Algérie Boutarfa, l’homme qui a sauvé l’Opep
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 57e année • n° 2918 • du 11 au 17 décembre 2016
jeuneafrique.com
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MAURITANIE
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5e
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LE PLUS
de Jeune Afrique
POLITIQUE Cap sur le référendum
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TRIBUNE Ahmed Salem Ould Bouboutt, professeur de droit public INTERVIEW Moctar Ould Diay, ministre des Finances INDUSTRIES EXTRACTIVES Vivement la reprise!
MAURITANIE
La République des sables
ERIC BERACASSAT/ ONLYWORLD.NET
De l’énième dialogue inclusif au projet de réforme de la Constitution, en passant par les turbulences financières… À Nouakchott, l’incertitude plane. Même si, petit à petit, on progresse.
JEUNE AFRIQUE
N 0 2918 • DU 11 AU 17 DÉCEMBRE 2016
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Le Plus de Jeune Afrique
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Prélude Alain Faujas
Ouverte ou fermée?
N
on, la Mauritanie ne se porte blogueur qui dénonce l’utilisation du pas aussi bien que le président Saint Coran pour maintenir un système de castes moyenâgeux, alors qu’il interAbdelaziz le dit durant ses tourdit à l’islamiste suisse Tariq Ramadan, nées dans les wilayas, et la crise proche des Frères musulmans, d’entrer née de la chute des cours du minerai de sur son territoire ? fer et de l’or n’a pas fini de faire des dégâts La Mauritanie est en froid avec le dans l’économie et dans le corps social. Maroc (où elle a tant de cousins) en Non, la Mauritanie ne se porte pas raison de sa proximité avec le peuple aussi mal que l’opposition le clame à sahraoui (au sein duquel elle compte cor et à cri, et les modifications constitutionnelles projetées par le chef de aussi beaucoup de cousins). Elle est l’État, bientôt soumises à référendum, ne également en froid avec l’Algérie, méconsemblent violer ni les principes démotente d’être tenue à l’écart du G5 Sahel, cratiques ni les valeurs du pays. qui coordonne les mesures antiterroristes Très jeune et très hétéroclite, le pays n’a depuis N’Djamena jusqu’à Nouakchott. pas encore trouvé son équilibre. Les fractures d’une Les fractures se perpétuent dans population tiraillée entre des oppositions surtout verbales, le monde noir et le monde blanc, entre l’Afrique du mais en apparence irréductibles. Nord et l’Afrique subsaharienne, entre les anciens nobles et les Dans d’autres domaines, la politique anciens esclaves se perpétuent dans des mauritanienne laisse tout aussi perplexe. oppositions surtout verbales, mais en Elle tisse des liens avec le Sud, en y apparence irréductibles et pathogènes. envoyant ses troupes (Centrafrique, Côte d’Ivoire) et en y exportant ou en prévoyant d’y exporter son courant Intérêts tribaux et intérêts familiaux, égocentrismes politiques et conservaélectrique (Sénégal, Mali, Guinée), tismes religieux forment un écheveau mais elle ne réintègre toujours pas la inextricable qui enferme la Mauritanie Communauté des États de l’Afrique de sur elle-même. Elle est difficilement l’Ouest (Cedeao). compréhensible pour ceux qui ne sont pas issus de ses oasis. Il n’est que de voir Est-elle dedans ou dehors ? Ouverte la perplexité des organisations interou fermée ? Archaïque ou moderne ? nationales, du monde occidental ou En développement ou définitivement de ses voisins sur la direction qu’elle abonnée au club des « pays les moins entend prendre. avancés » du monde ? Ces questions se posent pour bien L’Union européenne et les États-Unis des États dont l’ambition est de rattraoscillent entre le satisfecit – pour le déveper le peloton des pays émergents. En loppement de ses infrastructures et pour sa politique sécuritaire d’une efficacité Mauritanie, elles appellent des réponses plus claires et des actes plus cohérents peu habituelle au Sahel – et l’inquiétude face à la suspicion de torture pratiquée qu’aujourd’hui, afin que ses 3,5 millions – ou 4 millions ? – d’habitants cessent contre des militants de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste d’être ballottés entre les coutumes d’un (IRA), jugés et condamnés à la légère. Sahara mythique et la dure condition des Comment s’y retrouver quand un pays urbains qu’ils sont devenus. Et afin qu’ils condamne à mort pour blasphème – ou acceptent enfin de se parler, malgré – ou grâce à – leurs différences. pour apostasie, on ne sait plus – un jeune JEUNE AFRIQUE
N 0 2918 • DU 11 AU 17 DÉCEMBRE 2016
POLITIQUE Cap sur le référendum p. 68 TRIBUNE Ahmed Salem Ould Bouboutt, professeur de droit public p. 70 INTERVIEW Moctar Ould Diay, ministre des Finances
p. 72
ÉCONOMIE Quelques bons augures p. 74 INDUSTRIES EXTRACTIVES
Vivement la reprise ! p. 78 INFRASTRUCTURES On se passera du bac à Rosso p. 82
LIRE AUSSI « Elles existent et elles l’écrivent », notre dossier sur les auteures mauritaniennes francophones
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Le Plus de Jeune Afrique
POLITIQUE
Cap sur le référendum Suppression du Sénat, décentralisation, renforcement des symboles de la République… Le projet de révision de la Constitution doit être soumis au vote des Mauritaniens en janvier. La campagne sera donc courte et marquée par la division dans les deux camps. ALAIN FAUJAS,
Le président Mohamed Ould Abdelaziz n’est pas parvenu, pour l’instant, à dialoguer avec l’opposition historique.
envoyé spécial
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L
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Assemblée nationale et le Sénat mauritaniens doivent adopter, courant décembre, le projet de loi référendaire voulu par le président Mohamed Ould Abdelaziz. Le texte sera soumis au vote des citoyens au mois de janvier 2017, en principe. Il prévoit la suppression du Sénat, la création de conseils régionaux, la modification du drapeau et de l’hymne nationaux – des réformes demandées par les assises du « dialogue national inclusif ». Depuis des décennies, les Mauritaniens sont les champions de la concertation avortée. L’édition 2016 n’a pas failli à cette tradition. Le président Abdelaziz voulait « un dialogue inclusif », qui devait durer une petite semaine. Il en a fallu trois, du 29 septembre au 20 octobre. Du point de vue de la participation, le résultat a été en demi-teinte. D’un côté, plus de 600 personnes ont assisté aux ateliers réunis au Centre international des conférences de Nouakchott sur quatre thèmes : problématiques politique et électorale, réformes constitutionnelles, renforcement de l’État de droit et de la justice sociale, et enfin gouvernance économique et financière. Même des « pestiférés » comme les Forces progressistes du changement (FPC, ex-Flam) ou le mouvement Touche pas à ma nationalité (TPMN) ont été invités et ont répondu à l’appel, ne serait-ce que pour prouver qu’ils ne sont pas des boutefeux et « pour dénoncer le pouvoir en flagrant délit de mensonges », selon les déclarations de Samba Thiam, président des FPC.
JOE PENNEY/REUTERS
MATCH NUL. En revanche, la fine fleur de l’oppo-
sition historique a refusé d’y mettre les pieds. Fidèles à leur refus entêté de dialoguer avec le régime, le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU) et ses composantes que sont Tawassoul (islamiste), le Rassemblement des forces démocratiques (RFD, d’Ahmed Ould Daddah) et l’Union des forces de progrès (UFP, de Mohamed Ould Maouloud) étaient absents. « Un vrai dialogue consisterait à préparer des élections libres et transparentes qui déboucheraient sur un gouvernement légal, explique Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine, président en exercice du FNDU. La Mauritanie est un pays volé par un homme qui a l’armée et l’argent avec lui. » Les préoccupations des « dialoguistes » ont beaucoup tourné autour des articles 26 et 28 de la Constitution. Le premier fixe à 75 ans l’âge limite pour se présenter à la magistrature suprême. L’ancien président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, leader de l’Alliance populaire progressiste (APP), qui dépassera ce seuil avant la présidentielle de 2019, aurait souhaité qu’il soit repoussé. L’article 28, quant à lui, limite à deux le nombre de mandats successifs du chef de l’État. Certains membres de la majorité demandaient
qu’un troisième quinquennat soit possible pour permettre au président Abdelaziz de se représenter en 2019, bien qu’il ait affirmé à plusieurs reprises qu’il ne le voulait pas. Finalement, le match s’est conclu sur un nul, et aucun des deux articles ne sera modifié en réponse à ces requêtes. L’éventualité de créer un poste de vice-président, souhaitée par des représentants de la communauté haratine, a également été écartée. Certains Beydanes redoutent en effet que cette fonction échoie à un Haratine… ce qui montre la persistance de la fracture entre « Noirs » et « Blancs » dans le pays. À l’évidence, les partisans du « oui » ne sont pas parfaitement unis. La guéguerre se poursuit entre le camp de l’ouverture, incarné par le ministre à la Présidence et ex-Premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, et celui qui rassemble l’actuel Premier ministre Yahya Ould Hademine et le président de l’Union pour la République (UPR, le parti présidentiel), Sidi Mohamed Ould Maham, qui ne veulent rien céder à l’opposition. Mohamed Ould Abdelaziz promet à ses visiteurs qu’il va mettre fin à cette division… Mais il laisse les choses en l’état. Le camp du boycott semble plus homogène. Les islamistes de Tawassoul ont rejoint, en apparence, la position des durs du FNDU (l’UFP et le RFD), mais l’APP adopterait une ligne conciliante. CINÉMA. Bien que la campagne électorale pour le
référendum ne soit pas encore ouverte, le président arpente le pays en vantant son bilan en matière de sécurité, de gestion de la crise économique et de lutte contre la pauvreté. Il insiste sur les améliorations que les nouvelles régions apporteront à la gestion du pays. Dans la wilaya du Tagant (au centre du pays), le 14 novembre, il a souligné que la croissance excessive de la capitale avait nui au développement du reste du territoire. Selon lui, la seule façon de satisfaire les besoins des populations est d’instaurer cette décentralisation qui attribuera aux conseils régionaux les compétences pour agir au plus près du terrain, dans les domaines de l’agriculture, de l’enseignement ou encore des infrastructures. Mohamed Ould Abdelaziz a promis de quitter le pouvoir en 2019, mais le FNDU doute de cet engagement, pourtant conforme à ses exigences, et répète son opposition farouche à la tenue du référendum. Pourquoi? « Parce que la suppression du Sénat n’est pas un sujet pour nous, répond Cheikh Sid’Ahmed Ould Babamine. Parce que ce n’est pas au président, qui va quitter le pouvoir, de réaliser une régionalisation. Parce que c’est du “cinéma” organisé par un homme qui ne pense qu’à se succéder à lui-même. » Dans un communiqué du 29 novembre, le Forum ajoute : « Il est inconcevable d’organiser un référendum […] en l’absence totale de neutralité de l’État. » Le dialogue n’est pas près d’avoir lieu. N 0 2918 • DU 11 AU 17 DÉCEMBRE 2016
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Le Plus de JA Mauritanie
TRIBUNE
La Constitution, toujours recommencée…
AHMED SALEM OULD BOUBOUTT Professeur agrégé de droit public à l’université de Nouakchott
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ntroduite dans le cadre de la démocratisation du régime militaire issu du coup d’État de 1984, la Constitution mauritanienne du 20 juillet 1991, qui réunit islam et démocratie en un régime présidentialiste fortement marqué, a connu une évolution mouvementée. Suspendue par deux fois – à la suite des coups d’État de 2005 et de 2008, entrecoupés d’une brève parenthèse démocratique –, elle a été ressuscitée en 2009, après l’accord de Dakar. Elle a connu deux révisions. En 2006, la règle – non modifiable – d’un mandat présidentiel de cinq ans, renouvelable une fois et assorti d’un serment, est consacrée. En 2012, après le Printemps arabe, à l’issue du dialogue entre la majorité et quelques partis d’opposition (l’Alliance populaire progressiste de Messaoud Ould Boulkheir, El-Wiam, Sawab…), sont posées plusieurs bases de la coexistence ethnique, sociale et politique : diversité culturelle, répression de l’esclavage, accès des femmes aux mandats électifs, droit à l’environnement et interdiction des coups d’État. Le « dialogue national inclusif » d’octobre 2016 annonce de nouvelles modifications. Le projet de révision interpelle d’abord par son contexte. Le « dialogue » n’a pas pleinement mérité son nom: une frange importante de l’opposition (dont
direct « également » possible (art. 38). En l’espèce, l’article 99 est bien plus approprié, mais, en raison de son inspiration française et algérienne ainsi que de ses propres caractéristiques (art. 40), la Constitution « n’exclut pas » l’article 38, surtout si le Sénat est en cause. Le gouvernement a, semble-t-il, opté pour un référendum (art. 99). Gageons qu’avec la suppression du Sénat, la controverse n’aura plus lieu d’être. Le projet de révision prévoit en effet la suppression du Sénat, renouant avec le système monocaméral des Constitutions de 1959 et de 1961. Les prérogatives du Parlement ne sont pas en cause. Le monocamérisme simplifie la procédure législative, avec à la clé des économies de budget et de temps. En Mauritanie, il se justifie par la similitude de comportement et de vote des deux chambres. En outre, la diminution du nombre de parlementaires – 201 pour 3 millions de citoyens! – permettra d’introduire plus de proportionnelle à l’Assemblée, dont le président assurera l’intérim du chef de l’État et où seront désormais représentés les Mauritaniens de l’étranger. Si elle supprime le Sénat, la réforme prévoit la création de conseils régionaux. Proches du citoyen, avec un corps social et ethnique plus diversifié que les communes créées en 1986, les régions renforceront la décentralisation et le développement local, à condition que l’État leur en accorde les compétences et les moyens. La compétence du Conseil constitutionnel sera étendue au contrôle des lois par voie d’exception, et le nouveau mode de désignation de ses membres fera opportunément une petite place à l’opposition démocratique. Le Haut Conseil islamique, la Haute Cour de justice et le Conseil économique et social seront touchés par un remue-ménage dont l’ampleur est pour l’heure inconnue. Le drapeau et l’hymne national prendront une forme plus « patriotique » – une mesure symbolique qui reste très controversée. Hélas, les rapports entre président et gouvernement ne seront pas réajustés.
Le monocamérisme simplifie la procédure législative et permet des économies de budget et de temps. le Front national pour la démocratie et l’unité et le Rassemblement des forces démocratiques d’Ahmed Ould Daddah) n’y a pas pris part, faute d’accord avec le pouvoir sur ses conditions. Celle-ci en rejette les conclusions et s’oppose à toute révision « unilatérale » de la loi fondamentale. Cette absence entame la légitimité des discussions, mais n’annihile pas le pouvoir constituant, puisqu’une révision de la Constitution est juridiquement possible tant qu’elle épargne les matières « intangibles » (le régime des mandats présidentiels, notamment) de son article 99, justement consacré à la révision. Le choix de la procédure a cependant suscité un débat, certains juristes considérant qu’un vote des deux chambres doit précéder le référendum ou la convocation du Parlement en congrès (art. 99), d’autres estimant un référendum N 0 2918 • DU 11 AU 17 DÉCEMBRE 2016
En dépit de multiples amendements et des appels à l’avènement d’une IIIe République aux contours imprécis, les grandes lignes du système constitutionnel ont tenu. Le dialogue de 2016, mais aussi le débat informel concomitant, a révélé l’attachement des Mauritaniens à leur Constitution. JEUNE AFRIQUE
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Le Plus de JA Mauritanie ÉCONOMIE
Moctar Ould Diay « Le choc est derrière nous » Après deux années difficiles, le ministre de l’Économie et des Finances parie sur un retour à l’équilibre des comptes. Et sur la capacité du pays à diversifier son économie.
À
42 ans, Moctar Ould Diay est en pleine ascension. L’ancien directeur général des impôts détient, depuis janvier 2015, le portefeuille des Finances, auquel s’est ajouté, en février 2016, celui de l’Économie. Il est réputé pour son optimisme et le prouve dans l’entretien qu’il a accordé à Jeune Afrique en affirmant que la crise née de la chute du cours du fer est jugulée et que l’économie mauritanienne se prépare à ne plus dépendre de la rente minière. JEUNE AFRIQUE : Il semble que les Mauritaniens continuent à souffrir de la crise qui a affecté la croissance économique et les finances de l’État. Où en est le pays ? MOCTAR OULD DIAY: Les Mauritaniens
ne souffrent pas plus que les populations des autres pays en développement. Nous
sommes pauvres, et l’accès aux services de base n’est pas universel, c’est évident. Si vous faites allusion au choc de la chute des cours des matières premières que nous avons connue, comme tous les pays miniers, oui, il a été rude mais il est derrière nous. Quels ont été vos remèdes pour résister à ce choc ?
Pour réduire notre dépendance et faire face aux chocs engendrés par la baisse du cours du minerai de fer et par le changement climatique, nous avons d’abord mobilisé et diversifié nos recettes budgétaires. C’est ainsi que nos recettes fiscales sont passées de 42 milliards d’ouguiyas [environ 110 millions d’euros] en 2009 à 140 milliards en 2015. La progression a été comparable pour les recettes douanières. Nous avons utilisé ces ressources supplémentaires pour préparer une nouvelle
UN THINK TANK POUR UN ÉTAT DE DROIT
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ls ne sont qu’une trentaine – hauts fonctionnaires, universitaires, journalistes ou hommes d’affaires –, mais tous très mobilisés. L’ambition des membres de Mauritanie Perspectives est de rendre l’État plus efficace, plus transparent et de le mettre au service de la cohésion nationale. « Nous sommes très modestes, explique le président de ce think tank, Mohameden Ould Bah Ould Hamed. Nous voulons seulement être reconnus comme un groupe de réflexion indépendant et que l’on N 0 2918 • DU 11 AU 17 DÉCEMBRE 2016
fasse appel à nous quand un avis se révèle nécessaire sur l’évaluation de la lutte contre la pauvreté ou sur les doublons dans l’administration. » Financé par une cotisation mensuelle de 5 000 ouguiyas (13 euros) et par l’aide des agences de coopération internationale allemande (GIZ) et espagnole (Aecid), ainsi que par celle de l’Agence française de développement (AFD), Mauritanie Perspectives réfléchit avec la société civile ou avec les administrations en vue
d’améliorer et de réformer ce qui doit l’être. L’éducation est l’une de ses priorités, « parce qu’une bonne école donne de bons fonctionnaires, de bons politiques et une bonne gestion, qui sont les éléments constitutifs d’un vrai État de droit », souligne Mohameden Ould Bah Ould Hamed. Cependant, selon une critique omniprésente au sein de la sphère publique mauritanienne, le think tank compterait trop de Beydanes (Maures blancs) et pas assez de NégroA.F. Mauritaniens.
dynamique de diversification de notre économie. Par ailleurs, de 2009 à 2016, nous avons réalisé 3 100 km de routes – soit plus qu’il n’en avait été construit depuis l’indépendance –, et 2000 km supplémentaires sont en chantier. En 2009, notre production électrique ne suffisait pas à nos besoins ; aujourd’hui, nous l’avons multipliée par dix et nous sommes devenus excédentaires. Nous n’avions que deux ports, à Nouakchott et à Nouadhibou; trois autres sont en construction. Idem en matière de ressources humaines : nous venons de fêter la sortie des premières promotions de notre université de médecine et de notre École polytechnique. Cette diversification n’est pas encore une réalité, mais tout est fait pour qu’elle soit réussie, selon la trajectoire que le chef de l’État nous a fixée. Et du côté des dépenses ?
Effectivement, il faut bien dépenser l’argent du contribuable… Au cours des deux dernières années, nous avons supprimé plus de 3 000 doublons dans la fonction publique, et les salaires correspondants ont été suspendus. Et cette rigueur n’est pas liée au choc actuel. Elle persistera. La vente de terrains et d’immeubles publics dans Nouakchott fait-elle partie de ces mesures de redressement ?
Non, une campagne de dénigrement destinée à stopper la dynamique des réformes a voulu les faire passer pour telles, mais ces opérations immobilières font partie d’une politique d’urbanisme. Jusqu’à présent, tous les terrains de Nouakchott ont été distribués de façon opaque et inéquitable. D’autre part, 70 % de la population de la capitale habitent dans des bidonvilles, et le Trésor public n’a jamais bénéficié de taxes immobilières normales. Désormais, nous voulons supprimer les blocs incompatibles avec un centreville moderne. Nous distribuons gratuitement des terrains aux populations des bidonvilles et nous utilisons les réserves foncières pour l’amélioration des conditions de vie, mais aussi pour l’esthétique de notre capitale. S’ils ne sont pas encore perceptibles par la population, les efforts du gouvernement ont-ils des résultats sur le plan macroéconomique ? JEUNE AFRIQUE
La République des sables
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DAOUDA CORERA POUR JA
Le 12 octobre, à Nouakchott.
Notre déficit budgétaire était de 4 % du produit intérieur brut en 2015, nous l’avons ramené à 0 % en 2016. Notre déficit du compte courant était de 19 %, il a été réduit à 12 %. Le choc a été absorbé. Je rappelle que nous avons aussi diminué notre taux de pauvreté, qui est passé de 42 % en 2008 à 31 % en 2013. Comment préparez-vous le futur ?
Notre croissance était supérieure à 5 % en 2014, mais seulement de 2 % en 2015. Nous estimons que nous devrions parvenir à 4 % cette année. Mais nous visons un taux de plus de 5 % à l’avenir et, pour cela, nous sommes en train d’adapter la stratégie que nous allons conduire de 2017 à 2030. D’abord, il nous faut développer notre agriculture. Nous disposons de 500 000 ha de terres arables, dont 135 000 sont irrigables, mais nous n’en exploitons que 40 000. La marge est énorme ! Même écart entre nos possibilités et nos réalisations en matière d’élevage : nous avons 20 millions de têtes de bétail, JEUNE AFRIQUE
mais nous continuons à importer viande, lait et yaourts. Nous comptons atteindre l’autosuffisance en matière de lait grâce à des usines comme celle de Néma, qui vient d’entrer en production, ou celle de Boghé. Troisième secteur où nous devons progresser : la pêche. Nous n’exploi-
Ces trois secteurs nous permettront de ne pas poursuivre dans une économie de rente minière. Si le gisement de gaz de Banda débouche sur la production d’électricité à bas prix et si le gisement de phosphates tient ses promesses, alors nous aurons des atouts supplémentaires pour continuer sur notre trajectoire, qui
L’agriculture et la pêche nous permettront de sortir d’une économie de rente. tons que 1 million de tonnes alors que notre capacité est de 2 millions. Il nous faut « pêcher cette différence » et, surtout, transformer les produits de notre pêche. Il n’est pas normal que le Maroc traite 300 000 t de sa pêche industrielle et emploie 100 000 personnes pour cela, alors qu’avec 500 000 t nous ne dénombrons que 10 000 emplois directs. Nous étudions la possibilité de compléter l’unique port de pêche, celui de Nouadhibou, en créant quatre autres ports.
pourrait nous valoir une croissance à deux chiffres d’ici à 2030 ! Les 10 % de croissance réalisés pendant dix ans par l’Éthiopie ne l’empêchent pas de connaître de graves troubles, nés des frustrations de certaines couches de sa population…
Je sais. Et c’est pour cela que j’ai cité l’agriculture et la pêche avant les produits pétroliers comme piliers de notre développement futur. Propos recueillis à Nouakchott par ALAIN FAUJAS N 0 2918 • DU 11 AU 17 DÉCEMBRE 2016
Le Plus de JA Mauritanie
Quelques bons augures Les signaux annonçant une remontée du cours du fer se multiplient. C’est une bonne nouvelle pour le gouvernement, à condition qu’il réussisse à réduire la dette et les déficits publics.
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arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait bien valoir à l’économie mauritanienne une sortie de la crise provoquée par l’effondrement du cours du fer en 2014. Le programme du futur président comporte en effet des investissements colossaux dans les routes, ponts et autres ports, qui nécessiteront beaucoup d’acier, et donc de fer. La remontée du cours de la tonne de minerai de fer – de 47 dollars (45 euros) il y a un an à 60 dollars en octobre – s’est accélérée, pour atteindre 75 dollars après l’élection américaine. Il était temps. Bien que le président Mohamed Ould Abdelaziz l’estime jugulée, la crise continue à se diffuser dans l’économie et dans les foyers mauritaniens, dont près de la moitié se trouvent dans une situation de très grande pauvreté, notamment dans les territoires situés aux frontières.
tiroir du secteur minier étatique et fait la chasse aux doubles salaires dans la fonction publique, avant de lancer ses inspecteurs des impôts à l’assaut des entreprises de téléphonie et du secteur bancaire, qui ont fait l’objet de redressements fiscaux. Le ministre de l’Économie et des Finances, Moctar Ould Diay (lire interview pp. 72-73), vient de présenter un projet de budget 2017 en hausse de 2,3 % par rapport à celui de 2016. Il vise 5 % de croissance en 2016, une inflation conte-
L’opposition et le FMI s’inquiètent du niveau très élevé de la dette publique mauritanienne. Elle atteint 93 % du produit intérieur brut (PIB), un niveau inhabituel en Afrique. « Il faut relativiser, affirme Marcellin Ndong Ntah, économiste en chef résident de la Banque africaine de développement, car 20 % de ce stock constituent une dette passive à l’égard du Koweït, que celui-ci a refusé d’annuler en raison du soutien de la Mauritanie à Saddam Hussein lors de la guerre du Golfe. La Mauritanie ne rembourse rien. D’autre part, son PIB est sous-évalué, car « Le PIB est sous-évalué : 80 % des 80 % des emplois du pays emplois du pays sont informels » sont informels. En conséMARCELLIN NDONG NTAH, économiste en chef résident de la BAD quence, nous estimons que cette dette est soutenable, à condition que son service soit géré nue à 2 %, un déficit budgétaire de 0,4 % et prudemment. » des réserves en devises couvrant six mois d’importations. Il s’agit de la première Deux hirondelles ne font pas le printemps, mais peuvent le faire espérer. La loi de finances fondée sur le programme Stratégie de croissance accélérée et de Chine, qui achète la plus grande partie prospérité partagée (2017-2030). de la production de fer de la Mauritanie, Quoiqu’un peu optimiste, ce projet est sort lentement de la déflation qui pesait plausible. Pour le réaliser, le gouvernesur sa croissance. Les prix mondiaux des matières premières vont s’en trouver ment devra régler plusieurs problèmes. dopés, et les achats de fer aussi. Le premier est celui des impayés publics, qui perturbent la vie économique. Le D’autre part, le groupe algérien Condor deuxième concerne les sociétés d’État (électroménager, informatique, téléphoen déficit (notamment SNDE, TVM, nie) a ouvert le 18 novembre à Nouakchott son premier showroom hors d’Algérie Somagaz, Radio Mauritanie), qui devront réduire des effectifs gonflés par des pour tester le petit marché africain. embauches que l’on peut qualifier « de Dix emplois ont été créés. Un début ? ALAIN FAUJAS convenance ».
FONDS DE TIROIR. Afin de ne pas
provoquer la colère populaire, le gouvernement a géré avec prudence la décélération de la croissance – tombée à 1,2 % en 2015, selon le Fonds monétaire international (FMI, voir infographie cidessous) – et la dégradation des comptes des entreprises publiques. Refusant de dévaluer l’ouguiya pour ne pas aggraver l’inflation, comme le lui demandait le FMI, il l’a laissé se déprécier de quelque 5 % par rapport au dollar depuis le début de l’année. Il a « gratté » les fonds de
DES INVESTISSEMENTS BRUTS EN RECUL
DES RÉSULTATS EN DENTS DE SCIE PIB (en milliards de $,
Croissance
en prix courants)
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5,53 5,35
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LE TERTIAIRE EN TÊTE
(contribution au PIB par secteur, en %)
(en % du PIB)
(en %, en prix constants)
2014 7
SOURCE : FMI, OCT. 2016
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25,6 Primaire
Secondaire
Tertiaire
Autres
JEUNE AFRIQUE
PLUS DE PASSAGERS DES OPPORTUNITÉS ILLIMITÉES
Renforçant davantage sa position de leader de l’aviation en Afrique occidentale, Mauritania Airlines élargit son réseau et offre une expérience améliorée à ses passagers. Boeing est fier de célébrer avec Mauritania Airlines la réception de son premier 737-800, et le premier jour d’une collaboration fructueuse et d’un avenir prospère.
boeing.com/commercial
Le Plus de JA Mauritanie INTERVIEW
Ely Ould Mohamed Vall « Ould Abdelaziz est un homme qui n’aime parler qu’à lui-même » l’opposition et Ould Abdelaziz pour la résolution de la crise ouverte par le coup d’État de 2008].
L’ex-président de la transition ne pardonne pas au chef de l’État, son cousin germain, le putsch qu’il a mené en 2008. Depuis, il est son plus virulent détracteur, même s’il n’appartient à aucun parti.
Serez-vous candidat à la présidentielle de 2019 ?
La question n’est pas d’être candidat, mais de trouver une solution politique. Quelle solution ?
YÉRO DJIGO POUR JA
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S
’
il ne reste qu’un opposant en Mauritanie, c’est lui. Ely Ould Mohamed Vall, 63 ans, ancien président de la transition, a réintroduit un pouvoir civil dans son pays en 2007 et n’acceptera jamais le coup d’État de son cousin, l’actuel président Mohamed Ould Abdelaziz, qui y a mis fin en 2008. Selon lui, ce dernier conduit la Mauritanie dans le mur. Et il ne croit pas à sa promesse de ne pas se présenter en 2019 pour un troisième mandat. JEUNE AFRIQUE: Quelle est votre position par rapport au chef de l’État ? ELY OULD MOHAMED VALL : Elle n’a
pas varié depuis huit ans. Admettre le coup d’État de 2008 est inacceptable et immoral. Un coup d’État peut se comprendre quand un pays croule sous les problèmes. Or, il a trouvé la Mauritanie dans une situation économique idéale. L’exploitation du pétrole démarrait, le pays était désendetté et, pour la première fois, les Mauritaniens avaient réussi une élection présidentielle démocratique. Aujourd’hui, notre dette atteint 93 % de notre produit intérieur brut. La mauvaise santé des sociétés publiques est en train de N 0 2918 • DU 11 AU 17 DÉCEMBRE 2016
provoquer la faillite de l’État. Les milliards du minerai de fer de la Snim [Société nationale industrielle et minière] ont été pillés pour financer des affaires douteuses. La pêche est délabrée. Les investisseurs n’investissent plus… L’unité nationale est menacée. Le dialogue qui s’est tenu en octobre n’estil pas une solution pour apaiser le pays?
Le parti-État et quelques petites formations d’opposition instrumentalisées ont organisé un monologue voulu par un homme qui n’aime parler qu’à lui-même. La vraie opposition a refusé de se prêter à cette mascarade destinée à remettre en cause les acquis démocratiques du pays. La situation politique est donc bloquée,car l’oppositionn’accepterajamaisdenégocier des atteintes à ces acquis et ne reconnaîtra jamais le résultat d’un référendum qui les organisera. Pas question de légaliser les simulacres du pouvoir.
Mohamed Ould Abdelaziz a pourtant dit qu’il ne changerait pas la Constitution pour effectuer un troisième mandat…
Je n’ai jamais cru ce qu’il disait depuis sa violation de l’accord de Dakar [entre
Il y a deux options : soit le pouvoir comprend qu’il est dans une impasse et il revient à un dialogue réel pour préparer unevraiealternanceen2019;soitilpersiste dans ses choix et il conduira la Mauritanie àlacatastrophe.L’opposition,danslaquelle je m’inscris, est ouverte à un véritable dialogue – mais avec des garanties –, qui exclurait le bon plaisir du président. Quelles garanties ?
Il faut mettre en place des instruments qui garantiront l’honnêteté et la transparencedenotreviepolitique.Ilfautquel’État redevienneneutreetqu’aucuncorpsconstitué ne puisse être au service d’un camp. Il faut que ni l’administration territoriale ou centrale, ni l’argent de l’État, ni les médias audiovisuels ne soient instrumentalisés au profit d’un candidat. C’est possible, car les Mauritaniens ont prouvé en 2005 qu’ils étaient mûrs pour la démocratie. L’armée n’est-elle pas incontournable dans le jeu politique mauritanien ? Acceptera-t-elle un président qui ne soit pas issu de ses rangs ?
Ce n’est pas l’armée qui a fait le coup d’État de 2008, mais le Bataillon pour la sécurité présidentielle, le Basep, qui s’est mis au service d’un individu. En vingt-sept ans, nous avons connu six coups d’État ou tentatives de coup d’État. Ça suffit ! Notre armée a été infiltrée par des intérêts particuliers. À ce petit jeu, elle risque de se désintégrer, comme on l’a vu en Somalie ou en Côte d’Ivoire. Nous avons frôlé la guerrecivile.Ilfautquel’arméecomprenne qu’elle doit sortir de la vie politique pour redevenir la garantie ultime de la nation mauritanienne. Propos recueillis à Nouakchott par ALAIN FAUJAS JEUNE AFRIQUE
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Le Plus de JA Mauritanie
JOE PENNEY/REUTERS
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L’un des gisements de fer exploités par la Snim à Zouerate, dans le nord du pays. INDUSTRIES EXTRACTIVES
pour protéger les habitants de ces contrées fragiles parce que désertiques. Depuis l’entrée en production, en novembre 2015, de Guelb II, la deuxième usine d’enrichissement du minerai de fer de la Snim, la quantité de poussières respirées par les habitants de la région de Zouerate, dans le nord du pays, aurait augmenté de 10 % à 15 %. Dans le domaine du pétrole et du gaz, le directeur général des Hydrocarbures, Ahmed Salem Tekrour, a souhaité rassurer les investisseurs qui tardent à emboîter le pas aux sociétés candidates à des contrats d’exploration-production – Chariot Oil & Gas, Kosmos Energy, Total et Tullow Oil. Il a souligné lors de la conférence que le cadre juridique avait été amélioré en 2015, après que la Mauritanie eut satisfait aux exigences de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie). Désormais, les contrats sont adoptés par décret et non par la voie législative, trop lente, l’État mauritanien se réservant 10 % de la société créée. PANORAMA SOURIANT. Andrew Inglis,
PDG de Kosmos Energy, n’a pas manqué de vanter les perspectives du gisement gazier offshore Grand-Tortue-Ahmeyim, transfrontalier avec le Sénégal, dont le Le pays a du minerai à revendre, mais à quel prix ? Depuis la chute contrat devrait être signé avant la fin de des cours, le secteur fait grise mine. Les regards se tournent donc cette année, les deux pays s’étant quant vers le pétrole et le gaz… et vers des investisseurs toujours prudents. à eux engagés le 16 novembre à signer un accord de coopération pour l’exploitation a q u at r i è m e é d i t i o n d e s du site d’ici à la fin de 2018. Les réserves dépendance vis-à-vis de l’extérieur oblige Mauritanides, la conférencede ce champ découvert en janvier au la Mauritanie à relever plusieurs défis. Le large des côtes mauritano-sénégalaises exposition sur les secteurs minier premier consiste à diversifier ses clients, et pétrolier mauritaniens qui s’est parce que 70 % de ses exportations de fer sont estimées à 450 milliards de m3, avec tenue à Nouakchott du 11 au 13 octobre, 1 500 emplois et 15 milliards de dollars sont destinés à la Chine, qui ne sera plus la de recettes à la clé. a rassemblé nettement moins d’exposants formidable locomotive des années 2000. Même panorama souriant décrit par qu’il y a deux ans. Signe que la chute des Le deuxième sera de créer des emplois cours des matières premières engagée dans le secteur extractif. Celui-ci « contrile ministre du Pétrole, de l’Énergie et des bue pour 38 % au produit intérieur brut Mines, Mohamed Abdel Vetah : 13 mildepuis 2014 n’a pas fini de faire sentir lions de tonnes de fer ont été produites ses douloureux effets. Avec un prix du mauritanien, mais ses salariés ne pèsent en 2015 (18 millions sont minerai de fer divisé par plus de trois – qui a découragé le suisse Glencore et attendues prochainement, Manganèse, baryte, kaolin, dégradé les comptes de la Société natiopuis 25 millions en 2025), phosphates, baryum, lithium… nale industrielle et minière (Snim) – et plus 594 t de quartz, 45 000 t de cuivre, 6,2 t d’or… Un une once d’or qui plafonne à 1300 dollars, attendent aussi les opérateurs. constat confirmé par la Mauritanie souffre. Car les industries extractives pèsent lourd dans sa vie écoque 0,4 % de la population active, rappelle Tasiast Mauritanie Limited SA (TMLSA), la filiale du canadien Kinross Gold nomique. Avant la crise, elles représenl’expert de la BAD. Il crée peu d’emplois, et on ne voit pas d’émergence de soustaient les trois cinquièmes de ses recettes Corporation (lire p. 80), qui va augmenter de moitié sa capacité de traitement, traitants locaux ». Il représente donc un d’exportation et la moitié des recettes non ainsi que par son compatriote Algold fiscales de l’État. enjeu dans la lutte contre la pauvreté. Resources, dont le directeur général, Comme l’a analysé, en séance, Enfin, le troisième défi est environneFrançois Auclair, juge le gisement d’or Marcellin Ndong Ntah, l’économiste mental. Les industries extractives boulerésident à Nouakchott de la Banque afriversent le sol, le sous-sol et l’atmosphère. du Tijirit « très prometteur », cartes géocaine de développement (BAD), cette logiques et forages à l’appui. Des précautions doivent donc être prises
Vivement la reprise!
L
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JEUNE AFRIQUE
La République des sables EXPORTATIONS DE PÉTROLE ET DE PRODUITS MINIERS Volume en milliers de barils 2014 2015
1 564
1 499
Valeur en millions d'ouguiyas 2014 2015
47 859
23 385
262 611
119 221
50 203
63 501
123 145
118 038
Pétrole Volume en milliers de tonnes 2014 2015
Fer
12 908
11 329
Volume en milliers de tonnes 2014 2015 Cuivre
30
48
Volume en milliers d'onces 2014 2015 Or
324
326
SOURCES : BANQUE CENTRALE, SNIM, MCM, TASIAST, CNSRH
Dans les travées des Mauritanides, il n’y avait pas que de l’or et du fer à récolter. Manganèse, baryte, kaolin, phosphates, baryum, lithium et, plus au nord, nickel, zinc et plomb sont là aussi, qui attendent les investisseurs. Alors, qu’est-ce qui peut bien retenir ces derniers de venir dans un paysdontMohamedElHassenBoukhraiss, conseiller au ministère de l’Économie et des Finances, vante « l’énorme potentiel d’investissement»?Selonunspécialistedu secteur, « vu d’Europe ou d’Amérique, une République “islamique” de Mauritanie, puisque tel est son nom, n’augure rien de bon, sauf si les bénéfices s’annoncent assez considérables pour affronter le risque. Du point de vue des cadres et des techniciens, l’absence d’alcool et de loisirs compose un tableau d’une austérité décourageante… C’est injuste, mais seuls les mordus de la mine, du pétrole et du désert sont aujourd’hui tentés par l’aventure » ! Reste à espérer que les prix remonteront enfin en 2017 pour leur donALAIN FAUJAS ner du cœur à l’ouvrage.
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Le Plus de JA Mauritanie La capacité de traitement de la mine de Tasiast devrait augmenter de moitié d’ici à 2018.
BA ALPHA SEYDI/KINROSS
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Kinross est contraint de se mauritaniser
«
C
’est la première fois que Kinross est obligé de mettre les pouces ! » commente un expert européen après l’accord de mauritanisation signé le 27 juillet par les autorités de Nouakchott et le groupe minier canadien, cinquième producteur mondial de métal jaune, qui exploite depuis 2010 la mine d’or de Tasiast, dans le nord-ouest du pays. Au goût de l’exécutif mauritanien, la filiale de Kinross Gold Corporation, Tasiast Mauritanie Limited SA (TMLSA), était « trop offshore » et créait peu d’emplois. En effet, la mine était dirigée depuis Las Palmas, aux îles Canaries (au large des côtes marocaines), où étaient établis la direction régionale du groupe, la gestion des ressources humaines, l’informatique, le service juridique et celui des approvisionnements. Les cadres supérieurs ne séjournaient sur le site de Tasiast que quelques jours par mois. La gestion du personnel était quant à elle d’inspiration très nord-américaine, c’est-à-dire que TMLSA ne prenait pas de gants pour réduire ses effectifs, au motif que la mine n’était pas rentable. Afin d’expliquer pourquoi il employait 11 % d’expatriés en Mauritanie alors que ce pourcentage est inférieur à 5 % dans sa filiale ghanéenne, le groupe soulignait que le Ghana avait une longue tradition minière et, donc, des personnels d’encadrement bien formés. Manifestement, le gouvernement en a eu assez de ces explications. À la mi-juin, N 0 2918 • DU 11 AU 17 DÉCEMBRE 2016
des inspecteurs du travail constatent à Tasiast « des manquements graves à la législation sociale » et l’emploi d’expatriés étrangers dont le permis de travail a expiré. La direction riposte en stoppant l’exploitation. Les négociations finissent par rapprocher les points de vue : un accord est signé, le 27 juillet, et l’extraction reprend début août.
l’accord est bien appliqué et que la mine fonctionne correctement. Le 2 octobre, une nouvelle convention collective d’établissement a été signée avec les délégués du personnel de l’entreprise. Elle prévoit un système de bonus qui s’adaptera à la situation financière de la société. Si Kinross a accepté les demandes mauritaniennes, c’est qu’il pense pouvoir rendre la mine de Tasiast rentable, voire très rentable, si le cours de l’or repart à PROMOTION INTERNE. Première conséla hausse au-delà de 1 300 dollars l’once. quence, un directeur pays de TMLSA La capacité de traitement, actuellement s’est installé à demeure à Nouakchott limitée à 8 000 tonnes par jour, devrait le 24 août. Il s’agit du diplomate français augmenter à 12 000 t/j à l’horizon 2018, Jean Félix-Paganon, ancien ambassaavec l’adjonction d’équipements de deur de France au Koweït, en Afrique concassage et de broyage, dont le coût du Sud, en Égypte et au Sénégal, qui est estimé à 300 millions de dollars. Avec détaille les principaux points de l’accord: 2 400 salariés, TMLSA a produit en « Nous ramenons à Nouakchott les 2015 220 000 onces d’or (soit personnels dédiés à la mine de 6,2 t) et dit ne pas équilibrer Tasiast, soit une vingtaine de ses comptes. En passant à la personnes. La mauritanisavitesse supérieure, les bénétion de la mine sera étalée fices seraient de retour. sur deux ans. Pour cela, nous Mieux : une phase 2 du recruterons dix personnes fin projet d’expansion – toujours 2016, et entre vingt et trente fin juin 2017. Le recrutement se à l’étude – porterait à 30 000 t/j La production d’or la capacité de la mine, avec un fera soit par promotion interne est passée de après formation, soit par un investissement supplémentaire de 620 millions de dollars. La recrutement sur le marché local ou au sein de la diaspora maudécision de réaliser ce doubleonces ritanienne au Canada ou dans ment devrait être prise vers la (2,35 tonnes) en 2007 à le Golfe. » fin de l’année 2017. À n’en pas douter, l’accord entre Kinross Àcettefin,lebudgetdeformation de TMLSA sera augmenté et le gouvernement repose sur ces perspectives optimistes. de plus de 60 %. Et un comité onces ALAIN FAUJAS de suivi vérifiera désormais que (6,24 t) en 2015
83 000
220 000
JEUNE AFRIQUE
La République des sables HUMEUR Alain Faujas
Maudite fièvre
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ls rentrent les uns après les autres de leur ruée vers l’or, et pas bien fiers, les quelque 16000 orpailleurs amateurs qui, en avril, avaient fondu sur la région de Tijirit, à quelques centaines de kilomètres de Nouakchott. Peut-être inspirés par des rumeurs venues des géologues des sociétés minières Kinross ou Algold et mal interprétées par des têtes enfiévrées, ils avaient apporté deux photos d’identité et payé 100 000 ouguiyas (environ 250 euros) pour avoir le droit de gratter la roche et le sable pendant quatre mois. Ensuite, il leur a fallu acheter un détecteur de métaux, dont le prix variait de 200 (les faux) à 4000 euros (les efficaces). La demande de ces matériels était si forte que, le 25 avril, l’avenue Charles-de-Gaulle, à Nouakchott, fut complètement embouteillée en raison de la marée automobile partie à l’assaut des boutiques spécialisées ouvertes par des petits malins. Puis ils ont dû acquérir des 4 ×4 pourris, des pelles, des tentes et des provisions. Ils ont mis le cap au nord-est, vers cet eldorado où les petits malins cités plus haut leur disaient qu’« il suffit de se baisser pour faire fortune ». En fait de fortune, les plus chanceux ont déniché quelques onces d’or qui ont à peine remboursé les frais engagés. Certains, qui ont englouti tous leurs biens dans ce mirage, sont devenus fous, dit-on. Comme en Californie puis au Klondike au XIXe siècle, il était sacrément difficile, même pour des gens sensés, de résister à une telle poussée de fièvre… Aujourd’hui, il reste une centaine de détecteurs en rade dans le hangar sous douane du nouvel aéroport de Nouakchott. Personne ne les réclame.
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Le Plus de JA Mauritanie INFRASTRUCTURES
On se passera du bac à Rosso D’ici à cinq ans, un pont sur le fleuve Sénégal va enfin permettre de relier les deux rives – l’une mauritanienne, l’autre sénégalaise – de la ville frontière. De quoi doper les échanges locaux.
Ç
a y est ! La construction tant attendue du pont de Rosso, sur le fleuve Sénégal, peut commencer. La Banque africaine de développement (BAD) vient de donner l’ultime feu vert pour démarrer le chantier de ce chaînon manquant du corridor transafricain n° 1 entre Le Caire et Dakar. Si rien ne vient l’entraver, les camions et les voitures gagneront deux bonnes heures de transport entre Nouakchott et la capitale sénégalaise d’ici à 20202021. Inch’Allah. C’est un projet qui a plus de cinquante ans d’âge et que tous les Africains sensés appelaient de leurs vœux, tant le bon vieux bac de Rosso constituait un goulot d’étranglement pour les transports
Les véhicules gagneront deux bonnes heures entre Nouakchott et Dakar. locaux et internationaux. Les blocages venaient surtout de la Mauritanie, dont la Société des bacs tirait d’appréciables ressources de la navette fluviale. À Nouakchott, certains dirigeants fantasmaient sur une « invasion » sénégalaise rendue possible, selon eux, par un franchissement trop facile de la frontière
naturelle du fleuve. Mais le bac est petit et ne fonctionne que de 9 heures à 19 heures, à raison de 4 ou 5 traversées par jour, ce qui n’autorise pas plus de 1 500 piétons, 100 voitures et 15 camions en moyenne par jour. Il est vétuste et dangereux, ce qui a occasionné trois accidents, dont le dernier a causé la noyade de 10 personnes le 4 juillet. Enfin, les aléas climatiques vont rendre le niveau du fleuve de plus en plus erratique, et donc la navigation difficile en cas de sécheresse prolongée. En regard, les avantages d’un pont fonctionnant jour et nuit sont évidents. Selon les études menées par la BAD, la réduction du temps de franchissement de la frontière – qui passera théoriquement de vingt-cinq à deux minutes – diminuerait les coûts du transport de 5,60 euros à 0,45 euro l’heure. Le trafic quotidien moyen bondirait de 115 véhicules à 370 à la miseenservicedupont,puis à 3 210 à l’horizon 2048. Les populations locales seront gagnantes, aussi bien du côté mauritanien (50 000 habitants) que sénégalais (12000 personnes). Composées en majorité de jeunes et de femmes qui vivent du commerce des produits vivriers et de la pêche, elles verront leurs activités dopées par un accès plus aisé à l’autre
rive et profiteront des infrastructures sanitaires qui y seront installées. TRAVAIL D’ÉQUIPE. Le président Mohamed Ould Abdelaziz avait débloqué le projet en 2009, mais il lui a fallu résoudre avec son homologue sénégalais, Macky Sall, plusieurs problèmes qui l’ont retardé. Les Mauritaniens voulaient d’un pont à 2 × 2 voies, qui aurait coûté deux fois plus cher que l’ouvrage à 2 × 1 voie souhaité par la BAD et la Banque européenne d’investissement (BEI). C’est cette dernière solution qui a finalement été retenue. Les Sénégalais exigeaient – et ont obtenu – de piloter seuls la gestion du
PHOTONONSTOP/AFP
La République des sables
pont. En compensation, l’autorité gestionnaire sera domiciliée en Mauritanie. La préparation du chantier a été un vrai travail d’équipe. Il faut rendre hommage aux deux parties – notamment aux deux chefs d’État – pour leur esprit de conciliation, qui les a poussés à se faire mutuellement beaucoup de concessions. Pour définir l’ouvrage, les études ont duré huit ans, et le Maroc, très intéressé à disposer d’une liaison terrestre commode avec l’Afrique subsaharienne, y a apporté sa contribution. Il s’agira d’un pont de 1461 m de longueur et de 55 m de largeur qui, avec ses voies d’accès créées ou rénovées sur 8 km, coûtera près de 87,5 millions d’euros, expropriations et aides aux populations locales, notamment aux femmes et aux jeunes, comprises. La BAD apportera 41 millions d’euros – sous forme de dons et de prêts –, la BEI prêtera 22 millions, l’Union européenne donnera 20 millions et les deux États apporteront le complément, soit près de 4,5 millions d’euros. Souhaitons que les gouvernements des deux pays en profitent pour améliorer leurs systèmes de contrôle douanier et policier qui, actuellement, à Rosso, compliquent le transit des véhicules et infligent des tracasseries aberrantes aux commerçants. Les bénéfices attendus de l’ouvrage en dépendent. ALAIN FAUJAS JEUNE AFRIQUE
Avec la liaison terrestre, le trafic devrait être de 370 voitures et camions par jour, contre 115 actuellement.