DÉCEMBRE 2020
INTERVIEW EMMANUEL MACRON
« Entre la France et l’Afrique, ce doit être une histoire d’amour »
NO 3095 – DÉCEMBRE 2020
OBJECTIF
SPÉCIAL DAKAR 16 PAGES
ISMAÏL OMAR GUELLEH « Comment Djibouti est devenu incontournable » Un entretien avec le chef de l’État
SAHARA Mourir pour Guerguerat ? TCHAD Test électoral crucial SPÉCIAL 20 PAGES
JEUNE AFRIQUE N O 3 0 95
Algérie 420 DA • Allemagne 9 € • Belgique 9 € Canada /A 12,99 $CAN • Espagne 9 € • France 7,90 € Grèce 9 € • DOM 9 € • Italie 9 € • Maroc 50 MAD Pays-Bas 9,20 € • Portugal continental 9 € • RD Congo 10 USD Suisse 15 CHF • Tunisie 8 TND • TOM 1 000 XPF Zone CFA 4800 F CFA • ISSN 1950-1285
GOUVERNANCE
L’Afrique en quête d’un nouveau leadership Qu’il semble loin le temps des Senghor, Houphouët, Sankara, Bourguiba ou Mandela… Confrontée à des défis de plus en plus complexes, l’Afrique a pourtant plus que jamais besoin de dirigeants visionnaires, intègres et courageux, capables de les relever. 20 PAGES
FOCUS COMMERCE CONTINENTAL
STRATÉGIE
Champions transfrontaliers Certains groupes africains réussissent à réaliser la majeure partie de leur chiffre d’affaires dans d’autres pays du continent. Quels sont les secrets de leur succès?
I
CHRISTOPHE LE BEC
ls ne sont encore qu’une poignée, ces groupes africains qui ont réussi, depuis leurs pays d’origine, à passer les frontières du continent pour y écouler avec succès leurs produits; à tel point qu’une bonne partie de leur chiffre d’affaires est continentale, et non pas nationale ou dépendant de l’Europe ou de la Chine. Ces trop rares pionniers doivent gérer avec agilité une logistique complexe, du fait de la faiblesse des infrastructures de transport et des réglementations diverses et variées qui
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entravent la bonne circulation de leurs marchandises. Ils ont compris qu’il leur faut adapter leur marketing à des attentes diverses de leurs consommateurs, même s’ils sont relativement proches géographiquement : un Algérien n’achète pas un produit exactement comme son voisin marocain ; a fortiori, un Nigérian ne sera pas motivé à l’achat pour les mêmes raisons qu’un Ivoirien ou un Camerounais. En supprimant les obstacles au commerce, la Zone économique de libre-échange africaine (Zlecaf) en gestation, pilotée par son secrétaire
AFRIQUE DE L’OUEST
Les recettes de Patisen
Pour réussir à l’export, il faut avoir une base solide. C’est l’une des clés expliquant la réussite du sénégalais Patisen, fondé en 1981 et exportant dans une trentaine de pays sur le continent, principalement en Afrique de l’Ouest. Avant d’avoir des ambitions panafricaines – devenir « le leader de l’agroalimentaire de Dakar à Djibouti » –, le groupe dirigé par Youssef Omaïs s’est imposé sur son marché national. Pour détrôner le cube Maggi de Nestlé, il a déployé une stratégie combinant produits répondant aux goûts locaux (avec la création de marques), rapport qualité-prix attractif et recours important au marketing et à la communication.
SYLVAIN CHERKAOUI POUR JA
De nombreux partenariats avec des grands distributeurs
général, Wamkele Mene, élu en février et installé dans ses locaux de l’African Trade House d’Accra en août, doit avoir pour conséquence la multiplication de ces champions africains du commerce. En attendant son avènement, Jeune Afrique a souhaité braquer les projecteurs sur trois champions actuels du commerce continental – chacun d’entre eux originaire d’une région différente – pour comprendre les ressorts de leur succès à l’export sur le continent. Et sur une institution bancaire panafricaine d’import-export qui leur facilite la tâche.
Une chaîne de conditionnement de bouillons Patisen, qui veut devenir « le leader de l’agroalimentaire de Dakar à Djibouti ».
Cette même stratégie a été répliquée en dehors des frontières sénégalaises en s’appuyant sur de nombreux partenariats, notamment avec des distributeurs. Certains sont anciens, comme Food and Goods dans les deux Congos, d’autres plus récents, notamment avec l’indien Oki dans les pays du Sahel. Après avoir bénéficié, entre 2011 et 2016 et à hauteur de 11 millions d’euros, du soutien de l’IFC, bras de la Banque mondiale consacré au secteur privé, Patisen a conclu en 2018 une alliance stratégique avec le groupe singapourien Wilmar, leader mondial de l’huile de palme. S’ils portent ensemble un projet de relance de la filière arachide au Sénégal, leur partenariat est en premier lieu industriel : Patisen se fournit en matières premières auprès de Wilmar quand ce dernier fait fabriquer certains de ces produits par le groupe sénégalais, par exemple à destination du Nigeria. Alors que toute la production est effectuée au Sénégal, Patisen réalise près des deux tiers de son chiffre d’affaires (environ 200 millions d’euros en 2019, en baisse de 15 % pour 2020) en
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FOCUS COMMERCE CONTINENTAL
STRATÉGIE
dehors du pays. Les outils logistiques et de connaissance des marchés jouent donc un rôle crucial. Il y a deux ans, le groupe a investi près de 20 millions d’euros dans une plateforme automatisée de stockage d’environ 30000 palettes près de Rufisque, assurant la préparation de toutes les commandes. « Cela nous permet de gérer au mieux les dates de péremption, via le principe du FIFO (First In, First Out), mais aussi de charger un même conteneur avec différents produits »,
souligne Youssef Omaïs. Les commandes vont ensuite vers le port – d’où de précieux partenariats avec MSC et CMA CGM – ou prennent la route. À l’autre bout de la chaîne, Patisen a déployé dans ses principaux pays de vente un système d’information des marchés effectuant veille concurrentielle et mesure des parts de marché. Les remontées d’informations se font depuis le Sénégal, mais aussi depuis le Nigeria et la Côte d’Ivoire où Patisen a ouvert deux filiales consacrées à la
distribution et au marketing. La prochaine devrait être au Cameroun, porte d’entrée de la zone Cemac, avant de passer à l’Éthiopie pour viser la SADC. « La Zlecaf permettra, on l’espère, de faire sauter toutes les barrières douanières mais aussi d’avoir une monnaie unique, évitant tous les risques et difficultés actuels liés aux ventes dans les zones hors UEMOA, souligne Youssef Omaïs. Mais le chemin est encore long… » ESTELLE MAUSSON
AFRIQUE CENTRALE
Biopharma, le spécialiste des peaux noires et métissées
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L’implantation d’unités de fabrication dans certains pays, comme le Nigeria ou l’Angola, pour contourner les différentes barrières est à l’étude. L’entreprise, qui assure générer près de 800 emplois directs en Afrique, explore la piste d’une plateforme logistique robuste au Cameroun, avec l’aide de l’État, pour davantage exporter et conquérir de nouveaux marchés sur le continent. L’amélioration de la logistique et du passage des frontières sont les priorités du dirigeant d’entreprise
encore. Il regrette notamment que la présence de Biopharma au Kenya ne soit pas à la hauteur du potentiel de ce marché. En Afrique centrale, en dépit de la libre circulation des marchandises affichée, la logistique du groupe ne se fait pas sans heurt non plus.
camerounais. « Les pays africains ne sont pas véritablement interconnectés. Cela nous prend parfois entre trente et quarante jours pour exporter depuis Douala un conteneur en RD Congo. C’est un délai bien trop long ! », s’insurge Francis Nana Djomo. « Nous éprouvons des difficultés à être compétitifs parce que nos produits subissent de lourdes taxes douanières et d’autres barrières à l’entrée, particulièrement dans des pays appartenant à d’autres zones économiques que la Cemac », déplore-t-il
Stratégie de l’exportation à l’intérieur du continent
NICOLAS EYIDI POUR JA
En dix-sept années d’existence, le fabricant camerounais de cosmétiques a réussi à pénétrer 22 pays, dont 18 africains, parmi lesquels le Nigeria, la Zambie, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, l’Ouganda, la RDC, le Soudan, le Togo, le Benin, l’Angola, le Mali, le Congo, le Gabon. Pour réussir cette percée, le spécialiste des peaux noires et métissées a noué des partenariats avec des distributeurs locaux – comme Nova Atlas en RDC, ou Cheka au Nigeria – qui travaillent main dans la main avec les directeurs pays de Biopharma. Ces derniers sont en lien permanent avec le chef du département export de la compagnie installé au siège du groupe, dans la zone industrielle de Bassa, à Douala. « Ainsi, nous suivons l’évolution du marché en effectuant une veille concurrentielle, et nous protégeons nos marques face à la contrefaçon et les importations parallèles venues de Chine », soutient le patron du groupe, Francis Nana Djomou.
Salle d’emballage des produits cosmétiques de Biopharma, à Douala.
« Après un incendie en novembre 2018 qui a impacté 40 % de notre activité puis la difficile conjonc ture liée à la pandémie, qui a bloqué la logistique il y a six mois, nos produits sont à nouveau distribués sur l’ensemble de nos marchés », fait valoir le fondateur, résilient face aux difficultés. Certain de sa stratégie fondée sur l’exportation à l’intérieur du continent, Francis Nana Djomo a pris contact, fin octobre, avec le cabinet Financia Capital afin de réfléchir à la nouvelle stratégie d’expansion de Biopharma sur les dix prochaines années. OMER MBADI, À YAOUNDÉ
HASSAN OUAZZANI POUR JA
La conserverie d’anchois marocaine Unimer de Mehdia (région de Kénitra).
MAGHREB
Unimer, roi de la sardine au sud du Sahara
L’histoire du groupe Unimer est intimement liée à l’Afrique depuis 1986, quand Said Alj rachète l’entreprise, via e holding familial Sanam. En quelques années, il a fait de la compagnie de conserverie de sardine le leader de ce secteur en Afrique de l’Ouest. Le magnat s’est lancé dans la conquête des marchés internationaux en commençant par le sud du Sahara. Il vend désormais aussi ses boîtes de sardine en Europe et jusqu’en Amérique. Au total, l’export contribue à hauteur de 85 % de son chiffre d’affaires annuel de 1,3 milliard de dirhams (118,7 millions d’euros) en 2019. Le continent – hors Maroc – pèse actuellement près de 30 % de ses revenus. En Afrique de l’Ouest, et au Nigeria en particulier, la marque Titus est la star des rayons. Les conserves de l’entreprise marocaine, Madrigal, Vanelli et La Monégasque, sont disponibles au Sénégal, en Guinée, au Bénin, au Togo, au Niger, en Afrique du Sud mais aussi en RD Congo. Une filiale a même été créée, Unimer Africa, qui a obtenu le Label Casablanca Finance City, rien que pour s’occuper des exportations sur le continent et pour profiter des avantages fiscaux que le statut procure. « L’industrie de la conserve de la sardine est une activité assez ancienne au Maroc et s’est beaucoup développée depuis les années 1980. Les Marocains ontunepréférencepourlefrais,et,pour écouler la production, les producteurs ont trouvé en l’Afrique un excellent marché grâce aussi à leurs prix très compétitifs par rapport aux produits européens », explique le patron d’un
cabinet de conseil marocain. « La sardinePilchardus Walbaum,espècecharnue qui s’est raréfiée, foisonne encore dans les eaux marocaines, un avantage indéniable pour Unimer », estime Farid Mezouar, directeur de la plateforme boursière FL Markets.
Une approche originale d’intégration horizontale
« Unimer est bien présent avec ses partenariats dans la grande distribution, qui s’ajoutent à sa présence commerciale en propre, limitant ainsi le recours aux intermédiaires. Aussi, le groupe a une stratégie de marques personnelles, ce qui offre un avantage compétitif », estime Farid Mezouar. Pour mieux couvrir le Nigeria, qui pèse beaucoup dans les revenus, le groupe a un partenariat avec Ekulo International Limited, distributeur local puissant appartenant au milliardaire Emma Bishop Okonkwo. Said Alj a également adopté une approche d’intégration horizontale pour ne dépendre de personne et contrôler toute la chaîne de valeur. Depuis 2011, d’ailleurs, Unimer détient deux navires de pêche dotés du meilleur équipement. Selon nos informations, ces usines flottantes sécurisent à elles seules 50 % de l’approvisionnement nécessaire pour les unités de fabrication. Celles-ci sont situées au Maroc, mais le groupe avait également un projet d’usine en Mauritanie représentant un investissement de 28 millions d’euros, sur lequel les dirigeants, extrêmement discrets, ont refusé de s’exprimer.
AFREXIMBANK AUX CÔTÉS DE LA ZLECAF Depuis l’arrivée aux commandes, en septembre 2015, du Nigérian Benedict Oramah, Afreximbank a significativement renforcé ses crédits en faveur des échanges intra-africains, alors qu’auparavant l’origine des biens et services financés lui était assez indifférente. Résultat: en cinq ans, la part du financement du commerce intra-africain dans le portefeuille de prêts a bondi de 3 % à 28 %. « Grâce à notre effort, ce type de financement est maintenant à la mode », se félicite Benedict Oramah, réélu en juin pour un second mandat. Afreximbank doit son succès à deux atouts. D’une part, l’établissement panafricain a l’appui inconditionnel de son actionnariat composé en majorité de banques centrales africaines, – ce qui lui permet de se financer à des coûts modérés –, et d’autre part, la variété de ses produits financiers. Ensuite, il a une connaissance fine des marchés grâce à ses partenariats avec les meilleures signatures du continent – Dangote Group, Liquid Telecom, El Sewedy Electric, Mauritius Commercial Bank… Oramah a été aussi créatif que réactif face aux crises. Après la crise pétrolière de 2015, Afreximbank avait déjà ouvert les vannes. En mars dernier, un nouveau mécanisme (Patimfa) lancé pour contrer les effets de la pandémie a contribué à la croissance des prêts et avances de liquidités, qui ont atteint 15,96 milliards de dollars à la fin de septembre (+ 33 % sur un an). Sans surprise, c’est à la banque que l’Union africaine a demandé de développer des mécanismes d’accompagnement de la Zlecaf. JOËL TÉ-LÉSSIA ASSOKO
EL MEHDI BERRADA, À CASABLANCA
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FOCUS COMMERCE CONTINENTAL
LIBRE-ÉCHANGE
UN.ORG
Élu en février, le Sud-Africain ne s’est installé dans ses bureaux d’Accra qu’en août.
Wamkele Mene fait ses premiers pas à la tête de la Zlecaf
Selon le secrétaire de la Zone de libre-échange continentale africaine, chargé d’accompagner les États dans la mise en œuvre de l’accord, le continent est toujours prisonnier d’un modèle économique colonial qu’il faut absolument restructurer.
L
XOLISA PHILIP, À JOHANNESBURG
a pandémie de Covid-19 a beaucoup ralenti les débuts du Sud-Africain Wamkele Mene, le premier secrétaire de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). « Jusqu’au mois d’août, 42 des 55 États africains étaient en confinement total ou partiel. Nous avons dû en tenir compte. Il n’était pas possible de faire avancer les choses dans ces circonstances », faisait-il valoir lors d’une visioconférence destinée à l’université du Witwatersrand, à Johannesburg, le 11 novembre. Ce qui explique que la première mise en œuvre de la Zlecaf ait été décalée de juillet 2020 à janvier 2021. Le responsable se réjouit toutefois que son dossier continue de faire son chemin parmi les 54 pays signataires
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(seule l’Érythrée rechigne encore à ce jour). « L’Angola vient de déposer son instrument de ratification de l’accord de libre-échange africain, ce qui l’engage juridiquement. C’est le vingt-neuvième à le faire », indiquet-il lors du même évènement virtuel. Le 12 novembre, le Nigeria, longtemps réticent, a emboîté le pas à Luanda en ratifiant également l’accord. Après avoir été élu secrétaire général à la majorité des deux tiers – un mode de décision inhabituel pour l’Union africaine, qui privilégie le consensus –, Wamkele Mene a officiellement prêté serment le 19 mars à Addis-Abeba. Mais, Covid-19 oblige, le Sud-Africain ne s’est finalement installé dans ses bureaux de l’African Trade House à Accra qu’en août. « Je ne veux pas donner l’impression que mon travail va être facile. Il va être difficile, nous avons beaucoup
d’obstacles à franchir. Mais la volonté politique est là, et davantage encore avec le Covid-19. Nos chefs d’État sont plus déterminés que jamais à mettre en œuvre cet accord de manière à accroître le commerce intra-africain et à réduire les obstacles au commerce », se réjouit-il.
Négociateur chevronné
Avec son expertise en droit commercial et son expérience de négociateur chevronné, le quarantenaire semble être le bon pilote pour la Zlecaf. Né et élevé dans la province du Cap- Oriental, près de PortElizabeth, Wamkele Mene, dont la langue maternelle est l’isiXhosa, a grandi à KwaNobuhle, un township à majorité noire de Uitenhage, foyer d’activisme antiapartheid, à l’ombre d’une gigantesque usine automobile de Volkswagen. Il a obtenu une
encore le secrétaire de la Zlecaf, pour Bien qu’il compare souvent la mislicence en droit à l’université de qui le continent est toujours prision du secrétariat de la Zlecaf à celle Rhodes, à Grahamstown, également sonnier d’un modèle économique du secrétariat de l’OMC, Wamkele au Cap-Oriental, avant de s’expatrier colonial. Mene reconnaît qu’il y a des défis au Royaume-Uni pour y poursuivre Le Covid-19 a selon lui montré que particuliers au continent. Pour le ses études. À la prestigieuse London cette dépendance aux exportations Sud-Africain, « le secrétariat doit School of Economics (LSE), il a décroétait excessive. Les couvre-feux et en particulier trouver des moyens ché un master en droit bancaire et confinements sur le continent et d’empêcher les usines du continent réglementation financière tout en dans ses marchés clés ont fait baisd’importer des biens – par exemple achevant un master spécialisé en écoser la demande de produits de base des chemises –, de réaliser des opéranomie internationale à la School of africains. La dépendance à une tions à faible valeur ajoutée – comme Oriental and African Studies (SOAS) seule chaîne logistique d’approvicoudre des boutons sur ces mêmes à l’université de Londres. sionnement ou d’exportation, faute chemises – et de labelliser le produit Il a ensuite fait carrière au sein du d’infrastructures alternatives de mis en vente “Made in Africa” ». Et ministère sud-africain du Commerce transport, a également été désasd’affirmer : « Un pilier très important et de l’Industrie, où il a notamment treuse. Finalement, la Banque monde notre travail est le développement été directeur du commerce internadiale prévoit que 40 millions de industriel de l’Afrique. » tional et des investissements, ainsi personnes plongeront dans la pau« Nous déplorons tous la faiblesse que directeur général des relations vreté sur le continent en raison des du commerce intra-africain – entre économiques avec l’Afrique. difficultés économiques dues au 15 % et 18 % des échanges entre Wamkele Mene a également parcoronavirus. « Nous devons restrucÉtats –, liée au fait que nous sommes couru les travées de l’OMC, à Genève, turer fondamentalement l’éconotrop dépendants de l’exportation de en tant qu’ambassadeur adjoint à la mie africaine et la diversifier. Nous produits de base vers l’Europe prinmission permanente de l’Afrique du devons reconfigurer et revoir la façon cipalement, et de quelques autres Sud. Durant cette période, il a présidé dont nous établissons les chaînes de nouveaux marchés, essentiellele comité du commerce international valeur de manière à ce que le contiment asiatiques, depuis peu », note des services financiers de l’organisanent soit plus autosuftion, après avoir été élu à ce poste par fisant », conclut le plus de 130 gouvernements. Il a égaresponsable, qui a lement été le négociateur en chef de donc beaucoup l’accord de la Zlecaf pour son pays LES 29 PAYS AYANT RATIFIÉ L'ACCORD Égypte de pain sur la en 2016. planche. Ce parcours dans les arcanes du commerce international devrait Mauritanie être fructueux. Le Mali Niger mandat de secrétaire Tchad Sénégal de la Zlecaf est en Gambie Djibouti effet modelé sur celui Burkina Guinée de l’OMC. « Il s’agit d’aiNigeria Côte der les États membres à Sierra Éthiopie d’Ivoire Leone Ghana mettre en œuvre l’accord Togo et à respecter les obligations qui Guinée équ. en découlent. » Ouganda Kenya São ToméRD Gabon Les services de Wamkele Mene ont et-Príncipe Congo Rwanda un rôle crucial à jouer dans le renforcement des capacités des administrations nationales. « Nous devons aider les signataires à remplir leurs obligations sanitaires et phytosanitaires. Angola Nous comptons mettre en place les mécanismes nécessaires pour éliMaurice miner les barrières non tarifaires. Il Zimbabwe Namibie nous incombe également de rendre opérationnelles des institutions telles que l’organe de règlement des difféEswatini rends », indique-t-il.
LE DÉVELOPPEMENT INDUSTRIEL DE L’AFRIQUE EST UN PILIER IMPORTANT DE NOTRE MISSION.
Afrique du Sud no3095 – DECEMBRE 2020
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FOCUS COMMERCE CONTINENTAL
L’INFOGRAPHIE
Transports, les points chauds logistiques Si l’accord de libre-échange économique africain entre en vigueur, le commerce intra-africain – en moyenne 16 % du total des échanges de chaque pays – ne pourra pas croître sans l’amélioration des voies de communication de l’hinterland et la fluidification des passages douaniers aux frontières. CHRISTOPHE LE BEC Tanger
CORRIDOR TANGER-AGADIR
Tunis
Alger
Ras Jedir
Rabat Casablanca
Grandes voies panafricaines Routes bitumées Routes non bitumées
Tripoli Zouj Beghal
Corridors logistiques rénovés récemment
Le Caire
Dehiba
Xxx
« Points chauds » frontaliers Tamanrasset
Nouadhibou Rosso
Nouakchott
Agadez
Mpak
Dakar Banjul Bissau
Ouagadougou
Bamako
Niamey Ndjamena
Kano
Conakry Freetown Monrovia Abidjan
Khartoum
Seme
Djibouti Addis-Abeba
Cotonou Lomé Accra Lagos
CORRIDOR ABIDJAN-LAGOS
Bangui
Yaoundé
Kampala
Kisangani
Libreville
Brazzaville/Kinshasa
Route et rail par région
Nairobi
Kigali
2,3
2,2
Réseau ferroviaire transafricain Réseau total (km) x Densité (km/1 000km2)
CORRIDOR MOATIZE-NACALA
Lubumbashi Kasumbalesa Lusaka Chirundu Harare
Réseau des routes transafricaines Réseau total (km) Tronçons bitumés (km)
1,2
Afrique de l’Est
Nacala
Moatize Beira
Windhoek Gaborone CORRIDOR DURBAN-LUBUMBASHI
Afrique australe
Durban
5,6 0
170
Mokambo
1,9
Afrique centrale
Dodoma
Luanda Lobito
Afrique de l’Ouest
CORRIDOR MOMBASA-KIGALI Mombasa
Kinshasa
Afrique du Nord
CORRIDOR DJIBOUTIADDIS-ABEBA
5 000 10 000 15 000 20 000 25 000 30 000 35 000
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Capetown
1 000 km
Analyse
OUVERTURE DES FRONTIÈRES
Pourquoi la Banque mondiale veut absolument que l’Afrique accélère Alain Faujas
À
Journaliste à Jeune Afrique
cause de l’épidémie de Covid-19, qui fera perdre en 2020 à l’Afrique 79 milliards de dollars de revenus en raison de perturbations majeures dans les échanges mondiaux, la Banque mondiale pousse les 54 États du continent à accélérer la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), dont la création n’a encore été ratifiée que par 29 États. Dans un rapport intitulé « L’ère de libre-échange continentale africaine – Effets économiques et redistributifs », publié le 27 juillet, la Banque insiste sur les bienfaits d’un marché commun africain fort de 1,3 milliard d’habitants qui commerceraient entre eux sans frontières. Grâce à la diminution de la bureaucratie et à la simplification des procédures douanières, des quotas et des règles d’origine, le continent peut espérer augmenter d’ici à 2035 son revenu de plus de 7 %, soit de 450 milliards de dollars, ont calculé les experts de la Banque. À plus long terme, l’amélioration de l’intégration continentale, la disparition progressive de la mosaïque des accords commerciaux régionaux, la rationalisation des procédures de franchissement des frontières pour les marchandises lui permettront de faire preuve d’une meilleure résilience en cas de chocs économiques. Ces améliorations faciliteront son intégration dans les chaînes logistiques mondiales auxquelles l’Afrique participe peu, elle qui représente 16,7 % de la population du globe, mais seulement 2,1 % du commerce mondial. La pleine réalisation de la Zlecaf « exigera une action volontariste pour réduire les coûts commerciaux », car il faudra « adopter des législations permettant aux marchandises et aux capitaux de circuler librement et facilement à travers les frontières », note le rapport. Pour persuader les gouvernements d’accélérer le pas, celui-ci s’efforce d’apaiser l’une de leurs principales craintes qui les retient d’abaisser leurs taxes à l’importation: perdre de précieuses recettes douanières alors que leur fiscalité a du mal à dégager des recettes budgétaires suffisantes.
Selon les experts de la Banque mondiale, la réalisation du marché commun africain, qui verrait les 54 États membres se consentir mutuellement une exemption de taxes douanières sur leurs produits, priverait 49 pays sur 54 de moins de 1,5 % de recettes. Cette étonnante innocuité est due au fait que moins de 10 % de leur commerce total est réalisé entre eux et que les produits d’origine africaine taxés à leurs frontières sont peu nombreux.
De vastes marchés en perspective
Nul doute que la perspective de disposer enfin de vastes marchés sur le continent séduira les investisseurs étrangers qui redoutent les frontières, les administrations douanières et les corruptions qu’elles génèrent et qui rendent les produits fabriqués en Afrique peu compétitifs. Paradoxalement, ce sont les pays qui pratiquent les tarifs douaniers les plus élevés qui y gagneront le plus. La Côte d’Ivoire ou le Zimbabwe peuvent ainsi espérer des revenus en augmentation de 14 %, contre 2 % pour Madagascar ou le Mozambique. Les exportations intracontinentales progresseront de 81 %, et les exportations vers des pays non africains, de 19 % d’ici à 2035. Les retombées sociales seraient tout aussi spectaculaires. La libre circulation des marchandises et des capitaux ainsi que les créations d’emploi qu’elle multipliera permettraient une augmentation des salaires des femmes (+ 10,5 %) et des hommes (+ 9,9 %), des travailleurs non qualifiés (+ 10,3 %) et qualifiés (+9,8 %). De ce fait, la pauvreté reculerait de façon importante puisque 30 millions de personnes sortiraient de la très grande pauvreté (1,9 dollar par jour et par personne en parité de pouvoir d’achat) et 68 millions de la pauvreté relative (3,20 dollars par jour), soit 98 millions d’Africains qui verraient leur sort amélioré. Le taux moyen de pauvreté du continent tomberait de 34,7 % en 2015 à 10,9 % en 2035.
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