Pdf ja 2941 plus guinée equatoriale

Page 1

Côte d’Ivoire L’armée, ce grand corps malade

jeuneafrique.com

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 57e année • n° 2941 • du 21 au 27 mai 2017

Guinée équatoriale Sans pétrole, des idées ? Spécial 18 pages

Gabon Marie-Madeleine Mborantsuo, femme de pouvoir en eau trouble Tunisie Abdelfattah Mourou : « Nos querelles risquent de bloquer le processus démocratique »

MOBUTU

20 ANS APRÈS • La chute du Léopard, par Jean-Pierre Langellier • Ce qu’il reste de lui dans la RD Congo d’aujourd’hui • Que sont devenus ses fidèles et ceux de Laurent-Désiré Kabila ? • Honoré Ngbanda, maître espion et dernier des Mohicans ÉDITION INTERNATIONALE ET AFRIQUE CENTRALE

France3,80€•Algérie250DA•Allemagne4,80€•Autriche4,80€•Belgique3,80€•Canada6,50$CAN•Espagne4,30€•Éthiopie67birrs•Grèce4,80€•Guadeloupe4,60€ Guyane 5,80 € • Italie 4,30 € • Luxembourg 4,80 € • Maroc 25 DH • Martinique 4,60 € • Mauritanie 1200 MRO • Mayotte 4,60 € • Norvège 48 NK • Pays-Bas 4,80 € Portugal cont. 4,30 € • Réunion 4,60 € • RD Congo 6,10 $ US • Royaume-Uni 3,60 £ • Suisse 6,50 FS • Tunisie 3,50 DT • USA 6,90 $ US • Zone CFA 1900 F CFA • ISSN 1950-1285





LE PLUS

de Jeune Afrique

ENJEUX Du bon usage de la crise

63

INTERVIEW Miguel Engonga O. Eyang, ministre des Finances SECTEUR PRIVÉ Le grand réveil LOISIRS ET TOURISME C’est l’heure de la détente !

GUINÉE ÉQUATORIALE

Sans pétrole, des idées ?

YVES CHANOIT

Depuis que les cours du brut ont décliné, le pays est contraint de réduire drastiquement ses dépenses et, surtout, de transformer en profondeur son économie.

N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

JEUNE AFRIQUE



Le Plus de Jeune Afrique

65

Prélude Georges Dougueli

Zafiro Blues

P

café, la Guinée équatoriale aurait dû mieux our se hisser sur les hauteurs où elle se trouve, la Guinée équatoriale est préserver le tissu de plantations existant penpartie de très bas. La folle avancée du dant et après la colonisation. L’État aurait pu favoriser le maintien des ouvriers désertant pays vers l’émergence s’est amorcée en 1995, à 23 milles nautiques de l’île de les exploitations, anticiper les problèmes du Bioko, sur le fameux champ pétrolifère de système de financement et aider les agriculteurs à mieux résister à la chute des cours Zafiro, qui s’est mis à dégorger 300 millions de barils par an. Avec lui est monté ce sentiment mondiaux du cacao, plutôt que d’en reléguer la culture à la marge. d’euphorie, inévitable effet secondaire d’un si subit enrichissement, a fortiori dans un pays Àl’instardecepotentielagricole,lepotentiel longtempsfrappéd’impécuniositéchronique, touristique équato-guinéen reste largement sous-exploité, notamment l’extraordinaire vivant jusqu’alors sous la perfusion financière de ses voisins et de l’aide des partenaires au développement, À un rythme effréné, on a construit qu’on sait peu enthousiastes à des routes, fait sortir de terre des prêter aux pauvres. À un rythme effréné, on a villes nouvelles, équipé les régions. construit des routes et des biodiversité de ce pays insulo-continental. ponts, fait sortir de terre des villes nouvelles, équipé les régions insulaire et continentale L’assouplissement des formalités de visas est fortement attendu et pourrait rehausser les de toutes une panoplie d’infrastructures de performances du secteur hôtelier. base. L’augmentation des ressources budgétaires, majoritairement tirées du secteur pétrolier, a transformé le visage du pays. L’amélioration de la gouvernance aurait C’est la revanche du Petit Poucet, longtemps pu permettre de mieux gérer ces deux décendédaigné par tous, y compris par l’Espagne, nies de croissance. Mais une partie des reveex-puissance colonisatrice. nus issus de l’exploitation du pétrole et du bois – les deux principaux produits d’exportaDeux décennies de prospérité exceptiontion – n’a pas été utilisée à bon escient, voire nelle ont fait oublier aux Équato-Guinéens s’est évaporée. Bon point, Malabo a déposé sa que les fluctuations sont l’un des aléas de candidature pour rejoindre l’Initiative pour la la croissance et qu’aux beaux jours peut transparence dans les industries extractives succéder une période de récession, voire (Itie), acceptant de fait de se conformer à une de dépression. meilleure gestion de ses ressources naturelles Le gouvernement n’a pas assez fait pour et de débattre de l’utilisation des revenus issus se prémunir des méfaits d’une conjoncture des hydrocarbures et de l’industrie forestière. La Guinée équatoriale aurait pu, aussi, défavorable et réduire sa dépendance à l’écodavantage se rapprocher de ses voisins. nomie de rente. Il aurait dû mettre en place la politique de diversification de son économie Même si, historiquement, ses relations avec le bien plus tôt. D’autant qu’il ne manque pas Nigeria, le Gabon, le Cameroun et São Toméd’atouts : jusqu’à la découverte du pétrole, et-Príncipe ont toujours été compliquées. l’île de Bioko était une plateforme privilégiée Malheureusement, le pays est impliqué dans dans les échanges maritimes avec les pays plusieurs conflits frontaliers, dont celui oppovoisins du golfe de Guinée, mais aussi avec sant le Cameroun au Nigeria, auquel elle s’est l’Europe. Malabo a une carte à jouer dans la jointe pour préserver ses intérêts, mais aussi concurrence que s’apprêtent à se livrer les celui des îlots riches en pétrole de Mbanié, ports de la sous-région. Cocotier et Conga, disputés au Gabon. Dotée de sols riches en matière organique, Ne reste plus qu’à espérer un rebond, dont à forte capacité de rétention en eau, qui les jeunes cadres, formés et cosmopolites, seront les initiateurs. conviennent bien à la culture du cacao et du JEUNE AFRIQUE

N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

ENJEUX Du bon usage de la crise p. 66 INTERVIEW Miguel Engonga Obiang Eyang, ministre des Finances et du Budget p. 68 SECTEUR PRIVÉ Le grand réveil AGRICULTURE Moca et les pousses vertes

p. 72

p. 76

LOISIRS ET TOURISME C’est l’heure de la détente ! p. 78

Attractions inattendues au parc national de Malabo p. 82 SOCIÉTÉ Lucas Escalada crée la « Femme idéale »… parce qu’elle le vaut bien p. 84


66

Le Plus de Jeune Afrique

ENJEUX

Du bon usage d

Confrontée à l'effondrement des cours du pétrole, la Guinée équatoriale doit se réinventer pour sortir d'une économie presque entièrement dépendante de l'or noir, qui représente 90 % de ses revenus. MURIEL DEVEY MALU-MALU,

E

envoyée spéciale

lle est là, bien palpable. En à peine trois ans, elle a mis à mal les bases de l’économie équato-guinéenne, comme celles de pratiquement tous les pays de la sous-région. Ses contrecoups ont ébranlé l’ensemble des secteurs et ses méfaits affecté l’ensemble de la population. « Elle » ? La crise. Sa cause ? L’effondrement des cours mondiaux du pétrole, survenu en juillet 2014, conjugué à une baisse de la production d’hydrocarbures. Ce double choc a N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

entraîné un recul des recettes budgétaires de l’État et, par ricochet, une chute du taux de croissance économique, qui était déjà négatif : de – 0,5 % en moyenne sur la période 2010-2014, il est tombé à – 9,9 % en 2016, selon le FMI. Depuis des années, les moteurs de croissance du pays étaient les hydrocarbures et les entreprises de bâtiments et travaux publics (BTP). Or, ces deux secteurs ont été les plus touchés par la chute des cours de l’or noir. Le calcul est simple : moins de recettes pétrolières, donc moins de ressources budgétaires, donc moins d’investissement public dans les projets d’infrastructures. Résultat, les grandes sociétés de BTP, dont l’activité est très exposée aux variations du budget d’investissement et aux impayés de l’État, ont dû, au mieux, réduire leurs activités, au pire, fermer. Dans un cas comme dans l’autre, beaucoup d’entre elles ont été contraintes de licencier et la population redoute désormais une nouvelle dégradation sur le front de l’emploi. JEUNE AFRIQUE


67

soit devenu à la mode : c’est simplement qu’une plus grande partie de la population s’habille avec des vêtements d’occasion. En outre, de nombreux habitants ont renoncé à l’achat d’une voiture ou d’une maison, désormais considérées comme un luxe. Même la petite délinquance a fait son apparition, un comble dans un pays réputé sûr. C’est dans ce contexte morose que se déroule la campagne pour les élections législatives, municipales et sénatoriales, prévues au second semestre de cette année. Pas de grande surprise à en attendre, l’activité politique étant largement dominée par le Parti démocratique de Guinée équatoriale (PDGE).

e la crise

MURIEL DEVEY MALU-MALU POUR JA

IMAGE. Réélu à la tête du pays en avril 2016

À Malabo II, les tours qui logeaient les sièges de la plupart de ces grandes sociétés sont en partie désertées. Dans tout le pays, le taux de remplissage moyen des hôtels tourne autour de 10 % et atteint tout juste 30 % pour les mieux achalandés. Des bars et des restaurants ont fermé. Les compagnies aériennes ont réduit le nombre de vols vers la destination et, au port de Malabo, l’arrivée d’un bateau est presque devenue un événement… On est loin de la vocation de transit et de transbordement annoncée il y a quelques années. Seul le port de Bata connaît un regain d’activité, avec l’exportation de bois et la pêche industrielle. Conséquence, le quotidien est devenu difficile. Outre le chômage, qui touche même les jeunes diplômés, le pouvoir d’achat baisse alors que les prix ont tendance à augmenter. Tout le monde se serre la ceinture. À Semu, quartier populaire de Malabo II, le marché de la friperie attire chaque mardi de plus en plus de monde. Non pas qu’il JEUNE AFRIQUE

Malabo II, dans l’est de la capitale (sur l’île de Bioko).

avec 93,7 % des suffrages, le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo a tenu à mobiliser ses troupes en se rendant dans tous les districts du pays, de début février à fin mars. Une « tournée d’État » inédite, qu’il a clôturée le 11 avril par une conférence de presse et un long discours. À cette occasion, il a présenté la politique du gouvernement, basée sur la préservation de la paix qui caractérise selon lui la Guinée équatoriale, contrairement à certains de ses voisins déchirés par des conflits. Il a également mis l’accent sur la diversification de l’économie en s’appuyant sur l’initiative privée, le seul moyen de créer des emplois et de sortir du tout-pétrole, qui représente encore près de 90 % des revenus du pays. À cet égard, force est de constater que la crise financière aboutit aujourd’hui à des changements majeurs pour le pays. Outre le plan de réajustement budgétaire engagé en 2015 (lire pp. 68-69), le gouvernement a pris ces derniers mois des décisions majeures pour soutenir le secteur privé et lui faciliter la vie (lire pp. 72-74). Il a fait de même pour que la diversification, qui a fait l’objet de multiples rapports pendant des années, prenne enfin corps. La production vivrière, notamment le maraîchage, est en progression. La filière pêche bénéficie de nouveaux dispositifs et d’une nouvelle réglementation pour appuyer l’activité artisanale, tandis que des négociations ont été engagées avec l’Union européenne pour un nouvel accord dans ce domaine. Dans le secteur du bois, particulièrement porteur, l’atlas forestier permet de mieux contrôler l’exploitation. Enfin, de nouvelles mesures sont mises en place pour accélérer le développement du tourisme (lire pp. 78-82) et de l’agriculture (lire p. 76), ne serait-ce qu’en matière d’image et de visibilité, de façon que le pays accueille des investisseurs et des clients plus nombreux… En quelques mois, ces signes révélateurs d’une volonté inédite d’ouverture, vers les patrons du privé et vers l’international, certes contrainte par la nécessité de trouver de nouveaux partenaires financiers, ont en tout cas changé le climat du pays. N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017


68

Le Plus de JA Guinée équatoriale INTERVIEW

Miguel Engonga Obiang Eyang « Il nous faut trouver de nouvelles stratégies de financement » Le plan de réajustement a permis de réduire les dépenses. Pour le ministre des Finances et du Budget, l’urgence est désormais de mobiliser les partenaires pour accélérer la diversification.

L

e déclin des cours des hydrocarbures, mi-2014, a eu un impact dévastateur sur l’économie du pays. Alors que le taux de croissance était déjà en berne (– 0,5 % en moyenne sur la période 2010-2014), il a chuté de manière très brutale, à – 7,4 % en 2015 et jusqu’à – 9,9 % en 2016, selon les estimations du FMI. Un léger mieux est attendu pour 2017, avec une projection de – 5,8 %, qui pourrait même s’améliorer aux alentours de – 3,5 % si la stratégie engagée l’an dernier pour redynamiser le secteur privé (lire pp. 72-74) et donner corps à la politique de diversification porte ses fruits : amélioration du climat des affaires, relance des secteurs clés de la pêche et de l’agriculture (lire p. 76), qui avaient été marginalisés, mise en place des conditions de développement des activités tertiaires, en particulier dans le tourisme (lire pp. 78-82), etc. Le taux de croissance ne devrait cependant pas redevenir positif avant 2020-2021 (voir infographie). Pourtant, le gouvernement avait dès 2015 procédé à un ajustement budgétaire. Il a revu les dépenses à la baisse, notamment

en réduisant les subventions et, surtout, l’investissement public (qui représentait plus de 85 % des dépenses de l’État avant le début de la crise), en gelant les nouveaux projets. Dans le même temps, il s’est efforcé de doper les recettes des secteurs hors hydrocarbures, y compris fiscales. Des mesures salutaires et saluées par le FMI en novembre 2016. De 3 100 milliards de F CFA (4,7 milliards d’euros), soit 30,7 % du PIB en 2014, les dépenses totales du pays devraient être maîtrisées aux alentours de 1 760 milliards pour l’exercice 2017, soit 28,1 % du PIB, ce qui reste cependant supérieur aux recettes (21,2 % du PIB en 2017). D’où la nécessité de mobiliser des investissements extérieurs, publics et privés, pour financer de nouveaux projets, de nouvelles activités, et relancer les chantiers qui ont été suspendus. JEUNE AFRIQUE : La chute des cours du baril au niveau mondial a entraîné une forte diminution des recettes de l’État et affecté le budget d’investissement. Quelles en sont les conséquences sur le programme d’infrastructures de base ?

MIGUEL ENGONGA OBIANG EYANG :

Ce n’est pas une situation spécifique à la Guinée équatoriale, cela concerne tous les pays exportateurs de pétrole. J’avoue que les conséquences sont très importantes, car le budget d’investissement public a été très affecté. Mais, fort heureusement pour la Guinée équatoriale, nous avions déjà réalisé 80 % à 90 % du programme d’investissement en infrastructures avant que cette crise internationale ne se déclenche. Cela dit, et c’est normal, il y avait encore des projets en cours, des chantiers, des constructions, etc., qui ont été frappés par cette conjoncture. Nous avons dû travailler avec les sociétés concernées afin de les reprogrammer et d’en revoir les délais d’exécution. Et c’est ainsi que nous continuons aujourd’hui à les financer, en fonction des revenus que nous obtenons. Quelle stratégie avez-vous adoptée et quelles sont vos priorités ?

Nous étions presque arrivés à la phase de diversification de l’économie quand la crise est survenue. Nous avons donc poursuivi sur cette lancée, mais en donnant la priorité au secteur social [santé, éducation, accès à l’eau, à l’électricité, etc.], pour lequel nous avons mobilisé des fonds. Aujourd’hui, nous avons encore des projets clés à développer dans ce domaine afin de compléter cette première

POURQUOI REJOINDRE L’OPEP ?

L

e 20 janvier, Gabriel Mbaga Obiang Lima, le ministre équato-guinéen des Mines et des Hydrocarbures, s’est rendu à Vienne (Autriche), au siège de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), pour déposer officiellement la demande de son pays de devenir le 14e membre de l’organisation et le 6e africain à y siéger (après le Nigeria, l’Angola, l’Algérie, la Libye et le N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

Gabon). Cette visite fait suite à la tenue à Malabo, en novembre 2016, du 4e sommet Afrique-monde arabe, au cours duquel les contacts avec les pays membres de l’Opep présents ont été nombreux. Le 11 mai, le gouvernement équatoguinéen a annoncé qu’il avait reçu « le soutien crucial » de l’Arabie saoudite et confirmé qu’il s’engageait à suivre les objectifs de l’organisation en réduisant sa production de

12000 b/j en 2017. Une manière d’éviter une surproduction qui entretiendrait la baisse des prix. On peut s’interroger sur les raisons qui poussent le pays à rejoindre le cartel justement au moment où cette chute des cours a mis à mal le secteur au niveau mondial. « La Guinée équatoriale cherche à diversifier ses partenariats et à acquérir plus de visibilité au plan international. D’où,

par exemple, son adhésion à la Communauté des pays de langue portugaise [depuis 2014], en plus de son appartenance à la Francophonie. Mais le président a aussi une vision africaine: l’adhésion de son pays à l’Opep serait un moyen de renforcer la présence et le poids des pays africains au sein de l’organisation », commente un diplomate étranger. MURIEL DEVEY MALU-MALU JEUNE AFRIQUE


69

GUINEA DIGITAL

À Malabo, le 8 mai.

Les pays de la Cemac sont en train de négocier avec le FMI des programmes d’ajustement budgétaire. Où en sont les discussions concernant la Guinée équatoriale ?

La chute des cours mondiaux des hydrocarbures a entraîné une diminution de 70 % à 80 % des recettes budgétaires des États, ce qui a dégradé le niveau de leurs réserves extérieures. Cette situation a occasionné une réunion extraordinaire des chefs d’État de la Cemac à Yaoundé [fin décembre 2016], au cours de laquelle ces derniers ont pris des mesures de redressement économique. Une partie de celles-ci concerne effectivement des ajustements budgétaires. Certains États étaient déjà bien avancés sur ce terrain. D’autres, en revanche, avaient besoin de l’accompagnement des institutions internationales. Une vingtaine de jours avant ce sommet de Yaoundé, nous avions reçu une première mission du FMI, qui était venue pour faire un diagnostic de notre situation économique. Nous avons depuis accueilli une deuxième, en mars, juste avant la réunion de la zone franc et des assemblées de printemps JEUNE AFRIQUE

du FMI, pour confirmer ces diagnostics. Des ajustements internes au niveau du budget ont été réalisés – avant même, d’ailleurs, que la mission du FMI n’arrive – et aujourd’hui, le problème qui nous reste à résoudre est de trouver des stratégies pour le financement des investissements. Le 18 mai, une nouvelle mission du FMI est arrivée à Malabo pour entamer des négociations en vue de la possible mise en place d’un programme, soit monétaire, soit d’assistance technique. Jusqu’à présent, le pays a financé ses investissements sur ressources propres. Va-t-il désormais recourir à des financements extérieurs ?

0

JAMES STEVEN BASSA

Difficile de retrouver l’équilibre

% 4 2

Même si nous avons des ressources propres, il est également souhaitable de mobiliser des financements extérieurs. Cela permet de mieux gérer, de mieux contrôler les dépenses publiques. Et la question de savoir si nous allons y recourir ne devrait plus se poser, puisque nous avons déjà opté pour cette solution. Il s’agit plutôt de voir si nous pouvons effectivement trouver des financements extérieurs. Compte tenu de la conjoncture actuelle, nous en cherchons surtout pour compléter et finaliser les projets d’infrastructures qui étaient en cours au moment où les recettes de l’État ont Propos recueillis à Malabo par diminué.

(croissance, en %)

3,2

1,4 0,1 -0,5

–2 –4

-2,7

-3,3

–6 -8

–8 – 10 – 12

PIB Secteur des hydrocarbures Secteurs hors hydrocarbures

-9,9 -11,2 2014 * Estimations

2015

2016*

2017**

2018

2019

2020

2021

** Après 2016, projections N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

SOURCES : AUTORITÉS ÉQUATO-GUINÉENNES, FMI, NOVEMBRE 2016

phase. Le programme de diversification suit son cours, mais il se trouve parfois confronté à la difficulté de trouver des partenaires privés. Nous avons en l’occurrence quelques projets dans le domaine de la pêche, de l’agriculture et du tourisme.


Le Plus de JA Guinée équatoriale est normal. Le principe du péage relève d’une culture qui est à développer », reconnaît Mariola Bindang Obiang, la directrice générale de Holding GE (lire p. 86), la société qui gère le fonds de coïnvestissement et de participation de l’État et a signé le contrat de gestion des péages avec Terraway. C’est en milieu urbain, en particulier à Malabo, que la mesure est le plus contestée. Bon nombre d’usagers, à commencer par les taxis, se débrouillent pour éviter les points de passage payants en effectuant de larges détours. Pas sûr qu’ils y gagnent au change. En tout cas, bon gré mal gré, les Équato-Guinéens et les étrangers, particuliers comme professionnels, devront s’y habituer, car l’État compte bien étendre les péages. Et il y a de quoi faire.

INFRASTRUCTURES

Péages, la rançon du progrès Le réseau routier du pays surclasse largement celui de ses voisins. Ce progrès a un prix : une dizaine de guichets ont été installés, que les usagers ont du mal à accepter. Et ce n’est pas fini…

TRANSIT. Force est de reconnaître que, depuis la fin des années 2000, contrairement à la plupart de ses voisins producteurs d’hydrocarbures, le pays a réinjecté une bonne partie de sa manne pétrolière dans le développement et la mise à niveau de son réseau routier sur tout le territoire. Certes, dans la partie continentale, l’un L’une des séries de postes établies dans la capitale. des objectifs de ce maillage, qui visait l’acheminement rapide des marchandises d’entretien des routes et des péages hauteur du péage installé destinées aux pays limitrophes à partir du port de Bata, n’est pas atteint, le transit sur l’autoroute qui mène de (Epemac), société publique, la concession portuaire étant encore limité. Mais si a été privatisée en juin 2016 au profit de Malabo, la capitale, au centre quelques tronçons restent à finaliser, d’affaires et de tourisme de l’entreprise Terraway. Objectif : préserver un patrimoine dont la construction a l’essentiel est là. Autoroutes, routes et Sipopo, un conducteur ralentit, puis voies urbaines bitumées, s’arrête, avant de tendre négligemment été financée par les revenus une pièce de 100 F C FA (15 centimes pétroliers, aujourd’hui en ponts : du nord au sud, de Le réseau routier d’euros) à l’employée qui lui délivre un berne. Le premier péage l’est à l’ouest, le pays a été équato-guinéen s’étend reçu. De brefs « gracias » fusent de part a été installé en 2011 sur quadrillé et les principales aujourd’hui sur et d’autre du guichet. Rey redémarre l’autoroute Malabo-Sipopo, localités ont été reliées entre en faisant la moue. Difficile, pour ce alors flambant neuve. Le elles, aussi bien sur les îles, à commencer par celle de réseau en compte désorchauffeur de taxi aux revenus modestes, mais dix, dont six sur l’île d’accepter de « passer à la caisse » chaque Bioko, que dans le Rio Muni, (hors pistes et chemins), fois qu’il emprunte une route à péage. de Bioko, qui abrite Malabo notamment à Bata, point de bitumé à Pourtant, les tarifs fixés en 2015 ont été et l’industrie pétrolière, et départ et d’arrivée du réseau établis en fonction du type de véhicule routier continental. Sans quatre dans la région continentale, dont trois à Bata. oublier la connexion avec et du pouvoir d’achat. Là où un taxi paie contre Et ce n’est apparemment 100 F CFA, un véhicule de tourisme le Cameroun et le Gabon, pas fini. qui est désormais effecdébourse 500 F CFA et les camionnettes et poids lourds, de 2 000 à 5 000 F CFA, tive. Et même si, baisse de DÉTOURS. D’une manière le tarif maximum appliqué aux gros recettes pétrolières oblige, pour le réseau véhicules. l’État décide d’installer générale, la mesure n’a pas camerounais et moins de été facilement acceptée. L’État, qui a fortement investi ces dix de nouveaux péages pour « Les Équato-Guinéens ne dernières années dans la construction assurer son entretien, sont pas habitués à payer du réseau routier, a décidé d’instaurer ce réseau routier est un en contrepartie d’un tel des péages sur les grands axes et d’en atout de taille pour l’essor pour celui du Gabon service. Pour eux, circuler du tourisme. confier la gestion au secteur privé. Assurée SOURCES : GOUVERNEMENTS, dans un premier temps par l’Entreprise DONNÉES 2016 MURIEL DEVEY MALU-MALU gratuitement sur une route MURIEL DEVEY MALU-MALU POUR JA

70

À

2 700 km 70 %, 28,6 % 20 %

N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

JEUNE AFRIQUE



Le Plus de JA Guinée équatoriale

RENAUD VAN DER MEEREN/ÉDITIONS DU JAGUAR

72

SECTEUR PRIVÉ

Supermarché du groupe Martínez Hermanos (à Bata), leader de la distribution dans le pays.

Le grand réveil Depuis fin 2016, les organisations patronales ont gagné en indépendance et comptent bien peser dans la nouvelle stratégie de diversification et de soutien aux petites et moyennes entreprises. Car si les grands du BTP et des hydrocarbures ont réduit la voilure, les PME, elles, tiennent bon.

I

l aura fallu une crise économique et son lot de réduction d’activité, de fermetures d’entreprises et de licenciements pour redécouvrir les vertus des PME. Depuis deux ans, ce sont les opérateurs des filières pétrolières et, surtout, du BTP, la plupart à capitaux majoritairement étrangers, qui ont le plus souffert de la conjoncture ; la forte contraction des ressources dans le budget de l’État, liée à la baisse des cours mondiaux des hydrocarbures, a en effet entraîné un sérieux ralentissement des chantiers d’infrastructures, voire le gel de certains d’entre eux. Les PME ont en revanche mieux résisté, même si elles ont évidemment été fragilisées. D’où la nécessité de consolider le tissu existant N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

et de favoriser la création de nouvelles sociétés privées, avec l’objectif de donner corps à la diversification de l’économie en s’appuyant avant tout sur les entrepreneurs locaux. « La diversification se fera surtout avec des Équato-Guinéens, qui doivent créer des activités et s’impliquer dans la gestion des infrastructures réalisées. Chez nous, l’esprit d’entreprise est limité. Il faut le stimuler », reconnaît Mariola Bindang Obiang, la directrice générale de Holding Guinée équatoriale 2020 (Holding GE, lire p. 86). Conscients des enjeux, les acteurs du secteur privé sont désormais plus nombreux à revendiquer leur rôle dans le développement du pays et à vouloir se faire entendre des pouvoirs publics. De

son côté, l’État se montre plus réceptif, et les ministres beaucoup plus accessibles qu’il y a encore quelques mois. ÉTAT DES LIEUX. Chapeauté pendant des années par l’État, le patronat a refait surface en tant qu’entité indépendante en novembre 2016, au plus fort de la crise. En effet, la Patronale (créée en 1988), dont le président était jusqu’à présent nommé par l’État, a pu enfin choisir ses représentants. « Nous avons reconstitué la fonction du patronat. Il faut que l’État nous laisse nous organiser », explique Don Basilio Tomas Efa Mangue, son président. Parmi ses actions en cours figure l’élaboration d’un listing des entreprises équato-guinéennes, qui JEUNE AFRIQUE


Sans pétrole, des idées ?

LABORATOIRES. D’autres groupements

émergent, tel le Consortium équatoguinéen d’entreprises (Cegem), créé le 25 novembre 2016. « Nous rassemblons 40 membres, surtout issus du secteur des services, précise Benjamin Evita Oma, son secrétaire général. Notre rôle est d’informer et d’aider les dirigeants d’entreprise à se professionnaliser et à s’organiser. » Plus sectoriel, plus informel, mais tout aussi mobilisé, le Club des hôteliers et des restaurateurs tente de trouver des solutions à la crise et de relancer le tourisme. Enfin, la Chambre de commerce (CC, créée en 1923), divisée en deux entités – la CC de la région continentale et celle

de Bioko, qui coordonne l’ensemble –, l’installation à Malabo a été confiée à est également en pleine évolution. la CC de Bioko. Cette dernière a récepOutre de nouveaux statuts adoptés en tionné en février 2017 tous les équipeseptembre 2016, elle multiplie ses parments du laboratoire et, à la demande ticipations aux foires internationales, du chef de l’État, une deuxième structure dont celle de Dakar en a même été achetée pour novembre, et a développé la région continentale. Une Reste à les offres de formations fois l’installation du matéadapter les proposées à ses membres riel sur les deux sites et la financements formation de leur person(techniques agricoles, qualité des intrants, gestion nel (par des techniciens aux besoins d’entreprise, etc.). « Nous portugais) achevées, l’inslocaux et à avons élaboré un plan titut pourra fonctionner, à libéraliser le de travail pour orienter partir de la fin mai. les femmes et les jeunes Chargé de contrôler la marché. vers les secteurs dans lesqualité des produits imporquels l’économie se diversifie », ajoute tés et exportés, il devrait renforcer les Gregorio Boho Camo, le président de la relations d’affaires entre la Guinée équaCC et de la chambre de Bioko. toriale et les États membres de la CPLP, À la suite d’un accord signé en notamment en certifiant les produits avril 2016 entre le vice-président de la agricoles équato-guinéens destinés République, Ignacio Milam Tang, et le aux marchés étrangers et en apportant vice-président de la Confédération des aux exploitants des formations qui leur permettront d’augmenter les rendeentreprises de la communauté des pays de langue portugaise (CPLP), Mario ments et la productivité, de développer leurs activités, mais aussi d’apprendre Costa, l’Institut de certification et de le portugais. formation de la CPLP a été créé, dont

*

* L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération.

seront classées par régions, secteurs d’activité et origine du capital. Des fiches d’enregistrement comportant diverses informations ont été envoyées à toutes les sociétés du pays pour faire un état des lieux. Fin 2017, quand elle aura une meilleure visibilité du secteur privé, la Patronale tiendra une assemblée générale pour lancer des initiatives.

73


Le Plus de JA Guinée équatoriale

Cyberespace, à Malabo.

Le réveil du patronat ne s’arrête pas là. Sous son impulsion, la concertation entre secteur public et secteur privé se structure. « Nous avons eu deux réunions avec le ministère du Travail,

du Développement de l’emploi et de la Sécurité sociale, celui des Finances et du Budget, ainsiqueceluidesAffairessociales et de la Promotion de la femme. Si l’État nous écoute, le reste ira de soi », assure

VINCENT FOURNIER/JA

74

Basilio Tomas Efa. Pour les organismes consulaires et les associations patronales, s’il ne fait pas de doute que le pays a un fort potentiel de développement dans l’agriculture, l’élevage, la pêche et la pisciculture, le tourisme et les services, divers obstacles freinent encore l’essor du privé. En effet, en dépit des mesures prises en faveur de l’investissement (avantages fiscaux, réduction des délais de création d’une entreprise, etc.), l’information circule mal, le marché, trop encadré, doit être libéralisé. Quant aux financements, il faut les adapter aux besoins des entreprises locales. Les prêts octroyés par les banques locales le sont à court terme et à des taux élevés. Des banques chinoises, aux conditions plus souples, pourraientelles apporter de nouvelles solutions ? Pour le Cegem, la balle est bel et bien dans le camp du secteur privé. « Si le privé monte des projets sérieux, l’État l’appuiera et les banques suivront », assure Benjamin Evita Oma. MURIEL DEVEY MALU-MALU

Holding GE bichonne les opérations de co-investissement

P

our créer des emplois et sortir du tout-pétrole, qui domine les secteurs primaire et secondaire et contribue à la formation du produit intérieur brut (PIB) à hauteur de 90 %, la Guinée équatoriale n’a pas le choix. « Il faut diversifier la base productive de notre économie en mettant l’accent sur l’agriculture, l’élevage, la pêche et les services en général, dont les transports, les télécommunications, la santé et le tourisme », souligne Mariola Bindang Obiang, directrice générale de Holding Guinée équatoriale 2020 (lire son portrait p. 86), la société chargée de gérer le fonds de co-investissement de l’État pour accélérer la diversification. Reste à savoir qui doit investir et comment. Pas l’État en tout cas. Le temps de l’étatisation de l’économie est révolu, et il n’est plus question de privatiser de nouvelles entreprises dans le futur. Le secteur privé national ? Il est encore embryonnaire, et la diversification ne peut pas attendre. Les investisseurs privés étrangers ? Beaucoup ont quitté le pays ou hésitent à y investir en raison de la crise et d’une demande peu soutenue. Pour encourager la création d’activités et rentabiliser les investissements de N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

l’État, notamment dans les infrastructures, les autorités équato-guinéennes ont choisi de mettre en place Holding GE, chargé de monter des projets en jointventure avec des acteurs privés nationaux et/ou étrangers dans les secteurs de diversification ciblés.

La première opération réalisée concernait les péages (lire p. 70), dont la gestion a été concédée en 2016 à l’entreprise libanaise Terraway. Pour les autres projets, Holding zGE est à la recherche de partenaires. Si la tâche n’est pas facile, des opérateurs privés européens, mais aussi africains – d’Afrique PERMIS. Son apport? « Un peu de capital, de l’Ouest notamment –, ont manifesté de l’intérêt pour certaines filières, en mais qui ne sera pas majoritaire dans les particulier celles de l’agriculture et de partenariats que nous souhaitons voir se l’élevage. Ainsi, Sedima, leader sénénouer, explique Mariola Bindang Obiang. galais de l’aviculture, s’intéresse à l’élevage de Objectif : fédérer les partenaires volailles, tandis qu’une locaux et étrangers autour de projets, société allemande et un dans des secteurs non pétroliers. groupe français envisagent d’investir dans Notre rôle est de faciliter les relations des plantations de cacaoyers et dans la transformation de fèves. avec l’Administration, par exemple pour l’obtention de titres de propriété, l’octroi Avec les mesures actuellement mises de licences, de permis, ou encore d’exoen œuvre pour faciliter les démarches nérations sur certaines importations. » administratives des vacanciers et l’obtention de visa, et pour lutter contre Holding GE encourage les entreprises l’insécurité et la corruption, le tourisme qui visent un même créneau à s’associer dans un projet commun plutôt qu’à se pourrait bientôt devenir un autre crélivrer à une concurrence stérile. Quant à neau attractif (lire pp. 78-82). Reste aux l’activité visée, elle doit d’abord satisfaire autorités équato-guinéennes à se montrer crédibles et persuasives. les besoins du marché national avant de miser sur l’exportation. M.D.M.-M. JEUNE AFRIQUE



Le Plus de JA Guinée équatoriale AGRICULTURE

Moca et les pousses vertes Quelques petits producteurs voient plus grand, et des exploitations de taille moyenne commencent à se développer, en particulier sur Bioko.

MURIEL DEVEY MALU-MALU POUR JA

76

D

ès qu’il met les pieds dans ses champs, Joaquim Castano Burelepe s’illumine. Et d’expliquer à ses visiteurs les bienfaits des produits du terroir. D’autant que, chez lui, « tout est bio ! », comme il ne manque pas de le rappeler. Le patron de l’entreprise Hortalizas Quini se veut autant horticulteur que naturopathe. Toujours à l’affût de nouvelles cultures à introduire dans le pays, il exploite quelque huit hectares, répartis en différents points de l’île de Bioko. Dans son jardin du quartier d’Oyo Riqueza, à la périphérie de Malabo, outre des cultures maraîchères, il produit du manioc, des ignames, des macabos, des bananes plantain, des avocats, cultive des manguiers, des papayers, des moringas… Et des herbes médicinales. Plus au sud, à Portao, il dispose d’un vaste potager d’oignons, de choux, d’aubergines, de tomates, etc. Enfin, autour de Moca, la ville natale de Joaquin Castano Burelepe, située dans le sud de l’île, à 1000 m d’altitude, Hortalizas Quini cultive des légumes variés, des salades, des piments et des goyaviers. L’entreprise compte huit à douze N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

Jardin maraîcher dans le centre de l’île.

Et depuis que l’État a remis l’agriculture au premier rang des secteurs stratégiques, les initiatives ne manquent pas. À tel point que Gregorio Boho, le président de la Chambre de commerce (lire pp. 72-74) du pays et de celle de Bioko, prépare le lancement d’Agrolin, une holding qui apportera conseil et appui aux professionnels du secteur. Chaque région a ses spécialités. Sur Bioko, la région de Moca, qui bénéficie d’une bonne pluviométrie et d’un climat frais, est réputée pour ses exploitations maraîchères et son verger d’arbres fruitiers, dont les productions fournissent en partie le marché de Malabo. L’île est également connue pour la qualité de son cacao. Mais de 40 000 tonnes dans les années 1970, la production a chuté à 541 t aujourd’hui. D’où l’espoir des pouvoirs publics, dans le contexte actuel, de voir des entrepreneurs privés investir dans la relance de la filière, laquelle est appuyée par l’Institut national de la promotion agricole et d’élevage (Inpage). Dans la région continentale, où l’on cultive principalement le manioc, l’igname, la banane plantain et les safous, les surfaces exploitées sont plus petites, et les techniques restent traditionnelles. La production locale augmente, permettant de mieux approvisionner les marchés urbains, même si le pays continue à importer des denrées agricoles du Cameroun. Plusieurs facteurs ont contribué à cet accroissement de la production, dont le développement du réseau routier (lire p. 70) et, plus récemment, le crédit rural : une initiative de la Banque nationale de Guinée équatoriale (Bange), qui peut désormais accorder

employés. Avec la crise et la baisse du pouvoir d’achat, elle a dû se séparer de deux d’entre eux, car les produits sont plus difficiles à écouler. Sa clientèle est surtout constituée de commerçantes du grand marché de Semu, à Malabo (auxquelles elle doit faire crédit), de restaurants et d’hôtels. « Auparavant, nous fournissions des entreprises de BTP, mais beaucoup ont fermé ou ont licencié », explique Le crédit rural de la Bange accorde Joaquim Castano Burelepe, des prêts de 5 à 20 millions bien décidé à explorer de nouveaux marchés à l’export. de F CFA assortis de formations. En particulier celui des un prêt de 5 à 20 millions de F CFA (de membres de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP). Il a d’ailleurs 7 600 à 30 500 euros environ) à une association, assorti d’une formation de ses présenté certains de ses produits, dont du membres pour améliorer la production miel sauvage et des nonis, lors du Forum et la commercialisation. économique global de la CPLP qui s’est Tous les exploitants ne bénéficient tenu en 2016 à Dili, au Timor oriental. cependant pas de ces crédits. Joaquim Castano Burelepe, lui, a hypothéqué SPÉCIALITÉS. Bien qu’encore peu noml’une de ses maisons pour obtenir un breuses comparées aux petites strucprêt auprès de la CCEI Bank Guinée tures – dont la plupart sont gérées par équatoriale. Le financement des projets des femmes, regroupées en coopéraagricoles reste à inventer. tives –, les exploitations de taille moyenne MURIEL DEVEY MALU-MALU comme Hortalizas Quini se développent. JEUNE AFRIQUE



78

Le Plus de JA Guinée équatoriale LOISIRS ET TOURISME

C’est l’heure de la détente! Doté de capacités hôtelières qui lui permettent d’accueillir de grands événements, le pays espère attirer de simples voyageurs d’agrément. Premier défi : alléger les conditions d’octroi des visas.

À

est le projet de décret portant sur les quelque chose malheur est conditions d’octroi du visa touristique, bon, dit l’adage. La crise écoqui doivent être assouplies. Un dossier nomique liée à la baisse des cours mondiaux des hydrosur lequel le ministère est associé à ceux carbures a vidé les hôtels d’une grande de la Sécurité nationale et des Affaires partie de leur clientèle d’affaires. Du étrangères. Parmi la centaine de pays présélectionnés, dont les ressortissants coup, resté jusqu’à présent vœu pieux, le projet de faire du tourisme un moteur de pourront obtenir facilement un visa touristique, ne figurent pas les pays de la diversification refait surface. Et cette fois semble la bonne. Plus quessous-région, à l’exception des tion de fermer les yeux sur voisins lusophones (Angola Les régions les obstacles à l’essor touriset São Tomé-et-Príncipe). De dévoilent tique que sont les barrages quoi faire grincer les dents… enfin leurs policiers, les conditions « Nous ne voulons pas que de délivrance des visas, l’on confonde migration et atouts : l’accueil souvent morose tourisme », se défend Tomas le soleil, réservé aux étrangers, le Mecheba Fernandez Galilea, la mer, manque d’offres de loisirs, le ministre d’État chargé du la cherté de la destination Tourisme (lire p. 80). la forêt… (billets d’avion, hôtels, resMARKETING. Préoccupés par le faible taurants mais aussi produits de base)… taux de remplissage de leurs établisseDepuis quelques mois, tout est passé au crible pour attirer une clientèle que ments depuis un an, les hôteliers militent l’on veut plus nombreuse, mais sur des pour la relance du tourisme d’affaires, créneaux ciblés. le développement de l’événementiel et l’organisation de congrès internatioPremière mesure prise, la création d’un naux. Le ministère du Tourisme, lui, ministère du Tourisme à part entière, qui est même devenu un ministère d’État. entend miser sur plusieurs segments – tourismes d’agrément et d’aventure, L’un de ses grands chantiers du moment

Le Sofitel Malabo President Palace.

incentive (séminaires d’entreprises à thème), écotourisme – sans perdre de vue l’importance du marketing et de l’image de marque. D’où la création d’un logo, dont le design, très graphique, résume les quatre atouts naturels du pays : le soleil, la plage, la forêt et la mer. Autre nouveauté: la participation du pays à des salons touristiques internationaux

MOINS D’ÉTOILES, PLUS DE NATURE

L

a capacité hôtelière de la Guinée équatoriale est actuellement d’environ 5 000 lits. Concentrée en milieu urbain avec une majorité d’établissements haut de gamme, elle est surtout adaptée aux voyageurs d’affaires et manque encore de lodges et de chambres d’hôtes pour séduire une clientèle plus diversifiée, toujours haut de gamme, certes, mais attirée par la nature et le contact avec la population. C’est dans la capitale et sa périphérie, sur l’île de Bioko, que le parc est pour le N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

moment le plus étoffé. Dotée d’établissements cinq étoiles (Hilton Malabo, Sofitel Malabo President Palace, Sofitel Malabo Sipopo Le Golf) et trois ou quatre étoiles (Baya, 3 de Agosto, Anda China,Tropicana et Ibis), sans oublier quelques hôtels de moyen standing, Malabo dispose d’une offre d’hébergement diversifiée, mais presque exclusivement fréquentée par des voyageurs d’affaires. En revanche, à Luba (deuxième ville de l’île, sur la baie de San Carlos, côte est) et surtout à Moca (Centre), elle

est davantage tournée vers une clientèle de loisirs, locale ou régionale. Dans la région continentale, la ville nouvelle de Djibloho, située dans le centre du Río Muni et inaugurée en août 2015, remporte désormais la palme du luxe avec son Grand Hotel, un cinq-étoiles doté de 380 chambres et de 72 suites, d’une cinquantaine de villas, d’un centre de conférences, d’une piscine et d’un terrain de golf. Sur le littoral, Bata, la capitale économique, n’est pas en reste, bien que son parc hôtelier soit plus

modeste (Panafrica, Elik Melen, Media Luna, Ibis, etc.), de même que Mbini (à 50 km au sud de Bata) et, à l’est, Mongomo (près de la frontière gabonaise), qui dispose également d’un cinq-étoiles, ou encore Ebebiyín, près de la frontière camerounaise. Cogo, sur l’estuaire du Río Muni, ainsi que les îles de Corisco et d’Annobónke ont davantage misé sur un tourisme de villégiature, avec des resorts et des bungalows, pour attirer les aficionados de soleil et de plage. M.D.M.-M. JEUNE AFRIQUE


VINCENT FOURNIER/JA

Le Grand Hotel de Djibloho. MURIEL DEVEY MALU-MALU POUR JA

79


Le Plus de JA Guinée équatoriale Questions à Tomas Mecheba Fernandez Galilea Ministre d’État chargé du Tourisme

« Nous allons investir dans de nouveaux types d’hébergement » JEUNE AFRIQUE : Que proposezvous pour faciliter l’octroi des visas touristiques ? TOMAS MECHEBA FERNANDEZ GALILEA : Nous avons proposé un

décret, qui comporte deux innovations majeures. La plus importante est de permettre aux citoyens de 100 pays d’obtenir un visa d’une durée de quarante-cinq jours sans passer par nos ambassades et consulats, en débarquant directement dans l’un de nos aéroports internationaux, où seront installés des services spécialisés dirigés par le ministère de la Sécurité nationale. Deuxième innovation: l’autorisation de voyager en Guinée équatoriale pourrait être accordée sur la base d’une réservation d’hôtel et d’avion soumise au ministère de la Sécurité nationale, qui devra se prononcer dans les soixante-douze heures suivant la demande. Ce projet de décret doit encore être approuvé en Conseil des ministres, puis par l’Assemblée nationale. Les durées de séjour et le nombre de pays ciblés seront peut-être révisés à la baisse… On verra. En tout cas, dès que le décret sera approuvé, nous lancerons une grande campagne de marketing pour faire connaître le pays. Quelle stratégie envisagez-vous de mettre en place pour développer le secteur ? Nous avons préparé une dizaine de décrets concernant l’accueil et la protection des touristes. Cela va de la qualité des services dans les établissements hôteliers à l’accueil dans les aéroports, en passant par les transports sécurisés ou encore l’autorisation de prendre des photos, avec des signalisations appropriées dans les lieux où elles sont interdites. Nous allons aussi former des guides. Par ailleurs, le secrétaire d’État au Tourisme va effectuer une tournée dans tout le pays pour sensibiliser N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

MURIEL DEVEY MALU-MALU POUR JA

80

(Madrid, Berlin, Naples…) pour se faire connaître. Un site web est par ailleurs à l’étude. Dans cette course à la clientèle, où la concurrence est mondiale, la Guinée équatoriale offre d’incontestables atouts : une diversité de paysages et de sites, la sécurité, un bon réseau d’aéroports et de routes (lire p. 70) qui facilitent les déplacements. Enfin, de grandes capacités d’hébergement et des espaces de rencontre (salles de conférences et stades) qui lui ont permis d’accueillir ces dernières années des événements importants, comme des sommets de chefs d’État – de l’Union africaine ou de la Cemac – ou encore la Coupe d’Afrique des nations (CAN), coorganisée avec le Gabon en 2012 et qui a pu se tenir sur son sol au débotté en 2015, après le désistement du Maroc, justement grâce à ces capacités. FUNICULAIRE. Reste à convaincre les

Propos recueillis à Malabo par

entreprises étrangères d’organiser des incentives dans le pays. Sur ce plan, la qualité de l’offre hôtelière ne suffit pas pour conjuguer séminaires, découverte, shopping et détente. Par ailleurs, pour le tourisme d’agrément, qu’il soit balnéaire, de randonnée ou écolo, les grands hôtels ne sont pas les mieux adaptés, il faut donc créer une nouvelle offre. D’où les investissements à réaliser dans la construction de lodges, l’aménagement de sites et, surtout, le développement de services et de loisirs pour les futurs touristes. Après l’ouverture mi-2016 du parc national de Malabo (lire p. 82), les autorités équato-guinéennes travaillent à la création d’un parc animalier de 1 500 ha près de Djibloho, dans le centre du Río Muni, ainsi qu’à la construction d’un funiculaire permettant de grimper au Pico Basilé, un ancien volcan niché à plus de 3 000 m d’altitude sur l’île de Bioko. Conscientes du potentiel du pays, desagences devoyagescomme Viaja y Punto ou Ruta 47, qui ont des relais en Espagne, ont déjà pris les devants et organisent des circuits. De même, certains hôtels, comme le Sofitel Malabo Sipopo, proposent désormais des packages d’activités, tels le « Sea, Sun and Golf ».

M.D.M.-M.

MURIEL DEVEY MALU-MALU

les responsables locaux et les populations aux bienfaits et bénéfices que le tourisme peut apporter. Quel type de clientèle souhaitezvous attirer et comment ? Nous souhaitons développer l’écotourisme et le tourisme incentive, en privilégiant la qualité et en restant sélectifs pour préserver notre écosystème, en particulier dans les zones protégées. Nous allons donc investir dans de nouveaux types d’hébergement et de nouveaux aménagements afin de rendre ces sites accessibles. Outre la participation de notre ministère à des salons du tourisme à l’étranger, nous travaillons sur l’organisation, en Guinée équatoriale, de salons à thème. Nous avons notamment envisagé la tenue d’une conférence internationale sur les pays hispanophones et lusophones ainsi que sur les grandes villes des anciennes colonies espagnoles, et nous réfléchissons à d’autres événements que nous pourrions organiser avec le ministère de la Culture.

JEUNE AFRIQUE



Le Plus de JA Guinée équatoriale

Attractions inattendues Inauguré mi-2016, le parc national de Malabo ne désemplit pas. Élèves, familles et joggeurs, tout le monde en profite…

C

eux qui préfèrent écouter le chant des oiseaux et le clapotis de l’eau y vont en semaine. Ceux qui veulent voir du monde et s’amuser s’y précipitent le week-end. Surtout en fin d’après-midi, quand la foule afflue et que les animations battent leur plein. Entre 18 heures et 22 heures, les allées, squares et pelouses du parc national de Malabo résonnent de mille clameurs. Cris des plus petits qui s’en donnent à cœur joie sur les manèges et les toboggans ; brouhaha des ados venus en bandes, affublés de sacs à dos et vêtus à l’unisson – slims pour les filles, pantacourts pour les garçons –; conversations animées desadultesqui,aprèsunebaladeencouple ouenfamille,seretrouventdevantunverre dans l’un des bars-restaurants… Avec une préférence pour La Tour Bisila, le must, qui offre une vue imprenable sur Malabo. SPECTACLES. Situé à l’entrée de la capitale, près de l’aéroport, le parc national de Malabo est une vraie réussite. Sur le plan environnemental, avec 87 hectares plantés d’arbres et de végétation luxuriante ainsi qu’un charmant lac. Et en matière d’offre de loisirs, avec des aires de sport, de détente, de spectacle, des lieux d’exposition, des galeries, etc. Du jamais-vu – en tout cas pas à cette échelle, ni remportant un tel succès populaire – dans les capitales d’Afriquecentrale,oùlatendanceestplutôt à couper les arbres et à raboter les rares jardins et espaces publics pour faire place N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

PHOTOS : MURIEL DEVEY MALU-MALU POUR JA

82

Manèges, aires de jeux, bibliothèque, petit train… Rien ne manque.

à la construction de logements, de bureaux et aux aménagements de voirie. Ouvert le 16 juillet 2016, le parc a immédiatement trouvé son public. Il a été pris d’assaut, et son succès ne faiblit pas, même quand il pleut. Les prix d’entrée sont tout à fait abordables – 500 F CFA (moins de 80 centimes d’euro) pour les adultes, 300 pour les étudiants et 250 pour les enfants –, ce qui permet aux groupes de jeunes et aux familles, même modestes, d’en profiter presque sans compter. Pour sillonner les routes impeccables et les allées paysagées, on se déplace à pied, à bicyclette, en patinette, en barque, en minibus ou en petit train. Et même en rollers et en skateboard, certains se lançant dans une séance de glisse, à la tombée de la nuit, entre les jets d’eau de la place d’Afrique, le plus grand square

du parc, où trône la statue du président équato-guinéen. Avec sa flore disciplinée où rocailles et parterres fleuris se mêlent aux palmiers, aux ceibas (emblème du pays), aux bambous et aux tecks, le parc ressemble à un jardin à la française, à l’exception d’un coin de forêt vierge destiné à faire découvrir cet univers aux enfants. La sécurité des visiteurs est assurée par la présence d’un dispensaire et d’un commissariat de police équipé d’une salle de contrôle où sont traitées les images des caméras de vidéosurveillance. Cerise sur le gâteau, outre les équipements sportifs et de jeux, le parc propose une bibliothèque, un espace consacré aux sciences, une galerie d’artisans et une place agrémentée de totems représentant toutes les ethnies du pays. MURIEL DEVEY MALU-MALU JEUNE AFRIQUE


ÉLÉGANCE CRISTALLINE SUR UNE ÎLE TROPICALE

Sofitel Malabo Sipopo Le Golf & Sofitel Malabo President Palace PO Box 209 | Malabo | Guinée Équatoriale T : +240 350 09 10 10 | E : H8212-SL@sofitel.com www.sofitel.com

DIFCOM/Creapub - © SOFITEL

Hôtel de luxe avec 200 chambres et suites Conférences et séminaires jusqu’à 450 participants Propositions gastronomiques exceptionnelles Meilleur Spa d’Afrique Centrale (LTG award) Piscine et plage privées Terrain de Golf de 18 trous


Lucas Escalada et l’un de ses modèles, au côté du trophée de la « Femme idéale ».

SOCIÉTÉ

Parce qu’elles le valent bien Lancée par le styliste Lucas Nguema Escalada, l’initiative « Femme idéale » souligne le rôle essentiel des ÉquatoGuinéennes dans toutes les sphères de la société. Et les met à l’honneur.

«

LUCAS ESCALADA

J

’ai été très influencé par ma grand-mère, qui est un véritable modèle pour moi, confie Lucas Nguema Escalada. Elle a fait des études et est devenue une femme d’affaires. Ce n’était pas fréquent dans les années 1970 et cela reste encore aujourd’hui une exception chez nous. » Inspiré depuis l’enfance par son aïeule, le styliste équato-guinéen profite de sa notoriété à travers le monde et en particulier aux États-Unis – il a fait ses études à Houston, où vit sa mère – pour mettre en avant les femmes. Engagé sur le plan social, notamment à travers des initiatives destinées aux jeunes, il tente aujourd’hui de promouvoir l’égalité entre les sexes, loin d’être acquise en Guinée équatoriale. « Principalement à cause du

Anastasia Nze Ada Présidente-fondatrice de l’association Égalité et Droits de la femme en Afrique Quand la situation est devenue intolérable, elle a demandé ledivorce. Mais son mari ne l’a jamais accepté. Peu importe. Anastasia Nze Ada a quitté le domicile conjugal en emmenant sa plus jeune fille. « Chez nous, on est marié avec la tradition à vie. Même les religions s’en accommodent. En cas de divorce, les enfants restent avec leur père, et cela crée des problèmes avec la famille, car il faut rembourser la dot », explique-t‑elle. Née en 1948 à Ebebiyín (dans l’extrême nord-est N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

de la région continentale), Anastasia Nze Ada a obtenu son bac à Bata puis est partie étudier en Espagne avant de rentrer en Guinée équatoriale, où elle s’est mariée. En 1992, pour échapper à la surveillance de son exépoux, elle décide de repartir dans la péninsule Ibérique, où elle restera jusqu’en 2008. Une expérience positive. « J’y suis devenue ce que je suis, lance-t-elle. J’y ai tout appris sur les droits et les organisations de défense des femmes. » Elle reprend ses études, fait du volontariat et,

MURIEL DEVEY MALU-MALU POUR JA

84

JEUNE AFRIQUE


poids de la tradition, explique Anastasia Nze, la présidente de l’association Égalité et Droits de la femme en Afrique (lire p. 86). Mais aussi parce que la plupart des femmes méconnaissent leurs droits et croient que seuls les hommes peuvent se prévaloir d’en avoir. » En 2016, Lucas Nguema Escalada a voulu donner corps à ce combat en lançant le projet « Mujer ideal » (« Femme idéale »), dont l’objectif est de démontrer que les femmes valent les hommes et peuvent être leurs égales, sur tous les fronts. Pour illustrer ses convictions, le styliste a créé une collection spéciale portant ce même nom. Mais il tente surtout de mettre en avant des femmes d’affaires, des artistes, des intellectuelles, des personnalités engagées sur le plan social ou politique qui ont contribué à l’éducation et à l’autonomisation des femmes. « Elles serviront de modèle aux autres femmes et aux jeunes filles. Et elles peuvent leur ouvrir des portes, martèle le créateur. L’important, c’est de montrer qu’une femme peut réussir comme un homme et qu’elle a les mêmes droits que lui. » L’initiative a été présentée officiellement lors d’un événement organisé à Malabo du 15 au 18 décembre 2016. Après trois jours de séminaire, pendant lesquels les participants ont débattu de la condition des femmes de Guinée équatoriale et d’ailleurs, la manifestation s’est achevée par un gala, précédé d’un défilé de mode. Constituée de six membres permanents, d’une soixantaine d’artistes

en 2002, crée Afro Mujer, une association pour les femmes africaines axée sur les questions de violence. Pendant deux ans, elle enchaîne des missions en Guinée-Bissau, au Sénégal et au Burkina Faso. De retour à Malabo, elle intègre le ministère de la Promotion de la femme et, en 2010, crée l’association Égalité et Droits de la femme en Afrique. Établie dans le quartier populaire de Semu, à Malabo II, « l’association sensibilise les femmes sur leurs droits, notamment en cas de violences, précise Anastasia JEUNE AFRIQUE

Nze Ada. Le code civil de Guinée équatoriale date du temps de la colonisation espagnole. Nous n’avons pas de textes spécifiques sur les violences faites aux femmes… » Elle mène aussi des actions pour lutter contre les grossesses précoces – une des causes de la déscolarisation des jeunes filles – et pour amener les hommes à davantage dialoguer en cas de problème. « On ne peut pas être démocrate au Parlement si l’on n’est pas démocrate à la maison », martèle Anastasia. MURIEL DEVEY MALU-MALU


Le Plus de JA Guinée équatoriale

86

MURIEL DEVEY MALU-MALU POUR JA

et de volontaires, l’association qui anime « Mujer ideal » est très active, organisant déjeuners, tables rondes et interventions dans les écoles… Du 25 au 30 janvier, elle a organisé une « Semaine de la femme idéale ». Au menu: des ateliers de réflexion sur l’entrepreneuriat des femmes, la projection de L’Arbre sans fruits, documentaire de la Nigérienne Aïcha Macky, et un défilé de mode à l’hôtel Anda China, de Malabo, avec les stylistes Patrick Asante (Ghana), Martial Tapolo (Cameroun), Grace Wallace (Togo), Donova (Guinée équatoriale), Franz Auza (Venezuela) et Lázaro Sanchez (Bolivie). MODÈLES. Des trophées ont été remis à

des femmes « modèles », dont Anastasia Nze et Librada Ela Asumu, la directrice du cabinet T&E SL, fondé avec son mari en 2005 et mêlant conseil juridique, événementiel, édition (avec la revue Ewaiso) et formation (avec une école de droit et secrétariat). Très engagée dans la promotion des femmes au sein des entreprises, Librada Ela Asumu est aussi à l’origine de la Malabo International Fashion Week, organisée chaque année depuis 2010. Rien n’empêche d’attribuer l’un de ces trophées à un « homme idéal » qui se battrait pour l’égalité des droits. « D’ailleurs, le fait que ce soit un homme, Lucas Nguema Escalada, qui mène ce combat, est un atout pour nous, souligne Anastasia Nze. Son projet donne de la visibilité à la lutte pour l’égalité des droits et met en lumière tout ce que les femmes font pour l’émergence du pays. Cela peut inciter les jeunes filles à étudier et à suivre les pas de leurs aînées. » MURIEL DEVEY MALU-MALU

LUCAS ESCALADA

Le créateur camerounais Martial Tapolo et la femme d’affaires Librada Ela Asumu, lors du gala du 28 janvier. N 0 2941 • DU 21 AU 27 MAI 2017

Mariola Bindang Obiang Directrice générale de Holding Guinée équatoriale 2020 (Holding GE) Au lycée, elle était passionnée de littérature espagnole. Mais pour ses études supérieures, Mariola Bindang Obiang a préféré s’orienter vers les sciences économiques. C’est à l’université d’Alabama, aux États-Unis, qu’elle obtient son master. Elle garde un bon souvenir de son séjour américain. « La taille du pays m’a impressionnée. Quelle que soit l’activité, il existe toujours un marché, confie-t‑elle. J’ai également apprécié leurs méthodes de travail, conjuguant théorie et pratique. » En 1991, Mariola BindangObiangestembauchée comme stagiaire à la Beac. Elle y fera une longue carrière, d’abord au service des économies étrangères, à Yaoundé, et, à partir de 1996, à la direction nationale, à Malabo. Elle est promue directrice générale adjointe en 2000, puis directrice générale en 2005. Son parcours prend une nouvelle direction en 2011,

lorsqu’elle est nommée représentante déléguée de la Guinée équatoriale à l’Unesco, à Paris, puis, en mars 2012, ambassadrice de son pays en France. « Je suis passée de la Banque, où tout est codifié, à la culture et à la diplomatie. Un monde où l’on apprend que tout n’est pas carré et qu’il faut savoir négocier des situations difficiles dans l’intérêt des deux parties », souligne-t‑elle. Mère de famille, trilingue et toujours passionnée de littérature, Mariola Bindang Obiang rentre au pays en 2014 pour installer Holding Guinée équatoriale 2020 (lire p. 74), la société qui gère le fonds de coïnvestissement et de participation de l’État. Un nouveau défi, pour lequel sa double expérience est un atout. « Il faut allier la rigueur de l’approche économique à la persuasion et à la compréhension des intérêts de chacun », confirme-t‑elle. M.D.M.-M. JEUNE AFRIQUE




Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.