Togo Avis de tempête
Grand angle La nouvelle Chinafrique
Maroc Football et diplomatie
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL INDÉPENDANT • 57e année • n° 2958 • du 17 au 23 septembre 2017
jeuneafrique.com
ALGÉRIE
L’énigme Bouteflika Entre avocats de son maintien au pouvoir et partisans de sa démission (voire de sa destitution), le débat sur la capacité du président algérien à exercer ses fonctions n’a jamais été aussi vif. Enquête.
ÉDITION INTERNATIONALE ET MAGHREB & MOYEN-ORIENT France3,80€•Algérie250DA•Allemagne4,80€•Autriche4,80€•Belgique3,80€•Canada6,50$CAN•Espagne4,30€•Éthiopie67birrs•Grèce4,80€•Guadeloupe4,60 € Guyane 5,80 € • Italie 4,30 € • Luxembourg 4,80 € • Maroc 25 DH • Martinique 4,60 € • Mauritanie 1200 MRO • Mayotte 4,60 € • Norvège 48 NK • Pays-Bas 4,80 € Portugal cont. 4,30 € • Réunion 4,60 € • RD Congo 6,10 $ US • Royaume-Uni 3,60 £ • Suisse 6,50 FS • Tunisie 3,50 DT • USA 6,90 $ US • Zone CFA 2000 F CFA • ISSN 1950-1285
Dossier
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Santé
INTERVIEW
Jean-Marc Leccia PDG d’Eurapharma
ISSOUF SANOGO/AFP
TRAFIC
Des laboratoires im face aux faux médi N 0 2958 • DU 17 AU 23 SEPTEMBRE 2017
JEUNE AFRIQUE
STRATÉGIE
INVESTISSEMENT
Novamed à la conquête de l’Ouest
Elsan entre dans la course au Maroc
Le 3 mai, la police a effectué une saisie dans le quartier Roxy, au marché Adjamé, à Abidjan.
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Très rentables, souvent indétectables, les faux produits pharmaceutiques inondent le continent. Les fabricants, parfois trompés par leurs propres sous-traitants, n’arrivent pas à endiguer le phénomène. Et l’absence d’une législation adaptée n’arrange rien.
P
RÉMY DARRAS
«
puissants caments JEUNE AFRIQUE
ourlecrimeorganisé,lecalcul est vite fait. Alors qu’avec 1 000 dollars (837 euros) investis le trafic de cocaïne en rapporte 20000 et celui de cigarettes au moins 40000, la vente de faux médicaments crève le plafond, avec un gain estimé entre 200 000 et 450 000 dollars », reconnaît, désabusé, le professeur Marc Gentilini, délégué général de la Fondation Chirac pour l’accès à une santé et à des médicaments de qualité. Rien d’étonnant donc à ce que ce commerce prospère. Selon l’OMS et la revue Défis, son chiffre d’affaires est passé de 75 milliards à 600 milliards de dollars entre 2010 et 2015. Pour ces contrebandiers, en majorité chinois et indiens, qui détournent les matières premières de médicaments des lignes de production classiques à leur profit, l’affaire est d’autant plus rentable qu’ils ne conservent que 5 % du principe actif du cachet, qu’ils mélangent avec toutes sortes d’excipients improbables, des métaux lourds, de la peinture, du liquide de refroidissement et même de la mort-aux-rats… « Ils peuvent produire 500000 comprimés en un aprèsmidi dans une petite pièce, avec une machine à encapsuler qui coûte 2 500 euros. Ils n’ont pas à amortir les coûts de recherche, ne paient pas de taxes et emploient des enfants », résume Bernard Leroy, directeur de l’Institut de recherche anticontrefaçon de médicaments (IRACM). Avec des conséquences dramatiques sur la santé puisque « s’il n’est pas conservé à 5 °C, le vaccin réactive les bases bactériennes qui l’ont constitué », rappelle cet ancien magistrat auparavant spécialisé dans le trafic de stupéfiants. Compte tenu de la pauvreté et de la difficulté d’accès aux soins qui y sévissent, l’Afrique reste le terrain de jeu idéal des faussaires. Deux cent mille personnes succomberaient chaque année suite à la consommation de contrefaçons. Annoncée fin août, la saisie sans précédent par Interpol de 420 tonnes de faux médicaments (41 millions de cachets) effectuée entre mai et juin dans sept pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Nigeria et Togo) atteste de l’ampleur du phénomène. D’un pays africain à l’autre, N 0 2958 • DU 17 AU 23 SEPTEMBRE 2017
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Dossier Santé
Un faux produit peut… • contenir des bons ou, à l’inverse, de mauvais ingrédients • comprendre un principe actif en quantité insuffisante, voire pas de principe actif du tout • être conditionné sous un faux emballage
Comment détruire les faux médicaments ? C’est l’autre grand problème auquel sont confrontés les acteurs de la lutte contre la contrefaçon de médicaments. Une fois saisis, que faire de ces produits ? Les conserver ? Il s'ensuivrait énormément de risques de réintroduction dans les circuits. Les brûler ? C’est souvent la solution retenue, mais cela engendre des problèmes de pollution due aux fumées toxiques. Pour Marc Gentilini, délégué de la Fondation Chirac, la gestion des médicaments saisis est un des prochains défis de la lutte contre ce fléau. N 0 2958 • DU 17 AU 23 SEPTEMBRE 2017
entre 30 % et 70 % des médicaments seraient la sérialisation, qui permettra d’identifier chaque boîte à l’unité. « Si le numéro d’un même médicontrefaits, estime Bernard Leroy. Jusqu’ici plutôt cament apparaît deux fois, cela voudra dire que épargné, le Maghreb commence à être touché par le phénomène depuis l’explosion de la Libye. « La le second a été contrefait. L’idée est de protéger le Tunisie risque d’être envahie à cause des retards médicament, de l’achat de la matière première à la destruction », assure Geoffroy Bessaud, directeur de paiement et de livraison de la pharmacie cende la coordination de la contrefaçon chez Sanofi. trale », s’inquiète le docteur Karim Bendhaou, Autre dispositif : des pattes de fermeture posées président Afrique du Nord et Afrique de l’Ouest du laboratoire allemand Merck. sur les boîtes. « Si vous voulez l’ouvrir, vous devez déchirer la boîte », explique-t-on chez Sanofi, qui a Par conteneurs, les réseaux irriguent surtout les aussi ajouté des éléments uniquement visibles par marchés de rue, mais également les circuits tradiles membres de l’entreprise ou des inspecteurs des tionnels. « On peut avoir des problèmes à l’hôpital avec des infirmières qui volent des médicaments douanes avec un lecteur approprié. Le laboratoire français dépêche par ailleurs ses propres équipes et les remplacent par des faux, ou des chirurgiens qui en vendent à leur propre compte », témoigne sur le terrain pour détecter les faux produits, en lien le directeur de l’IRACM. Ce trafic n’épargne hélas avec les douanes et les polices locales, qu’il envoie ensuite dans son laboratoire central à Tours puis aucune pathologie, touchant autant les épidémies que les maladies chroniques. Il vise les médicaaux autorités « auxquelles il ne peut cependant pas se substituer », précise Geoffroy Bessaud. ments et vaccins les plus fréquents (antibiotiques, antipaludiques, anticancéreux, médicaments de IMMUNITÉ. Car le montant des profits n’est pas confort) et les plus rentables, parmi lesquels les le seul avantage de ce trafic. L’absence d’arsenal génériques, « jusqu’aux médicaments vétérinaires [60 % seraient faux], avec les conséquences que l’on juridique garantit une quasi-immunité à ses proimagine sur la mortalité des cheptels tagonistes. Les trafiquants de faux ainsi que sur la consommation de lait médicaments écopent suivant les cas Les réseaux et de viande », indique Marc Gentilini. de six jours à six mois d’emprisonneirriguent les ment au Cameroun et au Sénégal, Un trafic qui s’adapte très rapidement marchés de de trois mois à un an au Gabon. Il aux évolutions des besoins du marché rue de tous (résurgence d’Ebola, pénurie de médin’existe aucune législation au Congo, caments) et à l’arrivée de nouveaux en Guinée équatoriale ou au Liberia. les pays, Depuis 2012, l’IRACM a monté cinq produits. « Quand on atteint un certain mais aussi opérations d’interception avec l’Orvolume de ventes, on est aussitôt contreles circuits ganisation mondiale des douanes. fait. Ce fut le cas avec notre dernier antidiabétique oral. La contrebande traditionnels. « Pour 800 millions de médicaments poussant même parfois le vice jusqu’à falsifiés ou illégaux interceptés dans des conteneurs en Afrique, il n’y a eu pratiqueproposer des boîtes de faux médicaments au même prix que les vrais », raconte le docteur Bendhaou. ment aucune suite judiciaire », s’émeut Bernard Leroy. Et quand ils sont arrêtés, dans la plupart des pays, les coupables sont condamnés au titre SOLUTIONS. Pour contrer ce fléau, que l’on estime équivalent à 30 % de leur chiffre d’affaires, les de la propriété intellectuelle et non des ravages laboratoires développent depuis une dizaine sur la santé. d’années des solutions pour détecter les faux La convention Médicrime, instaurée en 2010 médicaments, alors qu’il est très dur, y compris par le Conseil de l’Europe et érigeant ce trafic en pour un professionnel, de distinguer à l’œil nu une infraction pénale, n’a été ratifiée que par la Guinée boîte contrefaite. Tandis que l’analyse chimique et le Burkina Faso. Institut financé par Sanofi depuis coûte cher (500 euros) et nécessite des outils, la sa création en 2010, l’IRACM devrait prochainement pénétration du téléphone portable en Afrique est rassembler huit laboratoires. Il élabore un procesune alliée efficace dans la lutte. « Nous mettons sus de loi-modèle pour les États du continent, qui désormais un scratch sous blister sur les boîtes, devrait être retranscrite dans sept pays : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le les gens grattent et envoient l’image par SMS. Cela a repoussé la contrefaçon sur certains produits », Tchad, la Centrafrique et le Togo. « L’idée est de créer assure le responsable de Merck. Le laboratoire a des pools de procureurs spécialisés et de définir une également conçu la petite valise Minilab, capable échelledepeines,desprocédures,pourremonterles d’analyser sur place les 85 substances les plus filières, geler les avoirs des trafiquants, conserver et répandues dans les antibiotiques. Ce sont près détruire les faux médicaments », explique Bernard Leroy. L’ancien magistrat craint fortement que les de 800 minivalises que le laboratoire a fournies à des agences du médicament et à des profession« docteurs Mabuse » du faux médicament puissent peser de manière de plus en plus importante sur nels de la santé au Rwanda et au Liberia, pays où les économies africaines. Et qu’ils en viennent à l’allemand n’a pas d’activité. s’attaquer à l’État de droit. Un poison très nocif. De son côté, le français Sanofi travaille aussi sur JEUNE AFRIQUE
PUBLI-INFORMATION
Dossier Santé
INTERVIEW
Jean-Marc Leccia
Président-directeur général d’Eurapharma
« Eurapharma va créer plus de valeur ajoutée au niveau local »
BRUNO LEVY POUR JA
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La filiale du géant CFAO vient de racheter 51 % du laboratoire marocain Maphar. Le distributeur se renforce ainsi dans le secteur de la production de médicaments.
A
jouter la fabrication à la distribution, c’est la stratégie menée désormais par le groupe CFAO pour toutes ses activités. La filiale, détenue à 100 % par le japonais Toyota Tsusho Corporation (TTC), s’estassociéeàHeinekenpourmonter l’usine Brassivoire à Abidjan en avril. Au Nigeria, le distributeur a inauguré, en mai 2016, une usine de deux-roues avec Yamaha. Un mouvement qui implique aussi sa division santé, Eurapharma (1,25 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2016). Ce grossisterépartiteurpharmaceutiqueprésent dans 23 pays africains a acquis en juin 51 % du fabricant marocain Maphar (1,29 milliard de dirhams de chiffre d’affaires en 2016, soit 120,48millionsd’euros),auparavant détenu à 100 % par le laboratoire Sanofi. Et comme avec Heineken ou Yamaha, il s’est associé à un acteur de classe mondiale. Mais N 0 2958 • DU 17 AU 23 SEPTEMBRE 2017
Eurapharma compte bien remonter toute la chaîne de valeurs. JeanMarc Leccia, son président-directeur général depuis 2012, nous en dit plus. JEUNE AFRIQUE : En juin, Eurapharma a acquis 51 % du capital du laboratoire Maphar. À quelle logique répond cette reprise ? JEAN-MARC LECCIA : Maphar a
cet avantage d’être à la fois importateur, distributeur et fabricant. Il produit majoritairement pour Sanofi,
mais également pour un nombre important d’autres laboratoires pharmaceutiques. C’est ce business model qui nous a intéressés. Maphar offre une porte d’entrée alternative sur le marché marocain. Pour distribuer des produits dans le royaume, il est en effet nécessaire de les enregistrer auprès des autorités de tutelle via un laboratoire local. Mais certains laboratoires pouvaient être réticents à confier à Maphar, filiale de Sanofi, leur autorisation de mise sur le marché. Ils auront désormais affaire à un nouvel actionnaire majoritaire, Eurapharma, neutre commercialement et qu’ils connaissent déjà. Notre entrée dans Maphar créera donc un appel d’air. Par ailleurs, le Maroc se dirige de plus en plus vers un modèle de santé familiale axé sur la parapharmacie, où le prescripteur n’est plus forcément le médecin, et où les liens entre le fabricant et l’officine seront renforcés. De quelle manière Eurapharma intègre-t-il Maphar à son développement ?
L’usine de Maphar a de grandes capacités de production, avec un chiffre d’affaires qui pourrait progresser rapidement. Sanofi restera le premier client de Maphar. Notre objectif est de devenir un hub qui attire de plus en plus de laboratoires
PIERRE LABBÉ PREND LA TÊTE DU PÔLE MAGHREB
U
n pôle Maghreb a été créé le 1er juillet au sein d’Eurapharma pour unifier la gestion de ses deux filiales : Maphar au Maroc et Propharmal en Algérie, acquise en 2011. Le poste de directeur du pôle échoit à Pierre
Labbé. Un retour chez CFAO pour cet ingénieur qui était depuis 2012 directeur général de Sanofi Algérie. Après avoir été directeur général d’Unilever en Tunisie entre 2000 et 2003, Pierre Labbé a
dirigé Ibn Sina Laborex, alors filiale égyptienne d’Eurapharma, puis Bavaria Motors et Diamal, les deux filiales algériennes de distribution automobile de CFAO. R.D. JEUNE AFRIQUE
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sur le site de production et de nous servir du réseau d’Eurapharma en relation avec des milliers d’officines en Afrique pour distribuer leurs produits.Lesmédicamentsproduits par Maphar devaient auparavant repasser par la France pour être ensuite distribués au sud du Sahara. Nous avions depuis longtemps des ambitions sur le marché marocain, mais il nous était impossible de les réaliser seuls en tant que répartiteur pharmaceutique, compte tenu du paysage concurrentiel… Votre partenariat avec Sanofi irat-il plus loin ?
Notre accord est aussi synonyme d’un renforcement du partenariat entre Sanofi, qui apporte son expertise industrielle, et Eurapharma, dont l’expertise logistique n’est plus à démontrer. Depuis le 1er juillet, la distribution exclusive de tous les produits Sanofi dans 35 pays
d’Afrique a été confiée à notre filiale E.P. Dis, basée dans la banlieue de Rouen. À long terme, le Maroc reste un pays stratégique pour Sanofi, et comme nous avons une communauté d’intérêts, nous partagerons avec eux toutes les grandes décisions de l’entreprise.
Nous avions depuis longtemps des ambitions dans le royaume. Votre opération ne se fait-elle pas dans un environnement défavorable au Maroc ?
Il y a eu en effet une baisse des prix. Quand un pays n’arrive pas à faire diminuer la consommation en unités, il baisse le prix. Cela n’est pas exceptionnel, on l’a vu dans tous les paysoùexisteuneproblématiquede
financement d’une sécurité sociale. Cela fait que le Maroc est un marché moins dynamique qu’il ne l’a été. Cependant, notre potentiel de progression ne passera pas essentiellement par la croissance organique des laboratoires, mais par la captation de nouveaux laboratoires clients.Ainsi,nouspourronsévoluer de 10 % à 20 % sur un marché qui n’évolue que de 2 % à 3 %. Est-ce la contraction de vos activités en Algérie qui vous a décidés à vous implanter au Maroc ?
L’imposition du tarif de référence (TR) en Algérie s’est traduite par une baisse des prix. Pour le même nombre de boîtes vendues, le chiffre d’affaires a diminué mécaniquement. Aussi, depuis 2012, des pans entiers de produits ont été interdits d’importationdujouraulendemain. Cela nous a poussés à y développer une activité de production dès
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Dossier Santé la fin de 2011, avec l’idée que ce qui ne sera plus importé sera produit localement. Jusqu’en juin, notre activité au Maghreb ne se résumait qu’à l’Algérie. Les clients de Maphar au Maroc peuvent être intéressés par nos activités de productionetdedistributionenAlgérie, et inversement. Ils auront ainsi un partenaire unique pour les deux
de sites de production. Le Nigeria pourrait faire partie des cibles potentielles, mais toutes les bonnes conditions n’y sont pas réunies – problèmes d’accès à l’eau, à l’électricité, questions de sécurité…
centres commerciaux, mais on ne vendra pas de médicaments sur les étagères de Carrefour. Dans le cadre de l’enrichissement de notre chaîne de valeurs, en aval, il pourrait y avoir une tentative de gérer des officines. Même si, pour l’instant, la loi ne le permet pas, c’est un prolongement naturel auquel nous réfléchissons.
CFAO a reçu, en mars, tous les actifs africains de TTC. Cela vous permettra-t-il un plus large déploie-
Mis à part la Centrafrique, le Burundi et le Rwanda, notre maillage est assez complet. pays, et il nous sera plus facile de communiquer avecdes laboratoires qui ont souvent un management pour toute la zone Maghreb. Envisagez-vous le rachat d’autres réseaux de distribution en Afrique subsaharienne ?
Nous ne sommes pas dans une démarche de recherche active. Nous sommes toujours en observation sur la RD Congo, mais c’est un marché compliqué, avec des droits de douane importants sur les médicaments et où il est difficile d’être compétitif. Mis à part la Centrafrique, le Burundi et le Rwanda, notre maillage est assez complet. Par ailleurs, nous avons démarré nos activités en Zambie cette année.
Vous amorcez donc un repositionnement plus important de vos activités de distribution vers plus de production ?
Dans le contexte actuel d’industrialisation de l’Afrique, en lien avec la stratégie globale de CFAO, nous sommes convaincus qu’il faut créer plus de valeur ajoutée au niveau local. L’Afrique ne peut plus vivre majoritairement d’importations. Nous ne pourrons pas avoir une usine dans chaque pays, mais certains d’entre eux ont du potentiel et nous ne pourrons plus avoir un simple rôle de distributeur de médicaments. Nous comptons ainsi remonter dans la chaîne de valeurs par rapport à nos métiers historiques d’importation et de distribution. Nous étudions donc les opportunités de développement N 0 2958 • DU 17 AU 23 SEPTEMBRE 2017
ment en Afrique anglophone et lusophone ?
Aujourd’hui, il y a peu de synergies entre Eurapharma et TTC, chez qui l’activité santé était jusque-là peu développée. CFAO est présent dans 53 pays d’Afrique. Quand nous avons voulu faire une entrée sur le marché du Ghana, je me suis adressé à mon collègue de la distribution automobile de CFAO. Chacune des branches du groupe constitue un support indéniable en matièrederelationsavecdesacteurs économiques et de connaissance de marché. À la différence des pays francophones, où la distribution est administrée, le système est libéralisé dans les pays anglophones. Quels sont pour vous les avantages et les inconvénients de ces deux organisations ?
La part de marché en Afrique francophone est simple, tous les distributeursontaccèsauxmêmesproduits. La croissance de notre activité y est prédictible carles prix sontfixés par les autorités de tutelle. Notre croissance en Afrique anglophone dépend cependant du nombre de laboratoires qui nous appointent comme agent. Ce sont des marchés beaucoup plus atomisés avec de plus nombreux opérateurs. N’envisagez-vous pas des synergies plus grandes avec vos activités retail en Afrique francophone?
Pas tant que le commerce de médicaments sera réservé à des officines. On pourra favoriser l’implantation de nos clients dans nos
La concurrence réagit Distributeur présent en Afrique depuis quarante ans, Piex (80 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016, dont près de 50 % en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Cameroun) change de mains. Début septembre, la société LBO France a annoncé l’acquisition du capital de cette entreprise. L’actionnaire devrait l’aider à se développer sur de nouveaux marchés, notamment africains. Fin 2016, Ubipharm, principal concurrent d’Eurapharma, avait aussi noué un accord avec le fonds Phoenix Capital Management pour s’étendre sur le continent, notamment en Guinée, en Mauritanie, à Madagascar, à Djibouti et dans les pays anglophones.
Quels médicaments feront votre croissance dans le futur ?
Notre évolution suivra celle des maladies chroniques, alors que notre activité était portée jusque-là par les maladies contagieuses. Les maladieschroniquesreprésenteront 50 % des pathologies d’ici à 2020, contre moins de 20 % il y a vingt ans. Par exemple, on vend beaucoup plus d’antidiabétiques à présent, et c’est aussi parce que le pouvoir d’achat a augmenté. Un plus grand nombre de personnes ont accès aux soins. Malheureusement, les traitementspourlesmaladieschroniques sont chers et un peu plus thermosensibles.Enassurerlaconservation représente un véritable challenge en matière de logistique. Cette évolution des pathologies pourrait-elle vous amener à rentrer dans le capital de cliniques ?
Comme le paysage des pathologies est en train de changer, nous devrons nous rapprocher de tout ce qui environne le patient : les maisons de soins, les maisons médicalisées… Après avoir ouvert, en décembre 2016, un premier centre de diagnostic médical Euracare à Lagos, au Nigeria, nous en avons ouvertun secondàAccradébut septembre, avec le leader mondial de la téléinterprétation Teleradiology Solutions(TRS).Nousnoussommes rendu compte que le tourisme médical au Nigeria équivalait à environ 1 milliard de dollars par an, dont 40 % de diagnostic. Quatre à six heures après le scanner, un médecin basé aux États-Unis ou à Singapour peut aujourd’hui interpréter des images réalisées sur le continent. Notre solution coûte presque dix fois moins cher que de se rendre à l’étranger. Propos recueillis par
RÉMY DARRAS JEUNE AFRIQUE
Dossier Santé INVESTISSEMENT
Elsan entre dans la course au Maroc
Chraibi. « Nous comptons capitaliser sur la compétence médicale marocaine et la compléter avec notre savoir-faire en matière d’organisation et de gestion des unités hospitalières. Le tout pour offrir un service médical et paramédical au meilleur prix », renchérit Émile Dinet, responsable du développementinternationaldugroupeElsan.
Le groupe français d’hospitalisation privée est sur le point d’ouvrir sa première clinique en Afrique, en partenariat avec deux médecins du royaume. Une opération inédite dans le pays.
REFONTE RÉGLEMENTAIRE. Pour
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ouskoura,villeverte.Dans cette banlieue chic de Casablanca, des projets immobiliers s’étendent à perte de vue, portés par les plus importants promoteurs marocains etcensésaccueillir,àterme,quelque 40 000 habitants. Au milieu de ce chantier de plus de 720 ha, un projet hospitalier d’envergure est déjà sorti de terre : lacliniqueVilleverte,d’unecapacité de 136 lits et places, répartis entre un service d’urgence, une maternité, une unité de néonatalogie, une réanimationpolyvalente,unplateau complet d’imagerie, une unité de soins intensifs et continus, un centre d’hémodialyse, un laboratoire de biologie et un hôpital de jour. Mais cette clinique se distingue surtout pour être, dans le royaume, le premier projet de co-investissement entre deux médecins marocains et un opérateur international. Et pas des moindres: le groupe Elsan, numéro deux de l’hospitalisation privée en France avec ses 123 établissements qui accueillent chaque année plus de 2 millions de patients, suivis par quelque 6 500 praticiens et 23 000 collaborateurs. N 0 2958 • DU 17 AU 23 SEPTEMBRE 2017
ELSAN
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Ce matin-là, le docteur Aziz Chraibi, l’un des deux associés marocains avec le professeur Mustapha El Fatihi, est sur le chantier de la clinique où des dizaines d’ouvriers s’affairent encore sur les ultimes finitions, avant l’ouverture prévue courant septembre. Ils reçoivent une commission hygiénique qui doit certifier que les blocs opératoires sont aux normes. « Pour les équipements, nous avons acquis le nec plus ultra de chez General Electric. Nos partenaires français nous ont appuyés pour négocier les prix », dit-il en manipulant un bras suspendu, d’un montant de plus de 10000 euros, qui permettra une plus grande mobilité dans une des salles de réanimation. Mais pour ce praticien quinquagénaire, déjà à l’origine de la création d’un des plus grands centres d’hémodialyse de Casablanca, l’apport du groupe Elsan, c’est surtout cette expertise dans la conception des unités hospitalières. « Elsan est très attentif aux détails : tout a été conçu pour assurer la meilleure organisation au niveau des patients, des équipements, des médicaments… », affirme le docteur
Le complexe Ville verte, à Casablanca, devrait accueillir ses premiers patients en septembre.
le groupe français, qui brasse 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires, il s’agit de la première implantation en Afrique. Une opportunité rendue possible au Maroc par l’entrée en vigueur de laloi 131-13 sur l’exercice de la médecine, permettant à des non-praticiens d’investir dans des prestations de santé. Une refonte réglementairequiaplacéleroyaume dans le radar de groupes internationaux comme Emirates Hospitals Group ou encore favorisé l’émergence d’acteurs nationaux comme Saham Santé, propriété du ministre MoulayHafidElalamy.Initialement, le groupe Elsan était plutôt intéressé par le grand projet de la clinique de la ville nouvelle de Zenata, souhaité par les pouvoirs publics mais actuellement en stand-by. Entrelesmursetleséquipements, les partenaires ont investi quelque 20 millions de dirhams (1,8 million d’euros), mais le foncier reste la propriété des actionnaires marocains.
Le leader hexagonal a apporté son expertise dans la conception des unités hospitalières. Un partenariat qui semble arranger tout le monde. Elsan envisage d’ailleurs de réitérer rapidement l’expérience. « Nous menons déjà des prospections au Maroc et en Afrique subsaharienne », affirme le responsable du développement d’Elsan, qui compte se positionner en acteur mondial une fois ravi le fauteuil de leader de l’hospitalisation privée en France. FAHD IRAQI, à Casablanca JEUNE AFRIQUE
MESSAGE
P
harmacien de formation, Radhouane Bouzguenda cède la 1 ère pharmacie exclusive de nuit pour se consacrer à l’industrie pharmaceutique et devenir ainsi pionnier du secteur avec la création de Pharmaghreb en 1985 et son entrée en production en 1987. D’ailleurs, cette année Pharmaghreb commémore ses 30 années d’exercice avec un bilan assez riche : fabrication des formes liquides, sèches, semi-solides avec plus de 120 AMM et touchant ainsi à plusieurs aires thérapeutiques. DERMATOLOGIE
UROLOGIE CARDIOLOGIE
GASTRO-ENTÉROLOGIE RHUMATOLOGIE
GYNÉCOLOGIE
Cette dynamique a constitué le socle de Pharmaghreb, groupe qui comprend le Bureau International de Promotion BIP en charge de la promotion médicale et le Comptoir International du Pharmacien CIP qui assure l’importation et la distribution de dispositifs médicaux et autres produits parapharmaceutiques. Cette structuration permet à Pharmaghreb d’être présent sur le marché libyen, de l’Afrique de l’Ouest, la Bulgarie, le Soudan et le Vietnam. Dénotant de la détermination du groupe à se développer à l’internationale, Pharmaghreb décide de s’implanter en Algérie avec un partenaire local pour créer Pharmidal n.s. Un essor auquel œuvre Selim Bouzguenda, pharmacien de formation, auquel son père a transmis la passion du médicament. Cette success story conforte Pharmaghreb dans son choix de miser sur l’avenir et sur les capacités de la Tunisie à réaliser à moyen terme une croissance à deux chiffres et apporter ainsi sa contribution à la relance du pays.
NEURO-PSYCHIATRIE
PRINCIPALES AIRES THÉRAPEUTIQUES TOUCHÉES PAR LES PRODUITS PHARMAGHREB
À force de travail, de passion, de rigueur, d’exigence et de persévérance, le laboratoire qui a débuté avec des médicaments de première nécessité s’est développé en obtenant la confiance de partenaires Tunisiens et multinationaux tels que Gilbert, Johnson& Johnson, Pierre Fabre, Ménarini, Tecnimede, Pharmathen, Biocodex…
L’investissement continu du laboratoire lui a permis de répondre aux normes internationales de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), des audits des autorités, des laboratoires partenaires et des bailleurs de licence. Une stratégie de diversification sur trois axes : la production de ses propres génériques, la sous-licence et la sous-traitance.
39, rue des Entrepreneurs B.P 7 – 1080 Cedex Tunis - Tunisie Tél : + 216 71 940 300 Fax : +216 71 940 309 E-mail : pharmaghreb@pharmaghreb.com Site Web : www.pharmaghreb.com
DIFCOM/DF - PHOTOS : DR.
Pharmaghreb, résume son éthique et son expertise dans sa signature : « la qualité pour la santé ». Un fondement qui a permis au laboratoire, qui emploie 250 collaborateurs, de se focaliser sur la recherche et le développement et d’assurer un haut niveau de qualité.
Dossier Santé
ISSAM ZEJLY/TRUTHBIRD MEDIAS POUR JA
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STRATÉGIE
Dans le scanner Hitachi de la polyclinique de l’Indénié, à Abidjan.
Novamed à la conquête de l’Ouest Le groupe ivoirien entame une nouvelle page de son histoire en se développant dans la sous-région. Il vient de racheter un établissement au Burkina.
L
egroupemédicalNovamed poursuit sa stratégie de développementetd’expansion hors de Côte d’Ivoire. Son objectif : devenir le leader en Afrique de l’Ouest grâce à un plan d’investissement de 18 milliards de F CFA (27 millions d’euros) sur la période 2016-2020 (11 milliards ont déjà été débloqués). Avec un parc de huit cliniques, dont sept en Côte d’Ivoire et une à Ouagadougou, Novamed négocie actuellement le rachat d’établissements privés à Dakar et à Bamako. Cette stratégie d’expansion répond à un déficit criant d’infrastructures de santé dans la sousrégion. Ce dernier s’explique en partie par la faiblesse du soutien financier apporté par les banques aux cliniques, qui, dans leur grande majorité,appartiennentàdesmédecins. Le manque d’investissement est encore plus patent au regard de la qualité des plateaux techniques indispensables à la prise en charge de pathologies comme le cancer ou lesmaladiescardiaques.Cettesituation a engendré le développement d’un tourisme médical des classes aisées vers l’Afrique du Nord, Israël N 0 2958 • DU 17 AU 23 SEPTEMBRE 2017
et l’Europe. Chaque année, le coût des évacuations sanitaires à partir de l’Afrique de l’Ouest est estimé entre 25 et 50 milliards de F CFA. Novamed espère ainsi faire d’Abidjan un hub capable d’attirer les malades de la région susceptibles de partir se faire soigner à l’étranger. « Notre approche est basée sur quatre piliers: la qualité dans le suivi du patient, bien entendu la sécurité des prestations, la formation du personnel et une spécialisation de tous nos établissements », explique SamiChabenne,ledirecteurgénéral de Novamed. RÉNOVATION. La polyclinique de
l’Indénié, située dans le quartier du Plateau et actuellement en travaux, abritera une clinique du cœur avec des équipements identiques à ceux de l’hôpital américain de Neuilly, près de Paris, une référence pour de nombreuses personnalités ouest-africaines. La polyclinique des Deux-Plateaux a, elle, été choisie pour traiter les cancers. L’établissement, qui souhaite se mettre aux normes françaises, a lancé une procédure de mise à niveau conforme
Le facteur
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Polytechnicien d’origine libanaise, Sami Chabenne est passé par le Boston Consulting Group au Caire et à Casa avant de rejoindre le groupe Saham, dont il a piloté le développement en Côte d’Ivoire à travers le rachat de plusieurs cliniques. Acquis par Amethis en 2015, ces établissements constituent désormais le groupe Novamed, dont Sami Chabenne est le directeur général.
à la certification HAS française (Haute Autorité de santé). Toutes les cliniques, telles que les Grâces à Abidjan, les Rochers à San Pedro ou la Polyclinique internationale à Ouagadougou, par exemple, seront rénovées. À terme, Novamed veut être présent dans dix pays africains. Le nombre de patients traités par an oscille actuellement entre 150000 et 200000. Il devrait atteindre 400000 dans trois ans. Pour y parvenir, le groupe entend passer de 300 à 600 lits d’ici à 2020. « Nous visons la classe moyenne. Nous ne ciblons pas forcément les élites. Notre plan d’affaires est fondé sur le volume et non sur les prix. Nos tarifs seront inférieurs à ceux d’Afrique du Nord et d’Europe », précise le directeur général, qui n’ignore pas les concurrents sérieux que sont la polyclinique internationale Sainte-Anne-Marie (Pisam) d’Abidjan – engagée elle aussi dans un vaste plan d’investissement afin de relever le niveau de son plateau et créer un centre de cancérologie –, la polycliniqueFarahetlapolyclinique internationale Hôtel-Dieu. BAUDELAIRE MIEU, à Abidjan JEUNE AFRIQUE
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CÔTE D’IVOIRE
La polyclinique Farah joue dans la cour des grands IRM unique en Afrique de l’Ouest, suivi médical des patients renforcé, normes aux standards internationaux… L’établissement sanitaire fait désormais partie de l’élite.
À
Abidjan, la Nouvelle Clinique Farah (NCF) affiche son ambition de jouer dans la cour des grands. Ce petit établissement sanitaire bâti sur 950 m2 qui en 2005 ne comptait que dix lits a investi 15 milliards de F CFA (22,8 millions d’euros), financés en partie par BGFIBank, pour passer à 110 lits, un chiffre très proche du total de 112 lits revendiqué par l’un de ses concurrents, la Polyclinique internationale Sainte-Anne-Marie (Pisam). Désormais, l’établissement fondé par le docteur Walid Zahreddine, son actuel PDG, occupe 8 500 m2
dans un bâtiment neuf de cinq étages et s’enorgueillit de services aux normes en vigueur en Afrique du Nord, en Europe, en Asie ou en Amérique. Soixante médecins y travaillent, dont quinze praticiens résidents. Ouvert fin juillet durant les Jeux de la francophonie, l’établissement a pris en charge une grande partie des personnes blessées pendant l’événement, ce qui a suscité l’intérêt du président Ouattara et de son épouse. Son niveau d’équipement a retenu leur attention. Toutes les salles d’hospitalisation sont dotées de réseaux de fluides médicaux.
Valeur sûre Pour renforcer le suivi du patient, la clinique Farah a misé sur le système d’information Osiris, développé par la société française Evolucare Technologies
Le suivi du patient a été renforcé. Sur le volet imagerie, l’IRM de la polyclinique est unique en Afrique de l’Ouest. Il permet de procéder à des anesthésies dans la salle d’examen. Autre nouveauté, la clinique peut fragmenter au laser des calculs rénaux et s’est dotée d’une unité spéciale de procréation assistée. Le pôle de réanimation a aussi été modernisé pour correspondre aux normes internationales. ÉMULATION. Afin d’exploiter au mieux ces matériels, le personnel a suivi des formations en Allemagne, en France, en Inde et au Liban. L’établissement a ainsi pu être certifié ISO 9001:2008. Sa montée en gamme survient au moment où le groupe Novamed (qui détient sept cliniques à Abidjan, lire ci-contre) et Pisam mènent d’importants programmes d’investissement. Cette émulation devrait ravir les Abidjanais, souvent critiques à l’égard des services médicaux offerts dans leur ville. BAUDELAIRE MIEU