CAMEROUN
MAROC Voyage au cœur de l’OCP
POURQUOI KAMTO N’A PAS PERDU
DOSSIER CIEL AFRICAIN
MADAGASCAR Présidentielle : pages 18 les vrais enjeux
SPÉCIAL 10 PAGESI
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 3015 DU 21 AU 27 OCTOBRE 2018
Cheikh Tamim Ibn Hamad Al Thani
Mohammed Ibn Salman
Cheikh Mohammed Ibn Zayed Al Nahyan
GOLFE
La guerre des lobbys
D’un côté, le Qatar. De l’autre, l’Arabie saoudite, en pleine tempête Khashoggi, et les Émirats. Entre ces deux camps irréconciliables, la lutte d’influence fait rage. Principaux champs de bataille : l’Europe, le Maghreb et, bien sûr, les États-Unis. ÉDITION INTERNATIONALE ET MAGHREB & MOYEN-ORIENT
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France 3,80 € Algérie 290 DA Allemagne 4,80 € Autriche 4,80 € Belgique 3,80 € Canada 6,50 $ CAN Espagne 4,30 € Éthiopie 67 birrs Grèce 4,80 €
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Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 4,80 €
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Portugal cont. 4,30 € Réunion 4,60 € RD Congo 6,10 $ US Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 7 FS Tunisie 3,50 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2 000 F CFA ISSN 1950-1285
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Dossier Ciel africain FRET
La grande envolée
AFOLABI SOTUNDE/REUTERS
L’activité cargo d’Ethiopian Airlines représente plus de 40 % des volumes des transporteurs africains.
Sur fond de montée en puissance des concurrents asiatiques et d’Ethiopian Airlines, les acteurs en place cherchent à consolider leurs positions. Mais la faiblesse des flux sortant du continent reste un handicap. 74
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PIERRE-OLIVIER ROUAUD
S
acrée accélération! L’an dernier, l’Afrique aura battu un record de croissance pour le fret cargo international. Un bond de 23 % en tonneskilomètres (Tkm), selon l’Association internationale du transport aérien (Iata), sur un marché mondial en hausse de 9 %. Cette belle performance – elle sera moins brillante cette année – a
plusieurs explications. L’une d’elles est le renforcement des liaisons avec l’Asie ou le Moyen-Orient. China Southern Airlines, par exemple, intensifie depuis deux ans ses rotations entre Nairobi et Canton. Il faut compter aussi avec la montée en puissance des compagnies du Golfe ou de Turkish Airlines. Autre explication : l’ascension d’Ethiopian Airlines, devenu la première compagnie du continent, fret compris. Cette activité a bondi de 18 % en 2017-2018. À lui seul, Ethiopian pèse plus de 40 % des volumes transportés par des compagnies africaines. Et le cargo entre à plein dans la stratégie d’expansion forcenée de la société d’État dirigée par Tewolde GebreMariam. Elle vient ainsi à la fin d’août de lancer un vol cargo bihebdomadaire Addis-Abeba-Miami, une première. « L’apparition de ces acteurs est un phénomène nouveau qui bouscule un peu les positions des compagnies établies », constate Philippe de Crécy, vice-président fret aérien Europe de Bolloré Logistics.
Royal Air Maroc a vu ses volumes progresser de 25 %
Pour expliquer la vigueur du marché l’an dernier, les experts avancent aussi une reprise du trafic passagers vers l’Afrique du Sud et l’Égypte, les deux poids lourds sur le continent pour le fret. Car dans cette activité, estimée à environ 1,8 million de tonnes, les trois quarts des capacités offertes aux chargeurs le sont encore au travers de la commercialisation des soutes des vols passagers par les réseaux commerciaux des compagnies régulières ou les General Sales Agents (GSA). Pour les « airlines », le cargo reste un marché secondaire, singulièrement en Afrique, qui pèse 1,9 % du marché mondial. De plus, le continent connaît ses contraintes propres, comme l’explique Philippe de Crécy, de Bolloré, qui sur ce marché est actif surtout comme commissionnaire, mais aussi comme GSA de Congo Airways: « Sur l’Afrique, notamment à l’Ouest, il reste un fort déséquilibre structurel, de l’ordre de un à six en moyenne, entre le taux de remplissage fret des
vols commerciaux se dirigeant vers le continent et ceux qui en sortent. » Ce que confirme Royal Air Maroc. La compagnie, qui a vu ses volumes bondir de 25 % en 2017 (32 000 tonnes), s’est dotée en juillet d’un Freighter B767 (Abidjan, Bamako, Libreville, Douala…), mais, explique Salim Quouninich, directeur de RAM Cargo, « le challenge actuel réside dans le démarchage commercial d’exportateurs à même de contribuer à la consolidation des flux Sud-Nord ». Dans le sens Nord-Sud, vols commerciaux ou tout-cargos déversent sur l’Afrique des produits manufacturés, des pièces détachées, de l’électronique, des équipements pétroliers. Sans oublier les médicaments. « C’est un fret rentable mais très exigeant en matière de savoir-faire et de certification », pointe Reinout Puissant, global platform manager chez Brussels Airlines Cargo. Cette compagnie, dont c’est l’une des grandes spécialités, s’appuie sur la plateforme dernier cri de l’aéroport de Bruxelles, la première à avoir reçu la certification pharmaceutique d’Iata. Tendance plus récente dans le fret Nord-Sud, Bolloré Logistics observe pour sa part depuis sa nouvelle plateforme high-tech de Roissy un bond des produits agroalimentaires de qualité, pour certains venus de Rungis, vers les nouveaux supermarchés haut de gamme des métropoles africaines. Pour sa part, Philippe Haddad, PDG du transitaire Centrimex, établi à Marseille, constate que les « envois par avion de produits liés au développement durable sont de plus en plus fréquents ». Et les flux sortant d’Afrique? Hormis l’Afrique du Sud, voire l’Égypte, la faible base productive du continent limite encore le type de fret à forte valeur ajoutée exportable par air. Avec une exception : les fruits, les légumes, le poisson et les fleurs. Produits de maraîchage et fruits tropicaux en l’Afrique de l’Ouest, poisson au Sénégal, fruits, légumes et surtout fleurs pour l’Afrique de l’Est, notamment le Kenya: la caractéristique des flux Sud-Nord reste ainsi la part
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DE NOTRE EXPORT DEPUIS L’AFRIQUE EST COMPOSÉ DE PRODUITS PÉRISSABLES », INDIQUE MANUEL WEILL, VICEPRÉSIDENT D’AIR FRANCE-KLM MARTINAIR CARGO.
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DHL
Dossier Ciel africain FRET
Signature d’un joint-venture entre Tewolde GebreMariam, PDG d’Ethiopian Airlines, et Amadou Diallo, PDG Afrique - Moyen-Orient de DHL.
AVEC ETHIOPIAN AIRLINES, DHL AVANCE SES PIONS C’est une alliance qui démontre les ambitions d’Ethiopian Airlines, y compris dans le fret. À la fin de juillet, la compagnie publique a annoncé la création d’une société commune – non chiffrée – avec le géant de l’express DHL, première alliance de ce type en Afrique. Objectif? Faire d’Addis-Abeba « un hub logistique pour l’Afrique » alors que cet aéroport est déjà au coude-à-coude avec Nairobi pour la quatrième place du continent et qu’Ethiopian y a inauguré en juillet 2017 un second hall fret sur 4 ha. De fait, « le
joint-venture ne prévoit pas d’investissement. Ethiopian a assez de capacité disponible, nous pourrons en utiliser conjointement une partie », explique Ivin George, vice-président Airfreight MoyenOrient-Afrique de DHL, qui emploie environ 4000 personnes en Afrique subsaharienne. L’idée est plutôt de mettre à profit dans le jointventure le savoir-faire de DHL en matière de réglementation douanière et, surtout, de services d’information, tracking et autres plateformes numériques, le nerf de la
guerre en logistique. La filiale de Deutsche Post, très présente en Égypte, a déjà lourdement investi en Afrique du Sud en 2015, faisant de Johannesburg son point d’appui continental en express, notamment dans les secteurs automobile ou pharmaceutique. « Nous voulons aujourd’hui développer notre activité éthiopienne et intra-africaine en express. Et aussi croître dans les produits frais, domaine dans lequel nous sommes encore peu présents », indique Ivin George. P.-O.R.
majeure de ces produits, souvent de l’ordre de 70 %. « L’Afrique est le continent du frais. 75 % de notre export [en tonnage] est composé de produits périssables », indique Manuel Weill, vice-président d’Air FranceKLM Martinair Cargo. Exemple : depuis l’aéroport Jomo-Kenyatta de Nairobi se sont envolées l’an dernier 159 961 tonnes de fleurs, un bond de 20 %. Et, en 2017, la moitié des importations européennes de roses provenait du Kenya, devant l’Éthiopie. Un solide business pour les transitaires et les compagnies. Air France-KLM, pourtant en phase drastique de repli de sa flotte cargo, a maintenu neuf rotations par semaine en Afrique avec deux Freighters Air France et quatre
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KLM desservant Johannesburg, Le Caire, Abidjan et, au premier plan en volume, Nairobi. « Depuis 2016, la flotte d’avions tout-cargo d’AFKLM est composée de deux B777 (AF) et quatre B747 (KLMP). L’Afrique est la zone du monde la mieux desservie par ces appareils », précise Manuel Weill.
Nairobi pèse quatre fois plus que tout autre escale africaine
Pour cette compagnie, qui réalise la moitié de ses volumes africains avec la zone Afrique de l’Est-Afrique du Sud, Nairobi pèse quatre fois plus que tout autre escale cargo africaine! D’autant qu’elle a un accord de partage de code avec Kenya Airways, doté de deux Freighters B737, notamment pour la desserte intra-africaine. Car, comme partout dans le monde, les alliances sont un des éléments clés du secteur. Depuis août, par exemple, Lufthansa commercialise les capacités fret de Brussels Airlines, dont il est le premier actionnaire, soit quinze destinations en Afrique au départ de Bruxelles. Ethiopian vient, elle, de s’associer avec le géant DHL (lire encadré). Et du côté des pure players du fret? Cargolux, le leader mondial hors compagnies express, tient la corde. Très rentable et surtout tourné vers l’Asie, le luxembourgeois sait se faire une place sur le continent. « L’an dernier, nous avons ajouté Douala à nos liaisons hebdomadaires, ainsi que Lubumbashi, pour son activité minière, ce qui a porté le nombre d’escales régulières à quatorze », note Chris Nielen, vice-président Europe, Moyen-Orient et Afrique de Cargolux. « Nos lignes les plus actives sont desservies par des cargos 747 à chargement par le nez, un atout pour le temps de chargement ou l’emport d’équipements lourds, miniers par exemple. » Comme pour beaucoup, la zone clé pour Cargolux, c’est l’Afrique de l’Est, notamment le Kenya. Avec une organisation bien rodée, la compagnie affrète chaque semaine sept vols atterrissant sur son hub de Luxembourg, voire pour certains à Amsterdam Schipol, situé à deux pas des grossistes du Bloemenveiling
Le goût du monde
21 unités de production et 25 bars et snacks dans 17 pays en Afrique. Le goût du monde pour Servair c’est – hier, aujourd’hui et demain – beaucoup celui du continent africain. Le goût d’y tisser des partenariats respectueux des normes internationales et des spécificités locales. Le goût des métiers de la restauration, à bord des avions, dans les aéroports ou les centres villes, dans les entreprises ou les collectivités.
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Dossier Ciel africain FRET
Car le business du fret, plus encore que celui des passagers, reste cyclique. Le recul du prix des matières premières a, par exemple, plombé le fret des équipements miniers et pétroliers. « Mais on sent un début de reprise », nuance Philippe Haddad, de Centrimex. Un sentiment partagé par Bolloré Logistics et Air France-KLM. Plus globalement, pour Philippe Haddad, si « les chiffres du fret au départ de France, et de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle en particulier, sont en légère baisse sur 2017, ils tendent à se stabiliser sur les derniers mois. Nous ne ressentons pas de mauvaise tendance générale. À la fin d’août, notre progression est satisfaisante par rapport à 2017 ».
d’Aalsmeer, le premier marché aux fleurs du monde. Un business exigeant: « Dans certains appareils, nous offrons quatre zones de différentes température », pointe Chris Nielen. Cette importance du marché du frais a son revers. Ainsi, les fortes pluies du printemps au Kenya ont asséché la production de fleurs. « C’est une des explications de la perte de vitesse du marché constatée cette année par Iata », estime Manuel Weill, d’Air France-KLM, qui revendique 15 % des marchés sortants et entrants sur le continent. De fait, après l’envolée de 2017, le marché se tasse : il a reculé de 7,1 % en FTK (freight tonnes km) en août, avec une stagnation (+ 0,3 %) sur huit mois. Cette situation s’expliquerait aussi par un repli des volumes sur le Moyen-Orient et l’Asie, moteurs de la croissance l’an dernier.
APRÈS L’EMBELLIE DE 2017, UN REPLI DES VOLUMES DU FRET VERS LE MOYEN-ORIENT ET L’ASIE A PROVOQUÉ UN RECUL DU MARCHÉ DE 7 % EN AOÛT.
De nouveaux acteurs agressifs commercialement
AÉROPORTS : LE CAIRE, JOHANNESBURG ET NAIROBI DRAINENT LE TRAFIC Le Caire Johannesburg Nairobi Addis-Abeba Lagos Casablanca Entebbe Kinshasa Accra Alger Dakar Tunis Saint-Denis Abidjan Brazzaville
175 640
63 762 58 984 57 512 47 075 38 363 36 837 27 405 26 588 20 041 17 969 0
50 000
100 000
314 274 307 536
231 259 211 543
Volume de fret traité en tonnes, 2016
150 000
200 000
250 000
300 000
350 000
ETHIOPIAN AIRLINES LEADER INCONTESTÉ
79,1 52 43,6 27,8 23,3 21,9 21,6 21,1 20,1 12 0
78
156,4
231
1 490,4
741,8
336,1
Volume de fret des compagnies africaines en FTK (freight tonnes km), 2016
SOURCE : OACI
Ethiopian Airlines SAA EgyptAir Kenya Airways Air Mauritius Stabo Air Royal Air Maroc TAAG Nesma Airlines Comair Ltd Allied Air Air Algérie Air Namibie Air Seychelles Air Madagascar
300
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600
900
1 200
1 500
De même, Air France-KLM est, sur ses lignes principales, plutôt confiant sur une courbe de croissance « de l’ordre de 7 % à 8 % », tout en pointant une forte pression sur les prix en partie liée aux surcapacités de « nouveaux acteurs » agressifs commercialement. Chez Cargolux, on se prépare « à une bonne fin d’année ». Mais ce ne sera pas encore grâce à l’e-commerce. Car s’il tire le fret aérien mondial, il reste marginal sur le continent, en dépit de l’importance d’acteurs comme Jumia. « Pour l’instant, indique Ivin George, vice-président Airfreight MoyenOrient - Afrique de DHL, nous avons peu de signes concrets du développementdecesegment,hormisenAfrique du Sud. Mais, à terme, il sera un relais de croissance. Notre forte expertise sur ce métier pourra être facilement mise à profit sur tout notre réseau africain. » Une perspective de retour sur investissement à terme aussi pour les États qui, comme le Ghana, le Sénégal ou l’Éthiopie, ont consenti ces dernières années des efforts d’investissement sur leurs plateformes aéroportuaires, y compris pour le fret. En attendant, un jour peut-être, un Marché unique du transport aérien africain (Mutaa), projet phare de l’Agenda 2063 de l’Union africaine qui reste pour l’instant dans les limbes.
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er
ANNIVERSAIRE
Financial Institutions
Mobile Operators
Connected Objects
Citizen Identity
Public Security
Identity & Security, N.A.
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du rapprochement d’OT et Morpho
Dossier Ciel africain
INTERVIEW
Raul Villaron
Vice-président Afrique d’Embraer
« En Afrique, Embraer a tout à gagner d’un rapprochement avec Boeing » Sur le point de se marier avec le géant américain, le constructeur brésilien affronte la concurrence sur le marché des avions régionaux de Bombardier, allié d’Airbus.
E
Jeune Afrique : Vous venez de prendre vos fonctions à la tête de la région Afrique - Moyen-Orient. Quelle est votre feuille de route pour le continent ?
Raul Villaron : Mon objectif est de faire en sorte que l’Afrique n’ait d’yeux que pour Embraer. Ce qui implique de donner la possibilité aux compagnies aériennes les plus modestes de croître, sans pour
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Quel est votre plan pour grignoter l’avance prise par votre rival Bombardier concernant les commandes d’appareils cette année?
Nous avons beaucoup investi ces derniers mois et nous parions sur l’avenir. Nous multiplions les partenariats, comme avec Airlink, en Afrique du Sud, avec lequel nous avons injecté 10 millions de dollars dans une coentreprise pour la création de centres de formation des pilotes et la mise en place d’un simulateur de l’E-Jet. Nous progressons dans le processus de certification de nos derniers appareils du programme E2, lancé en 2 0 1 3. L e t o u t premier E190-E2 – deuxième membre de la famille des E2-Jets derrière l’E175-E2 et
Sachant que vos appareils affichent un prix catalogue moyen de 35 millions de dollars, vos objectifs sont ambitieux. Quelle est votre botte secrète pour vous démarquer de la concurrence acharnée de l’Airbus A220 (ex-Bombardier CSeries) ?
ROBERT GOVERS
mbraer en Afrique, ce sont 150 appareils en activité (contre 40 il y a dix ans), 23 pays desservis, de grosses prises comme Kenya Airways (avec quinze E190), mais aussi des partenariats solidement entretenus pour sa gamme de monocouloirs (Airlink, Fastjet, Air Burkina, RAM, Petro Air, etc.) et une kyrielle de clients pour ses petits turbopropulseurs. Depuis plus de huit années en Afrique, l’un des plus grands exportateurs du Brésil (5,8 milliards de dollars de CA en 2017) a tissé peu à peu sa toile dans de nombreuses compagnies aériennes. Au coude-à-coude avec son éternel rival Bombardier, désormais associé à l’avionneur européen Airbus, le brésilien, également en passe de se marier avec le géant américain Boeing, se prépare à dégainer une gamme élargie de ses jets historiques. Entré chez le constructeur brésilien en 2005, et désormais établi à Amsterdam, Raul Villaron, qui pilote depuis janvier la région Afrique - Moyen-Orient, a répondu aux questions de Jeune Afrique.
devant le futur E195-E2, prévu pour la mi-2019 – a été livré en avril au norvégien Widerøe. Pour les dix ans à venir, nous tablons sur une demande d’environ 850 avions émanant de toute la zone Afrique - Moyen-Orient, dont 430 de l’Afrique seule, ainsi qu’une grosse demande d’appareils de seconde main provenant des États-Unis ou d’Europe.
autant qu’elles aient à dépenser trop. Mais également d’infiltrer les compagnies qui possèdent déjà de grandes flottes en proposant nos aéronefs de dernière génération. Je pense notamment à Kenya Airways, Ethiopian Airlines, Air Mauritius, Air Algérie et Royal Air Maroc (RAM), des cibles pour notre programme Embraer E2.
EMBRAER
Propos recueillis par AURÉLIE M’BIDA
KALUMIN SILVA
Des aéronefs qui affichent un prix catalogue moyen de 35 millions de dollars.
Sur le segment des monocouloirs de moyenne capacité [de 100 à 160 sièges], il est vrai que Bombardier, désormais marié à Airbus pour créer la famille A220, qui cible les mêmes marchés que les nôtres, reste notre plus grand rival. Mais nous croyons très fort aux Embraer E2. Nous avons d’ailleurs surnommé le programme profit hunter (« chasseur de profit »). Même si rien n’est gagné, nous pensons qu’il est particulièrement adapté au marché africain, qui, en raison de son volume moyen de trafic, a besoin d’avions d’une capacité de moins de 150 passagers. Les trois avions de la famille E-Jet E2, version remotorisée de trois des quatre jets Embraer (ex- ERJ) en cours de développement, ont la bonne taille pour l’Afrique. D’une capacité qui s’étale de 80 à 146 sièges, selon les configurations, ils sont parfaitement adaptés aux compagnies du continent qui développent leur réseau de trafic régional.
transcontinentaux, avant de développer le réseau régional, qui est à mon avis la stratégie à adopter pour être à même de survivre et de concourir face à la RAM, à Ethiopian, Kenya Airways ou South African Airlink.
Des exemples de bons et de mauvais élèves ?
Ethiopian Airlines a annoncé récemment la conclusion de partenariats avec cinq compagnies africaines, ce qui devrait générer une croissance du trafic entre ces pays. Embraer s’est-il positionné sur ce marché, et sur d’autres en particulier ?
Je ne me permettrais pas de dénoncer quiconque. Ni de préjuger de l’avenir. Mais on constate que les nouvelles compagnies aériennes fleurissent en Afrique. En tout cas, celles qui s’effondrent sont souvent celles qui ont voulu s’attaquer d’abord à des vols long-courriers,
C’est donc sur ce point que votre partenariat tant annoncé avec Boeing peut devenir stratégique pour Embraer. Où en est le processus de rapprochement ?
L’aval des autorités et l’ensemble des autorisations sont toujours attendus pour la première moitié de 2019. Aujourd’hui, un joint-venture existe entre les deux, ce qui nous permet déjà une complémentarité en proposant un large éventail d’aéronefs. Et bien sûr de nous frotter directement à Airbus-Bombardier. Nous sommes très impatients de voir le projet aboutir, en particulier pour l’Afrique, qui est un « continent Boeing » et qui offre donc davantage d’ouvertures pour Embraer.
Ethiopian Airlines a pour stratégie de connecter tout le continent. Elle ambitionne de croître rapidement et
LE PRIX D’UN AVION NE REPRÉSENTE QUE 20 % DU COÛT D’UN APPAREIL, AUXQUELS IL FAUT AJOUTER LA MAINTENANCE ET LES DÉPENSES IMPRÉVISIBLES.
aura donc besoin de plusieurs catégories d’aéronefs pour accéder à la variété du marché africain. Embraer a bien évidemment répondu à l’appel à manifestation d’intérêt d’Ethiopian lancé un peu plus tôt cette année, avec notre nouvelle génération d’appareils. Nous sommes également bien positionnés pour remplacer les deux Embraer E170 d’Air Burkina. Nous avons proposé de les remplacer par trois appareils d’occasion. Nous attendons la réponse dans les prochains jours. Parmi les avionneurs qui cassent les prix, comme le chinois Comac ou le russe Sukhoï, qui pourrait vous faire de l’ombre ?
Nous ne jouons pas sur les mêmes terrains. Les Chinois comme les Russes sont présents là où ils ont une influence politique. Pour moi, les prix cassés par rapport à ceux des constructeurs historiques dissimulent de forts coûts cachés. Le prix d’un avion ne représente que 20 % du coût d’un appareil. À cela il faudra ajouter les coûts de maintenance, et tous les coûts imprévisibles. Sur ce point, Embraer a développé Total Support Package, un service spécifique pour l’E2 qui permet de s’adresser aux petites compagnies qui n’ont pas les financements suffisants pour entretenir leurs avions.
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Dossier Ciel africain
RÉSEAU
Kigali prêt à tout pour faire croître RwandAir La compagnie entend doubler sa flotte d’ici à cinq ans et multiplie les ouvertures de lignes intercontinentales. Sans condition de profitabilité pour le moment. RÉMY DARRAS, avec ROMAIN GRAS à Kigali
our décrire la croissance de RwandAir, certains observateurs aguerris du transport aérien n’hésitent pas à la comparer à celle d’Emirates, né il y a trente ans dans un Dubaï émergeant à peine, ou à Singapore Airlines. Et à la façon dont ces compagnies aériennes, petits poucets devenus géants mondiaux du secteur, ont servi de levier de développement à ces microÉtats, désormais devenus des places incontournables pour les hommes d’affaires et les investisseurs internationaux. Pour attirer ces derniers, le pays de Paul Kagame s’est déjà pour partie inscrit dans les pas du prince dubaïote Al Maktoum et de l’emblématique Premier ministre singapourien, Lee Kuan Yew, en faisant venir les grandes chaînes hôtelières mondiales
P
Le business de l’aviation devrait créer 2 000 emplois au Rwanda dans les cinq prochaines années.
CYRIL NDEGEYA
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dans sa capitale. « Outil stratégique pour le pays, pilier de la croissance de l’économie rwandaise », selon les termes d’Yvonne Makolo Manzi, directrice générale de RwandAir depuis avril, la compagnie a signé cette année une très forte montée en puissance en desservant Bruxelles, Bombay, Londres, Le Cap. Tablant sur 1,2 million de passagers pour la prochaine saison (1 million en 2017-2018, 700 000 en 2016-2017), elle compte ouvrir de nouvelles routes long-courriers, en plus de ses 26 dessertes déjà opérationnelles (22 sur le continent). Sur ce segment très gourmand en investissements, RwandAir vise d’ici à février ou mars 2019 Canton, très important marché pour les « traders » africains capté jusque-là par Ethiopian et les compagnies du Golfe, ainsi que New York en juin puis Tel-Aviv, Francfort
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et Rome. Son modèle s’apparentant plus à celui de Kenya Airways (collecter du trafic régionalement pour remplir ses gros-porteurs) qu’à Ethiopian (connecter tous les points du globe à son hub). Une expansion très rapide, soutenue par une flotte d’une douzaine d’appareils appelée à doubler d’ici à 2023 (deux Airbus A330 Neo et deux Boeing 737 Max 8 seront réceptionnés l’année prochaine), après l’inauguration de l’aéroport de Bugesera. Mais qui, estiment certains analystes, s’apparente à « un développement à marche forcée ». Car dans un pays enclavé, faiblement industrialisé, le trafic reste faible vers Kigali, comparé à Addis-Abeba, et à Nairobi, qui reste la capitale économique de l’Afrique de l’Est, hébergeant nombre de sièges de grandes compagnies américaines.
Un endettement important qui effraierait dans d’autres pays
Pas de quoi entamer les ambitions d’une compagnie qui ne regarde pas à la dépense. Malgré des revenus en hausse (99,8 millions de dollars en 2016, contre 95,2 millions en 2015), c’est sans condition de profitabilité que se développe le transporteur. En effet, selon les comptes que RwandAir a dû soumettre aux instances de la Federal Aviation Administration (FAA) américaine pour être autorisé à atterrir à New York, ses pertes se sont élevées à 48,2 millions de dollars en 2013, 65,8 millions en 2014, 53,4 millions en 2015, 54,8 millions en 2016, soit 222 millions de dettes cumulées en 2016. Si l’expansion d’une compagnie aérienne ne se fait jamais sans un endettement important, les pertes de RwandAir, reconnu pour la qualité de son produit et pour sa gouvernance exemplaire, effraieraient dans d’autres pays. Pour Yvonne Makolo, « l’objectif n’est pas forcément de réaliser des profits immédiatement. On sera un jour rentable, mais pour le moment la priorité est à l’expansion et à la recherche de moyens pour connecter le Rwanda ». Même si sa subvention a tendance à diminuer (47 millions
de dollars l’année dernière, contre 53,8 millions en 2016 et 56,2 millions en 2015), l’État actionnaire continue de renflouer sa compagnie (440 millions de dollars entre 2013 et 2016). « Car il sait que ce qu’il perd d’un côté, il le regagne par ailleurs en PIB pour le pays », commente un expert. Le pays des Mille Collines est passé en deux ans de la treizième à la troisième place pour l’organisation de conférences sur le continent (derrière l’Afrique du Sud et le Maroc), rappelle Jean de Dieu Uwihanganye, ministre rwandais des Transports. Les revenus touristiques (438 millions de dollars en 2017) doivent doubler d’ici à 2024. Le volume de fret aérien actuel (16000 tonnes) devrait croître de 30 % cette année. Le business de l’aviation devrait créer 2000 emplois au Rwanda dans les cinq prochaines années. « La vraie valeur de RwandAir n’est pas sa valeur intrinsèque, c’est
EN AFRIQUE DE L’OUEST, UN ACTEUR REDOUTÉ
Depuis un an, RwandAir exploite cinq lignes en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale depuis sa base de Cotonou. Un deuxième 737 devrait y être positionné, au grand dam des acteurs locaux comme Air Côte d’Ivoire et Asky, qui lui reprochent déjà de pratiquer un dumping tarifaire sur des lignes régionales à faible trafic et ce sans la moindre concertation. Pour eux, dans une région aux coûts d’opération très lourds, RwandAir, sans exigence de rentabilité, peut faire très mal. R.D.
un adjuvant à d’autres stratégies », explique le politologue rwandais Jean-Paul Kimonyo, conseiller spécial du président Kagame. « RwandAir permet de pallier des problèmes structurels : l’enclavement du pays, le coût élevé de l’électricité, le manque d’industrie. Plutôt que de rester assis sur nos handicaps, nous ouvrons de nouveaux secteurs de croissance qui nous permettent de baisser le prix
d’importation des matières premières et des machines-outils, de faciliter et d’accroître les exportations. Pour cela, nous sommes prêts à assumer des pertes. Il y a une dimension de pari économique », conclut-il. Dans un ciel est-africain où, en l’espace de huit ans, Ethiopian a supplanté Kenya Airways, alors deux fois plus grand que lui, RwandAir a compris qu’il ne lui était pas interdit de vouloir voler très haut.
Dossier Ciel africain
SP
LOW COST
Air Arabia relie désormais entre elles six villes du royaume.
Air Arabia Maroc, challenger d’une RAM en difficulté Avec l’ouverture du ciel marocain, la compagnie à bas coût émiratie concurrence Royal Air Maroc sur les liaisons vers l’Europe. Et conquiert le marché intérieur. STÉPHANIE WENGER
lors que ces dernières semaines Royal Air Maroc se démenait dans un conflit avec ses pilotes qui a conduit à des annulations de vols et à des scènes dantesques diffusées sur les réseaux sociaux, Air Arabia (3,7 milliards de dirhams émiratis de CA, soit 870 millions d’euros) annonçait l’ouverture de plusieurs destinations. La compagnie continue d’enrichir son offre avec deux nouvelles destinations depuis Agadir: Bâle et Birmingham. Surtout, Air Arabia se développe sur le marché intérieur du royaume, il y a peu chasse gardée de la compagnie nationale. Un vol Tanger-Marrakech avec trois départs par semaine a été inauguré en octobre. La low-cost relie désormais entre elles six villes marocaines. La conquête du marché intérieur n’a pu débuter qu’en 2017, quand Air Arabia Maroc a pu disposer des 8e et 9e libertés de l’open sky. Ce sont d’abord Fès et Marrakech qui ont été desservies. En 2018, quatre liaisons ont été ouvertes en juin : NadorCasablanca, Dakhla-Casablanca, Dakhla-Marrakech et Agadir-Rabat. La libéralisation du trafic international dans le ciel marocain a été
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encouragée par les autorités pour développer le tourisme. « L’enjeu pour le gouvernement […] au début des années 2000 est de trouver les leviers pour augmenter les capacités aériennes […] dans un système qui privilégie quelques compagnies », écrit Véronique Mondou, maître de conférences à l’université d’Angers. Les low-cost européennes s’engouffrent dans l’open sky marocain. De même qu’Air Arabia, bien que plus tardivement. En 2009, la compagnie émiratie, établie à Sharjah, fait, elle, le choix de créer une filiale au Maroc. Elle rachète et transforme Regional Air Lines, créée en 1996 par Holmarcom. De facto s’opère un partage du territoire. « Désormais, Air Arabia touche des aéroports où n’existaient que des liaisons
JUSQUE-LÀ PRÉSERVÉE SUR LE MARCHÉ DES LOW-COST EUROPÉENNES, SA CONCURRENTE PUBLIQUE CHÉRIFIENNE A PERDU 25 % DE SES PARTS À L’INTERNATIONAL.
domestiques. La concurrence va être forte avec la RAM, qui était jusque-là préservée sur ce marché des low-cost européennes », analyse Véronique Mondou. En effet, au moment de l’ouverture du ciel marocain, les libertés 8 et 9 sont exclues des accords. En attendant, sur l’international, la RAM a perdu 25 % de part de marché, comme le révélait en 2015 sa directrice générale adjointe, Habiba Laklalech. Air Arabia vise désormais à étoffer son réseau intérieur.
Le royaume, base d’une expansion sur le continent?
Mais l’ambition de la filiale de la compagnie du Golfe ne se cantonne pas aux frontières du royaume, qui pourrait servir de base pour une expansion sur le continent. À l’est, la compagnie assure déjà des liaisons avec le Kenya, l’Érythrée, le Soudan et le Somaliland. La RAM, qui a de fortes ambitions africaines, est déjà confrontée à d’autres compagnies. « Le potentiel du marché africain est énorme, commente cet analyste du secteur, et les compagnies aériennes du Golfe s’y intéressent. Il y a sûrement un intense travail de lobbying de la RAM, qui fait pression auprès des États, et sans doute aussi des accords entre les deux acteurs, mais on ne sait pas ce qu’ils prévoient. » Au sud du Sahara, les deux compagnies auraient-elles adopté un code de bonne conduite?
Dossier Ciel africain
OPEN SKY
SHUTTERSTOCK/DMYTRO KURKO
Pour remplir les avions, des vols hybrides transportent voyageurs particuliers et en tour-opérateurs.
Nouvelair prépare son offensive Face à la concurrence imminente des low-cost, la compagnie privée tunisienne appelle à une meilleure collaboration avec les opérateurs publics. MATHIEU GALTIER, à Monastir
e changement dans la continuité. Chez Nouvelair, on se prépare activement à la mise en place de l’open sky – dont le mémorandum a été signé entre l’Union européenne et la Tunisie le 11 décembre 2017 mais n’est pas encore effectif –, sans renier ce qui a fait le succès de la compagnie aérienne: les vols charters. « L’objectif, c’est de stabiliser notre clientèle: moitié vols réguliers, moitié charters. Ce serait une erreur de sortir définitivement de la logique de charters », analyse Karim Dahmani, directeur marketing à Nouvelair, qui entend cependant profiter de l’ouverture du ciel pour grignoter des parts de marché au fleuron national Tunisair. L’open sky met fin aux accords bilatéraux qui limitent, voire interdisent l’accès à plusieurs compagnies étrangères. Ainsi, la compagnie, qui appartient au groupe TTS (Tunisian Travel Services), compte bien entrer sur le marché lucratif de l’Italie et développer ses vols réguliers en Allemagne, respectivement troisième et deuxième pays d’origine des voyageurs européens qui sont venus en Tunisie lors du premier
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trimestre de 2018. Nouvelair table ainsi sur une progression de 15 % de son trafic en Allemagne l’an prochain. Pour toucher cette nouvelle clientèle, capable de payer un billet d’avion sur un coup de tête, contrairement à celle des charters, la société propose une application mobile et un site de réservation plus ergonomiques. D’ici à la fin de l’année, un programme de fidélité verra le jour avec des avantages immédiats. Cette stratégie vise à résister aux compagnies à bas coût qui débarqueront sitôt l’accord de l’open sky officialisé. La compagnie tunisienne, dont le chiffre d’affaires a atteint près
de 391 millions de dinars (120 millions d’euros) en 2017 et qui devrait embarquer plus de 1 million de passagers en 2018, s’attend que ces dernières cassent les prix la première année, d’autant qu’elles ne pourront pas exercer dans le principal aéroport, celui de Tunis-Carthage, protégé pendant cinq ans. Créé en 1988, Nouvelair, qui a transporté 30 millions de voyageurs, compte renforcer ses liaisons « refuges », comme les appelle Karim Dahmani, vers le Maroc, l’Égypte et la Turquie, mais aussi servir des destinations « insolites » d’Europe du Nord (Suède, Danemark, Islande, Finlande, Norvège) et de Russie, en développant les vols hybrides comprenant des voyageurs particuliers et en tour-opérateurs pour améliorer le remplissage des avions.
Taille critique insuffisante pour être serein
Face à la concurrence, la direction appelle à un « pavillon tunisien », synonyme non pas de fusion mais de meilleures collaborations entre les compagnies nationales Tunisair et Syphax, si cette dernière obtient son certificat de vol. Avec huit Airbus A320, Nouvelair n’a pas la taille critique suffisante pour attendre avec sérénité la concurrence low cost, c’est pourquoi la société cherche à renforcer ses autres produits que sont la coopération internationale (lire encadré ci-dessous) et l’intégration verticale avec un site de maintenance et sa participation à hauteur de 15 % dans l’école de formation de pilotage SFA (Safe Flight Academy).
PARTENARIAT « MODÈLE » AVEC CONGO AIRWAYS En 2018, Nouvelair a affrété pendant cinq mois un Airbus A320 pour le redémarrage de Congo Airways. Cette location était précédée d'une assistance technique comprenant une formation des pilotes,
du personnel navigant commercial, des chefs de soute et des experts qualité. Ainsi, dans un pays figurant sur la liste noire européenne des compagnies, Congo Airways a pu obtenir sa certification IOSA. Une
« expérience modèle de la coopération Sud-Sud », se félicite Sengamali Lukukwa, directeur commercial de Congo Airways, que Nouvelair cherche à étendre sur le reste du continent. M.G.
Dossier Ciel africain
TRANSPORT RÉGIONAL
Un an après le départ de l’Aga Khan, Air Burkina se réoriente La compagnie burkinabè a réduit ses pertes. Mais le faible trafic en Afrique de l’Ouest interroge sur la pertinence pour les États de disposer de leur propre pavillon national. NADOUN COULIBALY, à Ouagadougou
ourtisé par le brésilien E m b r a e r, l e c a n a d i e n Bombardier ou encore le franco-italien ATR, Air Burkina a mandaté le cabinet McKinsey pour établir sa nouvelle stratégie de développement. Le document, dont la teneur n’a toutefois pas été rendue publique, donne une visibilité à la compagnie pour la prochaine décennie. De quoi conforter son directeur général, Blaise Sanou, un ancien pilote de l’armée de l’air burkinabè appelé à la rescousse de la doyenne des compagnies aériennes ouest-africaines, entrée en zone de turbulences avec le départ en mai 2017 du Fonds Aga Khan pour le développement. Aujourd’hui, Blaise Sanou assure que ce plan, qui comprend l’aéroport
MARTA NASCIMENTO/REA
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de Bobo-Dioulasso, la capitale économique, et le nouvel aéroport de Donsin, donne une orientation globale à la compagnie. « Ma priorité est de sortir du cycle de deux avions pour élargir notre flotte et nos dessertes. En 2019, nous comptons acquérir trois, voire cinq appareils », confie-t-il. Pour cela, 290 millions de dollars devraient être débloqués. Bien que le business plan quinquennal élaboré par le cabinet parisien attende sa validation par l’exécutif, Blaise Sanou compte s’attaquer au délicat chantier de l’ouverture du capital de 691 millions de F CFA (1,05 million d’euros) de la société au privé local, à l’actionnariat populaire et, in fine, au renforcement des fonds propres. Les pertes annuelles avoisinaient les 3 milliards de F CFA. Les efforts de réduction des coûts et une
En 2017, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 17 milliards de F CFA, + 6,46 % sur un an.
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offensive commerciale ont permis de ramener le déficit de 1,8 milliard à seulement 300 millions de F CFA. Avec un taux de remplissage d’environ 67 %, Air Burkina a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 17 milliards de F CFA (+ 6,46 % sur un an). Pour 2018, la compagnie table sur 18 milliards. Mais avec quelque 150 000 passagers transportés l’an dernier, Air Burkina, tout comme la plupart des autres compagnies nationales, est confrontée à un trafic local si modeste qu’atteindre l’équilibre lui est difficile, voire impossible. L’arrivée d’au moins trois appareils devrait lui permettre d’équilibrer ses comptes dès 2019, d’autant plus que le déficit de la compagnie, qui s’élève à 1 milliard de F CFA, est essentiellement généré, selon nos informations, par les frais de location. C’est pour cela que le plan préconise d’intensifier les vols régionaux et d’étendre le réseau actuel de huit dessertes à l’Afrique centrale, avec, dans la ligne de mire, PointeNoire, Libreville ou encore Douala.
Travailler en bonne intelligence avec les concurrentes
Fondateur de la compagnie régionale Asky (filiale d’Ethiopian Airlines), le Togolais Gervais Koffi Djondo dresse unconstatpessimiste.« Même legrand marché nigérian a connu des déboires. Les compagnies aériennes tombent les unes après les autres et ressuscitent car chaque gouvernement veut avoir son pavillon national », regrette l’octogénaire, qui plaide pour une mutualisation des moyens. « Il faut, poursuit-il, une compagnie régionale, c’est la meilleure voie pour asseoir des sociétés fiables, capables de faire face aux poids lourds du secteur. » S’il défend le modèle des pavillons nationaux, Blaise Sanou rappelle l’urgence à travailler en bonne intelligence avec ses concurrentes pour éviter de se livrer à une compétition nuisible à leur essor. Il sait que le succès de son plan passe inéluctablement par les alliances. Consciente de cette nécessité, Air Burkina a déjà mis en place des partages de codes avec Asky, Air France ou encore Kenya Airways.