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TUNISIE « LA RÉVOLUTION, CE N’EST PAS LA DÉMOCRATIE » une interview du Premier ministre Béji Caïd Essebsi

HEBDOMADAIRE OMAD OM ADAI AD AIRE AI RE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 51e année • N° 2621 • du 3 au 9 avril 2011

jeuneafrique.com

NOUVELLE FORMULE LE PLUS

de Jeune Afrique

NIGER

Démocratie, le grand retour?

CÔTE D’IVOIRE GBAGBO, LES SECRETS D’UNE CHUTE

Spécial 40 pages

MAROC ONDE DE CHOC KADDAFI LE CERCLE DES FIDÈLES DISPARUS

ENQUÊTE

Ces francs-maçons qui vous gouvernent Réseaux d’influence, pouvoirs occultes, faux « frères » et vrais initiés… Voyage au cœur d’une société secrète en pleine expansion sur le continent.

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burkina faso mali

555 À PARTIR DE

€ * TTC A/R

JE VOUS DÉPOSE ?


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Ce que je crois BÉCHIR BEN YAHMED • bby@jeuneafrique.com

VENDREDI 1 er AVRIL

Gbagbo, Kaddafi (suite et fin)

L

A CÔTE D’IVOIRE ET LA LIBYE. Ces deux pays africains sont, à nouveau et ensemble, au cœur de l’actualité. Une guerre cruelle les déchire, mais l’on est, je crois, très proche du dénouement, lequel était, en ce qui concerne la Côte d’Ivoire, pratiquement consommé au moment où ces lignes étaient écrites. Je m’étais permis, depuis le début de l’année, dans ces colonnes, de rapprocher les deux situations. Je sais, bien sûr, qu’elles présentent autant de différences que de similitudes. Mais ce qui m’avait frappé, c’est que dans chacun des deux pays s’est trouvé, simultanément, un homme de pouvoir à l’ego démesuré qui a opté pour le « j’y suis, j’y reste ». Contre la volonté de la majorité de son peuple, des Africains et de la communauté internationale, clairement exprimée. Et au prix d’une guerre dévastatrice. ■

Dans chacun des deux cas, le Conseil de sécurité de l’ONU a condamné l’attitude du potentat et de sa clique, voté des sanctions contre eux, mandaté une coalition de pays pour protéger les populations de leurs exactions. Jusqu’ici, les Libyens en ont davantage bénéficié que les Ivoiriens, sans que les uns ou les autres aient reçu des instances arabes ou africaines le soutien qu’elles leur devaient (et qu’elles leur ont promis, mais sans l’apporter dans les faits). La pièce en est à son dernier acte. L’épilogue s’écrit sous nos yeux. L’après-Gbagbo a d’ores et déjà commencé et l’après-Kaddafi est à l’ordre du jour. La Côte d’Ivoire, la Libye et leurs voisins, l’Afrique et le monde arabe doivent s’en féliciter et s’y préparer : ils commenceront à respirer, à mieux se porter dès le lendemain. ■

Le Prix Nobel (sud-africain) de la paix, Desmond Tutu, et l’épouse de Mandela, Graça Machel, s’expriment sur le sujet avec beaucoup de pertinence : « Le courage du peuple libyen après l’élan démocratique qui a traversé la Tunisie et l’Égypte a mis en lumière le profond désir de liberté qui existe aujourd’hui en Afrique. Il a démontré ce que nous avons toujours su : les peuples de notre continent ont la même soif de droits et de liberté que tous les autres. JEUNE AFRIQUE

En Côte d’Ivoire, le refus de l’ancien président Laurent Gbagbo de se retirer du pouvoir risque d’encourager d’autres dirigeants désavoués par les urnes à ignorer la volonté de leurs concitoyens. (…) Si l’Afrique entend exploiter pleinement son vaste potentiel, il faut que tous ses dirigeants comprennent qu’ils sont les serviteurs – et non les maîtres – de leurs concitoyens. » ■

Question : était-il possible d’éviter que l’aventure de ces deux hommes, qui ont cru pouvoir s’affranchir de la légalité internationale et aller à l’encontre de la majorité de leurs peuples et du monde, se termine dans un bain de sang ? Je crois savoir que deux pays importants – la Turquie et l’Afrique du Sud – se sont gardés de toute position tranchée, sont restés sur la réserve pour être en mesure, le moment venu, de jouer le rôle de pompiers. Il faut s’attendre à les voir entrer en scène; il faut surtout espérer qu’ils parviendront à nous épargner les excès et les règlements de compte des jusqu’au-boutistes de tous les camps. ■

Pour l’heure, Laurent Gbagbo et Mouammar Kaddafi n’ont pas encore, tout au moins pour le second, été défaits, je suis bien obligé de le constater, leur « résistance », leur combat, leur « cause », qui me paraissent indéfendables, ont suscité l’adhésion, le soutien et même l’admiration de beaucoup d’Africains. J’ai beau me dire que les Européens ont eu, eux aussi, leurs dictateurs, qu’ils ont portés aux nues, je ne parviens pas à comprendre l’engouement pour un Sékou Touré ou un Saddam Hussein, même s’ils ont résisté avec un certain panache aux puissants de leur époque. Leurs successeurs d’aujourd’hui ont pour noms, précisément, Mugabe, Kaddafi et Gbagbo. À leur tour, ils se targuent de « tenir tête à l’impérialisme », de personnifier une certaine africanité et le refus de s’incliner devant les puissants (en général blancs…). ■

Mais comment ne pas voir qu’ils ont ruiné leurs pays respectifs et gaspillé leurs richesses par incompétence économique? Qu’ils ont foulé aux pieds les droits de leurs N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011


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Ce que je crois concitoyens, emprisonné, humilié, torturé et assassiné des milliers de personnes, qu’ils ont négligé l’éducation et la santé de leurs peuples et enfourché de futiles lubies. N’ont-ils pas, plus que d’autres, cultivé le tribalisme et le népotisme ? N’ont-ils pas contraint des centaines de milliers de leurs concitoyens à l’exil, appauvrissant ainsi leur pays ? Et d’ailleurs, dans quel état laisseront-ils leurs peuples lorsque Dieu ou les hommes les obligeront à s’en aller ? Je ne me fais aucune illusion : les arguments ci-dessus, pour rationnels et fondés qu’ils soient, n’emporteront pas l’adhésion des « damnés de la terre » : humiliés par l’arrogance des riches et des puissants, ils ont une revanche à prendre et ce sont les Mugabe, Gbagbo, Kaddafi qui, par leur posture révolutionnaire ou leur insolence verbale, la leur donnent. Écoutez leurs discours ou ceux de leurs porte-voix, tel, en Côte d’Ivoire, le « général » Blé Goudé. ■

Jepensenéanmoinsquel’après-Kaddafietl’après-Gbagbo permettrontàl’opinion,grâceàlapresse,desavoircomment ces deux hommes se sont comportés au pouvoir. Ont-ils été ces révolutionnaires purs et durs, ces défenseurs des intérêts de leurs pays, ces protecteurs de la veuve et de l’orphelin décrits par leurs soutiens ? Ou bien ontils été ce que nous pensons : des dictateurs ne reculant devant aucun acte répréhensible pour se maintenir au pouvoir, entourés de mauvais génies soucieux de s’enrichir

au détriment de l’intérêt général ? Des documents seront publiés, des témoignages se feront entendre et des révélations seront faites. Il faudra veiller à distinguer le bon grain de l’ivraie, nous prémunir contre l’intoxication, rejeter les accusations fantaisistes ou intéressées. Une règle simple pour approcher la vérité : ne prendre en considération, pour dresser le portrait de ces deux acteurs de l’histoire contemporaine, que ce que retiendrait un historien. ■

Lorsque Staline, Mao Zedong, Sékou Touré ou d’autres autocrates de moindre envergure ont quitté le pouvoir, nous avons très vite su comment ils l’avaient exercé et quels crimes ils avaient commis. Je ne doute pas qu’il en ira de même pour Gbagbo et Kaddafi : nous saurons dans quelques semaines quels hommes de pouvoir ils ont été. Ceux qui les ont soutenus avec passion et ceux qui les auront combattus avec acharnement seront alors fixés; j’espère qu’ils rectifieront leur jugement. Je serais très heureux, pour ma part, d’apprendre qu’ils n’ont pas été les démons que je pense. Et le dirais haut et fort. Je pense toutefois qu’il y a autant de chances que cela arrive qu’il y en avait à la mort de Sékou Touré de découvrir que le camp Boiro de sinistre mémoire n’avait existé que dans l’imagination de ses détracteurs… ●

Humour, saillies et sagesse Pour vous faire sourire, grincer des dents – ou réfléchir –, ici, chaque semaine, une sélection subjective, la mienne, de ce qui a été dit ou écrit au cours des siècles par des hommes et des femmes qui avaient des choses intéressantes ou drôles à nous dire. B.B.Y. Ð Il y a des femmes que l’on n’écoute que d’un œil. Gilbert Cesbron Ð Dans tout ce qu’on entreprend, il faut donner les deux tiers à la raison, et l’autre tiers au hasard. Augmentez la première fraction, et vous serez pusillanime. Augmentez la seconde, vous serez téméraire. Napoléon Bonaparte

Ð Technocrates, c’est les mecs que, quand tu leur poses une question, une fois qu’ils ont fini de répondre, tu comprends plus la question que t’as posée. Coluche Ð Logiquement, avec le réchauffement de la planète, on devrait avoir plus de vacances. Les Nouvelles Brèves de comptoir

Ð Rien ne fait plus souffrir que d’aimer. Rien. Il faudrait ne pas aimer pour ne pas souffrir. Yasmina Reza

Ð Pour vivre centenaire, il faudrait abandonner toutes les choses qui donnent envie de vivre centenaire ! Woody Allen

Ð Un fanatique est quelqu’un qui ne veut pas changer d’avis et qui ne veut pas changer de sujet. Winston Churchill

Ð La vie passe, rapide caravane ! Arrête ta monture et cherche à être heureux. Omar Khayyam

N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Ð Le temps, c’est un peu comme le vent. Le vent, on ne le voit pas : on voit les branches qu’il remue, la poussière qu’il soulève. Mais le vent lui-même, personne ne l’a vu. Jean-Claude Carrière Ð Naïf est le coq qui croit aux confessions du renard. Proverbe africain Ð L’idéal serait de pouvoir déduire ses impôts de ses impôts. Jean Yanne Ð Ne parlez jamais de vous, ni en bien, car on ne vous croirait pas, ni en mal, car on ne vous croirait que trop. Confucius JEUNE AFRIQUE


Air France, à vos côtés depuis 3 générations.

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Sommaire

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Éditorial François Soudan

Tout change, sauf l’essentiel

L

N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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CÔTE D'IVOIRE LES SECRETS D’UNE CHUTE De la grande offensive lancée le 28 mars à la bataille d’Abidjan, il n’a fallu que quelques jours pour que la « forteresse Gbagbo » s’effondre. Récit d’une guerre éclair.

14 PHOTOS DE COUVERTURES : IAN HANNING/REA ; NICOLAS FAUQUÉ/WWW.IMAGESDETUNISIE.COM ; MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU

E TEXTO, COMME UNE DOUCHE FROIDE, m’est tombé dessus alors que je cajolais mon clavier pour vanter les mérites de la nouvelle formule de J.A., aérée, tonifiée, ouverte, interactive, au cœur de votre monde, de vos espoirs et de vos préoccupations… Sept lignes comminatoires signées Calixthe Beyala, madone rageuse, sulfureuse et talentueuse de la « blackitude » militante : « Cher frère, je suis surprise de voir à quel point Jeune Afrique est en rupture avec les populations africaines. En as-tu conscience ? À qui s’adresse maintenant notre journal ? Tous les Africains le clament : je ne lis plus J.A. ! » Coup de bambou rue d’Auteuil. Au moment où nous sortons un « nouveau » J.A., dans le but précisément d’être toujours plus proches de nos lecteurs, ces derniers seraient donc en passe de nous lâcher ! Et cela pour une raison irréfutable : nos prises de position, fermes et réitérées, contre le maintien au pouvoir de MM. Kaddafi et Gbagbo, héros et martyrs du panafricanisme moderne, réincarnations de Nasser et de Lumumba. Premier réflexe : vérifier du côté de notre service diffusion si les chiffres confirment les imprécations de ma sœur Calixthe. Renseignements pris, c’est l’inverse. Avec une progression de ses ventes de 25 % depuis le début de la crise ivoirienne et des « révolutions arabes » et la barre du million de visiteurs uniques franchie en janvier par son site internet, Jeune Afrique, manifestement, gagne des lecteurs plutôt qu’il n’en perd. Deuxièmeréflexe:prendreausérieuxcesreprochesd’amoureux et d'avocats des causes perdues qui se pensent floués ; d’autant qu’ils rejoignent ceux que formulent chaque semaine, dans la rubrique « Vous & nous », certains de nos correspondants. Dans ce numéro, BBY consacre à ce phénomène une partie de son « Ce que je crois », mais j’aimerais y ajouter ce constat : la quasitotalité de ceux qui, aujourd’hui, défendent Gbagbo et Kaddafi sont des Subsahariens. Ce qui est sans doute normal pour le premier, mais troublant pour le second. Pourquoi, au Maghreb et dans le monde arabe, aucune voix ou presque ne s’élève pour soutenir le dictateur libyen ? « Parce qu’il est des nôtres, parce qu’il nous fait honte », m’explique notre collègue marocain Hamid Barrada, qui ajoute : « C’est notre Bokassa à nous. » Le problème, le fil rouge, est donc là. Dans l’absence de proximité, dans la fixation sur la posture de « résistance » de ces deux hommes lavés par là de tout péché, dans la détestation de Nicolas Sarkozy et la déception de Barack Obama, qui font que l’essentiel – la démocratie, les libertés, les droits de l’homme, le pluralisme, le respect de la dignité de chacun des peuples concernés – passe à la trappe au cœur de ce combat par procuration que livrent quelques intellectuels subsahariens. Le J.A. d’hier s’est bien gardé de tomber dans le piège de l’aveuglement face à Sékou Touré et Saddam Hussein – et il a bien eu raison. Confronté à leurs avatars, le J.A. d’aujourd’hui adopte la même position. Sur ce point, celui de la fidélité à nos principes, la nouvelle formule de votre hebdo ressemble furieusement à l’ancienne. N’en déplaise à Calixthe qui, j’en suis sûr, continuera de nous lire. ●

LIBYE LE CERCLE DES FIDÈLES DISPARUS Au fil des jours, les proches de Kaddafi sont de plus en plus nombreux à prendre le large. Parmi eux, Moussa Koussa et Ali Triki, deux figures emblématiques.

03 08

Ce que je crois Par Béchir Ben Yahmed Confidentiel

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LA SEMAINE DE JEUNE AFRIQUE

10 14 16 18 20 24 26 28

Côte d’Ivoire Les secrets d’une chute Libye Le cercle des fidèles disparus Tour du monde Burkina Faso Désordre dans la troupe Algérie Système nerveux Tunisie Ça tangue à l'intérieur Comores-France Une île bleu-blanc-rouge Mali Modibo Sidibé, le silence est d'or

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G RA N D A N G L E

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Ces francs-maçons qui vous gouvernent

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A F RIQ U E SU BSA H A RIEN N E

40 43 44 46 48 49

Gbagbo-Compaoré À la vie à la mort Opinion Et s’il était trop tard... Nigeria Goodluck, avec un peu de chance Cameroun Que reste-t-il de l’opposition ? Diplomatie Coup de froid entre Brazza et Kinshasa Centrafrique Bozizé bien installé JEUNE AFRIQUE


LE PLUS

de Jeune Afrique

NIGER

Démocratie, le grand retour?

Ces francs-maçons qui vous

gouvernent

30

81

Réseaux d’influence, pouvoirs occultes, faux « frères » et vrais initiés… Voyage au cœur d’une société secrète en pleine expansion sur le continent.

LE PLUS NIGER La junte a joué le jeu. Au tour du nouveau président, qui prend ses fonctions le 7 avril, de tenir ses promesses. Spécial 40 pages.

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GRAND ANGLE

MAROC L'ONDE DE CHOC Face à un calendrier très serré, les partis politiques n’ont pas tardé à tirer les enseignements de la volonté réformatrice de Mohammed VI.

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GBAGBO-COMPAORÉ À LA VIE À LA MORT Ils se sont appréciés avant de se détester. Une « amitié » en dents de scie dont l’épilogue est en train de se jouer sur le terrain.

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Sénégal Wade perd sa « dame de fer » Coulisses Gabon, Bénin, Soudan Enquête Au nom du père

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MAGHREB & MOYEN-ORIENT

58 64 66 67 68

Tunisie Les vérités de Béji Caïd Essebsi Syrie État d’urgence régional Maroc L’onde de choc Coulisses Qatar, Bahreïn, Israël, Arabie saoudite Portfolio Bourguiba, les cinquante glorieuses

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EUROPE, AMÉRIQUES, ASIE

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France La vengeance d’une blonde Allemagne Seule, si seule Pakistan - États-Unis La fêlure Turquie Police de la pensée Parcours Ali Baba Gueye, retour gagnant Humeur Vive le (vrai) journalisme ! Corée du Nord Poignées de poussière et sacs de grain

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LE PLUS DE JEUNE AFRIQUE

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Niger Démocratie, le grand retour ?

JEUNE AFRIQUE

NO FO UV RM EL UL LE E

BÉJI CAÏD ESSEBSI « LA RÉVOLUTION, CE N’EST PAS LA DÉMOCRATIE » Interview exclusive du Premier ministre tunisien.

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ÉCONOMIE Distribution L’Afrique, grande surface arc-en-ciel Interview Dominique Lafont, DG Afrique de Bolloré Maroc Veolia sur la sellette Mines Vale dans le viseur de Brasília Analyse Quelles énergies pour l’Afrique ? Interview Imad Bouziane, manager Afrique de l’Office chérifien des phosphates Bourse Malgré la baisse, les affaires continuent CULTURE & MÉDIAS Médias Le grand ménage tunisien Lu et approuvé Connaissez-vous le « Paris noir » ? Cinéma Quand Hicham Ayouch se fait un prénom Daniel Maximin « Les graffitis sur les murs font tomber les murs » En vue La semaine culturelle de J.A. VOUS & NOUS

Le Courrier des lecteurs Post-scriptum

N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011


Confidentiel

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SONDAGE DÉMOCRATIE ET LAPIDATION

ONS ABID/D.R.

Ð ABDELFATTAH MOUROU, ancien dirigeant du mouvement islamiste Ennahdha.

Ð ALI ROMDHANE, numéro deux de facto de l’UGTT, la puissante centrale syndicale.

Tunisie Attention, poids lourds!

L

OUVERTURE DU CHAMP POLITIQUE tunisien n’en finit plus d’aiguiser les appétits. Deux nouvelles formations devraient prochainement grossir les rangs de la cinquantaine de partis existants et, du même coup, bouleverser le rapport des forces. En 1981, l’avocat Abdelfattah Mourou fut, avec Rached Ghannouchi, Hassen Ghodbani, Slaheddine Jourchi et quelques autres, le cofondateur du Mouvement de la tendance islamique, rebaptisé Ennahdha en 1989. Il envisage aujourd’hui très sérieusement, bien qu’il le nie, de lancer sa propre formation. Une ambition qui nous a été confirmée par un cadre d’Ennahdha. Objectif : la mise sur orbite d’une formation plus modérée – donc plus présentable. Mourou jouit d’une image d’intellectuel crédible, pondéré et bon orateur, résolu à jouer la carte de l’identité tunisienne. Autre poids lourd en gestation : le parti « travailliste » que souhaite créer Ali Romdhane, membre du bureau exécutif et numéro deux de fait de l’UGTT, la puissante centrale syndicale. À en croire l’intéressé, cette nouvelle formation serait « totalement indépendante de l’UGTT », même si ses orientations seraient « proches des siennes ». Une manière de dire qu’il bénéficiera du soutien des milieux syndicaux, qui font la pluie et le beau temps depuis la fuite de Zine el-Abidine Ben Ali et le début de la transition. Et qu’il faudra donc compter avec lui. À suivre. ● N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Le PewResearchCenter, à Washington, a réalisé récemment un sondage sur l’attitude des populations musulmanes à l’égard des châtiments corporels. En Égypte et au Pakistan, 80 % des personnes interrogées se disent favorables à la lapidation pour cause d’adultère, ainsi qu’à l’amputation des mains et à la flagellation pour les voleurs. Une majorité de Jordaniens et de Nigérians musulmans partagent cette opinion, ce qui n’est pas le cas des Indonésiens, des Libanais et des Turcs. Pour les cas d’apostasie, ils sont 51 % au Nigeria, 76 % au Pakistan, 84 % en LE CHIFFRE

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C’est le nombre de foyers urbains MILLIONS dans les pays émergents qui, en 2025, disposeront d’un revenu annuel supérieur à 20000 dollars, selon le cabinet McKinsey, qui prédit un déplacement vers l’Est et vers le Sud des centres de pouvoir et de richesse.

Égypte et 86 % en Jordanie à exiger la peine de mort (6 % au Liban et 8 % en Turquie). Ce sondage est complété par un autre, qui révèle que 49 % des Nigérians musulmans, 34 % des Jordaniens, 23 % des Indonésiens et 20 % des Égyptiens ont une opinion favorable d’Al-Qaïda. PRESSE BIENVENUE À « L’ACTU »

Un nouveau quotidien, L’Actu, sera en vente dans les kiosques camerounais le 11 avril. À la tête de la rédaction (une dizaine de journalistes), on retrouvera Emmanuel Gustave Samnick, un des fondateurs de Mutations, JEUNE AFRIQUE


Politique Économie Culture & Société

CÔTE D’IVOIRE GBAGBO A REFUSÉ SA PRIME DE DÉPART Si le panel de chefs d’État africains s’était, le 10 mars, prononcé pour une « solution politique négociée et la mise en place d’un gouvernement d’union nationale nommé par le président Alassane Ouattara », il avait aussi, selon une source diplomatique, offert à Laurent Gbagbo un certain nombre de garanties : immunité juridique, recouvrement de ses avoirs, liberté de circulation et 2 millions d’euros par an. « Il a eu l’occasion de partir la tête haute, il ne l’a pas saisie », ajoute ce fonctionnaire français.

UNION AFRICAINE LE COUP DE GUEULE DE PING

Beaucoup d’absents lors de la 4e Conférence des ministres de l’Économie et des Finances de l’Union africaine, les 28 et 29 mars à Addis-Abeba. D’où ce coup de gueule de Jean Ping, le président de la Commission de l’UA : « Je lance un appel à tous les ministres qui ne viennent pas et se font toujours représenter. Nous avons besoin d’interaction pour parler d’une seule voix. » Les Africains de l’Est se sont quand même davantage mobilisés que les autres. En Afrique de l’Ouest, le Camerounais Essimi Menye et le Guinéen Kerfalla Yansane ont été parmi les rares à avoir fait le JEUNE AFRIQUE

Libye L’offre de Kaddafi aux Occidentaux SELON L’ENVOYÉ SPÉCIAL de l’ONU en Libye, l’ancien ministre des Affaires étrangères jordanien Abdel Ilah Khatib, le colonel Kaddafi aurait proposé une voie de sortie de crise, laquelle n’a aucune chance d’être acceptée par les coalisés occidentaux : céder le pouvoir à son fils Mootassem – qui est par ailleurs son conseiller en matière de sécurité – pour une période de transition, pendant laquelle toutes les réformes nécessaires du système politique libyen seraient mises en œuvre. Plus sérieusement, l’Italie et plusieurs pays arabes s’activent pour dénicher à Kaddafi et à sa famille une terre d’exil. Le Venezuela et l’Algérie auraient ainsi fait savoir qu’ils étaient prêts à l’accueillir, pour peu, bien sûr, qu’il choisisse cette solution. ●

déplacement. « Les ministres qui boudent les réunions de l’UA se précipitent aux rencontres annuelles du FMI et de la Banque mondiale », a déploré Jean Ping. SAHEL DESERTEC N’EST PAS MORT

Lancé en 2009 pour couvrir la bande sahélienne de plusieurs centaines de centrales solaires destinées à fournir 15 % de l’énergie électrique consommée par l’Europe d’ici à 2050, le projet Desertec n’est pas condamné par le « printemps arabe ». En tout cas, c’est l’objectif d’Andris Piebalgs, le commissaire européen chargé du Développement. Le projet

sera certes beaucoup moins ambitieux que prévu, mais il se poursuit. Cette semaine, Piebalgs s’entretiendra par exemple avec les responsables d’EDF Transports de l’un des points clés de Desertec : l’interconnexion des réseaux entre les deux rives de la Méditerranée. ALGÉRIE DÉPLOIEMENT DE FORCE À LA FRONTIÈRE LIBYENNE

L’inquiétude provoquée par la crise libyenne a conduit l’étatmajor de l’armée algérienne à renforcer les capacités de la VIe région militaire. Les deux bataillons d’infanterie déployés autour du poste

frontière de Debdeb dès le 18 février, au lendemain des premiers affrontements, sont désormais appuyés par deux compagnies aéroportées. La zone, d’une superficie de 700 000 km2, comprise entre le Tassili N’Ajjer et le Hoggar, via le sud des Oasis, est survolée en permanence par des drones. La circulation routière est canalisée dans des corridors de sécurité. Tout véhicule circulant en dehors de ces axes est immédiatement « neutralisé ». CINÉMA ADUAKA, L’EMPEREUR ET LE COMÉDIEN

Lauréat du Fespaco 2007 avec Ezra, un long-métrage sur les enfants-soldats, le réalisateur nigérian Newton Aduaka revient au premier plan avec deux films. Le premier, déjà tourné en France, s’intitule One-Man-Show. C’est l’histoire d’un comédien d’origine camerounaise qui, apprenant qu’il est atteint d’un cancer, se confronte aux moments et aux personnes qui ont marqué sa vie. Dans les rôles principaux (notamment) : Emil Abossolo-Mbo et Aïssa Maïga. Le second, Maqdala, est encore en préparation. Il retracera le parcours de Théodoros II, un marginal hors la loi qui, après bien des péripéties, deviendra empereur d’Éthiopie, au milieu du XIXe siècle.

ÇA MARCHE POUR EUX

Dov Zerah retrouve le sourire

Sévèrement mis en cause pour ses méthodes de direction par certains responsables syndicaux, Dov Zerah, le patron de l’Agence française de développement (AFD), retrouve le sourire. Il a en effet obtenu de sa tutelle (les ministères de l’Économie, des Affaires étrangères et de la Coopération) un budget de fonctionnement 2011 conforme à sa demande: 265 millions d’euros (+ 6 % par rapport à 2010). C’est moins que les 12 % de croissance enregistrés ces dernières années, mais Zerah a obtenu une totale liberté de recrutement dans les pays où l’AFD est implantée.

VINCENT FOURNIER/J.A.

journal dont il a claqué la porte en début d’année. Il en est également, avec Thierry Hot – créateur du quotidien en ligne burkinabè Fasozine (2005) et du mensuel Notre Afrik (2010) –, l’un des principaux actionnaires.

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N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011


La semaine de Jeune Afrique

CÔTE D’IVOIRE

Les secrets

d’une chute

De la grande offensive lancée le 28 mars à la bataille d’Abidjan, il n’a fallu que quelques jours pour que la « forteresse Gbagbo » s’effondre comme un château de cartes. Récit d’une guerre éclair.

REUTERS

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CHRISTOPHE BOISBOUVIER

L

aurent Gbagbo se croyait invincible. Derrière ses sourires et ses embrassades, il n’avait que mépris pour ses adversaires. À force de ruse, il avait réussi à tenir dix ans et demi. Gueï, Bédié, Ouattara… Il les avait si souvent roulés dans la farine qu’il se sentait capable de passer en force, une nouvelle fois. Mais ce coup-ci, c’est raté. Le funambule est tombé. Pourquoi une chute aussi brutale ? D’abord, pour des raisons tactiques. On s’attendait à une bataille acharnée pour la prise des deux verrous de Duékoué, dans l’Ouest, et de Tiébissou, au centre. En fait, il n’a fallu que trois jours aux hommes d’Alassane Ouattara, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), pour marcher sur Yamoussoukro, puis fondre sur Abidjan. Une offensive éclair. Un blitzkrieg sous les tropiques. N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

À LA FRONTIÈRE AVEC LIBERIA, le 24 mars, les pro-Ouattara se préparent. LE

Les Forces de défense et de sécurité (FDS) de Laurent Gbagbo ont été pulvérisées. Tout a commencé le 6 mars dans le GrandOuest, à Toulépleu. De cette ville frontière, le camp Gbagbo avait fait une forteresse. Normal : Toulépleu contrôle la route vers le Liberia. C’est donc par cette ville qu’arrivaient les mercenaires libériens recrutés par le régime. Les FDS y avaient même déployé un BM21, un lance-roquettes multiples de fabrication russe. Le 6 mars, un déluge de feu est tombé sur les positions FDS. « Les rebelles avaient beaucoup plus d’hommes que nous. Nous ne pouvions pas tenir », raconte Yao Yao, le chef des opérations du Grand-Ouest. Le camp Gbagbo manquait aussi de gens résolus à se battre. Les artilleurs se sont enfuis sans même prendre le temps d’emporter leur BM21 ou de le détruire… Toulépleu le 6 mars, Bloléquin le 21… « Pour nous, la prise de ces deux villes a été décisive », JEUNE AFRIQUE


L’événement

JEAN-PHILIPPE KSIAZEK/AFP

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confie un officier de haut rang des FRCI. « Le Grand-Ouest pullulait de mercenaires et de miliciens à la solde de Gbagbo et de Gossio [le directeur général du Port autonome d’Abidjan]. Il fallait absolument qu’on les neutralise avant d’attaquer au centre, sur Tiébissou et Yamoussoukro. Sinon, ils risquaient de nous tomber dessus par l’ouest. » QUATRE AXES. De fait, à la mi-décembre, une

colonne commandée par Chérif Ousmane avait réussi une première percée à Tiébissou, puis s’était repliée sur Bouaké, de peur d’être attaquée sur son flanc droit par les FDS. Le 28, c’est la grande offensive. Les « comzones » (commandants de zone) attaquent sur quatre axes. Losseni Fofana (dit « Loss ») et Dramane Traoré sur Duékoué, dans l’Ouest ; Issiaka Ouattara (dit « Wattao ») sur Daloa, au centre-ouest ; Chérif Ousmane et Hervé Touré (dit « Vetcho ») sur Tiébissou, au centre ; et Morou Ouattara sur

JEUNE AFRIQUE

À ABIDJAN le 31 mars, les miliciens pro-Gbagbo en patrouille.

Bondoukou, dans l’Est. L’affaire a été minutieusement préparée. Fini l’improvisation de septembre 2002, lors de la première opération militaire contre Laurent Gbagbo. À l’époque, les rebelles n’avaient même pas de moyens radio pour communiquer entre eux. Juste des téléphones satellitaires. Ainsi, lors du siège du camp de gendarmerie d’Agban, à Abidjan, ils n’avaient pas pu prévenir

Fini l’improvisation de 2002. Cette fois, Soro a parfaitement équipé ses « comzones ». leurs camarades qu’ils étaient à court de munitions et avaient dû abandonner la partie… Cette fois-ci, Guillaume Soro, Premier ministre et ministre de la Défense du gouvernement Ouattara, a donné à ses comzones les équipements nécessaires. Avec ses deux officiers d’étatmajor, les généraux Soumaïla Bakayoko et ● ● ● N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011


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La semaine de J.A. L’événement MALI MA LI BURK BU RKIN RK INA IN A FA FASO SO Odiennéé Odienné

Korhogo og

Bo Bouna

Zone sous contrôle des Forces nouvelles Principales villes prises

GUIN GU INÉE ÉE

Séguéla Ségu Séguél Séguéla élaa

Bondoukou Bond Bondouko Bo ndou nd ouko oukou ou kou ko

Bouaké Bo ké Ma Man

Touléple Toul leu (pririss (p le 6 mar ars) s)

Daloa Dalo Da loaa Duékou ékoué ék Duék Du Duékoué ékou oué oué Guig Guig Guiglo iglo lo

ébissou issou sou Tiéb Ti Tiébissou ébis éb issou isso

Abengo Aben Abengourou Ab engo en gourou gour go urou urou

YAMO YA YAMOUSSOUKRO MOUSSO MO MOUS USSOUK USSO USSOUK SOUKRO SOUKRO UKRO

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(inv nves estiti le 31 mars) s) 0 50

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Une avancée fulgurante

LUNDI 28 MARS Lancement sur plusieurs fronts de l’offensive des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), pro-Ouattara

MARDI 29 MARS Les villes de Duékoué et Guiglo (Ouest), Daloa (Centre), Bondoukou et Abengourou (Est) sont sous contrôle

● ● ● Michel Gueu, il a monté une vraie logistique. Des tonnes d’armes et de munitions sont entrées par l’aéroport de Bouaké, notamment des lanceroquettes RPG-7 et RPG-9, mais aussi du matériel de combat nocturne – ce qui explique pourquoi plusieurs villes du Grand-Ouest sont tombées la nuit. Du matériel de transmission performant a été distribué à chaque commandant d’unité. Surtout, les comzones ne sont plus de simples capitaines ou sergents, voire des caporaux, comme en 2002. « Chérif Ousmane est devenu un vrai commandant de bataillon, qui sait se faire obéir de 500 ou 600 hommes, explique un de ses compagnons d’armes. La qualité des hommes, c’est 50 % du secret de notre victoire. » Le 28, c’est à Duékoué que les FDS opposent

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MERCREDI 30 MARS Après la prise de Tiébissou, les forces pro-Ouattara s’emparent de Yamoussoukro, la capitale politique, et de Gagnoa, la ville natale de Laurent Gbagbo

JEUDI 31 MARS au soir La bataille d’Abidjan est lancée JEUDI 31 MARS Le port cacaoyer de San Pedro tombe

une vraie résistance. S’agit-il de mercenaires ? En tout cas, ils tiennent vingt-quatre heures, puis se débandent. À Daloa, les pro-Gbagbo tentent aussi de riposter, mais la puissance de feu des FRCI les cloue sur place. Puis les pick-up de Wattao débordent Daloa et foncent sur Gagnoa, au cœur du pays bété. Le 30, le comzone arrive à Mama, le village natal de Laurent Gbagbo. Il entre dans la maison du président déchu, puis monte à l’étage. Il rêvait de dormir dans le lit de son pire ennemi. Ce soir-là, il le fait ! Le 29, presque tout est déjà joué. À l’annonce de la chute de Duékoué et de Daloa, les FDS prennent peur. Dans l’Est, à Bondoukou et à Abengourou, ils s’enfuient sans combattre. « Le matin, ils étaient encore en uniforme, mais l’après-midi, je les ai vus JEUNE AFRIQUE


Moins de consommation. Plus de plaisir.


Les secrets d’une chute invisible » d’Abobo. Dès la fin de janvier, les combattants de cette commune du nord d’Abidjan ont tendu des embuscades meurtrières aux FDS. Quand un véhicule de police a été touché de plein fouet par une roquette, la terreur s’est emparée des pro-Gbagbo. Ils ont renoncé aux patrouilles dans ce quartier de 1 million d’habitants. « Pour Abobo, l’état-major des FDS avait organisé une rotation, raconte un officier. Chaque unité devait y aller à tour de rôle. J’ai vu plusieurs officiers produire un certificat médical pour ne pas y mettre les pieds ! »

en civil. Ils cherchaient un véhicule pour quitter la ville au plus vite », raconte un habitant d’Abengourou. Seul môle de résistance : Tiébissou, au nord de Yamoussoukro. Mais le combat est trop inégal. Trente mercenaires sont capturés par les assaillants. Le 30, en début d’après-midi, les FRCI entrent dans Yamoussoukro sans coup férir. La cité d’Houphouët se donne à Ouattara. À ce moment-là, tout est plié. Et pourtant,

Le commandant Wattao rêvait de dormir dans le lit de Gbagbo, son pire ennemi. C’est fait. Laurent Gbagbo croit qu’il peut encore renverser la situation. Il reste le maître d’Abidjan. Le général Konan et les unités de la garde républicaine de Yamoussoukro se sont repliés sur la métropole. Cette fin d’après-midi du 30, il réunit son étatmajor dans sa résidence de Cocody. « Pouvez-vous défendre Abidjan? » Quelques officiers répondent oui, sans excès d’enthousiasme. Philippe Mangou, le chef d’état-major, parle à peine. Le soir, le président sans troupes compte lancer un message à la télévision pour galvaniser les Patriotes. Mais quelques minutes avant 20 heures, il apprend que Mangou s’est réfugié avec femme et enfants à la résidence de l’ambassadeur d’Afrique du Sud. Le coup est rude. Aussitôt, il annule son message à la nation.

LE MYSTÈRE « IB ». Qui sont les chefs de ce

Æ LAURENT GBAGBO : pendant des années, il a roulé ses adversaires dans la farine.

c’est tout un symbole. Si le régime Gbagbo s’est effondré en quelques jours, ce n’est pas seulement pour des raisons tactiques. C’est aussi parce que ses troupes n’avaient plus le moral. Dès la fin de décembre, Guillaume Soro avait tenté de « retourner » Mangou. Fort de ses trois années à la primature, il avait multiplié les coups de fil aux officiers des FDS qu’il connaissait bien. « Il n’y a aucun avenir avec Laurent », leur disait-il. Pendant deux mois et demi, son travail de sape n’a rien donné. Mais le 30 mars, le sapeur Soro a fait tomber la muraille Gbagbo. Après Mangou, des dizaines d’officiers de toutes les unités ont rejoint Alassane Ouattara au Golf Hôtel. À trop recruter des mercenaires, le régime Gbagbo a cassé le moral de ses soldats. Aux hommes venus du Liberia, il promettait un salaire de 1 million de F CFA (1 500 euros) par jour de combat. À Tiébissou et à Abidjan, plusieurs d’entre eux se sont fait assassiner par des soldats de l’armée régulière qui convoitaient leur cagnotte ! Pour ne rien arranger, le dernier mois, beaucoup de FDS n’ont pas été payés, faute d’argent dans les caisses de « l’État Gbagbo ». Dans cet effondrement moral, une unité anti-Gbagbo a joué un rôle clé : le « commando JEUNE AFRIQUE

SIA KAMBOU/AFP

MORAL CASSÉ. La défection de Mangou,

« commando invisible » ? Longtemps, le mystère a plané sur leur nom. Aujourd’hui, Choi Young-jin, le patron de l’Onuci, lève le voile. L’un d’entre eux n’est autre que « IB » (Ibrahim Coulibaly), le chef de la première insurrection, en septembre 2002. À partir de 2003, les rapports Soro-IB se sont gravement détériorés. En juin 2004, à Korhogo et à Bouaké, le sang a coulé entre partisans des deux hommes. Aujourd’hui, les deux ex-rebelles sont-ils réconciliés ? Pas sûr. Quand on l’interroge sur IB, le Premier ministre feint de ne pas savoir que son frère ennemi est rentré d’exil depuis deux mois. D’où cette interrogation : Ouattara a-t-il facilité le retour d’IB en Côte d’Ivoire pour ne pas être le débiteur du seul Soro ? Reste une question : quel a été le poids des amis extérieurs dans la victoire d’Alassane Ouattara ? Le 23 janvier, le Burkinabè Blaise Compaoré a eu cette phrase prémonitoire : « Si la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest] dit qu’elle ne va pas faire d’intervention militaire, est-ce que l’on peut croire que cette majorité du peuple ivoirien qui sent qu’elle a élu Alassane Ouattara ne va pas user de la force face à une force qu’elle trouve illégitime ? » Une phrase lourde de sens, quand on connaît la proximité entre le chef de l’État burkinabè et les ex-rebelles des Forces nouvelles (FN). Et cela depuis septembre 2002… Quant à la France, officiellement, rien. Pas d’aide aux FRCI. En 2002, elle avait bloqué l’offensive des FN au sud de Bouaké. Cette année, la légitimité a changé de camp. La force Licorne n’a donc rien fait pour empêcher les Forces républicaines de marcher sur Abidjan. A-t-elle fait un peu plus ? Confidence d’un officier ivoirien : « Oui, elle est allée un peu au-delà, en matière de renseignement et de conseil aux gens de Bouaké. Mais elle n’a pas envoyé d’instructeurs sur place. » Selon une source bien informée, des éléments FRCI ont reçu une formation « opérations spéciales » au Burkina Faso et au Nigeria, avec des instructeurs américains et français… ● N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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XINHUA/NOTIMEX/AFP

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MOUSSA KOUSSA, à Tripoli, le 18 mars. Il était encore, alors, ministre des Affaires étrangères…

Libye Le cercle des fidèles disparus Au fil des jours, les proches de Kaddafi sont de plus en plus nombreux à prendre le large. Parmi eux, Moussa Koussa et Ali Triki, deux figures emblématiques de la Jamahiriya.

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tage de son propre orgueil, Mouammar Kaddafi, l’autoproclamé « roi des rois d’Afrique », voit son entourage l’abandonner au fur et à mesure qu’il s’obstine à continuer sa guerre contre son propre peuple. « Le Guide et ses enfants sont en Libye et y resteront jusqu’à la fin », a déclaré Moussa Ibrahim, son porte-parole officiel, le 31 mars. Sujet à de multiples défections – la dernière, à l’heure où nous mettions sous presse, était celle de Moussa Koussa, le ministre des Affaires étrangères –, le premier cercle de Kaddafi ne cesse de rétrécir. Au point qu’il est désormais plus facile de compter ceux qui sont encore à ses côtés que ceux qui l’ont lâché. « Les seuls qui restent sont les membres de sa famille… quand ils ne se cachent pas », ironise Abdelmonem el-Houni, qui fut l’un de ses compagnons lors du putsch de 1969, puis le représentant permanent de la Libye auprès de la Ligue arabe et, enfin, l’un des premiers dignitaires du régime à rejoindre les rangs de l’insurrection. « Les derniers N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

qui continuent à diriger les opérations sont Kaddafi et trois de ses fils, Seif el-Islam, Khamis et Mootassem », ajoute Houni. Le dernier carré des fidèles se compose d’Abdallah Senoussi, l’ancien patron des services de renseignements intérieurs,

qui coordonne difficilement les opérations des brigades mobiles ; d’Abdallah Mansour, responsable de la télévision, et de Youssef Abdelkader Dibri, le chef de la sécurité personnelle de Kaddafi. Ce dernier garde aussi près de lui deux têtes

KOUSSA EN CATIMINI POUR SORTIR DE LIBYE, Moussa Koussa, l’ex-ministre des Affaires étrangères, a été ingénieux. Depuis deux mois, il se savait sous haute surveillance. Alors, pour endormir la méfiance du « Guide », il a tout d’abord demandé à se rendre enTunisie pour des raisons médicales, puis ajouté qu’il se rendrait depuis ce pays voisin en Europe où ses contacts (notamment en Grande-Bretagne et en France) lui avaient, a-t-il assuré, fait part de leur volonté de négocier. En réalité, selon ses proches, Koussa n’aurait prévenu personne de son véritable projet. Ni les Britanniques, ni les Américains, ni les Français n’étaient au courant. Et c’est à bord d’un avion privé loué par un ami qu’il s’est envolé, le 30 mars, de l’aéroport de Djerba pour celui de Farnborough, près de Londres, où la police l’aurait longuement interrogé avant de le confier aux services spéciaux. Selon des sources tunisiennes, Koussa serait cependant entré en contact avec ses correspondants français et britanniques afin de préparer sa défection. Laquelle a suivi de quelques heures l’appel commun lancé par Londres et Paris le 29 mars aux responsables libyens afin qu’ils « lâchent » Kaddafi. ● JEUNE AFRIQUE


L’événement Libye

SHEN HONG/LANDOV/MAXPPP

visas pour se rendre dans les grandes De retour au Caire, Triki se rend en pensantes des comités révolutionnaires : capitales occidentales, prétextant cherTunisie le 22 mars, où il tente – en vain – son cousin Ahmed Ibrahim, ainsi que leur cher une solution permettant à Kaddafi coordinateur, Abdelkader el-Baghdadi. d’être reçu par Ban Ki-moon, le secrétaire d’éviter l’effondrement. C’est le cas de général de l’ONU, en visite à Tunis. Il regaPour échapper aux frappes aériennes, Koussa, arrivé le 28 mars à Djerba, d’où gne alors l’Égypte, où il finit par annoncer, le « Guide » et sa famille ont quitté leur il s’est envolé deux jours plus tard pour le 31 mars, sa propre défection. C’est résidence à la caserne de Bab el-Azizia Londres (lire encadré). au Caire que réside également depuis dès le 17 mars, le jour de l’adoption de La défection de Koussa était attendue un mois Ahmed Kaddaf Eddam, cousin la résolution de l’ONU établissant une de Kaddafi, dont la position exacte par dans le sérail libyen depuis le jour où il est zone d’exclusion aérienne. Lors de son apparu devant les caméras de télévision rapport au « Guide » demeure trouble, unique apparition publique, devant les caméras de télévision, le numéro un libyen pour lire la réaction officielle de Tripoli l’opposition libyenne le soupçonnant a exhorté ses partisans à la mobilide jouer double jeu. sation. Depuis, il se terre – jamais POURRISSEMENT. Intervenues au même endroit –, avec Safia, son épouse, Saadi, Hannibal, Seif après celles des ministres de el-Arab, trois de ses fils, et Aïcha, la Justice et de l’Intérieur, les sa fille. La plupart des dignitaidéfections de Koussa et de Triki res qui n’ont pas pris la fuite se commencent à avoir des effets sont vu retirer leur passeport et sur l’entourage et les partisans l’on est sans nouvelles, depuis de Kaddafi. Abdelati Labidi, le le début de la révolte populaire, ministre des Affaires européende la plupart des membres du nes, lui aussi arrivé à Djerba, gouvernement. aurait démissionné. Belgacem Deux d’entre eux, Moustapha Zwai, président du Congrès généAbdeljalil et le général Abdelfettah ral du peuple (CGP, Parlement), Younes Oubeidi, respectivement après d’ardentes interventions ministres de la Justice et de l’Inpubliques en faveur de Kaddafi térieur, ont dès le début rejoint la ces dernières semaines, a manirévolte et dirigent le Conseil natiofestement décidé de les mettre nal de transition (CNT) depuis en sourdine. Chokri Ghanem, Benghazi. Les chefs des unités l’ancien Premier ministre, qui de l’armée régulière basées en dirige aujourd’hui la puissante Cyrénaïque, dans l’Est rebelle, y compagnie pétrolière Libyan ALI TRIKI, un cacique du régime… aujourd’hui compris ceux des bases aériennes National Oil Corporation, aurait représentant de la « Libye libre » à l’ONU. et navales, ont d’autant plus faciégalement décidé de lâcher le lement suivi le mouvement que chef de la Jamahiriya. Selon cerà la résolution du Conseil de sécurité leurs troupes sont toutes originaires de taines informations, ces trois persondu 17 mars. Tête baissée, il avait lu un la région. Les services de police ont fini nalités seraient arrivées en Tunisie et, communiqué faisant accroire que Kaddafi aussi par rallier le CNT. le 1er avril, tout Tripoli bruissait d’une acceptait le cessez-le-feu demandé par autre fuite non confirmée, celle d’Abou TÊTE BAISSÉE. À l’ouest, la Tunisie est l’ONU, avant que ce dernier ne dise et ne Zeid Dorda, le patron des renseignements devenue un havre de liberté pour ceux fasse tout le contraire dès le lendemain. extérieurs. qui peuvent atteindre le poste-frontière « Ces départs, réels ou supposés, sont de Ras el-Jdir. Des dizaines de dignitaires DOUBLE JEU. De son côté, Ali Triki, autant de messages adressés à Kaddafi et du régime l’ont fait, sans cependant l’annommé par Kaddafi représentant perau peuple libyen. Le pouvoir est en train noncer, de peur que les membres de leurs manent à l’ONU après la familles restés au pays ne fassent l’objet défection d’Abderrahmane Ils partent à l’étranger, faisant de représailles. Parmi eux, deux pièces Chalgham, n’aura pas eu mine de chercher des solutions maîtresses du système : Moussa Koussa le temps de rejoindre New et Ali Triki. Le premier a joué un rôle clé York. Arrivé à Paris le 9 mars pour sauver le régime. dans le dispositif sécuritaire – dont il a été en provenance du Caire, l’un des principaux patrons –, puis, à parporteur d’un message du « Guide » aux de pourrir de l’intérieur et de s’effondrer. Il serait temps que Kaddafi et ses enfants tir de 2009, sur le plan diplomatique, en autorités françaises, il a été retenu pendant tant que ministre des Affaires étrangères. deux heures dans les locaux de la police se rendent avant qu’il ne soit trop tard », Le second a occupé le « front africain » de l’air et des frontières de l’aéroport du commente Abderrahmane Chalgham, et celui de l’ONU, à New York. Bourget, fouillé puis expulsé le lendemain l’ancien ministre des Affaires étrangèLa plupart des autres caciques de la en direction de l’Égypte. Son avion, avec res, qui, au siège de l’ONU à New York, Jamahiriya se sont installés dans des continue à faire figure de représentant lequel il comptait se rendre aux États-Unis, palaces de l’île de Djerba (dans le sud-est a même été privé de ravitaillement en légitime de la nouvelle Libye. ● de la Tunisie) et ont tenté d’obtenir des carburant et confisqué ! ABDELAZIZ BARROUHI, à Tunis JEUNE AFRIQUE

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La semaine de J.A. Tour du monde INDE

CRISE

Le Portugal plonge

La fesse cachée de Gandhi

A

PRÈS LA GRÈCE ET L’IRLANDE, le Portugal plonge à son tour dans la tourmente financière. Alors que le déficit public prévu pour 2010 était de 7,3 % du PIB, il a été établi à la hausse, à 8,6 %. L’État devra en outre affronter une récession persistante (– 1,4 % de croissance prévu en 2011). Lisbonne refusant pour l’instant l’aide de l’UE, l’agence de notation Standard & Poor’s a abaissé sa note de BBB/A-2 à BBB-/A-3 (des pays comme la Turquie ou l’Égypte sont désormais mieux classés). Conséquence : les taux d’emprunt à dix ans ont atteint un niveau record (8,02 %). Et les créanciers sont avertis que le pays pourrait ne plus être prochainement en mesure de rembourser ses crédits. Ironie de l’Histoire, une ancienne colonie du Portugal, le Brésil, est prête à voler à son secours. La présidente Dilma Rousseff étudie le possible achat d’un montant limité de la dette et le rachat anticipé d’obligations brésiliennes détenues par l’État portugais. À l’instar d’Athènes et de Dublin, Lisbonne pourrait être contraint de solliciter une aide internationale d’un montant avoisinant 80 milliards d’euros. ●

AVANT MÊME SA SORTIE en librairie, une biographie de Gandhi fait scandale. Ancien correspondant du New York Times, Joseph Lelyveld, son auteur, évoque en effet une relation que le Mahatma aurait entretenue avec un architecte et bodybuilder allemand. Les États conservateurs du Maharashtra et du Gujarat ont déjà interdit l’ouvrage, accusé d’attenter à l’honneur national. Gandhi avait fait vœu d’abstinence pour atteindre la pureté physique et spirituelle. LE CHIFFRE

-5%

RUSSIE

Think contre tank

POOL NEW/REUTERS

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VLADIMIR POUTINE ET DMITRI MEDVEDEV Ça promet pour 2012 ! OUVERTEMENT RIVAUX pour la présidentielle de 2012, Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine s’envoyaient déjà des piques ; ils sortent à présent les (think) tanks. Celui du président a publié un rapport le 15 mars, celui du N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Premier ministre l’a imité le 26. Tous deux plaident en faveur d’une démocratisation de la vie politique afin d’endiguer la contestation sociale. Et tous deux constituent une ébauche de programme présidentiel ! Ambiance.

LA DIMINUTION DU NOMBRE des demandes d’asile dans 44 pays industrialisés en 2010 par rapport à 2008 et à 2009, selon un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) publié le 28 mars, ce qui confirme la tendance sur dix ans (– 40 %). Entre le nord et le sud de l’Europe, les résultats sont contrastés : + 49 % en Allemagne, + 32 % en Suède et + 13 % en France, contre – 94 % à Malte, – 53 % en Italie et – 36 % en Grèce. La destination la plus convoitée reste les États-Unis, avec 55 500 demandes (sur 358 800, au total). ARGENTINE-IRAN

Drôle de deal AMNÉSIE CONTRE BUSINESS. Tel est le deal que, selon le tabloïd Perfil, la présidente argentine Cristina Kirchner aurait proposé aux autorités iraniennes. En contrepartie d’un accroissement des échanges commerciaux entre les deux pays, l’Argentine se serait engagée JEUNE AFRIQUE


RÉPUBLIQUE DU TCHAD

www.prestigecommunication.fr

Réunion des Ministres des Finances de la Zone Franc

11 et 12 avril 2011 N’Djaména

Le Tchad, un pays en pleine mutation, tourné vers le développement

Investir au Tchad… Investir dans l’avenir…


ARRÊT SUR IMAGE

Andea Comas • Reuters

ESPAGNE

La princesse et le soldat LE MILITAIRE À TERRE est membre de la garde chargée de rendre les honneurs au prince Charles d’Angleterre et à Camilla, son épouse, en visite au palais du Pardo, à Madrid, le 30 mars. Malaise ? Tentative désespérée pour attirer l’attention de Letizia, princesse des Asturies (à gauche) ? Ancienne journaliste, l’épouse de Felipe de Borbón, héritier du trône d’Espagne, est charmante, c’est entendu, mais ce garçon en fait quand même beaucoup, non ?

PEINE DE MORT

Palmarès macabre SELON LE DERNIER RAPPORT d’Amnesty International, paru le 28 mars, 130 États ont aboli la peine de mort en droit ou dans la pratique, dont 31 ces dix dernières années. En 2010, 23 pays ont procédé à 527 exécutions officielles (contre 714 en 2009), dont l’Iran (252), la Corée du Nord (60), le Yémen (53) et les États-Unis (46). La Chine, qui ne fournit pas ses chiffres, en aurait perpétré plusieurs milliers. JEUNE AFRIQUE

TURQUIE

Picasso baladeur EN 1991, dans la confusion de la guerre du Golfe, elle avait été dérobée au musée de Koweït. Fin mars, la police turque l’a retrouvée à Balikesir (nord-ouest du pays), alors qu’un homme de 41 ans dont elle suivait la trace depuis Istanbul s’apprêtait à la revendre. Si l’authenticité de cette Femme nue signée Picasso et datée de 1924 est confirmée, l’œuvre vaudrait 10 millions de dollars. FRANCE

En un débat douteux QUELLE MOUCHE A PIQUÉ Jean-François Copé, le secrétaire général de l’UMP ? En organisant, le 5 avril, une « convention sur la laïcité »

RAMAZAN DEMIR

à abandonner l’enquête sur deux attentats commis en 1992 et 1994, à Buenos Aires, contre l’ambassade israélienne et un centre culturel juif (114 morts). Les deux parties nient farouchement, mais les Israéliens n’en sont pas moins très, très irrités.

Ý FEMME NUE. En bas, à gauche, une signature : Picasso. Et une date : 1924.

qui s’apparente à une tentative de « stigmatiser » insidieusement l’islam, il tente d’empiéter sur les plates-bandes électorales du Front national. Même à droite, beaucoup, à commencer par le Premier ministre, François Fillon, ne voient pas d’un bon œil ce débat douteux. Quant aux responsables des six principales religions pratiquées en France – catholicisme, protestantisme, orthodoxie, islam, judaïsme et bouddhisme –, ils ont, le 30 mars, publié dans le quotidien La Croix une tribune commune, dans laquelle ils ne font pas mystères de leurs réserves. N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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La semaine de J.A. Décryptage on évoque, dans le camp présidentiel, une possibletentativededéstabilisation,ourdie del’extérieur.«Savoirlechefdel’Étatoccupé sur la scène intérieure rassure certaines personnes », expliquait (avant la bataille d’Abidjan)unfamilier Ý PRÈS DE du palais de Kosyam, L’UNIVERSITÉ DE désignant impliciteOUAGADOUGOU, ment le voisin du sud. le 11 mars. Laurent Gbagbo et La contestation Blaise Compaoré se étudiante a repris le 31 dans soupçonnent régulièd’autres villes. rement de tentatives dedéstabilisation(lire pp. 40-41). Et, en la matière, le moindre détail est sujet à interprétations. La rumeur delamortdumairedeOuagadougouserait partied’unsited’informationivoirien.Sans compter que, parmi les mutins, on compte des « diaspos », ces Burkinabè rentrés au pays depuis la dégradation de la situation en Côte d’Ivoire.

AHMED OUOBA/AFP

Burkina Faso Désordre dans la troupe Confronté à un mouvement étudiant et à une fronde sans précédent d’éléments de son armée, le président Compaoré a ouvert le dialogue. Sera-t-il entendu ?

P

arler aux caméras n’est pas l’exercice préféré de Blaise Compaoré. Mais des mutineries sans précédent l’ont obligé à s’adresser à ses compatriotes, le 30 mars. Dans une brève allocution, le président a promis des « mesures vigoureuses » pour assurer la protection des civils et, depuis, enchaîne les rencontres avec tous les mécontents. Pointdedépartdestroubles:lacondamnation, le 22 mars, de cinq militaires par le tribunal de grande instance de Ouaga. Poursuivis pour coups et blessures sur un civil,ilsontécopédepeinesallantdedouze à quinze mois de prison. Mécontents, leurs frères d’armes sont sortis des casernes, mitraillant le palais de justice et pillant des commerces. Le lendemain, les condamnés étaient en liberté, au grand dam des magistrats, qui se sont mis en grève.

Depuis, le « contentieux » entre militaires et magistrats a pris un autre tour. Il s’est transformé en revendications corporatistes, qui s’étendent à d’autres casernes. À Fada N’Gourma – où des soldats ont libéré l’un d’entre eux, condamné pour le viol d’une adolescente –, Tenkodogo (Est),Gaoua(Sud-Ouest),Banfora(Ouest), tirs en l’air, pillages de commerces, saccage de bâtiments publics se succèdent. À Ouagadougou, les domiciles du général Dominique Djindjéré, le chef d’état-major des armées, de Yéro Boly et d’Auguste Denise Barry, les ministres de la Défense et de la Sécurité, ont été dévastés ou incendiés. Quand à Simon Compaoré, le maire de Ouagadougou, il a échappé au pire dans la nuit du 30 mars, après avoir été molesté par des soldats. Entre la rapidité de la contagion et le flou qui entoure les motivations de ces révoltés,

DEUX VITESSES. « Il est tellement facile

de se trouver un bouc émissaire, raille Bénéwendé Sankara, président de l’Union pour la renaissance. Cela évite de se remettre en cause. » « On peut manipuler une garnison, mais plusieurs en même temps ? s’interroge Philippe Ouédraogo, secrétaire général du Parti africain de l’indépendance. Le problème, c’est plutôt l’état de notre armée, à deux vitesses, avec des militaires frustrés par les avantages accordés à la garde présidentielle. » Une garde dirigée par Gilbert Diendéré, seul survivant, avec Blaise Compaoré, du quintette historique qui mena la révolution, aux côtés de Thomas Sankara, JeanBaptiste Lingani et Henri Zongo. Pour le gouvernement, la situation est « sous contrôle » et un couvre-feu a été instauré. Pourtant, les élèves qui avaient manifesté il y a un mois ont repris leurs actions violentes à Tenkodogo et à Banfora. Poussée de fièvre ou malaise plus profond ? ● MALIKA GROGA-BADA

À SUIVRE LA SEMAINE PROCHAINE

16 AVRIL Si, au Nigeria, Goodluck Jonathan reste en tête des sondages pour la présidentielle du 9 avril, la bataille s’annonce plus serrée pour son parti lors de l’élection des gouverneurs. N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

16-17

AVRIL Lors de son assemblée générale de printemps, le FMI se penchera sur la question du chômage des jeunes et celle de la croissance au MoyenOrient et au Maghreb.

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MARC ENGUERAND

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AVRIL Troisième anniversaire de la disparition du poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire. Un hommage de la nation lui sera rendu le 6 avril, au Panthéon. JEUNE AFRIQUE


Moins de consommation. Plus de plaisir.


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La semaine de J.A. Décryptage

Algérie Système nerveux

« au plus vite » le calendrier et le contenu des réformes. Une attitude qui désarçonne leurs partenaires nationalistes Un président qui promet des réformes, des partis qui multiplient (FLN d’Abdelaziz Belkhadem et RND les propositions… Et, pendant ce temps, les marches et les grèves d’Ahmed Ouyahia), opposés à l’idée d’une Constituante. « Y recourir signifierait que continuent. rien n’a été réalisé depuis 1963, affirme Miloud Chorfi, porte-parole du RND. Pas oujours pas de révolution à l’hoquestion de repartir de zéro. » lorsque le président Ahmed Ben Bella rizon? Peut-être, mais beaucoup Si la majorité de la classe politique avait dissous l’Assemblée mise en place de révoltes. « Chez nous, il n’y a reconnaît la nécessité d’un changeau lendemain de l’indépendance. pas de crise politique, mais des ment tout en souhaitant le maintien du crises sociales », a expliqué avec aplomb système en place, d’autres partis et des QUEL CALENDRIER ? Promesses de Ahmed Ouyahia, le 30 mars, lors d’une organisations de la société civile posent Bouteflika, réapparition d’Aït Ahmed émission de la télévision nationale. comme préalable à toute réforme la fin après une longue éclipse… Il n’en a pas C’était la première intervention publifallu davantage pour que la vie politique dudit système. Réunies au sein d’une que du Premier ministre depuis les émeus’emballe. Abdelhamid Mehri, ancien Coordination nationale pour le changetes qui ont éclaté, en janvier, dans une ment et la démocratie (CNCD) et pilotées secrétaire général du FLN à l’époque vingtaine des quarante-huit wilayas du par le Rassemblement pour la culture et du parti unique, adresse une lettre pays. Pas de crise politique ? Le propos ouverte au chef de l’État pour souligner la démocratie (RCD, de Saïd Sadi), ces semble léger quand on sait que le préforces peinent à mobiliser, sident Bouteflika a reconnu, le 19 mars, et les marches du samedi Aït Ahmed, Hanoune, Soltani… que toutes les réformes entreprises depuis ne drainent pas beaucoup Chacun avance « sa » solution plus d’une décennie « ne sauraient être de monde. fructueuses en l’absence de réformes Faut-il réformer dans pour une alternance démocratique. politiques ». le cadre du système ou se débarrasser de ce dernier ? L’Algérie se Le 22 mars, Hocine Aït Ahmed, 84 ans, le caractère urgent des réformes. Louisa opposant de toujours et chef du Front Hanoune, chef du Parti des travailleurs perd dans les débats de forme. Qu’en des forces socialistes (FFS), a proposé (PT, trotskiste), suggère à son tour une sera-t-il lorsque les questions de fond à ses compatriotes une feuille de route Constituante, ajoutant une touche perseront abordées ? Il faudra bien déterfacilitant une alternance démocratique sonnelle : la dissolution de l’actuelle miner la nature du régime (présidentiel pacifique : élection d’une Assemblée Assemblée populaire nationale (la ou parlementaire), clarifier le statut de constituante, formation d’un gouverneChambre basse du Parlement). l’armée dans le fonctionnement des insment d’union nationale pour gérer les L’agitationgagnelesislamistes.Pourtant titutions, limiter ou non le nombre des affaires courantes au cours d’une période membres de l’Alliance présidentielle, les mandats électifs… En attendant, secouée de transition. La Constituante est une Frères musulmans du Mouvement de la par une multitude de conflits sociaux et vieille revendication du FFS, qui avait société pour la paix (MSP, de Bouguerra d’émeutes, l’Algérie est entre marches Soltani) exigent de Bouteflika qu’il précise été jusqu’à prendre les armes, en 1963, ou grèves. ● CHERIF OUAZANI

T

LE DESSIN DE LA SEMAINE

Chappatte • Le Temps • Genève JAPON DU SOUCI POUR LES SUSHIS

LE 30 MARS, un taux de radioactivité 3 355 fois supérieur à la norme légale a été mesuré en mer, à 300 m au large de la centrale nucléaire de Fukushima. L’opérateurTepco et l’Agence de sûreté nucléaire nippone assurent que le risque de contamination des poissons n’est pas important. D’autres spécialistes redoutent, au contraire, un impact durable sur la vie marine. Quoi qu’il en soit, les pêcheurs de la région ne parviennent plus à écouler leurs prises. ● N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

JEUNE AFRIQUE


2011 : un nouveau monde se lève au Sud

172 pages -

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X DE JOURNAU D N A H C R A ,95! CHEZ VOTRE M

Cette deuxième édition du Bilan Géostratégie paraît au moment où l’histoire s’accélère, avec le réveil du monde arabe et la confirmation du statut de puissance de la Chine. De nouveaux équilibres voient le jour, les guerres se déplacent sur le terrain des nouvelles technologies, la course aux matières premières et aux ressources énergétiques s’intensifie. Ce Bilan fait également le tour des conflits anciens et nouveaux et présente, en fiches, les effectifs militaires et les armements de 150 pays.

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Réunion des Ministres des Finances de la Zone Franc

11 et 12 avril 2011 N’Djaména

Le Tchad, un pays en pleine mutation, tourné vers le développement

Investir au Tchad… Investir dans l’avenir…


ILS ONT DIT

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«

Les Palestiniens ne sont pas les Algériens de France, nous n’avons pas immigré en Israël. C’est Israël qui a émigré chez nous. » HANIN ZOABI Députée arabe israélienne

« Vu l’âge de mes prédécesseurs encore vivants, si je suis réélu, je serai de toute façon, à la fin de mon second mandat, le plus jeune ancien président. » NICOLAS SARKOZY Chef de l’État français (à propos de la présidentielle de 2012)

«

J’aimerais rappeler à mes amis brésiliens que le Mondial 2014, c’est demain. Si l’on compare avec l’Afrique du Sud à la même période, le Brésil n’est pas autant avancé. » JOSEPH « SEPP » BLATTER Président de la Fifa (inquiet au sujet de l’avancement des travaux pour la prochaine Coupe du monde)

« Si Kaddafi fait honneur aux traditions de son peuple et décide de combattre, comme il l’a promis, jusqu’à son dernier souffle aux côtés des Libyens, il noiera dans la boue de l’ignominie l’Otan et ses projets criminels. »

REUTERS/BALTEL/AHMAD GHARABLI/SIPA

FIDEL CASTRO Ancien président cubain

«

Aujourd’hui, seuls 3 % des Africains vivent en dehors de leur pays de naissance. L’Europe n’est pas menacée d’invasion. » PAP NDIAYE Historien français

N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Santé Pour vivre vieux, vivons stressés! NOUS POUVONS remercier les « Termites ». Grâce à ces 1 500 êtres humains dont le comportement et le mode de vie ont été étudiés dans les années 1921-1931 par un certain Pr Terman, de l’université Stanford (Californie), à qui ils doivent leur charmant surnom, nous savons qu’il est inutile de se la couler douce et de se lancer dans des régimes alimentaires alambiqués pour vivre vieux. Deux scientifiques américains, Howard S. Friedman et Leslie R. Martin, de l’université californienne Riverside, ont repris et élargi les travaux – sur les mêmes Termites – du professeur disparu. Conclusion de leur Longevity Project (paru chez Hudson Street Press) : les adeptes de la zénitude et du feng shui ont tout faux !

Pour faire de vieux os, l’on doit… travailler (énormément), quitte à être stressé (aucun problème), ne pas faire le pitre (les blagues, l’insouciance incitent à prendre plus de risques, ce qui n’est pas bon pour la santé). Les messieurs ont tout intérêt à se marier (une seule fois) s’ils veulent passer allègrement le cap des 70 ans, que seul un tiers des divorcés et/ ou des remariés atteignent. Quant aux femmes, elles peuvent au contraire divorcer ou vivre seules sans que cela ait d’impact sur leur longévité. Ah, un dernier conseil : l’altruisme, dont on nous rebat les oreilles, reste une « valeur essentielle » si l’on veut atteindre un âge canonique et – qui sait ? – aller au paradis. D’une pierre deux coups ! ● JOSÉPHINE DEDET

Jeux vidéo Ces « méchants » venus d’Afrique MAIS D’OÙ SONT ORIGINAIRES les gros vilains méchants de nos jeux vidéo ? C’est la question que s’est posée le site spécialisé Complex, qui a créé une carte du monde pour les répertorier. Étrangement, dans les vingt jeux de guerre sélectionnés, les ennemis ne sont jamais américains, anglais ou français. Pour leurs concepteurs anglo-saxons, l’ennemi vient forcément d’ailleurs. Mercenaires africains, mafias de l’ex-bloc soviétique ou guérillas d’Amérique latine… les développeurs sont à la recherche de méchants plausibles et s’inspirent des événements internationaux pour imaginer de nouveaux scénarios. À n’en pas douter, les récents conflits africains leur ont donné des idées. Dans Delta Force : Black Hawk Down, sorti en 2003, le joueur prend la place d’un soldat américain participant à l’opération Restore Hope en Somalie. L’année suivante, Delta Force Xtrem ordonne aux troupes d’éliminer des terroristes tchadiens. Scénario quasi similaire en 2008 dans Army of Two, où deux rangers américains sont contactés par une société de sécurité privée pour assassiner un seigneur de guerre africain. Quand tirera-t-on au bazooka sur les idées reçues ? ● PAULINE PELLISSIER JEUNE AFRIQUE


2011 : un nouveau monde se lève au Sud

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X DE JOURNAU D N A H C R A ,95! CHEZ VOTRE M

Cette deuxième édition du Bilan Géostratégie paraît au moment où l’histoire s’accélère, avec le réveil du monde arabe et la confirmation du statut de puissance de la Chine. De nouveaux équilibres voient le jour, les guerres se déplacent sur le terrain des nouvelles technologies, la course aux matières premières et aux ressources énergétiques s’intensifie. Ce Bilan fait également le tour des conflits anciens et nouveaux et présente, en fiches, les effectifs militaires et les armements de 150 pays.

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La semaine de J.A. Décryptage

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SONDAGE Les frappes aériennes contre les forces de Kaddafi sontelles justifiées ? 1. Oui, la résolution de l’ONU est légitime 44 % 2. Non, Kaddafi a le droit de réprimer la rébellion 21 % 3. Non, les frappes sont disproportionnées 35 % (1 054 votes*)

* SONDAGE RÉALISÉ AUPRÈS DES INTERNAUTES DE JEUNEAFRIQUE.COM, ENTRE LE 22 ET LE 31 MARS.

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Une majorité relative hostile aux frappes aériennes et une minorité significative favorable à Kaddafi. Vous avez du mal à digérer l’intervention occidentale… LA SEMAINE PROCHAINE :

Comment jugezvous le débat sur la laïcité et l’islam en France organisé par l’UMP ? À LIRE AUSSI : Mauvaise passe financière pour l’Union africaine ? N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

HICHEM

Retrouvez l’interview vidéo d’Arnold Ekpe, DG d’Ecobank: « Nous serons bientôt présent sur les principales places financières mondiales. »

ONS ABID

VINCENT FOURNIER/J.A.

JEUNEAFRIQUE.COM

FARHAT RAJHI, connu pour son indépendance à l’égard de l’ancien régime, est remplacé par Habib Essid (à dr.). Un changement qui fait des remous.

Tunisie Ça tangue à l’intérieur Limogé ou pas limogé ? Une chose est sûre : depuis son entrée en fonctions, en janvier, le ministre s’était fait beaucoup d’ennemis.

L

e départ du ministre de l’Intérieur le plus populaire que la Tunisie ait jamais eu, mais aussi le plus haï chez les partisans de l’exprésident Ben Ali, ne pouvait manquer de susciter une crise politique. Farhat Rajhi, magistrat indépendant nommé à ce poste au lendemain de la révolution, en a été évincé le 28 mars par Béji Caïd Essebsi, le Premier ministre par intérim, qui nie qu’il y ait eu limogeage et l’a nommé à la tête du Haut Comité pour les droits de l’homme, considéré comme une voie de garage. « POULE MOUILLÉE ». Pourtant, ce

départ y ressemble fort. Depuis sa nomination, le 27 janvier, Rajhi s’est fait des ennemis pour avoir ordonné le gel des activités du parti de Ben Ali et obtenu de la justice qu’elle prononce sa dissolution. Il est devenu un paria au sein même de son ministère depuis qu’il a écarté une trentaine de directeurs désignés par l’ancien régime et décidé de dissoudre la police politique. Le 31 janvier, il avait été violemment pris à partie par des partisans de l’ex-président Ben Ali dans son propre ministère (voir J.A. no 2614), et ses détracteurs le décrivent comme une « poule mouillée ». Plusieurs incidents survenus la semaine précédente ont contribué à précipiter son départ. Des manifestants avaient

jeté des pierres contre des fonctionnaires du Premier ministère, et contre Essebsi en personne, très susceptible à toute atteinte au « prestige de l’État ». Un autre jour, des pierres avaient aussi été lancées lors du passage d’un convoi d’ambassadeurs invités à Tozeur. Mais, selon nos informations, l’incident qui a porté un coup fatal à Rajhi est un tract calomnieux dont les auteurs anonymes seraient d’anciens proches de Ben Ali. TOLLÉ. Le choix du successeur de Rajhi,

Habib Essid, conseiller au Premier ministère depuis février, a provoqué un tollé au sein de la Commission pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique. Plus de la moitié de ses membres rappellent qu’en l’absence de Constitution depuis le 15 mars, le pouvoir intérimaire s’était engagé à consulter l’instance avant de prendre ses décisions. Ils émettent en outre des réserves au sujet d’Essid, qui, entre 1997 et 2001, a été le chef de cabinet de deux ministres de l’Intérieur, dont Abdallah Kallel, un bénaliste pur et dur. Essebsi rétorque que, tant qu’il sera chef du gouvernement, il ne partagera pas ses prérogatives. Et promet de s’expliquer… mais après coup. Le bras de fer paraît engagé. ● ABDELAZIZ BARROUHI, à Tunis JEUNE AFRIQUE


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La semaine de J.A. Décryptage

Comores-France Une île bleu-blanc-rouge

illégale selon le droit international », précise Fahmi Saïd Ibrahim, le ministre comorien des Relations extérieures. Plusieurs fois condamnée par les Nations unies entre 1975 et 1995, la France rétorque Mayotte est devenue, le 31 mars, le 101e département français. que ce sont les Mahorais qui ont choisi de rester français. Pendant que ses habitants font plutôt la fête, à Moroni, on fait En 2008, les présidents Sarkozy et Sambi carrément la tête. avaient tenté d’en finir avec ce dialogue de sourds en mettant sur pied un groupe de travail. « Les discussions ont bloqué sur la l’archipel, avec lesquelles elle partage e conseil général de Mayotte question de la libre circulation », explique avait tout prévu pour « ce jour de l’histoire, la langue et la religion. Quelques jours plus tôt à Moroni, ce fête ». À l’entrée de l’hémicycle, à undiplomatefrançais.LesComoresrevenMamoudzou, cent une femmes n’était pas de la joie mais de la colère diquent en effet la fin du visa entre Mayotte vêtuesdebleu-blanc-rougedevaientacclaet les autres îles. Inacceptable pour la que l’on percevait chez les participants mer les nouveaux conseillers généraux France, qui a érigé la lutte contre l’immià la « journée de solidarité contre la pendant qu’un même nombre d’enfants gration clandestine en règle à Mayotte, départementalisation », parmi lesquels entonneraient La Marseillaise. Dans les où près d’un tiers des 200 000 habitants Ahmed Abdallah Sambi, le président sorrues, des drapeaux tricolores flottaient seraient en situation irrégulière. Ces cinq tant, Ikililou Dhoinine, son successeur, et en attendant l’arrivée de Marie-Luce une demi-douzaine d’ambassadeurs. Ce dernières années, plus de 80 000 personPenchard, la ministre française chargée nes ont été reconduites à la de l’Outre-Mer. frontière. « C’est la consécration du combat Incapables de trouver une majorité La tension est montée de nos parents », se réjouit le solide, les élus ont quelque peu gâché d’un cran le 18 mars, lorsque la fête. La cérémonie a été reportée et les autorités comoriennes député Abdoulatifou Aly. la ministre a repoussé sa venue. Mais ont adopté un décret qui l’essentiel est là : le 31 mars, Mayotte est 26 mars, d’autres drapeaux – jaune, blanc, stipule que, dorénavant, toute personne officiellement devenue le 101e départerouge et bleu, les couleurs des quatre expulsée de Mayotte vers les autres îles ment français. « Cela faisait plus de cinîles – étaient de sortie. doit posséder une pièce d’identité sous quante ans qu’on attendait ça, rappelle peined’êtreretournéeàl’envoyeur.Depuis, ILLÉGAL. Depuis leur indépendance, en Abdoulatifou Aly, le député de l’île. C’est la les reconduites à la frontière ont cessé. 1975, les Comores, soutenues par l’ONU, consécration du combat de nos parents. » En représailles, la France a suspendu la La consécration, aussi, de l’attachement l’Union Africaine et la Ligue arabe, n’ont délivrance de tous types de visas pour les de cette île de 372 km2 à la France et de jamais reconnu la présence française à Comoriens, ce qui a provoqué une crise sa séparation avec les trois autres îles de Mayotte. « La départementalisation est diplomatique. ● RÉMI CARAYOL

L

Mécénat Maldonne au Malawi AVEC SA FONDATION RAISING MALAWI, Madonna lançait en grande pompe, en octobre 2009, un projet d’école pour filles dans la capitale, Lilongwe. Devant les médias du monde entier, la reine de la pop avait fièrement découpé un gâteau, planté un arbre et donné les premiers coups de bêche au côté de sa fille aînée, Lourdes. Un investissement de 15 milliards de dollars (10,5 milliards d’euros) pour un établissement qui devait accueillir cinq cents jeunes filles, destinées à devenir les futures dirigeantes du pays. Un an et demi plus tard, rien n’est sorti de terre et 3,8 millions de dollars se sont mystérieusement volatilisés. L’ancien directeur du projet, petit ami de Tracy Anderson, une ex-coach de la star, est au centre des accusations. Un audit interne fait état de « dépenses extravagantes » (salaires, achats de maisons et de voitures, et même une adhésion à un club de golf). À cela s’ajoutent, selon la presse américaine, des relations financières opaques entre la kabbale et la fondation. Le mouvement ésotérique cher à Madonna comptait en effet sur les établissements de Raising Malawi pour diffuser ses programmes. Le projet d’école est pour le moment enterré, mais la chanteuse américaine s’est dite déterminée à poursuivre son action N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

MIKE HUTCHINGS/REUTERS

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MADONNA ET MERCY JAMES, l’un des deux enfants que la star a adoptés au Malawi (ici le 6 avril 2010, à Lilongwe).

au Malawi, où elle a adopté deux enfants en 2006 et 2009, et où 67 % des filles n’ont pas accès à l’éducation secondaire. Alors que la « madone » souhaitait former des executive women, son sens du management lui a fait cruellement défaut. ● PAULINE PELLISSIER JEUNE AFRIQUE



La semaine de J.A. Les gens

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Modibo Sidibé Le silence est d’or Fidèle à sa réputation, le Premier ministre malien sortant entretient le mystère sur ses véritables intentions.

le secrétaire général de la présidence. Avant de le nommer Premier ministre en septembre 2007, au lendemain de sa réélection. Konaré et ATT apprécient l’homme pour sa discrétion, sa loyauté et son sens de l’organisation. Sidibé sait tout, mais ne pipe pas. Au risque de paraître distant et froid. Un peu « techno », ce que ses ennemis ne manquent pas de relever, tout en l’accusant de manœuvrer pour les écarter des faveurs présidentielles. BON TIMING. Bénéficier du soutien du

SIA KAMBOU/AFP

Ý Il a reçu une LETTRE PLEINE D’ÉLOGES du président ATT.

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our ceux qui le connaissent, cela ne fait aucun doute : Modibo Sidibé, 58 ans, veut se positionner pour la présidentielle de 2012. « Quand on passe vingt ans aux plus hautes fonctions de l’État, on pense forcément à la magistrature suprême », note un ex-ministre du président Amadou Toumani Touré (ATT). Le 30 mars, ce dernier a soudain mis fin aux fonctions de celui qui a été son Premier ministre pendant plus de trois ans… tout en saluant ses mérites dans une lettre pleine d’éloges. Démission ou limogeage? La question n’est pas anodine. Comme toujours, ATT cache bien son jeu. Mais alors que la perte d’un tel poste est généralement vécue comme un échec, l’intéressé ne paraît pas très affecté par son « éviction ». Quelques heures après

l’annonce d’ATT, il recevait Sidi Sosso Diarra, le Vérificateur général sortant, venu lui présenter son rapport. Ils se tapent dans le dos, constatent qu’ils sont « tous les deux virés ». Puis éclatent de rire. À treize mois de la présidentielle, la nouvelle liberté de Sidibé pourrait avoir le goût de l’ascension finale. Pendant la transition de 1991-1992, qui accouchera de la IIIe République, ce général de police, docteur ès sciences pénales et criminologie, est déjà le directeur de cabinet du général-putschiste ATT, avant que celui-ci ne remette le pouvoir aux civils. Puis, sous la présidence d’Alpha Oumar Konaré (1992-2002), il est successivement ministre de la Santé puis des Affaires étrangères. Quand ATT se fait élire pour la première fois en 2002, c’est tout naturellement qu’il se tourne vers Sidibé pour en faire

chef de l’État sortant pour la présidentielle sera-t-il suffisant ? « S’il en a l’ambition, succéder à ATT n’est pas une mince affaire, car ce dernier s’est fait élire comme indépendant », souligne son ex-conseiller en communication à la primature, Cheickna Hamalla Diarra. Qui note cependant que le timing du départ de son ancien patron est bon : « Un an n’est pas de trop pour se positionner, faire part de ses ambitions pour le pays et passer des alliances. » Si les amis de Sidibé sont rares, ses réseaux familiaux sont actifs. Son père, lecapitaineSidibé,étaitunofficierrespecté de l’armée coloniale dont le célèbre comédien Habib Dembélé a dit un jour que « sa maison était une pépinière de ministres ». De fait, ils sont nombreux dans la famille à avoir goûté à la politique. Les plus connus sont la sœur de Sidibé, Oumou Louise, et surtout son frère, feu Mandé Sidibé, Premier ministre de Konaré et l’un des leaders de l’Alliance démocratique pour le Mali (Adema). Sidibéseprésentera-t-ilenindépendant, comme ATT ? « Il vaut mieux pour lui, répond Dioncounda Traoré, président de l’Adema et de l’Assemblée. N’étant pas membre du parti, il ne peut être notre candidat. » Mais des associations de soutien à Sidibé ont publié dans la presse le fac-similé de sa carte d’adhérent (no 95) à l’Adema. Sidibé, lui, n’a jamais démenti. Un silence qu’il devrait bientôt rompre. « D’ici à un mois tout au plus », prédit l’un de ses proches. ● PIERRE-FRANÇOIS NAUDÉ, avec ADAM THIAM à Bamako

NOMINATIONS

de Bamako a été nommé, le 30 mars, Vérificateur général du Mali.

CLAUDY SIAR ÉGALITÉ DES CHANCES Le patron d’origine guadeloupéenne de Tropiques FM, et

animateur-producteur de l’émission Africastar, a été promu, le 29 mars, délégué interministériel à l’Égalité des chances des Français d’outre-mer. RFI

AMADOU OUSMANE TOURÉ « MONSIEUR PROPRE » Actuel ambassadeur à Abidjan, l’ex-procureur général près la cour d’appel N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

JEUNE AFRIQUE


EN HAUSSE

LOVEMORE MOYO

États-Unis Soft Power

Ce membre du MDC de Morgan Tsvangirai a été réélu président du Parlement zimbabwéen le 29 mars. En poste depuis 2008, il avait été démis début mars par la Cour suprême, acquise à Robert Mugabe.

Pasionaria des droits de l’homme, elle conseille Barack Obama sur certains dossiers de politique étrangère, en particulier sur la Libye.

ZAHI HAWASS

D

PETER KODWO TURKSON Président du Conseil pontifical Justice et Paix, le cardinal ghanéen a été nommé, le 30 mars, émissaire du pape Benoît XVI en Côte d’Ivoire pour encourager « la réconciliation et la paix ».

les clichés ont la vie dure, on la jurerait irlandaise : eh bien elle l’est ! De Dublin. Ses parents ont émigré aux États-Unis en 1979. Dans le système scolaire américain, elle a plutôt réussi, puisqu’elle est diplômée à la fois de Yale et de Harvard. Une grosse tête abonnée aux notes de synthèse et rapports d’analyse épais comme des Big Mac ? Certainement pas : entre 1993 et 1996, elle a été reporter de guerre dans les Balkans. Un ancien collègue, cité par l’International Herald Tribune, dit d’elle que c’était alors « une fille avec des cheveux de feu, des taches de rousseur et des tripes ». Courageuse, sans doute, talentueuse aussi. En 2003, elle remporte le prix Pulitzer avec A Problem from Hell, où elle analyse les différents génocides du XXe siècle et les raisons pour lesquelles la communauté internationale a généralement échoué à les empêcher. C’est d’ailleurs après avoir découvert son travail, en 2005, qu’Obama l’approche. Ils déjeunent ensemble pendant quatre heures. Conquise, elle accepte de travailler pour lui. Leur collaboration aurait pu cesser quand, lors des primaires démocrates de 2008, elle lâche imprudemment à un journaliste que Hillary Rodham Clinton est « un monstre ». Contrainte à la démission, elle retrouvera l’équipe d’Obama en janvier 2009. Et fera la paix avec la secrétaire d’État. Côté glamour, elle a posé en robe de soirée pour Men’s Vogue et joué au basket avec George Clooney. Samantha Power, un nom qui ne s’oublie pas. ● NICOLAS MICHEL

Ý SAMANTHA POWER, membre du Conseil de sécurité nationale.

EN BAISSE

DIEUDONNÉ Lors d’une conférence de presse àTripoli au côté du porte-parole du gouvernement libyen, l’humoriste franco-camerounais a accusé les reporters d’être les « armes » de l’Occident, lançant à leur adresse « vos stylos sont des tanks ». SARAH PALIN En visite en Israël, l’égérie des néoconservateurs américains a fait demi-tour devant le dernier barrage avant Bethléem. Cette fervente croyante ignorait que la ville qui a vu naître Jésus se trouve en Palestine occupée. JE JEAN-CLAUDE MAKAYA LOEMBA MA L’évêque de Pointe-Noire a été L’ relevé de ses fonctions par re le pape Benoît XVI, le 31 mars. Motif: Mo de « graves problèmes dans da la gestion financière » et de « fortes tensions » dans da le diocèse. N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

DR - CHRIS KEANE - BENOIT TESSIER

CHIP SOMODEVILLA/POOL/SIPA PRESS

COURAGEUSE. Samantha Power a tout juste 40 ans. Comme

REUTERS - REUTERS - PHILIMON BULAWAYO

L’archéologue égyptien a été rétabli dans ses fonctions de ministre des Antiquités le 30 mars. Il avait « démissionné » du gouvernement le 9 mars, peu de temps après avoir été promu ministre d’État par Moubarak.

es cheveux roux, des yeux verts, un visage tout en angles et couvert d’éphélides: Samantha Power est une pasionaria des droits de l’homme. Membre du Conseil de sécurité nationale, elle conseille directement Barack Obama sur certains aspects de politique étrangère. En particulier sur la question libyenne. Comme le président, elle était autrefois opposée à l’intervention américaine en Irak. Elle a néanmoins soutenu la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne en Libye, avec l’objectif d’éviter un bain de sang. C’est elle, aussi, qui est derrière la promulgation d’une loi visant à désarmer l’Armée de résistance du Seigneur, de Joseph Kony, responsable de nombreux massacres en Ouganda.

JEUNE AFRIQUE

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Grand angle

Ces francs-maçons qui vous

gouvernent

Héritage de la colonisation, la franc-maçonnerie a essaimé en Afrique. Parfois accusée de tous les complots par des pouvoirs qui s’en méfient, souvent courtisée par des chefs d’État qui rêvent d’en être, elle fascine autant qu’elle intrigue. Entre secrets et fantasmes, Jeune Afrique a mené l’enquête sur l’influence réelle des « frères » sur le continent.

FRANÇOIS SOUDAN

E

ntre mythe et réalité, la franc-maçonnerie a toujours fasciné les Africains, particulièrement au sud du Sahara, là où l’initiation, la cooptation et les rites de passage sont à la base de la vie communautaire. Née en Angleterre au XVIIIe siècle et importée en Afrique francophone dans les cantines des administrateurs coloniaux, la fraternité des « fils de la lumière » fut longtemps au cœur même de ce qu’on appelait la Françafrique. De gauche comme de droite, beaucoup des responsables de la politique africaine de la France étaient francsmaçons. De Blaise Diagne au début des années 1920 jusqu’à Omar Bongo Ondimba – qui fut le plus célèbre des initiés africains –, nombre de personnalités du continent aussi. Entre les uns et les autres s’est N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

tissé un entrelacs complexe de dépendance mutuelle où l’on distinguemalcequirelèvedulobbying, de l’assurance tous risques ou de la spiritualité pure.

La fraternité des « fils de la lumière » fut longtemps au cœur de la Françafrique. Cette relative opacité sur fond de rivalités inter-loges (Grand Orient versus Grande Loge nationale française) tout comme l’étonnant apparat symbolique qui nimbe la science des « frères trois points » ont suscité nombredefantasmessorciersallant jusqu’à cette peur du « complot maçonnique » qui hantait Félix Houphouët-Boigny au début des années 1960. Et il est vrai que dans le Gabon d’Omar Bongo Ondimba, tout comme dans la Côte d’Ivoire

d’Henri Konan Bédié, il était difficile d’être quelqu’un sans « en être » : à Libreville comme à Abidjan, la franc-maçonnerie était à la fois le totem indispensable et le tabou absolu. Qu’en est-il aujourd’hui, à l’heure d’internet, du dépérissement des réseaux incestueux et de l’obligation de transparence ? Si l’on en juge par les réactions que suscitent en France les enquêtes que publient des magazines qui en ont fait un quasi-« marronnier », le sujet est toujours aussi sulfureux – à tort plus qu’à raison sans doute. Sur le continent, comme on le lira, l’heure est moins que jamais à l’« outing », cet exhibitionnisme de Blancs. Et la fraternité des tabliers, gants blancs, équerres et autres colonnes du temple est plus que jamais une affaire qui marche… ● JEUNE AFRIQUE


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HAMILTON/REA

Ý LE COMPAS ET L’ÉQUERRE, outils fondamentaux des maçons, représentent l’un l’esprit, l’autre la matière.

JEUNE AFRIQUE

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Grand angle

Les maîtres de l’Afrique Des chefs d’État aux grands patrons, les loges rassemblent sous les signes du compas et de l’équerre une bonne partie de l’élite francophone. Revue de détail des « initiés » qui s’assument… et des autres.

THÉOPHILE KOUAMOUO

L

es journalistes ne sont pas les bienvenus aux 19es Rencontreshumanistes et fraternelles africaines et malgaches (Rehfram), qui réunissaient à Cotonou, en ce début de mois de février, les francs-maçons de tendance libérale des pays francophones du continent. Le site internet officiel de l’événement, totalement fermé au grand public, n’est accessible qu’à l’aide d’un code, en forme de réponse à une étrange « colle » : à quelle heure ouvre-t-on les travaux en loge ? Il faut oser s’inviter, l’air de rien, au Palais des congrès de Cotonou, où se tient ce séminaire d’un genre particulier. Ne pas retourner sur ses pas parce que nulle banderole ne signale l’événement. Admettre, au besoin, de se faire refouler un peu rudement, comme cela a été le cas pour notre photographe. Surtout, il est absolument nécessaire de se faire tenir par la main par des « frères » bienveillants, dont la recommandation ne sera pas de trop. S’il est difficile de savoir où ont lieu les « tenues blanches » programmées durant ces quelques jours, on peut toujours obtenir des entretiens à bâtons rompus, la nuit tombée, dans les nombreux hôtels où se

sont éparpillés « grands maîtres », « vénérables » et « apprentis »… DISCRÉTION. Les visites officielles

duCongolaisDenisSassouNguesso et du Togolais Faure Gnassingbé durant ces journées relèvent-elles du hasard, quand on sait que le premier s’est, dans la foulée, rendu dans le pays du second pour tenter d’y réconcilier les « frères » de la Grande Loge nationale du Togo (GLNT, obédience « régulière »), passablement divisés ? Le légendaire sens de la discrétion des francs-maçons a-t-il eu raison de la curiosité des médias béninois ? En tout cas, le silence autour des dernières Rehfram contraste étonnamment avec le bruit et la fureur qui s’étaient emparés du Palais de la Marina, il y a quelques mois, à la suite de la publication dans un hebdomadaire français d’un article affirmant que Boni Yayi était un « fils de la lumière ». Furieux, le chef de l’État béninois – qui aurait été initié à Brazzaville, selon une source très bien renseignée – a multiplié les démentis et les coups de fil courroucés. Et pour cause : membre de l’une des nombreuses – et puissantes – Églises évangéliques du pays, il risquait de perdre

Organisation regroupant plusieurs loges. Les obédiences « régulières » (Grande Loge nationale de France) exigent la croyance en un être suprême et interdisent toute discussion politique ou religieuse en loge. Les « libérales » (Grand Orient de France) rejettent ces principes et reconnaissent la légitimité des loges féminines ou mixtes.

le précieux soutien des « frères en Christ »… Au Gabon, pas de polémique, mais un énorme buzz. Les extraits vidéo diffusés sur internet de la cérémonie d’intronisation d’Ali Bongo Ondimba (lire p. 38), qui a succédé à son père, Omar, comme grande maître de la Grande Loge du Gabon, après avoir réussi à prendre sa suite à la tête du pays, ont été vus plus d’un million de fois et abondamment commentés dans la blogosphère et sur les réseaux sociaux. En Afrique subsaharienne francophone, terre de mystères et d’initiation, la franc-maçonnerie fascine, intrigue, inquiète, irrite. Au-delà des fantasmes, quelle est son influence réelle ? Cette question en appelle une autre : qui donc, parmi nos princes et notables, manie l’équerre et le compas, symboles maçonniques par excellence ? BONGO, SASSOU, DÉBY… Un tel

exercice de name dropping est par nature périlleux. Le « secret de l’appartenance » est souvent opposé aux journalistes trop curieux. Peu nombreux sont en effet les francsmaçons africains qui assument leur adhésion. Omar Bongo Ondimba a incarné pendant une bonne partie de sa vie une certaine idée – minoritaire – de la maçonnerie africaine décomplexée. Allant jusqu’à se signaler par un prosélytisme assez efficace dans son pays et à l’étranger. Le défunt président gabonais, dont le prédécesseur, Léon Mba, était lui-même initié, aurait été déterminant dans la « conversion » de son homologue et beau-père, Denis Sassou Nguesso.

FAIRE SON « COMING OUT » OU NON « UNE FOIS, J’AI REGARDÉ avec ma mère et ma sœur un documentaire sur les francs-maçons. Quand j’ai entendu leurs commentaires, j’étais glacé », confie un jeune cadre malien initié au Grand Orient, catastrophé à l’idée que sa famille puisse découvrir son secret. La question du « coming out » des francs-maçons est délicate. Au-delà de la crainte des jugements définitifs et de la mise en N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

quarantaine sociale, certains rappellent les persécutions dont les francs-maçons ont été victimes dans nombre de pays africains. En Guinée, SékouTouré évoque, en 1961, une conjuration dans laquelle seraient impliquées « des cellules maçonniques ». En Côte d’Ivoire, les « frères » Jean Konan Banny, Jean-Baptiste Mockey, Kacou Aoulou et AmadouThiam sont arrêtés dans

le cadre du « complot du chat noir » en 1963. L’année suivante, c’est Ernest Boka qui est « suicidé ». Certaines obédiences brûlent en tout cas de sortir du bois. Grand maître de la Grande Loge unie du Cameroun, Denis Bouallo a organisé, le 25 mars, une conférence publique « dans le but de [se] faire connaître, d’être attractifs, visibles et lisibles ». ● T.K. JEUNE AFRIQUE


Ces francs-maçons qui vous gouvernent

ERIC FEFERBERG/AFP

PHOTOS : VINCENT FOURNIER/J.A.

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« FRÈRES » CHEFS D’ÉTAT. Le président gabonais Ali Bongo Ondimba est un franc-maçon revendiqué, tout comme feu son père, initiateur présumé du Congolais Denis Sassou Nguesso ; à son tour, ce dernier a lui-même accueilli le Centrafricain François Bozizé. Le Togolais Faure Gnassingbé est régulièrement présenté comme un « fils de la lumière », ce qu’il n’a jamais démenti.

Depuis, le numéro un congolais, qui a érigé un somptueux mausolée en hommage à l’explorateur colonial et « frère » Pierre Savorgnan de Brazza, s’est chargé de l’initiation du Centrafricain François Bozizé. Dans une Afrique centrale décidément bien « maçonnée », le président tchadien Idriss Déby Itno est lui aussi « passé sous le bandeau », selondenombreuxarticlesdepresse jamais démentis. Joseph Kabila s’est un moment intéressé de près à la franc-maçonnerie, à laquelle appartiennent plusieurs membres de son « gouvernement parallèle ». Mais, selon plusieurs sources, il n’aurait pas donné suite. Faure Gnassingbé est présenté par de nombreux sites internet de son pays comme un « fils de la lumière », tout comme son aîné Ernest Gnassingbé, décédé en 2009. AbdoulayeWadeconfessequ’ilaété initié, mais précise très vite qu’il a pris ses distances avec les loges, une dénégation qui fait sourire certains « frères ». Le tout nouveau président guinéen Alpha Condé ferait partie du club, au même titre que le chef de l’État malien Amadou Toumani Touré(ilauraitétéinitiéaudébutdes années 1990) et que le président élu de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara. La plupart des chefs d’État africains francs-maçons sont d’obédience « régulière » et rattachés à la Grande Loge nationale de France (GLNF). De son côté, Laurent Gbagbo passe tantôt pour un profane, tantôt pour un«franc-maçonsanstablier»,procheduGrandOrientdeFrance(obédience«libérale»).BlaiseCompaoré a quant à lui été le grand maître de la Grande Loge du Burkina Faso, JEUNE AFRIQUE

avant de passer le maillet à Djibril Bassolé, à l’époque ministre de la Sécurité (actuellement médiateur conjoint ONU-Union africaine pour le Darfour).

Réunion rituelle d’une loge. Les tenues « blanches » sont ouvertes aux profanes. Lieu où se déroulent les « tenues », en référence au temple mythique de Salomon décrit dans la Bible.

FRILOSITÉS. Au-delà des chefs d’État, de nombreuses figures politiques, intellectuelles et du monde des affaires assument leur appartenancemaçonniqueoulaissentdire… Directeur du protocole d’État sous les présidents Houphouët-Boigny, Bédié, Gueï et – pour quelques mois – Gbagbo, l’Ivoirien Georges Ouegnin en est. Tout comme le ministre de l’Intérieur d’Alassane Ouattara, Hamed Bakayoko. Et le président du Conseil d’administration de la Société ivoirienne de raffinage, Laurent Ottro Zirignon, oncle de Laurent Gbagbo. Au Cameroun, le ministre Grégoire Owona et l’ancien ministre Pierre Moukoko Mbonjo sont des « fils de la lumière ». Le nom d’Olivier Behlé, patron des patrons, revient lui aussi régulièrement. Décédé en juin 2010, l’écrivain Léopold Ferdinand Oyono, qui

passait pour le « meilleur ami » du président Paul Biya, était un vieil initié du Grand Orient de France. Au Gabon, le chef de la diplomatie Paul Toungui et l’opposant André Mba Obame sont des « frères » du « grand maître Ali ». Le contreamiral congolais Jean-Dominique Okemba,patronduConseilnational de sécurité et bras droit de Denis Sassou Nguesso, aussi. Au Bénin, Adrien Houngbédji, qui s’était « mis en sommeil », fréquente de nouveau les loges avec assiduité, loin des frilosités de son rival Boni Yayi, qui ne serait même plus « chaud » pour accorder une audience aux dignitaires maçons. Le président de la Cour constitutionnelle et avocat réputé Robert Dossou ne fait pas un secret de son appartenance. Tout comme l’écrivain emblématique Olympe BhêlyQuenum. Au Togo, deux anciens Premiers ministres, Edem Kodjo et Agbéyomé Kodjo, sont considérés comme des « frères ». Dans les pays sahéliens, on assume rarement. Mais certains noms filtrent. Ainsi de celui de ● ● ●

LES FEMMES AUSSI… PRÉSENTES MAIS DISCRÈTES. Au sein d’une « école philosophique » considérée comme traditionnellement machiste et sur un continent où la « question du genre » fait difficilement son chemin, les « porteuses de tablier » africaines s’efforcent d’exister en dehors des obédiences « régulières », qui n’admettent pas de femmes en leur sein. Les « maçonnes » se retrouvent donc dans celles où la mixité est admise – comme celle du Droit humain –, mais aussi dans les différentes loges créées par la Grande Loge féminine de France (GLFF), qui a ouvert des ateliers dans sept pays du continent. Madagascar dispose même d’une obédience nationale spécifiquement féminine, le Grand Rite malgache féminin. Comme leurs « sœurs » de France, les « maçonnes » africaines se distinguent par leur engagement fort sur certaines thématiques, comme la défense de la laïcité et la promotion des droits des femmes, notamment du droit à l’avortement. ● T.K. N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011


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Grand angle CONFIDENCES DE… | Emmanuel Holl

« Certains d’entre nous redoutent la persécution » Ð Dignitaire du Grand Orient de France, il est spécialiste des questions africaines. Ð Pour lui, la franc-maçonnerie est injustement stigmatisée.

E

MMANUEL HOLL est leVénérable Maître de la loge Helios Le Temple de l’Homme 7 7 7. Dépendant du Grand Orient de France (GODF), cette loge compte en majorité des membres africains et planche de manière centrale sur les enjeux du continent.

JEUNE AFRIQUE: Les francs-maçons africains sont assimilés à des chefs d’État dont les pratiques ne sont pas toujours honorables. Donc aux pouvoirs établis et à leurs dérives. Procès injustifié ? EMMANUEL HOLL : Je ne me permettrais pas de les juger, mais au vu de ce qu’on lit dans la presse, on est tenté de croire que certains chefs d’État africains francs-maçons ont des pratiques qui ne sont pas conformes aux principes maçonniques. Parfois, nous nous demandons si le fait d’être au pouvoir ne crée pas un certain éloignement empêchant les personnes de prendre du recul, notamment dans le cadre du travail en loge. Votre loge, à Paris, planche essentiellement sur les questions africaines. Avez-vous en France et en Afrique une écoute particulière des milieux politiques et institutionnels ? Nous menons un travail de réflexion. Nos conclusions et celles d’autres groupes ou fraternités travaillant sur l’Afrique sont synthétisées lors de rencontres franc-maçonniques, dans des documents qui sont transmis aux autorités. Dès lors, il revient aux personnes qui sont au pouvoir de s’en inspirer. Mais nous n’imposons rien. En général, quand on parle de la franc-maçonnerie, on évoque les scandales… N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

● ● ● Ndioro Ndiaye, qui a été ministre de la Santé au Sénégal et numéro deux de l’Organisation internationale des migrations. Au Niger, l’exPremierministreHamaAmadouest un « frère », comme l’a été l’ancien président (assassiné) Ibrahim Baré Maïnassara. Le nouveau président, Mahamadou Issoufou, serait entré à la GLNF en 2009.

DOUBLE DISCOURS. Les francs-

Les affaires que vous évoquez entachent notre réputation. Mais il ne faut pas oublier nos engagements : l’école laïque, l’abolition de la peine de mort, la défense du droit à l’avortement et la laïcité. En Afrique, le Grand Orient s’implique au travers de sa fondation dans la construction d’écoles – notamment une école d’ingénieurs au Cameroun, l’Esiac – et d’orphelinats. Une ONG dénommée Hiram [Humanisme et initiatives des rencontres africaines et malgaches, NDLR] a ainsi été créée en 2010. L’Église catholique, les congrégations protestantes et les musulmans jugent durement la franc-maçonnerie, considérée comme incompatible avec leur foi… C’est un mauvais procès fait à la francmaçonnerie. Le Grand Orient, par exemple, est une obédience adogmatique, où l’on est libre de croire ou de ne pas croire. Au sein de nos ateliers, on retrouve des catholiques, des protestants, des athées, des animistes, des juifs… S’agissant notamment des protestants, si l’on fait abstraction des dérives de ces dernières années, avec les Églises de réveil qui stigmatisent un peu trop la maçonnerie, on constate par exemple que, dans un pays très protestant comme la Suisse, nos frères sont très actifs. Beaucoup de francs-maçons africains rechignent à témoigner à visage découvert. Comment l’expliquez-vous ? Celui qui veut se découvrir se découvre. Certains d’entre nous se sentent en danger ou redoutent la persécution. Il y a des personnes qui ont été licenciées de leur travail parce que leur patron a appris leur appartenance… Personnellement, je n’ai pas peur. J’assume mes choix. ● Propos recueillis par T.K.

maçons sont-ils les grands maîtres de la scène politique continentale, tirant dans l’ombre les ficelles et mettant en œuvre des « agendas secrets » ? Les intéressés développent volontiers un double discours à ce sujet. Après une longue discussion à bâtons rompus sur les subtilités du travail dans les loges, un initié s’amuse à faire de l’esprit. «J’imaginequevousêtesdéçu.Vous vous attendiez peut-être au récit de rencontres avec des chefs d’État et des députés. Malheureusement, c’est bien plus banal que ça ! » Dans la grande cour du Palais des congrès de Cotonou, où se déroulent les Rehfram, un « frère » montre les grappes de séminaristes qui observent une pause méritée après une demi-journée de travaux sur le thème « Cinquante ans d’indépendance ! Debout et à l’ordre mes frères et sœurs ». Parmi eux, nulle vedette de la politique ou du gotha des institutions internationales. « Vous voyez, la maçonnerie, la vraie, c’est ça », affirme-t-il, évoquant des hommes et des femmes de bonne volonté, faisant partie de la classe moyenne pour la plupart (avocats, médecins, entrepreneurs), et impliqués dans des actions de bienfaisancecommelaconstruction d’écoles ou d’orphelinats. « Le fantasme de la franc-maçonnerie hyperinfluente suscite beaucoup de défections chez nous. Trois ans après leur initiation, certains jeunes constatent qu’ils ne sont ni ministres, ni directeurs généraux, ni conseillers de Paul Biya… et ils s’en vont », raconte un initié camerounais. Qui poursuit : « Ce ne sont ni la franc-maçonnerie ni la Rose-Croixquistructurentlechamp politique camerounais. C’est avant tout le fait ethnique. Un nouveau JEUNE AFRIQUE


Ces francs-maçons qui vous gouvernent HAMILTON/REA

gouvernement ne peut raisonnablementpassortirsilesBamilékés, les Bétis ou les Nordistes ne sont pas représentés. Ce n’est pas le caspourlesfrancs-maçons,qui sontd’ailleurstrès peu nombreux dans le gouvernement actuel. » Quelques minutes plus tard, le même révèlepourtantque ce sont les « fils de la lumière»quiontorganisé, sous le couvert d’une association dénommée Jeunesse patriotique, la première rencontre entre Paul Biya et son principal opposant, John Fru Ndi, en 1992. Une entrevue tenue secrète. UNE INFLUENCE POLITIQUE. Au

Bénin, les francs-maçons se félicitent d’avoir été à l’origine de la Conférence nationale qui a ouvert la voie à la démocratisation du pays. « Plus précisément, c’est le fruit d’un compromis historique entre les loges, qui ont longtemps mûri le projet, et l’Église catholique », révèle un observateur. « Les vieux ennemis se sont unis pour faire tomber les communistes », grince un autre. Au Togo, les francs-maçons ne sont pas parvenus à organiser, en 1993, au siège du Grand Orient de France, une rencontre entre Gnassingbé Eyadéma et ses principaux adversairespolitiques.Maisnuln’imagine qu’ilssontrestésinactifsdanslamise en place du consensus qui a accouché des accords de Ouagadougou, lesquels ont rendu possible la dernière présidentielle, remportée par Faure Gnassingbé.

Degré le plus haut d’élévation dans le rite. Au-dessous, on trouve les grades de « compagnon » et d’« apprenti ». Maître maçon élu pour diriger les travaux d’une loge (les « ateliers ») pendant une année.

Ý LA TRUELLE est un outil de liaison et de coordination. Elle rappelle le lien fraternel entre francs-maçons.

francs-maçons à la BCEAO. Mais c’est un bon endroit pour le devenir, grâce au parrainage de collègues qui vous tiennent par la main », explique un bon connaisseur des institutions régionales.

Le Congo et la Côte d’Ivoire sont sans doute les pays où l’expertise maçonnique en matière de règlement des conflits a le plus MAIN INVISIBLE. Certains cadres de haut niveau dans le secteur privé clairement échoué. Au pays de dénoncent de leur côté le caracDenis Sassou Nguesso, affiliéàlaGLNF,etPascal tère souvent problématique de la Lissouba, de tendance « solidarité maçonnique ». « J’ai constaté que mon patron traitait Grand Orient, l’activisme desmaîtresn’apuempêcher avec une bienveillance particulière la bataille de Brazzaville en un certain nombre de dossiers, qui 1997etsesmilliersdemorts.À auraient été rejetés s’ils n’avaient pas été soumis par des entreprises Abidjan, le directoire du Forum dirigées par des francs-maçons, de réconciliation nationale, qui comme lui », dénonce un ancien s’est tenu en 2001, avait en son sein membre d’un comité de crédit de nombreux « frères »: cela n’a pas d’une banque régionale africaine. suffi. Particulièrement influents au moment de la négociation des Attributions de marchés et recruteaccords de Linas-Marcoussis, les ments porteraient, dans un certain « disciples d’Hiram » croyaient tenir nombre d’entreprises et d’instituleur revanche. Las! Le texte sorti de tions « maçonnées », la marque de cette table ronde déchirera pendant la « main invisible ». de longues années les différentes « C’est fait de manière très subtile, jamais directement, mais ça parties signataires… existe », insiste une responsable de Les pourfendeurs de la francmaçonnerie dénoncent invariablehaut niveau dans le consulting. Les ment une passion des « réseaux » qui D’aucuns dénoncent des virerait souvent au réseaux virant au népotisme népotisme pur et simple. Ils pointent pur et simple. ainsi du doigt l’existence de « bastions maçonniques » « frères » reconnaissent que certains d’entreeuxpeuventseservirdesobéquasi imprenables. Hier il s’agissait d’Elf, la sulfureuse entreprise pétrodiences comme d’un instrument de lière, et d’Air Afrique. Aujourd’hui lobbying. Mais leur ligne de défense la Banque centrale des États de esttoutetrouvée:suruncontinentoù l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la les « petits coups de pouce » et l’utiBanque des États de l’Afrique cenlisation immodérée des « réseaux » trale (Beac) sont pointées du doigt. relèvent de la règle élémentaire, ils « Les jeunes gens n’arrivent pas ne sont pas les seuls. ●

AFRICAN « BROTHERS » LA SITUATION EN AFRIQUE de l’Ouest anglophone est relativement similaire à celle des pays francophones, avec une francmaçonnerie élitiste et feutrée. Héritage de la colonisation, les leaders politiques sont souvent membres d’obédiences britanniques. Ainsi, l’ancien président ghanéen John Kufuor passe pour être un initié de la Grande Loge unie d’Angleterre. JEUNE AFRIQUE

La Grande Loge d’Écosse est elle aussi influente sur le continent, notamment en Ouganda et au Kenya. En Afrique du Sud, les freemasons sont plus à l’aise avec l’opinion publique, même si cela reste pour l’essentiel une affaire de Blancs. Le 17 août, la 11e Conférence annuelle des grandes loges africaines se tiendra au Cap. Enfin, au Liberia, les premières

loges sont venues des États-Unis au XIXe siècle, avec l’arrivée des Africains-Américains. La francmaçonnerie s’est peu à peu institutionnalisée avant d’être pourchassée par Samuel Doe en 1985. Depuis la fin de la guerre et l’arrivée au pouvoir de la maçonne Ellen Johnson-Sirleaf, les « frères » sont de nouveaux à la lumière. ● NICHOLAS NORBROOK N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Grand angle

Au Maghreb, la « Veuve » sort de son sommeil

les maçons algériens et tunisiens ont rendu leur tablier. Au Maroc, en revanche, ils ont pignon sur rue.

Taboue et méconnue à Alger et à Tunis, la franc-maçonnerie n’en est pas moins présente en Afrique du Nord depuis des décennies. À Rabat, les « frères » sont plus visibles.

les Algériens scrutaient les activités du Lions Club et du Rotary en y voyant un prosélytisme maçonnique. Des noms de politiciens ont circulé sous le manteau, notamment ceux de Khaled Nezzar et Ali Haroun, membres du Haut Comité de l’État – tout comme feu Mohamed Boudiaf, lui-même initié à la Grande Loge du Maroc lors de sonexil.SelonMohamedSamraoui, ancien officier des services spéciaux algériens, le général défunt Larbi Belkheir, ex-ambassadeur à Rabat, en était aussi. Mais rien ne confirmera jamais ces on-dit. Pourtant, les « fils de la lumière » sont de plus en plus nombreux, et ce sont les Algériens de la diaspora qui forment le gros du contingent. Nasser, un « frère » vivant à Marseille, confie : « Il y a des maçons algériens très connus, mais on ne peut révéler leurs noms de leur vivant, nous sommes tenus au secret. Et je tiens à souligner que, même si la franc-maçonnerie n’a rien à voir avec la religion, beaucoup de “frères” sont de bons musulmans. » Il ajoute : « Bien que la franc-maçonnerie soit interdite en Algérie, des tenues sont malgré tout organisées. Et les loges algériennes ont acquis une existence officielle grâce au soutien du Grand Orient de France. »

FRIDA DAHMANI

«

L

a révolution est prise en otage par les francs-maçons », murmure Ali d’un air entendu. Ce cadre de banque très sérieux n’est pas le seul, à Tunis, à élaborer un scénario à la Da Vinci Code, le best-seller de Dan Brown. Une déclaration sibylline de Youssef Seddik, philosophe et anthropologue tunisien, a mis le feu aux poudres : il a désigné, sans les nommer, deux ministres, affiliés à l’Association tunisienne des grandes écoles (Atuge), comme étant maçons ; et ce alors que luimême est souvent invité comme orateur lors de conférences organisées par la loge de Compiègne, en France. Ainsi est née l’une des

les archives ont permis d’identifier des francs-maçons maghrébins tels que l’émir Abdelkader ou de grands commis de l’État (notamment les Tunisiens Slaheddine Baccouche et Mohamed Salah Mzali), la « Veuve » – autre appellation de la francmaçonnerie – a mal survécu à la fin de la colonisation en Algérie et en Tunisie, d’autant qu’elle a été interdite par Habib Bourguiba en 1959 alors que beaucoup croyaient que lui-même était un initié. Tout bon « frère » étant muet, il est bien difficile de savoir si, aujourd’hui,

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RE N/ LTO MI

innombrables théories du complot maçonnique qui circulent à Tunis, dues au fait qu’une révolution sans leaders fait craindre aux Tunisiens la présence, dans l’ombre, d’un deus ex machina, et, tant qu’à faire, pourquoi pas les francs-maçons ? Implantée au Maghreb à la suite de la colonisation, la francmaçonnerie est, en Algérie, essentiellement d’origine française ; au Maroc, elle s’est consolidée avec l’obédience espagnole ; en Tunisie, l’influence de migrants italiens d’originetoscane a joué un rôle fondamental. Si

Le « passage sous le bandeau » est l'une des étapes de l’initiation. Les yeux bandés, le candidat à l’admission dans une loge est alors « enquêté » tour à tour par trois « frères ».

ALGÉRIE. Dans l’ombre. En 2006,

A

Au lendemain de la révolution, la théorie du complot circule à Tunis.

HA

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TUNISIE. Un réseau réactivé.

Même schéma à Tunis, où la loge Italia no 16, installée en 1998, tenait ses réunions trimestrielles à l’hôtel Oriental Palace, au cœur de la capitale. Avec l’arrivée de la Banque africaine de développement (BAD) – où travaillent beaucoup de « frères » et « sœurs » –, conjuguée à la présence d’expatriés européensd’obédiencesdiverses Ý SUR CETTE MONTRE en forme de « delta lumineux » figurent de nombreux symboles de la franc-maçonnerie.

JEUNE AFRIQUE


Ces francs-maçons qui vous gouvernent

Obligatoires en « tenue », ils symbolisent l’égalité.

HO/AFP

Orné de motifs, il permet de connaître la loge d’origine du maçon.

L’ÉMIR ABDELKADER, figure historique de la résistance algérienne à la colonisation française, est l'un des premiers initiés maghrébins.

et au retour de Tunisiens initiés à l’étranger, les tenues ont été réactivées. « Nous sommes proches du Grand Orient. Les tenues sont assez régulières, nous nous retrouvons au domicile d’un maître pour des ateliers et, parfois, nous recevons des hôtes étrangers. La seule chose qui nous importe, c’est de travailler à notre réflexion sur un idéal en général, et sur la fraternité en particulier », affirme un chef d’entreprise qui tient à l’anonymat. Son groupe ne dépasse pas la vingtaine de membres, mais il est aussi utile comme réseau professionnel. « On se connaît bien, nous sommes tous natifs du pays, même

si certains sont binationaux, et on se renvoie l’ascenseur comme le feraient des copains. Par nature, nous préférons l’ombre à la lumière pour profiter du soleil d’un savoir. Beaucoup diront que nous sommes des lobbyistes, mais n’est-ce pas, au fond, une forme plus ancienne de think-tank ? »

Accessoire renseignant sur le « degré » d’un francmaçon, selon ses ornements et la façon de le porter.

son appartenance à la fraternité, tout comme Ahmed Réda Guédira et Moulay Ahmed Alaoui. Aujourd’hui, le pays compte trois loges : la Grande Loge du royaume du Maroc (GLRM, indépendante), la Grande Loge du Maroc (GLM) et la Grande Loge régulière du royaume du Maroc (GLRRM). Elles comptent quelque 200 « frères » et « sœurs » et ont pris un nouvel élan au début des années 2000. Bouchaïb El Kouhi, ingénieur et grand maître de la GLRM, initie une quinzaine de nouveaux frères chaque année à travers cinq ateliers, à Rabat, Fès, Casablanca, El-Jadida et Marrakech. À l’opposé, Saad Lahrichi, juriste et grand maître de la GLRRM, reconnaît que, malgré leur nombre assez réduit, ils ne sont absolument pas dans une logique de recrutement à tout prix qui pourrait les mener à la médiocrité, loin de la richesse spirituelle et des valeurs morales qu'ils prônent ». Saïd, jeune médecin initié, en dit plus : « Nous sommes censés nous enrichir par la diversité, mais nous

Driss Basri, l’homme fort de Hassan II, ne cachait pas son appartenance à la fraternité.

MAROC. Au grand jour. Si au Maroc, elle n’a jamais plongé dans la clandestinité, la francmaçonnerie a mis, face à la montée de l’islamisme, un bémol à sa visibilité depuis une quinzaine d'années. Driss Basri, l’homme fort de Hassan II, ne cachait pas

devenons un cercle de réflexion élitiste au vu de l'abaissement de la pensée dans la société. Toutefois, la franc-maçonnerie participe au rayonnement de notre pays, nous sommes dans un partage rituel de réflexions philosophiques, symboliquesouéconomiques,chacuncherche sa voie. Et il n’y a pas de guerre entre le tablier et le croissant. » ●

CONFESSION DE S., UNE « SŒUR » TUNISIENNE JE SUIS AGNOSTIQUE, mais ma quête d’échange sur des thématiques laïques m’a conduite à la franc-maçonnerie. J’ai été initiée au Québec ; à partir de là, j’ai travaillé sur des planches spirituelles tout en appréciant le principe que les maçons soient d’abord des hommes libres et égaux. J’ai aussi fréquenté des JEUNE AFRIQUE

loges dans le sud de la France, mais elles étaient beaucoup plus élitistes et affairistes. ÀTunis, même s’il n’y a pas de temple, il existe des fraternités, mais nous avons tous été initiés ailleurs. D’ailleurs, une loge baptisée Carthage existe au Grand Orient de France, où beaucoup deTunisiens sont présents. Ce monde essentiellement

masculin est tourné vers la réflexion mais aussi vers les affaires. Je me suis mise en sommeil car, avant la révolution, une chape de plomb verrouillait la liberté d’expression. Certes, la franc-maçonnerie exige le secret, mais pour s’améliorer, à mon sens, on doit se sentir libre. Je crois en avoir déjà trop dit. » ● Propos recueillis à Tunis par F.D. N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Grand angle

République maçonnique gabonaise En 2009, le président Ali Bongo Ondimba était intronisé grand maître de la Grande Loge du Gabon. Décryptage d’un rituel auquel assistait tout le gratin du pays. HAMILTON/REA

GEORGES DOUGUELI

L

a cérémonie du 31 octobre 2009 était censée être réservée aux initiés. Mais l’intronisation d’Ali Bongo Ondimba comme grand maître de la Grande Loge du Gabon a fini en vidéo sur internet. Si le film a confirmé que Libreville est bien une terre d’élection maçonnique en Afrique francophone, il révèle aussi la force d’attraction des loges sur l’élite de ce pays. « On dirait un Conseil des ministres élargi aux membres du Parlement, au secteur privé, à la haute administration et aux invités expatriés », soupire un journaliste. Plus besoin d’observer les « frères » par le petit trou de la serrure. En quelques clics de souris, les profanes peuvent désormais regarder le rituel théâtralisé comme s’ils y étaient invités. À l’entrée du temple – une salle de la présidence de la République – officie Jean-Lié Massala, directeur de la régulation chez l’opérateur télécoms Zain Gabon. Il tient un battant de la porte pour laisser passer des dizaines d’invités étrangers transportés par un avion de la flotte présidentielle. Parmi eux, François Stifani, un avocat d’affaires niçois intronisé en 2007 grand maître de la Grande Loge nationale française (GLNF). À leur suite, une bonne brochette des 500 initiés que compte la capitale gabonaise. On y reconnaît le ministre d’État chargé des Affaires étrangères, Paul Toungui, son collègue de l’Éducation nationale, Séraphin Moundounga, le doyen d’âge du sénat Marcel Sandoungout, le N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Rogombé, l’époux de l’ex-présidente intérimaire Rose Francine Rogombé, plusieurs généraux de l’armée et même plusieurs cadres de l’opposition… Si le film avait eu un générique de fin, on y lirait les noms de l’actuel ministre de l’Habitat, Blaise Louembé, et du directeur de la communication du Centre international des recherches médicales de Franceville, Norbert Mouyabi, les deux auteurs des images. Absents de la cérémonie, les « frères » de la Grande Loge symbolique du Gabon (GLSG), cornaquée par l’ancien ministre des Mines, Richard Onouviet, et qui compte notamment dans ses rangs le président de l’Assemblée nationale, Guy Nzouba Ndama, le président du Fonds gabonais d’investissements stratégiques, Claude Ayo Iguendha, et le patron de Pétro Gabon, Jean-Baptiste Bikalou. RELIGION D’ÉTAT. Introduite au

HAMILTON/REA

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LIBREVILLE, LE 31 OCTOBRE 2009. Captures d’écran de la vidéo enregistrée lors de la cérémonie, dans une salle de la présidence de la République.

secrétaire général du parti présidentiel Faustin Boukoubi, le patron du Conseil national de sécurité Léon Paul Ngoulakia,

L’initiation est un gage de fidélité envers le pouvoir et vaut allégeance au président. le président du Conseil national de la communication Emmanuel Ondo Methogo, le directeur général de la Société gabonaise d’entreposage des produits pétroliers Christophe Akagha Mba, le président de l’Agence de régulation des télécommunications Marius Founguès, mais aussi Jacques

Gabon par la colonisation française, la franc-maçonnerie est devenue une véritable « religion d’État ». Les deux premiers présidents, Léon Mba et Omar Bongo Ondimba, furent d’illustres « fils de la “Veuve” ». Ce dernier fonde deux ordres : le Grand Rite équatorial, affilié au Grand Orient de France, et Dialogue, sous les auspices de la GLNF, qui deviendra plus tard la Grande Loge du Gabon. L’initiation est un gage de fidélité envers le pouvoir. La soumission au maître vaut allégeance au président. Mais en 1996, le prêtre défroqué et opposant historique Paul Mba Abessole est le premier à qualifier la franc-maçonnerie gabonaise de « corrompue », dans le journal Le Bûcheron. « Elle a légitimé le clientélisme, dénonce un cadre de l’administration. C’est une sorte d’ascenseur social. » Impossible, quand on n’est pas passé sous le bandeau, d’accéder à certains postes, réservés aux « frères ». Quid de la quête de spiritualité ? ● JEUNE AFRIQUE


Ces francs-maçons qui vous gouvernent Ý « NOTRE PAYS EST LA CIBLE DES MYSTIQUES », accuse l’épouse du président sortant, dont l’entourage compte pourtant de nombreux frères.

REBECCA BLACKWELL/AP PHOTO

sein de la Grande Loge unie de Côte d’Ivoire (GLUCI), du Droit humain, de la Grande Loge féminine de France (GLFF), du Grand Orient ou encore du MemphisMisraïm.

Psychose au sein des loges ivoiriennes En cette période de crise postélectorale, les francs-maçons font profil bas. Par peur de représailles, ils sont entrés en sommeil pour ne pas attirer l’attention des deux camps – et notamment de Simone Gbagbo.

À

BAUDELAIRE MIEU, à Abidjan

l’image de la classe politique ivoirienne, un profond clivage est apparu au sein des francs-maçons, partagés entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara. Un tabou a été enfreint : la politique a franchi le seuil des temples, alors que l’un des règlements de la franc-maçonnerie l’y proscrit. Désormais, les initiés s’évitent comme la peste, par peur de représailles dans un pays qui traverse une nouvelle vague de violence. Une psychose règne au sein des obédiences du pays, qui ont préféré se mettre volontairement en mode silence. De fait, depuis l’éclatement de la crise postélectorale, les « frères » ivoiriens font profil bas. La Grande Loge de Côte d’Ivoire (GLCI), la plus célèbre, qui regorge JEUNE AFRIQUE

d’une partie de l’élite politique, a même décidé de surseoir à son assemblée générale annuelle, organisée en avril depuis une dizaine d’années. « Ce n’est pas opportun de tenir un tel rassemblement, on l’a tout simplement reporté. Il ne faut pas donner matière à ceux qui nous combattent », confie, sous le couvert de l’anonymat, un membre influent de la GLCI. « On s’est mis en sommeil justement pour ne pas être accusé de quoi que ce soit ! On a déjà payé notre tribut en 1963 », explique un autre dignitaire de la GLCI, en référence à l’affaire du « complot du chat noir » dans le cadre de laquelle Félix HouphouëtBoigny avait fait arrêter plusieurs initiés. De même, les ateliers sont aujourd’hui suspendus au

EXORCISER. Qu’ils soient proches du camp Ouattara ou du camp Gbagbo, les « frères » se terrent comme les chrétiens sous le régime marxiste en exURSS. Simone Gbagbo a déclaré la guerre aux maçons ivoiriens, même s’il est de notoriété publique que son entourage immédiat est composé de plusieurs « fils de la lumière ». En 2003, juste après la signature des accords de Linas-Marcoussis, elle déclarait à un groupe de femmes chrétiennes : « Notre pays est la cible des mystiques, particulièrement des francs-maçons. » Et les attaques ne se sont pas arrêtées là. En janvier, lors d’un rassemblement au Palais de la culture, la vice-présidente du Front populaire ivoirien (FPI) exhortait le public à exorciser la Côte d’Ivoire de l’esprit des francs-maçons.

Un tabou a été enfreint : la politique a franchi le seuil des temples. Pourtant, ces derniers ont été au cœur de l’histoire politique ivoirienne. En 1992, pendant le procès des événements de février où Laurent Gbagbo et la direction du FPI comparaissaient pour casse et incendie, les « frères » ont joué de tous leurs réseaux pour faire libérer l’opposant à Houphouët-Boigny. Aujourd’hui, la plupart des « frères » admettent en sourdine la victoire de Ouattara. ● N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Afrique subsaharienne

GBAGBO-COMPAORÉ

À la vie à la mort Ils se sont appréciés, entraidés même, avant de se détester. Depuis plus de dix ans, le président sortant de Côte d’Ivoire et le chef de l’État burkinabè s’observent, se jaugent et se méfient. Chacun soupçonnant toujours l’autre d’être à l’origine de ses ennuis. Une « amitié » en dents de scie dont l’épilogue est peut-être en train de se jouer sur le terrain.

É

PASCAL AIRAULT

tait-celeurdernièreconversationtéléphonique avant la grande explication finale, qui a commencé le 28 mars sur le terrain militaire? Le 16 mars, le chef de l’État burkinabè, Blaise Compaoré, a appelé son homologue ivoirien – un petit événement depuis leur dernier coupdefil,le29novembre,aulendemaindusecond tour de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire. Le 15 mars, le Sud-Africain Jacob Zuma avait téléphoné à Ouagadougou pour annoncer qu’il « lâchait » Laurent Gbagbo, qu’il reconnaissait la victoire d’Alassane Ouattara et qu’il en avait personnellement informé le président sortant. Blaise Compaoré, proche soutien d’Alassane Ouattara, savoure sa victoire diplomatique. Depuis plus de dix ans, ses relations avec Laurent Gbagbo sont compliquées. Mais lorsqu’il lui téléphone ce 16 mars, c’est, dit-il, pour lui proposer son aide. « Tu devrais suivre les conseils de Jacob Zuma, qui te demande d’appliquer les décisions de l’Union africaine, lui glisse Compaoré. Je peux encore t’aider à trouver une porte de sortie honorable. » Laurent Gbagbo ne donnera pas suite. Au cours des mois qui ont précédé l’élection, les deux hommes avaient fait mine de se rabibocher. Mais, depuis le 28 novembre, leur relation s’est à nouveau dégradée. Compaoré a reconnu la victoire d’Alassane Ouattara avant de faire pression sur la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pour que l’on permette au nouveau président de prendre ses fonctions. N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

« Je suis un ami de Laurent, mais c’est Alassane qu’il faut à la Côte d’Ivoire. » BLAISE COMPAORÉ, août 2000

En réponse, Gbagbo a épinglé son homologue, réélu le 21 novembre dernier : « En 2003, il y a un chef d’État d’un pays voisin qui a dit que je méritais la Cour pénale internationale. Venant de lui, c’est succulent. Il vient de se faire réélire à 80 %. Moi aussi, j’aurais dû me faire élire à 80 % et on n’en parlerait plus. » Puis il a fait bloquer des marchandises burkinabè au port d’Abidjan, coupé momentanément la fourniture d’électricité en guise d’avertissement et autorisé Charles Blé Goudé, leader des Jeunes patriotes, à manifester contre la venue de Compaoré à Abidjan dans le cadre du panel de l’Union africaine. DEUX ANIMAUX À SANG FROID. Dans les deux camps, on s’observe et on se méfie. Quand Ouagadougou prédit une fin rapide au régime des « refondateurs », les soutiens de Laurent Gbagbo rétorquent que le président du Faso n’est pas à l’abri d’un mauvais coup. « Tous deux sont de fins stratèges et de redoutables tacticiens », explique un diplomate occidental. Au quotidien, ils sont d’un accueil agréable, aimant recevoir à dîner, jamais à court de blagues et d’histoires drôles. Mais tels deux animaux à sang froid, Gbagbo et Compaoré n’ont pas d’états d’âme. Depuis plus de vingt ans, ils entretiennent une histoire faite d’amour et de haine, de services rendus etderancunetenace.Ilsseconnaissentparfaitement et cultivent même des points communs. Laurent Gbagbo, 65 ans, est le fils d’un sergent de police. Blaise Compaoré, 60 ans, est celui d’un garde républicain. Tous deux sont nés dans des villages modestes: le premier à Mama, dans l’Ouest ivoirien, et le second à Ziniaré, au nord-est de la capitale burkinabè. En mars 1971, Gbagbo est un opposant au président Houphouët-Boigny. Il est interpellé alors qu’il manifeste devant les locaux de l’Assemblée nationale. Son emprisonnement se mue en enrôlement forcé. La même année, Compaoré est enrôlé de force dans un contingent spécial après avoir participé à une fronde estudiantine. Il prend goût à la carrière militaire. Gbagbo se voit refuser ●●● de suivre une formation de sous-officier. JEUNE AFRIQUE


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GEORGES GOBET/AFP

Ý GBAGBO ET COMPAORÉ à Ouagadougou, en janvier 2008.

JEUNE AFRIQUE

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Afrique subsaharienne Porté au pouvoir en 1987 par un coup d’État, Compaoré a depuis remporté quatre élections. Et les premiers contacts avec Gbagbo, via des émissaires, remontent au milieu des années 1980. Parmi eux, Guy Labertit, qui est alors le Monsieur Afrique des socialistes français, Louis Dacoury-Tabley, ami d’enfancedeGbagbo,etArsèneBongnessanYé,ex-médecin militaire devenu ministre de la Réforme. Compaoré s’intéresse à cet homme qui ose défier Houphouëtetluiapportesonsoutienfinancier.C’est grâceàluiquesortentlespremiersjournauxduFront populaire ivoirien: L’Événement, puis L’Alternative et Notre Voie. Laurent Gbagbo est discrètement reçu àOuagadougou.«Àl’époque,raconteunprochedes deux présidents, ils se retrouvaient dans le combat contre l’impérialisme. Ils avaient une vraie relation de camaraderie. » ●●●

UC GNAGO/REUTERS

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EN 2007, LES PRÉSIDENTS BURKINABÈ (AU CENTRE) ET IVOIRIEN (À DR.) font une trêve. Guillaume Soro (à g.) est nommé Premier ministre (ici à Bouaké, en juillet).

UNE VISITE QUI TOURNE AU FIASCO. Compaoré

voit aussi régulièrement Alassane Ouattara, l’ami qui a grandi au Burkina Faso et dont il apprécie les compétences, mais il ne lui déplaît pas d’avoir plusieurs cordes à son arc ivoirien. Tout change en juillet 2000. Laurent Gbagbo appuie le référendum constitutionnel voulu par le général Gueï, qui écarte Ouattara de la course à la présidentielle. Compaoré n’apprécie pas. « En août, raconte Guy Labertit, Blaise me dit : “Je suis un ami de Laurent, mais c’est Alassane qu’il faut à la Côte d’Ivoire.” » En octobre, les choses empirent. Laurent Gbagbo est élu – mal élu, de son propre aveu. Les violences postélectorales font de nombreuses victimes, y compris parmi les partisans de Ouattara. Compaoré n’encaisse pas. Dès janvier 2001, le Burkina Faso est soupçonné d’avoir ourdi le complot dit de la Mercedes noire, qui fit vaciller le nouveau président. En décembre de la même année, la première visite officielle de Gbagbo à Ouagadougou tourne au fiasco. Prévue

« Un chef d’État d’un pays voisin vient de se faire réélire à 80 %. Moi aussi, j’aurais dû me faire élire à 80 %, et on n’en parlerait plus. » LAURENT GBAGBO, décembre 2010

ENTRE LES DEUX, LE CŒUR D’ALPHA A BALANCÉ. C’EST L’HISTOIRE – CLASSIQUE – de l’ami d’un couple qui divorce. Après la rupture de septembre 2002 entre « Laurent » et « Blaise », « Alpha » a dû choisir. Au début, par fidélité à son vieux camarade de l’Internationale socialiste, il a plaidé la cause de Laurent. Mais il a eu la mauvaise surprise de constater que le chef de l’État ivoirien s’appuyait aussi sur son pire ennemi, le président guinéen Lansana Conté – le seul président qui fermait sa frontière aux Forces nouvelles. Du coup, l’opposant guinéen s’est tourné vers Blaise Compaoré… et Guillaume Soro. Laurent Gbagbo ne le lui a jamais pardonné. Lors de la campagne électorale en Guinée, l’an dernier, Laurent n’a quasiment pas aidé Alpha. En décembre, juste avant l’investiture du président guinéen, un ami commun, un Français, a tout juste réussi à arranger une conversation téléphonique entre les deux : « Félicitations – Merci… » Le 26 mars, Alpha a donné l’estocade : « Comme l’Union africaine, je reconnais qu’Alassane est président. » Blaise a dû jubiler… ● CHRISTOPHE BOISBOUVIER N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

pour durer deux jours, elle est expédiée en six heures. En septembre 2002, Abidjan accuse le Burkina Faso d’avoir soutenu la tentative de coup d’État, puis, après la partition de la Côte d’Ivoire, d’accorder le gîte et le couvert aux rebelles. En 2003, c’est au tour de Compaoré de soupçonner Gbagbo d’être derrière la tentative de putsch qui vient d’ébranler son régime. Dans une interview au quotidien français Le Parisien, il y compare Gbagbo à Slobodan Milosevic, l’ancien président serbe, accusé de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide. Lesannéespassentetlasituationpolitiques’enlise. Fin 2006, les deux hommes comprennent qu’il faut faire bouger les lignes. Gbagbo choisit de suivre les conseils du Sud-Africain Thabo Mbeki et retourne frapper à la porte de Compaoré. Il envoie Désiré Tagro, futur ministre de l’Intérieur, négocier avec Guillaume Soro, le chef des rebelles ivoiriens, que Compaoré verrait bien Premier ministre. Le 4 mars 2007, l’accord politique de Ouagadougou est signé entre Gbagbo et Soro, sous l’égide de Compaoré. Entre les deux présidents, l’heure est à la réconciliation, mais les entourages entretiennent la méfiance : « Gbagbo ne changera jamais », murmure-t-on côté burkinabè. « Cet accord est un piège. Compaoré a choisi son camp », soutiennent les radicaux à Abidjan, notamment Simone Gbagbo et Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale. Peu importe: les deux hommes jouent le jeu de la paix. Les visites d’État reprennent, avec discours aux Parlements et signature de traités d’amitié. Compaoré se rend dans le village natal de Gbagbo, qui supprime la carte de séjour, évitant de nombreuses tracasseries aux trois millions de Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire. Àforcedeconfianceretrouvée(ouaffichée),l’élection présidentielle ivoirienne se profile… jusqu’à la dissolutiondelacommissionélectoraleetdugouvernement, en février 2010. Nouvelle crise! Le 1er avril, Gbagbo se rend à Bobo-Dioulasso et se confie à Compaoré.La listeélectorale ne lui est pasfavorable. Embarras de son interlocuteur: « Comment veux-tu que j’intervienne? Le processus de sortie de crise JEUNE AFRIQUE


Afrique subsaharienne aux généraux de Gbagbo: « Cette mesure n’a pas de raison d’être. Une élection est une célébration de la démocratie. Des pays dans une situation autrement plus difficile comme l’Afghanistan ou l’Irak ont organisé leur scrutin sans couvre-feu. » Gbagbo le raccompagne à son véhicule, en lui promettant de régler la question. Il n’en fera rien. Fin mars, les forces favorables à Alassane Ouattara ont lancé une vaste offensive dans l’ouest, le centre et l’est du pays. Une réconciliation entre Gbagbo et Compaoré, toujours accusé de soutenir Ouattara, paraît plus improbable que jamais. Au final, jamais depuis que Gbagbo a accédé au pouvoir, les deux hommes n’auront retrouvé la complicité des premières années. Et c’est peutêtre aussi l’épilogue de cette « amitié » qui est en train de se jouer sur le terrain. ●

est bordé de toutes parts. Nous t’avons prévenu à plusieurs reprises que tes cadres ne travaillaient pas pour faire enrôler tes partisans. » C’est la rupture. Trois jours plus tard, Gbagbo est à Dakar pour assister à l’inauguration du monument de la Renaissance. Il demande au président sénégalais de s’impliquer dans la résolution de la crise. Abdoulaye Wade vient à Abidjan, fin avril, mais dit ne pas souhaiter s’aventurer sur ce terrain miné. Acculé, Gbagbo se résout à aller à l’élection. Le premier tour se passe relativement bien, mais lorsque Henri Konan Bédié, arrivé troisième, appelle à voter Ouattara, Gbagbo s’inquiète et décrète un couvre-feu pour le second tour. La veille du vote, le 27 novembre, Compaoré se déplace à Abidjan pour le convaincre de revenir sur sa décision. Lors d’une rencontre au palais présidentiel, il s’adresse

OPINION

VINCENT FOURNIER/J.A.

Opinions ns & éditoriaux éd

Serge Bilé Journaliste franco-ivoirien Auteur notamment de Noirs dans les camps nazis (2005) et de Paroles d’esclavage (2011)

JEUNE AFRIQUE

Et s’il était déjà trop tard…

E

T S’IL ÉTAIT DÉJÀTROPTARD. Les combats de ces derniers jours laissent présager des affrontements inter-Ivoiriens. Les positions des deux camps qui s’opposent depuis l’élection présidentielle de novembre sont si tranchées qu’il n’est apparemment plus possible de les rapprocher. On aura beau rappeler aux uns comme aux autres quelques évidences, rien n’y fait. Et pourtant. Aujourd’hui, ni Ouattara ni Gbagbo ne peut se prévaloir d’être président. Le premier, parce que sa victoire dans les urnes, proclamée par la Commission électorale indépendante, doit être de toute façon entérinée par le Conseil constitutionnel, comme le prévoit la loi ivoirienne, ce qui n’est pas encore le cas. Le second, parce que le Conseil constitutionnel, qui l’a fait roi, a failli à sa mission puisque, après avoir annulé les votes dans plusieurs départements, il n’a pas appelé à reprendre le scrutin, comme l’y oblige clairement l’article 64 du code électoral. Certains, comme moi, avaient proposé qu’on revienne au point de blocage et qu’on revote pour ce second tour. On nous a répondu que ce n’était pas possible ou que ça coûterait trop cher, parce que, dans un camp comme dans l’autre, on était sûr de faire plier rapidement l’adversaire. Erreur! Faut-il le redire? Que Laurent Gbagbo ouAlassane Ouattara s’installe au pouvoir, la tension persistera. Le président n’aura pas la paix. Je n’attends personnellement plus rien des politiciens ivoiriens, quels qu’ils soient, plus préoccupés

par leur propre ego et leurs propres intérêts que par le bien-être des populations. D’ailleurs, bien avant le scrutin, j’avais dit publiquement que les trois grands que sont Gbagbo, Ouattara et Bédié étaient coresponsables du malheur ivoirien et qu’ils avaient surtout trop de haine entre eux pour que le vainqueur du scrutin ne soit pas aussitôt contesté par l’un des candidats. Il est temps que les jusqu’au-boutistes comprennent que ceux qui sont en face ne sont pas des ennemis mais des frères et sœurs, que personne ne mobilise plus que son voisin dans les mêmes circonstances, et que l’intérêt supérieur de la Côte d’Ivoire vaut mieux que celui de deux hommes qui se déchirent pour le pouvoir. On aura indéfiniment des raisons de se quereller, de se diviser et de se faire la guerre, en repensant à la répression du Sanwi, à la répression des Bétés ou à la rébellion de 2002, qui vient après le coup d’État de 1999, avalisé par la majorité des Ivoiriens, qui se félicitait alors qu’il se soit passé « sans effusion de sang ». Un précédent dangereux… Sauf qu’il y a un moment où il faut savoir s’arrêter et poser, comme le proposait le scrutin de novembre, des actes qui font avancer, quitte à vider ensuite définitivement les querelles, à travers une introspection collective et publique qui ne fera évidemment l’impasse ni sur les massacres dans le Nord et dans l’Ouest, ni sur la mort de civils dans le Sud. ●

Ceux qui sont en face ne sont pas des ennemis, mais des frères et des sœurs.

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AKINTUNDE AKINLEYE/REUTERS

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IL EST DEVENU, EN JANVIER DERNIER, le candidat officiel du parti au pouvoir.

ÉLECTIONS AU NIGERIA

Goodluck, avec un peu de chance Le sort lui a souvent donné des coups de pouce. Arrivé au pouvoir à la mort de son prédécesseur, Jonathan est candidat à la présidentielle du 9 avril. Chronique d’une victoire qui s’annonce serrée.

I

l est une blague qui circulait à Lagos, en mai 2010. À 53 ans, Goodluck Jonathan venait d’accéder à la tête de l’État, quelques jours seulement avant que le président Umaru Yar’Adua, élu en 2007 mais malade depuis de longs mois, ne s’éteigne. Jonathan, disait-on alors, allait résoudre tous les problèmes, puis se retirerait après avoir organisé des élections propres, sans solliciter un second mandat, de manière à pouvoir remporter le prix Mo-Ibrahim… Les Nigérians ont le sens de l’humour. Issu d’une famille qui construisait des bateaux de pêche dans la région du Delta, Jonathan a d’abord pu sembler naïf. Mais la manière dont il a joué des rivalités de la classe politique en cette difficile période

de transition laisse deviner une pensée politique plus sophistiquée. GENTLEMEN’S AGREEMENT. Rien n’était

pourtant gagné. Depuis la fin du régime militaire, en 1999, le Nigeria a vécu sous le règne du People’s Democratic Party (PDP). Lorsque Jonathan, un Ijo du Sud, est devenu le candidat du parti au pouvoir, en janvier, il a rompu le gentlemen’s agreement propre au parti selon lequel la présidence doit « tourner » entre nordistes et sudistes. Si sa victoire, le 9 avril, fait peu de doute, les résultats pourraient néanmoins être serrés. CapitalisantsurlesinquiétudesduNord, lesdeuxprincipauxpartisd’oppositionque sont le Congress for Progressive Change

(CPC)etl’ActionCongressofNigeria(ACN) présentent des candidats nordistes et font campagne sur une thématique « mains propres ». Le candidat de l’ACN, Nuhu Ribadu, était à la tête de la Commission des crimes économiques et financiers (EFCC), tandis que celui du CPC, le militaire Muhummadu Buhari, est l’ancien chef de l’État qui mena une « guerre contre l’indiscipline » dans les années 1980. S’il y a un second tour, et si l’opposition s’unit derrièrelecandidatrestant,Jonathandevra jouer finement. Il est loin, le moment de grâce dont a, un temps, bénéficié le nouveau chef de l’État. L’électorat est jeune, connecté via Facebook et Twitter, et la campagne est mieux suivie qu’autrefois. Ainsi, les critiques n’ont pas manqué quand Jonathan a refusé de prendre part au premier débat organisé sur la chaîne de télévision NN24 et préféré accorder une interview à D’Banj, star de la musique nigériane. GoodluckJonathan,pourtant,connaîtla chanson. Il est le premier chef d’État africain à envoyer des messages via Facebook.

Une ascension éclair

1957

Naissance dans l’État de Rivers (aujourd’hui État de Bayelsa). N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

1998

Fait son entrée en politique au poste de vice-gouverneur de l’État de Bayelsa.

2005

Le gouverneur de l’État de Bayelsa est mis en examen. Jonathan, son adjoint, le remplace.

Avril 2007

Umaru Yar’Adua est élu et fait de Jonathan son vice-président.

5 mai 2010

Décès d’Umaru Yar’Adua. Jonathan lui succède. JEUNE AFRIQUE


Afrique subsaharienne Auxpersonnesquilesuiventsurinternet, il a récemment écrit : « Jugez les gens sur leur comportement, qu’ils peuvent contrôler, pas sur leur origine, qu’ils ne peuvent pas contrôler. »

qui les avaient portés, Yar’Adua et lui, à la tête de l’État. Des progrès ont été réalisés: Jonathan a renvoyé le chef de laCommission électoraleindépendante, l’impopulaire Maurice Iwu, pour le remplacer par le respecté Attahiru Jega. La deuxième priorité était d’améliorer la situation sécuritaire dans le Delta. Parce qu’il est lui-même originaire de l’ÉtatdeBayelsa,lachoseparaissaitpossible.Maisenoctobre,lorsdelacélébration des 50 ans de l’indépendance à Abuja, deux bombes ont tué douze personnes. La manière dont Jonathan a géré l’affaire, ententantdefaireporterlechapeauàdes hommes politiques du Nord alors que la responsabilité d’activistes du Delta était évidente, a été désastreuse. Enfin, Jonathan avait promis de régler le problème de l’alimentation en électricité. On compte, au Nigeria, 27 personnes pour chaque kilowatt produit – contre 1 personne en Afrique du Sud et 8 en Indonésie. Dans un pays où tout le monde utilise des générateurs diesel, les importateurs de carburant bloquent les réformes pour protéger leurs marges. À la tête de Zenon Oil, Femi Otedola, le roi du diesel, se classe à la 601e place dans le classement Forbes des personnes les plus riches du monde, avec 1,2 mil-

FAUTES DE GRAMMAIRE. Certaines questions difficiles ont été soulevées quant à l’épuisement rapide de l’Excess Crude Account (ECA), le compte sur lequel l’État nigérian place les revenus du brut. En octobre dernier, il n’était plus crédité que de 500 millions de dollars, contre 20 milliards de dollars en 2007. À Lagos, on laisse entendre que l’argent aurait été utilisé pour acheter le soutien des puissants gouverneurs nigérians. Réponse de Goodluck Jonathan : « Je n’ai aucun compte, aucune propriété à l’étranger. Tous mes enfants vivent et étudient au Nigeria. Je suis fidèle à ma femme et à mes amis. Ceux qui m’accusent peuvent-ils en dire autant? » Sa femme, Patience, est justement la cible de nombreuses attaques. Elle a été accusée par l’EFCC de blanchiment d’argent, à hauteur de 13,5 millions de dollars, en 2006. Dans les médias, on raille sa maîtrise de l’anglais comme d’autres ont moqué les fautes de grammaire de George W. Bush. Soucieux d’acquérir une stature internatioÀ Lagos, certains le soupçonnent nale,GoodluckJonathan d’avoir acheté des soutiens avec s’est clairement exprimé sur le conflit en Côte les revenus du pétrole. d’Ivoire, au risque de liard de dollars d’avoirs nets en 2009. Il prendre le contre-pied du président sudafricain, Jacob Zuma. Le 23 mars, le chef fait partie du comité de campagne de Goodluck Jonathan. del’Étatnigérianaouvertlesommetdela Communauté économique des États de En réalité, ce dernier manque surtout l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) en demand’une base politique. Sa force lui vient dant aux Nations unies plus de fermeté. d’un proche bienfaiteur – ou parrain, Mais il lui manque encore la subtilité du comme il se dit parfois au Nigeria –, un diplomate aguerri. Le 18 mars, cinq jours certainOlusegunObasanjo,présidentde seulement après la tenue de la présiden1999 à 2007. Obasanjo qui rêvait d’un tielle au Bénin, il s’est rendu à Cotonou troisième mandat et que Jonathan avait et a invité « les candidats et les électeurs soutenu dans son ultime tentative pour à accepter les résultats des élections », y parvenir. L’actuel président bénéficie ajoutant que le Nigeria « n’accepte[rait] donc désormais du soutien d’un redoupas la violence et la guerre à sa porte ». table politicien qui est, lui, persuadé de pouvoir contrôler son poulain. À Cotonou, plusieurs ont laissé entenQuelle sera la marge de manœuvre dre que le Nigeria était mal placé pour de Jonathan? Dépendra-t-il, s’il est élu, donner des leçons. de ceux qui l’ont soutenu : le Delta, les Mais c’est bien sûr des questions hommes d’affaires, les gouverneurs du de politique intérieure que se jouera PDP ? Une chose est sûre : Jonathan a l’élection. Lorsqu’il est arrivé au poudû passer beaucoup d’accords pour voir, Jonathan avait déclaré avoir trois parvenir et rester au sommet. ● priorités. La première était d’organiser NICHOLAS NORBROOK des élections plus propres que celles JEUNE AFRIQUE

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Afrique subsaharienne CAMEROUN

Que reste-t-il de l’opposition? Elles sont loin, les manifestations qui, en 2008, avaient fait trembler Yaoundé. Démunis, éparpillés, les adversaires de Paul Biya pourraient ne pas lui offrir une trop grande résistance lors de la présidentielle d’octobre.

I

ls rêvaient de battre le pavé une fois par semaine pour faire tomber le régime de Paul Biya, 78 ans, dont vingt-huit au pouvoir. Mais les activistes de la Nouvelle Opposition camerounaise (NOC), une coalition de jeunes acteurs politiques, ont déchanté dès leur premièresortie,le23février.Ilsdevaient,ce jour-là, commémorer les émeutes de 2008. Comme trois ans plus tôt, et comme au début des années 1990 lors des opérations « villes mortes » qui avaient abouti à des élections pluralistes, ils se sont heurtés à un important dispositif de sécuritédéployé par un gouvernement rendu fébrile par les révolutions arabes. Sauf que, cette fois, la population n’a pas suivi. « Certes, il y a un mécontentement, mais il manque aux couches les plus démunies un véritable élément déclencheur, comme la hausse des prix des denrées de première nécessité en 2008 », explique René L’opposition est en fait orpheline de Tamla, conducteur de moto-taxi à Douala, ses leaders historiques. Apparus dans qui avait jusqu’ici participé à toutes les l’euphorie du retour au multipartisme, ils manifestations. n’occupent plus le terrain. John Fru Ndi est bien candiParfois lancés par des Le nombre de dat à l’investiture du Social organisations totalement députés de inconnues, les derniers mots l’opposition en Democratic Front (SDF), chute libre mais n’exclut pas de boyd’ordre ont été jugés confus, cotter le scrutin en l’absence voire carrément irréalistes, de garantie de transparence. comme celui qui demande le départ du chef de l’État à quelSurnomméSufferDonFinish quesmoisdelaprésidentielle (« Fini la souffrance », en d’octobre (« Biya must go », pidgin) dans les milieux « Biya doit partir »). Dans les populaires, son parti a années 1990, non seulement perdu de son aura. Et les lesmouvementsétaientstrucaccusations d’autoritarisme turés et bien organisés, mais ils dont Fru Ndi est l’objet, les bénéficiaient d’importants relais dissidences répétées, ainsi que politiques, sociaux et médiatiques, tout le rapprochement avec Paul en étant portés par l’espoir d’une rupture Biya ont fini par le décrédibiradicale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui liser aux yeux de nombre de et les Camerounais, résignés, se désinCamerounais. téressent d’un scrutin qui leur semble Certains opposants ont survécu en ralliant les difféjoué d’avance. Le nombre d’inscrits sur rents gouvernements Biya. les listes rendues publiques au 31 mars C’est le cas d’Issa Tchiroma en témoigne : 900 000 électeurs sur les Bakary. Issu des rangs du 5 millions attendus.

92 sièges sur 180 en 1992

Front pour le salut national du Cameroun (FSNC), il cumule les casquettes de ministredelaCommunicationetdeporte-parole du gouvernement. Il est le seul membre de l’opposition habilité à tenir meeting hors de son fief d’origine. Ou encore de Bello Bouba Maïgari, de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), qui détient le portefeuille des Transports. POIDS MOYENS. Les autres personnalités

aptesàdonnerdelavoixontétérepoussées vers la périphérie et leur assise se limite à leur région d’origine. L’influence de Dakolé Daïssala, à la tête du Mouvement pour la défense de la République (MDR), est ainsi confinée au département du MayoTsanaga(Extrême-Nord).QuantàAdamou Ndam Njoya, maire de Foumban, il n’a aucun représentant en dehors du département du Noun. Il n’a jamais obtenu l’autorisation du sous-préfet pour organiser un meeting à Douala, où il pourrait rallier la forte communauté bamoune qui y réside.

25 sièges sur 180 en 2007

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Afrique subsaharienne

Et puis il y a les poids moyens, totalement défaits, comme Victorin Hameni Bieleu, président de l’Union des forces démocratiques du Cameroun (UFDC), qui, en 2007, n’a même pas pu briguer la mairie de Bana, dans le Haut-Nkam (Ouest), dont il est originaire. Sa liste avait été rejetée au profit de celle du milliardaire Joseph Kadji Defosso, « mandaté » pour l’écarter. Dans les quelques formations politiques qui ont tenté, malgré

tout, d’avoir une audience nationale, à la présidence du parti lors du congrès Paul Biya a manœuvré pour créer des du mois d’avril. Mais il trouvera sur son défections ou faire jaillir de nouveaux chemin le vice-président Joshua Osih, également pressenti pour l’après-John Fru partis pour semer la confusion. L’Union Ndi. Et l’UPC et le Manidem comptent, des populations du Cameroun (UPC), eux aussi, de très nombreux jeunes cadres autrefois puissante, a explosé. Elle seule prêts à reprendre le flambeau. paraissait pouvoir inquiéter le parti au pouvoir dans le Littoral. Formés au leadership et à l’animation de De nombreuses autres formations n’ont mouvements sociaux, ils investissent assomême pas de représentativité, leur visibiciations et syndicats de tous les secteurs. litéétantdavantagemédiatique.C’estlecas Pour rallier une plus grande frange de la du Mouvement africain pour la nouvelle population, l’opposition crée désormais de indépendance et la démocratie (Manidem) d’Anicet Les personnalités susceptibles Ekanè, et du Mouvement de se faire entendre ont toutes progressiste (MP), de JeanJacques Ekindi. Candidat été marginalisées par le pouvoir. pour la troisième fois à la présidence, ce dernier a enlevé l’unique multiples associations satellites, comme siège de son parti lors des législatives de Cameroon Ô’Bosso, de Kah Walla. « C’est juillet 2007. Quant aux formations qui aux associations qu’il appartient d’appeler n’ont pas d’élu, elles ont été clochardisées, à la mobilisation des masses, et non aux les financements publics étant réservés partis », estime Bernard Muna, transfuge aux seuls partis représentés soit dans les du SDF et président de l’Alliance des forces mairies soit à l’Assemblée nationale. progressistes(AFP),quivientdedéclarersa candidature à la magistrature suprême. CAVALIER SEUL. Affaiblie face à un pouLeur atout majeur réside dans leur voir puissant, l’opposition est éparpillée hypermédiatisation. Rompus à l’utilien centaines de formations sans assise, sation d’internet et des réseaux sociaux sans moyen de survie, et qui jouent le – Kah Walla dispose d’une liste de diffujeu du pouvoir en s’isolant plutôt que de sion de plus de 10000 correspondants sur s’organiser pour affronter le président sorl’ensemble du territoire –, ils participent à tant. Néanmoins, une nouvelle génération des débats sur les chaînes de télévision et d’opposants tente de rebâtir sa crédibilité signent des chroniques dans des journaux. et de la faire apparaître comme une vraie Mais il leur manque encore un véritable alternative. Comme le député Jean-Michel ancrage sur le terrain. Ils n’ont pas cette Nintcheu, responsable SDF de la région assise qui leur permettrait d’inquiéter la puissante base du Rassemblement démoLittorale, qui fait cavalier seul depuis au cratique du peuple camerounais (RDPC, moins trois ans. En 2008, il était à la tête du mouvement de protestation contre une au pouvoir). Aucun d’entre eux pourtant modification de la Constitution, lequel a ne doute d’avoir l’étoffe d’un homme ou ensuite servi de ferment aux émeutes de d’une femme d’État. ● CLARISSE JUOMPAN-YAKAM, la faim. Toujours au sein du SDF, Célestin Djamen,delasectionFrance,seracandidat envoyée spéciale

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Afrique subsaharienne DIPLOMATIE

Coup de froid entre Brazzaville et Kinshasa Le 25 mars, la RD Congo a rappelé son ambassadeur en poste de l’autre côté du fleuve. À l’origine de la brouille : le général Munene, dont le président Kabila réclame l’extradition.

deux ont en commun d’avoir été arrêtés sur le territoire du Congo-Brazzaville, en janvier dernier pour Munene et en mai 2010 pour Odjani. Kinshasa les accuse d’avoir monté des groupes armés en vue de déstabiliser le pays. Le général Munene serait ainsi à l’origine de l’attaque manquée du 27 février, qui visait, notamment, l’une des résidences du président Kabila. Des actions commanditées, dit-on à Kinshasa, par Honoré Ngbanda, ex-conseiller du maréchal Mobutu « que l’on voit beaucoup à Brazzaville ». À l’issue du procès de ses présumés complices dans deux autres affaires, le général Munene a déjà été condamné à la prison à vie par contumace. Les faits qui sont reprochés à Odjani remontent, eux, à 2009, mais il n’a pas encore été jugé. Les deux hommes Ý JOSEPH KABILA (3 À G.) sont actuellement déteET FAUSTIN nus dans les locaux de la MUNENE Direction générale de la (À DR.) en surveillance du territoire, août 1998, à Matadi. à Brazzaville. Kinshasa, qui enrage de les voir « traités comme des invités d’honneur », réclame leur extradition. E

ISSOUF SANOGO/AFP

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sther Kirongozi n’a pas eu le temps de préparer ses valises. Rappelée de son poste d’ambassadeur à Brazzaville le 25 mars, elle a gagné Kinshasa dès le lendemain. Vite dit, vite fait. Mais les raisons de cette décision n’ont pas été données par le ministère des Affaires étrangères de la RD Congo. Sous le couvert de l’anonymat, à Kinshasa, un officiel lève un peu le voile en parlant de l’« inefficacité de l’ambassadeur qui ne voyait rien, n’entendait rien alors qu’il se passe des choses à Brazzaville ». Un autre affirme qu’il s’agit plutôt d’une « question de réajustement, car certaines situations exigent un profil précis plutôt qu’un autre ». En réalité, malgré les signes d’apaisement qui viennent des deux rives du fleuve Congo, les violons sont loin de s’accorder entre Kinshasa et Brazzaville. Depuis plusieurs mois, le feu couve sous la cendre. D’un côté, la RD Congo, qui se plaint de la présence, chez son voisin, d’éléments qui menaceraient sa sécurité. De l’autre, Brazzaville, qui s’agace d’être N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

toujours pointé du doigt chaque fois que Kinshasa est en difficulté. Au cœur du contentieux, deux noms : Faustin Munene et Lebese Mangbama, dit Odjani. Le premier est un général de l’armée de RD Congo à la retraite. Le second est le chef d’un mouvement insurrectionnel qui a vu le jour dans la région de Dongo (province de l’Équateur), en 2009. Les

DE L’EAU DANS SON VIN. Dans un

premier temps, Brazzaville a dit non. Mais le 9 mars, lors de la réunion de la commission mixte entre les deux pays, le Congo-Brazzaville met de l’eau dans son vin et conseille à son voisin de lui adresser une demande d’extradition conforme à la convention judiciaire existant entre les deux capitales. Cela a été fait pendant le week-end du 26 mars, par le biais de l’ambassade du Congo à Kinshasa, selon un membre des services de renseignements de la RD Congo. Entre-temps, dans

LE PRÉCÉDENT MULELE EN 1964, PIERRE MULELE, ancien ministre du gouvernement de Patrice Lumumba en 1960, déclenche, dans la région du Kwilu (dans l’actuelle province du Bandundu), la première rébellion armée contre le gouvernement central. En 1968, au bout du rouleau, il trouve refuge au Congo-Brazzaville. Kinshasa l’amnistie et demande à Brazzaville de le laisser rentrer au pays. Le gouvernement du général Mobutu jure qu’il ne court aucun risque. Marien Ngouabi, président du Congo-Brazzaville, accepte. Et c’est Justin-Marie Bomboko, ministre des Affaires étrangères de Kinshasa, qui va chercher Mulele à Brazzaville avec le bateau présidentiel. Mais une fois Mulele rentré, Mobutu revient sur sa parole. L’ex-rebelle est accusé d’atteinte à la sûreté de l’État. Condamné par une cour martiale, il est torturé et exécuté. Marien Ngouabi rompt les relations diplomatiques avec son voisin. En 2011, Faustin Munene, lui-même ancien de la rébellion T.L.M.K. muléliste, est un os entre les deux capitales. ● JEUNE AFRIQUE


Afrique subsaharienne un entretien accordé à Jeune Afrique, le président Denis Sassou Nguesso a exprimé son opposition à toute extradition de Munene et d’Odjani, en évoquant le précédent Mulele, qui remonte à 1968 (lire encadré). À Kinshasa, on s’étrangle d’indignation, à l’instar de ce haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur: « Au moment où nous faisons ce qu’ils nous demandent, ils ont déjà une position officielle réticente et rendue publique. Nous doutons de leur sincérité. Chez nous, il y a un moratoire sur la peine de mort. »

Ð PARTISANS DU « KWA NA KWA » en janvier.

TSHITENGE LUBABU M.K.,envoyé spécial JEUNE AFRIQUE

BAUDOIN MOUANDA

« PETIT MALENTENDU ». L’autre point de

friction concerne la présence à Brazzaville d’anciens membres des Forces armées zaïroises (FAZ), de quelques éléments de l’armée actuelle et de rescapés de l’ancienne garde de Jean-Pierre Bemba. Kinshasa estime qu’ils représentent un danger et souhaite qu’ils soient installés ailleurs. Brazzaville prend cela en compte. « Des ex-FAZ, il ne reste pas grand-chose, explique un ancien du renseignement militaire réfugié à Brazzaville. Beaucoup ont été rapatriés en 2004-2005. Certains ont été réinstallés ailleurs. En tout, on parle d’une trentaine de personnes. » Ces hommes se sont engagés à renoncer au métier des armes pour bénéficier de la protection internationale. « Nous vivons dans la précarité la plus abjecte, raconte un ancien major. Sans droits, sans moyens, nos familles se disloquent et nos filles se prostituent. Nous sommes condamnés à faire n’importe quoi : ouverture de cabines téléphoniques, recharge de téléphones mobiles, ouvriers, pousseurs de chariots… » Jusqu’où ira cette crise ? Raymond Zéphirin Mboulou, ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation du CongoBrazzaville, joue l’apaisement. « C’est un petit malentendu, dit-il. Entre les deux pays, il ne peut y avoir de problèmes insolubles. Les mêmes peuples vivent de chaque côté de la frontière. Nous avons discutéàKinshasa,noustrouveronsunterrain d’entente. » Son compatriote Jérôme Ollandet, ambassadeur itinérant, qui vient de publier un livre intitulé Les Relations entre les deux Congo. Évolution et dynamique interne (L’Harmattan), se montre égalementoptimiste:«Cesontdespeuples devenusadversairessanssetransformeren ennemis. Les réconciliations ont toujours été spectaculaires et inattendues. » ●

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CENTRAFRIQUE

Bozizé bien installé

Après la présidence, l’Assemblée nationale. Le parti du chef de l’État devrait obtenir une très confortable majorité à l’issue des législatives.

L

e scénario rêvé par le président massives lors du vote du 23 janvier, centrafricain François Bozizé et auquel elle avait participé. Elle réclame son entourage se réalise : son l’annulation pure et simple des élections parti, le Kwa na Kwa (« Le travail, présidentielle et législatives, et demande rien que le travail », KNK), est proche la tenue d’un nouveau scrutin. Dans d’obtenir une confortable majorité à un rapport documenté, deux experts l’Assemblée nationale. La Cour constimandatés par l’Union européenne lors tutionnelle doit encore confirmer les du premier tour confirment en partie résultats du second tour des législatives, ces accusations. organisé le 27 mars. Mais dans les cercles du pouvoir, la confiance règne. « Le « AU SERVICE DU PEUPLE ». Dominer KNK aura peut-être une soixantaine de l’Assemblée nationale est un atout sièges, sans compter les indépendants notable pour la majorité présidentielle dans l’hypothèse, notamment, du vote qui se joindront à la majorité présidentielle », pronostiquait le porte-parole d’une modification de la Constitution du gouvernement, Fidèle Gouandjika, en vue de permettre au chef de l’État, le surlendemain du scrutin. L’opposition avait dénoncé des Sur les 105 sièges que fraudes au premier tour et appelé compte l’Assemblée nationale, le KNK en au boycott du second round. a déjà remporté 26 au premier tour, le 23 janvier. Couplé à qui entame son deuxième mandat, la présidentielle, le vote fut aussi l’ocd’en briguer un troisième à compter de casion d’une victoire du chef de l’État 2016. Ce dernier ne l’exclut pas. « Vous sortant, François Bozizé. savez, tout dépend du peuple. Si le Si son triomphe se confirme, la forpeuple m’oblige à rester au-delà, moi, mation au pouvoir devra une partie je suis un militaire. Je suis au service du de ses résultats à l’opposition. Cette peuple », avait-il déclaré à Jeune Afrique dernière a appelé au boycott du second peu avant sa réélection. ● tour après avoir dénoncé des fraudes MARIANNE MEUNIER N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011


Afrique subsaharienne SÉNÉGAL

Wade perd sa « dame de fer »

L’hémorragie au Parti démocratique sénégalais se poursuit. C’est au tour d’Aminata Tall de faire défection.

U

n général peut-il partir à la guerre sans lieutenants d’expérience ? Cette question, Abdoulaye Wade va bien finir par se la poser. À l’approche de l’élection présidentielle, prévue en février 2012, le président sénégalais doit faire face à une vague de défections parmi ses collaborateurs de poids. Après Macky Sall en 2008, Cheikh Tidiane Gadio en 2009 et Landing Savané voici quelques mois, c’est au tour d’Aminata Tall, une fidèle parmi les fidèles, de le quitter. Le 27 mars, celle que les Sénégalais surnomment « la dame de fer du PDS » (Parti démocratique sénégalais) n’y a pas été de main morte. Dans son fief de Diourbel, elle a annoncé « la fin de [son] compagnonnage » avec Wade, un « trompeur » qui l’aurait « abusée ». « Je demande solennellement pardon aux Sénégalais et aux Sénégalaises pour la coresponsabilité de tout ce qui s’est passé dans ce pays. J’ai cru à un idéal, à une idéologie de justice, de travail, à un homme, et j’ai été déçue », a-t-elle déclaré. Certes, ce n’est pas la première fois que Mme Tall quitte le président avec fracas. Mais peu d’observateurs la voient cette fois-ci rentrer au bercail.

MBAYE ALIOU/PANAPRESS/MAXPPP

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CE N’EST PAS LA PREMIÈRE FOIS qu’elle quitte le président avec fracas.

Aux côtés de Wade depuis plus de trente ans, Aminata Tall (61 ans), qui n’a connu que le PDS, était une très proche collaboratrice. « Elle est l’une des seules à oser lui dire non. Elle a un fort tempérament », explique le professeur de droit Babacar Guèye. Plusieurs fois ministre

avant d’être nommée secrétaire générale de la présidence en 2009, elle avait quitté le Palais, où elle se sentait de plus en plus à l’étroit, lors du dernier remaniement ministériel en février. Le président lui avait alors proposé le portefeuille de la Fonction publique, mais elle avait refusé, estimant mériter plus. C’est une « grande perte » pour le PDS, a déploré le porte-parole d’un parti de plus en plus divisé. Aminata Tall a longtemps dirigé le mouvement des femmes de la formation libérale. « Elle y a un certain poids », estime M. Guèye. D’ores et déjà, les spéculations vont bon train sur sa

Aux côtés du chef de l’État depuis trente ans, c’est l’une des rares qui osait lui dire non. future destination. Il n’est pas exclu qu’elle rejoigne Idrissa Seck. L’ancien Premier ministre, qui s’oppose ouvertement à une nouvelle candidature de Wade, a aujourd’hui un pied à l’intérieur du PDS et l’autre à l’extérieur. Dans le camp du président, le vide commence à se faire sentir. La faute, estime un ancien ministre de Wade, à un entourage de nouveaux venus « qui font perdre le sens des réalités au président et éloignent tous les fidèles de la première heure ». Tall, comme Gadio ou Savané, « n’a aucun poids politique, cela ne change rien », rétorque un proche de Karim Wade, le fils du président. ●

Coulisses GABON BEAC, SUITE Armand Ndzamba et Maurice Moutsinga restent en prison. La juge d’instruction en charge de l’enquête sur le scandale de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) a décidé le maintien en détention préventive du comptable du bureau parisien de la Beac et de l’ancien directeur de la comptabilité, àYaoundé, incarcérés respectivement N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

RÉMI CARAYOL, envoyé spécial

Afrique subsaharienne depuis le 6 octobre 2009 et le 13 juillet 2010. L’enquête est quasiment bouclée et l’ouverture du procès devrait suivre rapidement. BÉNIN BONI YAYI SANS APPEL « Je ne me fais aucune illusion sur mes recours en annulation », expliquait Abdoulaye Bio-Tchané, troisième à l’élection présidentielle béninoise, le 13 mars. Bien vu.

La Cour constitutionnelle a rejeté, le 30 mars, son appel ainsi que celui d’Adrien Houngbédji, arrivé deuxième. Le président BoniYayi est « définitivement élu », selon les juges. Cap à présent sur les législatives du 17 avril. SOUDAN SILENCE SUR LE NET Pas question de laisser l’opposition s’exprimer.

Le 22 mars, le viceprésident du parti au pouvoir, le National Congress Party (NCP), a annoncé que des « cyberdjihadistes » se tenaient prêts « à faire taire » les groupes hostiles au gouvernement sur Facebook etTwitter. La veille, des manifestations avaient eu lieu à Khartoum pour protester contre la vie chère et demander le départ du président El-Béchir. JEUNE AFRIQUE


LE RÉSEAU DES FEMMES ÉLUES LOCALES D’AFRIQUE

UNE FORCE DE CHANGEMENT ET D’ÉMANCIPATION Tanger vient d’être le lieu de naissance du premier Réseau des Femmes élues locales d’Afrique. C’est du moins la volonté exprimée par plus de 700 participantes venues de 47 pays assister au premier Forum des Femmes élues locales d’Afrique. Ce Forum a été organisé du 8 au 11 mars par Cités et Gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLUA), sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, sur le thème : «Objectifs du Millénaire pour le Développement et Bonne Gouvernance : Rôles et Responsabilités du Leadership féminin ». Cette manifestation répond à la demande des participants du Sommet Africités V (Marrakech, 16 au 20 décembre 2009) et fait écho à la création en juillet 2010 par l’Assemblée générale des Nations-Unies d’ONU-Femmes. Mission : promouvoir la parité et l’autonomisation des femmes. La création de ce nouveau réseau ne pouvait pas mieux tomber. Le 24 février 2011 à New York, les Nations-Unies procédaient au lancement officiel de ONU-Femmes et adoptaient sa feuille de route présentée par Madame Michelle Bachelet, directrice exécutive de ONU-Femmes et ancien chef d’État du Chili. L’Afrique est d’ailleurs à l’ordre du jour des priorités d’ONUFemmes : tandis que les femmes élues locales d’Afrique ouvraient leur Forum le 8 mars à Tanger, Madame Bachelet fêtait la Journée internationale de la Femme à Monrovia, aux côtés de Madame Ellen Johnson Sirleaf, Présidente du Libéria.

Premier Forum des Femmes Élues Locales d’Afrique

L’enjeu ne semble plus être aujourd’hui la volonté politique sur l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes, mais bien la traduction de cette volonté proclamée dans l’amélioration concrète de la condition de la femme partout dans le monde, et en particulier en Afrique où l’on constate un retard handicapant sur cette question. Les femmes élues locales d’Afrique veulent se mobiliser à travers leur réseau pour contribuer à changer cet état des choses. L’enthousiasme qu’elles montrent sera-t-il à la hauteur des attentes qu’elles ont soulevées ?

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ENTRETIEN

À

quatre années de l’échéance de 2015 fixée en 2000 pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), on est sûr désormais que l’Objectif 3 sur l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ne sera pas atteint quelle que soit la région du monde considérée. Or l’on sait que la tolérance à l’injustice faite aux femmes prépare les conditions de l’acceptation des injustices dans la société ; on sait que le déni des droits des femmes est le prélude à la tolérance aux inégalités et aux discriminations au sein de la société. C’est consciente de la portée sociétale de la question de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes que la Communauté internationale a pris l’initiative de mettre en place ONUFemmes. ONU-Femmes a pour objectif principal d’amener les instances internationales et les États membres de l’ONU à prioriser l’OMD 3 dans leurs politiques et stratégies de développement et de gouvernance.

CGLUA s’associe à cet effort, et a inclus dans son Plan d’Action Triennal 2010-2012, la création du Réseau des Femmes Élues Locales d’Afrique. C’est pour mettre en place ce Réseau que le Premier Forum des Femmes Élues Locales d’Afrique a été organisé à Tanger, du 8 au 11 mars 2011, avec le soutien du Royaume du Maroc. Ce Forum a réuni 738 déléguées originaires de toutes les régions d’Afrique. Il a eu le privilège de recevoir un message de Madame Nouzha Skalli, Ministre du Développement Social, de la Famille et de la Solidarité, de Mr. Tarayia Ole KORES, Président de la CGLUA, de Mme Michelle Bachelet, Directrice exécutive d’ONU-Femmes, et de Mme Melane Verveer, Ambassadrice Plénipotentiaire chargée des questions des femmes au Département d’État des États-Unis d’Amérique. Le Forum a mis en place le Réseau des Femmes Élues Locales d’Afrique, l’a doté d’un plan d’action, d’un Bureau de 15 membres (5 par région d’Afrique) et d’une Présidence de 5 membres (1 par région d’Afrique). C’est à ce Réseau, qui agit désormais comme la Commission Femmes de CGLUA, que revient de convaincre les Femmes d’Afrique de s’investir dans la vie politique, de se présenter plus nombreuses aux élections locales, de briguer les postes de maires ou de présidentes de régions, et d’influencer les politiques locales et nationales dans un sens plus favorable à l’égalité des sexes, l’autonomisation et l’émancipation des femmes. Pour sa part, le Secrétariat général de CGLUA mettra en place une ressource dédiée au siège de l’organisation à Rabat, pour apporter tout l’appui nécessaire au Réseau dans l’accomplissement de ses missions. Jean-Pierre ELONG MBASSI Secrétaire général de CGLUA

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MILOUDA HAZEB, PRÉSIDENTE DU RÉSEAU DES FEMMES ÉLUES LOCALES D’AFRIQUE, PRÉSIDENTE DU CONSEIL DE L’ARRONDISSEMENT ANNAKHIL (MARRAKECH). Que comptez-vous entreprendre pour rendre le Réseau des femmes élus locales d’Afrique effectif ? La première action sera de restituer les travaux du Forum de Tanger dans nos collectivités locales et nos communautés de base respectives, et de partager le plan d’action et la feuille de route adoptés à Tanger au sein de nos conseils municipaux, départementaux, provinciaux ou régionaux, et avec les organisations de la société civile engagées dans la cause de la Femme. Les Vice Présidentes et les membres du Bureau du Réseau coordonneront cette action au sein de chaque région d’Afrique. Parallèlement nous allons communiquer les résultats du Forum de Tanger à ONU-Femmes, à l’organisation mondiale des Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) et à toutes les institutions et organisations intéressées par l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. La deuxième action est de créer une page Web du Réseau au sein du Portail Internet de CGLUA. Cette page Web servira de plate-forme d’échanges d’expériences et de bonnes pratiques ainsi que de point de ralliement pour les membres du Réseau. La troisième action consiste à lancer une intense campagne de mobilisation en faveur de l’engagement des femmes dans la vie politique locale pour voir de plus en plus de femmes candidates aux élections locales et aux postes de leaders des collectivités locales, en tant que maires, présidentes de régions ou d’assemblées départementales ou provinciales. Nous comptons aussi sur une présence accrue des femmes dans les bureaux des associations nationales des collectivités locales, et pourquoi pas comme présidentes de ces associations ? Nous ferons pression sur les gouvernements pour que les lois et règlements garantissent une meilleure représentativité des femmes dans la vie politique, notamment au niveau local. Nous interpellerons les partis politiques pour qu’ils fassent une plus large part aux femmes parmi leurs candidats en position éligible aux différentes élections locales.


Le Réseau est la première tentative de coalition pour porter la voix des femmes africaines engagées en poltique.

RENDEZ-VOUS AU PROCHAIN SOMMET AFRICITÉS, À DAKAR EN 2012, POUR UN PREMIER BILAN

Le chiffre de 30 % au moins des femmes élues locales a été avancé comme objectif à atteindre par les déléguées au Forum de Tanger. Nous estimons que cet objectif doit pouvoir atteint au plus tard au cours des deux prochains mandats électoraux locaux, d’autant que certains pays comme le Lesotho (58 % d’élues locales), le Rwanda (50 % d’élues locales) ou encore l’Afrique du Sud (40 % d’élues locales) ont parmi les meilleurs taux au monde de représentativité des femmes dans la vie politique locale. Je suis persuadée que l’exécution des actions prévues dans la feuille de route du Réseau adoptée à Tanger sera poursuivie par la première Vice Présidente qui prendra le relais comme présidente du Réseau après mon mandat d’une année. Le travail en réseau n’est pas facile. Comment maintenir l’enthousiasme observé lors du Forum ? Ne craignezvous pas qu’il retombe une fois les déléguées rentrées chez elles ? Vous avez raison de souligner la difficulté voire la délicatesse du travail en réseau. Nos actions prioritaires impliquent fortement les membres du Bureau dans chaque région, ce qui va maintenir la mobi-

lisation des membres du Réseau dans toutes les régions d’Afrique. Autre élément important, le Réseau des Femmes élues locales d’Afrique est en fait la Commission Femmes de CGLUA dont la notoriété est maintenant bien établie. Ce n’est donc pas un réseau de plus, susceptible de connaître les difficultés habituelles des réseaux qui naissent sans assise préalable. Nous avons structuré le Réseau sur le même modèle que les instances de CGLUA, en nous appuyant sur les cinq régions d’Afrique. Cela nous donne une capacité d’action dans la proximité, tenant compte des spécificités de chaque région. Nous pensons que la cause est assez noble et enthousiasmante pour maintenir la flamme allumée à Tanger. Que répondez-vous à ceux qui sont dubitatifs sur la capacité des femmes élues locales de faire une quelconque différence par rapport à la condition de la Femme en Afrique ? Je voudrais d’abord leur rappeler qu’une chanson popularisée lors de la dernière édition de la Coupe du Monde de Football proclame que « c’est maintenant le temps de l’Afrique » (It’s time for Africa). J’irai plus loin en affirmant que « c’est mainte-

nant le temps de la Femme Africaine ». Et c’est la responsabilité des femmes élues locales d’Afrique de contribuer à ce que cette proclamation se matérialise sur le terrain, par l’amélioration réelle et concrète de la condition de la Femme sur notre continent et partout dans le monde. C’est en parlant d’une même voix que cela est possible. Et le Réseau des femmes élues locales d’Afrique est la première tentative de coalition continentale de la voix des femmes africaines engagées en politique. Il n’y a aucun doute qu’ensemble nous ferons la différence. Nous ferons mieux entendre notre point de vue ; nous participerons à toutes les actions pertinentes contenues dans la feuille de route d’ONUFemmes comme dans la nôtre. Et nous arriverons à faire régresser la violence faite aux femmes et à faire progresser l’accès des femmes aux droits, leur condition économique, la prise en compte de leurs préoccupations dans les priorités de l’agenda politique local et national, voire continental et mondial. Nous en avons la volonté et nous la transformerons en capacité. Bien sûr, cela ne se fera pas en un jour. Mais vous verrez que d’ici un an à un an et demi, des résultats tangibles pourront être montrés. Je donne rendezvous aux sceptiques en décembre 2012 à Dakar lors du Sommet Africités au cours duquel nous comptons présenter un premier bilan de l’activité du Réseau des Femmes élues locales d’Afrique. ■

L’ACADÉMIE AFRICAINE DES COLLECTIVITÉS LOCALES, LEVIER D’INVESTISSEMENT DANS LE CAPITAL HUMAIN

P

our relever le défi du développement et d’une urbanisation accélérée, les pays africains mettent en œuvre des politiques de décentralisation qui se traduisent par le transfert aux collectivités locales de certaines attributions et missions jusqu’alors exercées par l’État central. Évaluées sur leur capacité à assurer la fourniture des services de base, à stimuler la compétitivité économique, à garantir l’inclusion sociale, et à répondre aux préoccupations de développement durable, les collectivités locales sont confrontées à l’accroissement des besoins en formation, en création de compétences et en renforcement des capacités.

Reconnu comme le maillon faible des politiques de décentralisation en Afrique, le capital humain a fait l’objet d’une attention particulière lors du Sommet Africités V (Marrakech, décembre 2009). Le Ministre de l’Intérieur du Maroc s’est fait l’écho de cette préoccupation en proposant de mettre en place un dispositif de formation des élus et du personnel des collectivités locales d’Afrique, soutenu par un fonds dédié, proposition adoptée par une résolution du Sommet. C’est pour traduire cette résolution dans les faits que le Secrétariat Général de CGLUA a proposé la mise en place d’une Académie Africaine des Collectivités Locales. L’Académie Africaine des Collectivités locales vise à systématiser et rendre plus efficace la formation des élus locaux et du personnel des administrations des collectivités territoriales, et à renforcer les échanges d’expériences entre les collectivités territoriales du continent. Actuellement à l’étude, le dossier de faisabilité doit recenser et préciser l’offre de formation et les métiers ciblés, définir la structure juridique et organisationnelle, et proposer des modalités de financement ainsi qu’un calendrier de mise en œuvre. L’Académie Africaine des Collectivités locales doit démarrer ses activités en 2012. MESSAGE


OUS, FEMMES ÉLUES LOCALES D’AFRIQUE ayant pris part aux travaux du premier Forum des Femmes Élues Locales d’Afrique, organisé par Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique (CGLUA), au Royaume du Maroc, à Tanger, du 8 au 11 Mars 2011, sous le Haut Patronage de sa Majesté le Roi MOHAMMED VI-Que Dieu l’Assiste, et sur le thème « Objectifs du Millénaire pour le Développement et Bonne Gouvernance : Rôles et Responsabilités du Leadership Féminin » :

› Nous en appelons en conséquence au respect scrupuleux de ces principes en tout temps et en tout lieu, et invitons les décideurs et populations d’Afrique à les considérer comme la référence pour rechercher les solutions aux crises et conflits auxquels ils sont confrontés ;

Conscientes des défis que soulèvent les processus de démocratisation et de consolidation des institutions dans bon nombre d’États Africains, notamment en matière de paix, de sécurité et de développement,

› Nous nous félicitons de la création de ONU-Femmes et nous engageons à contribuer à la mise en œuvre de sa Feuille de Route, en particulier en Afrique, à savoir : renforcer l’influence, le leadership et la participation des femmes ; mettre fin à la violence contre les femmes ; impliquer les femmes dans les processus de résolution des conflits et de promotion de la paix et de la sécurité ; renforcer l’autonomisation économique des femmes ; et mettre l’égalité des sexes au cœur du processus de planification, de budgétisation et des statistiques nationales, locales et sectorielles - Nous exhortons tous les acteurs, État, Collectivités Locales, Secteur Privé et Société Civile, à soutenir ONU-Femmes et à contribuer de manière agissante au succès de la mise en œuvre de sa Feuille de Route, tout particulièrement en Afrique ;

Reconnaissant l’engagement des États africains en faveur de la Décentralisation comme levier stratégique pour la participation des populations à la gestion de leurs propres affaires, Considérant le rôle essentiel que jouent les politiques de Décentralisation dans l’instauration de relations de confiance entre les populations et les institutions de l’État, et dans l’amélioration de la gouvernance des affaires publiques, Appréciant l’attention grandissante accordée à la cause et aux préoccupations des femmes au niveau de la Communauté Internationale, reflétée en particulier par la mise en place d’une entité spécifique, en l’occurrence ONU-Femmes, Tenant compte de la place et du rôle multiséculaires des femmes africaines dans la vie économique, sociale et culturelle de leurs communautés, Observant les avancées non négligeables faites par certains États africains en matière de promotion de la femme, y compris dans la vie politique, Constatant, toutefois, la faible part prise par les femmes dans la vie publique dans la majorité des États africains, bien qu’elles représentent partout plus de la moitié de la population et qu’elles soient des actrices de premier plan dans la dynamique économique du Continent, Déclarons ce qui suit : › Nous affirmons notre attachement aux principes de démocratie et du respect des droits humains tels que formulés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, son Protocole Additionnel sur les droits économiques, sociaux et culturels ainsi que dans la CEDAW ;

› Nous affirmons que l’intégration de l’Afrique est la voie à privilégier pour son développement et que les Collectivités Locales sont les briques de base et la clef-de-voûte de cette intégration ;

› Nous appelons tous les partenaires à soutenir les femmes élues locales des Collectivités Locales Africaines ; › Nous nous réjouissons de la mise en place du Réseau des Femmes Élues Locales d’Afrique à l’issue des travaux du Forum tenu au Royaume du Maroc à Tanger et demandons à toutes les femmes élues locales d’Afrique d’y adhérer et de supporter l’application de son Plan d’action ; › Nous demandons que le Réseau ainsi créé devienne la Commission Femmes de CGLUA et qu’il lui soit affecté une ressource dédiée qui travaillera à la préparation et au suivi de ses activités au Siège de l’Organisation à Rabat ; › Nous invitons instamment l’Organisation Mondiale de Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) à redynamiser la Commission Femmes afin que la voie des Femmes Élues Locales soit mieux entendue au niveau mondial./.

LES MEMBRES DE LA PRÉSIDENCE DU RÉSEAU

Fait à Tanger, le Jeudi 10 Mars 2011 Les Femmes Élues Locales d’Afrique

COORDONNÉES

La Présidente, Mme Milouda HAZEB, Royaume du Maroc.

CGLUA

La 1 Vice-Présidente, Mme Maria José CORREIA Helen LANGA, Mozambique.

22 rue Assaâdiyines – Quartier Hassan san

Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique

e

La 2e Vice-Présidente, Mme Aicha SANOU TRAORE, Burkina Faso.

Rabat – Royaume du Maroc Tel. +212 537 26 00 62/63

La 3e Vice-Présidente, Mme Odette MOUYAYOU NDEMBER, Gabon.

Fax +212 537 26 00 60 info@localafrica.org

La 4e Vice-Présidente Mme Joséphine KASYA, Ouganda.

www.localafrica.org MESSAGE

MESSAGE RÉALISÉ PAR DIFCOM/CC - © D.R.

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DÉCLARATION DE TANGER


PETER DI CAMPO/VII

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ENQUÊTE

AU GHANA, SAMIA NKRUMAH est la seule élue du parti de Kwame Nkrumah.

Au nom du père Qu’ils aient sombré dans l’oubli ou qu’ils se battent pour se faire un prénom, on sent toujours chez les héritiers des grands artisans de l’histoire africaine la difficulté de trouver leur place.

CLARISSE JUOMPAN-YAKAM

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ls s’appellent Lumumba, Nkrumah, Tshombe, Dacko ou Tombalbaye… Certains se sont fait des prénoms et figurent parmi les élites de leur pays. D’autres ont sombré dans l’oubli. Dans leurs propos, on devine le poids de l’héritage, et la difficulté – peut-être – pour ces filles et fils de grands artisans de l’histoire africaine de vivre le grand écart entre passé et présent. Discrets, loin de constituer une confrérie où l’on se fréquente et où l’on s’entraide (bien que les Lumumba et les Nkrumah affirment avoir partagé le même parrain, le président égyptien Abdel JEUNE AFRIQUE

Nasser), ils tentent de s’imposer dans divers secteurs professionnels, avec souvent un passage par la case politique. Ils sont pédiatre (Babette Ahidjo) ou journalistes (Sékou et Nasser Nkrumah), responsable des ressources humaines ou consultant (Faïza et Azeddine Ould Daddah), et disent vivre des fruits de leur travail. LETTRE-TESTAMENT. Maislorsqu’ils

se racontent, c’est toujours par l’appel de leur géniteur qu’ils déroulent leur récit. Par le désir de poursuivre ou de réaliser ses idéaux qu’ils justifient leur parcours. Pour Samia Nkrumah, 51 ans, seule élue du

Convention People’s Party (CPP), la fibre politique s’est manifestée à mesure qu’elle découvrait les écrits de Kwame Nkrumah, père de l’indépendance du Ghana. Alors que personne ne pariait sur sa victoire, elle a réussi à ramener au Parlement le parti de son père six mois seulement après son retour définitif au pays, en 2008. « Mon nom était un atout, mais j’ai dû battre campagne jour après jour dans les 300 circonscriptions de l’Ouest ghanéen », affirme-t-elle. La prochaine étape pour cette ancienne journaliste, c’est la présidence du CPP, qu’elle briguera en avril. « Pas pour me mettre en avant, mais pour créer une formation d’envergure nationale réunissant tous les micropartis qui se réclament de Nkrumah et optimisernoschancespourlaprésidentielle de 2012 », assure-t-elle. ChezRolandetJulianaLumumba, l’engagement politique est guidé par la lettre-testament adressée à leur mère. « À mes enfants que je N 0 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011


N 0 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Ð SI JULIANA LUMUMBA s’est engagée en politique, c’est, dit-elle, pour respecter la mémoire de celui qui fut Premier ministre de la République du Congo.

ONS ABID POUR J.A.

FONDS DE COMMERCE. Trois de ses quatre enfants ont effectué une carrière politique, souvent empreinte de panafricanisme. Avoir vécu aux côtés du président NasseretcôtoyéKwameNkrumah pendant leur exil laisse for- P cément des traces. Ministre de la Culture sous LaurentDésiré Kabila, de 1998 à 2001, Juliana Lumumba est depuis neuf ans secrétaire généraledel’Unionafricaine des chambres de commerce, d’industrie, d’agriculture et des métiers.InstalléeauCaire,ellemilite pour la création d’une Fédération des États africains. Tout comme son frère, Roland Lumumba, ancien député, qui, en tant que secrétaire général du Forum des ONG araboafricaines, appuie le projet dans la société civile africaine. Mais cet architecte de formation au carnet d’adresses bien fourni sillonne aussi l’Afrique pour du conseil en financement de projets. Il dit « vivre confortablement », grâce aux revenus de son cabinet d’architecte de Kinshasa. À ceux qui leur reprocheraient d’utiliser leur nom comme fonds de commerce, Juliana Lumumba rétorque: « Nous ne nous sommes jamais considérés comme légataires de la légitimité ni de Lumumba ni du lumumbisme, pour la simple raison qu’il n’avait pas vocation à devenir un roi, ni sa famille une dynastie. » Justine Kasa-Vubu est l’une des neuf enfants de Joseph Kasa-Vubu, premier président de la République du Congo, entre 1960 et 1965, mort quatre ans après avoir été renversé par Mobutu. Présidente du Mouvement des démocrates (MD) et probable candidate

à la présidentielle de 2011, cette sociologue de 59 ans, qui vit entre Bruxelles et Kinshasa, a fait le pari de rendre à son père sa place dans l’Histoire. Représentante de son pays à la Francophonie,aprèsavoirétéministre des Affaires sociales de LaurentDésiré Kabila, Isabelle Tshombe a peu ou prou les mêmes revendications pour Moïse Tshombe, ancien Premier ministre congolais, « qu’on veut réduire à la sécession katangaise. Des historiens scélérats veulent faire l’impasse sur son existence et son rôle pacificateur. Mon combat, aujourd’hui, consiste à remettre les pendules à l’heure ». Partie de son pays à l’âge de 3 ans, pour

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laisse, et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux, comme il attend de chaque Congolais, d’accomplir la tâche sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté », écrivait Patrice Lumumba, Premier ministre de la République du Congo, actuelle République démocratique du Congo, peu de temps avant sa mort.

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Afrique subsaharienne Enquête

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la France et la Belgique, c’est bien par le Katanga que cette philosophe de formation a repris contact, en 1997, avec une RD Congo en guerre. « En tant que consultante, explique-t-elle, je devais structurer le gouvernement de cette province et surtout montrer que les femmes peuvent justifier d’un leadership sans nécessairement se compromettre. » Pour ses frères aînés, traumatisés par la mort du père, Isabelle Tshombe a entrepris un autre combat, judiciaire celui-là : récupérer tous les avoirs financiers dont la famille s’estime spoliée. Loin de toute revendication, les enfants du président tchadien

RONELNGAR TOMBALBAYE, fils de l’ancien chef de l’État tchadien. À la mort ce dernier, en 1975, ses proches se réfugient en Haïti.

François Tombalbaye (mort Ngarta Tombalbaye), assassiné lors d’un coup d’État en 1975, se sont, eux, employés à se faire des prénoms, leur nom étant généralement associé à une personnalité controversée. Fonctionnaire international à la Banqueafricainededéveloppement (BAD), après un cursus aux ÉtatsUnis, Ronelngar, 57 ans, ne s’est pas engagé en politique, contrairement à son frère Salomon, conseiller du président Idriss Déby Itno jusqu’à son décès, en mars 2010, après avoir été ministre de la Santé, puis ministre des Télécommunications. Ronelngar Tombalbaye n’a pas oublié les périodes de vaches JEUNE AFRIQUE


Au nom du père

PAULINE BEUGNIES POUR J.A.

a réparti sa pension d’instituteur entre ses veuves. « Faute de revenus réguliers et à la limite du dénuement, mes frères ont souvent compté sur la solidarité familiale », raconte Ronelngar Tombalbaye. Et s’il lui arrive de s’entretenir avec David Dacko, fils de l’ancien président centrafricain en poste à la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), au Cameroun, ce n’est pas pour pleurer sur le passé. SUBVENTIONNÉS. Fille, elle aussi,

« Nos moyens sont limités, mais nous essayons d’en trouver pour les autres », confie celle qui vit d’une pension de retraite « bien modeste, voire insuffisante ». Après avoir connu les ors et les dorures des palais, elle s’est adaptée. « Parce que nous savions que le pouvoir est fait pour servir et non pour se servir », explique-t-elle. Elle dispose d’une maison qu’elle juge correcte, « [leur] seul bien acheté grâce à un emprunt bancaire lorsque [son] mari était au pouvoir ». Mariem Ould Daddah a conservé des relations avec une seule des ex-premièresdamesdel’époquedes indépendances, Germaine Ahidjo, l’épouse,toujoursenexilauSénégal, de l’ancien président camerounais Ahmadou Ahidjo. « C’est une vraie amie. Nos époux aussi étaient très proches. » Comme elle, Germaine Ahidjo travaille à la réhabilitation de la mémoire de son mari. Elle veut obtenir le rapatriement de sa dépouille dans son pays. Sans être l’épouse d’un président de la période des indépendances, Mariam Sankara n’en est pas moins celle d’une icône. Première dame atypique sous la présidence du Burkinabè Thomas Sankara, elle travaillait et n’a donc jamais véritablement tenu ce rôle, ni profité des

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d’un ancien président congolais, Line Massamba-Débat a bien envisagé la création d’une association destinée à rechercher et à venir en aide aux enfants d’ex-leaders africains. Elle a rencontré plusieurs chefs d’État, mais n’a pas obtenu les RUE subventions escomptées. DE S A Toutefois, la plupart n’en ont pas vraiment besoin. C’est le cas de Salvador Yaméogo,filsdeMaurice Yaméogo, premier président de la Haute-Volta (actuel Burkina Faso). À la tête du Rassemblement des démocrates pour le Faso (RDF), il ne renie pas ses affinités avec Blaise Compaoré, tandis que son frère Hermann apparaît, au gré de ses humeurs, comme l’un de ses opposants les plus crédibles. Pour sa famille, le nom À quelques exceptions de François Tombalbaye près, la plupart des expremières dames se fut parfois lourd à porter. sont évanouies dans la nature. Épouse du premier présiavantages qu’il peut conférer. Digne dent mauritanien, Moktar Ould et discrète depuis l’assassinat de son Daddah, décédé en 2003, deux mari, le 15 octobre 1987, elle vit son ans seulement après son retour de drame en silence, entre Bamako et vingt-trois ans d’exil, Mariem Ould Montpellier. Et il lui aura fallu dix Daddah se consacre à la fondation ans, quelques semaines avant la JUSTINE qui porte son nom, « afin que ses prescriptionducrime,pouroserporKASA-VUBU, fille compatriotes gardent en mémoire ter plainte. Son avocat, Dieudonné du premier les deux premières décennies postNkounkou, a saisi le tribunal de président de grande instance de Ouagadougou indépendance, longtemps occulla République tées ». Cette Française d’origine, pour l’exhumation et l’identification du Congo, veut lui rendre qui vit toujours à Nouakchott et dit du corps de Thomas Sankara, grâce sa place dans avoir « épousé la Mauritanie », enreà des tests ADN. Il ne lui connaît pas l’Histoire. gistre quelques succès, comme le d’emploi fixe, mais affirme qu’elle plus grand boulevard de la capitale « se débrouille ». L’intéressée dit baptisé du nom de son mari. Plutôt vouloir faire son deuil et retourner à l’anonymat, un droit réclamé lourd à porter avant les années 1990, le nom Ould Daddah vaut désorpar beaucoup de ces « fils, filles et mais des témoignages de respect. épouses de… ». ● HI

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GAEL TURINE/VU POUR J.A.

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maigres, notamment en Haïti, où la famille s’était réfugiée. Pas plus que les amis qui se sont vite détournés. « Nous y étions préparés, mon père ayant pris soin de nous arrimer à la réalité, explique-t-il. Je lui suis reconnaissant de nous avoir inculqué ces valeurs grâce auxquelles nous nous sommes construits à la force du poignet. » Après la réhabilitation de Ngarta Tombalbaye, en 1986, le gouvernement tchadien JEUNE AFRIQUE

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Maghreb & Moyen-Orient

Béji Caïd Essebsi

« La révolution, ce n’est pas la démocratie » Depuis son arrivée au poste de Premier ministre du gouvernement provisoire, les esprits se sont apaisés et le pays s’est progressivement remis au travail. Sa mission : mener à bien la transition en évitant la chasse aux sorcières, tout en veillant à ce que justice soit faite.

Propos recueillis à Tunis par

T

MARWANE BEN YAHMED

unis, fin mars. Hormis quelques chars et blindés qui veillent sur certains édifices publics (ministère de l’Intérieur, ex-siège du RCD, Banque centrale) ou privés (supermarchés, médias), il n’est plus guère designesduchaospostrévolutionnairequ’a connu le pays. Les citoyens ont repris leurs activités – goûtant leur nouvelle liberté –, les grands chantiers d’infrastructures se poursuivent, les terrasses des cafés sont bondées et les embouteillages ont refait leur apparition. Dernier véritable reliquat de la crispation passée, les forces de sécurité – police et armée confondues – stationnent aux abords du Palais de la Casbah, où se trouvent les services du nouveau Premier ministre, Béji Caïd Essebsi. N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Nommé le 27 février en remplacement de Mohamed Ghannouchi, démissionnaire, « BCE », comme on l’appelle, nous a reçu dans l’un des salons du palais, qui abritait jadis la chambre du bey, puis le bureau du ministre des Affaires étrangères, poste qu’il occupa, entre autres fonctions, sous l’ère de feu Habib Bourguiba. Souvenirs… Celui qui a aussi présidé la Chambre des députés pendant un an, au début du règne de Zine el-Abidine Ben Ali, et qui a la lourde charge, aujourd’hui, de conduire une transition à hauts risques nous a accordé un long entretien, malgré un emploi du temps surchargé, n’éludant aucune question et rompant avec la langue de bois de l’ancien régime. Cet homme de 84 ans a vécu de l’intérieur, et parfois de

très près, l’histoire de la Tunisie moderne depuis son indépendance, en 1956. Plus d’un demi-siècle plus tard, il entend bien boucler la boucle et mettre enfin le pays sur les rails de la démocratie. JEUNE AFRIQUE: Depuis votre nomination au poste de Premier ministre, le 27 février, les esprits se sont apaisés. Pourtant, la transition que vous êtes chargé d’assurer manque toujours de lisibilité. Si l’objectif du 24 juillet prochain, date de l’élection de l’Assemblée constituante, est clair, le chemin pour y parvenir l’est beaucoup moins… BÉJI CAÏD ESSEBSI : Il faut bien que

tout le monde ait conscience du fait que la situation actuelle est délicate, bien plus, par exemple, que celle qui prévalait au moment de l’indépendance. Nous sortons JEUNE AFRIQUE


« Nous avons répondu aux attentes de la majorité en décidant l’élection d’une ASSEMBLÉE CONSTITUANTE. »

dedeuxdécenniesd’unpouvoirobscurantiste. La frustration et l’humiliation subies par le peuple étaient incommensurables. La Cocotte-Minute a explosé, sans encadrement ni leadership. Aujourd’hui, tout déborde : le ressentiment, les espoirs, les attentes… Dans un cadre, rappelons-le, extrêmement dangereux. Les résidus de

la continuité et la pérennité de l’État. Aujourd’hui, il semble que ma nomination ait ramené la confiance. Mon problème, le défi majeur, est de ne pas la décevoir. Ce qui, justement, serait de nature à rassurer les Tunisiens, c’est un véritable calendrier de mise en œuvre de la

Ma nomination a ramené la confiance. Le défi majeur est de ne pas la décevoir. l’ancien régime préparaient des exactions pour semer le chaos. Cette transition est donc extrêmement difficile à mener, ce qui explique les flottements de l’équipe précédente, à qui je ne jette absolument pas la pierre. Elle a pu commettre des maladresses, mais elle a assuré l’essentiel: JEUNE AFRIQUE

démocratie, des différentes étapes qui y conduisent. Où en est-on ?

J’ai toujours dit que la révolution, ce n’est pas la démocratie. La révolution lui ouvre seulement la porte, comme elle peut d’ailleurs également ouvrir la porte à la pagaille et, peut-être, à l’enterrement

de cette démocratie. Le plus difficile est donc de mettre en place les conditions de ce processus progressif. Nous avons répondu aux attentes de la majorité de la population en décidant l’élection d’une Assemblée constituante. Nous avons également mis sur pied une commission nationale [l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, NDLR] afin d’étudier la restructuration politique du pays. Elle travaille actuellement à l’élaboration d’un nouveau code électoral. Il y a beaucoup de discussions autour de ce dernier projet. Et compte tenu de la composition de cette commission, dont tout le monde veut être, cela ne se passe pas comme on met une lettre à la poste… Cet éclectisme favorise les points de vue divergents et complique leschoses.Ilyabeaucoupdepalabres,c’est N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

NICOLAS FAUQUÉ/WWW.IMAGESD

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Maghreb Moyen-Orient vrai. Mais pas au point de nous empêcher d’être prêts à la date fixée. Qui décidera, en dernier ressort ?

L’instance rendra un avis, mais c’est au gouvernement qu’il incombe de trancher.

Je suis revenu car ma génération est aussi responsable de ce qui est arrivé. Que se passera-t-il une fois la Constituante installée ?

Elle élira un président provisoire, qui nommera son gouvernement, provisoire luiaussi.L’Assemblées’attacheraàélaborer la nouvelle Constitution, ce qui, d’après moi, ne devrait pas prendre plus de six mois. Puis cette dernière sera soumise à référendum. Il sera temps, ensuite, de renouer avec un processus démocratique normal : élections présidentielle et législatives. La grande inquiétude des Tunisiens, c’est la sécurité. Que reste-t-il des nervis de l’ancien régime ?

Je n’aime pas la chasse aux sorcières, il nous faut donc faire preuve de

discernement. La police politique de Ben Ali a été dissoute. La police tout court, elle, fait l’objet d’un grand ménage. Les cas les plus évidents, ceux qui ont commis des exactions, des actes de torture ou autres, sont déjà devant la justice, aujourd’hui réellement indépendante, qui étudie les dossiers au cas par cas. Cela ne va pas aussi vite que nous l’aurions souhaité, mais je préfère cela à l’injustice. Comment avez-vous vécu ce fameux 14 janvier et la fuite de Ben Ali ?

Croyez-moi ou non, je savais que Ben Ali allait s’enfuir. On m’a beaucoup consulté pendant la révolte. Certains chefs de partis politiques sont venus me voir et m’ont dit: « Comment va-t-on s’en sortir ? » Je leur répondais : « Ne vous inquiétez pas, Ben Ali va vous aider. Il va s’enfuir… » Je ne suis pas Madame Soleil, mais c’était dans l’ordre des choses. Cet homme n’avait aucune éthique. Il n’avait pas plus de courage. Mais son départ a été un énorme soulagement. Quelles relations entreteniez-vous avec lui ?

Aucune. En vingt ans, nous ne nous sommes parlé qu’une seule fois, lors d’une rencontre fortuite dans un restaurant où j’emmène mes petits-enfants le dimanche. «Bonjour,aurevoir,prenezsoindevous…» Pour être franc, je n’ai jamais été inquiété, même lorsque j’ai publié mon livre Habib

SI BÉJI, LE « GUIDE » ET LES RHUMATISMES DANS SES MÉMOIRES, Habib Bourguiba, le bon grain et l’ivraie, Si Béji brosse un portrait savoureux de « Guide » libyen : « Kaddafi s’est créé un personnage et est devenu prisonnier de cette image. Son accoutrement et ses tenues de parade ne ressemblent en rien à la tradition de son peuple. Ce jeu d’apparence, sans substance et sans lendemain, lui sert tout juste pour se différencier des chefs d’État arabes et africains. […] Après quatre décennies d’exercice du pouvoir, il n’est plus à espérer qu’il puisse changer ou qu’il troque ce jeu d’artifice pour une stature d’homme d’État. […] Habib Bourguiba, Kaddafi a largement gaspillé le temps, les le bon grain et l’ivraie, Béji Caïd Essebsi, Sud atouts et les privilèges immenses de son Éditions, Tunis, 2009. pays. » À un ministre britannique qui lui demandait « mais comment faites-vous avec le colonel Kaddafi ? », il répondit : « Comme avec nos rhumatismes, ça s’enflamme parfois, ça se calme après, la douleur est toujours latente, mais nous n’en mourons pas. Nous faisons avec ! » C’était le temps de M.B.Y. l’indulgence… ● N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Bourguiba, le bon grain et l’ivraie, pas très amène à son endroit… Vous avez tourné le dos à son régime au début des années 1990. Pour quelle raison ?

Après la nécessaire destitution de Habib Bourguiba, le 7 novembre 1987, j’ai très vite compris, passées les deux premières années, que Ben Ali n’était pas sincère. Les promesses qu’il a formulées lors de sa prise de pouvoir n’émanaient pas de lui. Il s’agissait de conseils qu’on lui a prodigués pour « habiller » son coup d’État. J’avais accepté,unpeumalgrémoi,maisj’assume, la présidence de la Chambre des députés. J’ai souhaité alors instiller une certaine ouverture, en laissant les députés s’exprimer et voter librement. Nous ne risquions pas grand-chose, d’ailleurs, puisqu’ils étaient tous destouriens. On parlait alors du Printemps de Tunis. Il n’aura duré qu’une saison… C’est alors que l’on m’a proposé de quitter l’Assemblée pour la présidence du Conseil constitutionnel. J’ai répondu que je ne cherchais pas du travail, que s’ils voulaient ma place, ils pouvaient la prendre. Et je suis parti. Comment qualifieriez-vous son règne ? JEUNE AFRIQUE


Maghreb Moyen-Orient Ý Les promesses du 7 novembre 1987 ont été soufflées à Ben Ali pour « “HABILLER” SON COUP D’ÉTAT ».

Le parti a été dissous, même si appel de cette décision a été interjeté devant la justice. Certains dirigeants doivent rendre descomptes,d’autresfontprofilbas.Etpuis il y a les militants, qui sont les produits du Néo-Destour,pierreangulairedelaTunisie moderne. C’est un autre problème… Vous dites être contre la chasse aux sorcières. Elle est pourtant aujourd’hui engagée. Selon vous, l’État tunisien peut-il – et doit-il – se passer de tous ceux qui ont travaillé pour l’ancien régime et son bras politique, le RCD ?

La Tunisie a besoin de tous ses enfants. Au début de l’indépendance, même ceux qui avaient travaillé avec ou pour l’État français ont été récupérés.

J. LANGEVIN

Les Tunisiens peuvent-ils comprendre ce discours ?

Déshonorant. Mais je tiens à préciser que ma génération est aussi responsable de ce qui est arrivé. Elle a accompagné Bourguiba et laissé faire ce qui est advenu dans ses dernières années de règne, ce qui a certainement permis l’accession au pouvoir d’un Ben Ali. Cette génération a fait beaucoup de sacrifices, mais elle a aussi failli terminer dans la médiocrité. C’est aussi pour cela que j’ai accepté de reprendre du service.

compte des traditions de ce pays. Cela ne nous empêche pas de réclamer qu’il nous soit livré. C’est même notre devoir.

Avez-vous des informations sur lui, sur son état de santé, objet de toutes les rumeurs ?

Sa fuite est un acte de haute trahison. La sentence, c’est la peine de mort.

Il vit en Arabie saoudite… Pour le reste, il ne m’intéresse pas. Moins on en parle, mieux cela vaut. Et puis c’est un ancien chef de l’État, il faut faire preuve d’un peu de décence : c’est une honte pour nous de l’attaquer aujourd’hui alors que nous l’applaudissions à tout rompre hier. Je sais que c’était surfait ou factice, mais tout de même… Regardons plutôt devant nous.

La Tunisie a demandé son extradition. Pensez-vous vraiment l’obtenir ?

Nous n’avons pas de convention d’extradition avec l’Arabie saoudite et tenons JEUNE AFRIQUE

Ne craignez-vous pas qu’un procès de Ben Ali en Tunisie soit de nature à troubler l’ordre public ?

Au contraire, je dirais que ce procès est salutaire. Pour que tout le monde sache et que cela ne se reproduise plus. J’ajouterais en outre que sa fuite, sans qu’il ait pris

la moindre disposition pour remédier à la vacance du pouvoir, constitue une désertion pure et simple, un acte de haute trahison. La sentence, en pareil cas, c’est la peine de mort… Que faut-il faire des anciens dirigeants du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, ex-parti au pouvoir) ?

Pour le moment, non. Aujourd’hui, les gens ont besoin que justice soit faite. En politique, il faut tenir compte de l’opinion, sans pour autant en être prisonnier. Chaque chose en son temps. Nombreux sont ceux, en Tunisie comme à l’extérieur, qui s’inquiètent de la remise en cause d’un certain nombre d’acquis, comme le statut de l’islam dans l’actuelle Constitution ou l’émancipation des femmes. Que leur répondez-vous ?

Qu’il y a des lignes rouges et que nous serons d’une extrême vigilance. On ne touche pas à l’article 1 de notre Constitution, fruit d’une alchimie toute bourguibienne… Cet article est pour le moins ambigu: « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain ; sa religion est l’islam… » Qu’en est-il de la séparation entre l’État et la religion ?

C’est justement parce qu’il est ambigu qu’il est bon : il ne faut ni plus ni moins. Les autres lignes rouges, ce qui n’est pas négociable, mais que nous pouvons en revanche volontiers améliorer, sont les droitsdelafemme,lanécessitédudialogue et de la tolérance – donc l’interdiction la plus absolue de la violence –, l’indépendance de la justice – pas seulement par rapport au pouvoir, d’ailleurs, mais aussi vis-à-vis des intérêts économiques, des lobbies ou des idéologies –, et, enfin, ● ● ● N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Maghreb Moyen-Orient

EMILIO MORENATTI/AP/SIPA

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la lutte contre la corruption. Sur tout cela, nous serons intransigeants. Le reste peut se discuter. ●●●

Le retour en force des islamistes, même si on peine à mesurer leur poids politique réel, inquiète également…

Je peux comprendre cette inquiétude, même si je préconise de voir les choses

Si les idées d’Ennahdha inquiètent certains, qu’ils les combattent! avec une autre perspective : créons les conditions nécessaires à la libre expression des uns et des autres. Si leurs idées ne conviennent pas à certains Tunisiens, qu’ils les combattent sur le même plan! Le poids des islamistes, qui doit aujourd’hui beaucoup au régime précédent et à la politique de la matraque qui leur a été appliquée,seraalorstempéréparlesautres forces politiques en présence. Pourquoi avoir autorisé Ennahdha et pas N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

le mouvement El-Tahrir [islamiste également, NDLR] ?

Parce que ce dernier parti ne répond aucunement aux règles constitutionnelles. Il prêche, entre autres, pour le retour au califat et l’instauration de la charia…

Ras el-Jdir, le 22 mars. « L’afflux massif de RÉFUGIÉS VENUS

moins morose.Son influence suscite-t-elle des jalousies ou bien outrepasse-t-elle son rôle?

Je connais bien le parcours politiqueetpatriotiquedelacentrale syndicale. Et je ne suis pas de ceux qui passent leur temps à chercherlapetitebêteetàremuer lepassé.J’aitenu,enprenantmes fonctions, le discours de la transparence aux dirigeants de l’UGTT. Je leur ai dit, par exemple,quejelesconsulteraisurlessujets d’importance, mais certainement pas sur la composition du gouvernement. Depuis lors, tout se passe bien.

DE LIBYE est un problème de plus, mais nous faisons face à nos devoirs. »

Les partis, plus ou moins représentatifs, pullulent. Le nouvel échiquier politique, sorti en quelques semaines du néant, vous semble-t-il de nature à éclairer les électeurs tunisiens, afin qu’ils choisissent en toute connaissance de cause leurs futurs dirigeants ?

Jenecroispasbeaucoupàcettefloraison de partis. En Tunisie, comme ailleurs par le passé, cela finira par se réguler. Il est vrai que les Tunisiens n’auront peut-être pas, dans ce contexte, tous les éléments pour se décider. Mais entre deux maux, nous avons choisi le moindre. L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) agace parfois. On lui reproche son comportement vis-à-vis du gouvernement précédent, la surenchère qu’elle a volontiers pratiquée, ainsi que les revendications sociales excessives qu’elle formule dans un contexte économique pour le

Plus de trois mois après le début de la révolution, dans quel état se trouve l’économie ?

La situation n’est pas bonne, il faut être franc, mais elle s’améliore. J’ai été frappé par la capacité de la Tunisie à tenir le choc, par l’incroyable énergie que déploient les Tunisiens pour s’en sortir. Ainsi, si notre croissance est proche de zéro, nos exportations, elles, ont augmenté par rapport à l’année dernière… Que vont devenir les multiples entreprises qui étaient entre les mains des membres du clan Ben Ali-Trabelsi ? JEUNE AFRIQUE


Maghreb Moyen-Orient

Comment envisagez-vous aujourd’hui les relations, passablement dégradées au début de la transition, avec la France ?

Ces relations, pour des raisons historiques comme géographiques, sont incontournables. Les incidents de parcours, cela arrive. Nous sommes vraiment ouverts, mais n’exigeons rien, car nous

Pensez-vous réellement que Mohammed VI et Abdelaziz Bouteflika puissent surmonter leurs différends, dont celui sur le Sahara occidental, pour enfin permettre au Maghreb d’avancer ?

Vous savez, la naissance de l’Union du Maghreb arabe [UMA], en 1989, à Marrakech,étaitdéjàungrandmalentendu: chacun avait sa vision des choses, et ces différents points de vue ne coïncidaient pas.Leproblèmedecetteorganisation,c’est qu’elle dépend uniquement de la volonté deschefsd’État.Siceux-cineserencontrent pas,n’échangentpas,toutdemeurebloqué. L’affaire du Sahara occidental doit se régler dans le cadre de la légalité internationale, sans brimer qui que ce soit, mais en tenant compte aussi des intérêts de la région tout entière. Je garde espoir…

Jamais je n’aurais imaginé que Kaddafi adopterait un comportement aussi criminel. avons la volonté de réussir seuls. Mais si la France souhaite nous accompagner dans la construction de notre démocratie, nous en serons très heureux. Et je crois que les Français savent que, de tous les pays arabes, nous sommes le plus à même de relever ce défi. Lors de votre premier déplacement officiel à l’étranger, vous avez rencontré successivement le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, et le roi du Maroc, Mohammed VI. Que vous êtesvous dit ?

J’ai tenu à effectuer ma première visite dans ces deux pays, car le projet de grand Maghreb souffre, et la Tunisie est certainement la plus motivée pour remédier à une situation qui a trop duré. Hassan II disait que le Maghreb était une voiture sur cales. J’ajouterais qu’elle n’a jamais eu de moteur… À Alger comme à Rabat, j’ai été très bien reçu. Je leur ai expliqué que notre révolution n’était pas exportable et que chaque pays devait trouver sa propre voie vers les réformes. Le roi du Maroc a exposé sa vision des choses dans un discours historique. Il a effectué un pas substantiel, qui s’inscrit, apparemment, dans une démarche évolutive. L’Algérie, c’est différent : c’est un grand pays, sans commune mesure avec la Tunisie et qui a connu de graves problèmes. Mais les Algériens sont suffisamment mûrs pour savoir ce qu’ils ont à faire. JEUNE AFRIQUE

Une guerre se déroule aux portes de la Tunisie. Comment analysez-vous la situation en Libye et quelle issue voyez-vous à cette grave crise ?

C’est la conséquence inéluctable de la politique mise en place depuis trop longtemps par le colonel Kaddafi. Je l’ai rencontré une trentaine de fois, je le connais bien : il a une certaine logique et mieux vaut la comprendre avant d’engager le dialogue avec lui. Mais jamais je n’aurais imaginé qu’un dirigeant au pouvoir depuis plus de quarante ans puisse adopter un comportement aussi criminel à l’égard de

son peuple. Comme je ne crois pas non plus qu’à son âge Kaddafi puisse changer et conduire son peuple vers la démocratie, même s’il y était contraint… L’intervention de la communauté internationale en Libye fait débat, en Afrique comme dans le monde arabe. La soutenez-vous ?

Franchement, le monde arabe n’a pas le droit à la parole : il n’a rien fait. Si nous étionsdesgensresponsables,nousaurions dû prendre en charge nous-mêmes cette situation et trouver la solution. Nous ne pouvons tout de même pas accepter qu’un pouvoir liquide son peuple avec des chars et des canons ! La coalition intervient sur la base d’une résolution du Conseil de sécurité. Et la Tunisie a toujours suivi la légalité internationale. J’ajouterais que nous, nous assumons nos responsabilités. L’afflux massif de réfugiés à notre frontière est un problème de plus pour une Tunisie déjà bien fragile. Pourtant, nous faisons face à nos devoirs. De quoi la Tunisie a-t-elle le plus besoin aujourd’hui ?

De se remettre au travail et de reprendre confiance. Et vous ?

[Rires] Moi? De soutien et d’une bonne santé. Quand je me rase le matin – je ne pense pas à la présidence, je vous rassure –, je me regarde dans la glace et je me dis que j’ai vieilli. Je me dis surtout que je ne dois pas attendre que l’on vienne m’expliquer un jour que je déraille… ●

Æ Après l’entretien, au PALAIS DE LA CASBAH, siège des bureaux du Premier ministre.

NICOLAS FAUQUÉ/WWW.IMAGESD

Toutes celles qui appartenaient aux cent douze personnes que nous avons listées sont devenues la propriété de l’État. Il y a évidemment des dommages collatéraux, c’est pourquoi nous avons demandé à ceux qui peuvent être concernés par ces mesures – associés ou détenteurs d’actions dans ces entreprises – de se déclarer. S’ils démontrent leur bonne foi, nous réglerons leur cas.

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Maghreb Moyen-Orient SYRIE

État d’urgence régional Iran, Irak, Turquie, Liban, Palestine, Israël… La crise qui secoue le pays de Bachar al-Assad rebat les cartes bien au-delà de ses frontières.

P

arce que la Syrie est au cœur d’un réseau de relations complexes au Moyen-Orient, la crise qui la secoue aura un impact inévitable sur le rapport des forces dans la région. Les questions de politique étrangère, qui ont longtemps été au centre des préoccupations du pouvoir syrien, sont soudainement passées au second plan sous l’effet de l’explosion de la contestation populaire, laquelle a mis au jour des problèmes nationaux urgents et longtemps négligés. Si le régime ne parvient pas à contenir l’agitation intérieure, l’influence de Damas en sera inévitablement affaiblie, avec des répercussions dans tout le Moyen-Orient. Les événements ont pris une tournure dramatique et périlleuse avec l’utilisation d’armes à feu contre les jeunes manifestants. La mort de civils tombés sous les balles des policiers a indigné l’opinion, déchaînant une colère longtemps refoulée, alimentée par la privation de libertés, le règne sans partage du parti Baas et les abus d’une élite privilégiée. À ces maux s’ajoutent le chômage très élevé des jeunes, des campagnes sinistrées après quatre années de sécheresse et la détresse des couches populaires, mais aussi celle d’une classe moyenne paupérisée par de faibles salaires et une forte inflation. Le régime a libéré des prisonniers politiques et s’est engagé à lever l’état d’urgence, en vigueur depuis 1963. Un porte-parole du gouvernement a laissé entendre que les réformes à venir incluraient une plus grande liberté de la presse et le droit de créer des partis politiques. Mais l’adresse à la nation de Bachar al-Assad, le 30 mars, a laissé les

dans les affaires arabes serait certainement amoindrie, que ce soit au Liban, dans les territoires palestiniens ou même dans le Golfe.

INQUIÉTUDE À ANKARA. Au Liban, le Hezbollah apparaît déjà sur la défensive. Bien qu’il reste la première force politique du pays, ses ennemis locaux sentent que le vent est en train de tourner en leur protestataires sur leur faim. Le présifaveur. Cela peut expliquer le violent dent syrien, à l’instar de son père, n’est discours prononcé récemment par le manifestement pas homme à accepter de se laisser bousculer. Il a rappelé que leader sunnite Saad Hariri, dans lequel il la stabilité et la satisfaction des besoins a ostensiblement brandi la carte sectaire. sociaux et économiques de la population Acclamé par des partisans en liesse, il étaient sa priorité. a estimé que les armes du Hezbollah Il n’en reste pas moins que la contesétaient une menace pas tant contre Israël tation a ébranlé les fondements de l’État que contre la liberté, l’indépendance et sécuritaire syrien, provoquant des débats la souveraineté du Liban, le tout au nom enflammés à l’intérieur même du régime d’une puissance étrangère : l’Iran ! Ainsi, et une confrontation de plus en plus vioune des premières conséquences de la lente entre partisans et adversaires des crise syrienne a été la déstabilisation réformes. L’issue de cette lutte interne d’un Liban déjà fragilisé. demeure incertaine. Les tensions entre sunnites et chiites ne se limitent pas au Liban ; elles s’exacerbent dans La contestation a provoqué au toute la région, notamment sein du régime un débat enflammé à Bahreïn, où la minorité sunnite gouverne la majodont l’issue est incertaine. rité chiite, mais aussi dans À l’instar de ses deux principaux alliés, des pays où le sunnisme est prédomila République islamique d’Iran et le nant comme en Arabie saoudite, où Hezbollah libanais, la Syrie est en butte l’on retrouve une minorité chiite peu à l’hostilité d’Israël et de son ami améridocile. Lorsque Saddam Hussein régnait cain. L’axe Téhéran-Damas-Hezbollah, à Bagdad, l’Irak et l’Iran étaient à coudont Damas est le pivot, a longtemps été teaux tirés, se livrant même une guerre considéré comme l’obstacle principal à féroce dans les années 1980. Mais le l’hégémonie régionale de l’État hébreu renversement du régime sunnite minoet des États-Unis. Avec le soutien de ritaire de Saddam a propulsé au pouvoir Washington, Israël a cherché à détruire la majorité chiite. Le vent de sectarisme le Hezbollah, notamment en envahissant qui souffle actuellement sur la région le Liban en 2006, et à détacher la Syrie favorise encore plus le rapprochement irano-irakien. de l’Iran, considéré par Tel-Aviv comme son plus dangereux rival dans la région. De son côté, la Turquie est profonÀ ce jour, aucun de ces deux objectifs n’a dément préoccupée par les troubles en été atteint. Mais depuis que la Syrie est Syrie, Damas ayant été la clé de voûte affaiblie par des troubles intérieurs, c’est de son ambitieuse politique arabe. Les liens entre la Syrie et la Turquie se sont la viabilité de l’axe tout entier qui est en question. Si le régime syrien venait à être beaucoup raffermis ces dernières années, paralysé par des dissensions internes, parallèlement au refroidissement des même brièvement, l’influence de l’Iran relations entre Ankara et Tel-Aviv. Le


Maghreb Moyen-Orient que l’Égypte ait choisi d’encourager la réconciliation entre les deux factions palestiniennes rivales, le Hamas et le Fatah. Si cette initiative est couronnée de succès, cela pourrait aider à désamorcer la dangereuse escalade de violence entre Israël, d’un côté, et le Hamas et des groupes encore plus radicaux, de l’autre.

HUSSEIN MALLA/AP

SECTARISME. Il ne fait aucun doute que la faillite du processus de paix a suscité une grande frustration chez les militants palestiniens. Certains d’entre eux pourraient estimer qu’un choc brutal est nécessaire pour détourner l’opinion internationale de la vague démocratique arabe et la ramener sur la question palestinienne. Ils tiennent à attirer l’attention des États-Unis et de l’Europe sur les dangers d’un processus de paix plongé dans un coma prolongé. Les faucons israéliens pourraient, eux aussi, juger qu’une courte guerre servirait leurs intérêts. De nombreux partisans du gouvernement de droite de Benyamin Netanyahou Ý À Deraa, le 23 mars, pourraient rêver d’en les forces finir une fois pour toude l’ordre tes avec le Hamas. ONT TIRÉ À Sur tous ces fronts BALLES RÉELLES – Iran, Irak, Turquie, sur les manifestants. Liban, Palestine, Israël –, la Syrie joue un rôle crucial. Sa crise intérieure rebat les cartes régionales et renforce le sentiment général d’insécurité et de violence latente. De toutes les menaces qui pèsent sur la région, le sectarisme rampant est peut-être la plus grave, plus encore que la perspective d’un nouveau conflit israélo-arabe, car il empoisonne les relations entre les États – et en leur sein –, et engendre la haine, l’intolérance et la méfiance. Plusieurs États modernes du MoyenOrient – la Syrie ne fait pas exception – ont été bâtis sur une mosaïque de religions, de sectes et de groupes ethniques. Une mosaïque dont les pouvoirs centraux ont éprouvé la plus grande peine à maintenir la cohésion. Mais les gouvernements sont loin d’être irréprochables, qui ont favorisé telle ou telle communauté au détriment d’une autre. Résultat : plus l’autorité de l’État est mise à l’épreuve, plus les démons sanguinaires du sectarisme menacent de se déchaîner. ●

Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, et son hyperactif ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, se sont employés à jouer un rôle de médiateur au Moyen-Orient et à œuvrer à l’indispensable stabilité régionale en nouant des liens économiques étroits. L’un de leurs projets les plus ambitieux est la création d’un bloc économique avec la Syrie, le Liban et la Jordanie, lequel est déjà une réalité avec la suppression des visas et l’apport d’investissements et du savoir-faire technologique JEUNE AFRIQUE

turcs. Une lutte pour le pouvoir en Syrie risque de retarder ce projet et de limiter les futures initiatives d’Ankara. ESCALADE. Les déboires syriens pourraient, en revanche, bénéficier à l’Égypte. Libéré de l’inertie du régime de Hosni Moubarak, Le Caire devrait jouer un rôle plus actif dans les affaires arabes. D’ailleurs, plutôt que de poursuivre, en connivence avec Israël, la politique de Moubarak – punir Gaza et isoler le gouvernement du Hamas –, il semble

PATRICK SEALE N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Maghreb Moyen-Orient les enseignements du discours royal. En cette soirée du 9 mars, Abbas El Fassi n’est pas présent à son domicile pour animer la réunion hebdomadaire du comité exécutif duparti.MohammedVIl’aconviéàassister à son discours. Une demi-heure plus tard, le Premier ministre rejoint les siens. « C’est un discours très important, leur lance-t-il. Il ne s’agit pas d’une réforme constitutionnelle mais d’une nouvelle Constitution. » Le soir même, l’Istiqlal décide de mettre en place une commission présidée par Moulay M’Hammed El Khalifa, ancien bâtonnier de Marrakech. Plusieurs axes de réflexion sont lancés sur le rôle du Parlement, les libertés publiques, la bonne gouvernance, l’identité marocaine. Une LE MOUVEMENT DU 20 FÉVRIER ne relâche pas la pression. réunion du comité central était prévue le MAROC 2 avril afin d’entériner les propositions du « parti de la balance ». Au Parti de la justice et du développement (PJD), le discours royal a suscité de Face à un calendrier très serré, les partis politiques n’ont pas tardé à tirer les enseignements de la volonté réformatrice de Mohammed VI. grands espoirs. La formation islamiste a déposé quatre-vingts propositions ambitieuses, dont la création d’un Haut corrige l’un de ses proches. Il s’intéresse, Conseil de l’État, composé du roi, du rois semaines après le discours bien sûr, à l’évolution de la vie politique. chef de gouvernement, des présidents de Mohammed VI, le 9 mars, des deux Chambres du Parlement, qui Ses amis le consultent à titre personnel. annonçant une révision de la Mais il s’est retiré définitivement de la vie aurait compétence sur les questions de Constitution, Driss Lachgar, publique. » représentativité à l’étranger, de souveraiministre socialiste des Relations avec neté nationale, de pouvoirs religieux et le Parlement, en parle encore avec une FIN DE L’IMPUNITÉ. Le 28 mars, l’Union d’arbitrage. Elle appelle aussi à de nouémotion toute contenue. « C’est histosocialiste des forces populaires (USFP) velles alliances politiques. « Depuis les rique, explique cet avocat de formation. a donc rendu sa copie à la Commission communales, l’Istiqlal, l’USFP et le PJD Le roi est allé très loin dans sa volonté de consultative de révision de la Constitution travaillent main dans la main dans pluchanger les choses. C’est le fruit d’une (CCRC), présidée par Abdeltif Menouni. sieurs villes. Les populations adhèrent à longue réflexion sur la régionalisation, l’identité nationale, l’autonomie des proRenforcement des prérogatives du chef du nos projets », soutient Mustapha Khalfi, vinces sahariennes, le besoin de codifier gouvernement, notamment en matière de patron du journal Attajdid (proche du les recommandations de l’Instance Équité nomination des ministres, hauts fonctionparti). D’ici au 5 avril, les trente-quatre et Réconciliation. » naires, patrons d’entreprises publiques, formations politiques du pays auront Face à un calendrier très serré – la nouambassadeurs ; élargissement des attridéposé leurs propositions. velle Constitution sera soumise à réfébutions et compétences du Parlement ; Enattendant,lemouvementdu20février rendum d’ici à la fin de l’année – et des meilleur contrôle des politiques et des ne relâche pas sa vigilance. Le 27 mars, échéances électorales qui pourraient se établissements publics… Les socialisquelques centaines de manifestants se présenter dans moins d’un an, les partis tes se sont engagés pleinement dans la sont donné rendez-vous place Nevada, à sont aspirés par cette volonté réformatrice. Casablanca. Ils répondaient Sont-ils en mesure de relever le défi? « En à un nouvel appel lancé sur Les islamistes du PJD ont déposé Facebook pour maintenir ce qui nous concerne, poursuit Lachgar, 80 propositions, dont la création la pression. « Ce n’est plus le mémorandum des socialistes sur la d’un Haut Conseil de l’État. révision de la Constitution est prêt depuis au roi qu’il faut arracher la 2009. Une copie a même été remise au démocratie, explique dans cabinet royal avant les communales du voie ouverte par le souverain et visent, à TelQuel Karim Tazi, militant associatif 12 juin de la même année. Nous venons terme, la mise en place d’une monarchie et patron du groupe Richbond, mais à une hydre multicéphale, honteusement d’actualiser nos propositions, qui ont été parlementaire. Le roi conserverait un rôle validées par le conseil national du parti, le d’arbitre et de gardien des frontières entre enrichie par le clientélisme et la corrup27 mars. » La presse s’est fait l’écho de ce les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif, tion, et qui n’a aucunement l’intention de travail et a même laissé entendre qu’Abmais aussi des prérogatives en matière de laisser des réformes ambitieuses mettre en derrahmane Youssoufi, ancien Premier péril ses colossaux intérêts. À cette nomenreligion et de défense. ministre socialiste, de 1998 à 2002, jouait klatura aussi influente dans les rouages de Comme l’USFP, l’Istiqlal, arrivé en un rôle en coulisses. « Ce n’est pas sérieux, l’État que dans les milieux d’affaires et au tête aux législatives de 2007, a vite tiré ABDELHAK SENNA/AFP

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L’onde de choc

T

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JEUNE AFRIQUE


Coulisses

TRANSHUMANCE. La nouvelle donne royale a aussi relancé la transhumance politique, mais dans un autre sens. Les formations réputées proches du Palais connaissent leurs premières défections. La plus médiatisée a été celle de Samir Abdelmoula, l’ex-maire de Tanger, qui a quitté le Parti Authenticité et Modernité (PAM) pour rejoindre le PJD. Un crime de lèse-majesté,lepartideFouadAliElHimma ayant, semble-t-il, été créé dans l’optique de faire barrage aux islamistes. « L’ami du roi»,cibledesmanifestantsdu20février,se fait aujourd’hui très discret, mais continue d’assister aux réunions du parti. Salaheddine Mezouar, président du Rassemblement national des indépendants (RNI) et ministre de l’Économie et des Finances, a, quant à lui, annoncé l’organisation d’un congrès anticipé en juin. Objectif ? Transformer une formation de personnalités en parti organisé, structuré, avec une ligne idéologique ancrée dans le libéralisme social. Mezouar a réaffirmé son alliance avec le PAM et l’Union constitutionnelle et ouvert la voie à une logique de « pôles », une solution préconisée pour enrayer la balkanisation de la vie politique. Pour beaucoup d’observateurs, les gagnants des scrutins de 2012 seront ceux qui auront su faire leur aggiornamento pour mériter le label de « parti réformateur ». ● PASCAL AIRAULT, envoyé spécial à Rabat JEUNE AFRIQUE

Moyent-Orient

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LIBYE QATAR À L’AVANT-GARDE DU MONDE ARABE SEUL ÉTAT ARABE, AVEC LES ÉMIRATS ARABES UNIS, à participer aux opérations de la coalition en Libye, le Qatar a reconnu, le 28 mars, le Conseil national de transition libyen. Le lendemain, à la conférence de Londres sur la Libye, le Premier ministre qatari appelait Kaddafi à partir et annonçait que Doha allait accueillir la première réunion du groupe de contact. Dès le début de la contestation, Al-Jazira, bras médiatique de l’émirat, avait pris fait et cause pour l’opposition. Doha ne ménage pas son soutien à la résistance : médiatique, humanitaire, militaire, diplomatique, mais aussi matériel, avec l’envoi à Benghazi de tankers chargés de gaz et de fuel. Cet engagement sans réserve en faveur de l’insurrection rompt avec la diplomatie du micro-État, plus connu pour ses actions de médiation, et qui se pose ainsi en acteur incontournable de la scène arabe. ●

TOBY MELVILLE/REUTERS

sein des partis politiques, le discours du 9 mars n’annonce rien de moins que la fin de l’impunité. » Les manifestants les plus radicaux, eux, demandent la démission du gouvernement et la dissolution du Parlement. Il est vrai que des rumeurs ont couru sur un changement de Premier ministre – on a même évoqué l’installation de Mostafa Terrab, patron de l’Office chérifien des phosphates (OCP), dans le fauteuil d’El Fassi. « Je ne vois pas l’utilité de changer de chef de gouvernement ou de procéder à un remaniement, soutient un istiqlalien. On veut réduire les pouvoirs du roi, et il procéderait à de nouvelles nominations en toute souveraineté ? On ouvrirait une crise politique. Par contre, les législatives, prévues en septembre 2012, pourraient être couplées avec les régionales au premier trimestre 2012. » Cela aurait un double avantage : l’économie liée à la réduction du nombre de scrutins et la relance plus rapide d’une nouvelle dynamique politique.

Maghreb

Le Premier ministre qatari HAMED IBN JASSEM AL THANI (à g.).

BAHREÏN ON ACHÈVE BIEN LES BLESSÉS Selon Human Rights Watch (HRW), les forces de sécurité bahreïnies, couvertes par l’état d’urgence décrété le 15 mars, interpellent sur leurs lits d’hôpital des manifestants souvent grièvement blessés pour les mettre au secret, les humiliant et les brutalisant parfois jusqu’à la mort. « Le gouvernement de Bahreïn a fait des hôpitaux – censés être des havres de sécurité et de guérison […] – des centres de détention où les traitements s’apparentent parfois

à la torture », a déclaré Joe Stork, directeur adjoint pour le Moyen-Orient de HRW.

cette nouvelle législation.

ISRAËL MÉMOIRE SÉLECTIVE

ARABIE SAOUDITE PAS DE DROIT DE VOTE POUR LES FEMMES

Sur proposition du parti d’extrême droite Israel Beitenou, la Knesset a adopté, le 29 mars, une loi interdisant la commémoration de la Nakba (« catastrophe », en arabe), l’exode forcé de 800000 Palestiniens qui a accompagné la création de l’État d’Israël, le 14 mai 1948. La loi prévoit une amende pour les organismes financés par des fonds publics qui contreviendraient à

Les Saoudiennes ne seront pas autorisées à voter aux élections municipales du 23 avril. Ainsi en a décidé, le 28 mars, la Commission électorale du royaume, qui a cependant annoncé la mise sur pied d’un comité chargé d’étudier la question… dans la perspective du prochain scrutin municipal prévu dans quatre ans. Les intéressées apprécieront cette marque d’attention… N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011


Maghreb Moyen-Orient Portfolio

ANNIVERSAIRE

Bourguiba, les cinquante glorieuses

À

FRIDA DAHMANI, à Tunis

défaut de leaders issus de leur révolution, les Tunisiens retrouvent, onze ans après sa mort, le 6 avril 2000, le père de l’indépendance, Habib Bourguiba, qui symbolise, à lui seul, tous les acquis modernes de la nation, de l’émancipation de la femme à la laïcité, en passant par l’éradication de l’analphabétisme et les avancées en matière de santé. On laisse, bien sûr, l’autocrate vieillissant pour ne retenir que le Bourguiba révolutionnaire, celui qui a triomphé du protectorat et fondé l’identité de la Tunisie sur des valeurs progressistes. L’actuel Premier

ministre, Béji Caïd Essebsi, fils du sérail bourguibien, par son usage du langage à la fois ferme, paternaliste et bon enfant de « Si El Habib », n’a pas peu contribué à lui redonner toute sa place. Bourguiba, dont l’héritage est plus que jamais d’actualité, est présent dans tous les médias et rassemble 160 000 fans sur Facebook. Le 6 avril, la société civile célébrera, à Monastir, sa ville natale, et à Tunis, la mémoire du Combattant suprême, à qui Jeune Afrique a voulu rendre hommage à travers quelques photos couvrant cinq décennies glorieuses, des années 1930 aux années 1970. ●

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Jouant aux boules à TABARKA (dans le nord-ouest de la Tunisie), le 28 janvier 1951, lors de son placement en résidence surveillée.

Ý Promenade non loin du CHÂTEAU DE CHANTILLY, près de Paris, où il avait été transféré en 1954, après un rude exil sur l’île de La Galite (au nord de la Tunisie), puis sur l’île de Groix (dans le Morbihan, en Bretagne).

LE TELLIER/PARIS-MATCH/SCOOP

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JEUNE AFRIQUE


COLLECTION J.A.

PIERRE BOULAT/COSMOS

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Rencontre avec des femmes d’extraction modeste, à Carthage, en 1957. Dès l’indépendance, en 1956, il encourage ses concitoyennes À RETIRER LEUR VOILE.

PIERRE BOULAT/COSMOS

Deuxième congrès du NÉO-DESTOUR, le 30 octobre 1936.

JEUNE AFRIQUE

AP/SIPA PRESS

CORBIS-SYGMA

Au réveil, avec quelques-unes de ses NIÈCES, qui venaient lui préparer son petit-déjeuner, à Carthage, en 1957.

Embrassant une ADMIRATRICE ANONYME, le 30 mai 1955, à la gare de Lyon, à Paris, avant son départ pour Marseille, d’où il ralliera Tunis par bateau. N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011


DALMAS/SIPA PRESS

KEYSTONE/GAMMA-RAPHO

Maghreb Moyen-Orient Portfolio

La « chevauchée fantastique » vers la capitale, sous escorte populaire, après son RETOUR TRIOMPHAL au pays, le 1er juin 1955.

COLLECTION J.A.

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Avec PATRICE EMERY LUMUMBA, Premier ministre de la République du Congo-Léopoldville, en 1960, à Tunis. N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Reçu avec sa première épouse, MATHILDE, née Lorrain, par JOHN FITZGERALD et JACKIE KENNEDY, en mai 1961, à Washington. JEUNE AFRIQUE


Bourguiba, les cinquante glorieuses

COLLECTION J.A.

Ý Bain de foule lors d’une visite officielle en CÔTE D’IVOIRE, en 1965.

Ý Quelques MOMENTS DE

au piano, en 1961, au palais de Carthage.

COLLECTION J.A.

ANDRÉ SEREATI

COLLECTION J.A.

DÉTENTE

JEUNE AFRIQUE

Ý Avec GAMEL ABDEL NASSER (à g.) et AHMED BEN BELLA, le 13 décembre 1963, à Bizerte.

Ý Saluant une foule en liesse, debout sur le toit de la voiture présidentielle, tenant la main de sa seconde épouse, WASSILA, née Ben Ammar, lors de son come-back après plus de six mois de convalescence à l’étranger, le 1er juin 1970. N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Europe, Amériques, Asie

FRANCE

La vengeance d’ Si Marine Le Pen est bien la fille de son père, elle s’en sépare sur un point capital : elle veut le pouvoir. À tout prix. En ce sens, elle n’est pas sans rappeler un certain Nicolas Sarkozy. Oui, oui, l’homme qui, en 2007, faillit avoir la peau du Front national…

À

JEAN-MICHEL AUBRIET

force de calembours sinistres et d’outrances xénophobes, JeanMarie Le Pen avait fini par se rendre indésirable sur tous les plateaux de télévision. Et il s’en délectait : le rôle de l’ex-para paranoïaque harcelé par la « bande des quatre » principaux partis français (de l’époque) lui allait comme un gant. Marine, sa fille, est invitée partout, pérore sur tous les sujets et avance ses pions avec circonspection. Ses propos sont souvent discutables, mais rarement odieux : une fraction non négligeable de l’électorat, et pas seulement de droite, peut aisément se reconnaître en eux. Elle est en passe de réussir son opération de « dédiabolisation » du Front national. D’enfouir dans les oubliettes de sa propre histoire les oripeaux de la vieille garde frontiste, tribuns hurleurs, nervis ratonneurs et idéologues ténébreux théorisant ad nauseam la supériorité de la race blanche. Lesfaitsparlentd’eux-mêmes.Plusieurssondages récents placent la cadette des filles Le Pen en tête des intentions de vote pour l’élection présidentielle de 2012, devant Nicolas Sarkozy ou le candidat du Parti socialiste, quel qu’il soit. Mieux, lors des élections cantonales des 20 et 27 mars, le FN, qu’on imaginait exsangue après la présidentielle de 2007, affiche une santé insolente. Avec plus de 15 % des suffrages exprimés au premier tour, alors que, par manque d’argent, il ne présentait de candidats que dans les trois quarts des cantons renouvelables, il obtient le meilleur score jamais réalisé par une formation d’extrême droitelorsd’une élection locale et talonne l’UMP. Percée confirmée au second tour, même si, faute d’alliés, il n’obtient que 2 élus dans les 403 cantons où il a réussi à se maintenir. Désormais, toutes les autres formations sont contraintes de se déterminer par rapport à lui. N 0 2621• DU 3 AU 9 AVRIL 2011

EN CAMPAGNE POUR LES ÉLECTIONS

cantonales, le 11 mars près de Perpignan.

Le succès frontiste a certes des explications objectives: les crises économiques et financières qui ont plombé tout espoir de redressement du pouvoir d’achat, les errements politiques et, plus encore, comportementaux de Nicolas Sarkozy, qui désespèrent jusqu’à ses plus fervents partisans, les inégalités sociales flagrantes, les affaires, les scandales,lesministrestropouvertementincompétents,les changements de cap au premier coup de vent, les promesses non tenues, les débats oiseux sur l’islam ou la laïcité… Sans doute, sans doute… Reste que le « facteur Marine » a joué un rôle déterminant. GOUAILLE POPULISTE. Elle est la fille de son père,

ça vous étonne? Oh! certes, elle n’a pas encore la stature d’un menhir. Elle n’a pas perdu un œil dans JEUNE AFRIQUE


Europe, Amériques, Asie

une blonde 1968

Naissance à Neuilly-sur-Seine 1986

Adhésion au FN 1992

Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (Capa) 1998

Conseillère régionale du Nord - Pas-de-Calais 2003

Vice-présidente du FN 2004

Députée européenne 2005

Campagne pour le non au référendum sur la Constitution européenne 2007

Vice-présidente exécutive du FN ; directrice stratégique de la campagne de son père à l’élection présidentielle GEORGES BARTOLI/FEDEPHOTO

quelque rixe électorale et s’abstient d’entonner des chants nazis dans une brasserie de la place de la République. Mais comment s’y tromper ? Cette gouaille de walkyrie populiste… Cette brutalité désormais domestiquée, mais point éradiquée, qu’on sent sourdre dans tel geste d’impatience, tel regard assassin à l’adresse d’un contradicteur… « Une vraie famille de pitbulls, commente (dans le quotidien Libération) Lorrain de Saint Affrique, l’ex-conseiller de l’ex-président du Front national. Essayez de leur retirer leur gamelle, pour voir. » En 2007, Sarkozy s’y est essayé et y a presque réussi. Les pitbulls vont lui faire regretter ce « presque ». Oui, Marine est bien la fille de Jean-Marie. Mais à certains égards, elle est aussi son contraire. À l’heure d’internetetdelamondialisation,commentprendre JEUNE AFRIQUE

2008

Conseillère municipale de Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais)

encore au sérieux les nostalgies crépusculaires du vieux ? Son folklore groupusculaire ? La Seconde Guerre mondiale n’obsède pas l’héritière du clan. Et la perte de l’empire colonial, pas davantage. Jeanne d’Arc, Pierre Poujade et l’OAS? Passons. O tempora! O mores! Il y a plus sérieux. On s’est parfois demandé si Jean-Marie Le Pen, qui a toujours conservé un vieux fond anarchisant, avait jamais eu la volonté d’accéder au pouvoir. Si la posture du chef de meute révolté contre l’ordre établi ne suffisait pas à son ego pourtant démesuré. Fils de marin pêcheur, miraculeusement enrichi sur le tard (sa fortune lui fut léguée, à sa mort prématurée, par l’héritier éthylique d’un défunt groupe cimentier), il n’a jamais fréquenté l’establishment qu’à sa marge. Prisonnier d’une mentalité d’assiégé, il ne s’est pas entouré d’hommes capables de gouverner. Le vent de panique qui balaya le « Paquebot », l’ancien siège du Front à Saint-Cloud, après l’annonce de la qualification du capitaine pour le second tour de la présidentielle de 2002 a eu valeur de preuve. Par l’absurde. LE POUVOIR, VITE. Marine, en revanche, est une jeune femme pressée, que l’illusion du pouvoir n’abuse pas. Elle veut en jouir, et vite. Elle ne devrait pas y parvenir en 2012, mais, à 42 ans, tout espoir n’estpasperdu.Avocatedeformation,ellefutinscrite aubarreaudeParisjusqu’en1998,avantd’entreprendre une carrière d’élue au Parlement européen, en région Île-de-France et dans ce Nord-Pas-de-Calais tragiquement désindustrialisé qui ne comprend ni la logique ultralibérale consistant à « faire fabriquer par des esclaves [étrangers] pour vendre à des chômeurs [français] », ni le recours à une immigration massive – ce « tsunami migratoire », dit-elle – dont l’intégration ne va pas de soi.

Comment prendre encore au sérieux les nostalgies crépusculaires du vieux ? Parallèlement,dansl’ombrelointainemaisprotectrice de son père, elle a, depuis vingt ans, gravi tous les échelons du FN jusqu’à la présidence, aisément conquise, en janvier, face à Bruno Gollnisch, champion d’une vieille garde de plus en plus grincheuse et déprimée. Cette dernière ne lui a pas pardonné la désastreuse campagne présidentielle de 2007, qu’elle dirigea pour le compte de son père. Pour ces grognards de l’ultradroite, l’héritière n’est qu’une opportuniste prête à tout pour accéder au sommet. Même à s’allier à la droite la moins extrême. Elle est la fille indigne de son père, la petite sœur de Nicolas Sarkozy. Et si, par exception, ils n’avaient pas tort? Car en dehors de la question de l’immigration, fonds de commerce pour le moment intangible N 0 2621• DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Europe, Amériques, Asie Figés dans leurs certitudes et leur passion paradoxale pour l’échec, les sauriens frontistes s’étouffent d’indignation, mais c’est sans importance: à peine intronisé, leur chef s’abstient de lesconsulter.Lenouveausiègeduparti, à Nanterre, n’est plus qu’une coquille videoùsesuccèdentleshuissiersmandatés par des créanciers à bout de patience. Tout se passe désormais à Montretout,lapropriétéduclanLePen à Saint-Cloud, où la patronne a mis en place une sorte de cabinet de l’ombre constitué d’une trentaine d’experts et de chercheurs surdiplômés venus de tous les horizons – mais surtout de la haute administration. C’est l’avocat LouisAliot,soncompagnonetnuméro deux du parti – au FN, le pouvoir ne sort jamais vraiment de la famille –, qui assure l’hypothétique cohérence de cette « seconde équipe ». Leseulproblèmepourl’instantinsoluble du Front national est l’état désastreux de ses finances, que l’échec électoral de 2007 a contribué à aggraver. C’est bien simple, il est virtuellement en faillite. En 2009, le montant de ses dettes avoisinait 12 millions d’euros. Ses revenus sont en chute libre et les deux dernières subventions publiques dont il bénéficie, comme les autres partis, ont été saisies. Jean-Marie Le Pen comptait sur la vente de l’énorme « Paquebot », mais les acheteurs ne se bousculent pas. En décembre 2010, la Société générale, dont la créance s’élève à 5,2 millions d’euros, a déposé une demande de saisie immobilière sur le bâtiment. Le Front a obtenu d’un juge un sursis de deux mois pour trouver une solution à l’amiable. Aux dernières nouvelles, la présidente réfléchirait à la création d’une nouvelle formation. Pas question, n’est-ce pas, de plomber sa campagne présidentielle par des problèmes d’intendance… ● LAURENT TROUDE/FEDEPHOTO.COM

de la boutique « nationale », Marine a déjà opéré sur la majorité des sujets un virage sur l’aile. Comme l’écrivent Philippe Cohen et Laureline Dupont dans l’hebdomadaire Marianne, son discours « contredit toute la rhétorique politique,antiétatiste,néolibérale,antirépublicaine et anticommuniste » de sonpère.Elleestparexemplefavorable à la suppression de l’impôt sur la fortune, soutient les enseignants ulcérés par les suppressions de postes et n’exclut pas un rétablissement de l’échelle mobile des salaires et des prix. « Mes pensées, ce sont mes catins », faisait direDiderotauneveudeRameau.Pour Marine Le Pen, comme d’ailleurs pour Nicolas Sarkozy et beaucoup d’autres, elles sont de simples arguments de marketing politique. Qu’importe ce qu’elles disent et d’où elles viennent pourvu qu’elles rencontrent un écho fugitif dans l’opinion. Dans un débat radiophonique houleux avec Jean-Luc Mélenchon, le leader du Parti de gauche, ne l’a-t-on pas entendue invoquer les mânes de feu Georges Marchais, l’inénarrable secrétaire général du PCF d’avant la chute?

PASSAGE DE TÉMOIN lors du Congrès de Tours, le 16 janvier dernier.

NEW LOOK. Cet aggiornamento est donc beaucoup

moins doctrinal que tactique. Il ne fait guère de doute que Marine Le Pen a étudié avec soin l’extraordinaire campagne présidentielle de Sarkozy en 2007. Comme lui, elle recense les innombrables problèmes sociaux et sociétaux provoqués par les mutations économiques en cours, propose, sans souci excessif de cohérence, des solutions empruntéesàd’autresetmultiplielespromesses,qui,comme on le sait, n’engagent que ceux qui les reçoivent. Tous les mécontents sont, à un titre ou à un autre, des électeurs potentiels de ce FN new look.

La longue marche (Principaux résultats électoraux du Front national depuis sa création, en 1972) 14,38 %

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JEUNE AFRIQUE


Europe, Amériques, Asie

MICHAEL SOHN/AP/SIPA

Ý ANGELA MERKEL ET GUIDO WESTERWELLE, son vice-chancelier, au cours d’un débat sur le nucléaire au Parlement fédéral, le 17 mars.

ALLEMAGNE

Seule, si seule

Des élections ont lieu cette année dans sept Länder (régions). Les quatre premières ont déjà été perdues par la CDU d’Angela Merkel. À deux ans de la fin de son mandat, la marge de manœuvre de la chancelière ne cesse de se réduire.

E

n Allemagne, 2011 est la Superwahljahr, la « superannée électorale ». Certes, le siège de la chancelière Angela Merkel ne sera remis en jeu qu’en 2013, mais pas moins de sept Länder sur seize, dont trois villes-États (Berlin, Brême et Hambourg), votent pour réélire leur Parlement. Dans un pays fédéral comme l’Allemagne, l’enjeu est de taille. Largement autonome en matière d’éducation, de santé ou de culture, chaque Land possède en effet son propre gouvernement, son propre Parlement et sa propre Constitution. Les Länder participent, en outre, via leurs représentants au Bundesrat (Conseil fédéral), au vote des lois au niveau national. La coalition au pouvoir composée des chrétiens-démocrates (CDU) et des libéraux (FDP) est actuellement majoritaire dans six Länder – soit trente et un sièges sur soixante-neuf au Bundesrat. Ailleurs, la CDU a été contrainte de s’allier avec les sociaux-démocrates du SPD ou avec les Verts, bénéficiant ainsi de quatorze sièges JEUNE AFRIQUE

de protestation ont eu lieu dans toute l’Allemagne. La CDU paie également une série de mesures, dont la plus impopulaire concerneleprolongementau-delàde2040 de la vie des dix-sept réacteurs nucléaires que compte le pays. À la suite de la catastrophe de Fukushima, un moratoire de trois mois a certes été décidé, et les centrales les plus anciennes ont été provisoirement fermées, mais ce brusque revirement, après des mois de campagne en faveur du nucléaire, est apparu comme une manœuvre électoraliste. À l’inverse, les Verts, présents dans plusieurs coalitions régionales, ont toutes les chances de tirer un profit politique de la tragédie japonaise. DE HAMBOURG À STUTTGART. Le 20 février, la « superannée » a commencé par une déroute de la CDU à Hambourg, deuxième ville du pays, où le SPD l’a emporté haut la main avec 48 % des suffrages. Le 20 mars, les chrétiens-démocrates sont parvenus à limiter la casse en SaxeAnhalt (33 % des voix), mais, une semaine plus tard, ils ont reçu une véritable claque dans le Bade-Wurtemberg, qui leur était pourtant acquis depuis cinquante-huit ans. Véritable puissance économique peuplée de dix millions d’habitants, le Land passe aux mains d’une coalition Verts-SPD et devient le premier d’Allemagne à être dirigé par un ministre-président écologiste. Le même jour, la Rhénanie-

supplémentaires. L’opposition ne détient donc que vingt-quatre sièges au Conseil fédéral. Les sept scrutins de cette année pourraient bouleverser la donne. Au niveau national, la majorité en place est en perte de vitesse depuis plusieurs mois. De nombreux Allemands reprochent à Pour la première fois, un Land, le Angela Merkel son flirt Bade-Wurtemberg en l’occurrence, avec les extrémistes lors du débat sur la place de l’isva être dirigé par un écologiste. lam et des étrangers. Et la démission, début mars, de Karl-Theodor Palatinat, déjà à gauche, a quant à elle zu Guttenberg, son ministre de la Défense porté au pouvoir une coalition SPD-Verts, et successeur présumé, accusé d’avoir les sociaux-démocrates n’ayant, cette fois, plagié sa thèse de droit en 2006, n’a pas pas réussi à faire cavalier seul. arrangé les choses. Ap rè s B rê m e, e n m a i , e t l e Mecklembourg-Poméranie, début sepQUID DES RÉACTEURS? Ilyaaussilalevée tembre, la Superwahljahr s’achèvera le 18 de boucliers provoquée par « Stuttgart 21 », du même mois à Berlin, le Land-capitale. un projet de construction d’une gare dans Là encore, les Verts pourraient faire senla capitale du Bade-Wurtemberg jugé trop sation. Renate Künast, leur tête de liste, coûteux et peu respectueux de l’environparaît bien placée pour supplanter Klaus Wowereit, le maire SPD élu en 2001. ● nement. Le gouvernement étant résolu à passer en force, de grandes manifestations GWÉNAËLLE DEBOUTTE, à Berlin N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Europe, Amériques, Asie Ý AOÛT 2008. À bord de l’USS Abraham Lincoln, les généraux ASHFAQ KAYANI et AHMED SHUJA PASHA (à dr.), patrons de l’armée et de l’ISI, rencontrent leurs collègues américains, l’amiral MIKE MULLEN, chef d’état-major des armées, et le vice-amiral SCOTT VAN BUSKIRK.

1ST CLASS WILLIAM/AP/SIPA

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PAKISTAN - ÉTATS-UNIS

La fêlure

Entre les services de renseignements des deux pays, ce n’est plus l’accord parfait. Pour lutter contre Al-Qaïda et les talibans, la CIA ne peut pas se passer de l’ISI. Celui-ci le sait et en profite pour affirmer son indépendance.

À

l’ambassade américaine, à Islamabad, de terribles souvenirs hantent encore les esprits. Les fonctionnaires frémissent à la seule évocation de l’incendie de leurs locaux, en 1979, par des extrémistes musulmans. Une fausse information imputant aux Américains le bombardement de La Mecque avait mis le feu aux poudres. Les personnels n’avaient survécu qu’en s’enfermant dans un coffre-fort ! Fin janvier, l’arrestation de l’agent de la CIA Raymond Davis pour le meurtre de deux jeunes Pakistanais qu’il accusait d’avoir tenté de le détrousser (il a finalement été libéré le 16 mars) a ravivé ces peurs, dans un contexte d’antiaméricanisme croissant. Et aggravé les divisions entre la centrale de renseignements américaine et son alter ego pakistanais, l’Inter-Services Intelligence (ISI). L’ISI, c’est « l’État profond » (comme l’on dit en Turquie). Aucun civil n’a jamais pu mettre le nez dans ses affaires. À ses débuts, il avait noué des alliances avec divers groupes islamistes armés, avant de se résoudre à coopérer avec la CIA. D’abord pendant la guerre d’Afghanistan, dans les années 1980 ; puis, après les attentats du 11 Septembre, dans la traque N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

des djihadistes d’Al-Qaïda. À Washington, cette collaboration est jugée indispensable à la lutte contre les talibans. « En dépit de quelques problèmes, nous travaillons ensemble depuis des années. C’est bien la preuve d’un excellent partenariat », estime George Little, un ancien de la CIA. Les frappes de drones dans l’ouest du pays sont jugées d’une importance stratégique capitale. Or elles ne peuvent avoir lieu sans l’aval d’Islamabad. Cela signifie que les Américains dépendent plus que jamais des Pakistanais – et de leurs agents secrets. L’ISI fait PIED D’ÉGALITÉ. L’affaire

que ses liens avec les Américains se sont distendus. Fondé dans la foulée de la création du Pakistan, en 1947, par un officier britannique, le Major General R. Cawthome, l’ISI est aujourd’hui un État dans l’État et étend ses tentacules dans tous les secteurs de la société. Ses compétences couvrent le renseignement aussi bien intérieur qu’extérieur. C’est l’instrument privilégié de la domination de l’armée sur le pays. Ses services n’hésitent pas à réprimer la population, en particulier dans la province rebelle du Baloutchistan (SudOuest). Depuis des années, les associations des droits de l’homme accusent les forces armées de pratiquer la torture et les exécutions sommaires. L’ISI entretient un tel climat de crainte que les politiques préfèrent en parler sur un ton très modéré. Et les journalistes, par crainte de représailles, évitent de s’intéresser de trop près à ses activités. QUI DIT MIEUX ? Au siège du service, dans le quartier d’Aabpara, à Islamabad, les fonctionnaires les plus âgés jugent que l’ISI ne ressemble à aucun autre service de ce type. Et qu’il est vital pour la défense du Pakistan, en particulier contre l’Inde. « C’est notre première ligne de défense contre toute menace

régner un climat de crainte. Qui oserait s’intéresser de trop près à ses activités ?

Davis a éveillé des suspicions quant au nombre d’agents américains présents au Pakistan. Selon l’armée, l’espion arrêté en contrôlait à lui seul au moins trois mille. Des négociations à ce sujet ont eu lieu entre Leon Panetta, le patron de la CIA, et le général Ahmed Shuja Pasha, celui de l’ISI, preuve que les deux centrales traitent désormais sur un pied d’égalité. Et donc, que la seconde a accru son autonomie. Du côté des services du frère ennemi indien, ces tensions ne sont pas une surprise. À les en croire, l’ISI s’est, ces dernières années, rapproché des Chinois, tandis

extérieure », estime l’un d’eux. « Au cours des dix dernières années, renchérit un autre, nous avons collaboré avec 50 services à travers le monde. Nous avons participé à l’arrestation de plus de 700 membres d’Al-Qaïda, dont Khalid Cheikh Mohammed, l’un des organisateurs des attentats du 11 Septembre, et de plus de 600 talibans. Quelle organisation est aussi efficace ? » ● JAMES LAMONT et FARKHAN BOKHARI © Financial Times et Jeune Afrique 2011. Tous droits réservés. JEUNE AFRIQUE


Europe, Amériques, Asie pensaient qu’une vraie démocratisation passait par l’affaiblissement de l’armée. Mais aujourd’hui, l’affaire sert aussi à museler toute forme d’opposition. Il ne fait pas bon enquêter sur des dossiers sensibles. Accusés de faire partie d’Ergenekon, l’ex-superflic Hanefi Avci et le journaliste Ahmet Sik sont en prison. Le premier avait publié un livre sur l’infiltration de la police par les disciples de Fethullah Gülen, ce prédicateur dont la confrérie essaime de l’Asie centrale à l’Afrique. Le second était sur le point de l’imiter, mais les fichiers informatiques de son tapuscrit ont été détruits lors de raids policiers. Ces étranges procédés sont dénoncés par l’Union européenne, qui déplore depuis des mois des atteintes répétées à la liberté d’expression. De l’interdiction de YouTube aux arrestations arbitraires (50 journalistes en prison) et aux menaces de poursuites (pour 4 000 d’entre eux), la Turquie est mal placée pour en remontrer à ses voisins. ● JOSÉPHINE DEDET

TURQUIE

Police de la pensée

Interdiction de YouTube, arrestations arbitraires, menaces de poursuites contre 4 000 journalistes… Et si un État AKP était en train de se substituer à « l’État profond » contrôlé par les militaires ?

S

ynthèse réussie de l’islam et de la démocratie ? À l’heure du printemps arabo-musulman, la Turquie n’est pas vraiment en pointe. Silence radio sur la Tunisie quand Ben Ali faisait tirer sur la foule… Condamnation virulente de Moubarak dans le seul but de contester le leadership de l’Égypte au Moyen-Orient… Complaisance avec Kaddafi jusqu’à ce qu’il devienne indéfendable… Amitié réaffirmée avec Assad au lendemain du bain de sang de Deraa… Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan fait primer l’intérêt immédiat de ses businessmen et

ses affinités personnelles. Au risque de brouiller son image diplomatique. En Turquie même, les réformes démocratiques s’enlisent. Dopé par ses succès électoraux, l’AKP, son parti, a fâcheusement tendance à substituer sa propre hégémonie à celle d’un camp laïc qu’il n’a cessé de saper. Un « État AKP » va-t-il supplanter « l’État profond » ? SUPERFLIC EN PRISON. Au vu des déra-

pages de l’affaire Ergenekon, cette crainte ne paraît pas infondée. La neutralisation du gang militaro-mafieux qui fomentait des coups d’État a d’abord réjoui ceux qui

ITALIE

Lampedusa, une île à la dérive

Les immigrés clandestins affluent, la population a doublé et une catastrophe humanitaire menace. Mais Berlusconi veut rendre au confetti sicilien sa vocation touristique et promet d’ouvrir un casino !

ALESSANDRO BIANCHI/REUTERS

Ý DANS LE PORT, le 25 mars, des clandestins attendent d’être évacués vers la péninsule.

P

our enrayer la déferlante des clandestins sur l’île sicilienne de Lampedusa, le gouvernement Berlusconi a accordé à la Tunisie une ligne de crédit de 150 millions d’euros (incluant la livraison d’équipements pour le contrôle des côtes). Et propose de verser 1 500 euros à tout migrant qui acceptera d’être rapatrié. Sera-ce suffisant ? Les candidats à l’exil débarquent au rythme JEUNE AFRIQUE

de cinq cents par jour. La population de l’île a doublé. Plus proche de la Tunisie que de la Sicile, dont elle dépend administrativement, Lampedusa (21 km2 et 5000 autochtones) est menacée d’une catastrophe humanitaire. Faute de place dans le centre d’accueil, les derniers arrivés dorment à la belle étoile, sous des bâches. Les réserves d’eau potable sont presque épuisées,

couvertures et nourriture font défaut, et le risque d’épidémie est réel. Il y a quelques jours, des Tunisiens se sont révoltés au cri de « nous avons faim et froid ! ». Dino De Rubeis, le maire, agite le spectre d’une « guerre civile ». Le gouvernement a dépêché cinq bateaux sur place pour procéder à une évacuation totale vers la péninsule. Lors d’une visite éclair, Silvio Berlusconi a fait savoir qu’il venait d’acheter une villa à Lampedusa, là où campent aujourd’hui les clandestins, et estimé que « l’île doit redevenir un port touristique, où, quand nous aurons évacué tous les clandestins, nous construirons un casino ! » Reste à voir comment réagiront les futurs vacanciers face au déferlement des clandestins. Car de l’autre côté de la Méditerranée, des centaines de candidats à l’exil bouclent déjà leurs valises… ● ALEXANDRA BAKCHINE, envoyée spéciale N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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PARCOURS | D’ici et d’ailleurs

Ali Baba Gueye Retour gagnant Preuve de la vitalité de l’American dream, ce Sénégalais autodidacte a imposé sa gastronomie diététique à New York. Au pays, il vient d’ouvrir une école de cuisine.

L

ES AMÉRICAINS le surnomment « le boulanger philosophe ». À 50 ans, Ali Baba Gueye, dandy svelte à la voix douce, ne se contente pas d’être reconnu outreAtlantique pour ses pâtisseries. Ses ambitions vont au-delà de la cuisine car il s’est fixé une mission, et pas des moindres: « Apporter des réponses aux problèmes alimentaires des Africains. » Par exemple avec un gâteau à base de pain de mie dont il jure qu’il reste comestible pendant un an. Une question vient immédiatement à l’esprit : Ali Baba a-t-il les pieds sur terre? Tout juste de retour au Sénégal, ce natif du Kaolack, dans le centre du pays, vient pourtant de clouer le bec aux sceptiques en remportant, fin mars, la première étape de son pari. « J’ai ouvert mon école de cuisine pour enseigner une gastronomie bon marché et pauvre en calories. C’est important. En Afrique, de plus en plus de personnes sont atteintes de diabète parce qu’elles mangent mal », explique-t-il. Installé dans le quartier résidentiel de NgorAlmadies, à Dakar, l’établissement baptisé Ceci-Cela va accueillir pour commencer une cinquantaine d’apprentis. Au menu de ses élèves, cours de cuisine et diététique saupoudrés de cours d’anglais et de français. Un programme qui, s’il ne manque pas de saveur, occasionne aussi une addition salée: environ 50000 F CFA (76 euros) par mois. Mais pour l’heure, la rentabilité de l’affaire est loin d’être assurée. Mené en solo, le projet a déjà coûté à Ali Baba plus de 250 millions de F CFA, dont la majeure partie a été empruntée auprès des banques. Seule aide extérieure, le bâtiment donné par le gouvernement pour installer l’académie. Si le quinquagénaire attache une grande importance à la transmission de son savoir-faire, c’est parce qu’il pense sincèrement

N 0 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

DE LA PLONGE À LA CUISINE. Après avoir vendu de fausses Rolex, ce dandy svelte a troqué les petits trafics pour la toque.

pouvoir changer le quotidien des Africains. C’est aussi par esprit de revanche, lui qui a quitté l’école en cinquième. Issu d’une famille nombreuse et modeste, le tout jeune Ali Baba ne se voit pas d’avenir au Sénégal. L’Europe sera donc sa planche de salut. L’époque n’est pas encore à la chasse aux sanspapiers, et c’est en toute simplicité, par avion, qu’il se rend en Espagne, avant de rejoindre Marseille où il prend ses quartiers autour du Vieux-Port comme vendeur à la sauvette. La France ne sera finalement qu’une étape et, huit mois plus tard, il débarque en Italie. Ali Baba y passera six ans avec sur son étal toutes les spécialités mourides, des ceintures aux masques africains.

Le tournant du destin, c’est un ami qui lui chante les louanges du rêve américain: « Un pays où tu peux gagner jusqu’à 1000 dollars en une journée. » Visa en poche, il s’envole pour NewYork avec la ferme intention d’y faire fortune par la grâce de Dieu et de fausses montres Rolex vendues dix fois leur prix aux touristes. Mais gare à celui qui se fait prendre par la police de l’Oncle Sam. Redoutant d’être expulsé, le clandestin change finalement de recette, et c’est en passant par un job de plongeur qu’il déboule en cuisine. Le boulot est dur, maisAli Baba est opiniâtre. Livreur, puis commis et enfin chef de rang, l’homme se découvre une passion. « Au Sénégal, je n’avais jamais pris le temps de cuisiner », avoue-t-il. En dehors des services, le New-Yorkais d’adoption dévore les livres de cuisine pour se forger une culture et multiplie les expériences. Séduit par ses créations, le patron de son restaurant les inscrit à la carte. En 1996, il change d’établissement et devient JEUNE AFRIQUE


Europe, Amériques, Asie

Parce qu’il a avoué un jour avoir pu gagner jusqu’à 10000 dollars lors de la fête deThanksgiving, un journaliste sénégalais l’a baptisé « l’homme qui valait 4 millions de F CFA par jour ». Au pays de laTeranga, la chose a fait suffisamment de bruit pour que Baba ne veuille plus s’appesantir sur ses affaires. Tout juste consent-il, pour prouver sa réussite, à dévoiler certaines fiches de paie qui avoisinent tout de même près de 1500 dollars net (environ 1000 euros) par semaine. Collaborateur de différents établissements, Baba s’associe avec des partenaires coréens au milieu des années 2000. Mais l’obsession africaine est trop tenace: trois ans plus tard, il solde tout pour organiser son retour à la maison. Désormais au pays, le prince de la pâtisserie light n’oublie pas les amitiés nouées lors de ses années d’exil. Et pour cause! Parmi elles, des pointures de la gastronomie comme Mickaël Azouz, champion du monde des chocolatiers en 1989.Autant de connexions qui devraient l’aider à faire de son école « the place to be » pour les futurs chefs africains. ● JULIEN CLÉMENÇOT Photo : YOURI LENQUETTE pour J.A. JEUNE AFRIQUE

AXELLE DE RUSSÉ

chef cuisinier du Grassroots, une table à la mode pour les étoiles du showbiz où défilent entre autres l’acteur Danny Glover et la pop star Madonna. C’est alors qu’il fait la rencontre d’Erika Leifer, avocate au palais bien éduqué, pour laquelle il finit par cuisiner à domicile. Sous le charme, cette dernière lui propose d’ouvrir une boutique. Ali Baba, pâtisserie sucrée-salée, est né. Entre le restaurant et son affaire, les journées sont longues, quinze heures par jour en moyenne. Des efforts récompensés, puisque le cuisinier goûte bientôt une certaine notoriété. On vient de partout à GreenwichVillage pour grignoter ses cookies meringués à la vanille sans œufs, sans crème et sans beurre. Le NewYorkTimes lui consacre une chronique. Bientôt invité à courir le monde, il enchaîne les allers-retours, notamment au Japon, pour des démonstrations. Une vie de nomade où le modou-modou (« émigré », en wolof) est plus souvent entre deux avions que derrière les fourneaux de sa pâtisserie, au point de finalement revendre ses parts en 2000.

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VANESSA, 21 ANS, concubine d’un prospère homme d’affaires de Shanghai. CHINE

Adieu mon « canari doré »

Le gouvernement veut sévir contre les maris volages et punir plus durement l’infidélité. Une base de données informatique a même été mise en place pour démasquer les coupables !

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de 80 % dans les grandes villes. Parmi n l’appelle, poétiquement, eux, beaucoup d’hommes d’affaires et « canari doré ». Ou, plus de cadres du Parti communiste, pour prosaïquement, « seconde qui avoir une jeune et jolie maîtresse est femme ». En Chine, le vocad’abord un signe extérieur de richesse. bulaire est aussi riche que la tradition : « Tous ceux qui ont une seconde entretenir une concubine est un signe femme font quelque chose d’illégal. extérieur de richesse. Des empereurs à Mais ils s’en fichent, ils pensent que Mao Zedong, tous les anciens chefs de l’État ont entretenu de véritables harems. c’est normal. Beaucoup n’envisagent La polygamie a d’ailleurs été tolérée d’ailleurs pas de quitter leur épouse jusqu’en 1949. officielle », explique Jin Hong, un proUne époque révolue puisque le goufesseur de sociologie. vernement annonce qu’il va durcir la législation et Désormais, pour faire tomber lancer une opération « coules ripoux du Parti communiste, ple propre ». Une base de données informatique va il faut chercher la femme. être mise en place. Elle est Ce qui a poussé le gouvernement à censée permettre d’identifier les maris volages, d’abord à Pékin et à Shanghai. sévir, c’est le lien quasi mathématique S’il est efficace, le système sera ensuite entre corruption et concubinage. On ne étendu à d’autres provinces. compte plus les figures du Parti tombées « Les lois sur la famille, le mariage ou en disgrâce pour avoir tapé dans la caisse les enfants ne sont pas assez sévères pour afin d’offrir un appartement ou une voipunir tous ces gens qui ont une seconde ture de luxe à leur « canari doré ». Or la femme », commente l’avocat Zhang Lei, lutte contre la corruption est la nouvelle spécialiste des procédures de divorce. priorité du gouvernement. Officiellement, la Chine compte 20 % Pour faire tomber les ripoux du Parti, il d’hommes infidèles. En réalité, le pourfaut désormais chercher la femme. ● centage serait bien plus élevé : autour STÉPHANE PAMBRUN, à Pékin N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011


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Europe, Amériques, Asie CORÉE DU NORD

HUMEUR

Opinions & éditoriaux FOUAD LAROUI

Vive le (vrai) journalisme!

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N PARLE BEAUCOUP en ce moment de « révolutions Facebook ». La plupart des commentateurs saluent en termes dithyrambiques l’utilisation des réseaux sociaux, d’internet, de YouTube, par les jeunes des pays arabes. Bien sûr, c’est formidable, si cela permet à l’information de circuler, aux gens de s’exprimer (et surtout de s’instruire), à un débat fructueux de prendre forme, etc. Mais est-ce vraiment le cas? Quelle est la nature de cette information qui circule sur internet, où personne n’est responsable de rien, où aucun rédac’ chef ne contrôle les « papiers » que produisent des blogueurs anonymes? Ceux qui fréquentent le Net le savent: les « news » le plus souvent reprises se révèlent être des bobards, de la propagande, de l’intox pure et simple. « Une information plus un démenti, cela fait deux infos pour le prix d’une », disait YvanAudouard. Et il ajoutait: « Et c’est toujours la fausse qui reste dans les mémoires. » Aujourd’hui, c’est pire. Au moins, à l’époque, les démentis existaient vraiment: on était tenu de les publier, avec les mêmes caractères et la même longueur que l’article fautif. Qui dément quoi que ce soit aujourd’hui dans la jungle d’internet? Un bobard, une calomnie, et votre réputation est souillée à jamais – ils sont rares, les blogueurs qui reconnaissent s’être trompés…

concepts d’inflation ou de PIB. Qui contrôle ses connaissances ? J’ai vu avec stupéfaction des textes réclamant au Maghreb « la suppression du système d’économie libérale ». Très bien : alors, on refait l’Albanie ? La Corée du Nord ? Quant à la démocratie, internet la favorise-t-elle vraiment ? Quand des blogs réclament la prison (sans jugement ?) pour des ministres dont la tête ne leur plaît pas, quelle est exactement leur conception de la démocratie ? Quand ils disent « le peuple veut », on se demande à quel titre un bonhomme penché sur un ordinateur dans une téléboutique peut prétendre parler au nom du peuple. Qui l’a élu ? Enfin, le débat est-il vraiment favorisé par la révolution informatique ? Il suffit de regarder comment ces gens anonymes et qui « échangent »

Sur le Net, les « news » sont souvent des bobards. De l’intox pure et simple.

Surtout, il n’y a plus aucune hiérarchisation de l’info. Un « blogueur » s’exprime avec autorité sur tous les sujets, par exemple sur l’économie – la base de tout – même s’il est incapable de définir correctement les N 0 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

par l’intermédiaire d’un écran se comportent entre eux pour devenir sceptique. Au bout de trois échanges, chacun met en doute la vertu de la mère de l’autre, et au bout de dix minutes, ils se traitent mutuellement de nazi. Donc, saluons la révolution Youtruc et Facemachin, mais restons prudents : rien ne remplacera la bonne vieille salle de rédaction et les règles vénérables du journalisme, où l’on vérifie ses informations, où l’on distingue les faits du commentaire et où l’on ne prend pas ses désirs pour des réalités. ●

Poignées de poussière et sacs de grain Une grave famine menace. Le Grand Leader cherche une aide alimentaire à l’étranger.

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aprèslequotidiensud-coréen JoongAng Ilbo, les autorités nord-coréennes auraient, au mois de février, donné la consigne aux représentations diplomatiques du pays à l’étranger d’essayer par tous les moyens d’obtenir une aide alimentaire. Les États-Unis, l’Angleterre et même le Zimbabwe confirment avoir été sollicités. L’émergence soudaine de vidéos clandestines (et difficilement datables) montrant des enfants faméliques en quête de nourriture laisse à penser que la Corée du Nord, aux abois, cherche à attirer l’attention internationale. À en croire le rapport que vient de publier le Programme alimentaire mondial (PAM) sur la base d’une enquête de terrain réalisée au cours des deux derniers mois par trois agences de l’ONU, ce pays serait sur le point d’être confronté à une famine comparable à celle qui, dans les années 1990, fit près de 1 million de victimes. VULNÉRABLE. L’arrêt de l’aide américaine

et la forte diminution des envois alimentaires sud-coréens au cours des deux dernières années, plus des conditions climatiques extrêmes et une grave épidémie de fièvre aphteuse, auraient rendu la Corée du Nord très vulnérable. Près d’un quart de la population, soit 6 millions de personnes (essentiellement femmes enceintes, enfants et personnes âgées) auraient besoin d’une aide d’urgence, estimée par le PAM à 470 000 tonnes. Mais en attendant que les grandes puissances s’accordent sur une éventuelle reprise de l’aide humanitaire, les Nord-Coréens doivent se contenter des mots réconfortants de leur dirigeant : « Quelques poignées de poussière données par le Grand Leader valent mieux que des milliers de sacs de grain. » ● JULIETTE MORILLOT JEUNE AFRIQUE


LE PLUS

de Jeune Afrique

PANORAMA Radiographie des scrutins

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ARMÉE À ses militaires le pays reconnaissant POUVOIR Les défis du chef de l’État SECTEURS Agriculture, mines, transports… la relance

NIGER

Démocratie, le grand retour? Le 7 avril, le nouveau président, Mahamadou Issoufou, prend ses fonctions. La junte a joué le jeu. Au tour de la future équipe civile de tenir ses promesses de campagne.

JEUNE AFRIQUE

DJIBO TAGAZA

LES CANDIDATS Issoufou (g.) et Oumarou, le 12 mars, à Niamey. N°2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011



Le Plus de Jeune Afrique

LE PLUS

83

de Jeune Afrique

NIGER

Démocratie, le grand retour?

Prélude François Soudan

Tous vainqueurs

JEUNE AFRIQUE

N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

PANORAMA La vie en rose

p. 84

TRIBUNE par Marou Amadou

p. 91

QUINQUENNAT Les trois défis d’Issoufou

p. 92

ARMÉE À ses militaires le pays reconnaissant p. 95 PORTRAIT Salou Djibo

p. 100

BILAN DE LA TRANSITION Le parcours des combattants p. 102 AUBREY WADE/PANOS-REA

U

N CANDIDAT QUI, quatre jours à C’est sur ce terreau ingrat que l’arbre peine après le scrutin, prend acte de la démocratie a lentement pris racine, de la victoire de son adversaire, pour s’épanouir aujourd’hui. Le mérite le félicite et renonce publiqueen revient à une classe d’hommes poliment à exercer son droit au recours. Un tiques responsables et d’officiers patrioélu qui rend hommage à son concurrent tes, à l’image du chef de l’État sortant, le et salue ceux qui n’ont pas voté pour général Salou Djibo, qui ont su s’opposer lui, parce qu’en agissant ainsi « ils ont aux dérives d’un régime de restauration vivifié la démocratie »… Ce n’est pas le autoritaire sans renoncer à leurs prinscénario fictif et rêvé de la présidentielle cipes. Il en revient aussi à un électorat ivoirienne avant qu’elle ne bascule dans le cauchemar, Sur un terreau ingrat, l’arbre mais, mot pour mot, le script de la démocratie a lentement pris qu’ont coécrit sous nos yeux, en ce mois de mars 2011, racine pour s’épanouir aujourd’hui. à Niamey, deux hommes d’État : Mahamadou Issoufou le vainqueur mature, familier des joutes démocratiques et Seini Oumarou le battu. Si l’on ajoute et depuis longtemps éduqué à la contesà cela une junte militaire exemplaire qui, tation pacifique par une longue tradition après un an et un mois de transition, rend de revendications syndicales. le pouvoir aux civils à la date prévue, Pour son décollage attendu, le Niger ne on se dit que désespérer de l’Afrique est part heureusement pas de zéro. En dépit décidément une forfaiture. d’une certaine mal-gouvernance, les bases Pourtant, s’il est un pays où l’on ne d’un nouveau départ ont été, au cours de pensait pas qu’un jour les contes de fées la dernière décennie, restaurées : libéradeviendraient réalité, c’est bien le Niger. lisation du commerce, restructuration Cet immense losange aux trois quarts du secteur financier, taux de croissance désertique, à mille kilomètres de la mer la supérieur à 5 % en 2011, 7 % espérés en plus proche, avec ses huit mois de saison 2012, et amélioration des indices – parmi sèche et torride balayée par l’harmattan, les plus bas du monde – de développement a toujours été de ceux où la politique, humain et social. La tâche qui attend le président Issoufou, comme le climat, ne donnait pas dans la nuance. Le pays de Hamani Diori, de élu à son quatrième essai depuis 1992, Seyni Kountché, d’Ibrahim Maïnassara signe d’une belle obstination, est lourde. Baré, de Mamadou Tandja et de quelques Pour l’accomplir, le nouveau chef de l’État autres a connu son lot de coups d’État, de nigérien jouit sur le plan symbolique d’un dictatures, de corruption, de famines, de double totem. Son surnom : Zaki, « le lion » rébellions armées et, même, d’assassinats en haoussa. Et la couleur fétiche de toute sa au sommet de l’État : un président et une campagne : le rose. La force et la tendresse, première dame en exercice y ont connu en somme. Cocktail prometteur. ● une fin tragique. L’uranium, cet autre pétrole des sables, entré en exploitation il y a quarante ans et dont la manne financière devait permettre un développement harmonieux, n’a pas empêché que le pays bascule, à la fin des années 1970, de l’état de pauvreté à celui de misère.

AGRICULTURE La faim et les moyens p. 106 MINES À chacun sa part du gâteau ?

p. 108

SÉCURITÉ Agences tous risques p. 112 MOBILITÉ Rimbo, la star

p. 115

REPORTAGE Niamey, et au milieu coule une rivière p. 116


84

Le Plus de Jeune Afrique

Le premier président de la VIIe République est élu. Et bien élu. Le scrutin a été transparent. Les législatives lui donnent la majorité à l’Assemblée. De quoi, a priori, avoir les coudées franches pour assurer aux Nigériens des lendemains meilleurs. N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

PANORAMA

La vie

en

rose

JEUNE AFRIQUE


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Ý LES PARTISANS D’ISSOUFOU arborant les couleurs du PNDS-Tarayya lors d’un meeting dans la région de Tillabéri.

La marche démocratique MAI-JUIN 2009

Dissolution du Parlement et de la Cour constitutionnelle, opposés au projet de référendum constitutionnel du président Tandja. 4 AOÛT 2009

Victoire du oui au référendum. 20 OCTOBRE 2009

Législatives boycottées par l’opposition. Le pays est suspendu de la Cedeao. 18-22 FÉVRIER 2010

Tandja est renversé. Salou Djibo est nommé président. 31 OCTOBRE 2010

Référendum constitutionnel. 25 NOVEMBRE 2010

Promulgation de la Constitution.

TAGAZA DJIBO POUR J.A.

11 JANVIER 2011

CHERIF OUAZANI,

I

envoyé spécial à Niamey

l lui aura fallu quatre candidatures et deux décennies pour accéder enfin à la magistrature suprême. À 59 ans, Mahamadou Issoufou, ingénieur des mines jusqu’à son entrée en politique, en 1991, sera donc le premier président de la VIIe République du Niger. Un président civil, élu, le 12 mars, avec 57,95 % des suffrages exprimés, à l’issue du second tour d’un scrutin démocratique et transparent. Aboutissement du travail accompli par les autorités de la transition,

JEUNE AFRIQUE

en un peu plus de treize mois, pour remettre le pays sur les rails de la démocratie et du développement (lire pp. 102-104), cette élection réussie donne aux Nigériens – et à la communauté internationale – une trop rare occasion de voir l’avenir en rose, couleur de campagne et de prédilection du socialiste Issoufou. Contrairement à ses précédentes tentatives – en 1992, 1999 et 2004 –, le natif de Dan Daji, un village de la région de Tahoua, a réussi, en 2011, à arracher le soutien d’une écrasante majorité de la classe politique. Entre les deux tours du scrutin (31 janvier et 12 mars), l’inamovible ● ● ●

Élections locales. 31 JANVIER 2011

Législatives (en un tour) et premier tour de la présidentielle. 12 MARS 2011

Mahamadou Issoufou est élu au second tour de la présidentielle. Il sera investi le 7 avril.

N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011


Le Plus de J.A. Niger

ALGÉRIE

Uranium

UNE DROITE LAMINÉE. Ces soutiens, tradition-

Or Charbon Pétrole

Bilma

MASSIF DE L’AIR

TÉNÉRÉ

Arlit Imouaren Agadez

MALI

Agadem

NIGER

Tahoua Niamey

pour la démocratie et la République (UDR), arrivé en huitième position à l’issue du premier tour de la présidentielle (1,6 % des voix).

LIBYE

UN PAYS ENCLAVÉ AU SOUS-SOL RICHE

Maradi

TCHAD

Zinder Diffa

BURKINA FASO

300 km

BÉNIN

NIGERIA

CAMEROUN

président du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya) a fait une bonne pêche.

Superficie 1 267 000 km2

●●●

Population 15,7 millions

d’habitants, dont 49,2 % ont moins de 15 ans et 21 % sont des urbains

DE BELLES PRISES. Arrivé troisième à l’issue du

premier tour avec 19,82 % des suffrages exprimés, l’ancien Premier ministre Hama Amadou, président et fondateur – il y a deux ans – du Mouvement démocratique nigérien pour une Fédération africaine (Moden-Lumana), annonce que son parti et lui-même se retirent de l’Alliance pour la réconciliation nationale (ARN) afin de rejoindre la Coordination des forces pour la démocratie et la République (CFDR), coalition des principaux partis de l’opposition à Tandja (devenue aujourd’hui la majorité), pour soutenir la candidature d’Issoufou. Une alliance de poids quand on sait qu’avant même le bon résultat de son leader au premier tour de la présidentielle, le jeune parti d’Amadou avait réalisé de très beaux scores pour ses premiers scrutins. Lors des élections locales (municipales et régionales) du 11 janvier, ainsi qu’aux législatives du 31 janvier, le Moden-Lumana s’est imposé comme la troisième force politique du pays, après le PNDS-Tarayya et le Mouvement national pour la société de développement (MNSD-Nassara, ancien parti-État créé par Mamadou Tandja) de Seini Oumarou, qu’il talonne de très, très près (lire p. 88). Loin de se satisfaire de ce fort potentiel de report de voix, le candidat Issoufou fait deux autres prises de choix. Lui apportent leur soutien Hamid Algabid, le patron du Rassemblement pour la démocratie et le progrès (RDP, parti qui se réclame de l’héritage de feu Ibrahim Baré Maïnassara, l’ennemi juré d’Issoufou), ainsi qu’Amadou Boubacar Cissé, ancien Premier ministre du même Baré Maïnassara et président de l’Union N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Croissance démographique 3,3 % Capitale Niamey

(1,3 million d’hab., soit 8,3 % de la population) Indice de développement humain (IDH) 0,261

(167e rang sur 169 pays) Espérance de vie

52,5 ans

Pauvreté 65,9 % de la SOURCES : INS 2011, PNUD, UEMOA, BANQUE MONDIALE, FMI

86

population vit au-dessous du seuil de pauvreté (1,25 dollar par jour) Illettrisme 71 % Monnaie Franc CFA PIB 5,6 milliards

de dollars*

Répartition du PIB par secteur Primaire

40,3 % ; secondaire 15,2 % ; tertiaire 37,9 % ; impôts sur les produits 6,6 % Inflation 3,4 %* * Estimation FMI pour 2010

nellement acquis au MNSD-Nassara de son rival malheureux Seini Oumarou, ont été déterminants dans la victoire d’Issoufou. Amadou Boubacar Cissé est le premier à s’en féliciter : « Le président Issoufou disposera d’une large majorité au sein de l’Assemblée nationale puisque notre coalition, la CFDR, compte 78 députés sur un total de 107 [déclarés élus, NDLR]. » Une vague rose qui ne devrait pas se démentir, bien que 6 sièges restent à pourvoir pour que le Parlement soit au complet, les résultats des législatives dans la région d’Agadez ayant été invalidés par le Conseil constitutionnel de transition, le 16 mars (lire p. 88). Au lendemain du 7 avril, jour de son investiture, Mahamadou Issoufou devrait donc trouver une situation politique sous contrôle, avec, dans le rôle désormais de l’opposition, une droite laminée. En effet, si Seini Oumarou a bénéficié d’un résultat honorable de plus de 42 % des suffrages exprimés au second tour de la présidentielle, la coalition qui l’a soutenu a connu un cuisant échec aux législatives. L’ARN, formée par le MNSD-Nassara, la Convention démocratique et sociale (CDS-Rahama) de Mahamane Ousmane et une vingtaine de petites formations, n’a obtenu que 28 sièges au sein de la nouvelle Assemblée nationale, dont 25 pour le MNSD-Nassara et seulement 3 pour le CDS-Rahama. Alors qu’ils comptaient respectivement 47 et 22 députés au cours de la législature 2004-2009… C’est dire l’ampleur de la défaite. CAPITAL SYMPATHIE. Autre bonne nouvelle pour le pays et pour le nouveau président élu : le capital sympathie accumulé par le Niger auprès de la communauté internationale à la suite de la transition militaire. Le pari de réconcilier les Nigériens après le douloureux épisode du tazartché (« continuité » en haoussa, slogan utilisé pour légitimer le maintien de Tandja au pouvoir), d’assainir les finances publiques, de doter le pays d’une nouvelle Constitution et d’organiser le retour des civils au pouvoir a été tenu, et dans les temps. Cette image positive devrait bénéficier, en premier lieu, à Mahamadou Issoufou. Elle ne sera pas de trop au moment de chercher les financements devant permettre de concrétiser ses ambitions pour le pays. Car, même s’il étrenne une nouvelle ère prometteuse, tant en termes de progrès démocratiques que de croissance économique, le pays est toujours dans l’urgence… Les implacables chiffres du rapport sur le développement humain publié par le Programme des Nations ● ● ● JEUNE AFRIQUE



Le Plus de J.A. Niger ● ● ● unies pour le développement (Pnud), qui le place en queue de classement – 167e sur 169 pays évalués –, sont là pour lui rappeler qu’il reste l’un des États les plus pauvres du monde. Les deux tiers de sa population vivent au-dessous du seuil de pauvreté (moins de 1,25 dollar par jour), et 85 % avec moins de 2 dollars par jour. Durant son mandat (de cinq ans, renouvelable une seule fois), le nouveau président veut investir 6 000 milliards de F CFA (plus de 9 milliards d’euros) dans des projets structurants afin d’améliorer le quotidien de ses 15,7 millions de concitoyens. « C’est un effort considérable au vu des capacités du Niger, note Adama Garba, cadre dans une banque de la place. Mais le défi n’est pas insurmontable. Pour peu que les projets soient bien mûris, le président Issoufou n’aura aucun mal pour trouver les financements. »

DES FRONTS CHAUDS. Le mois de mars n’a

cependant pas apporté que des bonnes nouvelles à l’enfant de Dan Daji. Les mauvaises viennent d’un front distant de plusieurs milliers de kilomètres : des malheurs de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. Le séisme et le tsunami qui ont ravagé les côtes orientales du Japon ont

en effet provoqué un effondrement des cours de l’uranium, principale source de revenus pour le Trésor public nigérien (lire pp. 108 et 110). Mais les fluctuations attendues du cours de la livre de yellow cake n’entament ni l’euphorie de la victoire ni l’optimisme de la population, des opérateurs économiques et des bailleurs internationaux. D’ailleurs, dans quelques mois, et après un demi-siècle d’attente, le Niger deviendra un pays exportateur de pétrole (lire p. 111). Rien n’est venu entamer Comme le dispose la l’optimisme de la population nouvelle Constitution et des bailleurs internationaux. et comme le candidat Mahamadou Issoufou l’a promis aux électeurs, les recettes fiscales générées seront mises à contribution pour la réussite du programme quinquennal. Autre promesse électorale : garantir la sécurité des biens et des personnes en menant une lutte sans merci contre les djihadistes d’Aqmi et la criminalité transfrontalière. Pour cela, le nouveau chef de l’État pourra compter sur l’armée (lire pp. 95-96), cette institution qui, en tenant ses engagements, a créé, de facto, les conditions de sa victoire. Merci qui ? ●

Nouvelle donne au Parlement

Avec plus des deux tiers des sièges, la coalition présidentielle est sortie victorieuse du scrutin du 31 janvier. L’ancien parti-État devient la deuxième force politique.

À

l’issue des législatives du 31 janvier, l’Assemblée nationale change de couleur. Après plus de dix ans dans l’opposition, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya) de MahamadouIssoufou,arrivéentête, obtient 34 sièges sur 113 (contre 17 à l’issue des législatives de 2004). La force de la nouvelle majorité présidentielleauseindel’Assembléetient aussi aux excellents résultats de ses alliés de la Coordination des forces pourladémocratieetlaRépublique (CFDR). À commencer par celui du jeune Mouvement démocratique nigérien pour une Fédération africaine (Moden-Lumana) de Hama Amadou, qui crée la surprise avec 23élus.Suiventl’Alliancenigérienne pour la démocratie et le progrès (ANDP-Zaman Lahiya, 8 élus), le Rassemblement pour la démocratie et le progrès (RDP, 7) et l’Union N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

LES SOCIALISTES ET LEURS ALLIÉS DANS UN FAUTEUIL SOURCES : INS 2011, PNUD, UEMOA, BANQUE MONDIALE, FMI

88

Total des sièges 113 CFDR

78

ARN

28

Invalidés, à pourvoir

6

UNION DES NIGÉRIENS INDÉPENDANTS

1

pour la démocratie et la République (UDR, 6). Soit un total de 78 sièges (plus des deux tiers de l’Assemblée) pour la CFDR. Désormais dans l’opposition, le Mouvement national pour la société de développement (MNSDNassara)deSeiniOumarouapparaît

comme la deuxième force politique du pays, avec 23 députés (contre 47 en 2004). Cependant, la coalition dans laquelle il s’inscrit, l’Alliance pour la réconciliation nationale (ARN), ne compte que 28 sièges : aucun élu parmi les candidats des petites formations qui la composent et, surtout, chute libre de la Conventiondémocratiqueetsociale (CDS-Rahama) de Mahamane Ousmane (chef de l’État de 1993 à 1996 et président du Parlement de 1999 à 2009), qui n’obtient que 3 sièges… contre 22 en 2004. Ce rapport des forces ne variera que très peu une fois qu’auront été pourvus les 6 sièges restés vacants. Lors de la proclamation des résultats définitifs, le 16 mars, le Conseil constitutionnel de transition a en effet invalidé toutes les opérations de vote dans la région d’Agadez et fixé de nouvelles élections au mois de mai. ● CÉCILE MANCIAUX JEUNE AFRIQUE




Démocratie, le grand retour ?

TRIBUNE Opin Op inio ions & éditor oria iaux ux

Soyons exemplaires

TAGAZA DJIBO POUR J.A.

A Marou Amadou Président du Conseil consultatif national (CCN), ancien opposant à Tandja

VEC L’ACHÈVEMENT du processus électoral, le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) a relevé le défi et, surtout, tenu tous ses engagements. Le travail accompli est immense. Cinq scrutins en six mois, dans un pays aussi vaste, avec des ressources dérisoires, il fallait le faire ! Mieux, la transition a doté la VIIe République de lois qui renforcent les institutions et sont en phase avec les aspirations du peuple nigérien. Elle a mis en place un cadre cohérent, capable d’impulser le progrès démocratique et social. Ces bases ouvrent au Niger de belles perspectives et nous donnent aujourd’hui l’opportunité de transformer radicalement la situation de notre pays. Pour qu’il en soit ainsi, il convient cependant d’insister sur certains points essentiels. Les Nigériens attendent des nouvelles autorités qu’elles fassent respecter rigoureusement les libertés publiques, garantissent la justice et l’État de droit, et stabilisent les institutions républicaines.

L’une des maladies infantiles des néodémocraties africaines réside dans l’instabilité et la fragilité des institutions démocratiques. Si ces dernières ne fonctionnent pas régulièrement et par leurs propres mécanismes, il n’y a pas de démocratie durable. S’inspirant de l’histoire politique du Niger, la Constitution de la VIIe République a mis en place un dispositif institutionnel clair, précis et par endroits avantgardiste pour fixer les prérogatives des différents pouvoirs et protéger les institutions judiciaires. Le Niger démocratique doit être un Niger sûr. Sa position géostratégique, les potentiels qu’il recèle, les conséquences de plusieurs années de conflits cycliques et les incursions avérées de certains groupes terroristes font de la sécurité un enjeu de taille pour le pays. Il convient de mettre en place les moyens nécessaires afin de garantir la libre circulation des biens et des personnes sur l’ensemble du territoire, et d’assurer la défense et l’intégrité des frontières nationales. L’insécurité est le plus sûr moyen de plomber n’importe quelle action de développement. Notre pays doit mettre autant d’exemplarité et de dynamisme pour participer à des efforts coordonnés en matière de lutte contre le terrorisme et les trafics dans l’espace sahélo-saharien que pour se positionner comme un modèle de démocratie en Afrique.

Il faut gérer le Niger sur la base des standards de la gouvernance démocratique et économique et diriger le peuple sur la base des valeurs éthiques et morales telles que proclamées dans le pacte républicain, instrument sur lequel pourront être édifiées et consolidées les valeurs qui exaltent le dévouement à la collectivité, la responsabilisation du citoyen, la reddition des comptes et la transformation de la société. En matière de finances publiques, l’orthodoxie et la sacralisation des biens publics doivent être les seuls repères, avec pour corollaire une lutte résolue contre la corruption. Il s’agit aussi de réaffirmer la souveraineté nationale sur les ressources naturelles en veillant à ce qu’elles profitent davantage au peuple nigérien, et de créer des emplois en nombre et de telle manière que la jeunesse ne soit plus en marge de la construction nationale. Ultime priorité : sortir des famines et crises alimentaires cycliques, de l’extrême pauvreté et du sous-développement. La famine ne peut et n’a jamais été une fatalité dans les sociétés bien gouvernées. Le Niger doit briser le cercle vicieux qui en fait une situation presque « normale » tous les cinq ans – souvent moins. Une politique agricole

C’est une évidence, les Nigériens n’accepteront ni une démocratie de façade ni un état permanent de misère.

JEUNE AFRIQUE

ambitieuse doit être mise en œuvre pour la réalisation du droit à l’alimentation. À cet égard, il faut donner un contenu concret aux nouveaux droits constitutionnalisés – droits à l’alimentation, à l’eau potable, à la santé, à l’éducation –, qui sont fondamentaux et sur lesquels aucun compromis n’est possible. Durant des années, de manière continue, les indicateurs du Niger dans ces domaines ont été les plus mauvais du monde. Il faut absolument renverser cette tendance. Ma conviction est qu’un peuple fier et déterminé est toujours apte à changer son destin ou même le cours de l’Histoire. Le peuple nigérien en a donné assez souvent la preuve. À ce peuple-là, on est toujours obligé de donner le meilleur de soi-même. C’est une évidence, les Nigériens n’accepteront ni une démocratie de façade ni un état permanent de misère. Il revient à ceux qui vont ou veulent diriger ce pays de le savoir et de l’intégrer dans leur agenda politique. ● N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Le Plus de J.A. Niger PRIORITÉS DU QUINQUENNAT

Les trois défis d’Issoufou

Croissance, développement humain et sécurité : le chef de l’État, qui prendra ses fonctions le 7 avril, devra mener de front ces dossiers sensibles. Et savoir bien s’entourer pour y parvenir.

L

1 200 milliards de F CFA (plus de 1,8 miles apparences sont trompeuses. liard d’euros). Mahamadou Issoufou est certes Uranium, agriculture… et aide interdiplômé de l’École nationale nationale. Après la crise du tazartché supérieure des mines de Saint(« continuité », en haoussa) – ce bonus Étienne, en France. Il est aussi un ancien cadre de la Société des mines de l’Aïr de trois ans que Tandja a voulu s’octroyer (Somaïr). Mieux que personne, il connaît en 2009 –, puis le putsch de février 2010, l’aide des bailleurs de fonds s’est tarie. le poids de l’uranium dans l’économie Logiquement, elle va reprendre. C’est du Niger (lire pp. 108 et 110). Mais si le cas notamment des financements le secteur minier sera bien suivi, il ne constituera pas la priorité du nouveau chef de l’État. Le président mise sur la création Les contrats avec le groupe de 250 000 emplois en cinq ans. français Areva ont été signés en 2008, à la fin de l’ère Priorité aux diplômés-chômeurs. Tandja – et bien signés. Le apportés par l’Union européenne pour prix d’achat du minerai a été revalorisé. soutenir les projets routiers ; ceux-ci, Ils ne sont pas renégociables avant plususpendus en 2009, doivent redémarrer sieurs années. prochainement (lire encadré). « C’est très bon pour le secteur privé, lance REPRISE. C’est d’abord sur l’agriculture un dirigeant du Parti nigérien pour la que le président Issoufou va faire bouger démocratie et le socialisme (PNDS), les choses (lire pp. 106-107). Une année désormais au pouvoir. Entre le public sur trois, le Niger est frappé par la sécheet le privé, nous parions sur la création resse. Dernière en date : 2010. « Après la famine de l’an dernier, la priorité, c’est de 250 000 emplois sur cinq ans. Priorité de reconstituer notre réserve de sécuaux diplômés-chômeurs. » Sur l’année rité alimentaire, explique un proche du écoulée, le taux de croissance économinouveau chef de l’État. Il nous faut en que oscille entre 3,5 % et 4 %. Il est donc permanence un stock de 100 000 tonnes annulé par la croissance démographique, de mil et de riz. » Pour sortir du cycle des l’une des plus fortes au monde : 3,9 % en famines, la nouvelle équipe va lancer une 2009, selon la Banque mondiale (avec politique de recherche dans le domaine 7,1 enfants par femme, en moyenne !). des semences adaptées à la sécheresse. L’objectif du nouveau chef de l’État est Elle va injecter des intrants et dévelopde parvenir à un taux de croissance per l’hydraulique (eaux de surface et du économique de 7 %, au-delà, donc, des sous-sol). Sur cinq ans, le programme du 5,2 % prévus par le Fonds monétaire candidat Issoufou prévoyait d’y consacrer international (FMI) pour 2011. Mais cet

objectif n’est pas hors d’atteinte si l’assainissement des finances publiques et le redéploiement des différents secteurs, tels qu’engagés pendant la période de transition, se poursuivent. URGENCES SOCIALES. Parallèlement à la

priorité économique, celle du développement social et humain. Si l’argent rentre de nouveau dans les caisses de l’État, Mahamadou Issoufou entend mettre le paquet sur l’éducation. « Officiellement, plus de la moitié des enfants nigériens sont scolarisés, explique un cadre du PNDS qui a été professeur de lycée. Mais les statistiques de la Banque mondiale sont fausses. En réalité, nos instituteurs sont nuls. Ils ont été recrutés n’importe comment, pourvu que les bailleurs de fonds passent à la caisse. Beaucoup savent à peine lire et écrire. Résultat : la majorité des enfants scolarisés est analphabète ! Il faut tout reprendre de zéro. » Investissement prévu sur cinq ans: 1 200 milliards de F CFA, le même que pour l’agriculture et le secteur hydraulique réunis. Autre domaine prioritaire, celui de la santé. C’est même le problème le plus urgent à régler. Depuis plusieurs semaines, des centaines de médecins, d’infirmières et de sages-femmes sont en grève, demandant notamment à être intégrés dans la fonction publique. « Même si nous ne sommes pas encore aux affaires, nous recevons leurs syndicats, confie un proche de Mahamadou Issoufou. Il n’est pas normal que notre corps médical compte plus de précaires que de titulaires. » Mahamadou Issoufou est socialiste depuis quarante ans. Aux côtés du Sénégalais Ousmane Tanor Dieng et du Guinéen Alpha Condé, il est même un pilierducomitéAfriquedel’Internationale socialiste. La fibre sociale, il l’a depuis toujours. Depuis son premier engagement

COOPÉRATION : RETOUR DE L’AIDE EUROPÉENNE UNETRANSITION BIEN MENÉE, une élection propre et transparente, un président reconnu… L’Union européenne (UE), satisfaite de l’évolution du processus démocratique au Niger, s’apprête à rouvrir massivement les vannes. Depuis la reprise du dialogue, seul un soutien limité à l’organisation des élections était venu s’ajouter à l’aide alimentaire – jamais interrompue –, malgré la proposition, en juillet, par la Commission européenne d’une reprise graduelle de l’aide au développement. Mais Bruxelles annonce que quelque 460 millions d’euros sont N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

disponibles, d’ici à la fin de l’année 2013, sur le Fonds européen de développement (FED). La reprise totale de la coopération est prévue après l’investiture du nouveau président, le 7 avril. Une mission de la Commission se rendra à Niamey prochainement pour en examiner les modalités pratiques. De nombreux projets ont déjà été identifiés dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, des routes, des statistiques publiques, de l’appui à la société civile et au secteur privé, de la justice et de la sécurité. ● CÉCILE MANCIAUX JEUNE AFRIQUE


XINHUA/ZUMA/REA

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MAHAMADOU ISSOUFOU est un pilier du comité Afrique de l’Internationale socialiste.

politique dans le G80 – un groupe clandestin créé au temps de la dictature Kountché, dans les années 1980. Cette fibre, il l’a développée pendant l’année où il a été Premier ministre (1993-1994) et, surtout, pendant sa longue cure d’opposition (1996-2011). D’où son surnom de « gauchiste ». Aujourd’hui, le nouveau président ne veut pas sacrifier le social sur l’autel de l’économie de marché. Autant de défis qu’il ne lui sera possible de relever que si le pays reste en paix. D’expérience, Issoufou sait mieux que personne que les plus beaux projets de développement peuvent être anéantis par une nouvelle rébellion touarègue ou par une montée en puissance d’AlQaïda au Maghreb islamique (AQMI, lire p. 96). Pour le nouveau chef de l’État, un pouvoir démocratique n’est pas plus faible qu’un régime militaire. Il travaillera donc étroitement avec l’état-major de son armée – et avec les pays voisins – pour sécuriser ses frontières. VIEILLE GARDE. Afin de mener cette nou-

velle politique, Mahamadou Issoufou va d’abord s’appuyer sur sa « vieille garde », des hommes de sa génération – quinquagénaires et plus – qui l’accompagnent depuis la conférence nationale de 1991. Parmi eux : Mohamed Bazoum, JEUNE AFRIQUE

51 ans, professeur de philosophie et viceprésident du PNDS ; Foumakoye Gado, 62 ans, professeur de chimie et secrétaire général du parti présidentiel ; et Hassoumi Massaoudou, 54 ans, géologue – les mines, toujours… – et directeur de campagne du candidat Issoufou jusqu’à la victoire du 12 mars. Sans oublier Kalla Ankourao, 63 ans, ingénieur des travaux publics et ex-patron du groupe parlementaire du PNDS.

Alliance électorale oblige, des postes devront être confiés aux proches de Hama Amadou. Outre les « politiques », le nouveau chef de l’État s’entourera de « technocrates », comme le juriste Alkache Alhada et les économistes Gilles Baillet – un métis – et Seydou Sidibé. Au Niger, on est loin de la parité. Aichatou Kané, chargée de la mobilisation pendant la campagne, est la seule femme de poids dans l’appareil du PNDS. NOUVELLE GÉNÉRATION. Cependant,

à la faveur de l’alliance qui a facilité son élection, Mahamadou Issoufou devra aussi confier des postes importants au

Mouvement démocratique nigérien pour une Fédération africaine (ModenLumana), le jeune parti de l’ancien Premier ministre Hama Amadou, son allié du second tour. On s’attend à l’entrée au gouvernement de ses deux principaux lieutenants : Omar Hamidou Tchiana et Soumana Sanda. Que deviendra Hama Amadou lui-même ? Depuis le 12 mars, c’est la grande question. Mahamadou Issoufou a le caractère bien trempé. Sa longue traversée du désert l’a prouvé. Pas sûr qu’il accepte de cohabiter avec un autre poids lourd de la politique nigérienne. Pour les observateurs, Hama Amadou n’ira donc pas à la primature, qu’il a occupée déjà pendant sept ans. Beaucoup le voient plutôt au perchoir de l’Assemblée nationale. À moins d’un rebondissement… Reste la nouvelle génération d’hommes politiques. En 2009, Marou Amadou (lire p. 91) et Ibrahim Yacouba ont lutté courageusement contre le tazartché de Tandja. Pendant la transition, ils ont dirigé le Conseil consultatif national. « Demain, s’ils le souhaitent, ils seront dans notre nouvelle équipe », confie un proche d’Issoufou. Y aller ou pas ? C’est le dilemme. Pour ces figures de la société civile, le choix ne sera pas facile. ● CHRISTOPHE BOISBOUVIER N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011



Démocratie, le grand retour ? la République du Niger. L’autre étant Mahamane Ousmane, chef de l’État entre mars 1993 et janvier 1996. L’armée nigérienne bat un autre record : celui de la longévité de sa primauté sur la gestion des affaires locales. Qu’il ait été civil ou militaire, le pouvoir nigérien a presque toujours nommé des officiers supérieurs aux postes de gouverneurs de région.

FORCES ARMÉES

À ses militaires le pays reconnaissant Depuis cinquante ans, la Grande Muette a presque toujours dirigé le pays et géré les affaires publiques. Aujourd’hui, républicaine avant tout, elle retourne à ses casernes et à la défense du territoire.

AU FIL DES PUTSCHS. « L’étendue du

REBECCA BLACKWELL/AP

territoire, la fragilité de la situation socioéconomique et l’instabilité politique nourrie par les rivalités ethniques et les rébellions récurrentes ont imposé ce choix, affirme un général à la retraite. L’armée nigérienne n’est ni putschiste dans l’âme ni avide de pouvoir. Chacune de ses intrusions dans la vie politique a été provoquée par la faillite de la gouvernance des civils. » À bien y regarder, mis à part celui de Seyni Kountché en 1974 (alors que la mode en Afrique était au « redressement révolutionnaire »), les coups d’État ont été consécutifs à un blocage institutionnel dû à l’entêtement et aux chamailleries Ý MANIFESTATION des politiques. DE SOUTIEN À LA Tirant,sansdoute,les JUNTE devant l’Assemblée leçons de son apprennationale, tissage des arcanes du le 20 février gouvernement, au fil 2010. des putschs, l’armée nigérienne s’est mise à respecter ses engagements de remettre le pouvoir à l’issue d’une période de transition. La plus brève étant celle qui a suivi l’assassinat par des éléments de sa garde présidentielle du général Baré, en avril 1999. L’armée a alors exercé la gestion du pays pour une durée de huit mois, qui s’est achevée le 22 décembre avec l’entrée en fonction de Mamadou Tandja, élu lors du scrutin présidentiel de novembre 1999. Le 7 avril 2011, avec l’investiture du nouveau chef de l’État élu Mahamadou Issoufou, prend fin la période de transition présidée par le général Salou Djibo, chef du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD), la junte au pouvoir. Les lauriers que tisse la communauté internationale à Djibo, saluant le respect de ses engagements et la qualité du travail institutionnel et législatif accompli durant la transition (lire pp. 102-104), valent à l’armée nigérienne le qualificatif de

E

n un peu plus d’un demisiècle d’existence, le Niger indépendant a connu quatre coups d’État et été administré directement par des militaires durant près de trente-trois ans. Aux dix-huit années de pouvoir militaire qui ont suivi le putsch du colonel Seyni Kountché (1974-1992) s’ajoutent les trois ans du général Ibrahim Maïnassara Baré (19961999), les huit mois du commandant JEUNE AFRIQUE

Daouda Mallam Wanké (d’avril à décembre 1999) et les dix ans de règne du colonel Mamadou Tandja, arrivé au pouvoir par la voie des urnes en décembre 1999 et renversé par le putsch du 18 février 2010. Jusqu’aux treize mois et demi de la transition dirigée par le général Salou Djibo (lire p. 100), qui prend fin le 7 avril avec l’investiture de Mahamadou Issoufou, l’un des deux seuls civils élus au suffrage universel à la présidence de

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Le Plus de J.A. Niger « républicaine » plutôt que celui de « putschiste ». Paradoxalement, cette transition fut loin d’être un long fleuve tranquille. UN COUP RISQUÉ. Deux éléments dis-

Djibo a procédé autrement. Face à leur tiédeur devant les dérives autocratiques de Tandja, il a pris ses responsabilités sans avertir ses supérieurs, notamment le général Moumouni Boureïma, alors chef d’état-major des armées et éminence grise du pouvoir, aujourd’hui ambassadeur au Caire. « C’est dire les risques qu’il a encourus, analyse un général nigérien. Mais en réussissant à renverser Tandja, il a mis tous les officiers devant leurs responsabilités. »

fomenter un complot contre le général Salou Djibo, sans le moindre début de preuve. Ancien directeur général de l’intendance militaire, très populaire auprès de la troupe, le colonel Badié est par ailleurs réputé intègre. Un mois plus tard, un autre membre éminent de la junte, le colonel Hassane Mossi, chef d’état-major de l’armée de l’air, est mis aux arrêts pour dénonciation calomnieuse à l’encontre des quatre officiers accusés de complot. Ces derniers ne sont cependant ni blanchis ni réintégrés. Le colonel Badié quitte son lieu de détention, mais reste assigné à résidence. Tous les quatre ont comparu le 7 mars devant un conseil de discipline militaire qui pourrait décider leur radiation de l’armée. Parallèlement à cette procédure disciplinaire, une instruction est toujours en cours pour décider s’ils doivent être renvoyés devant un tribunal et jugés. Un couac qui devrait être la seule ombre au tableau de la transition du soldat Djibo. ● CHERIF OUAZANI

tinguent le coup d’État du 18 février 2010 des précédentes intrusions de l’armée dans la vie politique. Initiative exclusive de Djibo, alors qu’il commandait, en tant que chef d’escadron, la 5e compagnie de commandement d’appui et de services (CCAS, unité d’élite chargée de la protection En renversant Tandja sans avertir de la capitale et de la sécuses supérieurs, Djibo les a mis risation des institutions), c’est le premier coup d’État devant leurs responsabilités. opéré sans le concours de Seconde particularité de la période l’état-major de l’armée. qui s’achève ce 6 avril : les heurts auxSeyni Kountché et Ibrahim Maïnassara quels a été confrontée la junte. À miBaré avaient respectivement pris le pouvoir en étant préalablement chef chemin de la transition, en octobre 2010, quatre membres du CSRD – dont le d’état-major ; quant au commandant colonel Abdoulaye Badié, ex-numéro Daouda Mallam Wanké, il y avait associé la haute hiérarchie militaire. Salou deux du régime – sont arrêtés, accusés de

Pourtant, depuis l’arrivée aux affaires de la junte l’an dernier, l’armée nigérienne ne semble plus faire peur aux djihadistes. Deux semaines après le putsch du 18 février, Aqmi Ý LE GÉNÉRAL DJIBO attaque une garniET L’AMBASSADEUR son à Tilwa, tuant DE FRANCE Alain cinq militaires. Le Holleville (au 16 septembre suicentre), deux jours après vant, un commando la mort, le d’Aqmi enlève à 8 janvier, des Arlit cinq Français, deux Français un Togolais et un enlevés à Malgache travaillant Niamey. pour les groupes Areva et Satom – les deux otages africains et une Française ont été libérés fin février. Pis : le 7 janvier dernier, deux jeunes Français sont kidnappés dans un maquis, au cœur même de Niamey. Ils seront tués le lendemain, dans une intervention visant à les libérer, près de la frontière malienne. Une situation qui agace la junte. Le général Salou Djibo est pressé de voir les militaires réintégrer leurs casernes. « Il est temps que nous retrouvions notre véritable vocation : la défense du territoire et la protection des biens et des personnes », ne cesse-t-il de marteler à ses visiteurs. C’est également le souci du nouveau président du Niger, qui érige la sécurité en priorité nationale. ● CH.O.

BOUREIMA HAMA/AFP

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Un poison nommé Aqmi Les salafistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique n’hésitent plus à opérer en terre nigérienne, y compris dans la capitale. Une menace que le nouveau pouvoir devra combattre.

S

i l’on excepte l’enlèvement de deux diplomates canadiens, en décembre 2008, dans la région touristique du parc W, à 150 km au sud de Niamey, jamais Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) n’avait réussi une attaque d’envergure au Niger… jusqu’à l’an dernier. Avant 2010, le Niger était N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

même considéré par les salafistes d’Aqmi comme le territoire le plus dangereux pour eux au Sahel. Ils n’ont pas oublié qu’en 2004 un de leurs leaders, Abou Hassan, mentor d’Abou Zeid, a perdu la vie en compagnie de sa garde prétorienne lors d’un accrochage avec l’armée nigérienne dans l’Aïr.

JEUNE AFRIQUE





REBECCA BLACKWELL/AP PHOTO

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LE SORTANT

Nigériens, au revoir… Principal artisan du coup d’État contre Tandja, Salou Djibo a fait rimer junte et démocratie. À quelques jours de la remise du pouvoir aux civils, portrait du président de la transition.

N

économique. « Ma fierté ? La sérénité iamey, le 14 mars, 11 h 50. et la paix qui ont accompagné cette Le président Salou Djibo me transition. » reçoit dans son petit bureau Formé à l’École des forces armées de de la Villa verte. Ses yeux sont plus brillants que les quatre étoiles – il est Bouaké, en Côte d’Ivoire, et à l’Académie royale militaire de Meknès, au Maroc, général de corps d’armée – qui scintillent sur ses galons. « La Commission électorale l’officier a fait ses premières armes face nationale indépendante vient de proclaaux rébellions touarègue, dans le nord mer les résultats provisoires du scrutin présidentiel, À 46 ans, l’enfant de Namaro dit-il d’une voix qui trahit rejoint le club très fermé l’émotion. Il ne reste plus que la confirmation du des putschistes vertueux. Conseil constitutionnel et l’investiture du président élu. Nous aurons du Niger, et touboue, dans l’Est, a dirigé ainsi tenu tous nos engagements. » une unité de l’Opération des Nations À 46 ans, l’enfant de Namaro rejoint le unies en Côte d’Ivoire (Onuci), mais club très fermé des putschistes vertueux. c’est à Niamey qu’il entre dans l’HisPour preuve, les messages de félicitations toire. Le 18 février 2010, alors chef d’esqui lui parviennent de Washington et de cadron commandant la 5e compagnie de Bruxelles, d’Addis-Abeba et de New York… commandement d’appui et de services En un an, un mois et dix-neuf jours, il a (CCAS) de la capitale, il dirige l’opéraréussi à sortir son pays d’une impasse tion qui renverse le président Mamadou politique, à imposer un « pacte républiTandja, dont la volonté de s’accrocher cain » associant classe politique et société au pouvoir a mis le Niger au ban de la civile pour bâtir un État démocratique où communauté internationale, et donne les libertés publiques sont garanties et à le coup de grâce à la VIe République. créer les conditions du développement Nommé président du Niger pour une N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

LE CHEF DU CSRD, le 21 février 2010, à Niamey.

« période de transition » par le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD), il met cette dernière à profit pour doter le pays d’une nouvelle Constitution, d’institutions consolidées, de finances publiques assainies et d’un climat politique apaisé. ET DEMAIN ? Au lendemain de l’inves-

titure de Mahamadou Issoufou, président élu, les militaires devront retrouver les casernes. Et lui ? Une chose semble acquise: il quittera l’armée. En tant qu’ancien chef de l’État, il percevra une pension ; un logement, des véhicules et du personnel seront mis à sa disposition. Pour autant, il ne compte pas se retirer définitivement : en privé, il se déclarerait « disponible pour servir [son] pays quand on aura besoin de [lui] ». Plusieurs pistes sont évoquées par ses proches et les observateurs, comme la création d’une ONG ou la poursuite de sa carrière militaire au sein de l’Union africaine. En tout cas, dans l’immédiat, Salou Djibo prévoit de rentrer dans son village natal – situé au bord du fleuve Niger, à environ 50 km au nord-ouest de Niamey –, où il se fait construire une grande villa : « Je prendrai quelques jours de repos à Namaro et je retrouverai avec plaisir ma vieille canne à pêche. » Les capitaines de Namaro n’ont qu’à bien se tenir. Le général arrive. ● CHERIF OUAZANI JEUNE AFRIQUE



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Le Plus de J.A. Niger BILAN DE LA TRANSITION

Le parcours des combattants En février 2010, les autorités issues du coup d’État s’engageaient à rétablir les conditions de la démocratie et à remettre le pays sur les rails du développement. Retour sur un marathon de treize mois.

C

e 14 mars 2011, à Niamey, en annonçant la victoire de Mahamadou Issoufou à la présidentielle, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) met un point final à un peu plus de treize mois de transition militaire. Une année de réformes pour « assainir les finances publiques, réconcilier les Nigériens et restaurer la démocratie », menées tambour battant par le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) et son chef, le général Salou Djibo.

sont quasi invisibles. Comme souvent à la saison sèche, la crise alimentaire sévit. Et cette fois-ci très durement. Plus de 7 millions de Nigériens, près de la moitié de la population, sont en situation d’insécurité alimentaire. SCEPTICISME. Au lendemain du coup

d’État, c’est donc avec beaucoup de scepticisme que les Nigériens accueillent la nomination au poste de Premier ministre de Mahamadou Danda, qui avait notamment été le porte-parole du gouvernement de transition en 1999 après le putsch contre Ibrahim Baré Maïnassara. Issu de l’École Croissance négative, disette… nationale d’administration Quand les militaires arrivent aux (ENA) de Niamey, titulaire affaires, le pays est exsangue. d’un doctorat en sciences politiques, l’homme est réputé sérieux et efficace. Avec une Le pari n’était pas gagné d’avance. Quand les militaires arrivent aux affaires, équipe resserrée de vingt ministres, le 18 février 2010, le pays est exsangue. La parmi lesquels cinq militaires, le chef du gouvernement de la transition s’atcroissance est négative (– 0,9 % en 2009 telle à l’établissement d’un diagnostic selon le ministère de l’Économie et des de la situation économique et sociale Finances). Les budgets ne sont bouclés du pays. que grâce au soutien des bailleurs de La première urgence ? « Assurer les fonds internationaux. Les retombées de l’exploitation d’uranium, dont le Niger est salaires des fonctionnaires », se souvient pourtant le sixième producteur mondial, Mamane Malam Annou, ministre de

LA RELANCE NE PARTIRA PAS DE RIEN DURANT LA DERNIÈRE DÉCENNIE, malgré des difficultés dans la gestion des finances publiques et des ressources naturelles, les résultats économiques du Niger se sont considérablement améliorés. Des progrès ont été réalisés en matière de libéralisation du commerce, de restructuration du secteur financier et, hors filière agricole, les indicateurs (en particulier la bonne tenue du recouvrement des recettes fiscales) confirment la fermeté de la croissance, notamment dans les transports, le BTP, les télécommunications et les industries extractives. Autant de « bons antécédents [qui] rendent crédible l’engagement des autorités à maintenir une situation budgétaire finançable/gérable face à des déficits passagers de financement extérieur », indiquait le Fonds monétaire international mi-2010. Et, avec la reprise des appuis budgétaires des principaux partenaires techniques et financiers, les perspectives macroéconomiques pour 2011 sont en train d’être sérieusement revues à la CÉCILE MANCIAUX hausse. ● N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

l’Économie et des Finances de la transition. D’autant que les Nigériens ont un élément de comparaison: lors de la précédente transition, d’avril à novembre 1999, « nous n’avons été payés qu’une seule fois », témoigne un fonctionnaire. VIIE RÉPUBLIQUE. La Constitution révi-

sée en août 2009 étant suspendue par le CSRD, une nouvelle Loi fondamentale doit être élaborée, qui marquera le début de la VIIe République. Le projet est préparé par le Comité consultatif national (CCN), présidé par Marou Amadou (lire p. 91), un militant des droits de l’homme qui doit au président déchu de fréquents séjours à la prison de haute sécurité de Koutoukalé (à 40 km à l’ouest de Niamey). Adoptée par référendum le 31 octobre 2010 avec plus de 90 % des suffrages et promulguée le 25 novembre, la Constitution de la VIIe République fixe à cinq ans la durée du mandat présidentiel, qui n’est renouvelable qu’une seule fois, et amnistie au passage les auteurs du coup d’État du 18 février. Elle inclut par ailleurs des dispositions inédites afin de donner un cadre strict aux JEUNE AFRIQUE


Démocratie, le grand retour ? dans les zones les plus sinistrées, où l’absence de soins médicaux s’ajoute à la disette. Au même moment, alors qu’ils passent en revue les anciens programmes internationaux signés en faveur du Niger, les services du ministère de l’Économie et des Finances font une surprenante découverte. Enveloppes débloquées après la Conférence internationale de Doha sur le financement du développement en

TAGAZA DJIBO POUR J.A.

La première urgence a été d’établir un diagnostic de la situation économique et sociale.

PASSÉ LE PUTSCH, AU FUR ET À MESURE des travaux accomplis, la confiance est revenue.

activités d’exploration et d’exploitation du sous-sol : les contrats de prospection et d’exploitation doivent désormais être publiés au Journal officiel, et les recettes générées prioritairement affectées aux domaines de la santé, de l’éducation, de l’agriculture et de l’élevage. Le pays est extrêmement dépendant de ces deux derniers secteurs, qui représentent 40 % de son PIB, mobilisent près de 85 % de sa main-d’œuvre (lire pp. 106107), sans jamais parvenir à couvrir les besoins alimentaires de sa population. Pis, le secteur agropastoral est totalement paralysé dès qu’un fort déficit pluviométrique survient – au moins une

année sur trois –, plongeant chaque fois le pays dans des crises alimentaires plus ou moins sévères. Comme ce fut le cas l’an dernier. TRANSPARENCE. Alors que l’administra-

tion Tandja avait tendance à masquer les effets « trop visibles » de la malnutrition chronique de son pays, « au contraire, le gouvernement de la transition ne s’est pas voilé la face, et c’est ça qui a fait la différence », explique Moustapha Kadi, coordinateur du programme de gestion de la crise alimentaire 2010 au Niger. Les autorités font appel à la communauté internationale et réussissent à mobiliser 90 000 tonnes de céréales pour nourrir le peuple nigérien, n’hésitant pas à laisser les ONG internationales prendre le relais

2008 et à la conférence « Qui va nourrir le monde ? », tenue à Bruxelles en 2008, ou encore « bonus des Chinois » (la rétrocession à l’État nigérien d’une partie des coûts d’étude et d’exploration minière) : ce sont plus de 1 539 milliards de F CFA (2,3 milliards d’euros) d’aide dont le pays pourrait bénéficier… si elles avaient été réclamées et que les dossiers n’étaient pas en train de dormir au fond des tiroirs. « Le Niger ne travaillait pas, résume un inspecteur des Finances. Les ministres n’avaient pas les compétences pour dépenser les budgets convenablement. Ils ne savaient pas gérer les marchés publics, ils n’avaient pas d’approche programme. » SATISFACTION. Depuis la dissolution du

Parlement en mai 2009, le très controversé référendum d’août organisé par Tandja pour proroger son mandat, et les tout aussi controversées législatives – boycottées par l’opposition –, les relations du pays avec la communauté internationale s’étaient considérablement tendues jusqu’au putsch du 18 février 2010, unanimement condamné dans un premier temps. Passée la mise en place de la transition militaire, au fur et à mesure des engagements pris et des travaux accomplis par ses acteurs, la confiance revient. Le dialogue reprend avec l’Union européenne – qui propose, en juillet 2010, une ● ● ●

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Le Plus de J.A. Niger reprise graduelle de l’aide au développement –, puis avec le Fonds monétaire international (FMI) en septembre, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD) en novembre. Les programmes de coopération et d’aide au développement reprennent, tandis que le CSRD parvient à mobiliser 22 milliards de F CFA auprès de la communauté ●●●

internationale pour la tenue des consultations électorales. Grâce à cette contribution, le gouvernement de transition s’enorgueillit d’avoir organisé cinq scrutins en ne dépensant que 8 milliards de F CFA de ressources propres, soit 7 milliards de F CFA de moins que Tandja pour le seul référendum d’août 2009 (que les bailleurs de fonds avaient refusé de financer)…

« Toutes les factures ne sont pas encore réglées, tempère un militant des droits de l’homme. Rien ne dit qu’au final les coûts pour l’État nigérien ne seront pas les mêmes et que les contribuables ne devront pas payer la facture… » L’équipe du président Mahamadou Issoufou aura cinq ans pour solder les comptes. ● MALIKA GROGA-BADA

Après Tandja, le grand nettoyage La junte s’est attelée à l’assainissement des finances publiques. Et a procédé à des vagues d’interpellations et de poursuites judiciaires sans précédent.

L

assainissement des finances publiques avait été érigé en priorité nationale par le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD). La junte aura tenu sa promesse. La Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale, mise en place en mai 2010, présidée par Abdoulkarim Mossi et assistée par l’Inspection générale d’État que dirige Martin Gabriel, a déjà pu récupérer 7 milliards de F CFA, soit près de 10,7 millions d’euros. Autrement dit bien plus qu’à la fin de décembre, où elle annonçait avoir

LA MÉTHODE DJIBO NE FAIT PAS DE QUARTIER. En juillet dernier, 200 noms de personnes soupçonnées de malversations sont publiés dans le quotidien gouvernemental Le Sahel. N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

recouvré un peu plus de 5,6 milliards de F CFA. Le rapport d’étape adressé en décembre 2010 par Abdoulkarim Mossi au général Salou Djibo – et rendu public par ce dernier – précisait que le montant total des irrégularités financières commises pendant les dix années de pouvoir de Mamadou Tandja et retracées par la Commission et l’Inspection générale dépassait 64 milliards de F CFA (97,6 millions d’euros), soit presque 10 % du budget du Niger pour 2010. NOTIFICATIONS. Les enquêteurs identi-

fiaient plus de 2000 personnes – ex-ministres, députés, militaires, fonctionnaires, membres de la famille Tandja… – impliquéesdansdesmalversationsaudétriment de l’État. La publication de leurs noms dans les quotidiens locaux a beau faire crier à la chasse aux sorcières, la méthode brutale semble porter ses fruits. « Ces personnes avaient toutes reçu des notifications, explique Abdoulkarim Mossi. Mais, depuis que leur nom est paru dans le journal, plusieurs sont venus payer. » Connaissant les précédents en matière d’opérations d’assainissement – l’argent récupéré étant souvent réintroduit dans les circuits alimentant la prévarication et la corruption –, le général Salou Djibo a instruit le Trésor public de verser la totalité de cette somme à un fonds spécial destiné à financer la construction d’un hôpital de référence à

Niamey. L’assiette foncière a d’ores et déjà été affectée au projet et, magnanime, le général va laisser au nouveau président élu le soin de poser la première pierre. FRAUDE FISCALE. Concernant le contrôle

de la gestion des deniers publics, la junte avait mis en place, le 3 mars 2010, une Cour des comptes présidée par la magistrate Éliane Alagbada. Un an plus tard, son rapport est accablant. Le 15 mars dernier, dans un compte rendu au général Salou Djibo, elle a en effet dénoncé de nombreuses irrégularités dans la gestion des comptes de l’État, des collectivités locales et de plusieurs entreprises publiques, entre 1996 et 2009. Elle a par exemple souligné l’absence de comptabilité publique dans certaines sociétés d’État. Pendant plus de dix ans, ces entreprises n’ont notifié ni recettes ni dépenses, pas plus qu’elles n’ont payé d’impôts, de taxes ou de frais de douane. Sur la même période, la Cour des comptes a également relevé de graves dysfonctionnements dans les projets de développement, ainsi que dans les mécanismes de financement des partis politiques et des associations de la société civile. Les poursuites judiciaires contre l’ancien président Mamadou Tandja, incarcéré depuis le 16 janvier à Kollo (petite localité au sud de Niamey, sur les bords du fleuve Niger), sont toujours au stade de l’instruction. Dernier acte en date : une confrontation avec les dirigeants de sociétés d’État soupçonnés d’avoir financé la campagne de « tazartché » – la tentative de prolongation de son mandat qui avait conduit à la chute du président. Un procès Tandja aura-t-il lieu ? Le successeur du général Salou Djibo devra trancher. ● CHERIF OUAZANI JEUNE AFRIQUE



Le Plus de J.A. Niger

Ý LA SÉCHERESSE sévit une année sur trois. En 2010, plus de 7 millions de Nigériens ont été menacés de famine.

AUBREY WADE/PANOS-REA

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AGRICULTURE

La faim et les moyens

Le secteur agropastoral est l’un des plus lourds chantiers du futur gouvernement. Pour préparer le terrain, un plan d’investissement de 1,7 milliard d’euros sur cinq ans a été finalisé en décembre.

N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

A

le Programme national d’investissement près la crise alimentaire qui agricole prioritaire (PNIA-P), finalisé en a frappé le pays au premier décembre 2010, et le Plan d’action national semestre 2010 et menacé de de sécurité alimentaire (Pansa), qui doit, à famine plus de 7 millions de court terme, être intégré au PNIA. Nigériens, le gouvernement de transition Budgétiséà1130milliardsdeFCFA(plus en avait déjà fait une de ses priorités. « Le de 1,7 milliard d’euros) pour la période Niger doit mettre en place une politique agricole et, surtout, faire partie d’une poli2010-2015, soit environ 188 milliards de tique agricole régionale, explique le ministre de l’Économie et des Le programme mis en place Financessortant,MamaneMalam vise une croissance de 7,4 % Annou. Si nous sommes passés d’undéficitcéréalierenmars2010 du PIB agricole. à un excédent de plus de 1 million de tonnes aujourd’hui, c’est surtout grâce F CFA par an, le PNIA vise à développer à la bonne pluviométrie. » Autrement dit, les activités nécessaires pour atteindre il ne s’agit pas du résultat d’une politique une croissance annuelle du PIB agricole stratégique. de 7,4 %. Ses financements se répartissent entre la restauration, la préservation et la gestion durable des terres et des ressources ANTICIPER. Pour que le secteur agropastoral, qui représente 40 % du PIB et près forestières(57%),lapolitiquedegenreetde de 85 % des emplois du pays, réduise sa luttecontreleVIH/Sida(15,4%),lamaîtrise vulnérabilité à la sécheresse (qui sévit une de l’eau (7,8 %), les réponses concernant année sur trois) et anticipe toute menace l’insécurité alimentaire, l’amélioration de d’insécurité alimentaire, plusieurs chanla santé et de l’état nutritionnel des populatiersont étélancés, qui serviront de base de tionsrurales(6%),ainsiquelesous-secteur travail aux nouvelles autorités. Parmi eux: de l’élevage, les infrastructures destinées à JEUNE AFRIQUE


Démocratie, le grand retour ? la commercialisation, l’appui et le conseil aux producteurs, les interventions par filière et la concertation interprofessionnelle (qui totalisent environ 14 %). UNE BANQUE DÉDIÉE. Pour soutenir le développement des activités agricoles, les autorités de transition ont lancé, mifévrier dernier, la Banque agricole du Niger (Bagri-Niger), une société anonyme dotée d’un capital de 10 milliards de F CFA, dont l’État détient 35 % pour compte propre et un portage de l’ordre de 64 %, le reste étant symboliquement réparti entre cinq actionnaires. Destinée aux producteurs agropastoraux et à tous les opérateurs du secteur, la Bagri-Niger, soumise aux contraintes prudentielles et réglementaires bancaires, doit servir d’intermédiaire financier avec les structures d’accompagnement telles que les centrales d’approvisionnement, l’Officenationaldesaménagementshydroagricoles(ONAHA)oul’Officedesproduits vivriers du Niger (OPVN). ● STÉPHANE BALLONG

GASPILLAGE ET PÂTURAGES NOMBRE D’HISTOIRES CIRCULENT à Niamey sur la gestion administrative hasardeuse de la fin de l’èreTandja. Dont celle-ci: En 2005 et 2006, la Centrale d’approvisionnement en intrants et matériels agricoles (Caima), bras armé de la politique publique de soutien à l’agriculture et l’élevage, avait péniblement écoulé quelque 400 tracteurs chinois dans le pays. Des machines de puissance modeste (35 chevaux), mais adaptées aux tâches et au pouvoir d’achat des paysans: 3 millions de F CFA (un D.R. L’UN DES 173 TRACTEURS INDIENS peu moins de 4600 euros) l’unité. flambant neufs « oubliés » dans En prenant ses fonctions en les entrepôts de la centrale juin 2010, Amadou Sambo, publique de matériel agricole. nouveau directeur général de la Caima, découvrit dans ses locaux un stock de 173 tracteurs neufs de 85 chevaux, achetés en Inde à 24 millions de F CFA l’un par le précédent gouvernement, livrés en 2009 et… inutilisés depuis! La Caima a dû mettre en place un comité de gestion et définir une politique de crédit, location et subventions qui a permis d’écouler les deux FRÉDÉRIC BEX tiers du stock en six mois. ●

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MINES

À chacun sa part du gâteau?

ont été négociés avec des groupes chinois, canadiens, australiens et indiens. Les Canadiens de GoviEx opèrent dans la zone de Madaouela, à proximité du gisement d’Arlit. Indiens et Australiens sont en phase d’études géologiques sur d’autres sites de l’Aïr (voir carte p. 86). Mais la China National Nuclear Corporation (CNNC), qui a décroché le contrat de la mine la plus prometteuse, celle d’Azelik, est la première à concrétiser le souhait des Nigériens de sortir de l’« Areva-dépendance ».

En attendant l’entrée en production du gigantesque gisement uranifère d’Imouraren, prévue en 2013, la diversification des partenaires, engagée sous le régime Tandja, porte ses premiers fruits.

« L’AREVA-DÉPENDANCE ». L’exploitation

de l’uranium au Niger a, de tout temps, été une affaire française. De la prospection à la production, puis à l’exportation, l’activité est largement dominée par des groupes de l’Hexagone. La carte minière N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

du Niger a été élaborée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), basé à Paris, et la production actuelle du pays – légèrement supérieure à 3 000 t par an – tient exclusivement aux activités du groupe français Areva sur les deux sites qu’il exploite : le gisement YELLOW CAKE CHINOIS. Le15mars–lenà ciel ouvert d’Arlit et celui, demain de la proclamation en sous-sol, d’Akokan. Quant par la Commission électoà Imouraren, dont l’entrée rale nationale indépendante des résultats provisoires du en production est prévue en second tour du scrutin pré2013, et qui a nécessité un URANIUM sidentiel, marquant la fin de investissement supérieur la transition et le retour du à 1,2 milliard d’euros de la part du leader mondial du Niger à la vie démocratique –, nucléaire, il va, à lui seul, doule général Salou Djibo reçoit bler la production annuelle Qiu Jangang, le vice-présitonnes produites en 2009 d’uranium du Niger. dent de la CNNC. Deux jours Cependant, l’exclusivité plus tard, le site d’Azelik est française dans l’exploitation inauguré en grande pompe de ce minerai a été mise à mal et produit son premier fût de par la politique de l’ex-présiyellow cake. tonnes exportées qui ont rapporté dent Mamadou Tandja, qui Exploité par la Société des avait érigé en priorité natiomines d’Azelik (Somina), une nale la diversification des entreprise de droit nigérien partenaires miniers. Permis dont le capital est réparti d’exploration et concessions entre la CNNC, l’État du ● ● ● milliards de F CFA SOURCES : MINISTÈRE DES MINES ET DE L'ÉNERGIE, BCEAO

D

epuis près d’un demi-siècle, le Niger vit principalement de ses ressources en uranium, dont les exportations – plus de 3000 tonnes par an – représentent 5 % des recettes fiscales et contribuent pour 5 % au produit intérieur brut (PIB). En 2013, ces revenus devraient doubler avec l’entrée en production de l’immense site d’Imouraren. Avecuneproductionestiméeà5000tpar an, il sera le deuxième plus grand gisement d’uranium à ciel ouvert au monde et le premier en Afrique. Il devrait permettre au pays,passédutroisième(àlafindesannées 1990) au sixième rang (actuellement) des producteurs mondiaux d’uranium, de prendre la seconde place du classement international, derrière le Canada et devant le Kazakhstan, l’Australie et la Namibie.

LE SITE À CIEL OUVERT exploité par la Somaïr, filiale d’Areva, dans la région d’Arlit.

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L’USINE DE TRAITEMENT DU MINERAI de la Somaïr.

La Constitution prévoit que les revenus seront affectés en priorité au développement. d’uranium reviendra au Niger. » Ce qui ne sera pas de trop pour le nouveau président, Mahamadou Issoufou, qui envisage de mobiliser quelque 1200 milliards de F CFA sur cinq ans pour financer les infrastructures rurales et hydrauliques et autant pour financer le développement humain (lire pp. 92-93). GESTION CITOYENNE. L’euphorie de

l’inauguration du site d’Azelik a cependant été quelque peu entamée par les mauvaises nouvelles venant du Japon. Effet collatéral du tsunami du 11 mars, les malheurs de la centrale nucléaire de FukushimaDaiichi n’ont pas été sans conséquences N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

sur les cours de l’uranium. Entre le 7 et le 14 mars, le prix de la livre de yellow cake a dégringolé de 9,8 % (de 66,50 à 60 dollars), mettant fin au cycle haussier provoqué par l’envolée des cours pétroliers. « Cet indéniable manque à gagner devrait être absorbé par une meilleure rationalisation des revenus générés par nos ressources naturelles, assure Ali Idrissa, directeur

Radiographie en sous-sol La cartographie de l’ensemble du territoire va permettre d’identifier de nouveaux potentiels.

A

près une première étude sur Outre les gisements de charbon à la région Nord conduite et proximité des sites d’exploitation uraniremise en 2010, le Programme fères (qui servent à produire l’électricité de renforcement et de diversification nécessaire aux usines d’uranium), une du secteur minier (PRDSM) financé autre réserve importante, située au par l’Union européenne (13 millions nord-est d’Agadez (centre du pays), d’euros) est prolongé de deux ans. pourrait alimenter une centrale élecObjectif : à l’instar de ce trique d’une puissance de qui a été fait au Gabon, 200 MW (plus de deux fois il s’agit de cartographier la puissance installée toutes les régions du actuelle du Niger), dont pays afin de localiser les l’étude de faisabilité est OR réserves et d’identifier en cours. leur potentiel minéral. Enfin, le pays compte Ce travail devrait divers sites aurifères en permettre de doubler exploitation à l’ouest de la superficie des terres Niamey, qui produisent kg produits explorables. Les études environ 2 t d’or par an : en 2009 qui ont rapporté 1 852 kg d’or industriel et menées jusqu’à présent ont ainsi révélé que le 215 kg issus de l’orpaillage en 2009, dont l’exportation sous-sol du pays recèle d’importants gisements a rapporté 22,7 milliards de F CFA (34,6 millions de fer de bonne qualité milliards de F CFA (1 milliard de tonnes de d’euros). ● de revenus à l'exportation CÉCILE MANCIAUX réserves estimées). SOURCES : MINISTÈRE DES MINES ET DE L'ÉNERGIE, BCEAO

Niger (33 %, donc une minorité de blocage en cas de conflit), le fonds d’investissement chinois ZXJOY Invest et Korea Resources Corporation, Azelik est l’un des sites uranifères les plus anciennement connus. Il a été découvert par les Français du BRGM en 1957, puis boudé pour de mystérieuses raisons. Les Chinois y ont cru et y ont arraché une concession contre la modique somme de 123 milliards de F CFA (près de 188 millions d’euros). Comme pour tout investissement de l’empire du Milieu, l’effort financier de CNNC à Azelik n’est pas complètement transparent. « Cela nous importe peu, assure Garba Adamou, expert financier. L’apport au Trésor public en termes de fiscalité minière est considérable. En outre, le tiers des 700 t de production annuelle ●●●

général adjoint de la télévision privée Dounia. Notre admission en qualité de “pays conforme” à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), le 2 mars à Paris, confirme le bien-fondé de nos nouvelles dispositions législatives. » Outre les mesures inscrites dans la Constitution promulguée le 25 novembre, qui dispose que les revenus miniers doivent être prioritairement affectés aux opérations de développement et en partie épargnés au profit des générations futures, le dispositif de contrôle mis en place comprend la création d’un observatoire des ressources naturelles et l’élaboration d’une charte de gouvernance des revenus miniers. « Près de 15 % des revenus des industries extractives, assure Salamatou Gourouza, la ministre des Mines et de l’Énergie du gouvernement de transition, sont d’ores et déjà reversés, au titre du développement local, aux communes sur lesquelles sont implantés les sites de production. » Les citoyens nigériens devraient donc, enfin, voir la couleur de l’uranium. ● CHERIF OUAZANI

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Démocratie, le grand retour ?

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HYDROCARBURES

Compte à rebours enclenché Dans moins de six mois, le pays va rejoindre le cercle des producteurs de pétrole.

PIPELINE. Le dilemme qui reste posé

aujourd’hui aux autorités nigériennes est relatif au choix du mode de transport de la production. « Avec nos partenaires de la CNPC, nous devons trancher entre deux options : soit acheminer la production vers le Tchad et son pipeline qui va de Doba à Kribi, au Cameroun, soit réaliser un nouveau pipeline de 2 000 km vers le port de Cotonou, au Bénin, précise Sory Boubacar. Dans le

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premier cas, le transport de la production coûterait 11 dollars le baril, contre 17 dollars si l’on choisit l’évacuation par le Bénin. C’est aux nouvelles autorités qu’il reviendra d’en décider. » ● CH.O.

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LE CONTRAT AVEC LA SOCIÉTÉ CHINOISE CNPC comprend la construction d’une raffinerie à Zinder, dans le Sud.

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FANNY/REA

comprend par ailleurs la construction d’une raffinerie à Zinder, dans le sud du pays, devant produire 20000 barils/jour. Les travaux sont presque achevés et elle devrait pouvoir entrer en service à la fin de l’année.

C

onseiller aux affaires minières du général Salou Djibo, ancien du groupe pétrolier algérien Sonatrach, Sory Boubacar est un homme heureux. « Avant la fin de l’année en cours, le Niger deviendra un pays producteurdepétrole»,assure-t-il.Eneffet, plusieurschampsdugisementdesenvirons d’Agadem (centre-est du pays), dans la circonscription administrative de Diffa, dont les réserves prouvées sont de près d’un milliard de barils, devraient entrer en productionaucoursdessixprochainsmois et fournir quelque 100000 barils/jour. Le contrat de partage de production signé en 2008 entre la société chinoise China National Petroleum Corporation (CNPC, 60 %) et l’État nigérien (40 %)

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Le Plus de J.A. Niger des pouvoirs publics. « Cela n’est pas gênant et ne constitue pas une entrave à l’activité, précise Yacine Diallo. Même des agents de sécurité armés n’auraient pu empêcher les enlèvements d’Arlit ou de Niamey. » Une dizaine d’agences, d’inégale importance, se disputent le marché de la sécurité auprès des institutions nationales et internationales ainsi que Ý DES EMPLOYÉS À L’ENTRAÎNEMENT. des particuliers. La formation est Les tarifs mensuels déterminante vont de 75 000 à pour se 300 000 F CFA (115 démarquer de à 457 euros) par la concurrence. agent, en fonction de son profil, de son équipement – généralement composé d’une matraque, de gaz lacrymogènes et de menottes – et de… ses mensurations. Le plus onéreux étant de s’offrir les services d’une force de la nature. RONDES ET VIDÉO. La plupart des agen-

ces sont implantées à proximité de leur clientèle, dans les grandes agglomérations et sur les sites économiques d’importance. Niamey concentre l’essentiel

Coût pour le client : entre 75 000 et 300 000 F CFA par mois et par garde.

TAGAZA DJIBO POUR J.A.

112

LE BUSINESS DE LA SÉCURITÉ

Agences tous risques

Depuis l’enlèvement d’expatriés à Arlit et à Niamey, le recours aux sociétés spécialisées dans le gardiennage et la protection augmente. Même si leur personnel n’a pas le droit d’être armé.

«

L

enlèvement des deux Français, le 7 janvier, en plein cœur de Niamey, n’a pas fait flamber nos tarifs. En revanche, il a fait prendre conscience de notre utilité », explique Yacine Diallo, 40 ans. Ce dernier est rentré au Niger en ’

N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

2008, après trente ans d’exil en France, pour créer la Société nigérienne de sécurité (SNS). Le créneau du gardiennage et de la sécurité est en pleine expansion dans le pays, où la détention et l’utilisation d’armes restent pourtant le monopole

du marché. Outre le gardiennage, leurs prestations vont de la fourniture de matériel de surveillance vidéo ou d’équipements de sûreté (barrières automatiques, portiques, détecteurs de métaux) à la garde rapprochée. Ciblant la clientèle la plus exigeante (agences des Nations unies, ambassades, établissements bancaires…), la SNS mise sur la formation de ses 600 agents, ainsi que sur une parfaite collaboration avec les forces publiques (police et gendarmerie). Les équipements de communication et le parc roulant (nécessaire aux rondes et patrouilles sur les sites à protéger) constituent le plus gros des investissements réalisés par les agences de sécurité. Quant à leur nombre grandissant, il ne dérange pas outre mesure. « Nous sommes plus complémentaires que concurrents, assure Yacine Diallo. La qualité et le sérieux de la prestation font la différence. » ● CHERIF OUAZANI JEUNE AFRIQUE




115

TAGAZA DJIBO POUR J.A.

Démocratie, le grand retour ?

MOBILITÉ

Rimbo, la star

GARE ROUTIÈRE de la société RTV, dans le quartier du Plateau, à Niamey.

un trafic en constante progression, d’où notre volonté d’agrandir la flotte et d’acquérir cette année 19 nouveaux cars de luxe pour un montant de 3,5 milliards de F CFA. » La moitié de ces acquisitions ibéralisé depuis le plan se fera sur fonds propres, le reste étant 525 agents (chauffeurs, mécafinancé par les banques de la place. d’ajustement structuniciens, receveurs), pour une rel du Fonds monémasse salariale de 520 mil« Nous avons pu grandir grâce aux allègements fiscaux prévus par le code de taire international lions de F CFA (près de autocars de plus (FMI) en 1997, le secteur des l’investissement, précise Boudjoumou, par an de 2007 à 2009. 793 000 euros). À partir de Le parc actuel dépasse Niamey, la compagnie destransports est aujourd’hui mais avec plus de 750 millions de F CFA 5 000 véhicules. entièrement privatisé. Les sert les plus grandes villes du versés au Trésor public au titre de la 15,7 millions de Nigériens ne pays (Maradi, Zinder, Dosso, fiscalité, nous demeurons l’un des plus sont pas de grands voyageurs mais, Konni, Agadez, Tahoua et Diffa, gros contribuables de notre secteur. » dans un pays enclavé dont la superficie par ordre décroissant du nombre de La société dispose d’une plateforme est équivalente à plus de deux fois celle voyageurs) et les capitales de la sousde maintenance d’une superficie de de la France, le transport de passagers région (Cotonou, Ouagadougou, Lomé, 4500 m2 dotée de moyens modernes pour par la route s’est révélé l’un des secteurs Bamako et Dakar). l’entretien des bus, et elle a également les plus rentables pour l’investissement sa propre gare routière, au Plateau, qui privé. Une dizaine de sociétés s’y sont EN PROGRESSION. « Les dessertes s’anime aux alentours de 20 heudéveloppées. res, lorsqu’arrivent les bus desintérieures ont enregistré quelSymbole de cette réussite : Rimbo que 3 millions de voyageurs en servant Niamey, ainsi qu’à Transport Voyageurs (RTV). Créé en 2010, précise Abderahmane l’aurore, au moment des Boudjoumou, directeur 2003 par Rissa Ali Mohamed, un jeune départs vers les villes de général de RTV, et près de de voitures particulières l’intérieur et les capitales entrepreneur de 42 ans, RTV dispose par an, pour d’une flotte de 63 bus (dont la moyenne 400 000 pour les destinasous-régionales. ● un total de 93 100 d’âge est de trois ans) et d’un effectif de tions internationales. C’est CHERIF OUAZANI en 2009.

Le transport de passagers par la route est l’un des secteurs les plus rentables pour l’investissement privé. Une dizaine de compagnies se partagent le marché.

L

500

+ 10 %

JEUNE AFRIQUE

N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011


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Æ LA MÉTROPOLE S’EST DÉVELOPPÉE DE FAÇON

DÉSÉQUILIBRÉE. La rive gauche abrite quatre de ses cinq communes.

ASCANI MAURICE

ITINÉRAIRE URBAIN

Et au milieu coule une rivière

plus tard par un programme gouvernemental de rénovation du centre-ville de Niamey – qui a erré dans les limbes de la bureaucratie sans connaître la moindre esquisse de mise en œuvre.

Niamey grandit trop vite. La capitale manque de logements, d’infrastructures, d’un plan de développement… À cheval sur le fleuve Niger, elle réserve cependant quelques douceurs. Reportage.

E

n vingt ans, la population de la capitale nigérienne a explosé, passant de quelque 455000 habitants en 1991 à plus de 1,3 million aujourd’hui, le tout sans le moindre programme de construction de logements, d’extension du réseau de voirie ou de développement des capacités de traitement des déchets. Résultats: une capitale engorgée et sale, et une sensible augmentationdunombred’occupantspar logement. L’accroissement de la population de Niamey – supérieur à 6 % par an sur les cinq dernières années, soit près du double de la croissance démographique nationale, qui s’élève en 2010 à 3,3 % – n’est pas la conséquence d’une fécondité particulière des femmes de la capitale, mais plutôt celle d’un exode rural provoqué par une succession de crises alimentaires sévères. L’absence de plan concerté visant à remédier au manque de logements s’est N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

BIDONVILLES. Pis, en l’absence de politique de l’habitat, la seule source de nouveaux logements est l’« autoconstruction ». Or si certaines opérations immobilières sont menées officiellement, à titre individuel ou dans le cadre de coopératives, la longtemps accompagnée d’une gestion catastrophique de l’espace urbain et d’une majorité des nouveaux bâtiments relève désastreuse politique de lotissement du secteur informel – autrement dit les opérée par l’État et les collectivités bidonvilles – et s’affranchit donc de locales (Niamey est subdivisé toute norme de confort et d’hyen cinq communes). Ainsi, giène. Pour Adamou Garba, les réserves foncières du architecte installé à la péridomaine public ont été phérie de la capitale, « plus sur 221 villes classées de la moitié des habitants de loties, hors de toute règle par le cabinet Mercer selon urbanistique, sous forme de Niamey vivent dans des logeleur qualité de vie. parcelles destinées à comments qui ne répondent pas Addis-Abeba est 202e, Kinshasa 211e. penser les arriérés de salaiaux normes standard caractéres des fonctionnaires. D’où un risant l’habitat dans les grandes développement anarchique des agglomérations ». quartiers d’habitation et une saturation Et ce n’est pas, loin s’en faut, le seul domaine dans lequel les infrastructures de du centre-ville. Mais aujourd’hui, plus la capitale sont prises en défaut. À Niamey, qu’à un déficit législatif, ces maux sont la comparaison entre le nombre de routes dus aux défauts dans la mise en œuvre bitumées et de pistes en latérite tourne de l’arsenal de textes existants. En effet, largement à l’avantage de ces dernières. en 2004, le gouvernement de Mamadou « Même pour accéder à la résidence du Tandja a adopté une Stratégie nationale nouveauprésident,MahamadouIssoufou, de développement urbain (SNDU), à proximité de la cité Onarem, on est document sectoriel renforcé deux ans

206e

JEUNE AFRIQUE


117

obligé de traverser une longue piste non bitumée, déplore Sanda, chauffeur dans une entreprise publique. Ces voies sont un calvaire pour les automobilistes et pour leurs véhicules. » tructures se traduit également dans le domaine culturel: pas la moindre salle de cinéma ni de théâtre, aucune galerie d’art. Pour les concerts et autres animations artistiques, Niamey ne dispose que de deux espaces dignes de ce nom : le Palais des congrès et le Centre culturel franconigérien (CCFN). En matière d’infrastructures sportives, le sous-équipement est encore plus criant. Les stades de football se comptent sur les doigts d’une main et on ne recense qu’une seule salle couverte destinée aux sports collectifs. Les tatamis sont rares pour les nombreux amateurs de judo et de karaté. Quant aux adeptes de la natation, ils n’ont le choix qu’entre les piscines des grands hôtels de la place et… le fleuve. Mais contrairement à ce que l’indigence des équipements publics

ASCANI MAURICE

SOUS-ÉQUIPEMENT. Le déficit d’infras-

LES ROUTES GOUDRONNÉES SONT RARES. La plupart des voies de circulation sont des pistes en latérite.

pourrait laisser penser, vivre à Niamey a aussi ses charmes. VILLE VERTE. Écrin de verdure dans un

océan de sable et de rocaille, la capitale chevauche le fleuve Niger, s’étendant plus largement sur la rive gauche (qui abrite quatre des cinq communes de Niamey). Et

autant que par leur pauvreté, ses habitants se distinguent par leur gentillesse et leur générosité. Paradoxalement, l’instabilité politique du Niger n’a jamais valu à sa capitale une mauvaise réputation en matière de sécurité pour l’étranger de passage. Le rapt, le 7 janvier, de deux Français au maquis Le Toulousain, avec la fin ● ● ●


Le Plus de J.A. Niger

XINHUA/ZUMA/REA

118

LE PONT DE L’AMITIÉ -SINONIGÉRIENNE, un ouvrage de 25 milliards de F CFA, a été inauguré le 19 mars.

tragique que l’on sait, avait certes provoqué un début de panique et une nette baisse de la fréquentation des espaces publics. Mais très vite les noctambules ont repris leurs habitudes, et les nightclubs se sont à nouveau remplis de fêtards invétérés.

●●●

on parlerait de tea time ; sur les rives du fleuve Niger, on appelle ce cérémonial « brochettes au Grand Hôtel ». La terrasse de cet établissement (quatre étoiles) au luxe austère est l’endroit le plus prisé par les habitants nantis de Niamey et les expatriés–maispasàn’importequelleheurede la journée. À partir de 17 heures, plus une place de libre pour un spectacle chaque jour plus séduisant : le coucher du soleil sur la berge du fleuve, que l’on contemple en mangeant de succulentes brochettes de filet de bœuf. Les couleurs d’un astre déclinant, les odeurs de grillades qu’exacerbent les effluves d’épices exotiques et la levée d’une brise fraîche qui chasse les fortes chaleurs de la journée : autant d’ingrédients pour que la magie opère. Une fois le soleil définitivement couché, le must pour les noctambules est de se N°2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

ASCANI MAURICE

RITUEL VESPÉRAL. Au bord de la Tamise,

LE TRANSPORT FLUVIAL constitue un atout charme et un avantage économique.

retrouver à La Cloche. Mi-pub mi-restaurant, l’endroit joue le rôle d’étape en attendant l’ouverture – tardive – des boîtes de nuit. Cuisine tex-mex et mezze libanais sur fond de musique rock à pleins tubes. Mais le Niamey by night n’occupe qu’une

infime partie de la capitale, un espace concentré dans le centre-ville et le long du fleuve, où se trouve La Flottille, seul établissement qui propose de la musique live. Les autres quartiers s’enveloppent d’obscurité et de silence. Les masses laborieuses s’y reposent, reconstituant leur force de travail. ● CHERIF OUAZANI JEUNE AFRIQUE



120

Économie

INTERVIEW

Dominique Lafont,

DG Afrique du groupe Bolloré

DISTRIBUTION

L’Afrique,

grande

À l’étroit dans leurs frontières et dopés par l’essor des classes moyennes, les géants sud-africains poussent leurs pions sur le continent. Une offensive qui comporte son lot de bonnes surprises et d’échecs.

ALEX DUVAL SMITH,

P

au Cap

aradoxe ? D’un côté, le numéro un mondial de la grande distribution, l’américain Walmart, est en passe d’acquérir 51 % du capital de la quatrième chaîne d’Afrique du Sud, Massmart, pour 1,8 milliard d’euros. Le tribunal de la concurrence de Pretoria doit décider de la validité ou non de l’opération le 9 mai. De l’autre, la distribution sud-africaine, qui pointe au 20e rang mondial avec un chiffre d’affaires cumulé, selon les analystes de Research and Markets, de 57,7 milliards d’euros en 2009, se sent à l’étroit dans ses frontières et tend à s’arroger le monopole sur le continent. « La distribution africaine se résume à la distribution sud-africaine », confirme, un brin hautain, Whitey Basson, président de Shoprite, la plus panafricaine de toutes les enseignes de la nation Arc-enCiel. Parti avec huit épiceries dans les années 1970, il possède aujourd’hui plus de 900 magasins, dont 150 répartisdansseizepaysducontinenthorsAfriquedu Sud. Pour le consommateur africain, Shoprite, c’est le supermarché démocratisé, plus abordable que les épiciers libanais ou indiens et, surtout, proposant une gamme plus vaste de produits variés. Le modèle sud-africain a fait ses preuves. Avec Canal Walk, Le Cap possède le plus grand centre commercial de l’hémisphère Sud. Si le concept du mall couvert est né par souci climatique aux nord des États-Unis dans les années 1960, il s’est épanoui en Afrique du Sud dans les années 1990 face aux craintes sécuritaires de la classe moyenne. Cinémas, salles de sport, restaurants, banques, supermarchés et boutiques se côtoient dans des centaines de malls animés par les multiples enseignes de distribution : Woolworths (habillement, alimentaire), Mr Price (habillement, déco), Pick’n Pay(alimentaire),ExclusiveBooks(librairie),Musica (CD et DVD)… Le secteur est en plein essor avec N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Ð MAGASIN GAME LUSAKA. L’Afrique australe constitue une première étape dans la stratégie d’expansion des sociétés sud-africaines. À

l’installation de supérettes Pick’n Pay Express dans les stations services BP et un embryon de commerce en ligne. Signe de ce dynamisme, plusieurs acteurs – Shoprite, mais aussi Woolworths, Pick’n Pay, Pep Store et Massmart – poursuivent depuis une dizaine d’années leur développement sur le reste du continent. Une arrivée qui a souvent causé une surchauffe de l’immobilier dans les capitales des pays, mais qui fait le bonheur des classes moyennes. Et à la plus grande satisfaction des distributeurs sud-africains, ils n’ont quasiment jamais trouvé de concurrence sérieuse sur ce marché qui progresse JEUNE AFRIQUE


MAROC

Veolia sur la sellette

MINES

Vale dans le viseur de Brasília

DÉCIDEURS

Imad Bouziane

Manager Afrique de l’OCP

BOURSE

Malgré la baisse, les affaires continuent

surface arc-en-ciel Cinq enseignes qui s’exportent S

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PRITE

900

magasins au total, dont 150 dans 16 autres pays africains

M

A

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230

JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FEDEPHOTO

magasins, dont 58 dans 13 autres pays africains

JEUNE AFRIQUE

1600

W O RT H OL

419

W

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magasins, dont 1 205 dans 10 autres pays africains

magasins, dont 42 dans 9 autres pays africains

P

MÉSAVENTURES. « L’Afrique, ce n’est pas pour les faibles!grondeWhiteyBasson,lepatrondeShoprite. Oui, la demande est là, mais personne, que ce soient les gouvernements ou les fournisseurs locaux, ne nous facilite la tâche. En Europe, un camion traverse le continent sans s’arrêter. En Afrique, il peut être bloqué pendant quatre ou cinq jours ! » « C’est incroyablement dur de travailler en Afrique, autant

pour des raisons logistiques qu’administratives », confirme Chris Gilmour, analyste de la banque Absa Investments spécialisé dans la distribution. Si l’on évoque avec admiration l’imposant magasin-dépôt Game à Maputo, avec son embouteillage permanent de voitures à l’entrée, il est moins fréquent d’entendre parler des mésaventures. Pour couper court à une demande de dessous-de-table lors d’une transaction immobilière au Kenya, le holding Pepkor a ainsi fermé 20 magasins d’habillement du jour au lendemain il y a dix ans. Si bien qu’aujourd’hui le Kenya ne compte qu’un ●●● seul Pep Store, à Eldoret.

P KO R

S

de 4 % à 5 % par an. Ce qui n’empêche pas que leur développement demeure principalement localisé dans les pays d’Afrique anglophone et lusophone, et que leur essor soit malgré tout émaillé d’échecs.

PE

IC

K ’ N PAY

674

magasins, dont 36 dans 4 autres pays africains N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

121


Entreprises marchés Côté africain, l’accueil peut être froid. « Le ●●● secteur est parfois accusé d’exporter l’apartheid dans des pays non habitués aux manières des SudAfricains, qui peuvent être perçues comme agressives. On observe aussi une réaction protectionniste, inspirée par la crainte d’une nouvelle forme de colonisation par la distribution », note Edward Dakora, chercheur en business à la Cape Peninsula University of Technology et auteur d’un rapport sur « l’africanisation de la distribution sud-africaine ». LE GRAND SAUT. Selon Chris Gilmour, le relatif bon

fonctionnement de l’Union douanière de l’Afrique australe a d’abord facilité l’implantation des sociétés sud-africaines chez leurs proches voisins (Namibie, Swaziland et Lesotho) à la fin de l’apartheid. « Le grand saut, là où l’on peut vraiment parler d’aventures à l’étranger, a été franchi plus tard, à partir de 2000, avec les implantations au Rwanda, au Kenya, en Ouganda et au Nigeria », insiste-t-il. Le groupe de milieu de gamme Woolworths – fondé il y a quatre-vingts ans et apprécié aujourd’hui surtout pour ses beaux rayons d’épicerie – est implanté dans neuf autres pays du continent. « Certes, l’Afrique est intéressante, explique son président Ian Moir. Mais les défis sont énormes et, en conséquence, l’expansion africaine ne peut pas être notre priorité. Au bout de plusieurs années d’expérience, nous commençons juste à élaborer un modèle de business qui ressemble à une stratégie. » Pour Ian Moir, les premiers pas de Woolworths à travers le système de franchise ont été une erreur. « Il faudra de plus en plus procéder à des partenariats sous forme de joint-ventures. Actuellement, nous payons des taxes sur des produits déjà taxés. Il va falloirs’approvisionnerlocalementoudepuisd’autres marchés, au lieu de ne dépendre que de l’Afrique du Sud. Néanmoins, nous continuons notre expansion et nous avons deux ou trois autres marchés en ligne de mire, qui pourraient être le Nigeria, Maurice et l’Angola. Le but est d’être déjà présent dans ces marchés au moment où ils exploseront. » Du côté de Pepkor, un holding qui comprend 1600 magasins d’habillement, dont 1205 dans dix autres pays du continent (en plus de l’Australie et de

la Pologne), le directeur commercial Louis Brand se réjouit que la greffe du modèle sud-africain ait pris. « Notre approche est identique dans toute l’Afrique australe, jusqu’à l’Angola. À la différence de Shoprite, de Woolworths ou de Pick’n Pay, nos magasins sont petits et généralement accessibles en transport public. Nous n’avons pas besoin de grands parkings. En Afrique du Sud et partout ailleurs, notre clientèle a des revenus modestes. En Angola, par exemple,nousnenoussommespasencoreattaqués à Luanda, à cause des prix élevés de l’immobilier et de la difficulté de s’approvisionner depuis le port congestionné de la capitale. Nous avons commencé par Lobito, dans le sud du pays, en acheminant par la route depuis la Namibie, et nous allons bientôt tester le port de Lobito. »

Les distributeurs sud-africains loin devant leurs poursuivants (chiffre d’affaires en milliards de dollars, 2009) Afrique du Sud Bidvest Shoprite Pick’n Pay Massmart Spar Edgars Woolwoths Masscach JD Group New Clicks Maroc Marjane

52,4 15,2 8 7,4 5,8 4,3 3,3 3 2 1,7 1,7

LIMITES. Actif dans quatre pays d’Afrique australe

1 1

Tunisie 0,5 Magasin général 0,3 SNMVT-Monoprix 0,2 Côte d’Ivoire 0,3 Prosuma 0,2 Compagnie de distribution de Côte d’Ivoire (CDCI) 0,1

SOURCE : JEUNE AFRIQUE

122

(et avec des projets d’expansion au Mozambique et à Maurice), Pick’n Pay, le moins ambitieux peut-être, planche de son côté sur les partenariats et la franchise. « En Afrique du Sud, nous sommes réputés pour notre attention aux conditions de travail de nos employés et pour nos bons salaires, déclare la porte-parole Tamra Veley. Nous procédons de la même façon en Afrique. En juillet 2010, nous avons ouvert le premier des sept supermarchés prévus à Lusaka. Notre entrée en Zambie se fait à travers un accord de coopération avec l’Agence zambienne de développement. Nous nous sommes engagés à avoir recours à des fournisseurs locaux autant que possible. Et nous soutenons également un programme de formation chez un pépiniériste local, Rose Blooms, avec l’idée d’en faire notre fournisseur de fleurs. » Reste que, pour Chris Gilmour, l’essor de la distribution sud-africaine sur le continent s’effectuera dans les limites du pouvoir d’achat des consommateurs, et ce quelle que soit la stratégie des enseignes. « Il faut rester réaliste, conclut-il. Aujourd’hui, seuls lessecteursdel’alimentationetdelaconfectionàbas prix sont rentables dans le reste de l’Afrique. Dès que l’on monte en gamme, des sociétés sud-africaines comme Truworths ou Foschini ne sont pas du tout intéressées par une expansion africaine. » ●

UN MARCHÉ FRANCOPHONE PRESQUE VIERGE DE DAKAR À BRAZZAVILLE, les enseignes de la grande distribution sont bien souvent locales. Mercure International of Monaco (du LibanoSénégalais Adnan Houdrouge) est le leader de la zone (City Sport et franchise Casino) et le seul groupe de stature internationale, avec des grandes surfaces au Sénégal, au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Congo et au Cameroun. La chaîne de supérettes Pridoux (groupe CCBM, de Serigne N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Mboup) et les stations-services sont ses principaux concurrents à Dakar. En Côte d’Ivoire, Prosuma se partage le marché avec la CDCI (King Cash) deYasser Ezzedine. Au Mali, les magasins Azar (du Libano-Malien Bassam Azar) sont incontournables. Que manque-t-il à l’Afrique de l’Ouest et à l’Afrique centrale pour attirer les enseignes internationales? Selon Antoine de Riedmatten, du cabinet Deloitte, « l’existence

réelle d’une classe moyenne » est le principal indicateur: « Il faut avoir les volumes suffisants pour pouvoir organiser la logistique. » Pour lui, le recours à la franchise est un test pour les enseignes, qui peuvent ensuite racheter le réseau existant. « Il est peu probable qu’il émerge des champions locaux, l’Afrique du Sud a pris une longueur d’avance et pourrait recourir à des acquisitions. » ● MICHAEL PAURON JEUNE AFRIQUE


Entreprises marchés

VINCENT FOURNIER/J.A.

Ý HYPERMARCHÉ GÉANT, À TUNIS. L’Afrique du Nord attire les leaders mondiaux du secteur, notamment Casino et Carrefour.

Incontournables supermarchés maghrébins Multinationales et groupes locaux sont devenus en dix ans des rouages essentiels du commerce. Une nouvelle donne avec laquelle les industriels ont pris l’habitude de composer.

E

n une décennie, la grande distribution s’est imposée comme un nouveau mode de consommation au Maghreb. En 2010, elle représentait environ 12 % du commerce de détail au Maroc (1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires) et plus de 35 % en Tunisie (610 millions d’euros). Seule l’Algérie est à la traîne, le pays ne comptant qu’un hypermarché (groupe Cevital) pour 35 millions d’habitants. Aux côtés d’enseignes locales comme Magasin général en Tunisie, Marjane, Acima ou Label’Vie au Maroc, les leaders mondiaux du secteur, Carrefour et Casino en tête, sont eux aussi attirés par les marchés nord-africains, même s’ils ont connu des échecs. Ainsi, Auchan a mis un terme en 2007 à son accord avec l’Omnium nord-africain (intégré depuis à la Société nationale d’investissement) au Maroc, tandis qu’en

JEUNE AFRIQUE

2009 Carrefour se retirait d’Algérie. À l’inverse, la même année, le hard-discounter turc BIM s’est implanté dans le royaume chérifien : son réseau de 45 magasins devrait quasiment doubler d’ici à la fin de 2011. En Tunisie, l’année devrait surtout servir de transition après la révolution (destruction de points de vente, incertitude politique). Seule nouveauté : les premiers pas de l’enseigne Mercure Market, positionnée sur le segment des supermarchés. VITRINE. Bien accueillie par les consommateurs, la montée en puissance de la grande distribution l’est aussi par les industriels. Si ceux-ci ne peuvent pas ignorer le commerce traditionnel, car c’est encore leur débouché principal, « les hypers et supermarchés offrent une vraie vitrine pour leurs produits », juge

Abdel Wahab Chaoui, du cabinet marocain C&O Marketing. Mais répondre au cahier des charges des grands magasins ne s’improvise pas. Par leurs exigences, les différentes enseignes ont entraîné une amélioration de la qualité des produits et de leur présentation. « Les emballages doivent être non seulement informatifs mais surtout attrayants pour favoriser l’acte d’achat », explique Abdel Wahab Chaoui, citant entre autres le travail réalisé par la société Wassa, spécialisée dans les olives et les condiments. Certains producteurs peuvent aussi devenir fabricants de marques de distributeur (MDD). Ainsi, « la majorité des marchandises alimentaires MDD proposées par Carrefour en Tunisie sont produites localement », explique Kais Ben Amar, du cabinet El-Amouri, à Tunis. Même politique au Maroc, où Marjane propose depuis plusieurs années pas moins de 200 références sous l’appellation « produit économique ». Mais au-delà de l’apparente sérénité de leurs rapports avec les distributeurs, les PME maghrébi-

Certains producteurs peuvent désormais devenir fabricants de marques de distributeurs. nes s’inquiètent cependant déjà du pouvoir des grandes enseignes, et notamment de leur force de négociation, qui leur permet in fine de proposer des tarifs en moyenne inférieurs de plus de 10 % à ceux des épiceries de quartier. Sans parler des délais de paiement imposés (en général 120 jours) aux partenaires, ni des marges arrières, sommes versées sans réelle contrepartie quand elles sont censées être utilisées pour valoriser la marchandise du fournisseur. ● JULIEN CLÉMENÇOT N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Entreprises marchés INTERVIEW

Dominique Lafont

D IRECTEUR

GÉNÉRAL

A FRIQUE

DU GROUPE

B OLLORÉ

« Les accusations contre Bolloré relèvent de la pure calomnie » Le 8 mars, la Guinée résiliait la concession de Getma sur le terminal à conteneurs du port de Conakry. Depuis, la tension est à son comble entre les deux groupes français, qui se livrent un combat sans merci.

R

endrecouppourcoup.Labataille franco-française entre les groupes Getma (NCT Necotrans) et Bolloré pour la maîtrise du terminal à conteneurs du Port autonome de Conakry ne souffre aucune… concession. Du moins pour l’instant. Les deux camps – qui coopèrent par ailleurs à travers une société commune, SMTC, dans des ports au Cameroun, au Gabon et au Bénin – évoluent dans un climat délétère, et le conflit est parti pour trouver un épilogue devant la justice. À moins que, au final, un accord soit préféré pour éviter un déballage devant les tribunaux des dessous des négociations des contrats de concession, qui écornerait leur image ainsi que celle des autorités guinéennes. Pour l’instant, l’heure est à la démonstration de force. Le 8 mars, le décret présidentiel résiliant la concession accordée en septembre 2008 à Getma, à la suite d’un appel d’offres international, a été lu à la télévision guinéenne au journal du soir. Une réquisition de soixante jours des installations portuaires a suivi. Une demiheure plus tard, des policiers et des militaires occupaient les locaux de Getma et, dès le lendemain matin, six salariés du groupe Bolloré, dont le directeur juridique, le futur directeur d’exploitation, un informaticien et un mécanicien, investissaient les lieux. Le 10 mars, Bolloré Africa Logistics signait une nouvelle convention de concession du port pour vingt-cinq ans, ainsi qu’un contrat d’assistance destiné à aider les autorités du port de Conakry à reprendre en main les équipements jusqu’à l’arrivée opérationnelle de Bolloré en avril. S’estimant « spolié », NCT Necotrans a déposé plainte le 16 mars auprès du parquet de Paris pour « des faits pouvant relever d’infractions pénales ». Le groupe accuse les équipes de Bolloré N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

de « soustraction frauduleuse de biens appartenant à autrui », en clair du vol des équipements portuaires, des ordinateurs et des logiciels de Getma à Conakry. Surtout, le groupe a demandé l’ouverture d’une enquête judiciaire avec commission rogatoire internationale pour déterminer si les relations étroites entre Alpha Condé et Vincent Bolloré ont joué. En même temps, NCT Necotrans a saisi l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada, à Abidjan), pour une procédure d’arbitrage qui prendra… des années. En attendant, Dominique Lafont, directeur général Afrique du groupe Bolloré, livre sa version des faits… et contre-attaque. Interview.

Quand la convention entrera-t-elle en vigueur et quel est votre projet ?

Il faut que nous libérions une caution bancairede4millionsd’euros,quiestprête. Nous devons aussi apporter du matériel de manutentionsurplace.Cen’estqu’alorsque nous pourrons vraiment commencer, sans doute courant avril. Au total, nous investirons 500 millions d’euros sur vingt-cinq ans, dont 150 millions les trois premières années. On veut faire passer la longueur du quai du terminal à conteneurs de 300 à 900 m, et la profondeur de 10 à 13,5 m. Le port sera connecté au chemin de fer pour dégager les conteneurs vers un port sec et éviter à Conakry la noria de centaines de camions par jour. Nous espérons ainsi désenclaver le Mali et le Burkina Faso. Getma parle de spoliation et laisse supposer un « pacte de corruption » entre Alpha Condé et Vincent Bolloré…

Quand vous déposez une plainte pour corruption, en l’occurrence contre X mais

Il vaut mieux être l’ami d’Alpha Condé que celui de Dadis Camara… JEUNE AFRIQUE : Le 10 mars, vous avez signé personnellement le contrat de concession du terminal à conteneurs du Port autonome de Conakry. Avez-vous enfin évincé Getma et repris le port ? DOMINIQUE LAFONT : Nous n’avons

pas évincé Getma, c’est une décision légitime et légale du président Alpha Condé. Depuis l’avènement de l’alternance politique en Guinée, l’administration a procédé à la relecture de contrats d’infrastructures et miniers conclus pendant les dernières années de la longue dictature finissante. Pour le port, l’État a résilié pour défaillance la convention de concession qui liait l’autorité portuaire à Getma depuis 2008, et s’est retourné vers les autres participants à l’appel d’offres. Nous étions numéro deux, et avons bien entendu maintenu notre offre.

en visant clairement le groupe Bolloré, vous avez intérêt à avoir un dossier consistant. Je peux vous affirmer que le dossier est complètement vide. Tout cela est faux et relève de la pure calomnie. De votre côté, vous pilonnez la concession accordée à Getma en 2008.

Nous ne faisons que nous poser des questions sur les conditions d’attribution de cette concession en nous appuyant sur des faits. Pourquoi Getma a-t-il obtenu une exonération fiscale totale pendant toute la concession des droits, alors que Bolloré paiera au terme de la convention que l’on vient de signer 400 millions d’euros d’impôts pendant vingt-cinq ans ? Dans nos treize concessions en Afrique, il n’y a jamais eu une telle clause léonine. JEUNE AFRIQUE


Entreprises marchés Je vous rappelle que Getma ne dispose, en tout et pour tout en Afrique, que de participations financières minoritaires dans ces trois ports, participations obtenues grâce au groupe Bolloré. Pour l’instant, il n’est pas question de trouver un accord avec quelqu’un qui vous insulte et vous calomnie. On verra bien comment les choses évolueront. Qu’ils commencent par retirer leur plainte et on verra bien après.

VINCENT FOURNIER/J.A.

En attendant une solution à ce conflit, le groupe a présenté de bons résultats 2010. Sur quoi reposent-ils ?

LE 29 MARS,

AU SIÈGE DE BOLLORÉ, Condé, le changement Comment expliquer que à Puteaux (région est abyssal et j’espère la direction du Port autoparisienne). que cela entraînera des nome de Conakry ait été changements forts dans délibérément écartée du processus d’appel d’offres en 2008, ce qui le développement de la Guinée. est contraire à toutes les règles du métier? On parle de faveur. Vincent Bolloré a-t-il Comment expliquer que Getma, dans son dossier technique, ait obtenu une financé la campagne d’Alpha Condé avec l’appui d’Euro RSCG ? note supérieure à la nôtre en matière de construction et de gestion portuaire, alors Il n’y a eu aucune faveur. Le président qu’il ne gère aucun port et que nous en Condé l’a d’ailleurs dit et répété dans les gérons treize ? médias français. Euro RSCG fait la campagne de beaucoup de personnalités, depuis des décennies, et ce n’est pas parce que Pourquoi n’avoir rien dit en 2008 ? Dois-je vous rappeler le contexte sulfule groupe Bolloré est entré au capital de reux qui existait à l’époque ? Le président Havasqu’EuroRSCGdoits’abstenirdetoute Conté,mourant,quisuspendlaconvention activité en Afrique. D’autant plus que nos de concession octroyée à Getma, puis activités sont radicalement différentes. Ils Dadis, nouvel homme fort de Guinée, qui agissent sur des personnalités politiques et la suspend à nouveau avant de la signer… sur du court terme, nous agissons sur des L’environnement était empoisonné. infrastructuresetunevisionàlongterme.Il estasseznaturelqu’AlphaCondédemande à Euro RSCG, qui a une bonne expérience Ce n’est plus le cas, malgré les relaafricaine,del’assisterdanssacampagne.Et, tions très proches entre Alpha Condé bien entendu, ce n’était pas à titre gracieux, et Vincent Bolloré ? Vincent Bolloré est l’ami d’Alpha Condé Euro RSCG facture ses clients. depuis vingt-cinq ans, quand l’opposant de toujours ne représentait qu’une convicVous travaillez avec Getma dans des tion forte sans moyens et sans troupes. concessions portuaires au Bénin, au Il vaut mieux être l’ami d’Alpha Condé Cameroun et au Gabon. Cette affaire se que celui de Dadis Camara. Avec Alpha terminera-t-elle par un accord ? JEUNE AFRIQUE

Au-delà des chiffres et des résultats clairement positifs et en progression (près de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires, + 11 %), 2010 a été une année riche en développements. Nous avons obtenu trois nouvelles concessions portuaires: Lomé, Misrata, Freetown et une quatrième à Conakry début 2011. Nous avons bien progressé à Lagos et à Pointe-Noire. Ces développements succèdent à d’autres victoires au Bénin et au Congo. Et nos affaires ont beaucoup progressé dans les territoires anglophones, qui représentent plus de 40 % de notre chiffre d’affaires. Comment vivez-vous la situation en Côte d’Ivoire ?

La Côte d’Ivoire a subi de plein fouet la politique de sanctions prises par l’Union européenne et la césure politique du pays. Au port d’Abidjan, les volumes ont diminué de 70 %, la plupart des armateurs ont cessé de faire escale. Dans le transport ferroviaire, Sitarail a cessé de fonctionner à la demande des autorités militaires. Le cacao n’est plus exporté, le système bancaire est atrophié. Je n’ai jamais vu une économie subir autant de coups en aussi peu de temps et de manière aussi brutale. Et vos projets en Afrique du Nord ?

En Algérie, nous sommes toujours en négociations pour le port sec de Skikda, que nous avons gagné en concession en 2007. En Libye, la visibilité est pratiquement nulle. En Égypte, notre partenariat avec Orascom nous permettra d’apprécier les opportunités portuaires. Au Maroc, nous n’avons jamais eu d’opportunités sérieuses. Mais tout est très ouvert. Le développement du continent sera tel qu’il aura besoin de beaucoup plus de ports dans les vingt ans qui viennent. ● Propos recueillis par JEAN-MICHEL MEYER N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

125


Entreprises marchés Ý « LE PEUPLE VEUT DÉPOSER VEOLIA » clame cette banderole brandie par des manifestants dans les rues de Tétouan, en février.

AFP

MAROC

Veolia sur la sellette

Critiqué par ses clients à Tanger et Rabat pour ses tarifs jugés excessifs, le groupe français n’est plus assuré du soutien des autorités.

D

éjà confronté à une douloureuse révision contractuelle dans sa filialegabonaise,laSeeg, Veolia Environnement fait face à une nouvelle fronde au Maroc, où il est notamment concessionnaire de la desserte d’eau et d’électricité, ainsi que des services d’assainissement pour 3,6 millions d’habitants des régions de Tanger et Rabat, via ses filiales Amendis et Redal. En décembre 2010, Patrice Fonlladosa, délégué de Veolia Environnement pour le continent africain, présentait à Jeune Afrique les activités marocaines de son

groupe comme « des contrats qui fonctionnent bien », louant la « forte volontépolitiquedefaireavancerles choses au plus haut niveau ». Mais la lune de miel semble avoir pris fin. En cause, les changements politiquesàlamairiedeTanger,mais surtout les mouvements sociaux qui ont pointé du doigt les prix élevés de l’eau et de l’électricité, avec des pancartes conspuant Veolia et son concurrent, le groupe GDF-Suez, présent à Casablanca. À Rabat, la simple mise en service de l’eau et de l’électricité par la Redal coûte 1 100 dirhams (DH, 97 euros) alors que le salaire moyen

marocain est de 3000 DH. À Tanger, une famille de quatre personnes interrogée par J.A. indique avoir payé 900 DH par mois en moyenne en 2010, et en 2011, les prix ont augmenté de 2 %. À Marrakech en revanche, où l’eau et l’électricité sont gérées par la régie publique Radeema, les subventions de l’État ont permis depuis l’été une baisse des tarifs de 50 %. Contacté, un membre d’un foyer marrakchi de cinqpersonnesprécisequ’enjanvier la facture se montait à 700 DH. AMENDES. Sous la pression de ses

administrés, le maire de Tanger, Fouad El Omari – élu le 31 octobre 2010 –, a tenu le 8 mars une réunion sur le sujet avec les organisations de la société civile. Il a indiqué avoir envoyé un courrier à l’entreprise demandantlerèglementd’amendes (5,4 millions d’euros d’après nos informations) pour non-respect des clauses contractuelles. Dans la foulée, Nizar Baraka, ministre délégué auprès du Premier ministre, a rappelé à Paris que la révision du contrat de Veolia était à l’ordre du jour à Tanger et qu’elle interviendra à Rabat en 2012. Veolia ne sera « ni protégé ni stigmatisé », a-t-il dit. Au siège du groupe, à Paris, on confirme les paroles du ministre, tout en précisant que cette révision était « normale et [prendrait] plusieurs mois ». ● CHRISTOPHE LE BEC

SAMEDI 11 JUIN 2011

DE 150 ARTISTES POUR 5H DE SHOW ET DE FETE. OUVERTURE DES PORTES 17H. DEBUT DU SHOW 18H. Une production

en collaboration avec

présentée par

SDFProd:Licencediffuseur931939-©StadedeFrance® –Macary,ZublenaetRegembal, Costantini – Architectes, ADAGP – Paris 2010 Photo : F. Aguilhon. Marie-Louise

126


Coulisses

Entreprises

(0,3 cent en 2009). Par ailleurs, le total de bilan s’est établi à 10,5 milliards de dollars (+ 16 %) et le produit net à 899,6 millions de dollars (+ 3 %). ●

TÉLÉCOMS

La Tunisie nationalise

EMPRUNT APPEL AU MARCHÉ DU TCHAD

A

JULIEN CLÉMENÇOT JEUNE AFRIQUE

SIA KAMBOU/AFP

La confiscation des avoirs du clan Ben Ali ramène le secteur, libéralisé, dans le giron de l’État. ctionnaire majoritaire de Tunisie Télécom (65 %) et, depuis la fuite de Sakhr el-Materi, administrateur de 25 % du capital de Tunisiana, l’État tunisien prend le contrôle d’Orange (51 %), le troisième opérateur du pays. C’est le résultat de la confiscation des avoirs de Marouane Mabrouk et de son épouse Cyrine Ben Ali, ordonnée par un décret publié le 18 mars. Une décision qui, pour devenir définitive, devra être confirmée par une commission dont le rapport n’est attendu que dans six mois. Après avoir été libéralisé, le secteur des télécoms serait donc en pleine nationalisation, avec à la clé d’inévitables conflits d’intérêt pour l’État. S’il semble acquis que la situation ne pourra perdurer, la plus grande incertitude demeure quant à la stratégie que choisira le gouvernement pour en sortir. Chez Tunisiana, des sources internes laissent entendre que le qatari Qtel, actionnaire majoritaire, accepterait de racheter les parts auparavant détenues par Sakhr elMateri; il serait en revanche hostile à l’arrivée dans le capital d’un autre opérateur. Mais la préoccupation principale est l’obtention de la licence 3G. Dans cette perspective, accueillir un partenaire tunisien pourrait être un atout de taille. Du côté d’Orange, les enjeux sont encore plus cruciaux. France Télécom, détenteur de 49 % du capital, peut craindre une prise de contrôle par un concurrent si les 51 % étaient vendus au plus offrant. D’autantquelecontratdelicencelui interdit de devenir majoritaire dans sa filiale tunisienne avant 2014. ●

marchés

BANQUES LA BONNE ANNÉE D’ECOBANK LE GROUPE PANAFRICAIN annonce, pour son exercice clos le 31 décembre 2010, un profit record de 131,8 millions de dollars (93,5 millions d’euros), en progression de plus de 100 % sur un an. Le groupe devrait distribuer 39,7 millions de dollars de dividendes contre 29,7 millions au terme de l’exercice 2009. Cela représente 0,4 cent de dollars par action

S

M

S

LE PAYS devrait lancer un emprunt obligataire de 100 milliards de F CFA (plus de 152 millions d’euros) en mai, juste après le premier tour de l’élection présidentielle, qui se tiendra le 24 avril. De source proche de la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC), le dossier a été bouclé et déposé auprès du régulateur du marché, la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale (Cosumaf). Outre leTchad, la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC), qui a levé 30 milliards de F CFA en 2010, devrait revenir sur le marché cette année pour un nouvel emprunt obligataire de 70 milliards de F CFA. ●

• ÉTHIOPIE Favori de la privatisation, Heineken offre 115,6 millions d’euros pour les brasseurs Harar et Bedele • MAROC Le groupe immobilier Addoha a réalisé un CA de 670 millions d’euros, en hausse de 26,1 % • NIGERIA De la fusion d’Intercontinental Bank et Access Bank naîtra la cinquième banque d’Afrique de l’Ouest (6,4 milliards d’euros de CA) • CONGO Sundance Resources investira 425,6 millions d’euros dans sa mine de fer de Nabemba

HYDROCARBURES FIN DU SUSPENSE EN OUGANDA LE FRANÇAISTOTAL et le chinois Cnooc achètent à l’anglais Tullow Oil un tiers chacun des permis octroyés sur le lac Albert, en Ouganda. La vente, conclue à Londres le 29 mars, rapporte àTullow 2,9 milliards de dollars (environ 2 milliards d’euros). Elle met un terme à plusieurs mois d’incertitudes à la suite d’un litige opposant le gouvernement ougandais, Tullow et Heritage Oil – ancien propriétaire de 50 % des blocs – sur le montant de la taxe à reverser pour la vente des parts de ce dernier. Le développement pour extraire les 2 milliards de barils estimés pourrait coûter 10 milliards de dollars. ●

DÉFENSE EADS POURRAIT INVESTIR AU MAGHREB L’EUROPÉEN EADS ne remplacera pas 600 départs en retraite au sein de sa branche défense, Cassidian, également implantée au Maroc. Ces mesures d’économie ne toucheront pas le royaume, qui pourrait au contraire bénéficier d’investissements. Un effort pourrait être fait sur les investissements dans les implantations locales des pays émergents. Plus aucun projet – surtout dans ces derniers – ne se fera, par ailleurs, sans partenaire local. Ce qui conviendrait à l’Algérie, pays stratégique pour EADS/Cassidian, où aucun engagement étranger ne peut se faire sans une participation locale majoritaire. ● N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

127


128

International CROISSANCE

Pékin change de cap

Dans son douzième plan quinquennal, l’État mise sur la consommation des Chinois – et sur la hausse de leur niveau de vie – davantage que sur les exportations. Tout en renforçant son arsenal sécuritaire.

S

elon l’économiste en chef de la Banque mondiale, Justin Lin, la Chine pourrait devenir la première économie mondiale en 2030. Pékin, qui prévoit une croissance de 8 % en 2011 et de 7 % par an en moyenne jusqu’en 2015, se pose néanmoins des questions sur son avenir. Ainsi, lors de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire, le 14 mars à Pékin, le Premier ministre chinois a déclaré que « le gouvernement travaille principalement sur la transformation du mode de développement économique ».

En quoi cela consiste-t-il ? Face à la montée des revendications sociales à l’intérieur du pays (exacerbées par les révolutions arabes), le gouvernement chinois a décidé d’orienter son douzième plan quinquennal (2011-2015), publié au début du mois de mars, vers la consommation intérieure comme principal relais de croissance – pour l’heure, la hausse du PIB est tirée principalement par les exportations. Selon les analystes, la consommation de détail de la Chine pourrait ainsi dépasser celle des États-Unis dès 2014. En outre, le

Mots interdits À partir du 15 avril, les termes luxe, classe, royal, suprême, qui favorisent le « culte des produits étrangers », seront bannis des publicités en Chine.

pays a décidé d’un certain nombre de mesures destinées à améliorer le niveau de vie des Chinois et, partant, leur pouvoir d’achat : une hausse de 80 % du salaire minimum (entre 62 et 129 euros par mois suivant les provinces) est notamment prévue. SURVEILLANCE. Mais ce discours

d’ouverturesocialenesauraitcacher unnouveaurenforcementdel’appareil sécuritaire afin d’étouffer dans l’œuf toute forme de protestation. Le budget pharaonique destiné au « wei-wen » (« préserver-stabilité », qui englobe le maintien de l’ordre, la répression des dissidences et la surveillance de la population) atteindra plus de 68,2 milliards d’euros en 2011 – soit une hausse de 13,8 % par rapport à 2010 – et, pour la première fois de l’histoire de la République populaire de Chine, dépassera celui de l’Armée populaire. ● MICHAEL PAURON


International

ANALYSE

Opinions &é éditoriaux ditoriaux

AFP

Alain Faujas

MINES

PROJET GORO, EN NOUVELLE-CALÉDONIE. Pour les autorités, le groupe investit trop à l’étranger.

Vale dans le viseur de Brasília

L’État reproche au premier exportateur mondial de fer de négliger les gisements du pays. Et souhaite aligner le géant brésilien sur sa stratégie industrielle.

R

ien ne va plus entre Brasília et la direction de Vale. Artisan de la croissance du groupe depuis 2001, son président Roger Agnelli, dont le mandat expire en mai, pourrait bien y perdre son poste. L’État brésilien lui reproche sa politique d’acquisitions à l’étranger (61 milliards d’euros en dix ans) alors que, selon Brasília, il néglige ses mines brésiliennes. Cela fait deux ans que la tension monte entre l’État et le groupe, privatisé en 1997. En 2009, le président Luiz Inácio Lula da Silva, qui avait pourtant facilité l’ascension d’Agnelli, avait vertement critiqué le licenciement de 1 900 salariés brésiliens et la faiblesse des investissements de Vale au Brésil. Le 28 février, l’annonce du bilan 2010 a mis le feu aux poudres: le groupe a dégagé 12,3 milliards d’euros de résultat net (contre 3,8 milliards en 2009) et a presque doublé son chiffre d’affaires, celui-ci atteignant 33 milliards d’euros. Des chiffres qui indignent la nouvelle présidente, Dilma Rousseff : plus critique que son prédécesseur, elle considère que ces résultats ont été obtenus au détriment des Brésiliens. Sous la gouverne d’Agnelli, Vale, dont le portefeuille minier était centré sur le fer brésilien, a étendu JEUNE AFRIQUE

ses activités aux métaux non ferreux (nickel et cuivre notamment) et aux engrais, en allant investir au Canada, en Indonésie, en NouvelleCalédonie, au Mozambique et en Guinée. Le mastodonte exporte massivement vers les États-Unis et la Chine (qui représente le tiers de son chiffre d’affaires) et n’a guère fait profiter la sidérurgie brésilienne de prix avantageux. Par ailleurs, les conditions de travail de ses mineurs sont dénoncées par les syndicats, au Brésil et au Canada. SPÉCULATIONS. Brasília affine

sa stratégie pour évincer Agnelli et aligner Vale (l’État détient 3 % des actions) sur sa politique industrielle : le ministre des Finances, Guido Mantega, a fait le tour des principaux actionnaires de Vale, dont la banque privée Bradesco et le fonds Previ, pour les sensibiliser à sa cause. À Rio de Janeiro et São Paulo, la presse brésilienne annonce déjà Agnelli partant. Et les spéculations vont bon train sur son éventuel remplaçant qui, pour rassurer les marchés, serait plutôt un industriel qu’un politique. Quel que soit le prochain président de Vale, ce changement de cap devrait ralentir les investissements hors Brésil. ● CHRISTOPHE LE BEC

Quelles énergies pour l’Afrique?

L

A SITUATION TOUJOURS catastrophique de la centrale nucléaire de Fukushima, au Japon, envoie un message très clair: même si l’Afrique détient des gisements d’uranium d’importance au Niger ou en Namibie, il vaut mieux pour l’instant que ses deux seuls réacteurs atomiques restent ceux de la centrale de Koeberg en Afrique du Sud. Sur le continent, le nucléaire serait trop cher et pas maîtrisé. La récession qui s’achève a eu raison des projets nucléaires qui fleurissaient du côté de Pretoria, Tripoli ou Rabat pour répondre au formidable besoin d’électricité qu’illustrent les coupures généralisées de courant. N’en déplaise à Nicolas Sarkozy, qui ne fait aucun voyage à l’étranger sans proposer à ses hôtes d’acheter le réacteur EPR d’Areva, c’est très bien comme ça. D’abord parce qu’un tel réacteur coûte 3 milliards d’euros, ce qui est hors de portée des budgets africains. En revanche, un potentiel hydroélectrique formidable existe en Afrique centrale et en Afrique australe, qu’il convient d’exploiter au plus vite et à bon compte, en dépit des réserves des écologistes. Dans les zones moins bien loties en cours d’eau, le pétrole et surtout le gaz sont pour l’instant les sources d’énergie les plus intéressantes, même si leur importation pèse lourd dans les comptes nationaux. Cette urgence posée, il est de l’intérêt de l’Afrique de se soucier de sa première « matière première » : le soleil. Le continent serait bien avisé d’accompagner la montée en puissance du photovoltaïque pour les particuliers et des centrales solaires à condensation, qui donnent de bons résultats en Andalousie et en Californie. Les milliers de miroirs paraboliques du projet saharien Desertec devront profiter au Maghreb, avant que soit envisagée l’exportation du courant électrique vers la lointaine Allemagne. Sans oublier que l’Afrique orientale possède dans la faille du Rift d’importantes capacités géothermiques qui font déjà le bonheur du Kenya. Au travail ! ● N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

129


Les décideurs INTERVIEW

Imad Bouziane

M ANAGER A FRIQUE

DE L ’O FFICE CHÉRIFIEN DES PHOSPHATES

« En 2013, un engrais 40 % moins cher » Le jeune cadre marocain de l’OCP a pour mission d’accroître la part de marché du groupe en Afrique.

L

e géant marocain des phosphates et des engrais (4,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires à l’export en 2008) a longtemps donné la priorité à ses clients européens, indiens et chinois. Mais depuis l’arrivée en 2006 de Mostafa Terrab à la direction générale du groupe, l’Office chérifiendesphosphates(OCP)s’est réorienté vers l’Afrique et veut y faire progresser ses ventes. C’est à Imad Bouziane, 30 ans, ancien de Procter & Gamble, qu’a été confiée cette tâche en 2008. Pour cet ingénieur casablancais formé en France, les challenges ne manquent pas.

HASSAN OUAZZANI POUR J.A.

130

Quelle est votre méthode ?

CASABLANCA, LE 30 MARS. Imad Bouziane a intégré le groupe en 2008.

Il ne s’agit pas simplement de trouver des acheteurs, mais plutôt des partenaires, importateursdistributeurs de premier plan capa-

Cameroun. Avec sa taille de mastodonte, le Nigeria est quant à lui un marché difficile à pénétrer.

Nous cherchons des partenaires capables de développer leurs marchés nationaux. JEUNE AFRIQUE: En avril 2010, l’OCP annonçait mettre l’Afrique au cœur de sa stratégie commerciale. Où en êtes-vous un an plus tard ? IMAD BOUZIANE : Avec 18 % des

terres arables du globe pour seulement 1 % des engrais consommés, l’Afrique est pour nous une opportunité commerciale et un devoir moral. Depuis 2008, nous réservons des volumes d’engrais au continent, même en cas de forte tension sur l’offre et malgré la complexité et le coût de l’acheminement des produits. Mais que pèse réellement l’Afrique dans les affaires de l’OCP ?

Le continent, hors Maroc, représente déjà autour de 3 % de notre chiffre d’affaires, et, depuis cinq ans, nosventesyprogressentenmoyenne de 20 % à 30 % chaque année. N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

bles de développer leurs marchés nationaux,commeTogunaIndustries au Mali, Yara au Ghana, ou Mea au Kenya, avec lequel nous venons de signer un contrat de 100000 tonnes pour 46,1 millions d’euros. Nous en choisissons un seul par pays et tissons une relation forte avec lui, en l’appuyanttechniquementethumainement. La plupart ont la capacité de repréparer nos engrais pour mieux les adapter à leurs sols. Quels sont les pays où les engrais marocains se vendent le mieux ?

D’abord le Ghana, puis le Mali, l’Éthiopie et le Kenya. Ces pays ont remis en selle leur politique agricole etsesontdotésd’organismespublics efficaces, comme le Cocoa Board au Ghana. D’autres peinent à décoller, malgré un potentiel agricole extraordinaire,commelaRDCongooule

25

PAYS AFRICAINS (hors Maroc)

=

3%

DU CHIFFRE D’AFFAIRES DU GROUPE (soit environ 65 millions d’euros en 2009, selon les estimations de J.A.)

Des chantiers en cours ?

Nous avons lancé un programme de recherche sur les roches phosphatées, un engrais naturel disponible dans nos mines, de 30 % à 40 % moins cher que les produits transformés, actuellement en test chez six de nos partenaires africains. Si les résultats sont bons, nous pourrons le commercialiser en 2013. Enfin, nous réfléchissons à un conditionnement en sacs de 5 kg, d’un prix plus accessible. Travailler au sud du Sahara, quelle satisfaction cela vous apporte ?

Jem’ysensbien,notammentdans les pays ouest-africains francophones, où je partage des références culturelles et religieuses avec mes interlocuteurs. J’ai travaillé dans d’autresunivers,maisicileschallenges humains et logistiques sont plus complexes, et je trouve plus de sens à ce que je fais : le développement de l’agriculture a un impact positif sur la vie des populations. ● Propos recueillis par CHRISTOPHE LE BEC JEUNE AFRIQUE


Les décideurs FINANCE

Christian Adovèlande prend les rênes de la BOAD Nommé en janvier à la tête de la Banque ouest-africaine de développement, le Béninois vient de présider son premier conseil d’administration.

Ý L’ANCIEN PRÉSIDENT

BIDC succède à Abdoulaye Bio-Tchané. DE LA

VINCENT FOURNIER/J.A.

C

e 31 mars à Lomé, le Béninois Christian Narcisse Adovèlande, 60ans,asignésonretour auseindelaBanqueouest-africaine de développement (BOAD), en en présidant la 80e session ordinaire du conseil d’administration. Cette réunion a approuvé le financement de dix nouveaux projets, parmi lesquels la construction de l’aéroport international BlaiseDiagne, à Diass, au Sénégal (prêt de 17 milliards de F CFA), et l’extension de la Société nigérienne de cimenterie (prêt de 12,5 milliards de F CFA). Au total, le montant des nouveaux engagements de la BOAD s’élève à 79,2 milliards de F CFA (120,7 millions d’euros), hors prêts à court terme. Sur l’ensemble

de 2010, les engagements nets de la banque ont dépassé 260 milliards de F CFA. Le successeur d’Abdoulaye BioTchané (ABT, qui a démissionné pour se présenter à l’élection présidentielle béninoise) a dirigé pendant cinq ans la Banque d’investissement et de développement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (BIDC) – son mandat arrivait à

10

NOUVEAUX PROJETS vont bénéficier de prêts de

120,7 MILLIONS D’EUROS

131

terme en juin prochain. Avant la BIDC, Christian Adovèlande avait déjà été un haut cadre de la BOAD pendant dix-sept ans et a dirigé sa filiale, le Fonds de garantie des investissements privés en Afrique de l’Ouest (Gari) de 1995 à 1999. C’est sur la proposition du président béninois Boni Yayi qu’il a été nommé en janvier par les chefs d’État de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) pour poursuivre le mandat d’ABT jusqu’en 2013. PLAN STRATÉGIQUE. Christian Adovèlande devrait poursuivre le travail de son prédécesseur à travers le plan stratégique 20092013 adopté en 2008, pour lequel le capital de la BOAD a été augmenté de 50 %, à 1 050 milliards de F CFA, en 2010. Ce plan prévoit notamment un accroissement des engagements de la banque dans les secteurs énergétique et agricole, soit 50 milliards à 100 milliards de F CFA par an. Il prévoit également la promotion et la vulgarisation des structures et instruments des marchés financiers pour faciliter la mobilisation de fonds. En revenant à la BOAD, Adovèlande prend les rênes d’une institution dont le montant total des financements depuis sa création, en 1973, s’élève à 1759 milliards de F CFA pour 551 projets. ● STÉPHANE BALLONG

ALI GHODHBANI TUNISIE TÉLÉCOM L’ancien directeur de l’instance de régulation tunisienne des télécoms et de Sotetel, filiale de l’opérateur publicTunisie Télécom, a été nommé PDG de ce dernier, après accord du partenaire émirati EIT. JEUNE AFRIQUE

DELE BABADE ECOBANK CAPITAL Nommé à la tête du pôle banque d’investissement d’EcobankTransnational Incorporated, ce Nigérian de 47 ans vient de présenter son plan d’action au conseil d’administration du groupe panafricain, le 25 mars à Paris.

RITA KAVASHE GENERAL MOTORS La Kényane, déjà directrice export pour l’Afrique subsaharienne, a été nommée directrice générale de la région Afrique de l’Est pour le constructeur automobile américain, dont les ventes africaines ont progressé de 15 % en 2010.

MARLON CHIGWENDE CARLYLE GROUP L’ancien patron du capitalinvestissement africain de Standard Chartered va codiriger les activités du groupe au sud du Sahara, aux côtés de Danie Jordaan (Ethos) et de Genevieve Sangudi (Emerging Capital Partners). N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

HICHEM - FAIZEL FELIX - DR

ON EN PARLE


Marchés financiers

1000 999 988 977 966 955 944 933 922 911 900 899

Dégringolade des places africaines (indice MSCI EFM Africa, base 100 au 3 janvier) 3 janvier - 100 Les marchés sont au plus haut, après une hausse de 29 % en 2009.

4 MARS

93,32

11 FÉVRIER 17 JANVIER

95,74

La Bourse de Tunis ferme ses portes pour quinze jours.

En Libye, le conflit s’intensifie.

23 MARS

90,5

89,5

La Bourse du Caire est à nouveau ouverte.

En Égypte, le président Moubarak démissionne.

SOURCE : MSCI INC.

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10 février - 87,69 Les marchés sont au plus bas.

BOURSE

Malgré la baisse, les affaires continuent Affectées par le « printemps arabe », les places du continent accusent de fortes chutes, et les gérants sont partagés entre attentisme et prise de risque. Le point sur les valeurs qui ont la cote.

L

es temps sont durs pour les Bourses africaines. Aux crisespolitiquespuiséconomiques à Tunis et au Caire – deux des principales places du continent – a succédé la décision d’un grand nombre d’investisseurs internationaux de redistribuer une partie des sommes investies sur les marchés émergents, notamment en Afrique et au Moyen-Orient, vers les pays développés. Sur les deux premiers mois de l’année, plus de 21 milliards de dollars (environ 15 milliards d’euros) ont été retirés des fonds d’actions des marchés émergents, selon le cabinet Emerging Portfolio Fund Research. Dessortiesmassivesdontlacause est claire – la montée de l’instabilité dans les pays pétroliers du MoyenOrient et d’Afrique du Nord – et dont les conséquences se sont fait sentir un peu partout sur le continent. L’indice MSCI EFM Africa, qui couvre les sept principales places N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

africaines, enregistrait fin mars une baisse de 9,1 % depuis le début de l’année (voir infographie), contre –2,8%pourl’ensembledesmarchés émergents. ACCROS À L’« AGRO ». Selon leur

appréhension du risque, certains gestionnaires africains sont donc aujourd’hui attentistes. « Il y a beaucoup d’élections sur le continent cette année, un phénomène que craignent les marchés, explique MalekBou-Diab,gérantdufondsBB African Opportunities. Nous avons donc réduit notre position sur toutes les places. » À l’inverse, d’autres investisseurs restent à l’achat. « Au Nigeria, nous envisageons une issue positive pour l’élection présidentielle d’avril, et une bonne performance générale du marché actions durant la seconde partie de l’année, estime John Mackie, responsable Afrique chez Stanlib. Les valorisations des banques, en particulier,

sont revenues à des niveaux très attractifs.»Plusieurstitresontlacote ces temps-ci – notamment Access Bank, Guaranty Trust Bank ou FirstCityMonumentBank–,même si quelques gérants s’inquiètent des errements commis par le passé en matière de gestion. L’agro-industrie aussi est à la mode. Les sociétés qui maîtrisent la productiondepuisleschampsprofitenteneffetàpleinduboomdesprix des produits agricoles. C’est le cas par exemple d’une valeur comme SIPH (cotée à Paris), qui, sielle souffre de la crise ivoirienne, devrait bénéficier de sa présence danstoute l’Afrique de l’Ouest. Malek Bou-

Au Nigeria, les valorisations des banques sont revenues à des niveaux très attractifs. Diabapprécie tout particulièrement des valeurs cotées sur les marchés internationaux comme Equatorial Palm Oil ou Feronia Inc., producteur d’huile de palme en RD Congo. Dans un secteur proche, les valeurs alimentaires en général et les brasseursenparticuliercontinuentd’être prisés : l’activité est peu risquée, peu cyclique, et doit bénéficier à moyen terme du boom de la classe moyenne africaine. JEUNE AFRIQUE


Baromètre

RADAR. À mesure que la baisse des cours des valeurs télécoms se confirme (lire ci-contre), le secteur pourrait revenir dans le radar des gérants panafricains. Le sudafricain MTN, dévalorisé depuis l’échec des tentatives de fusion avec des groupes indiens puis avec l’égyptien Orascom, tout comme le kényan Safaricom figurent parmi les valeurs préférées. Mais à court terme, seul Sonatel semble avoir la faveur des investisseurs. « C’est une valeur refuge, tranche Julien Véron, analyste auprès d’Investec Africa Fund. Elle verse beaucoup de dividendes, et la valorisation n’est pas mauvaise, surtout par rapport à d’autres valeurs du secteur télécoms. » La Bourse du Caire, dont les portes viennent de rouvrir et où le marché a chuté de près de 30 % depuis le début de l’année, pourrait offrir rapidement de belles opportunités d’investissements. À Tunis en revanche, si les gérants ont conservé leurs positions sur le marché, ils ne voient guère à ce jour denouvellesopportunités,malgréla forte baisse enregistrée par la place depuis le début de l’année (– 14 % environ). Le Maroc reste également boudé, le marché étant jugé trop cher. Mais les gérants attendent tout de même avec la plus grande attention le désengagement prochain du holding royal SNI de plusieurs valeurs. Certaines – comme AttijariwafaBank,Centralelaitière ouLesieurCristal–pourraientalors enfin attirer toute l’attention qu’elles méritent. ●

Des télécoms en petite forme VALEUR

BOURSE

COURS au 30 mars (en dollars)

ÉVOLUTION depuis le début de l'année (en %)

Sonatel

BRVM ( ABIDJAN )

361

+ 6,8

MTN

JOHANNESBURG

2 048,3

+ 4,6

Maroc Télécom

CASABLANCA

19,6

+ 4,5

Onatel

BRVM ( ABIDJAN )

103,9

+ 4,4

Vodacom

JOHANNESBURG

1 165,1

+ 3,8

Orascom Telecom

LE CAIRE

0,7

+ 3,7

MobiNil

LE CAIRE

26,9

– 3,1

Telkom

JOHANNESBURG

530,6

– 4,3

Telecom Egypt

LE CAIRE

2,9

– 5,4

Safaricom

NAIROBI

0,05

– 18,1

APRÈS PLUSIEURS SEMAINES de baisse, liée notamment à des valorisations jugées excessives, les valeurs télécoms ont vu leurs cours rebondir. Mais à moyen terme, le ralentissement de la croissance du secteur reste un sujet d’inquiétude. Sonatel et MarocTélécom viennent d’annoncer de modestes résultats annuels: des profits stagnants pour le premier et en progression de 1,2 % pour le second. MTN a dû également

se contenter d’une hausse de 2,5 % de ses revenus, en grande partie à cause de l’effet de l’appréciation de la monnaie sud-africaine, le rand. Avec la finalisation de son rapprochement avec le russe Vimpelcom, les perspectives de l’égyptien Orascom Telecom semblent désormais meilleures, malgré l’incertitude qui pèse toujours sur le devenir de Djezzy en Algérie, sa principale filiale et la plus rentable. ●

Valeur en vue SAFARICOM Victime de la guerre des prix BOURSE Nairobi • CA 2010 845 millions d’euros (+ 19,1 %)

COURS 3,85 shillings kényans • OBJECTIF 4,25 shillings kényans

À LA SUITE DE L’INTENSIFICATION de la guerre des prix au Kenya et de nos discussions avec le management de Safaricom, nous abaissons notre recommandation d’« achat » à « conserver ». Notre objectif de cours baisse de 5,30 à 4,25 shillings et nous prévoyons une réduction de la part de marché et de la marge Ebitda, en raison de l’intense compétition dans le secteur. La part de marché de l’opérateur passerait de 78 % aujourd’hui à 63 % en 2015. Les revenus « voix » baisseront en 2011 et 2012.À l’inverse, internet contribuera de plus en plus aux revenus et aux bénéfices, grâce à une augmentation du taux de Binta Cisse pénétration (aujourd’hui inférieur à 10 %) et au nombre Drave croissant de téléphones 3G et d’ordinateurs à prix Analyste chez Exotix réduit. Le nombre de souscripteurs internet devrait ainsi progresser de 37 % par an en moyenne entre 2011 et 2015. Enfin, M-Pesa, le service de paiement mobile de Safaricom, va conserver sa position dominante sur le marché kényan. ●

EXOTIX

À l’opposé, en termes de risques, David Damiba, gérant chez Renaissance Asset Managers, propose un pari plus spéculatif: « Une compagnie minière junior, Beacon Hill Resources, qui exploite une mine de charbon au Mozambique et est cotée à Londres. Elle commencera à produire dès l’année prochaine avec un Ebitda [revenu avant intérêts, impôts, dotations et provisions, NDLR] prévu à 100 millions de dollars en 2013, pour une capitalisation boursière actuelle de 160 millions de dollars. »

Marchés financiers

FRÉDÉRIC MAURY JEUNE AFRIQUE

N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Culture & médias

MÉDIAS

Le grand

ménage

Plus de deux mois après la chute de Ben Ali, de profonds bouleversements touchent une presse discréditée. Résultat : de nombreux amateurs s’improvisent journalistes sur le Net afin de construire un nouvel espace démocratique. FRIDA DAHMANI,

L

à Tunis

es Tunisiens n’oublieront jamais le 14 janvier 2011 ; leurs médias non plus. Pris de court mais libérés du verrouillage imposé par la dictature de Ben Ali, ces derniers ont tenté d’opérer leur révolution en quelques heures. Un exercice si difficile qu’ils cherchent encore leur ligne éditoriale. Les héros de cette révolution, dont aucun leader d’opinion n’a émergé, sont les réseaux sociaux, symbole d’une nouvelle manière de rapporter l’information. Facebook et Twitter ont si bien relayé l’activisme des Tunisiens, notamment des jeunes, qu’on a pu lire sur les murs de Tunis : « Merci Facebook ». N 0 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Dans cette mouvance, les contradictions du 14 janvier ont fait naître de nouveaux médias. « Après la révolution, le manque d’information était flagrant. Nous les cherchions dans les médias étrangers. Il nous a semblé que la révolution commençait à échapper aux jeunes, qui y avaient largement participé. Nous avons investi ce vide », déclare M’Hamed Turki, l’un des fondateurs du site des Jeunes Indépendants démocrates (JID ; www.jidtunisie.net). Malgré un nom qui claque comme celui d’un parti politique, M’Hamed Turki réfute totalement l’appartenance à un quelconque mouvement et regroupe une douzaine de jeunes sans aucune formation journalistique : étudiants, ils viennent d’horizons aussi divers que la médecine ou le droit. Mais tous sont conscients que « c’est maintenant que se joue la construction démocratique du pays ». Ils ont uni leurs compétences et se sont accrochés à leurs claviers pour transmettre, en toute objectivité, de l’information recoupée. Très critique vis-à-vis des médias classiques, les JID font entendre la voix des jeunes et de la société civile. JEUNE AFRIQUE


Culture médias indécis. Vulgariser l’information, essentiellement politique, s’adresser à la jeunesse, sensibiliser aux enjeux, à travers un espace qui lui est familier, internet, c’est aussi le choix qu’ont fait Khelil Ben Osman, Heykel Djerbi et Talel Ben Ghorbal avec un média social citoyen, fhimt.com. Ce nom, qui signifie « j’ai compris » en arabe, souligne l’intention du site tout en étant un clin d’œil au dernier discours de Ben Ali qui avait repris à son compte le « Je vous ai compris » de De Gaulle et qui lui avait valu pour toute réponse un « Dégage » unanime. Khelil Ben Osman en est convaincu: livrer de l’information en ligne, sur le modèle du site français Owni, qui a aidé WikiLeaks à publier des documents concernant la guerre en Irak en octobre dernier, tout en recourant aux contributions les plus diverses « permettra d’accéder à la connaissance, de développer l’esprit critique pour que la vérité et l’information soient expurgées de toute manipulation ».

CHRISTOPHE CHAUVIN/J.A.

CHASSE AUX SORCIÈRES. À l’opposé des JID, les

tunisien « Avec près de 50 nouveaux partis politiques, les Tunisiens perdent leur latin face à la tour de Babel du monde politique et sont perplexes face aux échéances électorales. Les JID leur offrent un espace de débat autour de questions majeures comme celles concernant le régime parlementaire, la laïcité, la démocratie. C’est un tremplin d’information et d’idées ciblant les indépendants et démocrates de 18 à 35 ans », poursuit M’Hamed Turki, étudiant en médecine par ailleurs. Au sein des JID, les tâches sont si nombreuses qu’il est déjà question de recrutement. « On lance une version arabe des textes importants. Nous cherchons aussi des chroniqueurs et des éditorialistes, car, pour alimenter le site, il ne suffit pas d’être persévérants. Il faut que nous puissions relayer toutes les opinions. Cependant, on est tous bénévoles et jusqu’à présent on y va de notre poche pour les dépenses », explique non sans enthousiasme M’Hamed Turki. Pour initier aux méandres de la politique et pour trouver des financements, les JID se constituent en association et entament un travail de terrain en direction des régions et des jeunes encore trop JEUNE AFRIQUE

fondateurs de fhimt.com sont des professionnels, entre autres, du marketing digital et entendent mettre à profit leur savoir-faire en la matière pour générer des revenus à même de financer le site. Cependant, eux aussi estiment que le tissu associatif est incontournable pour créer une réelle communauté autour d’idées porteuses pour l’avancée de la démocratie. Mais, dans un espace en révolution, les médias traditionnels tunisiens sont désormais en butte aux critiques et sommés de se remettre en question dans une atmosphère assez délétère. La presse écrite a du mal à se débarrasser de réflexes conditionnés par vingt-trois années de bâillonon nement. Mais, à sa décharge, elle affronte aussi ussi la fonte des revenus publicitaires. De ce fait, les pigistes sont mis à l’écart au profit des journalistes contractuels, et les nombreuses contributions gratuites de citoyens souhaitant s’exprimer compensent une production plus faible. La révolution a également induit une chasse aux sorcières qui tend à faire des journalistes de la presse, publique et privée, des suspects quant à leur proximitéavecl’ancienrégime.Lapressenumérique n’estpasépargnéeetlesretournementsdevestesont ont mis au pilori. Du coup, elle se cantonne à couvrir ir l’actualité sans pour autant utiliser son impact et son immédiateté pour évoquer les questions qui dérangent. Le changement de cap de la télévision a été le plus remarquable. En vingt-quatre heures, Nessma TV est passée de chaîne de divertissement à chaîne d’information, l’ancienne TV7, devenue « la nationale », a troqué le mauve contre un rouge patriotique de bon aloi, et Hannibal TV a pris une tonalité plus populiste que populaire. Cependant, cette télévision new look est aussi objet de polélémiques : on reproche aux chaînes de favoriser le sensationnel au détriment de l’information et de tenter de se racheter une virginité par rapport à leur mutisme précédant le 14 janvier. Par ● ● ●

Changement de cap pour la télévision

NESSMA TV plus d’actu, moins de people

TÉLÉVISION NATIONALE plus de talk-shows, moins d’info pure

HANNIBAL TV une tonalité plus populiste N 0 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Culture médias ● ● ● ailleurs, les chaînes privées ont dû composer avec l’électrocardiogramme plat des revenus de la publicité. Certaines, comme Nessma TV, ont revu leur organigramme et comprimé leurs coûts tout en demandant à leur personnel d’être solidaire pour négocier un virage aussi délicat qu’historique alors que la télévision nationale continuait d’émarger normalement sur son budget. L’image, extrêmement censurée avant la révolution, a eu autant sinon plus que les mots un rôle actif dans la couverture des événements. « Il y avait un vrai besoin d’informations sur ce qui se passait à l’intérieur du pays. Certaines vidéos ont atteint 2000 vues, quelques heures seulement après leur miseenligne»,affirmeSophiaBaraket,photographe professionnelle et promotrice d’un projet d’agence de presse, Tunisia Reporters Agency. Elle fédère autour d’elle des journalistes aux compétences reconnues comme Olfa Riahi et Sofiène Chourabi et travaille à donner à son projet une visibilité au niveau des médias locaux et internationaux sans en avoir toutefois défini le cadre de fonctionnement.

Une certaine cacophonie règne où info et intox rivalisent de rapidité. Larévolution aouvertégalement desperspectives auphotographeNicolasFauqué,auteur,depuis2005, delaplusimportantebanqued’imagessurlaTunisie, avec 17000 clichés en ligne, financée en propre. Il travailleencollaborationavecd’autresphotographes tels qu’Amine Landolsi, Fethi Belaid et Mohamed Hammi. « Il y a une très forte demande d’agences de presse étrangères et il était important d’être réactif et d’opérer une mutation, d’autant plus facile que la base existait. Maintenant, il faut de la régularité pour enrichir et mettre à jour le contenu, car tout va très vite actuellement », affirme Nicolas Fauqué, qui vient de couvrir les visites de Hillary Clinton et de Ban Ki-moon à Tunis. « Aujourd’hui, j’essaie d’intégrer au maximum d’autres signatures, mais les jeunes hésitent à collaborer avec une agence photo, car ils n’intègrent pas de partager avec l’agence le prix demandé pour un cliché. Ceux qui sont plus aguerris acceptent le principe », explique-t-il. Dans cette refonte des médias, la palme revient toujours à internet. Les oies du Capitole des réseaux sociauxontrévélélesattentesdupublicetcombléles déficits de l’information durant les émeutes populaires. Aujourd’hui, elles continuent. Désormais, les citoyens devenus journalistes s’expriment, même s’ils créent une certaine cacophonie où info et intox rivalisent de rapidité. La révolution web 2.0 a ancré des habitudes que de nouveaux médias professionnels rééquilibreront en créant un modèle économique original avec des levées de fonds qui font appel au soutien de la société civile plutôt qu’à la publicité. ● N 0 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Lu et approuvé ALAIN MABANCKOU Écrivain franco-congolais

CONNAISSEZ-VOUS LE « PARIS NOIR » ?

L

ORSQUE J’AI REÇU le gagner la confiance de ses acteurs manuscrit des Carnets de et installer un dialogue fondé sur l’Afrique à Paris pour en cette confiance. faire la préface, je ne connaissais pas les auteurs. C ’ e s t c e q u ’ o n t ré u s s i Catherine M’Boudi travaille dans Catherine M’Boudi et Alain l’édition et a été journaliste de Korkos à travers des illustrations presse africaine. Alain Korkos, et des textes marqués par une sincérité et une humilité évidenlui, est un auteur et illustrateur tes. Ici ce ne sont plus ces auteurs jeunesse et adulte. Au fond, me disais-je, je n’aime pas préfacer qui parlent, mais ces Africains un livre, sachant qu’il n’a pas eux-mêmes. Comment arriventbesoin d’un autre auteur pour ils en France ? Que font-ils à survivre. Lorsque je le fais, je me Paris ? Où vivent-ils ? Quels sont limite à souligner l’inles lieux des ambiantérêt que l’ouvrage ceurs? Où trouvent-ils aurait auprès du lecles aliments de leur teur, sans émettre un continent ? Quels sont jugement excessif. les grands écrivains de En préfaçant donc leur littérature ? Qu’en Les Carnets de l’Afriest-il de cette musique Les Carnets que à Paris j’ai enfreint africaine qui irrigue les de l’Afrique cette règle. Parce que autres musiques du à Paris, de Catherine c’est un livre utile. monde ? Qui sont ces M’Boudi Parce que c’est un livre marabouts qui distriet Alain Korkos, qui parle de nous. buent leur carte de éd. Parigramme, Parce que c’est un livre visite à l’entrée des 144 pages, qui me remet au cœur métros ? Où dénicher 14 euros. la presse africaine ? des thématiques de Qui sont les sapeurs ? certains de mes romans : la vie À la fin de l’ouvrage, un carnet des Noirs en France et le regard d’adresses de ce « Paris noir » que l’Autre – l’Européen – porte vous guidera dans les lieux « où sur eux. Le travail de M’Boudi et tout se passe » si par malheur Korkos était, par conséquent, une entreprise délicate, les deux vous ne saviez pas danser ou auteurs étant des Européens vous vous demandiez où prendre – avec tout le danger de l’exoun verre, où acheter des livres, tisme et du paternalisme que où faire vos courses. Et tout cela cela aurait pu entraîner. Et puis, avec un plaisir de lecture et un les Noirs de Paris ne se laissent humour sans cesse corrosif. Ce pas observer par le premier venu. qui manque à la plupart des Ils ont raison: beaucoup d’écrits, ouvrages qui parlent de « nous » de reportages télévisés sont souet qui, jusqu’alors, ont causé du tort à ces hommes et à ces femvent « orientés », et donc destinés à les « noircir ». En somme, il mes, artisans des cultures de la faut aimer ce « Paris noir » pour Ville Lumière de demain… ● JEUNE AFRIQUE


Culture médias de consacrer son prochain long-métrage à ces événements. Sans savoir encore quelle forme finale prendra cette œuvre, il filme depuis un mois dans les rues de Casablanca, Rabat ou Tanger. Avec une petite équipe de quatre personnes, il a déjà tourné une vingtaine d’heures de rushs, couvrant des manifestations et enregistrant des réactions de toutes sortes de personnes, jeunes en tête bien sûr, qui commentent le « printemps arabe » et expriment leurs désirs.

VINCENT FOURNIER/J.A.

ŒUVRE « TRANSGENRE ». Ce qui frappe

L’AUTEUR DE FISSURES, dans son quartier de Ménilmontant (Paris). CINÉMA

Quand Hicham Ayouch se fait un prénom Le frère du réalisateur marocain Nabil Ayouch propose un film qui n’est pas sans rappeler ceux de Truffaut et de Cassavetes.

D

écidément,lecinémamarocain ne cesse de nous surprendre par sa créativité. À peine a-t-il obtenu le grand prix – l’Étalon d’or – au Fespaco grâce à Pégase, un étonnant long-métrage psychologicofantastique de Mohamed Mouftakir, qu’il propose dans les salles françaises à partir du 6 avril, quelques mois après sa sortie au Maroc, un autre premier film des plus originaux. Avec Fissures, Hicham Ayouch, le frère du célèbre réalisateur Nabil Ayouch, propose, selon ses propres termes, un « ofni », un objet filmique non identifié. Pour qualifier cette œuvre expérimentale à la frontière entre une vidéo d’art contemporain – l’œuvre a d’ailleurs été montrée récemment au prestigieux musée d’Art moderne de New York, le MoMa, et à la Tate Gallery de Londres – et un film genre nouvelle vague revisitée, certains ont évoqué François Truffaut et John Cassavetes. Cette histoire d’amour peu conventionnelle tournée à toute allure en douze jours dans un climat de totale improvisation offre un scénario à la Jules et Jim: deux hommes sont amoureux de la JEUNE AFRIQUE

le plus Hicham Ayouch après ces semaines d’« enquête » caméra au poing ? Que tant de gens dans le monde arabe, manifestant un changement dans leur rapport à leur identité, commencent à penser et à s’exprimer en tant que « je ». Alors que presque toute la place était jusqu’ici occupée par le « nous », le « on », la famille, la religion, le « système », tout à coup ils osent parler en leur nom propre pour réclamer « le droit de vivre comme ils en ont envie ». En cessant de courber l’échine devant les figures de l’autorité. Ce qui n’implique, ajoute-t-il aussitôt, aucun modèle à suivre, puisque, pour certains, il s’agira de souhaiter un progrès de la démocratie ou de la laïcité, pour d’autres un projet islamiste, pour d’autres encore la possibilité de suivre des voies inexplorées. « L’important, c’est que l’on puisse enfin s’affranchir des tabous », y compris, au Maroc, des plus tenaces, comme ceux qui concernent « le roi et sa sacralité ». Même si la monarchie, préciset-il, n’est pas un problème en soi, puisque rien n’interdit d’aller vers une monarchie constitutionnelle.

même femme et tous trois vivent de jour comme de nuit des situations intenses dans le décor naturel d’une ville mythique qui se nomme Tanger, où ils dérivent à la recherche d’émotions nouvelles. Le style du film et le jeu des acteurs qui déploient une énergie sans limite font penser à l’occasionaucinémadel’auteurcultedeFaces, Shadows et Gloria. De tels parrainages sont cependant « L’important, c’est de s’affranchir un peu lourds à porter pour des tabous, y compris ceux un jeune réalisateur proposant un film qui ne saurait concernant le roi et sa sacralité. » laisser indifférent mais qui, par moments, ressemble à un brouillon. Le futur film ne sera pas un simple docuAvec des scènes très fortes et très réussies mentaire. Hicham Ayouch le transformera et d’autres qui ne sont guère abouties. peut-être avec des scènes de fiction en Rien d’étonnant à ce que Hicham une œuvre « transgenre ». Revenu dans Ayouch, qui a tourné Fissures comme on l’Hexagone pour accompagner la sortie chante un hymne à la liberté et au droit de Fissures à Paris, il fait une pause le de vivre comme on l’entend, au risque temps d’y réfléchir. L’occasion aussi, alors de choquer, et quoi qu’il puisse vous en qu’il a commencé à travailler sans aucun coûter, soit aujourd’hui passionné par les soutien, grâce aux revenus qu’il a tirés événements qui agitent le monde arabe et notamment de diverses collaborations à plus particulièrement le Maroc. Quittant des projets de cinéma au Proche-Orient, de plus en plus souvent pour de longs de chercher des partenaires pour donner séjours dans le royaume son quartier de plus d’assise à cette production. ● Ménilmontant, à Paris, il a même décidé RENAUD DE ROCHEBRUNE N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Culture médias

jeune afrique .com

Ý Lire l’intégralité de l’interview de Daniel Maximin

Daniel Maximin « Les graffitis sur les murs font tomber les murs » Commissaire de l’« Année des outre-mer », l’écrivain guadeloupéen, ancien directeur littéraire de Présence africaine, a fait de la lutte contre les préjugés un combat quotidien.

R

omancier, poète et essayiste guadeloupéen,DanielMaximin est cette année le commissaire de « 2011, année des outremer », qui verra les horizons les plus lointains de la France s’inviter dans nombre de manifestations culturelles. Une exposition au Grand Palais sur les rencontres entre le poète Aimé Césaire et les peintres cubistes Wifredo Lam et Pablo Picasso. Un colloque sur l’esclavage au musée du Quai Branly. Une fête de la musique ultramarine, le 21 juin. Et bien d’autres événements encore, qui prouvent à quel point la France reste un pays de métissage. Rencontre avec un humaniste, quelques heures avant qu’une plaque en l’honneur de Césaire ne soit posée au Panthéon, le 6 avril. JEUNE AFRIQUE : Une Année des outremer, pour quoi faire ? DANIEL MAXIMIN : Pour lutter contre

les préjugés sur ces régions méconnues, mal connues, inconnues ou, pis encore, vues à travers des lunettes trop claires ou trop noires. C’est soit le paradis terrestre, soit l’enfer des raz-de-marée et des éruptions volcaniques. Et il faut ajouter à cela l’esclavage pour certains et la colonisation pour tous ! Bien entendu, ce ne sont ni des paradis ni des enfers, mais des humanités créées par addition de ce que Césaire appelle des « débris de synthèse ». Il a fallu quatre continents pour faire une île comme la Guadeloupe: l’Europe, l’Afrique, l’Asie, l’Amérique ! Qu’allez-vous privilégier ?

Il s’agit de montrer les blessures, mais aussi les espérances. L’outre-mer n’est pas un conglomérat des attardés de l’Histoire! Prenons l’exemple de la lutte contre les risques naturels. De la même manière que le Japon sait construire des tours qui bougent sans s’écrouler pendant les N 0 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

séismes, la case polynésienne ou guadeloupéenne est faite pour résister aux cyclones mieux que la villa à baies vitrées! Le rapport à la nature est plus équilibré qu’en Europe, où l’idée de domination de l’homme sur son environnement a été prédominante pendant trois siècles. Aux Marquises, il est possible de construire un hôpital dont la climatisation se fera avec de l’eau de mer, gratuite et illimitée, plus facilement qu’à Paris. Pourquoi invite-t-on une « région » qui fait partie de la France ?

Il existe des différences culturelles tellement profondes ! On ne connaît pas assez les danses des Marquises, celles des Noirs marrons de Guyane ou le maloya de la Réunion, qui vient d’être inscrit par l’Unesco au patrimoine de l’humanité, comme les polyphonies corses. Les manifestations ne sont pas des événements spécifiques dotés d’un budget et d’un programme qui serait le

S’agit-il, pour l’Europe, de se recroqueviller sur sa richesse sans tenir compte des mondes dans lesquels elle a été impliquée au cours de l’Histoire – à savoir tout le Tiers Monde ? L’outremer a vocation à rappeler que nous sommes dans l’ère du proche et non de l’étranger absolu ! Elle vient prouver à la France qu’elle est un pays de métissage. La révolution a été faite en métropole et dans les colonies de l’époque, en même temps. L’abolition de l’esclavage, en 1794, est la conséquence directe de la Déclaration des droits de l’homme de 1793. S’il n’y avait pas eu l’abolition, la déclaration ne devenait pas universelle – elle ne concernait que quelques métropolitains. Il existe une liaison très étroite entre l’histoire de la France et celle des outre-mer, qui accomplissent le projet français. Ce discours n’est pas dans l’air du temps, si l’on regarde les scores du Front national ou si l’on écoute les discours de ministres de l’Outre-Mer comme Brice Hortefeux et Claude Guéant !

L’outre-mer est là pour montrer que la France, dans son histoire, sa culture, ses institutions, est ultramarine. Que

Africaine, asiatique, américaine, la France est ouverte à cette pluralité dont elle est née. nôtre. L’essentiel du travail a consisté à demander aux institutions, festivals, régions, grandes villes, de s’impliquer. Évidemment, nous sommes force de proposition et de coordination. Nous voulons faire connaître le festival de gwo ka de la Guadeloupe à Marseille et en Nouvelle-Calédonie. Chacun doit quitter ses enfermements. L’outre-mer, c’est une certaine image de la France ?

L’outre-mer montre une France plus grande, plus large, plus diverse. S’agit-il de se fermer sur des identités closes inventées pour se protéger de l’autre ?

seraient Hugo et Lamartine s’ils étaient enfermés dans un hexagone? Victor Hugo a écrit Bug-Jargal, le premier roman à célébrer la victoire contre l’esclavage à Saint-Domingue puis en Haïti, lorsqu’il avait 17 ans ! Et Lamartine, en 1850, rend hommage à Toussaint-Louverture, grand héros de la Révolution, père de la future Haïti, enlevé par Napoléon et mort au fort de Joux ! La France, c’est le pays qui a le plus synthétisé d’influences du Nord – l’habeas corpus britannique – et du Sud – la Renaissance italienne… Quant à la question coloniale, l’erreur serait de croire que les influences se sont faites à sens unique! JEUNE AFRIQUE


Culture médias Ý L’AUTEUR DE TU, C’EST L’ENFANCE, Grand Prix de l’Académie française 2004.

jeunes d’aujourd’hui, comme les slameurs de NouvelleCalédonie. Il s’agit pour nous de montrer aussi les pousses et tout ce qui est à l’œuvre en ce moment. La poésie est en général discrète, parfois même secrète, et elle parle quand on la laisse parler, c’est-à-dire toujours dans les moments essentiels, les grandes révoltes, les grands bouleversements. Les graffitis sur les murs font tomber les murs, de Berlin jusqu’au Maghreb. Césaire aurait-il apprécié de se retrouver au Panthéon, dans la grisaille parisienne ?

RICHARD DUMAS/AGENCE VU

Le fait de poser une plaque au Panthéon, c’est une manière de reconnaître que la République, et non pas l’État d’aujourd’hui ou le gouvernement du moment, reconnaît la valeur d’un des grands hommes du siècle. La retransmission de cette cérémonie en direct donne à connaître l’homme et sa poésie. Il suffit qu’un jeune garçon se dise alors « j’ai envie de le lire » pour que le pari soit gagné.

La France est devenue africaine, asiatique, américaine. Sa culture est ouverte à cette pluralité dont elle est née. L’avocat du diable dirait que la machine à intégrer semble grippée…

Il y a toujours eu volonté d’assimilation. C’est l’une des fragilités du système culturel français: avoir pensé au moment de la Révolution, avec l’abbé Grégoire, ce grand pourfendeur de l’esclavage, que plus on est pareils, plus on pourra être égaux. Ainsi, tout le monde devait parler français. Pourquoi ? Parce que la France n’était pas un pays de « mêmes », mais d’altérités. Ce schéma a perduré, y compris dans les colonies, et en ce qui concerne l’immigration. Mais c’est parce qu’elle reçoit beaucoup que la France invente le discours de l’assimilation. L’Année des outre-mer, c’est la créolisation plutôt que l’assimilation ?

Oui, bien sûr ! On créolise le Grand Palais en montrant l’extraordinaire JEUNE AFRIQUE

connivence et la fraternité créatrice qu’il y a eu entre Césaire, le poète martiniquais, Wifredo Lam, le peintre cubain de père chinois, et Picasso, l’artiste espagnol. Créoliser, c’est montrer non pas que nous sommes seuls créoles, mais que le monde est créole. Tout au long de l’année, Césaire sera honoré. Ne pensez-vous pas que cette forme de béatification occulte le reste ?

Quand Césaire est mort, beaucoup de personnes l’ont découvert. Son corps est parti, mais cela ne fait aucune différence pour la lecture du Cahier d’un retour au pays natal ou de ses grands poèmes d’espérance écrits à 90 ans. Mais les autres sont là aussi. L’anthologie publiée par Le Printemps des poètes aux Éditions Bruno Doucey, rassemble des auteurs des douze régions, de Saint-Pierre-etMiquelon à Wallis-et-Futuna en passant par la Calédonie et la Polynésie. On y retrouve des classiques, mais aussi des

Et votre pari, celui de lutter contre les préjugés ?

Regardez comme les gens ont été surpris d’assister aux révoltes dans les pays arabes. Ils pensaient qu’ils étaient totalement sous l’emprise de religions ou de dictateurs. Mais n’importe quel peuple peut se révolter. Les gens ne sont pas des idiots qui écoutent des discours écrits pour les endormir. Ce n’est pas l’Année des outre-mer qui va faire chuter Le Pen, mais Le Pen est dérangé par l’outre-mer. N’oubliez pas qu’il n’a pas pu débarquer en Martinique ! C’est le seul endroit du territoire où on lui a dit : « Non, avec ce que tu dis là, tu ne viens pas ! » Et ce sans haine, de manière sereine. C’est là toute la puissance du réel face à un certain discours. ● Propos recueillis par NICOLAS MICHEL N 0 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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Culture médias En vue

■ ■ ■ Décevant

■ ■ ■ Pourquoi pas

■ ■ ■ Réussi

■ ■ ■ Excellent

DÉCOUVERTE

Voir Kinshasa et partir AFROBEAT

Tel père, e tel fils QU’A LAISSÉ derrière lui Fela Kuti, grand manitou de l’afrobeat, décédé en 1997 ? Le souvenir dx’un magnétisme brûlant, d’une intensité étourdissante. Des pépites de musique guerrière, où funk, jazz, soul, rythmes africains se mélangent avec ferveur. Et des héritiers dignes de son nom, Femi et Seun. Ils ont la même énergie, le verbe tout aussi haut. Seun, le cadet, est né en 1982. Dans son deuxième album, produit, entre autres, par le Britannique Brian Eno, célébrité du monde de la pop, accompagné par Egypt 80, le groupe de Fela, il fait feu de tout bois pour éveiller les consciences de la jeunesse africaine et donne du sens à l’adage populaire : « tel père, tel fils ». ● PATRICK LABESSE From Africa With Fury : Rise de Seun Kuti & Egypt 80 (Because Music) ■■■

COMPILATION

Flirt musical APRÈS le magnifique coffret en 18 CD Africa 50 Years of Music (2010), le producteur Ibrahima Sylla lance une nouvelle série de pépites. Avec pour fil rouge Cuba, dont les rythmes ont profondément influencé nombre de musiciens dans l’histoire musicale des métropoles africaines, notamment à Dakar et à Kinshasa, les deux premières escales significatives choisies pour ouvrir la série. Accompagnés d’un livret fort instructif, des carnets de bord passionnants qui racontent l’histoire d’un flirt musical poussé ayant produit de très beaux résultats. ● P.L.

Dans une écriture ciselée, Marie-Louise Bibish Mumbu raconte le ras-le-bol des Kinois en quête d’une vie meilleure.

«

A

ssise sur le siège 1 9 A d e l’a i rbus A330 d’Air France à destination de Paris », Samantha s’envole vers un nouvel avenir. Loin de la RD Congo, un « pays en sursis », où le bruit des bottes et des armes lourdes empiète sur les « espaces de rêve » et où les femmes violées sont devenues banalité. Et pourtant, la jeune journaliste s’interroge : a-t-elle raison de « partir pour ne plus revenir » ? Avec tendresse, elle se souvient de sa ville, Kinshasa, et de ses amis. Des enfants de la rue et des filles du trottoir. Des arriérés de salaire et des coupures d’électricité. Des années de la zaïrianisation et de celles des guerres assassines. Elle croque des scènes du quotidien congolais traversées par les sapeurs, les politiciens et toute une jeunesse qui lutte pour sa survie et vomit sa « honte de ses dirigeants ». Elle dit aussi, explique MarieLouise Bibish Mumbu, « l’amour de soi et de son pays ». Cette pièce, commente l’auteure congolaise,

« c’est un ras-le-bol, une urgence de mieux ». Une exigence qu’elle partage avec son personnage. Installée depuis peu à Montréal, cette ancienne journaliste culturelle et ex-administratrice de la compagnie de Faustin Linyekula aime jouer avec les mots. Son écriture ciselée, poétique, révèle une sensibilité à fleur de peau. Cette adaptation du roman éponyme, Samantha à Kinshasa (Le Cri/Afrique Éditions), est une mise en séquences qui jongle avec les couleurs, les murmures citadins, les sons bruts et les mélodies. Une acrobatie quelque peu maladroite qui ne parvient pas toujours à suivre la vitalité et la richesse du texte original, malgré le talent de l’actrice, Alvie Bitemo. ● SÉVERINE KODJO-GRANDVAUX

Samantha à Kinshasa, de Marie-Louise Bibish Mumbu, avec Alvie Bitemo et Benoist Bouvot, jusqu’au 9 avril au Tarmac (La Villette), à Paris. ■■■

PATRICK FABRE

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Afrolatin Via Dakar et Afrolatin Via Kinshasa (Syllart Productions – Discograph) ■■■ N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

JEUNE AFRIQUE


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PHILOSOPHIE

LE PHILOSOPHE sénégalais, enseignant à Columbia (New York), Souleymane Bachir Diagne a consacré plusieurs travaux au premier président de son pays, Léopold Sédar Senghor, et aupèrespirituelduPakistan,Mohamed Iqbal. Le lien entre ces deux penseurs de la décolonisation? Henri Bergson et ses concepts de durée et d’élan vital. Ce lien offre, par exemple, une nouvelle lecture de l’alexandrin tant décrié « l’émotion est nègre comme la raison hellène ». « Cette autre approche dont parle Senghor à la suite de Bergson est celle de l’émotion dont l’étymologie (é-motion) […] souligne l’idée d’une primautédumouvementdansl’actede connaître. » Cela revient à comprendre les choses dans leur évolution et non à les figer pour les connaître. « Dans la différence ainsi établie entre “hellène” et “nègre”, il ne s’agit pas de deux âmes mais de deux profondeurs de l’âme. » Contrairement à ce que les critiques de Senghor ont affirmé, le philosophepoèten’adoncpasfaitsiennelathéorie de la « mentalité primitive » prélogique séparant l’humanité de l’homme noir de celle du blanc. ● S.K.-G. Bergson postcolonial. L’élan vital dans la pensée de Léopold Sédar Senghor et Mohamed Iqbal, de Souleymane Bachir achir Diagne, Dia CNRS Éditions, 128 pages, 8 euros. ■■■

MARTIN PARR/MAGNUM PHOTOS

Senghor autrement

EXPOSITION

An Englisman in Barbès TOUT COMMENCE EN 2009, lors des Rencontres photographiques de Bamako. C’est là, au Mali, que la directrice de l’Institut des cultures d’Islam (ICI), Véronique Rieffel, fait la connaissance de Martin Parr – qui expose alors son travail sur les riches au Palais de la culture. Germe aussitôt l’idée d’inviter le Britannique à travailler sur la Goutte-d’Or, sans doute le quartier de Paris le plus connu des Africains. « Je suis allée le voir à Bristol, dans sa maison, raconte Véronique Rieffel. Il m’a servi un thé à

« The Goutte d’Or ! », de Martin Parr, du 6 avril au 2 juillet 2011 à l’Institut des cultures d’Islam (Paris)

NOUVELLES

CES  IMPROVISATIONS AMOUREUSES  s’ouvrent sur un instant de grâce : « Elle portait une robe d’été ; nous étions en hiver, mais il lui suffisait de marcher pour qu’on pense au printemps. » Hélas, la suite ne tient pas cette promesse de légèreté. Le Franco-Sénégalais Mamadou Mahmoud N’Dongo n’a rien perdu de son sens de la formule ni de son goût pour les innovations stylistiques, mais cela ne suffit pas pour faire un bon recueil de nouvelles. Les scènes du quotidien et autres histoires extraordinaires qui constituent Mood Indigo semblent être les brouillons d’un travail inachevé. ● FABIEN MOLLON YAOUNDÉ

1 • Nelson Mandela, Conversations avec moi-même,

La Martinière, 494 pages, 22 000 F CFA

2 • Le Savoir-Vivre, Guide des règles et des usages

d’aujourd’hui, Larousse, 318 pages, 11 000 F CFA

3 • L’Enfant noir, Camara Laye, Pocket, 221 pages, 5 000 F CFA

4 • L’Art de l’arnaque en Afrique, tome I : Les Feymen, les escrocs les plus dangereux, Globoscare, 216 pages, 5 000 F CFA 5 • Rois et Royaumes bamiléké, Les Éditions du Schabel, JEUNE AFRIQUE

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Mood Indigo, de Mamadou Mahmoud N’Dongo, Gallimard, 242 pages, 18 euros. ■ ■ ■

Un air d’inachevé

LES MEILLEURES VENTES À...

236 pages, 38 500 F CFA

l’anglaise, dans un mug Ben Laden… » Et elle a réussi à le convaincre de venir passer une semaine à Paris. Il a promené son objectif entre le marché Dejean, le magasin Kata, la boutique Connivence bien connue des sapeurs congolais, la mosquée de la rue Polonceau… Sur les 2000 photos qu’il a prises, trente-cinq sont exposées jusqu’au 2 juillet à l’ICI, dont cinq en grand format (180x120 cm). L’humour de Parr, cette fois plutôt tendre, fait merveille pour raconter un quartier richement cosmopolite. ● NICOLAS MICHEL

LIBRAIRIE MESSAPRESSE

Yaoundé 1

LES CAMEROUNAIS vouent à Nelson Mandela une admiration sans borne et le prouvent. Soucieux de bonnes manières, ils se ruent ensuite sur un manuel de savoir-vivre, avant d’effectuer un saut dans le passé, à la redécouverte de la littérature de leur enfance (Camara Laye). Mais ils se renieraient s’ils boudaient L’Art de l’arnaque en Afrique… ou les Rois et Royaumes bamiléké. ● N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011


ANNONCES CLASSÉES

Concernant cette rubrique, adressez-vous à Fabienne Lefebvre -Tél. : 01 44 30 18 76 - Fax : 01 44 30 18 77 - Email. : f.lefebvre@jeuneafrique.com DIFCOM Régie publicitaire centrale du Groupe Jeune Afrique - 57 bis, rue d’Auteuil 75016 Paris - France

MINISTERE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES SECRETARIAT GENERAL DIRECTION DES MARCHES PUBLICS

BURKINA FASO Unité-Progrès-Justice

Ouagadougou, le 25 mars 2011 N° 2011/00022/MEF/SG/DMP

SOLLICITATION DE MANIFESTATION D’INTERET INTERNATIONAL POUR LE RECRUTEMENT D’UNE SOCIETE CHARGEE DU PROGRAMME DE VERIFICATION DES IMPORTATIONS (PVI) DU BURKINA FASO

Manifestation d’intérêt

Financement : Budget de l’Etat 1. Objet Dans le cadre de la stabilisation de l’économie nationale, le Burkina Faso a entrepris un Programme de Vérification des Importations (PVI) applicable depuis 1993. Le dernier contrat d’exécution arrivant à terme, le Gouvernement du Burkina Faso a décidé de poursuivre le programme par le recrutement d’une société d’inspection pour une durée d’un an renouvelable deux (2) fois. Pour permettre la réalisation de cette activité, le Directeur des Marchés Publics du Ministère de l’Economie et des Finances lance un avis de manifestation d’intérêt pour le recrutement d’une société chargée du Programme de Vérification des Importations (PVI) du Burkina Faso. 2. Mandat La société qui sera retenue pour cette mission travaillera en étroite collaboration avec le Ministère de l’Economie et des Finances ainsi que le Ministère de l’Industrie, du Commerce, de la Promotion de l’initiative Privée et de l’Artisanat (MCPIPA), notamment la Direction Générale des Douanes et la Direction Générale de la Promotion du Secteur Privé. Elle aura les tâches et obligations suivantes : A. Tâches 1. Inspecter les marchandises importées dont la valeur FOB est égale ou supérieure au plancher fixé, y compris les livraisons partielles si leur valeur totale est égale ou supérieure à ce plancher. Le contrôle des marchandises importées devra être effectué dans le pays du fournisseur ou dans celui du sous-traitant ou encore dans le pays du port d’embarquement. 2. Procéder à des inspections sur les Déclarations Préalables d’Importation (DPI) non soumises sur demande de l’Administration. 3. Inspecter la qualité et la quantité pour déterminer si les marchandises sont conformes aux spécifications et aux quantités indiquées sur les factures, les commandes ou les offres d’achat. 4. Effectuer une inspection physique (visuelle ou autre) sauf disposition contraire du contrat ou accord spécial se référant à la transaction. Au besoin, elle consistera en une vérification des caractéristiques (assistance aux essais, contrôle des procès verbaux d’essais et des certificats concernant les matières premières). En outre, des tests plus détaillés, y compris les analyses en laboratoire pourront être effectués si nécessaires tels que les méthodes de fabrication, de conservation, de conditionnement et les contrôles à la production. 5. Procéder à une comparaison des prix des marchandises dans le pays fournisseur afin de voir sur la base des renseignements disponibles, si les différents éléments du prix dans le montant total facturé par les fournisseurs étrangers pour lesdites marchandises correspondent dans les limites raisonnables, aux niveaux des prix d’exportation généralement en vigueur dans le pays fournisseur, ou le cas échéant au prix sur le marché mondial. 6. Identifier et signaler sur la base de la comparaison des prix, les commissions payables à des bénéficiaires burkinabè et étrangers ainsi que les compensations de tout ordre qui pourraient affecter la valeur mentionnée sur les factures et les contrats. 7. Mettre en évidence tous les éléments constitutifs de la valeur conformément à la valeur OMC (royalties, apports, ajustements, etc.). 8. Opérer des redressements de valeur et en fournir les bases à l’Administration. 9. Identifier tous cas d’importations surfacturées ou sous facturées et en aviser les autorités compétentes. 10. Constituer un fichier valeur. 11. Apporter un concours à l’administration dans le cadre de la modernisation et du suivi du transit. 12. Apporter son appui à la lutte contre la fraude et les trafics illicites. 13. Convenir avec l’Administration d’une procédure permettant le contrôle de la régularité des importations effectuées par les opérateurs économiques. 14. Apporter un appui logistique à la capacité opérationnelle des conseillers chargés des questions douanières auprès des Missions Diplomatiques. 15. Assurer au moins quatre (04) formations par an au profit de l’Administration douanière. 16. Venir en appui au Ministère de l’Economie et des Finances et au Ministère de l’Industrie, du Commerce, de la Promotion de l’Initiative Privée et de l’Artisanat (MCPIPA) dans les domaines qu’ils jugeront utiles. B. Obligations 1. Délivrer pour chaque intervention, un certificat attestant ou non que l’inspection donne des résultats satisfaisants sur les plans de l’espèce, de la qualité, de la quantité et de la valeur. Des copies de ces certificats seront remises au vendeur, à l’importateur et à l’Etat si l’inspection a lieu avant embarquement ; et à défaut lorsqu’une inspection a lieu à destination, la société d’inspection transmettra directement les résultats à l’administration douanière ; 2. Fournir au Gouvernement des rapports mensuels portant sur : - le volume des DPI soumises et non soumises par pays de provenance, par chapitre douanier, par devise et par importateur ; - le volume des attestations de vérification par pays de provenance, par importateur, par chapitre douanier, par groupe de produits, par devise, par mode de transport et leur tendance par rapport aux périodes précédentes ; - la valeur des marchandises inspectées par pays de provenance et par chapitre douanier 3. Transmettre hebdomadairement à l’Administration : - les attestations de vérifications non retirées ; - la liste des DPI ayant fait l’objet de remplacement ; 4. Emettre des avis sur les courants de fraude dont elle a connaissance à travers ses antennes et mettre en place un service effectif de renseignements douaniers. 5. Fournir un rapport trimestriel portant sur les économies des devises, les sous facturations, les surfacturations, les commissions payables à des burkinabé et étrangers et les écarts relatifs à la qualité ; 6. Fournir un rapport trimestriel portant sur l’évolution des cours mondiaux de certains produits essentiels qui seront définis par l’Administration ; 7. Doter les conseillers chargés des questions douanières auprès des missions diplomatiques de moyens de déplacement, de communication et d’information ; 8. Apporter un appui logistique en moyens roulants et en matériels de communication aux brigades dans le cadre du suivi du transit ;

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JEUNE AFRIQUE


9. Fournir un rapport annuel détaillé des activités et réalisations. Ces rapports doivent intervenir trois (03) mois avant la fin de l’année pour les deux premières années d’exercice et six (06) mois avant la fin du contrat ;

10. Assurer au moins quatre (04) formations dans l’année, soit une par trimestre, au profit de l’Administration douanière dont les thèmes et les modalités sont à déterminer en étroite collaboration avec elle ;

11. Appuyer l’Administration douanière et la Direction Générale de la Promotion du Secteur Privé dans les domaines que ces dernières jugeront utiles, notamment l’ouverture du système informatique aux commissaires en douane agréées ;

12. Améliorer le système d’informatisation et une meilleure sécurisation de la gestion des exonérations douanières ; 13. Améliorer le système de gestion des risques pour l’accroissement de la fluidité et la sécurisation des opérations de dédouanement des marchandises.

3. Participation Le présent avis de manifestation d’intérêt est ouvert à égalité de conditions aux personnes morales installées au Burkina Faso ou à l’extérieur et remplissant les conditions fixées par le Décret N° 2008-173 /PRES/PM/MEF portant règlementation générale des marchés publics et des délégations de service public au Burkina Faso. Le Président de la Commission d’Attribution des Marchés du Ministère de l’Economie et des Finances invite les candidats admissibles à manifester leur intérêt à fournir les services décrits ci-dessus. Les candidats intéressés doivent fournir les informations indiquant qu’ils sont qualifiés pour exécuter les services. Il s’agit notamment : • de la présentation de la société, ses domaines de compétences ainsi que son statut juridique ; • des références des prestations antérieures de même nature ou similaires exécutées ; • des moyens disponibles (humains et logistiques) pour assurer les missions confiées ; • de l’adresse complète : localisation, personne à contacter, boîte postale, téléphone, fax, email, etc. 4. Dépôt de candidature Les expressions d’intérêts devront parvenir au guichet de la Direction des Marchés Publics sis guichets de renseignement du bâtiment R+5 du Ministère de l’Economie et des Finances 03 BP : 7012 Ouagadougou 03 ; Tél. 50 47 20 69 ou 50 32 42 70 au plus tard le vendredi 22 avril 2011 à 09h00. 5. Procédure de sélection Un consultant sera sélectionné en accord avec les procédures définies dans le Décret N° 2008-173 /PRES/PM/MEF portant règlementation générale des marchés publics et des délégations de service public au Burkina Faso. 6. Renseignements complémentaires Les consultants intéressés peuvent obtenir des informations supplémentaires au guichet de la Direction des Marchés Publics sis guichets de renseignement du bâtiment R+5 du Ministère de l’Economie et des Finances 03 BP : 7012 Ouagadougou 03 ; Tél. 50 47 20 69 ou 50 32 42 70. Les termes de références peuvent y être consultés ou retirés gratuitement. 7. Réserves L’administration se réserve le droit de ne donner aucune suite à tout ou partie du présent avis de sollicitation de manifestation d’intérêt. Le Directeur des Marchés Publics Joachim ZONGO Chevalier de l’Ordre du Mérite Burkinabè

REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO - COMITE DE PILOTAGE DE LA REFORME DES ENTREPRISES DU PORTEFEUILLE DE L’ETAT

Sources de financement : Crédit IDA 3815 - DRC N° Avis à manifestation d’intérêt : 006/COPIREP/SE/03/2011 Date de publication: 31/03/2011 - Date de clôture : 14/04/2011 - Poste : Auditeur interne du COPIREP

Introduction Le Gouvernement de la République Démocratique du Congo a conclu le 11 août 2003 avec l'Association Internationale de Développement (IDA) l'Accord de Crédit 3815 de DTS 87100 000. Cet accord de crédit a été complété le 26 mai 2008 par l'Accord de financement additionnel sous forme de Don H366 portant sur un montant de DTS 37 500 000. Ledit Gouvernement a l'intention d'utiliser une partie de ces fonds pour effectuer les paiements au titre d'un contrat de services de consultant à conclure avec un expert national qui sera chargé d’appuyer l’équipe de direction du COPIREP dans tous les aspects de l’audit interne du projet PCDSP. Durée de la mission Le Contrat sera d’une année renouvelable assortie d’une période probatoire de 6 mois. Profil du candidat recherché Le consultant (individu) devra justifier des qualifications minimales suivantes : - Avoir un diplôme de l’enseignement supérieur (bac +5) en sciences commerciales ou équivalent. La détention d’un diplôme d’un ordre professionnel comptable reconnu (IFAC, FIDEF…) ou d’expertise comptable agréé ou de Licence ou Master du type DESS Audit, MSTCF, DECF, DESCF, d’une Ecole de Commerce, serait un atout ; - Justifier d’une expérience d’au moins cinq années dans des activités similaires, à un niveau de responsabilité dans une entreprise, une administration, un projet, de préférence dans les projets financés par la Banque mondiale, BAD, FIDA, Union Européenne ou un bureau d’études ; - Etre familiarisé avec les procédures en usage chez les bailleurs de fonds et avoir une bonne connaissance des procédures et directives de la Banque mondiale en matière de gestion financière et de passation de marchés. Une expérience pratique dans la gestion des projets de développement serait un atout ; - Avoir une expérience avérée dans la conduite des équipes d’audit (interne/externe) en cabinet, dans une entreprise ou dans un projet. Une expérience dans la mise en place de service ou département d’audit interne dans une entreprise, dans un département ou unité de gestion de projet serait un avantage significatif ; - Etre capable de travailler sous pression et faire preuve d’un esprit d’indépendance ;

JEUNE AFRIQUE

- Avoir une parfaite maitrise de l’outil informatique et de logiciels de base (MS Excel, Word, PowerPoint...). La connaissance d’un logiciel comptable serait un atout ; - Avoir une parfaite maitrise du français écrit et parlé. La connaissance de l’Anglais serait un atout ; Avoir une grande capacité d’analyse, de synthèse, d’organisation et d’ordre. Renseignement et dépôt des candidatures Les consultants intéressés peuvent obtenir des informations supplémentaires au sujet des termes de référence à l’adresse ci-dessous et aux heures suivantes du lundi au vendredi, de 9 à 16 heures locales (TU +1) Un candidat sera sélectionné conformément aux procédures définies dans les Directives : Sélection et Emploi de Consultants par les Emprunteurs de la Banque mondiale édition mai 2004, révisées en octobre 2006 et en mai 2010. Le COPIREP invite les candidats (individus) intéressés à fournir les services décrits ci-dessus à soumettre leurs candidatures en présentant les informations pertinentes démontrant (i) leurs expériences et les références dans le domaine d’audit et de l'exécution de contrats similaires, et (ii) leurs qualifications et expertise à exécuter avec succès les services requis. Les candidats devront démontrer obligatoirement leur capacité à travailler en français. Les manifestations d’intérêt rédigées en langue françaises doivent parvenir par courrier ou par email à l’adresse ci-dessous au plus tard le 14 avril 2011 avant 16 heures 00 (heures locales) et doivent être clairement marquées « Manifestation d’intérêt pour le Recrutement d’un Auditeur interne du COPIREP. Comité de Pilotage de la Réforme des Entreprises du Portefeuille de l’Etat (COPIREP) Secrétariat Exécutif / Cellule de Passation des Marchés Immeuble SOFIDE, Croisement des av. Lemarinel et Kisangani, n° 9-11 Kinshasa / Gombe – République Démocratique du Congo Tél.: + 243 15 10 10 00 – Site Web : www.copirep.org ILUNGA ILUNKAMBA Secrétaire Exécutif

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Manifestation d’intérêt

Avis à manifestation d’intérêt


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Annonces classées Unité – Travail – Progrès

REPUBLIQUE DU TCHAD PRIMATURE MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE SECRETARIAT D’ETAT A L’EDUCATION NATIONALE SECRETARIAT GENERAL DIRECTION GENERALE DE LA PLANIFICATION ET DE L’ADMINISTRATION DIRECTION DES PROJETS EDUCATION PROJET D’APPUI A LA REFORME DU SECTEUR DE L’EDUCATION AU TCHAD

DEMANDE DE MANIFESTATIONS D’INTERET N° 011/MEN/SE/SG/DGPA/DPE/PARSET/11 PROJET D’APPUI A LA REFORME DU SYSTEME DE L’EDUCATION AU TCHAD

Manifestation d’intérêt

Recrutement d’un Cabinet chargé de l’Audit des comptes des exercices 2011, six (06) mois de 2012 ainsi que la clôture du projet au 30 juin 2012 1. Le Gouvernement de la République du Tchad a obtenu un financement de l’Association Internationale de Développement (IDA) pour la mise en œuvre du Projet d’Appui à la Réforme du Secteur de l’Education au Tchad (PARSET). Une partie de ce fonds sera utilisée pour financer les travaux d’audit des états financiers pour les exercices 2011, six (06) mois de 2012 ainsi que la clôture du projet au 30 juin 2012. 2. Les services comprennent entre autres : (1) l’étendue de l’audit : l’Auditeur doit s’assurer que (i) toutes les ressources extérieures ont été employées conformément aux Accords de financement applicables, dans un souci d’économie et d’efficience, et uniquement aux fins pour lesquelles elles ont été octroyées en vue d’atteindre les objectifs de développement du projet ; (ii) les biens et services financés ont fait l’objet de marchés passés conformément aux dispositions des accords de financement applicables ; (iii) tous les dossiers, comptes et écritures nécessaires ont été tenus au titre des différentes opérations relatives au projet, y compris les dépenses couvertes par des relevés de dépenses ou les comptes spéciaux ; (iv) les fonds de contrepartie ont été obtenus et employés conformément aux accords de financement applicables, dans un souci d’économie et d’efficience et uniquement aux fins pour lesquelles ils ont étés fournis ; (v) la tenue des comptes spéciaux conformément aux dispositions de l’Accord de financement applicable ; (vi) les comptes du projet ont été préparés sur la base de l’application systématique des normes comptables OHADA et donne une image fidèle de la situation financière du projet à la fin de chaque exercice ainsi que des ressources reçues et des dépenses effectuées au cours de l’exercice clos à cette date ; (2) les états financiers ; (3) les relevés des dépenses : (i) l’Auditeur est tenu de vérifier, outre les états financiers, tous les relevés de dépenses présentés à l’appui des demandes de retraits de fonds ; (ii) il doit procéder à tous les contrôles et vérifications qu’il juge nécessaires en la circonstance ; (4) les comptes spéciaux : l’Auditeur est tenu de vérifier, en sus des états financiers, les mouvements de fonds sur les comptes spéciaux liés au projet : (a) les dépôts et les reconstitutions opérés par la Banque ; (b) les paiements effectués en réponses à des retraits de fonds ; (c) les intérêts que peuvent rapporter les soldes et qui reviennent à l’Emprunteur et ; (d) les soldes à la fin de chaque exercice ; et (5) les rapports de l’auditeur : a la fin de chaque exercice, l’auditeur est tenu de fournir (i) le rapport d’audit qui contiendra (a) l’opinion professionnelle de l’auditeur sur les états financiers du projet, les états financiers à proprement dits et les notes sur les financiers ; (b) l’opinion séparée sur les Relevés Des Dépenses (RDD) et (c) l’opinion séparée sur les comptes spéciaux relative à l’utilisation rationnelle et appropriée des fonds qui y sont déposés et le solde de clôture et (ii) le rapport sur le contrôle interne (Lettre à la direction ou Management Letter) rendant compte de toutes faiblesses du système, évaluant les risques liés à ces défaillances et proposant des recommandations pertinentes et pratiques assorties d’un plan d’actions et d’un chronogramme de mise en application et ; (iii) les états financiers y compris le rapport d’audit et la lettre à la direction devraient parvenir à la Banque Mondiale dans les six (6) mois suivant la clôture de l’exercice auquel l’audit se rapporte. 3. Le Ministère de l’Education Nationale, à travers la Coordination du PARSET, invite les candidats admissibles à manifester leur intérêt à fournir les services décrits ci-dessus. Les consultants intéressés doivent fournir les informations indiquant qu’ils sont qualifiés pour exécuter les prestations susmentionnées. Ils soumettront sous forme de brochures leurs références concernant l’exécution des contrats analogues, leurs expériences dans des conditions semblables, leur disponibilité, l’expérience de leur personnel et leurs connaissances du milieu. 4. Un Consultant sera sélectionné en accord avec les procédures définies dans les Directives : Sélection et Emploi de Consultants par les Emprunteurs de la Banque mondiale, Janvier 1997 mise à jour Septembre 1997, Janvier 1999, Mai 2002 et octobre 2006. 5. Les Consultants intéressés peuvent obtenir des informations supplémentaires au sujet des documents de références à l’adresse mentionnée ci-dessous et aux heures suivantes : • De 7 Heures à 15 Heures : de lundi à jeudi ; • De 7 Heures à 11 Heures : tous les vendredis. 6. Les manifestations d’intérêts doivent être déposées à l’adresse mentionnée ci-dessous au plus tard le 4 mai 2011. Coordination du PARSET Direction des Projets Education - Ministère de l’Education Nationale B.P. 1174 N’Djaména – Tchad Tél. 235 251 58 32 E.mail : barka_adams@yahoo.fr ; yorade2@yahoo.fr LE SECRETAIRE GENERAL DU MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE DR DONO HORNGAR J.Y. NELDITA

N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

JEUNE AFRIQUE


Annonces classées

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GROUPE DE LA BANQUE AFRICAINE DE DEVELOPPEMENT Agence Temporaire de Relocalisation

Département des services généraux et des achats Division des achats institutionnels - Fax: + (216) 71 83 52 49

AVIS DE PRE-QUALIFICATION - TRAVAUX DU NOUVEL IMMEUBLE ATR 2 A TUNIS ADB/PQI/CGSP/2011/0035 1. La Banque Africaine de Développement, ci-après dénommée la BAD, veut pré-qualifier des entrepreneurs et/ou groupements d’entreprise pour les travaux du nouvel immeuble ATR2 de la Banque à Tunis, en République de TUNISIE. Les travaux à réaliser sont regroupés en huit (8) lots distincts définis comme suit : Lot Lot Lot Lot Lot Lot Lot Lot

01 02 03 04 05 06 07 08

: IT et Equipements ; : Solution Intégrée de Vidéo Conférence : Electricité complémentaire : Groupe Electrogène ; : Onduleurs : Détection et Extinction Incendie ; : Climatisation complémentaire : Gestion Technique du Bâtiment

2. Peuvent être candidats à la pré-qualification les entreprises et groupements d’entreprises constitués conformément à la législation d’un pays membre de la BAD, installés à Tunis ou ayant une représentation disposant de toutes les installations nécessaires pour l’exécution correcte des travaux. Des candidatures peuvent être soumises pour un ou plusieurs lots susmentionnés 3. Les soumissionnaires intéressés, remplissant les conditions d’éligibilité peuvent se procurer le dossier de préqualification sur le site web de la Banque à l’adresse suivante : http://www.afdb.org/en/about-us/corporate-procurement/business-opportunities/current-solicitations ou en adressant leur demande à l’adresse électronique suivante : tender@afdb.org 4. Les candidatures de pré-qualification doivent être déposées en 5 exemplaires (1 original + 4 copies) sous enveloppe cachetée délivrée à l’adresse ci-après au plus tard le 19 mai 2011 à 15 heures (heures locales Tunis) et doivent être clairement marquées : “ Candidature de pré-qualification pour les TRAVAUX DU NOUVEL IMMEUBLE ATR 2 DE LA BANQUE A TUNIS Banque africaine de Développement Département des Services Généraux et des Achats Division des Achats Institutionnels - Immeuble EPI, Bloc B 2e étage – Bureau 2 A2 - 1002, Tunis Belvédère - Tunisie “ 5. Les candidats seront informés en temps voulu de la suite donnée à leur candidature. Seuls les entreprises et groupements d’entreprises pré-qualifiés dans le cadre de cette procédure seront appelés à soumissionner.

JEUNE AFRIQUE

N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Avis de pré-qualification

Les appels d’offres seront lancés en juin 2011 et les travaux devront débuter en août 2011 pour un délai d’exécution n’excédant pas 90 jours pour les lots 1 à 7 et de 120 jours pour le lot 8.


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Annonces classées REPUBLIQUE GABONAISE MINISTERE DE LA SANTE, DES AFFAIRES SOCIALES, DE LA SOLIDARITE ET DE LA FAMILLE

AVIS D’APPEL D’OFFRES INTERNATIONAL POUR LE RECRUTEMENT DE : • • • •

Un Un Un Un

physicien médical ; médecin radiothérapeute ; médecin spécialiste en médecine nucléaire ; manipulateur en radiothérapie.

1. Contexte et justification Le Gabon est en train de se doter d’un Institut de cancérologie pour prendre en charge convenablement les malades souffrants du cancer. Et en attendant le retour du personnel en formation, le gouvernement gabonais à besoin de recruter du personnel pour étoffer son équipe local afin d’assurer un fonctionnement convenable dès la mise en service de l’institut, prévue en novembre 2011.

Divers - Appel d’offres

2. Tâches et responsabilité Le physicien médical est responsable des équipements en radiothérapie et curiethérapie avec pour principale mission de : • Veiller au respect des normes de sécurité au cours de la construction • Approuver la qualité des équipements ; • Superviser l’installation des équipements et procéder à leur contrôle et leur mise au point ; • Déterminer la métrologie des rayonnements ionisants ; • Définir la qualité du recueil et de l’exploitation des données nécessaire à la réalisation des traitements ; • Garantir la conformité de chaque dose délivrée au patient ; • Participer au développement, à la réalisation et à l’optimisation des protocoles de traitements. Le médecin radiothérapeute est responsable des soins par radiothérapie avec pour mission de : • Assurer la simulation des traitements ; • Garantir la conformité des techniques utilisées ; • Assurer les traitements par radiothérapie et curiethérapie ; • Assurer le suivi des patients sous radiothérapie ; Le médecin nucléaire est responsable des équipements et des traitements en médecine nucléaire avec pour mission de : • Veiller au respect des normes de sécurité au cours de la construction ; • Approuver la qualité des équipements ; • Superviser l’installation des équipements et procéder à leur contrôle et leur mise au point ; • Assurer le bilan d’extension des cancers ; • Assurer les explorations et les soins utilisant les radio isotopes ; • Garantir la sécurité de l’usage médicale des radio-isotopes.

N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Le manipulateur en radiothérapie devra : • Assurer les soins quotidiens en procédant aux manipulations techniques nécessaires en radiothérapie ; • Recueillir les données indispensables au planning des traitements ; • Assurer la confection des caches personnalisés. 3. Qualifications Etre diplômé pour la fonction postulée et avoir : • Au moins trois années d’expérience professionnelle ; • la capacité d’encadrement et de formation du personnel national ; • la capacité à travailler en équipe pluridisciplinaire ; • une bonne connaissance de l’outil informatique. 4. Conditions d’emplois • Le postulant pour chaque spécialité est recruté pour une durée de quatre ans renouvelable (sur notification du Ministre en charge de la Santé) ; • La rémunération mensuelle fixée en fonction du niveau de spécialisation et de l’expérience professionnelle, ne sera communiquée qu’au candidat retenu pour chaque spécialité ; • Le logement et le véhicule de transport sont assurés. 5. Dépôt du dossier de candidature Les dossiers de candidature comprenant une lettre de motivation pour le poste, un curriculum vitae et une copie des diplômes obtenus, doivent être adressés au Secrétaire Général Adjoint N°1 au Ministère de la Santé, des Affaires Sociales, de la Solidarité et de la Famille à l’une des adresses suivantes : • Bp 50 Libreville (Rep. Gabon) par le Service Postal ; • ou desilass@yahoo.fr par e-mail Seuls les postulants sélectionnés, recevront une réponse officielle à leur demande de candidature. La date de clôture des candidatures est fixée au 15 mai 2011. Fait à Libreville, le 28 mars 2011 -Le Ministre de la Santé, des Affaires Sociales, de la Solidarité et de la Famille-

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Annonces classées Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) Commission des Forêts d’Afrique Centrale (COMIFAC) Programme d’Appui à la Conservation des Ecosystèmes du Bassin du Congo

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Banque Africaine de Développement (BAD)

Unité de Gestion du Programme (UGP)

APPEL A CANDIDATURES Réf. : Poste ATUGP Date de publication : 03 avril 2011 - Date de clôture : 03 mai 2011

JEUNE AFRIQUE

N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Appel à candidature

Titre du poste : Assistant Technique à l’UGP. Lieu d’affectation : Yaoundé, Cameroun. Durée du contrat : Quatre (04) ans Chef hiérarchique : Coordonnateur Régional Fonctions/Responsabilités : Faciliter le suivi des partenariats techniques du Programme Principales tâches : • Participer au suivi de la mise en œuvre des conventions de partenariat du PACEBCo ; • Contribuer aux processus de planification, d’organisation et d’exécution des activités des partenaires ; • Anticiper les problèmes de mise en œuvre des partenariats et proposer les mesures adéquates en étroite collaboration avec les autres experts de l’UGP et les partenaires concernés ; • Veiller à la prise en compte des besoins du PACEBCo dans la mise en œuvre des activités des partenaires sous conventions ; • Contribuer à la capitalisation des connaissances tirées de la mise en œuvre des conventions ; • Assurer le suivi rapproché de l’exécution des plans de travail et budgets annuels des partenaires en collaboration avec les autres experts de l’UGP ; • Veiller au respect des plans de travail et budgets annuels des partenaires en assurant un suivi rapproché, en étroite collaboration avec les autres experts de l’UGP ; • Participer à la préparation et à l’organisation des réunions du comité de suivi des différents partenariats et veiller à la mise en œuvre des recommandations ; • Produire les rapports périodiques d’exécution des partenariats ; • Promouvoir la collaboration entre les partenaires en ce qui concerne les activités transfrontalières du PACEBCo ; • Exécuter toutes autres tâches à la demande du Coordonnateur Régional. Compétences exigées/Qualifications : • Etre titulaire d’un diplôme universitaire de niveau BAC +5 en matière d’Environnement ou en sciences naturelles ; • Avoir la maîtrise du français parlé et écrit ; la maîtrise d’une autre langue en usage dans les pays de la CEEAC est un atout ; • Avoir la maîtrise des outils informatiques (traitement de texte, tableur, navigation Internet, messagerie électronique, système de gestion de base de données et analyse statistique) ; en particulier la connaissance des logiciels de la suite MS Office (Excel, Word, Power point, Internet Explorer, Access) et SPSS est souhaitable. Expérience professionnelle : • Avoir travaillé dans un paysage est un atout ; • Avoir au moins 10 ans d’expérience professionnelle dans les domaines suivants (aménagement et certification forestiers, implication des communautés riveraines dans la gestion des aires protégées, partagées des bénéfices de l’exploitation forestière et minière) à des postes de cadre supérieur ou de chef d'équipe de terrain dans une administration publique ou une organisation non gouvernementale de conservation-développement. Exigences de poste : • Etre disposé à voyager constamment dans les paysages ; • Etre en mesure de travailler sous pression. Composition du dossier : • Une lettre de motivation adressée à Monsieur le Secrétaire Général de la CEEAC ; • Un CV ; • Une copie certifiée conforme de tous les diplômes ; • Un certificat médical datant de moins de trois mois ; • Un extrait du casier judiciaire datant de moins de trois mois. Procédure de candidature : Les dossiers de candidature doivent être envoyés par courrier électronique au plus tard le 03 mai 2011 à l’adresse suivante : info@pacebco-ceeac.org ; bihini.won.musiti@pacebco-ceeac.org ; avec copie à: tabunahonore@yahoo.fr et dawile_fr@yahoo.fr Procédure de sélection : Toute candidature reçue après la date limite de dépôt ne sera pas prise en compte. Les accusés de réception des dossiers ne sont pas envisagés ; seul(e)s les candidat(e)s retenu(e)s pour l’interview recevront une notification de présélection. COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE CENTRALE (CEEAC) POUR LE SECRETAIRE GENERAL - Bihini Won wa MUSITI


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Annonces classées

APPEL A CANDIDATURE INTERNATIONAL AU POSTE DE SECRÉTAIRE EXÉCUTIF PERMANENT DE LA CADDEL Le Président de la Conférence Africaine de la Décentralisation et du Développement Local (CADDEL), Ministre d’Etat, Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation du Cameroun, porte à la connaissance des ressortissants des Etats membres de l’Union Africaine, qu’il est ouvert au Siège de la CADDEL à Yaoundé, République du Cameroun, un poste de Secrétaire Exécutif Permanent de la CADDEL. Les candidatures à ce poste, qui devront se conformer aux termes de références ci-après, sont attendues au siège de la CADDEL jusqu’au 20 avril 2011, délai de rigueur.

Appel à candidature

TERMES DE REFERENCE POUR LE RECRUTEMENT DU SECRETAIRE EXECUTIF PERMANENT DE LA CONFERENCE AFRICAINE DE LA DECENTRALISATION ET DU DEVELOPPEMENT LOCAL (CADDEL) Contexte La CADDEL est née de l’initiative des Ministres africains en charge de la décentralisation, réunis en marge des Africités de 2000 à Windhoek/Namibie. L’Assemblée constitutive de la CADDEL s’est tenue à Yaoundé en République du Cameroun en décembre 2003. Le processus de son arrimage aux structures de l´Union Africaine tire sa légitimité de la décision N° Assembly /AU/ Dec 158 (VIII) des Chefs d´Etats africains, réunis en Sommet à Addis Abeba en janvier 2007. La CADDEL a pour mission essentielle de favoriser, dans un cadre formel, les échanges entre pays africains dans le domaine de la décentralisation et du développement local. Lors de la Session extraordinaire de la CADDEL tenue le 30 septembre 2010 à Yaoundé, ses statuts ont été amendés. Une des innovations fondamentales réside dans l’institution d’un Secrétariat Exécutif Permanent aux côtés des deux autres organes initialement prévus, à savoir, la Conférence des Ministres et le Comité des Directeurs. Il s’est agi de doter la CADDEL d’un nouvel outil d´exécution administrative et technique garant, par sa permanence, de la continuité et de la gestion quotidienne des affaires de la CADDEL; et disposant d’une expertise à même de faciliter la bonne exécution de son plan d’action. Par Résolution N°04/RES/CADDEL/SE1/09.10 prise au cours de ladite session extraordinaire, Le 30 Septembre 2010, la Conférence des Ministres a donné mandat au Président de la CADDEL, avec l’assistance du Comité des Directeurs, de procéder, par voie d´appel à candidatures international ouvert aux seuls ressortissants des Etats membres de l’Union Africaine, au recrutement d’un Secrétaire Exécutif Permanent. En exécution de ce mandat, un appel à candidature est lancé pour le recrutement du Secrétaire Exécutif Permanent de la CADDEL dont les principales missions et qualifications ainsi que les modalités de recrutement se présentent comme suit : I. Description du poste Titre du poste : Secrétaire Exécutif Permanent Lieu de travail : Yaoundé, Cameroun Supérieur direct : Président de la CADDEL II. Tâches principales et responsabilités Le Secrétaire Exécutif Permanent de la CADDEL accomplira les tâches suivantes : - Assurer, sans voix délibérative, le secrétariat des réunions de la Conférence des Ministres et du Comité des Directeurs, sauf sur les points à l’ordre du jour concernant son statut, son salaire et ses intérêts ; - dresser un rapport périodique sur l’état de la décentralisation en Afrique ; - faciliter la liaison entre la CADDEL, ses partenaires et les autres institutions similaires ; - coordonner la mise en œuvre des programmes de la CADDEL avec ceux de l’Union Africaine, des Communautés Economiques Régionales et des agences des Nations Unies en Afrique, ainsi qu’avec les programmes et activités entrepris par des organisations gouvernementales et non gouvernementales ; - entretenir des relations étroites avec les organisations partenaires ; - identifier les préoccupations et enjeux de la décentralisation, de la bonne gouvernance et du développement au niveau local ; - promouvoir la coopération entre les pays africains conformément aux programmes de la CADDEL ; - promouvoir la coopération avec d’autres conférences ministérielles ; - s’assurer de l’établissement de lignes directrices et de normes pour l’exécution des diverses composantes du programme de la CADDEL ; - développer des méthodologies et des stratégies pour la formulation de programmes effectifs de la CADDEL aux niveaux continental, régional et sous-régional, ainsi que leur intégration dans les plans nationaux des Gouvernements africains et les documents de stratégie nationale ; - formuler toutes propositions en vue du bon fonctionnement des organes de la CADDEL et de l’atteinte optimale des objectifs ; - développer des programmes, des stratégies et rédiger des règles et directives à soumettre à l’approbation des Ministres de la CADDEL ; - planifier et évaluer le travail mené par le Secrétariat Exécutif Permanent de la CADDEL en terme d’objectifs organisationnels et de programmes ; - élaborer le projet de plan d’action et de budget annuel de la CADDEL ; - élaborer le projet de règlement intérieur de la CADDEL ; - tenir et conserver la documentation et les archives de la CADDEL ; - présenter le compte annuel de gestion ; - administrer et gérer les ressources mises à la disposition du Secrétariat Exécutif Permanent de la CADDEL sous le contrôle du Comité des Directeurs. Les attributions du Secrétaire Exécutif Permanent se rapportant aux affaires financières sont régies par les dispositions spéciales adoptées à cet effet ; N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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- développer et soumettre à l’approbation du Comité des Directeurs un projet de programme de travail (élaboré à partir du plan d’action stratégique) accompagné d’un projet de budget ; - mettre en œuvre le programme de la CADDEL et gérer son budget sous la direction et le contrôle du Comité des Directeurs ; - organiser le contrôle, l’évaluation et le suivi des programmes et activités de la CADDEL ; - s’assurer de la mise en œuvre des décisions prises par la Conférence des Ministres ; - développer une stratégie de mobilisation de ressources de la CADDEL et en assurer la mise en œuvre ; - veiller à la bonne exécution des arrangements contractuels conclus entre les partenaires techniques et financiers et la CADDEL ; - coordonner toutes les activités du Secrétariat Exécutif Permanent de la CADDEL ; - assurer la responsabilité de l’administration du Secrétariat Exécutif Permanent ; - servir de porte-parole de la Conférence des Ministres lorsque mandaté par le Président de la CADDEL ; - exécuter toutes directives et instructions données par la Conférence des Ministres ou le Président de la CADDEL. III. Niveau d’étude Les candidat(e)s doivent avoir une formation universitaire supérieure de niveau master au moins en Droit, Administration, Management, Sciences Economiques, Gestion des projets ou dans un domaine connexe. IV. Expérience professionnelle - avoir une expérience professionnelle d’au moins 10 ans ; - une expérience en management des organisations d’envergure internationale, à des niveaux institutionnels reconnus (direction de département ou équivalent) ; - une expérience dans la gestion des relations avec des responsables institutionnels de haut niveau dans les organismes panafricains, internationaux, et les gouvernements nationaux. V. Autres compétences requises - une bonne maîtrise des enjeux de la décentralisation et du développement local en Afrique ; - une bonne connaissance et une expérience avérée dans le domaine de la décentralisation et du développement local en Afrique ; - une parfaite maîtrise de l’articulation actuelle du dispositif opérationnel africain en matière de décentralisation/développement local et de ses évolutions (acteurs, financements, etc.) ; - une expérience dans la gestion des projets continentaux et sous-régionaux (appel d’offres, préparation et gestion des contrats, conventions et partenariats, recherche des financements, gestion et évaluation des équipes, budgétisation des projets, etc.).

VII. Age requis Les candidat(e)s doivent être âgé(e)s d’au moins 35 ans et d’au plus 65 ans. VIII. Durée du contrat Le recrutement s´effectuera sur la base d´un contrat à durée déterminée pour une période de cinq (05) ans, renouvelable une fois, sous réserve de résultats satisfaisants. IX. Prise en compte du genre Les candidatures féminines sont fortement encouragées. X. Composition du dossier de candidature Les dossiers de candidature comprennent : - Les photocopies des originaux des diplômes universitaires et des certificats obtenus ; - un curriculum vitae détaillé et signé du/de la postulant(e) ; - et une lettre de motivation adressée au Président de la CADDEL, indiquant le désir et les raisons du candidat de postuler au poste de Secrétaire Exécutif Permanent. XI. Rémunération La rémunération se fera sur une base compétitive pour les postes similaires au niveau panafricain. XII. Date limite de réception des dossiers de candidature Les candidat(e)s intéressé(e)s doivent adresser leur dossier de candidature à Monsieur le Président de la CADDEL par voie postale, le cachet de poste faisant foi, et par courrier électronique au plus tard le 20 avril 2011 aux adresses suivantes : Monsieur le Président de la Conférence Africaine de la Décentralisation et du Développement Local (CADDEL), Ministre d’Etat, Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation du Cameroun, MINATD, BP 330 Yaoundé - République du Cameroun - Courriel : info@amcod.info Le Président de la CADDEL, Ministre d’Etat, Ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation du Cameroun, MARAFA HAMIDOU YAYA. JEUNE AFRIQUE

N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Appel à candidature

VI. Langues La maîtrise d’au moins deux (02) langues de l’Union Africaine sont indispensables. En outre, une bonne connaissance d’une autre langue de l’Union Africaine constitue un atout.


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Annonces classées TALENTS PLUS CONSEILS - QUALITE TOTALE QC100

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Dans le cadre de ses activités, Talents Plus ConseilsBénin recrute pour le compte de la société SOLUTIONS TECHNOLOGIQUES DES TRANSPORTS DU BENIN S.A (STTB) filiale du groupe canadien SEAQUEST. Lieu des postes : COTONOU/BENIN • 01 Directeur Général • 01 Directeur d’Exploitation • 01 Directeur Technique RETROUVEZ LE DETAIL COMPLET DES ANNONCES SUR NOTRE SITE INTERNET : www.talents-plus.com Date limite de dépôt au plus tard le 12 avril 2011 N.B : Ces postes sont ouverts à toutes nationalités Lieu : Bénin/Cotonou

AMBASSADE DE FRANCE AU SÉNÉGAL

AVIS D’APPEL A CANDIDATURES

Divers

VENTE D’UN IMMEUBLE DOMANIAL A DAKAR Désignation de l’immeuble : CAMPUS DE FANN Situation : lieudit Camp Claudel - Corniche de Fann Vendeur : Etat Français - Ambassade de France au Sénégal - 1 rue El Hadji Amadou Assane Ndoye - Dakar Modalité de présentation des offres : Une notice décrivant les modalités de présentation des offres par les candidats peut être retirée à : Ambassade de France au Sénégal - Secrétariat général 1 rue El Hadji Amadou Assane Ndoye – BP 4035 - Dakar Tél. (221) 33 839 53 35 / 53 40 ou 53 13 – Fax (221) 33 839 53 49 Email : safu.dakar-amba@diplomatie.gouv.fr (du lundi au vendredi de 9h00 à 12h00) ou auprès de Office Notarial - Maître Tamaro SEYDI Résidence Tamaro - rue Mohammed V – 3e étage A et E - Dakar Tel : (221) 33 842 05 34 et 33 821 76 08 - Fax : (221) 33 842 52 06 Cel : (221) 77 569 51 46 - Email : etudetamaro@yahoo.fr Le cahier des charges est également accessible sur le site internet de l’Ambassade de France au Sénégal : www.ambafrance-sn.org / rubrique Actualités de l’Ambassade Les visites sont possibles uniquement sur rendez-vous à prendre auprès du secrétariat général de l’Ambassade de France : Ambassade de France au Sénégal - Secrétariat général 1 rue El Hadji Amadou Assane Ndoye – BP 4035 - Dakar Tél. (221) 33 839 53 35 / 53 40 ou 53 13 – Fax (221) 33 839 53 49 Email : safu.dakar-amba@diplomatie.gouv.fr (du lundi au vendredi de 9h00 à 12h00) Les offres, sous pli cacheté, conformes au cahier des charges, seront reçues à l’Ambassade de France jusqu’au lundi 9 mai 2011 avant 12 heures. N° 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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PRIX ABDOULAYE FADIGA POUR LA PROMOTION DE LA RECHERCHE ECONOMIQUE La Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) lance un appel à candidatures pour l'édition 2012 du « Prix Abdoulaye FADIGA pour la promotion de la recherche économique », dénommé « Spécial Cinquantenaire de la BCEAO ». D'une valeur de quinze (15) millions de FCFA pour l'édition 2012, ce Prix s'adresse aux chercheurs ressortissants de l'un des huit (08) Etats membres de l'UEMOA (Bénin, Burkina, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo), résidant ou non sur le territoire de l'Union et âgés de quarante-cinq (45) ans au plus au 31 décembre 2012. Le travail de recherche à soumettre doit être présenté sous forme d'article publiable. Il peut être l'œuvre d'une personne ou d'une équipe. Pour cette édition du Prix, les thèmes de recherche doivent s'inscrire dans les problématiques ci-après : • l'objectif de stabilité des prix dans les pays de l'UEMOA ; • le développement du secteur financier dans l'UEMOA ; • et l'accélération de la croissance économique dans les pays membres de l'UEMOA. Le Règlement du Prix et la fiche de candidature peuvent être téléchargés sur le site Internet de la BCEAO : http://www.bceao.int, rubrique « Prix Abdoulaye FADIGA ». Ils peuvent également être obtenus au Siège de la BCEAO, auprès de la Direction des Affaires Juridiques, dans les Agences Principales de la BCEAO, ou à la Représentation de la BCEAO auprès des Institutions Européennes de Coopération à Paris. Le délai de soumission des dossiers de candidature est fixé au 31 décembre 2011. Le dossier de candidature devra comporter tous les éléments requis pour son éligibilité et être transmis à l'adresse électronique : courrier.daj@bceao.int. Pour toutes informations complémentaires, écrire à cette adresse électronique. Toutes les formalités liées à la candidature à ce Prix sont gratuites.

toutes nos annonces sur le site : www.jeuneafrique.com

MINISTERE DE L’AGRICULTURE ET DE L’ELEVAGE

PROJET D’APPUI A L’INTENSIFICATION ET A LA VALORISATION AGRICOLES DU BURUNDI (PAIVA-B) Le Projet d’Appui à l’Intensification et à la Valorisation Agricoles du Burundi (PAIVA-B) cofinancé par le FIDA, l’Union Européenne, le Programme Alimentaire Mondial et le Gouvernement de la République du Burundi et placé sous la Tutelle du Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage invite, par le présent Avis d’appel de demande de propositions, les soumissionnaires admis à concourir à présenter en langue française leurs propositions techniques et financières sous pli fermé, pour le recrutement d’un bureau d’études ou firme ou société spécialisée de consultants chargés de conduire une étude sur les marchés des produits agricoles et d’émettre un diagnostic sur les services financiers dans les zones pilotes du projet en vue de cibler les filières potentielles à développer. Le présent avis de demande de propositions s’adresse indistinctement à toutes les personnes morales sises au Burundi ou à l’étranger remplissant les conditions décrites dans le Dossier d’Appel de propositions y relatif. Celui-ci peut être consulté au siège du PAIVA-B sis Quartier Kinindo, Avenue du Large, Rez de chaussée de l’Immeuble abritant les programmes et projets du FIDA au Burundi, près du Pont MUHA Ouest. Téléphone numéro : 257 22 27 5900, Fax : 257 22 27 5892 Il peut également être transmis par courrier électronique sur demande à l’adresse suivante ucp.paiva-b@hotmail.fr avec copie à rufyikiri.hermes@yahoo.fr La date limite de dépôt des offres est fixée au 16 mai 2011 à 9h00.

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Divers

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AVIS INTERNATIONAL POUR UNE DEMANDE DE PROPOSITIONS POUR SERVICES DE CONSULTANCE SPECIALISEE


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Vous nous

Le courrier des lecteurs Pas de démocratie à n’importe quel prix Bien que citoyen américain, je suis d’origine camerounaise, né et élevé au Cameroun. J’ai voté pour la première fois de ma vie dans une élection présidentielle américaine lorsque Barack Obama a été candidat. Mais son comportement, semblable à

celui de son prédécesseur, George W. Bush, en matière de politique étrangère, est fondamentalement impérialiste, antiafricain et très antiarabe, malgré les discours. Pour rien au monde je ne me dérangerai une seconde fois pour aller voter pour lui. La France et les États-Unis vont en Libye pour chercher le pétrole. Les

DJIBOUTI : LE VRAI GUELLEH N’EST PAS CELUI QUE VOUS DITES SI JEUNE AFRIQUE ET LE PRÉSIDENT GUELLEH sont manifestement fidèles l’un à l’autre, ce qui est leur droit, en revanche, cette fidélité ne doit pas s’exercer aux dépens de l’objectivité de l’information que le journal offre à ses lecteurs sur notre pays, Djibouti, sur celui qui le dirige et son action, sur l’opposition politique, ou encore sur l’état de la démocratie et des droits de l’homme. Or, à la lecture de vos articles, en particulier des plus récents, cette objectivité est pour le moins malmenée. Le pourtant très répressif chef de l’État est ainsi dédouané par François Soudan dans « Le vrai Guelleh », paru dans J.A. no 2619. François Soudan pousse la complaisance jusqu’à proposer à ses lecteurs un portrait dans lequel il est difficile de reconnaître le chef de l’État pour tout connaisseur un tant soit peu objectif de Djibouti et d’Ismaïl Omar Guelleh. Je voudrais également dire ma stupéfaction devant vos allégations selon lesquelles « tous les opposants relèvent beaucoup plus d’une opposition fondée sur des motifs personnels que sur des divergences idéologiques ou programmatiques » et qu’« aucun ne dispose d’un parti digne de ce nom… » Êtes-vous sûr de ne pas diffamer ces leaders politiques qui se sacrifient pour la plupart depuis des années en vue de l’avènement de cet État de démocratie et de développement auquel aspire l’immense majorité des Djiboutiens ? Êtes-vous certain de ne pas dénigrer les organisations politiques et sociales djiboutiennes non inféodées au régime et, au-delà, tout un pays implicitement et injustement présenté comme incapable de produire un autre leadership que celui du « vrai Guelleh » ? À l’heure où un vent historique de liberté souffle sur le monde arabe, vous paraît-il toujours acceptable que, depuis son indépendance, le 27 juin 1977, ce pays soit dirigé par le même parti, le même système, que le régime verrouille l’information et contrôle de près les médias publics, que les prisons s’emplissent de détenus à la moindre protestation politique ou sociale, qu’ils soient torturés, que tout remonte à Guelleh, un homme qu’ennuient les questions sur l’ouverture politique, comme vous le glissez timidement dans le « vrai Guelleh » ? N’avez-vous pas été frappé, lors de votre entretien, de voir la capitale et les autres villes de province quadrillées par les forces de l’ordre pour empêcher toute manifestation hostile au régime ? J’espère voir bientôt J.A. faire preuve, dans son devoir d’informer, de plus d’objectivité. ● DAHER AHMED FARAH, président du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement (MRD)

Réponse : M. Farah, qui vit en Europe, a donc « vu » à Djibouti ce qui a dû m’échapper. Pour le reste, sa réaction d’opposant (on l’aura deviné) mérite F.S. d’être portée au débat. ● N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Italiens et d’autres le dénoncent. Pourquoi pas J.A. ? Vous devez nous l’expliquer. Vous devez nous expliquer aussi pourquoi, en Côte d’Ivoire, vous avez décidé de considérer comme démocratique et juste une élection organisée dans un pays coupé en deux et totalement contrôlé au nord par une armée rebelle qui ne dit pas son nom. La démocratie en Afrique, oui. Mais pas au prix de la souveraineté nationale. ● KILEM L. GWET, MARYLAND, États-Unis

Réponse : Affirmer que Français et Américains « vont en Libye pour chercher le pétrole » n’est pas fondé pour une raison simple : les compagnies américaines, britanniques, françaises… s’y trouvent déjà depuis des années et n’ont aucune raison de se plaindre du colonel Kaddafi, qui les a toujours ménagées. Quant à la Côte d’Ivoire, s’il n’était pas possible d’organiser une élection démocratique « dans un pays coupé en deux », on se demande pourquoi Laurent Gbagbo a accepté qu’elle se tienne et pourquoi il a accepté les résultats du premier tour. ● FRANÇOIS SOUDAN

Un travail honorable Je voudrais remercier Béchir Ben Yahmed et toute l’équipe de J.A. Grâce à vous tous, nous sommes toujours au courant de l’actualité, surtout en ces temps majeurs du « printemps arabe ». Mille fois merci pour le travail honorable que vous abattez depuis maintenant près de cinquante et un ans. ● AGNINA BORIS

Smartphones et Facebook Dans votre éditorial paru dans J.A. no 2615, vous suggérez qu’une révolution comme celle qui a eu lieu en Tunisie et en Égypte est impossible en Afrique subsaharienne parce qu’il manque « une masse critique de jeunes mondialisés armés de leurs smartphones et de leurs pages Facebook », et parce que le taux de pénétration d’internet serait JEUNE AFRIQUE


Vous nous

Je me réjouis tout de même de paperasse à remplir. Il est plutôt dans constater que François Soudan notre intérêt de l’avoir avec nous que a reconnu que tous les ingrédients contre nous ! Pourquoi en avoir honte pour une implosion sont si Sarkozy l’a fréquenté réunis : usure du pouvoir, lorsque ses intérêts petits arrangements avec électoraux le lui la Constitution, commandaient ? népotisme, corruption, Pourquoi en avoir honte mauvaise gouvernance, si l’Italie a tissé des liens profondes inégalités privilégiés avec lui ? S’il a sociales, atonie de réussi à obtenir les LIBYE l’opposition, poids excuses de la Suisse, Objectif Kaddafi démographique de la c’est parce qu’il a un jeunesse. ● pouvoir de nuisance en T. JEAN-BRUNO Europe. Il en est de même pour ce qu’il a JEUNE AFRIQUE N 2621 obtenu de l’Italie afin de du 27 mars au 2 avril. Soutenir Kaddafi réparer les exactions commises en Libye Pourquoi voudrait-on pendant la colonisation. Je réaffirme que nous autres, Africains, ayons mon soutien au guide de la révolution. honte de soutenir Kaddafi, ce chantre Laissez-nous nous occuper nousde l’union du continent, qu’il appelle mêmes de nos dictatures. Ce n’est pas de tous ses vœux ? Il soutient les pays l’affaire de Sarkozy ni de l’Otan ● africains ayant des difficultés CHRISTIAN-MICHEL TSANGA, financières. Il achète, construit et Yaoundé, Cameroun participe au développement de l’Afrique sans conditionnalités, sans 330

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HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 51e ANNÉE • N° 2620•du 27 mars au 2 avril 2011

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TUNISIE QUE FAIT LA POLICE? BÉNIN BONI YAYI PAR K.O.

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MAROC L’HOMME QUI VEUT TOUT CHANGER

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inférieur à 1 % à Matam, Tcholliré ou Mbandaka. Ce n’est pas de Tcholliré que viendra la révolution au Cameroun. Elle viendra des centres urbains (Yaoundé, Douala, Bafoussam, Garoua, etc.). Le taux de pénétration d’internet dans ces villes est très élevé. Il y a surtout la télévision avec la démocratisation du câble et son lot de chaînes internationales. Les Camerounais, dans leur immense majorité, sont au courant de ce qui se passe à travers le monde. Les jeunes ont vécu et commenté chaque jour la chute de Ben Ali et de Moubarak. Le cas de la Libye est en train de nous montrer que la mobilisation ne passe pas nécessairement par Facebook, d’autant qu’aux premières heures de la colère populaire, l’accès à internet et aux médias internationaux avait été suspendu. En outre, l’accès à internet était moins important en Libye qu’en Tunisie ou en Égypte. Pourtant, les rangs des manifestants n’avaient cessé de grossir.

■ Une guerre juste pour une juste cause, par Béchir Ben Yahmed ■ L’Afrique, entre impuissance et humiliation ■ Vu de Tunis, Alger, Nouakchott, Abidjan... ■ Idriss Déby Itno à J.A.:

«Je crains une déstabilisation de toute la région» ÉDITION GÉNÉRALE

France 3,50 € • Algérie 170 DA • Allemagne 4,50 € • Autriche 4,50 € • Belgique 3,50 € • Canada 5,95 $ CAN • Danemark 35 DKK • DOM 4 € Espagne 4 € • Éthiopie 65 Birr • Finlande 4,50 € • Grèce 4,50 € • Italie 4 € • Maroc 23 DH • Mauritanie 1100 MRO • Norvège 41 NK • Pays-Bas 4 € Portugal cont. 4 € • RD Congo 5,50 $ US • Royaume-Uni 3,50 £ • Suisse 5,90 FS • Tunisie 3,30 DT • USA 6,50 $ US • Zone CFA 1700 F CFA • ISSN 1950-1285

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LE FMI, SO N ATOU T POUR L’É LYSÉE 2011

LA REVUE

N o 11 - Avril

LES POLITIQUES À L’ÉPREUVE DU FEU

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A COUVERTURE DU DERNIER NUMÉRO de La revue rapproche deux hommes que tout oppose: leur histoire, leur style et la façon dont ils réagissent au vent brûlant qui souffle sur le monde arabe. À travers Mouammar Kaddafi et Mohammed VI, ce sont toutes les craintes et tous les espoirs d’un avenir incertain qui sont représentés. Dans le dossier que La revue consacre aux révolutions arabes figure un tableau, terriblement instructif, sur les visites rendues à Kaddafi par tous les puissants du monde. Il existe deux domaines où les fautes politiques se paient tôt ou tard. Et cher. La guerre, qui peut détruire de l’extérieur, et les finances, qui minent de l’intérieur. Un article traite une affaire qui tient à l’un et l’autre: le fiasco de l’avion Rafale. On y découvre que, en manquant de courage face aux industriels, la classe politique française s’est tiré une balle dans le pied, qui fera encore longtemps boiter l’armée. De son côté, Dominique Strauss-Kahn, qui a réussi son baptême du feu en affrontant la crise financière mondiale à la tête du FMI, est désormais obligé de se livrer à une guérilla tactique avec les médias pour garder la possibilité de briguer la présidence française en 2012. Si le FMI est désormais omnipotent, l’inaction de l’Union africaine face aux crises qu’affronte le continent est dramatique, l’impuissance de Jean Ping ne faisant que traduire le manque de

JEUNE AFRIQUE

No 11

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11, avril 2011, 148 pages, 4 euros.

LA REVUE NO

cohésion des États membres, constate Pascal Airault. Diamants et sacs griffés: deux articles dévoilent une révolution feutrée dans le monde du luxe. 3:HIKTPJ=\UYUUW:?k@a Anvers, dont le monopole sur @b@l@a; les transactions diamantaires touche he à sa fin, est désormais concurrencé par Dubaï. Ce déplacement vers l’est va dans le sens de l’Histoire puisque, sur l’ensemble du secteur du luxe, le marché chinois explose. Dans un registre apparemment plus léger, mais d’une portée universelle, Juliette Morillot montre comment la suprématie de l’anglais pourrait bien être le signe que sa fin est proche… et qu’on assiste peut-être au retour du latin! Mais tout cela est dit en bon français dans La revue. ● ÉRIC FESNEAU Kaddafi

Finlande Algérie 450 DA • 4,50 € • Italie 4,50Allemagne 4,50 €• € • Maroc 40 DH • Belgique 4,50 € Portugal • 4,50 € • Canada 6,95 $ CAN Royaume-Uni • 4,50 £ • DOM 4,20 € • États-U Suisse 7,50 FS • Tunisienis 6,95 $ US • 9 DT • Zone Espagne 4,50 € CFA 3000 F CFA

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RÉVOLUTIONS ARABES La FOLIE ou la RAISON

ARMEMENT RAFALE, un fiasco français FINANCE Quand le FMI vote DSK LANGUES GOODBYE ENGLISH! N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

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HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL POLITIQUE, ÉCONOMIE, CULTURE

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Post-scriptum Fawzia Zouari

Édité par SIFIJA Siège social : 57 bis, rue d’Auteuil – 75016 PARIS Tél. : 01 44 30 19 60 ; Télécopieurs : rédaction 01 45 20 09 69 ; ventes : 01 45 20 09 67 ; Courriel : redaction@jeuneafrique.com DIRECTION

L’aube d’une odyssée

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E CROYAIS PERSONNELLEMENT que l’Occident allait être heureux de ce qui se passe dans les pays arabes. Depuis qu’il accuse ces pays de se confiner dans l’obscurantisme plutôt que de se tourner vers la modernité, leurs élites répondent aux abonnés absents, leurs croyants ont le profil du kamikaze et pas celui du révolutionnaire, leurs médias bouffent du croisé… Je me suis dit que le temps était venu que les Arabes trouvent grâce aux yeux des Occidentaux. Au lieu de quoi je découvre une Amérique inquiète pour ses monarchies du Golfe, une Europe paniquant à cause de l’arrivée de nouveaux immigrés du Sud, des économistes qui, la main sur le cœur, surveillent la montée des cours du pétrole. Je découvre un islam servant plus que jamais de bouc émissaire, des droites européennes ayant le vent en poupe, et une fausse Jeanne d’Arc nommée Marine Le Pen, qui clame sans gêne que l’Arabo-musulman est une espèce non intégrable par définition !

Après réflexion, je comprends. Vous imaginez les Arabes libérés de leurs dictatures et qui pourraient, demain, négocier d’égal à égal, refuser de monnayer la sécurité de leurs peuples, mieux gérer leurs richesses, voire s’unir pour un marché commun ? La catastrophe ! Vous imaginez un monde arabe devenu juste, démocratique, féministe et protecteur de ses minorités ? Comment feraient l’Europe et l’Amérique sans cette région qui n’a cessé depuis des décennies de leur fournir de quoi affûter leurs capacités de s’indigner, revigorer leurs extrémistes, légitimer leur mépris des anciens « indigènes », justifier l’occupation israélienne en Palestine, affûter leurs stratégies politiques, préserver leurs intérêts économiques ? Et puis, que ferait l’Occident pour se divertir ? Je me demande si on ne doit pas s’inquiéter pour nos frères du « monde civilisé ». Car si les Arabes réussissaient leur révolution, ils pourraient faire partie du même monde, et c’en serait fini de l’« ennemi culturel » ! Qui ferait alors bouillir la marmite de l’adversité ? T’imagines les Fatma ressembler aux Françoise, les basanés devenant des immigrés désirables, les romanciers du bled ne faisant plus pleurer le bon lecteur suédois sur l’épouse lapidée, le frère trucidé et l’honneur de la tribu ? Non, franchement, il n’est pas gentil le monde arabe. D’ailleurs, depuis qu’il a recours aux révolutions, celles-ci se sont dépréciées. À preuve ? Les Belges. Ils n’ont pas trouvé meilleure façon de rendre hommage à nos soulèvements qu’en lançant leur « révolution des frites ». Ce n’est pas juste ! Reste un constat. Pendant que, dans les rues des grandes capitales arabes, fusent des porteurs d’espoir, sous le ciel d’Europe le marasme triomphe. D’un côté une déferlante de liberté, de l’autre une vague de conservatisme et un froid identitaire à vous geler les ailes. D’un côté une revendication inédite des valeurs universelles et de l’altérité, de l’autre l’éloge du terroir et la rengaine de l’assimilation. Qui peut m’expliquer la logique de ces deux vents contraires? Il a dû se tromper, ce monsieur qui nous annonçait la fin de l’Histoire. Il n’avait pas compté avec les Arabes. Cela vient juste de commencer et devrait s’appeler « L’aube d’une odyssée ». ● N O 2621 • DU 3 AU 9 AVRIL 2011

Fondé à Tunis le 17 oct. 1960 par Béchir Ben Yahmed (51e année)

JEUNE AFRIQUE

Directeur de la publication : BÉCHIR BEN YAHMED (bby@jeuneafrique.com) Directeur général : Danielle Ben Yahmed Vice-présidents: Aldo de Silva, Danielle Ben Yahmed, François Soudan, Amir Ben Yahmed Actionnaire principal : Béchir Ben Yahmed RÉDACTION Directeur de la rédaction : François Soudan Directeurs exécutifs : Marwane Ben Yahmed, Amir Ben Yahmed Rédactrice en chef déléguée : Élise Colette Rédacteur en chef technique : Laurent Giraud-Coudière Directeur artistique : Zigor Hernandorena Conseillers de la direction de la rédaction : Hamid Barrada, Abdelaziz Barrouhi (à Tunis), Aldo de Silva, Dominique Mataillet, Renaud de Rochebrune Secrétariat : Chantal Lossou, Joëlle Bouzignac Chefs de section : Joséphine Dedet (La semaine de J.A.), Philippe Perdrix (Grand angle), Anne Kappès-Grangé (Afrique subsaharienne), Tarek Moussa (Maghreb & Moyen-Orient), Jean-Michel Aubriet (Europe, Amériques, Asie), Cécile Manciaux (Le Plus de J.A.), Jean-Michel Meyer (Économie), Séverine Kodjo-Grandvaux (Culture & Médias), Tshitenge Lubabu M.K. (Vous & Nous) Rédaction: Pascal Airault, Stéphane Ballong, Tirthankar Chanda, Julien Clémençot, Constance Desloire, Georges Dougueli, Christophe Le Bec, Nicolas Marmié (à Rabat), Marianne Meunier, Nicolas Michel, Fabien Mollon, Pierre-François Naudé, Ophélie Négros, Cherif Ouazani, Michael Pauron, Laurent de Saint Perier, Leïla Slimani, Justine Spiegel, Cécile Sow (à Dakar), Fawzia Zouari; collaborateurs: Edmond Bertrand, Christophe Boisbouvier, Muriel Devey, André Lewin, Patrick Seale, Cheikh Yérim Seck; accords spéciaux: Financial Times RÉALISATION Maquette: Émeric Thérond (conception graphique, premier maquettiste), Christophe Chauvin, Stéphanie Creuzé, Valérie Olivier; révision: Nathalie Bedjoudjou (chef de service), Vladimir Pol; fabrication: Philippe Martin (chef de service), Christian Kasongo; service photo: Dan Torres (directrice photo), Nathalie Clavé, Vincent Fournier, Claire Vattebled; documentation: Anita Corthier (chef de service), Sylvie Fournier, Florence Turenne, Angéline Veyret JEUNEAFRIQUE.COM Responsable éditoriale : Élise Colette, avec Pierre-François Naudé ; responsable web : Jean-Marie Miny ; rédaction et studio : Cristina Bautista, Haikel Ben Hmida, Pierre Boisselet, Maxime Pierdet, Lauranne Provenzano VENTES ET ABONNEMENTS Directeur marketing et diffusion : Philippe Saül ; marketing et communication : Patrick Ifonge ; ventes au numéro : Sandra Drouet, Caroline Rousseau ; abonnements : Céline Champeval avec: COM&COM, Groupe Jeune Afrique 18-20, avenue Édouard-Herriot, 92350 Le Plessis-Robinson. Tél. : 33 1 40 94 22 22 ; Fax : 33 1 40 94 22 32. Courriel : jeuneafrique@cometcom.fr ●

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