Algérie Cette si discrète société civile
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 57e année • n° 2939 • du 7 au 13 mai 2017
Côte d’Ivoire Konan Banny, ses ambitions pour le PDCI
jeuneafrique.com
Infrastructures L’appel du rail
Tunisie Mohamed Talbi, l’homme libre
DÉBAT
Le développement de l’Afrique,
une illusion ?
Malgré les difficultés actuelles, une décennie de forte croissance a permis d’enregistrer d’indéniables progrès. Mais qui en profite vraiment ? ÉDITION INTERNATIONALE ET AFRIQUE SUBSAHARIENNE France3,80€•Algérie250DA•Allemagne4,80€•Autriche4,80€•Belgique3,80€•Canada6,50$CAN•Espagne4,30€•Éthiopie67birrs•Grèce4,80€•Guadeloupe4,60€ Guyane 5,80 € • Italie 4,30 € • Luxembourg 4,80 € • Maroc 25 DH • Martinique 4,60 € • Mauritanie 1200 MRO • Mayotte 4,60 € • Norvège 48 NK • Pays-Bas 4,80 € Portugal cont. 4,30 € • Réunion 4,60 € • RD Congo 6,10 $ US • Royaume-Uni 3,60 £ • Suisse 6,50 FS • Tunisie 3,50 DT • USA 6,90 $ US • Zone CFA 1900 F CFA • ISSN 1950-1285
Infrastructures
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Passagers sortant d’une rame de train Gautrain à Midrand, en Afrique du Sud.
Rail En voiture!
Les projets ferroviaires africains, bien qu’encore largement destinés au fret, s’intéressent de plus en plus au transport de passagers – même si le TGV marocain restera un cas isolé quelque temps encore. OLIVIER CASLIN
E
n matière de transport ferroviaire, l’Afrique a un train de retard. Encore plus quand il s’agit du trafic de passagers. Comme si le rail payait encore son péché originel. « La quasi-totalité des lignes de chemin de fer africaines tirent leurs origines de la période coloniale. Elles ont été construites au début du XXe siècle pour relier les exploitations minières et agricoles aux ports. Leur objectif était de convoyer d’importants volumes de marchandises, pas des personnes », rappelle Jean-Pierre Loubinoux, directeur général de l’Union internationale des chemins de fer (UIC). Depuis, le continent doit gérer cet héritage qui continue à structurer son développement économique, avec le risque de rester cantonné dans un rôle depuis trop longtemps défini, celui de fournisseur de matières premières pour le JEUNE AFRIQUE
enfin répondre aux impératifs de mobireste de la planète. Bien sûr, les volumes de fret, massifs par nature, justifieront lité en souffrance de plus d’un milliard encore longtemps les investissements d’Africains. colossaux nécessaires à la construction de nouvelles liaisons. Pourtant, « un MAL RÉPARTIE. Et l’Afrique part de loin par rapport aux autres continents. Avec changement de tendance est palpable », 51 000 km de voies opéconstate le responsable de rationnelles, le continent l’UIC. La pression démo500 millions dispose de 5 % du réseau graphique et l’urbanisainternational. Mais si ses tion qui l’accompagne d’usagers rails transportent 7 % du semblent pousser les empruntent les fret mondial, cette propouvoirs publics africains trains africains portion tombe à 2 % sur à porter une attention plus chaque année: l’activité passagers, avec soutenue que jamais au 500 millions d’usagers transport de passagers. c’est 2 % du en moyenne chaque En plus de réorienter les trafic mondial. année, selon les estimapriorités commerciales tions communiquées vers l’intérieur des terres en 2015 par la Banque africaine de plutôt qu’en direction des côtes pour développement (BAD). bâtir l’ossature nécessaire à une véritable intégration économique intra-africaine, Une fréquentation très mal répartie sur une diversification des installations ferl’ensemble du continent, puisque les pays d’Afrique du Nord (hors Libye), Égypte roviaires existantes et à venir pourrait N O 2939 • DU 7 AU 13 MAI 2017
MARC SHOUL POUR JA
Focus
Focus et Maroc en tête, absorbent à eux seuls 85 % du marché continental. Quatre des cinq principales lignes du continent sont situées au nord du Sahara – la cinquième étant le Gautrain sud-africain, qui depuis 2012 relie Johannesburg à Pretoria. « Ces zones combinent de fortes densités et une concurrence aérienne peu importante sur les liaisons intérieures », explique un expert de la BAD. Le Maroc dispose ainsi à Rabat du principal nœud ferroviaire du continent en nombre de passagers selon l’UIC, au cœur du triangle Tanger-Fès-Casablanca. Et le royaume chérifien s’apprête à renforcer encore sa position de leader dans ce domaine avec l’arrivée en 2018 de la première ligne à grande vitesse du continent (voir encadré). Affichant à la fois une viabilité commerciale, une volonté politique et la capacité, grâce à sa stabilité, de mobiliser les investisseurs privés, le pays est « une exception », selon Pascale Grasset, vice-présidente d’Alstom et responsable du développement du groupe pour l’Afrique et le Moyen-Orient. Aucun autre train ne devrait franchir la barrière des 320 km/h atteinte par le TGV marocain avant longtemps sur le continent, mais le constructeur multiplie néanmoins les contrats à travers l’Afrique. L’équipementier français a ainsi répondu à un appel d’offres lancé par l’Office national des chemins de fer marocains (ONCF)
pour des trains régionaux et fournit la Société nationale des transports ferroviaires (SNTF), l’opérateur algérien, qui veut moderniser d’ici à 2018 ses services entre la capitale du pays et d’importants centres urbains comme Oran ou Constantine, ainsi que le Sénégal pour la future ligne entre Dakar et le nouvel aéroport international Blaise-Diagne (50 km).
SNCFRATP aux commandes à Dakar
l’a fait Abuja, semble un peu excessif : il devrait rouler à 150 km/h en moyenne. Financé par l’Exim Bank of China, son premier tronçon À partir de 2018, de 200 km, reliant la capitale c’est le groupement à la ville de Kaduna, a été français SNCF-RATP qui inauguré en juillet 2016. assurera l’exploitation La Chine est, sur le dossier et la maintenance, pour ferroviaire africain, « un vériune durée minimale table accélérateur de partide cinq ans, du train cules », observe Jean-Pierre express régional (TER) Loubinoux. Dans la Corne de qui reliera la capitale au l’Afrique, l’empire du Milieu nouvel aéroport Blaisevient ainsi de donner une ÉLASTIQUES. En matière de Diagne. La France a transport de passagers, le deuxième jeunesse au vieil par ailleurs accordé plus gros projet ferroviaire axe Djibouti - Addis-Abeba, un financement du continent est nigérian. qui va permettre de désend’environ 200 millions Il s’agit de la modernisaclaver l’Éthiopie. En plus du d’euros pour l’achat tion accélérée d’un réseau fret, cette ligne de 760 km de matériels roulants doit également assurer un depuis longtemps largement construits par le groupe dépassé par la demande, en service de passagers dans les Alstom matière tant de fret que de prochains mois. Elle constitue le premier segment d’un réseau de passagers. Au total, plus de 3 200 km de lignes doivent être réhabilités ou 5000 km devant relier d’ici à 2020 la capiconstruits en quinze ans, comme la liaitale éthiopienne au Soudan du Sud, au son côtière, tracée sur 1 400 km, entre Soudan et au Kenya. Les Chinois sont Lagos et Calabar, via Port Harcourt. Le aussi maîtres d’œuvre pour la rénovation fleuron de ce vaste projet, estimé à pluprévue sur quatre ans de la liaison Dakarsieurs dizaines de milliards de dollars Bamako. La China Railway Construction et confié à la China Civil Engineering Corporation (CRCC) a prévu de reconstruire entièrement la ligne installée en ConstructionCorporation(CCECC),porte 1923, pour qu’elle soit en mesure de sur la construction d’un « TGV » entre transporter 2 millions de passagers et Abuja et Lagos, même si lui accoler le 6 millions de tonnes de marchandises qualificatif de « grande vitesse », comme
LE MAROC À GRANDE VITESSE
L
e Maroc, qui dispose déjà de l’un des principaux réseaux ferrés du continent, va encore creuser l’écart en 2018, avec l’inauguration de sa première ligne grande vitesse (LGV) sur 200 des 350 km reliant Tanger à Casablanca. Grâce à un investissement de 1,8 milliard d’euros, le pays s’est équipé d’un train et d’une voie flambant neufs. « Une première mondiale, puisque normalement le matériel roulant doit s’adapter à un réseau existant », explique Pascale Grasset, responsable du développement chez Alstom. C’est en France que les douze rames ont été construites – leur livraison s’est achevée en juillet 2016 –, tandis que la filiale marocaine du groupe, installée à Fès, s’est occupée du câblage, comme le prévoyait la convention industrielle signée en 2010 entre les deux partis. Une fois les derniers essais à grande vitesse réalisés et la tarification adéquate définie par l’Office national des chemins de fer (ONCF), leTGV marocain, dans sa robe rouge et vert, pourra s’élancer. Pour le plus grand plaisir des 6 millions de passagers attendus chaque année O.C. à son bord. N 0 2939 • DU 7 AU 13 MAI 2017
Mi-2018, le trajet Tanger-Casablanca ne prendra plus que 2 h 10. DR
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JEUNE AFRIQUE
Infrastructures
INTERVIEW
Edgar Coulomb
Directeur régional d’Eiffage Infrastructures
« Notre statut de cofinanceur des projets rassure nos partenaires » Très présent au Sénégal depuis des décennies, le géant français du BTP entend désormais s’implanter de manière pérenne en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.
A
vec un chiffre d’affaires de 121 millions d’euros au Sénégal sur un total en Afrique de 267 millions d’euros en 2015, le groupe Eiffage concentre encore aujourd’hui la plus grande partie de ses activités sur le continent au pays de la Teranga. Il a par exemple construit la première autoroute à péage en Afrique de l’Ouest entre Dakar et le nouvel aéroport international Blaise-Diagne (AIBD), distants d’une quarantaine de kilomètres, qu’il exploitera jusqu’en 2039. Il entreprend en outre le tracé du TER qui reliera ces deux mêmes villes fin 2018. Les activités dans le pays forment d’ailleurs une filiale à part entière, quand le groupe s’est contenté d’ouvrir des bureaux de représentation dans les autres marchés. Mais depuis quelques années, le troisième géant français du bâtiment (derrière Vinci et Bouygues), qui veut faire de l’Afrique le terrain de sa diversification et de son expansion, tente de s’imposer sur d’autres territoires, notamment en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Spécialiste des ponts, des ouvrages d’art et des barrages, il a ainsi remporté dernièrement une moisson de contrats en Sierra Leone, en Angola, au Togo, en Côte d’Ivoire… Au siège de l’entreprise, à Vélizy-Villacoublay, près de Paris, Jeune Afrique a rencontré Edgar Coulomb, directeur d’Eiffage Infrastructures pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. JEUNE AFRIQUE: Il y a quelques années, Eiffage voulait faire de l’Afrique le levier de sa croissance. Y est-il parvenu ?
JEUNE AFRIQUE
BAUDEAU/EIFFAGE
par an. Toujours en Afrique de l’Ouest, la « Blueline », chère au groupe Bolloré devrait également pouvoir compter sur les capitaux chinois pour voir le jour. Le projet rencontre encore de nombreux obstacles politiques et judiciaires, mais ses 2 700 km sont toujours censés relier – un jour – les ports d’Abidjan, de Cotonou et de Lomé, via les capitales du Burkina Faso et du Niger, les trains de passagers s’intercalant entre les convois de marchandises. Un mariage de raison entre deux types d’activités qui ne font pas forcément bon ménage : les systèmes d’exploitation destinés au transport de passagers ont des obligations de ponctualité et de vitesse bien moins élastiques que celles de l’acheminement de marchandises. « Il n’y a qu’à voir l’état du fret en France », persifle un professionnel du secteur. Et si en Europe le fret a dû s’effacer, difficile de dire ce qu’il adviendra en Afrique : arrivera-t‑elle à conjuguer les deux types de transport ou assumera-t‑elle un tout-marchandises ? Mais l’urgence est peut-être ailleurs pour le continent. La réalisation des différents projets va déjà assurer une standardisation des écartements répondant aux impératifs de sécurité et qui doit permettre, à terme, une interconnexion des lignes pour constituer ce futur réseau transcontinental que le continent attend depuis si longtemps.
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EDGAR COULOMB : Dans les années 2000, le groupe avait maintenu un contour très européen, voire hexagonal. L’Afriqueestredevenuepournousdepuis 2011 un des principaux axes identifiés pour augmenter notre internationalisation. Depuis quatre-vingt-dix ans, nous n’étions présents qu’au Sénégal et ne menions dans le reste du continent que quelques opérations épisodiques. Aujourd’hui, Eiffage Infrastructures s’est redéployé dans une dizaine de pays africains. Nous constatons un regain d’investissements de la part des donneurs d’ordre privés et publics, portuaires, aéroportuaires, dans les énergies renouvelables et dans une certaine mesure de la part des pétroliers, ce qui nous laisse relativement optimistes. La baisse des cours des matières premières a affecté les budgets des N 0 2939 • DU 7 AU 13 MAI 2017
Focus du risque financier. Cela rassure nos partenaires. En réalisant l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio au Sénégal [pour laquelle Eiffage a apporté 35 millions d’euros en échange d’une concession de vingt-cinq ans], on a démontré que l’on était capable de développer des PPP avec le même niveau de qualité en Afrique qu’en Europe. C’est un mode de financement intéressant car il limite l’investissement public et permet aux États de consacrer leurs efforts financiers aux domaines régaliens comme l’éducation et la santé. C’est du gagnant-gagnant. Par ailleurs, en confiant l’exploitation de l’ouvrage au privé, cela permet de gérer la question de sa maintenance. C’est là que les projets d’infrastructures pèchent le plus souvent.
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Travaux des grands collecteurs d’assainissement, à Brazzaville. États. Cela s’est-il ressenti sur les commandes publiques ?
Oui, surtout au Maghreb et en Afrique centrale, où l’investissement public était beaucoup plus contraint, avec des opérations qui s’étalent plus dans le temps. Comment comptez-vous étendre votre présence ?
Notre stratégie repose sur deux piliers : développer à long terme une activité dans les pays où l’on opère tout en restant ouvert aux opportunités dans les pays où l’on n’est pas encore actif. Nous avons terminé en 2016 l’extension du terminal à conteneurs du port de Lomé pour le compte de Bolloré. Cela nous a permis de gagner deux autres projets importants : les ouvrages de drainage des eaux pluviales de la ville de Lomé et le chantier du centre d’enfouissement technique des déchets solides du Grand Lomé. Eiffage est donc entré au Togo à la faveur d’une opération complexe techniquement, considérant que les critères étaient réunis pour pouvoir s’implanter localement de manière pérenne. Quels autres projets étudiez-vous ?
En Sierra Leone, l’extension gagnée sur la mer du terminal à conteneurs du port de Freetown exploité par Bolloré est en cours, les travaux maritimes démarrent en mai avec la construction du nouveau quai. Le Ghana fait aussi partie des pays que nous regardons de près. Nous sommes d’ailleurs en compétition pour la construction du terminal à conteneurs N 0 2939 • DU 7 AU 13 MAI 2017
du port de Tema exploité par Meridian Port Services [consortium réunissant Bolloré et APM Terminals]. Le moment venu, nous nous positionnerons sur les projets d’échangeurs, de ponts et de sections autoroutières du Bénin. Nous comptons également nous développer dans ce domaine en Côte d’Ivoire, où nous allons par ailleurs lancer d’ici quelques mois la construction du barrage hydroélectrique de Singrobo. Nous comptons devenir incontournables sur ce type d’ouvrages. Dans l’avenir, la construction des aéroports fera aussi l’objet de toute notre attention, même si nous n’avons pas encore remporté de marché dans ce
Sur quels autres projets de PPP travaillez-vous actuellement ?
Aucun n’est à un stade suffisamment avancé pour que l’on puisse en parler. Nous pouvons seulement dire que nous avons marqué notre intérêt pour des mises en concession autoroutière au Congo. Pour que nous nous penchions sur un dossier de PPP, il faut que la construction nous soit confiée, mais aussi que la structure recueille une certaine adhésion sociale et qu’elle soit d’une taille suffisante pour nous permettre d’amortir le coût de son financement. Comment se démarquer par rapport à vos concurrents turcs et chinois, qui pratiquent des prix plus compétitifs ?
En tant qu’acteur global, nous pouvons nous positionner sur des infrastructures de grande dimension ou à forte technicité. secteur. Notre activité au Maghreb tarde en revanche à démarrer. Compte tenu des contraintes financières qui pèsent sur les États, n’est-il pas plus dur de boucler le montage financier d’un projet d’infrastructure en Afrique qu’en Europe ?
Nous contournons ces difficultés en nous plaçant comme constructeur, comme opérateur, mais aussi comme financeur des projets dans le cadre de partenariats public-privé [PPP], ce qui signifie que nous assumons une partie
Nous embauchons à 90 % des salariés locaux. Nous avons une capacité de déploiement très rapide. Nous avons vocation à être un acteur local par notre collaboration avec les entreprises du pays, et global grâce à notre capacité à fournir des réponses à des problématiques compliquées et à nous positionner sur des projets de génie civil de très grande dimension, mais aussi à forte technicité ou à composante multimétiers. C’est ainsi que nous valorisons le savoir-faire des bureaux d’études du groupe. Propos recueillis par RÉMY DARRAS JEUNE AFRIQUE
Vivre le progrès.
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