Exclusif Henri Konan Bédié : « Ouattara, Soro, Gbagbo, la Côte d’Ivoire… et moi »
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 57e année • n° 2945 • du 18 au 24 juin 2017
jeuneafrique.com
DOSSIER ÉNERGIE
Spécial 8 pages
Élysée Le staff « africain » de Macron Tunisie La grande muette a-t-elle réussi sa mue ?
ALGÉRIE
Saïd
l’autre Bouteflika Le plus jeune frère et conseiller du chef de l’État est un homme de l’ombre à qui l’on prête de grandes ambitions et une immense influence. Fantasme ou réalité? ÉDITION INTERNATIONALE ET MAGHREB & MOYEN-ORIENT France3,80€•Algérie250DA•Allemagne4,80€•Autriche4,80€•Belgique3,80€•Canada6,50$CAN•Espagne4,30€•Éthiopie67birrs•Grèce4,80€•Guadeloupe4,60 € Guyane 5,80 € • Italie 4,30 € • Luxembourg 4,80 € • Maroc 25 DH • Martinique 4,60 € • Mauritanie 1200 MRO • Mayotte 4,60 € • Norvège 48 NK • Pays-Bas 4,80 € Portugal cont. 4,30 € • Réunion 4,60 € • RD Congo 6,10 $ US • Royaume-Uni 3,60 £ • Suisse 6,50 FS • Tunisie 3,50 DT • USA 6,90 $ US • Zone CFA 1900 F CFA • ISSN 1950-1285
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Dossier
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Énergie
PRODUCTEURS INDÉPENDANTS
CONTOURGLOBAL
Une fausse bon
N O 2945 • DU 18 AU 24 JUIN 2017
JEUNE AFRIQUE
INFOGRAPHIE
Des privés encore minoritaires
INTERVIEW
Amadou Hott, vice-président de la BAD chargé de l’énergie
ne idée?
La centrale thermique construite par ContourGlobal au cap des Biches, près de Dakar, au Sénégal.
JEUNE AFRIQUE
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Confier la production d’électricité au privé : une solution plébiscitée en Afrique pour ses avantages évidents, notamment financiers. Mais recourir à des fournisseurs indépendants comporte aussi des inconvénients. MARION DOUET, avec NADOUN COULIBALY
V
à Ouagadougou
oilà maintenant dix ans que les États et les compagnies africaines d’électricité, confrontées à un déficit grandissant de production, ne jurent que par ce sigle de trois lettres: IPP. Les independent power producers (« producteurs indépendants d’énergie ») apparaissent comme la solution idéale pour un secteur sous tension financière en laissant à des privés le soin d’investir, de construire et de faire fonctionner de nouvelles centrales. L’Afrique subsaharienne compte désormais quelque 130 IPP, qui cumulent 11 000 MW, soit 15 % de la capacité installée totale, selon une récente étude menée par le Sud-Africain Anton Eberhard, professeur spécialiste des infrastructures à l’université du Cap. Au total, note cet enseignant reconnu, ces unités représentent 25,6 milliards de dollars (22,8 milliards d’euros) qui ne sont pas sortis de la poche des États mais de celle d’investisseurs désireux de miser sur ce secteur porteur. Parmi eux, des poids lourds déjà bien implantés comme Globeleq (au Cameroun, en Afrique du Sud et en Côte d’Ivoire), ContourGlobal (au Togo, au Rwanda et au Sénégal), Taqa (au Maroc et au Ghana) ou encore Eranove (en Côte d’Ivoire et bientôt au Mali), mais aussi de nouveaux venus tels que Greenwish ou Platinum Power. Mais, depuis peu, ces investisseurs ont pu parfois percevoir une certaine froideur lorsqu’ils toquent à la porte des ministères. « C’est une petite musique qui monte », admet un partenaire régulier des gouvernements africains. Il souligne néanmoins que tous les pays ne sont pas concernés, cette tendance s’observant principalement dans ceux qui s’appuient déjà sur le privé depuis un moment, comme le Sénégal, le Cameroun, le Gabon ou encore la Côte d’Ivoire. À l’heure où son pays fait face à une situation sociale tendue qui rend périlleuse l’augmentation des tarifs de l’électricité, le ministre ivoirien de l’Énergie, Thierry Tanoh, ne cachait pas, lors du Africa CEO Forum 2017, à Genève, sa préoccupation vis‑à-vis de ces contrats généralement conclus sur plus de vingt ans et sans possibilité de renégociation. « Maintenant, nous sommes coincés », concluait l’ancien banquier. N O 2945 • DU 18 AU 24 JUIN 2017
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Dossier Énergie Sans surprise, les investisseurs n’alignent pas des centaines de millions de dollars sans conditions. Lesquelles peuvent paraître excessives. « Ce fut le cas pour certains des premiers IPP, qui protégeaient les entreprises de manière déséquilibrée », abonde un spécialiste qui a fait carrière dans le public et dans le privé, citant l’exemple de la centrale dakaroise du groupe GTI. Signée au début des années 2000, cette unité vendait son électricité 200 F CFA (0,30 euro) le kWh (le prix moyen dans la région est aujourd’hui estimé à environ 80 F CFA). Noyau dur qui définit les termes de ces partenariats public-privé, le contrat d’achat d’électricité (power purchase agreement, PPA) signé entre le privé et l’électricien national, souvent public, est au cœur des enjeux. Premier d’entre eux, le prix du kWh reflète les coûts de revient de l’IPP, mais aussi le profit attendu par ses investisseurs dans un environnement économique jugé risqué. « Clairement, les IPP tirent les prix vers le haut, parce que leurs exigences de bénéfices sont très fortes », poursuit notre source. Difficile de connaître une rentabilité moyenne. Mais, à titre indicatif, la centrale abidjanaise Ciprel – dont les données financières sont parmi les seules disponibles – se révèle bien plus rentable que les autres actifs d’Eranove présents dans l’électricité et l’eau en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Elle rapporte plus de 30 % du résultat opérationnel du groupe pour 9 % de son chiffre d’affaires. STRUCTURATION. Deuxième point clé, la durée
des contrats, qui court sur quinze ans au minimum. Une période au cours de laquelle le « risque pays » mais aussi le coût de la technologie peuvent significativement évoluer, à l’image du prix de l’énergie solaire, qui a connu une chute spectaculaire (moins 60 % en dix ans sur le continent). « S’agissant de cette source d’énergie, on ne peut pas continuer avec de telles durées. Il faut moins verrouiller [les contrats] », estime Amadou Hott, vice-président de la BAD chargé de l’énergie (lire notre interview p. 68). Preuve que la réflexion agite les gouvernements, le Burkina Faso, novice en matière d’IPP, « va opter pour une structuration des prix dans le solaire qui tienne compte de l’évolution de la technologie et du marché », souligne Alpha Oumar Dissa, ministre de l’Énergie. Troisième enjeu: l’obligation pour l’État d’acheter l’électricité même s’il ne la consomme pas et, dans certains cas, « même si le privé ne produit pas », nous confiait avec humeur il y a quelques mois un officiel sénégalais à propos de ce principe dit du take or pay. Enfin, le PPA est assorti d’une garantie, généralement prise en charge par l’État pour rassurer les investisseurs face à des électriciens souvent peu solvables. « À chaque nouvel IPP, c’est une nouvelle garantie qui s’ajoute et que l’État peut être appelé à payer à tout moment. Du point de vue du FMI, c’est quasiment un endettement », poursuit l’une de nos sources. N O 2945 • DU 18 AU 24 JUIN 2017
Les principaux acteurs CONTOURGLOBAL Cap des Biches, Sénégal 86 MW Lomé, Togo, 100 MW KivuWatt, Rwanda, 26 MW
GLOBELEQ Songas, Tanzanie, 190 MW
Azito, Côte d’Ivoire, 430 MW Kribi Power, Cameroun, 216 MW Jeffreys Bay, Afrique du Sud, 138 MW De Aar, Afrique du Sud, 50 MW Droogfontein, Afrique du Sud, 50 MW Dibamba, Cameroun, 88 MW Tsavo, Kenya, 75 MW
ERANOVE
Ciprel, Côte d’Ivoire, 543 MW
TAQA
Jorf Lasfar, Maroc, 2 056 MW Takoradi, Ghana, 220 MW
La grogne ambiante n’est pas pour étonner Laurent Morel, directeur du cabinet PwC. « Quand un pays veut mettre en place des IPP, il cherche d’abord à attirer les investisseurs, puis dans un deuxième temps il va tenter de procéder à un rééquilibrage du marché », souligne ce spécialiste de l’énergie, notant que les IPP permettent de combler le déficit électrique (en matière de capacités), mais peuvent, à l’inverse, creuser le déficit financier du secteur lorsque le prix d’achat du kWh est supérieur au tarif fixé par l’État – une situation fréquente. Deux solutions s’offrent alors aux autorités : augmenter les tarifs, au risque de provoquer l’ire de la population, comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire il y a un an (l’augmentation a été plus faible que prévu, un engagement que le président Ouattara a renouvelé le 1er mai), ou négocier point par point chacun des termes du PPA pour mieux les équilibrer. « Chacun fait ses calculs et avance ses pions. Il y a des contrats qui vont être questionnés, mais pas au point de remettre en cause l’intervention du privé », estime un expert de l’Afrique francophone, soulignant qu’avant les négociations chaque partie veut prendre l’avantage en affichant son intransigeance. Il est difficile de se passer des financements extérieurs, un projet classique étant abondé à 30 % en fonds propres et à 70 % en dette. Mais « il y a une tendance croissante des États à considérer qu’ils peuvent agir seuls, parfois poussés par les bailleurs de fonds eux-mêmes », note l’une de nos sources. Quelques centrales ont récemment été directement développées puis opérées par les énergéticiens publics, à l’image de la Société nationale d’électricité du Burkina Faso (Sonabel), qui vient de mettre en service la ferme solaire de Zagtouli. Mais cette importante installation de 33 MW a quand même été financée par des bailleurs de fonds (BEI, AFD et UE pour 46 milliards de F CFA). EFFICACITÉ. De plus, les défenseurs des IPP pointent l’efficacité des privés – pour les délais de construction ou l’exploitation et la maintenance des sites. Au Maroc, la centrale de Taqa s’enorgueillit d’un taux de disponibilité de 92 %, tandis qu’en Côte d’Ivoire la direction de Ciprel rappelle que la centrale n’a jamais stoppé sa production durant le conflit. L’un de nos interlocuteurs pointe aussi les exemples du Bénin et du Togo. En 2006, Lomé confie à ContourGlobal la construction d’une centrale de 100 MW. Inaugurée en 2010, elle a un coût au kWh qui fera grincer des dents (indexé sur le cours du pétrole, ce dernier est désormais moins élevé). La même année, Cotonou lance, via sa société publique, la construction de la centrale de Maria-Gleta I, qui tourne au fiasco. Elle sera prochainement rasée tandis qu’un appel à manifestation d’intérêt pour la construction de Maria-Gleta II (400 MW) a permis de présélectionner trois consortiums. JEUNE AFRIQUE
Dossier Énergie ÉLECTRICITÉ
Des privés encore minoritaires
Même si les centrales gérées par des indépendants au sud du Sahara sont de plus en plus nombreuses, leurs capacités restent souvent faibles au regard des productions nationales. Ghana
Sénégal
3,8 GW
4,9 GW
18 %
0,9 GW 32 %
Capacité installée (GW)
Nigeria
Part des productions indépendantes (%)
Ouganda
31 %
Rwanda
0,2 GW
0,9 GW
Taux national d’accès à l’électricité < 20 %
49 %
34 %
20 - 40 %
Cap-Vert
41 - 60 %
0,1 GW 20 %
61 - 80 % > 81 % Kenya
Gambie
2,2 GW
0,1 GW
25 %
43 %
Togo
Côte d’Ivoire
0,2 GW
1,9 GW
49 %
52 %
Tanzanie
1,6 GW
19 % Maurice
Cameroun
1,3 GW
0,8 GW
24 %
39 %
Namibie
0,6 GW
Afrique du Sud
2%
50,2 GW
Mozambique
11 %
2,7 GW
Madagascar
0,5 GW
10 %
Zimbabwe
Zambie
2,6 GW
15 %
10 %
Swaziland
0,2 GW 23 %
2,1 GW 6%
SOURCE : IEA, WORLD ENERGY OUTLOOK 2006. PROPARCO/PRIVATE SECTOR & DEVELOPMENT, 2017
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BioTherm Energy, producteur africain d’électricité verte BioTherm Energy prévoit d’investir 330 millions de dollars dans les énergies renouvelables en Afrique d’ici à 2020. De quoi fournir un accès sécurisé à l’électricité à un million de ménages et d’entreprises. À ce jour, BioTherm Energy exploite un parc éolien (27 MW) et deux solaires (22 MW) en Afrique du Sud et en a cinq autres proche de la clôture financière (343 MW au total). En Afrique de l’Ouest, le groupe a remporté trois projets solaires, deux au Burkina Faso (34 MW) et un au Ghana (20 MW), pour lesquels il a récemment obtenu une subvention de près de 2 millions de dollars du gouvernement américain (USTDA) pour les études techniques finales. BioTherm Energy développe activement plusieurs autres projets solaires et éoliens sur le continent et se félicite des opportunités qu’offrent les énergies renouvelables en Afrique. Pour plus d’informations, contacter : Jasandra Nyker, DG, jnyker@biothermenergy.com, Tel : +27 (0)11 367 4600, www.biothermenergy.com
CommuniquĂŠ
Dossier Énergie INTERVIEW
Amadou Hott
Vice-président de la Banque africaine de développement
« Nous voulons réduire le prix des kits solaires » L’ancien banquier d’affaires avait déjà travaillé sur les questions énergétiques lorsqu’il dirigeait le Fonsis au Sénégal.
PHOTO BY IISD/ENB | LIZ RUBIN
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Vice-président chargé de l’énergie, Amadou Hott s’est fixé des objectifs ambitieux. Il vise la connexion de 75 millions de foyers d’ici à dix ans grâce à des solutions « hors réseau ».
À
la fin de 2016, le président de la BAD a nommé Amadou Hott au poste de vice-président chargé du secteur de l’énergie, une priorité de son mandat. En choisissant ce Sénégalais, Akinwumi Adesina a donné le ton : alors que deux Africains sur trois n’ont toujours pas accès à l’électricité, l’ambitieux objectif de la BAD de connecter 130 millions de personnes au réseau et 75 millions hors réseau d’ici à 2025 ne pourra être atteint sans associer les compétences du public à celles du privé. BNP Paribas, United Bank for Africa ou encore Dangote : Amadou Hott apporte à la banque panafricaine N 0 2945 • DU 18 AU 24 JUIN 2017
l’expérience qu’il a acquise dans les entreprises, mais aussi dans les institutions comme le Millennium Challenge Corporation et le Fonds souverain d’investissements stratégiques du Sénégal (Fonsis), où, en tant que directeur, il a supervisé de 2013 à 2016 des projets d’infrastructures et d’énergies, notamment renouvelables. Le nouveau viceprésident a expliqué à Jeune Afrique comment il comptait répondre à l’immense défi de l’électrification du continent. JEUNE AFRIQUE : La BAD vient de publier avec le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) un Atlas de l’énergie
en Afrique. Quel est son principal enseignement ? AMADOU HOTT : Il montre
d’abord que le taux d’accès à l’électricité reste très faible, surtout en Afrique centrale. Deuxièmement, même s’il y a encore beaucoup de possibilités de production à partir du gaz et du charbon, les opportunités offertes par les énergies renouvelables sont immenses. Il n’y a qu’à voir les taux d’ensoleillement et le potentiel hydraulique de certaines zones. Ce rapport doit permettre aux investisseurs de mieux connaître le paysage énergétique du continent pour orienter leurs décisions d’investissement. Boycottez-vous certaines énergies comme le charbon ?
La politique de la BAD n’a pas changé : nous n’excluons rien, hormis l’énergie nucléaire. JEUNE AFRIQUE
Des solutions pour le développement des projets énergétiques en Afrique.
SC BTL-06/17
L’Afrique a amorcé sa transition énergétique pour soutenir une croissance économique sans précédent. C’est aujourd’hui la région du monde la plus dynamique en matière de développement de projets pour faciliter et accroître l’accès à une énergie propre et renouvelable. Au sein du Groupe Bolloré, Bolloré Transport & Logistics et Blue Solutions s’inscrivent dans cette démarche ambitieuse de développement énergétique durable du continent.
BOLLORÉ LOGISTICS Logisticien spécialiste des grands projets industriels (fermes éoliennes et solaires, centrales thermiques, réseau électrique), Bolloré Logistics propose des solutions et services sur l’intégralité de la chaîne logistique. Son réseau et son expertise sur le continent africain lui permettent de relever des challenges souvent complexes même dans les zones les plus isolées.
BLUE SOLUTIONS Blue Solutions produit et commercialise des solutions de stockage stationnaire clés en main basées sur la technologie Lithium Métal Polymère. Elles facilitent l’intégration des énergies renouvelables dans les réseaux et, associées à une production solaire ou éolienne, permettent l’accès à l’énergie pour les zones non connectées et réduisent le coût et la dépendance aux groupes électrogènes.
www.bollore-transport-logistics.com contact@bollore.com
www.blue-solutions.com contacts-bluestorage@blue-solutions.com
Dossier Énergie Nous étudions la construction de centrales alimentées au charbon, même si notre portefeuille inclut principalement des projets hydrauliques, solaires ou géothermiques. La BAD ne va pas se focaliser uniquement sur les énergies renouvelables, mais il est important de noter qu’elles permettent aujourd’hui de réunir plus facilement des coïnvestisseurs. La BAD ambitionne d’allouer 12 milliards de dollars (environ 11 milliards d’euros) à l’énergie sur la période 2016-2020. Est-elle sur la bonne voie pour y parvenir?
En 2016, nous avons investi 1,7 milliard de dollars tous projets d’énergie confondus. En 2017, nous espérons porter nos engagements à au moins 2 milliards de dollars. Il faudra donc augmenter significativement ce budget durant les années suivantes pour atteindre notre objectif avant la fin de 2020. Je souligne qu’avec les 2 milliards dépensés cette année nous pourrons mobiliser environ 5 milliards auprès de nos partenaires. J’insiste sur le fait que nous devons coopérer avec les autres institutions de développement car nous ne pourrons pas électrifier l’Afrique d’ici à 2025 en œuvrant chacun de notre côté. Comment faire pour que ces sommes développent efficacement l’accès à l’énergie ?
Il y a plusieurs aspects à prendre en compte. Mais le maître mot est la préparation. Il faut d’abord accompagner les États pour définir des plans de développement énergétiques clairs, qui établissent les avantages comparatifs de chaque pays, leurs besoins, déterminer les régions à connecter via le réseau et celles qui le seront via des systèmes off-grid [« hors réseau »]. Il faut aussi que les tarifs reflètent mieux les coûts de production et d’exploitation des sociétés d’énergie. Les États ne peuvent pas continuer éternellement à subventionner ce secteur. Mais l’électricité produite en Afrique est souvent trop chère N 0 2945 • DU 18 AU 24 JUIN 2017
SVEN TORFINN/PANOS-REA
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rapportée au pouvoir d’achat des ménages…
D’abord, le coût de production a beaucoup baissé dernièrement, notamment celui des énergies renouvelables et particulièrement des panneaux solaires. S’il y a trois ans un contrat d’achat d’énergie était conclu à 80 F CFA [0,12 euro] le kWh, aujourd’hui il se négocierait entre 60 et 50 F CFA, voire moins dans certains cas. Deuxièmement, le coût de financement de l’énergie verte s’est réduit, car on peut lever de l’argent à taux concessionnel, notamment auprès du Fonds vert, tandis que la compétition entre les développeurs permet d’infléchir leurs exigences de rentabilité. Concernant les centrales thermiques, en particulier celles qui fonctionnent au fioul lourd [HFO] en Afrique, la diminution du prix du pétrole a aussi fait baisser le coût de production. Tout cela doit induire une réduction du prix payé par le consommateur. Comment allez-vous concrètement aider les États et les sociétés publiques à augmenter la production d’énergie ?
D’abord, nous voulons proposer d’ici à la fin de l’année de garantir nous-mêmes les contrats d’achat d’énergie, une contrainte aujourd’hui portée par les États. À notre tour, nous nous couvrirons en tentant d’obtenir des
Au Kenya, M-KOPA propose l’éclairage solaire low cost. La BAD réfléchit à une aide pour ce type d’acquisition pour les foyers.
Amadou Hott a son numéro deux Depuis le 1er mai, le Gambien Henry Paul Batchi Baldeh a rejoint le département Énergie de la BAD pour seconder Amadou Hott en tant que directeur des systèmes électriques. Précédemment, il était viceprésident de l’Africa Finance Corporation (AFC) chargé du secteur énergétique
contre-garanties auprès d’institutions comme l’Union européenne. Dans un premier temps, cette solution sera proposée aux sociétés les plus solides financièrement. Pour les autres, nous les aiderons à se restructurer pour minimiser les pertes techniques et financières, pour in fine garantir aussi leurs projets. Cela prendra la forme de missions que nous allons financer, coordonner, mais confier à des consultants externes. Cela pourra passer, par exemple, par l’installation de compteurs intelligents. L’objectif à long terme, c’est que chaque société puisse passer des contrats avec des independent power producers [« producteurs indépendants d’énergie », IPP] sans avoir besoin de la garantie d’un tiers, comme c’est le cas en Inde ou en Europe, mais aussi que de véritables marchés régionaux permettent aux producteurs [indépendants] de vendre à plusieurs compagnies d’électricité. Des pays se sont-ils montrés intéressés par cette offre ?
Nous avons déjà reçu un mandat de la Zambie, du Mozambique et de la Tanzanie, où nous travaillons avec la Banque mondiale. Nous sommes en discussion avec d’autres pays. S’agissant du solaire, la BAD mise sur le déploiement de kits JEUNE AFRIQUE
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domestiques hors réseau. Mais déployer ces produits dans chaque maison va prendre beaucoup de temps…
Notre objectif est de connecter 75 millions de foyers à l’électricité d’ici à dix ans en travaillant avec tous les acteurs, notamment avec les autres bailleurs de fonds. Nous avons reçu 150 acteurs du solaire
plan d’accompagnement pays par pays qui inclura des financements commerciaux, concessionnels et semi-concessionnels, des interventions auprès de l’État, et la prise en compte des besoins des populations. Vous avez pris la vice-présidence de l’énergie à la BAD il y a quelques
Nous travaillons avec tous les investisseurs intéressés par le fait de développer l’Afrique. off-grid à Abidjan le 28 mars pour voir comment nous pouvons augmenter drastiquement la connectivité off-grid en Afrique. Il faut consacrer des plans [directeurs] au off-grid, soutenir les entreprises en les aidant, par exemple, à se couvrir contre les risques de change, ou encore réduire le prix d’acquisition des kits grâce à des incitations fiscales sur l’importation du matériel. Nous réfléchissons à un
mois. Si vous ne deviez citer qu’un seul projet emblématique que vous souhaitez promouvoir…
Je dirais le programme solaire Noor, au Maroc, dans lequel la BAD a beaucoup investi. Sa structuration est extrêmement intéressante: c’est la société publique Masen, qui entre au capital des projets, qui s’endette auprès des bailleurs de fonds à taux concessionnel puis rétrocède ces financements
à ses partenaires privés. Toutes les entreprises publiques n’ont pas, aujourd’hui, la capacité de le faire, mais il serait intéressant de pouvoir reproduire ce schéma qui permet de réduire le coût du kWh. Le secteur de l’énergie est essentiellement dominé par des entreprises non africaines. Est-ce le rôle de la BAD de soutenir l’essor d’entreprises locales ?
Nous travaillons avec tous les investisseurs intéressés par le fait de développer l’Afrique, qu’ils soient africains ou non. Avoir un « champion africain » n’est pas une condition sine qua non pour avancer sur un projet. Cependant nous aimerions voir des acteurs nationaux se déployer, comme au Nigeria, en Afrique du Sud ou en Algérie. Autre exemple, nous encourageons la création d’instruments financiers qui permettent aux locaux de prendre des parts dans ces projets stratégiques. Propos recueillis par MARION DOUET