u n e bl u o d e es o en t i n ér v ma m en se ux de
Côte d’Ivoire Mutins, braqueurs & Cie : qui manipule qui ?
No 2953-2954 • du 13 au 26 août 2017
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 57e année
jeuneafrique.com
Enquête ê Les bonnes affaires africaines de l’Aga Khan
Cameroun CAN 2019 Ça passe ou ça casse !
CONGO
Rebondir !
Plus que jamais, la sortie de crise passe par une rupture avec les habitudes du passé et une cure d’austérité à tous les niveaux de l’État. Reste à convaincre les Congolais de relever le défi. Spécial 16 pages ÉDITION CONGO France 6 € • Algérie 360 DA • Allemagne 8 € • Autriche 8 € • Belgique 6 € • Canada 11,90 $ CAN • DOM 8 € • Espagne 7,20 € • Éthiopie 95 birrs • Grèce 8 € Italie 7,20 € • Luxembourg 8 € • Maroc 40 DH • Mauritanie 2000 MRO • Norvège 75 NK • Pays-Bas 7,20 € • Portugal cont. 7,20 € • RD Congo 11 $ US Royaume-Uni 6 £ • Suisse 11,80 FS • Tunisie 6 DT • USA 13 $ US • Zone CFA 3200 F CFA • ISSN 1950-1285
Transformer l’agriculture de fond en comble
De la culture du riz au Nigéria à la culture du cacao et des noix de cajou en Côte d’Ivoire, Olam est engagé en Afrique depuis près de 30 ans. Nous avons investi 1,89 milliards de dollars singapouriens et crée un réseau de 2.5 millions de petits exploitants dans 25 pays qui cultivent entre autres du coton, des graines de sésame ou du café. Nos 31 usines de transformation sont réparties sur le continent et nous permettent de transformer nos récoltes en ingrédients entrant dans la composition entrant dans la composition de produits tant locaux qu’internationaux. Nous fournissons des boulangeries en farine et avons également développé des marques de produits alimentaires célèbres aujourd’hui à l’instar de Tasty Tom, Royal Aroma (riz) King Crackers, Mama Gold, Bua (pâtes) et Dona (huile de palme). Nos 21 000 employés à plein temps et 26 000 saisonniers nous aident à atteindre nos objectifs. Ils sont non seulement la clé de notre succès, mais aussi ceux qui continuent, jour après jour à nous convaincre du potentiel de l’Afrique.
Olam, né en Afrique, fidèle à l’Afrique. @olam @olam_international olamgroup.com
Responsabilité sociétale des entreprises
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SVEN TORFINN/PANOS-REA
Focus
Campagne de sensibilisation au Rwanda, un des pays africains les plus engagés contre les passe-droits.
Corruption Quand les patrons serrent la vis
juillet, le Serious Fraud Office (SFO), qui lutte contre la délinquance financière au Royaume-Uni, a par exemple ouvert deux enquêtes distinctes contre le fabricant de cigarettes British American Tobacco et le minier Rio Tinto pour des faits présumés en France ou Foreign Corrupt Practices de corruption concernant leurs activités Act aux États-Unis. Leur particularité : africaines. Et fin 2016 la société d’inveselles peuvent sanctionner des faits commis hors de leur juridiction nationale. tissement américaine Och-Ziff a accepté En 2008, le groupe de payer 413 millions de allemand Siemens dollars d’amende et de a fait partie des prepénalités au gendarme des Une cinquantaine marchés financiers amérimières multinationales de pays ont à en faire les frais. La cainetaudépartementdela musclé leur Justice, dont plus de 2,2 milSecurities and Exchange législation Commission, le genlions directement réglés par darme des marchés son fondateur, Daniel Och, pour avoir versé quelque financiers américains, l’avait condamné à payer 800 millions de 100millionsdedollarsdedessous-de-table en Afrique entre 2007 et 2011. dollars pour avoir versé des pots-de-vin Dans le monde, une cinquantaine de afin d’obtenir des contrats aux quatre coins pays ont activé ou réactivé leur législadu monde. Le continent n’échappe pas à tion anticorruption depuis la fin des cette chasse aux petits arrangements. En
Face au durcissement de la législation des grandes puissances et à la multiplication des condamnations, le secteur privé change ses pratiques. JULIEN CLÉMENÇOT
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adeauter, autrement dit corrompre, pour obtenir un passedroit, s’assurer une décision favorable ou parfois seulement pour faire appliquer la loi… Rares sont les entreprises qui n’ont pas un jour été confrontées à cette tentation. Mais, à la faveur de l’évolution des législations, ces pratiques deviennent plus risquées pour les acteurs économiques. Car sous la pression de leurs citoyens, certaines des plus grandes économies du monde ont renforcé au cours de la dernière décennie les législations pénalisant les délits relatifs à la corruption. Ces lois s’appellent UK Bribery Act au Royaume-Uni, loi Sapin 2 JEUNE AFRIQUE
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Focus Des amendes record aux États-Unis Top 10 des sanctions prononcées dans le cadre du Foreign Corrupt Practices Art (FCPA) (en millions de dollars)
Siemens
Alstom
KBR/Halliburton
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Teva Pharma
SOURCE : ETHIC INTELLIGENCE
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BAE Systems
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Odebrecht/Braskem
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Och-Ziff
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412 années1990. Sur le continent, c’est le cas du Maroc, de la Tunisie, de la Côte d’Ivoire, du Rwanda et de l’Afrique du Sud. Mais, faute de protéger efficacement les lanceurs d’alerte, les États africains peinent à lutter contre ce phénomène. Chawki Tabib, président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption en Tunisie, estime que ces petits arrangements coûtent à son pays quatre points de croissance du PIB chaque année.
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interlocuteurs, qui pointent le manque de moyens accordés aux agences publiques chargées de ces questions en Afrique. « C’est tout un système. Tout le monde est conscient des conséquences négatives de ces pratiques (perte de pouvoir d’achat, problèmes de qualité des produits, mauvaise gestion de l’argent public). Mais y mettre un terme brutalement pose aussi un problème social puisque cela reviendrait à supprimer une partie des revenus de certains fonctionnaires, voire RÉPRESSION. Le Maroc des emplois si l’on démaest en pointe dans l’amétérialise certaines opéraPour préserver lioration de la bonne tions », souligne l’une de sa réputation, gouvernance dans les nos sources. lutter contre entreprises et les admiSensibles à leur réputaces pratiques nistrations. En 2007, tion, les multinationales le royaume a ratifié la ont été les premières à devient une convention des Nations prendre conscience de obligation unies sur ce sujet et créé la nécessité de mettre une autorité centrale de fin à leurs mauvaises prévention de la corruption. En 2011, habitudes. « Elles observent que les lois ne restent plus théoriques, mais aboul’adoption d’une nouvelle Constitution a tissent à des condamnations financières réaffirmé la volonté du pays d’agir, et l’an dernier le gouvernement a adopté une et pénales. Lutter contre la corruption devient une obligation », constate Anne stratégie nationale de lutte contre la corLe Rolland, PDG d’Acte International, ruption qui court jusqu’en 2025, incluant des programmes de sensibilisation, de cabinet d’audit et de conseilspécialiste des prévention, de formation, et aussi des chaînes d’approvisionnement et de dismesures de répression. Mais c’est encore tribution. Sanctionné en 2006 au Lesotho insuffisant, estiment plusieurs de nos pour des faits de corruption, Schneider N 0 2953-2954 • DU 13 AU 26 AOÛT 2017
Electric fait partie des repentis qui ont choisi de faire radicalement évoluer leurs pratiques. En 2007, le groupe français a obtenu en Égypte la certification du cabinet Ethic Intelligence, créé par Philippe Montigny, ancien membre du cabinet du secrétaire général de l’OCDE. Puis il a étendu cette démarche à ses filiales marocaine, nigériane et sud-africaine. Le groupe allemand Bosch veille lui aussi à appliquer en Afrique sa politique de bonne gouvernance. « Le comité directeur a renforcé ses exigences en matière de contrôles. Cela concerne nos clients comme nos fournisseurs, à qui nous faisons signer un code de conduite. Le fait d’afficher une ligne claire fait d’ailleurs que nous sommes moins sollicités. Nous préférons perdre de l’argent plutôt que de nuire à notre réputation », explique Mondher Sassi, chargé de ces questions au Maroc, en Tunisie et en Algérie. « Pour les entreprises internationales, la priorité est de maîtriser les règles d’exportation. Quand on les suit à la lettre, on élimine 80 % des situations à risque, dans lesquelles on s’expose à la corruption », estime Anne Le Rolland. MENTALITÉS. Les grandes entreprises
africaines sont elles aussi de plus en plus sensibles à l’amélioration de leur gouvernance. Même si beaucoup de sociétés locales intègrent encore le fait de distribuer des cadeaux à leur fonctionnement habituel, avec parfois une comptabilité précise des montants donnés. L’apparition des normes ISO 19600, portant sur le management de la conformité, en 2014, et surtout ISO 37001, sur les systèmes de management anticorruption, l’an dernier, leur donne un cadre pour transcrire dans leur fonctionnementl’évolutiondesmentalités. En avril, la société Maghreb Steel mais aussi la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) ont ainsi participé à la formation sur cette dernière norme, organisée par le cabinet Acte International à Casablanca. « Maintenant, nous allons concevoir un plan d’action. Il est certain que notre engagement, impulsé par notre actionnaire Eranove, peut inciter d’autres entreprises à faire la même chose », juge Kouakou Lataille Yao, chargé de la lutte contre la corruption au sein de CIE. « Quand nous avons ouvert notre filiale au Maroc il y a deux ans, nous ne pensions pas que cette partie de notre activité recevrait un accueil aussi favorable », affirme Anne Le Rolland. JEUNE AFRIQUE
RSE
Dialogue social Vers un terrain d’entente Sur le continent, employeurs et salariés ne discutent souvent qu’en temps de crise. Mais progressivement les mentalités évoluent.
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e 7 juin, Sylvain Mayabi Binet n’y est pas allé par quatre chemins pour qualifier les relations qu’il entretient avec Maurel & Prom, installé de longue date au Gabon. Dans un courrier adressé aux services du Premier ministre, le secrétaire général adjoint de l’Organisation nationale des employés du pétrole (Onep), qui représente les salariés du secteur, s’est ému de la volonté du groupe français de liquider son organisation. Pour y parvenir, la direction de la compagnie pétrolière aurait demandé l’ouverture d’une procédure judiciaire à son encontre pour avoir protesté fin 2016 contre le licenciement d’une dizaine de salariés. Des reproches que Maurel & Prom nie en bloc, mettant le syndicaliste au défi d’en apporter les preuves.
Si dans presque tous les pays du continent la fonction publique connaît des grèves à répétition, de tels conflits sociaux sont peu fréquents au sein des entreprises privées. Mais il n’est pas rare que ceux-ci dégénèrent. En 2016, le bras de fer entre les salariés de la mine d’or de Tasiast, en Mauritanie, et la direction locale du canadien Kinross avait duré plusieurs mois avant d’aboutir à un accord entérinant entre autres le paiement d’arriérés de salaires et d’un treizième mois. « Le dialogue social dans le secteur privé d’Afrique francophone n’a pas évolué : on répond aux urgences, mais le suivi et l’anticipation ne sont pas entrés dans les mœurs », confirme Adboulaye Binate, DRH chez Atlantic Business International, à Abidjan. Et faute de volonté politique
ou en raison d’un intense lobbying, la loi n’est pas toujours appliquée. Il arrive même que les entreprises qui la respectent soientminoritaires,déploreunsyndicaliste guinéen au sujet du secteur minier dans son pays. « Certaines directions refusent par principe de s’asseoir à la même table que des salariés », assure-t‑il. Et le dialogue a d’autant plus de mal à s’installer que les travailleurs ont tendance à s’autocensurer par peur de se retrouver exclus d’un marché de l’emploi formel très restreint. DÉLÉGUÉS. Pourtant, la plupart des pays
disposent d’un cadre réglementaire qui encourage les concertations. Tous les États ont signé la convention de 1998 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la négociation collective. En Afrique francophone, les législations prévoient la nomination de représentants de délégués du personnel (à partir de onze salariés en Côte d’Ivoire et de vingt au Cameroun) ou l’installation d’instances telles que les
OLEKSANDR RUPETA/NURPHOTO/AFP PHOTO
En 2016, la grève des pêcheurs de Walvis Bay (Namibie) a affecté les usines de traitement du poisson.
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RODGER BOSCH/AFP PHOTO
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zone Afrique-Moyen Orient depuis un an, est en cours pour ouvrir le conseil d’administration à un représentant du personnel salarié africain. Au Maroc, Karim Tazi, directeur général du groupe Richbond, actif dans le textile d’ameublement, reconnaît que les sociétés locales qui dialoguent réellement se comptent sur les doigts d’une main. Lui revendique l’efficacité des réunions mensuelles que les patrons des six divisions de son entreprise tiennent avec des responsables des ressources humaines, des assistants sociaux et des représentants des 2000 salariés, « même les plus vindicatifs », Round de négociations lors de la grève des mineurs de Marikana, jure-t‑il. Son objectif? Déminer les sources propriété de Lonmin, en août 2012, en Afrique du Sud. de conflit. « Ce n’est pas la question des salaires qui revient le plus souvent mais plutôt celles des petits chefs qui font du via l’inspection du travail des modules comités santé et sécurité. Et les syndide formation pour les représentants du cats de salariés ne manquent pas. « Il est zèle, des places assises dans les transports personnel et les DRH sur leurs droits et loin, le temps où nombre d’employeurs vers les lieux de travail ou de la qualité de leurs devoirs », ajoute Adboulaye Binate. considéraient les salariés comme leur la nourriture à la cantine », énumère-t‑il. « Il ne faut pas attendre que les revenpropriété, assure Mody Guiro, le secrétaire LONGUEUR D’AVANCE. Mais souvent, général de la Confédération nationale des dications arrivent », affirme sous couvert d’anonymat un patron tunisien dont le travailleurs du Sénégal, première centrale salariés et entreprises n’ont pas de convenconglomérat, actif dans l’automobile, du pays. Les syndicats ont réussi à se faire tions de branche sur lesquelles s’appuyer. Il y a donc d’un côté le droit et de l’autre l’agriculture, la distribution et l’immoentendre. » Mais leur prolifération – on en des accords d’entreprise comme ceux compte par exemple 420 en RD Congo – bilier, compte environ 400 salariés. Pour adoptés par la Société marocaine de limiter les frustrations de ses collaboranuit à leur efficacité. construction automobile teurs, ce groupe investit Pour Jean-Claude Tiacoh Allah(propriété de Renault) ou 1 % de ses 300 millions de Kouadio, vice-président de la Chambre de La dinars (environ 105 milcommerce et d’industrie de Côte d’Ivoire, parMarocTélécom(détenu rémunération lions d’euros) de chiffre à 53 % par Etisalat). Dans les entreprises fournissent des efforts afin n’est pas d’affaires annuel dans la ce domaine, les multinad’instaurer un dialogue social. Les consenformation afin de leur tionales ont une longueur sus sont possibles, estime-t‑il, et même toujours la offrir plus de possibilités d’avance : elles peuvent fréquents, comme en témoigne l’adoption principale d’évolution et moins de décliner dans leurs filiales progressive, et sans trop de heurts, de l’augrevendication africaines les mesures mentation du salaire minimum de 36607 raisons de protester. « Plus à 60 000 F CFA (d’environ 56 à 91 euros) de dialogue social, c’est la en vigueur au niveau de possibilité d’augmenter la performance la maison mère. Orange permet ainsi en 2014. « Nous y sommes parvenus grâce de l’entreprise en favorisant l’engagedepuis 2010 aux représentants du perà des discussions sur l’étalement de la sonnel de ses filiales de partager leurs hausse, entreprise par entreprise », raconte ment des salariés et en limitant le risque préoccupations sociales à l’échelle du des grèves », note Adboulaye Binate. Youssouf Sylla, premier vice-président de la Fédération ivoirienne des PME. « Les groupe au sein d’un comité monde. Et De quoi théoriquement convaincre les sceptiques. pouvoirs publics apportent eux aussi leur une réflexion, lancée par Bruno Mettling, BENJAMIN POLLE concours : deux fois par an, ils proposent ex-DRH de l’opérateur et patron de la
LES MULTINATIONALES PLÉBISCITÉES
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ui sont les meilleurs employeurs du continent ? Selon le cabinet londonien Global Career Company, qui sonde chaque année salariés et employeurs, il faut les chercher parmi les multinationales comme Procter & Gamble, Microsoft, Total, Shell, J.P. Morgan, Visa, N 0 2953-2954 • DU 13 AU 26 AOÛT 2017
GE, Petrobras ou Unilever. Le constat est à peu près le même dans le sondage annuel de Best Companies Group, la filiale d’un éditeur de presse américain qui interroge des directions des ressources humaines et des salariés au Maroc, en Algérie et enTunisie. Là aussi, les
groupes internationaux ont davantage la cote en matière de rémunération ou de climat de travail. Au Maroc, les françaisTeleperformance etTotal Call et l’américain Dell sont en tête. En Algérie, on plébiscite plutôt DHL, Novo Nordisk et Novartis, et enTunisie le gestionnaire
français de centres d’appels Helpline. L’Agence marocaine de l’énergie solaire (Masen) et l’algérien Ad Display (affichage publicitaire et services urbains intelligents) sont les seules organisations maghrébines qui sortent du lot. B.P. JEUNE AFRIQUE