pourrons puiser les vrais espoirs.