ALGÉRIE
BÉNIN Où va Patrice Talon ?
LA RÉVOLUTION OU COMMENT S’EN SORTIR
GUINÉE L’année de tous les paris SPÉCIAL 22 PAGES
HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 3044 DU 12 AU 18 MAI 2019
Tunis
nid d’espions Arrestation mystérieuse d’un expert onusien, rumeurs insistantes de trafic d’armes, jeu trouble des factions libyennes, infiltration d’agents étrangers… C’est un vrai polar qui est en train de se jouer dans la capitale tunisienne, sur fond de paranoïa galopante.
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France 3,80 € Algérie 290 DA Allemagne 4,80 € Autriche 4,80 € Belgique 3,80 € Canada 6,50 $ CAN Espagne 4,30 € Éthiopie 67 birrs Grèce 4,80 € Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 5 € Portugal cont. 4,30 € Réunion 4,60 € RD Congo 6,10 $ US Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 7 FS Tunisie 4 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2 000 F CFA ISSN 1950-1285
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Édition internationale et Maghreb & Moyen-Orient
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le volume des déchets urbains dans le monde augmentera de 70% d’ici 2050
La croissance démographique et urbaine, le réchauffement climatique et la raréfaction des ressources appellent au développement d’un modèle de croissance moins consommateur de ressources. Le traitement des déchets constitue un défi essentiel afin de préserver la santé publique, d’éviter la pollution de l’air, des sols et des nappes phréatiques et la production d’émissions de CO2 et du méthane. SUEZ propose des solutions innovantes et sur mesure pour accompagner le développement durable des villes, et améliorer la performance économique et environnementale des entreprises. SUEZ accompagne collectivités et industriels dans leurs enjeux de gestion globale des déchets domestiques et industriels, dangereux et non dangereux. • Valorisation matière • Production d’énergie à partir de déchets • Valorisation organique Etes-vous prêts ?
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La Sénégalaise des eaux conteste depuis octobre la concession provisoire du marché sénégalais à Suez.
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Focus Eau & gestion des déchets
Quand on ouvre les vannes au privé Les opérateurs se félicitent de la libéralisation progressive du secteur dans plusieurs pays, mais ils entendent se prémunir contre les risques techniques et financiers. SAÏD AÏT-HATRIT
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équation pourrait inquiéter. Selon les prévisions, la population africaine, qui compte environ 1,3 milliard d’habitants, devrait doubler à l’horizon 2050, la croissance étant particulièrement forte en ville, où 40 % des gens vivaient en 2016, contre 31 % au début du millénaire. Or si, entre 2000 et 2015, l’accès à l’eau courante a augmenté en valeur
absolue (de 82 millions à 124 millions de citadins alimentés), la part de la population urbaine raccordée à cette ressource a reculé de 40 % à 33 %, indique une étude de la Banque mondiale publiée en 2017 (« Performance des services d’eau en Afrique »). Le troisième élément de l’équation est que, sur cette même période, le PIB par habitant a augmenté de plus de 40 %, passant de 1176 dollars à 1660 dollars.
C’est peut-être pour cette dernière raison que Pierre-Yves Pouliquen, directeur général de Suez pour l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Inde, préfère voir les opportunités présentées par la situation : « Le besoin est là et il ne va faire que se renforcer; de facto, les appels d’offres vont se multiplier, estime-t-il. Plus le marché va se structurer, plus la possibilité de voir apparaître de nouveaux
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Focus Eau & gestion des déchets STRATÉGIE
PHOTOTHÈQUE VEOLIA - CHRISTOPHE
Pour équilibrer les risques, Veolia regroupe ses activités eau, déchets et énergie par régions, et non plus par métiers.
concurrents sera grande. La question qui nous occupe est : dans quelles conditions ce besoin se transforme-t-il en marchés éligibles pour les opérateurs ? »
La vogue des partenariats public-privé
Parmi les marchés récents figure le contrat de gestion, de production et de distribution d’eau potable dans les agglomérations sénégalaises. La décision prise en octobre 2018 de l’attribuer à titre provisoire à Suez est actuellement contestée par voie légale par la Sénégalaise des eaux (SDE), filiale du groupe Eranove, qui effectuait cette mission depuis 1996. La compagnie française, numéro deux mondial de l’eau derrière Veolia, est aussi en lice au Bénin, où a été lancé en septembre 2018 un appel d’offres de préqualification pour un contrat d’affermage (séparant la société de patrimoine de l’opérateur de service) couvrant l’ensemble des zones urbaines du pays, dont le chiffre d’affaires annuel est estimé à 26 millions d’euros. Elle pourrait aussi être intéressée par l’important contrat de concession d’eau et d’électricité de Libreville (chiffre d’affaires estimé à
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1,737 milliard d’euros sur cinq ans), géré par Veolia depuis 1997 mais perdu en 2018 après un différend avec le gouvernement gabonais. Les entreprises évoquent aussi les marchés kenyan et camerounais. Concernant ce dernier, le contrat d’affermage de la Camerounaise des eaux, créée par un consortium marocain, n’a pas été renouvelé par le pays en 2018. Les marchés de distribution de l’eau potable restent rares en comparaison des nombreux appels d’offres lancés pour la construction
d’infrastructures de production et, de plus en plus, de distribution d’eau. Mais des pays comme l’Angola, le Mozambique ou le Nigeria réforment leur cadre réglementaire pour réaliser des partenariats public-privé (PPP), notamment dans le secteur de l’eau. Plusieurs associations nigérianes s’opposent toutefois à cette « privatisation de l’eau ». Alors que l’accès à cette ressource a été reconnu en 2010 comme un « droit fondamental » par l’ONU, elles rappellent les échecs passés : scandales de gestion privée, coût injustifié du service, difficultés à étendre l’accès aux plus démunis… Dans les années 1990, les institutions financières internationales ont conditionné leur contribution au secteur, quasi indispensable dans des pays en difficulté, à l’ouverture au privé des sociétés de distribution d’eau. Dans une étude de 2009, la Banque mondiale a estimé que les PPP pour les services urbains de l’eau, sans être une panacée, pouvaient rester une option pour les décideurs. Aujourd’hui, même si la part des classes moyennes en mesure de payer le service de l’eau augmente, le financement du secteur reste délicat. « L’opérateur réalise les investissements uniquement dans le modèle concessif », souligne d’ailleurs PierreYves Pouliquen, alors que la concession, qui met l’entreprise privée face aux clients, semble moins prisée que le contrat d’affermage. Les contrats
POURQUOI LE PRÉPAIEMENT EST AVANTAGEUX Depuis les années 1990, un nombre croissant d'opérateurs ont adopté des systèmes de prépaiement pour la distribution d’eau en Afrique subsaharienne. Les clients règlent d’avance une consommation spécifique, la distribution s'interrompant en fin de crédit. Le but est d'éliminer tout risque d’arriérés ou de dette pour les opérateurs, ainsi
encouragés à développer la distribution d'eau dans les quartiers pauvres non raccordés au réseau urbain. Contestés (notamment en Afrique du Sud, où ils ont fait l'objet d'une plainte devant la Cour constitutionnelle), ces compteurs remportent pourtant « globalement l’adhésion des usagers », selon une étude de la Banque mondiale en
2014: ceux-ci seraient en effet « moins exposés aux restrictions » et verraient « leurs dépenses diminuer ». Logique, car l’eau coûte bien plus cher aux citadins non raccordés. Veolia teste actuellement un tel système avec la start-up CityTaps à Niamey, avec l’objectif de fournir 100000 personnes d’ici à 2020. S.A.-H.
de performance, comme celui qui lie Suez à Alger, sont aussi une possibilité pour les entreprises privées.
Équilibrer son portefeuille avec une clientèle industrielle
« La concession n’est pas un modèle que nous nous interdisons, précise le dirigeant de Suez. Mais nous regardons de façon précise comment les candidats à un tel appel d’offres sont protégés. En effet, nous connaissons tous le cycle de ce type de contrat, à travers lequel les investissements se font lors d’une première étape et le retour sur investissements lors de la seconde. » Avant d’ajouter : « Nous répondons aux besoins exprimés à travers des modèles choisis par le client. Notre travail est de nous assurer que ceux-ci répondent aux attentes et qu’ils sont financièrement et contractuellement bien structurés.
C’est pourquoi le rôle des institutions financières internationales, soutenu par leur expérience de la structuration financière, est très important. » Pour équilibrer les risques, les entreprises associent depuis plusieurs années les marchés de l’eau à ceux consacrés à l’électricité, un peu plus rentables, et à l’assainissement. Depuis le début de la décennie, Veolia regroupe ainsi ses activités eau, déchets et énergie par régions, et non plus par métiers. L’entreprise, qui avait les municipalités comme clients quasi exclusifs, équilibre aussi son portefeuille avec une clientèle industrielle dont les contrats sont plus courts et plus rémunérateurs. Elle a décroché en mars un nouveau marché auprès de la société minière sud-africaine AngloGold Ashanti, au Ghana, où elle opérait déjà depuis 2015.
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Seul un habitant de Lagos sur dix aurait accès à l’eau fournie par l’entreprise publique Lagos Water Corporation (LWC), selon les estimations de l’ONU. Bâtie sur une lagune, la capitale économique nigériane, qui compte environ 21 millions d’habitants, vit depuis des années une crise de l’eau et de la salubrité. Les autorités font des partenariats public-privé l’une des réponses à cet enjeu, mais les opposants à cette solution dénoncent un « nouveau colonialisme » et estiment que LWC laisse sciemment la situation se détériorer.
La société française Altereo a signé en novembre dernier un accord de partenariat de 12 millions de dollars namibiens (740000 euros) avec NamWater, l’entreprise publique chargée de la gestion de l’eau en Namibie. Objet de cet accord ? La réhabilitation du réseau de distribution de la municipalité de Keetmanshoop (sud du pays). Créée en 1989, Altereo est une PME spécialisée dans la détection de fuites et l’optimisation des réseaux d’eau qui a opéré dès 1993 en Afrique, à Addis-Abeba. « En France, les réseaux comptent entre 20 % et 25 % de pertes, mais, en Afrique, il n’y a souvent pas assez d’eau pour alimenter les fuites », explique Christian Laplaud, son PDG. Le réseau de Keetmanshoop
BOISSEAUX/LA VIE-REA
Rénovation des réseaux, mode d’emploi
Branchement défaillant, à Accra, au Ghana.
compte environ 50 % de pertes – « il y a bien pire » –, ce qui représente un coût de 1 million d’euros par an pour la ville.
« L’IA décuple l’efficacité de chaque euro investi »
Rénover tout un réseau est trop coûteux, et supprimer toutes les fuites, impossible. Altereo vise donc d’en
réduire la durée. Avec des équipements simples, la société forme les équipes à localiser les fuites. Pour son patron, il faudrait employer plus de « fontainiers » affectés à l’installation des branchements, car ils sont « à l’origine de 80 % des fuites », en raison de poses mal faites et de matériel de mauvaise qualité.
L’entreprise développe aussi des systèmes d’information géographique (SIG) numériques, sur lesquels sont reportées le s défaillance s de s réseaux (eau, assainissement et électricité). Elle est parmi les seules à permettre l’alimentation d’une intelligence artificielle avec ces données, afin de modéliser le vieillissement des réseaux et de prévenir les défaillances. « L’IA décuple l’efficacité de chaque euro investi, assure Christian Laplaud. Ailleurs, nous avons démontré que le renouvellement de 5 % d’un réseau pouvait éviter 50 % de fuites. » Un premier client africain pourrait utiliser cet outil dès l’année prochaine. S.A.-H.
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Focus Eau & gestion des déchets
MARCHÉS
Les ambitions du libanais Averda contrariées par les impayés Après avoir connu une croissance rapide sur le continent, le spécialiste de la collecte fait actuellement face à des difficultés au Gabon. STÉPHANIE WENGER
abat mérite bien son statut de capitale. Et il y a des signes qui ne trompent pas. L’un d’eux est la propreté des rues, due au travail des hommes en combinaison bleu vif d’Averda. Depuis que la société libanaise a décroché ce contrat de nettoiement des rues et de ramassage des déchets en 2013, à la suite du départ de Veolia, la gestion des quartiers – même les plus peuplés et ceux de la périphérie – est une réussite. Créée à Beyrouth en 1964 par un ingénieur, Averda a dépassé en 2017 les 450 millions de dirhams (41,3 millions d’euros) de chiffre d’affaires au Maroc. Après s’être fait un nom dans la gestion des déchets d’abord dans les pays du Golfe, c’est dans le royaume que la société de génie civil est partie à l’assaut du continent africain en 2012 – dans le Rif, à Nador, puis à Berkane. Mais c’est le contrat de Rabat, l’année suivante, qui constitue le vrai point de départ de son expansion. Elle se
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poursuit en Angola, avec un quartier de Luanda; au Gabon, avec Libreville et Akanda; au Congo, avec Brazzaville. En Afrique du Sud, l’entrée est un peu différente : pas d’appel d’offres mais l’acquisition, en 2015, d’un géant local du secteur : Wasteman, spécialisé dans le traitement de déchets miniers, industriels et médicaux. Cette année, nouvelle diversification sur le continent pour la société implantée à Dubaï: la construction à Tanger d’un centre de traitement de déchets. Un contrat de vingt ans, pour lequel la société envisage 1 milliard de dirhams d’investissement. L’appétit d’Averda est bien là : la société a déjà candidaté pour des marchés en Côte d’Ivoire et au Soudan et ne compte pas s’arrêter là, mettant en avant des solutions sur mesure et clés en main. L’odyssée africaine connaît pourtant quelques cahots. Au Gabon, la société fait face à de longues périodes d’impayés lui causant des difficultés de trésorerie, avec un impact sur l’entretien du matériel, le versement des
JACQUES TORREGANO/JA
À Libreville, Averda n’est plus rémunéré pour ses services.
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salaires et donc la qualité du service. Sur les réseaux sociaux, des photos de dépôts sauvages émergent régulièrement. La situation s’est envenimée le 7 mai, le maire de Libreville menaçant de résilier le contrat.
« Mettre en place une solide cellule de recouvrement »
« Pendant une longue période au Gabon, Averda n’a pas été payé. En dépit de cette situation, nous avons rempli nos obligations et couvert les dépenses complètes dues aux tiers et les salaires des employés, se défend Malek Sukkar, directeur général de l’entreprise. Malgré des discussions en cours, Averda n’est toujours pas réglé pour la plupart des services qu’elle fournit, la discussion avec la ville continue et nous espérons qu’une solution sera trouvée afin de continuer à servir les habitants de Libreville. » Selon un professionnel du secteur habitué des marchés africains, Averda n’a peut-être pas mis toutes les garanties de son côté. Selon lui, il faut notamment que « tous les ministères concernés – Intérieur, Finances et Environnement – soient impliqués pour que l’État soit engagé et qu’il mette en place une solide cellule de recouvrement, sans laisser les impayés s’accumuler ». À Casablanca, après le départ de Sita (filiale de Suez), avec lequel la société se partageait la ville, le contrat d’Averda a aussi été résilié –, mais l’entreprise libanaise a décroché à nouveau l’appel d’offres en février, aux côtés du français Derichebourg. Son agilité et son expérience ne seront pas de trop pour venir à bout du dossier des déchets, qui empoisonne depuis des années la vie de la mégalopole marocaine.