JA 3064 DU 29 SEPTEMBRE AU 5 OCTOBRE 2019 CULTURE & LIFESTYLE

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CÔTE D’IVOIRE

ADAMA BICTOGO : « LE RHDP EST SALUTAIRE POUR LE PAYS »

SÉNÉGAL Mimi Touré,, l’électron libbre

NIGERIA Le pétrole (enfin) à la rescousse ?

HEBDOMADAIRE INTERNATIONAL NO 3064 DU 29 SEPTEMBRE AU 5 OCTOBRE 2019

CHIRAC

UNE HISTOIRE AFRICAINE Le duel entre les outsiders Kaïs Saïed et Nabil Karoui entérine le profond rejet de la classe politique qui occupe le devant de la scène depuis 2011. Qui sont-ils vraiment? Second volet de notre enquête: l’universitaire, vainqueur du premier tour.

TUNISIE PRÉSIDENTIELLE 2019

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France 3,80 € Algérie 290 DA Allemagne 4,80 € Autriche 4,80 € Belgique 3,80 € Canada 6,50 $ CAN Espagne 4,30 € Éthiopie 67 Br Grèce 4,80 € Guadeloupe 4,60 € Guyane 5,80 € Italie 4,30 € Luxembourg 4,80 € Maroc 25 DH Martinique 4,60 € Mayotte 4,60 € Norvège 48 NK Pays-Bas 5 € Portugal cont. 4,30 € RD Congo 5 $ US Réunion 4,60 € Royaume-Uni 3,60 £ Suisse 7 FS Tunisie 4 DT USA 6,90 $ US Zone CFA 2000 F CFA ISSN 1950-1285

RÉVOLUTION

ACTE II


L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.


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8e édition

Le plus grand rendez-vous international des décideurs et financiers du secteur privé africain www.theafricaceoforum.com

CO-HOST

9 & 10 mars 2020 ORGANISATEUR


Cinéma

RÊVES D’OUTRE-MER La réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop livre, avec son premier long-métrage, Atlantique, une œuvre puissante, enracinée dans les paysages et les traumas africains.


SYLVAIN CHERKAOUI POUR JA


Cinéma

A

tlantique*, c’était le film de tous les dangers. Jusque-là, Mati Diop, fille du célèbre musicien Wasis Diop, n’avait retenu l’attention, s’attirant des louanges il est vrai, qu’avec deux petits films, un court-métrage et un moyen-métrage. Le premier, Atlantiques – avec un s –, évoquait en 2010 l’histoire d’un jeune Sénégalais, Serigne, qui avait participé à une traversée clandestine vers les îles espagnoles des Canaries à partir de Dakar et avait survécu miraculeusement à un naufrage. Le deuxième, en 2013, Mille Soleils, était un documentaire très original revenant sur la destinée de l’acteur principal de Touki Bouki, l’œuvre culte de l’oncle de la réalisatrice, Djibril Diop Mambéty, cinéastepoète qui a marqué à jamais l’histoire du cinéma africain avant de mourir, bien trop tôt, à l’âge de 53 ans. Avec son nom et son œuvre cinématographique remarquée mais encore bien mince, Mati Diop pouvait craindre le pire, comme tous les auteurs trop attendus, lorsqu’elle a présenté son premier long-métrage à Cannes, en mai. D’autant qu’elle avait été sélectionnée directement en compétition pour la Palme d’or. Un cas rare pour une novice, quasi autodidacte, plus formée à l’art contemporain qu’au septième art après ses études à l’école Le Fresnoy, dans le nord de la France. Mieux encore, il s’agissait alors de la toute première réalisatrice noire à être invitée en compétition à Cannes. Quant au dernier Sénégalais qui avait eu droit à cet honneur, avec son film Hyènes, son deuxième et dernier long-métrage, c’était justement… son oncle Djibril. Jeune femme frêle, belle et déterminée de 36 ans, n’avait-elle pas * Attention! Cet article dévoile quelques éléments clés du film!

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tous les atouts pour bénéficier dans les circonstances actuelles d’une sorte de « discrimination positive » en faveur du cinéma africain et des femmes réalisatrices, s’étaient demandé bien des commentateurs après sa sélection? Une suspicion qui pouvait d’ailleurs d’autant plus la desservir que, si le film, une coproduction, était attribué au Sénégal par les sélectionneurs cannois, l’africanité de la métisse Mati Diop, dont la mère est une Française et dont l’essentiel de la vie s’est longtemps déroulé dans l’Hexagone, était mise en question par quelques grincheux.

Coup de maître

Toutes ces préventions ont de toute façon volé en éclats grâce à une décision du jury de Cannes venant confirmer le bel accueil qu’avait reçu Atlantique lors de sa projection sur la Croisette. Mati Diop a en effet obtenu le Grand Prix – soit la deuxième récompense, juste après la Palme d’or –, décerné l’an dernier à l’Américain Spike Lee et, en 1990, au Burkinabè Idrissa Ouedraogo. Coup d’essai, coup de maître. Atlantique, au singulier, est, d’une certaine façon, une déclinaison du court-métrage de 2010, voire son contrechamp. Sous forme de fiction, avec une tout autre ambition et un scénario peu banal. Pourquoi être revenue sur le sujet des migrants? « Après n’y être pas allée pendant dix ans, j’étais revenue sur la trace de mes origines, à Dakar, en 2008, raconte Mati Diop. Là, grâce à un cousin, j’avais rencontré Serigne, un jeune, la vingtaine, dont l’histoire m’avait beaucoup touchée, car, loin de la vision européenne du sujet, il était question du sort des migrants – qu’on résume trop souvent à des statistiques – à travers un vécu. Il m’avait raconté en une nuit son voyage en mer, une tentative de traversée qui avait eu à mes yeux une véritable dimension mythologique. Après sa mort prématurée, lors de son enterrement, que j’avais décidé de filmer, j’avais été scotchée par sa sœur, qui me fixait du regard, et qui

AD VITAM

RENAUD DE ROCHEBRUNE

L’actrice amatrice Mama Sané.

semblait me demander qu’on raconte l’histoire des jeunes hommes qui partent affronter l’Atlantique d’un autre point de vue, celui des femmes. Celui, pour reprendre le titre d’un article que j’ai lu alors, des “veuves de la mer”. » En résulte une histoire qu’on peut (trop) brièvement résumer ainsi. Un groupe de jeunes ouvriers du bâtiment, lassés de ne pouvoir obtenir leur paie, décident un jour de partir en mer pour rejoindre une terre européenne. Ces enfants du quartier populaire de Thiaroye ne reviendront pas. L’un d’eux, Souleiman, était

Atlantique, de Mati Diop, sortie à Paris le 2 octobre.


CASTING SAUVAGE Même si elle a renoncé à filmer des scènes trop choquantes pour la majorité de la société sénégalaise, Mati Diop ne s’est pas autocensurée outre mesure en tournant Atlantique. Ne risquait-elle pas d’éprouver quelques difficultés à convaincre ses acteurs, tous amateurs, de dépasser leur pudeur? Ce ne fut pas le cas. Cependant, « la première fois que j’ai raconté le film à ma mère, j’ai sauté les scènes d’amour », avoue volontiers Amadou Mbow, qui joue le rôle du policier. C’est au hasard de ses déambulations à Dakar que la cinéaste l’a recruté, comme tous ceux qui apparaissent dans son film. Elle a proposé à Ibrahima Traoré, qui joue le rôle de Souleiman, de venir à un casting après l’avoir aperçu là où il travaillait comme vendeur. Quant à Mama Sané, Ada dans le film, elle a été hélée par Mati Diop alors qu’elle sortait dans la rue pour se laver les mains. Elle qui ne parle que le wolof et n’avait jamais regardé jusque-là que des séries s’est ainsi retrouvée, après accord de sa famille, premier rôle d’un film d’envergure internationale. À Cannes, tout émue et émerveillée de son aventure, elle nous disait prier Dieu pour qu’il l’aide à continuer dans le cinéma. R.R.

amoureux de la belle Ada, condamnée par sa famille à un mariage arrangé. Le film, dès lors, prend un nouveau tour en se centrant sur le destin d’Ada, dont les noces sont troublées par des phénomènes inexpliqués: un incendie étrange, le comportement inexplicable des veuves, qui semblent possédées, les esprits des disparus venant réclamer vengeance envers ceux qui les ont condamnés à risquer la mort. Quant à Ada, elle va vivre un amour passionné avec un policier chargé de l’enquête sur l’incendie qui va se révéler possédé, pour sa part, par un revenant qui n’est autre que Souleiman.

Réalisme magique

Film à la fois politique et social, d’aventures, féministe, policier, fantastique, Atlantique s’attaque à tous les genres. « Absolument, nous confirme Mati Diop, mais c’est venu petit à petit. Le projet, à l’origine, consistait uniquement à consacrer un film fantastique à la question des

disparus en mer. Mais je voulais que la dimension fantastique ne soit pas déconnectée de la réalité qu’on peut voir à Dakar. Où, comme j’ai pu l’observer, cette dimension fait toujours partie du réel. » Quant au personnage du policier, il s’est imposé un peu par défaut. « Il fallait que Souleiman décide de posséder un corps. Ç’aurait pu être celui de ce personnage féminin qu’est Dior, l’amie d’Ada, dans le film. Mais alors, il aurait fallu que je montre deux filles faisant l’amour ensemble. Une option que je n’ai pas voulu retenir, car le Sénégal ne me paraît pas prêt à recevoir une telle scène. D’où l’invention du personnage du policier Issa. Un homme qui vient à la fois d’ici – il est Sénégalais – et d’ailleurs, d’outre-Atlantique, ce qui fait qu’il était a priori hermétique à ce côté mystique et surnaturel de l’Afrique dans lequel il va se trouver plongé. Un homme, en fait, dont je peux me sentir assez proche. » Atlantique, on l’aura compris, est un film par lequel il faut se laisser

prendre, même s’il est parfois imparfait, voire compliqué à suivre. Et qui saisit le spectateur autant par l’histoire qu’il raconte que par la façon dont est filmé le cadre dans lequel elle se déroule. La beauté du film, c’est celle de l’océan, qui baigne la capitale sénégalaise et que Mati Diop a découvert « à la fois magnifique et menaçant ». C’est aussi celle de Dakar et de ce quartier de Thiaroye, si plein de vie et chargé d’histoire depuis le massacre, en 1944 par l’armée française, des tirailleurs qui réclamaient une prime promise. Un site qui faisait sens bien sûr pour un film qui parle wolof en évoquant les thèmes de la vengeance et de la réparation. Nombre de spectateurs qui ont pu assister à la première du film au Sénégal au début d’août ne s’y sont pas trompés: ce film fait partie des très rares qui, aujourd’hui, réussissent, selon la formule de l’écrivain Felwine Sarr après la projection, à « inscrire l’imaginaire des Africains dans l’imaginaire du monde ».

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Arts plastiques

1-54 : sept ans déjà ! La foire d’art contemporain africain, créée par la Marocaine Touria El Glaoui, se tient à Somerset House (Londres) du 3 au 6 octobre. Plan des lieux pour une visite haute en couleur.

Shabu Mwangi

GOODM AN GALLERY

Timeless Self, 2019 Circle Art Gallery

NIL GALLERY

CIRCLE ART GALLERY

Kiluanji Kia Henda The Fortress, 2014 Goodman Gallery

Prince Gyasi

ED CROSS FINE ART

Crumple Zone, 2018 Nil Gallery

Mario Macilau

Crucifix Chest, 2015-2019 Ed Cross Fine Art

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Larry Amponsah A Turned Table, 2017 50 Golborne

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Sud


YOSSI MILO GALLERY

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Caitlin Cherry

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Innervision, 2019 Luce Gallery

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Shaun Oliver, Cape Town, 2011 Yossi Milo Gallery

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Exposition jusqu’au 5 janvier 2020.

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Living Memory, 2011

Abdoulaye Konaté

Composition en jaune, 2018 Primo Marella Gallery

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Tendance

Le halal, bio-incompatible ?

Dans un jugement rendu en juillet, la cour d’appel de Versailles, en France, a estimé que la certification « agriculture biologique » ne pouvait pas s’appliquer à des viandes issues de l’abattage rituel, sans étourdissement préalable. ARNAUD AUBRY

L

es bouchers aussi ont une rentrée des classes. En cette fin de matinée, début septembre, il y a foule chez Les Jumeaux, la boucherie des Lilas, en banlieue parisienne, tenue par Slim et Karim Loumi, vrais jumeaux de 29 ans. « Cela faisait un mois qu’ils étaient en vacances, on avait hâte qu’ils rouvrent », explique une cliente voilée qui ne s’approvisionne plus que dans cette boucherie. « C’est simple, pendant qu’ils étaient fermés, je n’ai pas mangé de viande. » Comment expliquer une telle renommée ? « La qualité », répondent tous les habitués interrogés ce matin-là. Les Jumeaux ont une particularité encore très rare en France: ils vendent de la viande bio et halal. Tout a commencé avec une frustration : « Quand on était petit, le halal n’était pas de bonne qualité. Il n’y avait pas de bio, pas de fermier, la traçabilité, n’en parlons pas », se remémore Slim Loumi. Quand ils ouvrent leur boucherie, en 2010, à l’âge de 19 ans, ils ont une ambition: le haut de gamme. « Notre credo c’est hygiène, traçabilité et qualité. » « Je viens faire mes courses ici car dans le 8e arrondissement [quartier chic de Paris], il n’y a pas de boucherie qui soit à la fois de qualité et halal », explique Louisa Faty, une élégante cliente qui vient

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remplir son frigo tous les quinze jours chez Les Jumeaux. Dans les rayons, outre les merguez maison et les poulets rôtis, on trouve aussi des côtes de bœuf de Galice à 90 euros le kilo, ou des entrecôtes wagyu à 350 euros le kilo. La boucherie est même prisée par certaines célébrités: les acteurs Omar Sy et Tahar Rahim, ou encore Mounir Mahjoubi, l’ancien secrétaire d’État au Numérique. Les jumeaux d’origine tunisienne ont pris le virage du bio en 2014. Ils ont démarché des éleveurs et sélectionné ceux qui garantissaient la meilleure qualité. Aurélien Legendre, par exemple, qui travaille en Loire-Atlantique et à qui ils prennent une à deux bêtes par semaine. La formule a payé. En 2018, ils ont déménagé de l’autre côté de la rue pour une boutique de 210 m², trois fois plus grande que la précédente. Les frères Loumi ne sont pas les seuls à s’être engagés dans le rayon bio et halal. La société Bionoor a lancé

L’intérêt pour ces produits provient d’une meilleure connaissance des textes sacrés, qui exigent une éthique de la consommation.

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le mouvement dès octobre 2012 (lire encadré). Suivi par d’autres marques: Aya Bio, à Choisy-le-Roi, Biolal, à Lyon, ou des restaurants comme La French Touch, à Courbevoie. Rien en revanche, pour l’instant, au sud de la Méditerranée.

Idem pour le kasher

« La montée en puissance du halal bio, c’est une révolution sociologique », soutient Fateh Kimouche, le fondateur du site Al Kanz, la référence sur le halal en France. C’est le signe que de plus en plus de familles musulmanes disposent d’un pouvoir d’achat leur permettant d’acheter des produits de très bonne qualité. « On est passé du kebab à 5 euros à la gastronomie française », plaisante-t-il. Mais il ajoute que cette fameuse gastronomie française ne lui a été accessible « qu’à partir du moment où les produits ont pu être certifiés halal. Mon premier carpaccio, je l’ai dégusté à 34 ans! ». Outre l’aspect économique, Fateh Kimouche estime que l’intérêt pour les produits bio et halal provient d’une meilleure connaissance des textes sacrés qui « exigent une éthique de la consommation que l’on retrouve dans le halal bio ». Tout ça pourrait être remis en question par une décision de justice. Le 11 juillet, la cour d’appel de Versailles a statué sur une requête de l’association Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) et


a jugé qu’une viande issue d’un animal abattu sans étourdissement préalable ne pouvait pas obtenir le label Agriculture biologique. Elle vient confirmer un avis rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 26 février dernier. Or, dans le halal (tout comme dans le kasher), la dhabiha (méthode d’abattage rituel) prescrit que la bête doit être égorgée consciente. « Avec une lame bien aiguisée, le sacrificateur doit trancher les veines jugulaires et carotides à l’aide d’un seul coup de couteau, sur un animal conscient », explique Fouad Imarraine, chargé des relations publiques chez AVS, le principal certificateur halal de France.

Les jumeaux Slim et Karim Loumi, dans leur boucherie des Lilas, en banlieue parisienne.

JULIEN PEBREL/MYOP

Stigmatisation

Pour Bionoor, la décision de la cour d’appel de Versailles est une catastrophe économique. « Ça pourrait tuer la boîte, cingle Hadj Khelil, le fondateur de la marque. J’ai l’impression que l’on fait passer le bien-être animal avant celui des humains, mais que comme cela ne touche que des musulmans, ce n’est pas grave. » Chez AVS, c’est le même sentiment. « Cette décision est une injustice, explique Fouad Imarraine. Pourquoi pointer du doigt l’abattage? C’est l’activité industrielle qui devrait être incompatible avec le bio. Elle entraîne de la souffrance animale, pas le halal. » Pour lui, ce n’est ni plus ni moins qu’une « stigmatisation supplémentaire ». Chez Les Jumeaux, aussi, on trouve que cette décision « n’est pas une bonne idée ». « On fait un travail de fond, on choisit nos éleveurs, nos abattoirs, nos sacrificateurs, on

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va vérifier, on discute… J’ai une responsabilité vis-à-vis des clients. Il faudrait qu’on puisse travailler et qu’on respecte nos croyances », explique Slim Loumi. Il est néanmoins catégorique: la décision de justice n’aura aucun impact sur leur chiffre d’affaires. « On va

perdre le label AB, mais la qualité va rester la même. Nos clients, cela ne les gêne pas, ils continueront à nous faire confiance », affirme-t-il. Et si les musulmans se rassemblaient pour créer leur propre label bio? C’est en tout cas l’idée défendue par Fateh

Kimouche. Si Hadj Khelil approuve le concept, il met en garde: « On va devoir faire un nouveau label pour remplacer la certification “AB”, mais ce sera une défaite républicaine. Tout le monde devrait pouvoir manger bio, même les musulmans. »

BIONOOR, LE PRÉCURSEUR

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les organismes de certification dans un pays qui sort tout juste des années noires de la guerre civile… S’il finit par décrocher son labelAB, il n’est pas au bout de ses peines. La première année, Bionoor enchaîne les catastrophes. Une partie de la récolte est détruite à cause d’un emballage défectueux. Depuis, ses dattes sont vendues à Monoprix, au Bon Marché, mais aussi à Carrefour ou à Leader Price. Il commence à réfléchir à la question du bio halal en 2009. Mais la démarche n’est pas bien perçue par

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tout le monde. « Avec nos dattes, on était les bons élèves du bio, mais dès qu’on s’est intéressés au halal on a été vus comme des collaborateurs nazis! » raconte-t-il avec amertume. Lui défend le halal bio comme un « devoir ». « Ne pas manger bio, c’est prendre un énorme risque. Donner de la viande halal et bio aux musulmans, c’était un devoir républicain », insiste-t-il. Après un an et demi de bataille avec les avocats d’Ecocert, le label de certification AB en France,

les premières viandes bio et halal sont commercialisées en octobre 2012. Bionoor est alors précurseur. Si le business commence très doucement, sept ans plus tard il contribue à 75 % au chiffre d’affaires de Bionoor. La décision de justice de la cour d’appel de Versailles d’interdire à la viande halal le label bio arrive comme un coup de massue sur l’entreprise Bionoor. Hadj Khelil est catégorique: « Ils nous ont assassinés, c’est clairement la fin du bio halal. »

A.A.

Hadj Khelil sur un site de production de dattes fraîches biologiques, en Algérie, dans le désert du Sahara.

RAPHAEL DEMARET/REA

« On a quand même introduit l’agriculture biologique en Algérie! » Hadj Khelil, le fondateur de Bionoor, n’est pas peu fier du chemin parcouru. Issu d’une « vieille famille saharienne », le jeune cadre dynamique français « bon en maths, qui bosse quinze heures par jour » vit une crise existentielle à 27 ans et décide de plaquer son boulot prestigieux de la City, à Londres, pour venir « planter des arbres dans le désert ». « J’ai ressenti le besoin de rentrer au bled, à Ouargla, en Algérie, d’où est originaire ma famille », et où il y a depuis toujours une petite exploitation de dattes. « J’ai décidé d’appliquer au business de mes parents et de mes grands-parents ce que j’ai appris en école de commerce. Et de passer l’exploitation en bio », se souvient-il. Les débuts ne sont pas très convaincants. Il se remémore avec horreur ses premiers temps sur l’exploitation, en short et chemisette, un peu touriste, pas très crédible… Pas grand monde d’ailleurs ne croit à son idée. « En 2002, le bio, c’est encore une histoire de fumeurs de pétards! » glisse-t-il, gouailleur. Pas facile non plus de faire venir


COMMUNIQUÉ

Turban B-B Le Turban Bio-Bénin

LE STYLE ETHNO-CHIC SÉDUIT LE MONDE DE LA MODE Résultat d’un véritable partenariat public-privé entre une institution étatique, le secteur artisanal traditionnel béninois et des acteurs du secteur de la mode en Italie, le Turban Bio-Bénin (Turban B-B) offre un produit glamour qui s’inscrit dans une logique de développement durable. Il a été très bien accueilli en Italie.

Le Turban B-B répond à 6 des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies. Il s’agit en effet des éléments suivants :

ODD1 : Éradiquer la pauvreté ODD3 : Santé et bien-être

des populations

ODD4 : Égalité entre les genres

ODD8 : Travail décent et croissance économique ODD10 : Réduction des inégalités ODD12 : Consommation et production responsable

Le Turban B-B transforme l’accessoire traditionnel féminin africain en un objet glamour, un véritable bijou : un bel exemple de valorisation d’une technique ancestrale.

UN ACCUEIL FAVORABLE

L’itinéraire du Turban B-B est fait d’escales, comme celles d’un voyage.

TROIS DIMENSIONS ORIGINALES

Ce produit est fabriqué par des femmes artisanes béninoises qui s’appuient sur un savoir-faire traditionnel et une longue expérience. Créé à l’initiative de S.E Evelyne Togbe-Olory, Ambassadeur du Bénin en Italie, le projet Turban B-B offre une triple dimension :

Le 22 février 2019, à la Fashion Week Milan : La Styliste, sur invitation de la Chambre Nationale de la Mode Italienne, a présenté sa collection Automne-Hiver 2020-2021 en y insérant le Turban B-B, lui conférant ainsi les lettres de noblesse d’accessoire de mode.

Historique

Le 10 avril 2019, le Turban B-B a été exposé au Salon du Meuble, un évènement exceptionnel dans le cadre du FuoriSalone de Milan.

Écologique

Arrivé à Rome, le 4 juillet 2019, lors d’un apéritif sponsorisé dans les jardins de l’hôtel 5 étoiles Aldrovandi, le Turban B-B a pris ses quartiers d’été pendant tout le mois de juillet 2019, dans l’élégance sobre des vitrines du hall de cet établissement.

C’est un lien direct avec le passé de ce pays : le douloureux chapitre de la déportation d’un si grand nombre de dahoméens-béninois en esclavage. Cet ancrage donne aujourd’hui au Turban B-B la force de la rédemption. Laura Strambi, la styliste-designer italienne spécialisée dans la mode de luxe écologique, apporte une contribution originale. Outre ses fibres de coton biologique, ce turban fait « 100 % main » et « 100 % par des femmes », répond à 6 des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies.

Sociale

Le Turban B-B orné de cristaux Swarovski 100% Bio car exempts de carbonne,apporteunéclatexceptionelautravaildebasedecesfemmesartisanes béninoises;l’accordsignéle30juillet2019,concrétiseunepromotionduB-B parLauraStrambiencollaborationavecleTeam-ItaliaduJoaillerSwarovski.

AMBASSADE DU BÉNIN EN ITALIE

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Enfin, grâce à l’accord spécial passé entre Swarovski.it et la Designer Laura Strambi, la designer a réalisé un Turban B-B en exclusivité pour Swarovski, brodé de précieux cristaux, endossé en septembre 2019 par l’égérie italienne de la marque, qui a ainsi de nouveau porté le rôle de témoin de cette initiative durant la Fashion Week Milan de septembre. La presse italienne a salué l’arrivée du Turban B-B. Pas moins de onze articles ont été publiés à ce jour dans des médias et sites de référence, tels que Vogue.it, MarieClaire.it, Africa&Affari, ou encore le Corriere della Sera qui n’a pas hésité à qualifier le B-B d’« emblème du style Ethno-Chic ».

Pour commander votre Turban B-B, orné de motifs personalisés en broderies de cristaux Swarovski, écrivez-nous sur : info@BBleturbanbio.com

JAMG - PHOTOS : D.R.

TURBAN B-B personalisé, brodé d’un luxueux motif de cheval en cristaux Swarovski

La première a eu lieu le 6 février 2019 : Un press day organisé dans l’atelier de la Styliste Strambi, en présence de la presse de la mode. Le décor fût agrémenté d’une exposition de photos-portraits réalisés par le photographe Mimmi Moretti, à 8 femmes issues du monde de la finance, de la musique et de la mode, qui ont endossé le Turban B-B, servant ainsi de témoins du lancement de cette initiative.


Tourisme VOYAGE

Inside Jérusalem-Est

Deux Palestiniennes proposent avec Wujood, un guide touristique, une immersion dans le secteur arabe de la ville sainte, peu fréquenté par les visiteurs étrangers. JULES CRÉTOIS

I

ls sont environ trois millions de touristes par an à se presser dans les rues de la ville trois fois sainte de Jérusalem, Al-Qods, en arabe. Des températures agréables et un bel ensoleillement permettent de découvrir la cité dans de bonnes conditions tout au long de l’année, malgré des mois de janvier et de février plus frais. Ici, un large pan de l’offre touristique est à la fois culturel et religieux: le Mur des lamentations, le Saint-Sépulcre, la via Dolorosa ou la mosquée al-Aqsa sont parmi les sites les plus visités. Côté israélien, les autorités touristiques peaufinent l’offre: un marathon en mars, un festival d’opéra durant l’été… Le but: accueillir six millions de visiteurs à l’horizon 2020. Jérusalem est aussi une ville divisée, revendiquée comme capitale de l’État palestinien par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Le foncier et le patrimoine sont au cœur des aspects locaux du conflit et de l’occupation. En juillet, c’est par exemple la vente de biens fonciers de l’Église grecque orthodoxe à une organisation ultranationaliste juive dans la Vieille Ville arabe qui a suscité des manifestations. Selon Amany Khalifa et Fayrouz Sharqawi, militantes palestiniennes au sein de l’association Grassroots Jerusalem, seuls 20 % des touristes qui mettent le pied à Jérusalem s’aventurent du côté est de la ville. Toutes deux ont récemment réédité

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Wujood (« existence », en arabe), un guide imprimé une première fois en 2014 permettant de découvrir une autre facette de la ville. Wujood aide à circuler avec aisance à l’est de la « ligne verte », démarcation résultant de plusieurs conflits et accords d’armistice.

Ton militant

Musée d’art contemporain, vieux quartier marocain, mont des Oliviers… Le secteur est de la ville est tout sauf éteint. Wujood indique les axes les plus animés du Jérusalem palestinien, comme les rues Al-Zahra et Salah-al-Din. En un quart d’heure à pied, le voyageur peut boire un café au Nordic dans une ambiance branchouille et interlope, avant de se décider pour un crochet par la galerie d’art Al Hoash ou le Yabous Cultural Centre, dans la même rue, ou encore pour aller prendre un verre au View, rooftop un brin

Wujood, d’Amany Khalifa et Fayrouz Sharqawi, en anglais, 220 pages, 15 euros, en ligne sur grassrootsalquds.net

bling-bling mais très vivant au-dessus de l’hôtel Holy Land. Côté restauration, le Sarwa Kitchen est une bonne option pour un repas palestinien et contemporain – végan ou non – et Jaffar Sweets est devenu un place to go pour ses sucreries traditionnelles. Le ton du guide, certes, est militant de bout en bout: les conseils shopping s’accompagnent de rappels sur les lourdes taxes imposées par les autorités israéliennes aux commerçants arabes. Surtout, Wujood met en évidence que la planification urbaine et l’industrie touristique accompagnent la logique d’occupation. Ainsi, les auteures rappellent que Bab Al-Amud, ou porte de Damas, l’une des plus fameuses portes de la Vieille Ville, où l’on retrouve notamment le Mur des lamentations, l’esplanade des Mosquées et l’église du Saint-Sépulcre, est rebaptisé par les plus jeunes « porte des Martyrs », à cause des morts palestiniens. En 2014, des manifestations ont eu lieu après que les autorités israéliennes ont interdit l’accès de la zone aux fidèles musulmans de moins de 50 ans. À en croire les rédactrices, « même si la porte de Damas, située dans Jérusalem-Est, est l’entrée principale de la Vieille Ville », tout un jeu urbanistique fait de petits trains, de circuits touristiques et de malls font de la porte de Jaffa, plus proche du centre-ville israélien, l’entrée naturelle de la Vieille Ville, « comme pour nourrir le récit sioniste ». La porte de Damas, elle, « ressemble malheureusement à un avant-poste militaire »…


Entretien avec Lamia Bousnina Ben Ayed

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nthousiaste et intarissable, Lamia Bousnina Ben Ayed rayonne à travers ses expositions vibrantes ode à l’amour qui illuminent les cimaises de sa galerie Musk and Amber. Conçu comme un cocon, cet espace au cœur du quartier d’affaires des Berges du lac à Tunis est une boîte de résonance où les expressions artistiques s’interpellent. Au fil d’une discussion, sa fondatrice dévoile, derrière ce projet créé en 2014, tout un itinéraire, celui d’une passion à fleur de peau. On connait les artistes que vous présentez mais qui est Lamia Bousnina Ben Ayed ? En suivant mes parents diplomates sur leurs différentes affectations, j’ai évolué dans un univers cosmopolite et une culture d’ouverture, d’échanges et de partages. Ces rencontres et ses amitiés jusqu’à aujourd’hui, fondent mon attrait pour l’autre et le voyage. Elles m’ont fait découvrir ce que signifiait être ancré dans une civilisation et sa pérennité à travers l’art malgré toutes les vicissitudes. Après des études de droit et de relations internationales à Paris, ma quête de l’humain m’a portée d’abord vers l’instance onusienne du Haut Comité des Réfugiés (HCR) puis l’enseignement, j’ai ensuite souhaité conjuguer mon intérêt pour le design et une culture plurielle et tolérante.

Sur quoi fondez-vous votre démarche ? Elle est de l’ordre de l’instinct et s’est imposée en prenant un peu au dépourvu mon entourage. Lancer un projet artistique atypique dans un pays qui venait de faire une révolution semblait utopique. Je rêvais d’un lieu d’expérience et de mise en valeur artistique, de faire se croiser les créateurs sans être dans

une ligne de concept store. C’est ainsi que Musk and Amber a vu le jour.

Quelle a été votre plus grande émotion artistique ? L’émotion est permanente. Je n’oublierai jamais cette amie libanaise qui a instantanément réagi à l’idée, qui semblait décalée, de décliner les slogans de la révolution tunisienne sur des sacs. Les voyages et les rencontres me touchent. Accompagner un artiste est une double satisfaction ; celle d’avoir eu le bon flair, d’être sans à-priori et l’émerveillement de l’artiste lui-même ainsi que celui de son public. Spontanément,

Musk and Amber saisit ce qui est dans l’air du temps, s’approprie d’un environnement et restitue le beau d’une production humaine. Heureusement que mes élans sont tempérés par mon équipe.

La conjoncture n’est elle pas difficile ? Elle est un frein mais elle positionne ce qu’est la culture ; c’est un combat de vie qui nous

élève. Pour notre paix intérieure et nous pacifier, nous avons tant besoin de la beauté et d’apprendre. Le monde est si magique ; quand le cœur est là, toutes les portes sont ouvertes.

Angle, Rue Lac Malaren 1053 Les Berges du Lac, Tunis - Tunisie - Tél. : (+216) 71861355 - Contact@muskandambergallery.com

www.muskandambergallery.com

JAMG - PHOTOS : D.R.

MESSAG GE

fondatrice de la galerie Musk and Amber


Mode

Sans étiquette Établi à GrandBassam, Zak Koné, jeune styliste à la tête de la griffe Pelebe, défend une approche moderne et ultra-chic de la mode, tout en s’inspirant de codes vestimentaires traditionnels. KATIA DANSOKO TOURÉ

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ISSAM ZEJLY POUR JA

N

e parlez pas de mode « africaine » à Zak Koné. Cet Ivoirien de 30 ans, né à Man, d’un père pharmacien et d’une mère femme au foyer, trouve que cette dénomination est l’antithèse de ce que devrait être la mode. « Il faut que meure la mode africaine pour que naisse une industrie de la mode en Afrique », affirme-t-il, avec force conviction, tout en invitant à faire un tour de son atelier de Bassam, installé au rez-de-chaussée de sa maison de 400 m². Depuis 2014, année de naissance de sa griffe, Pelebe (son deuxième prénom, qui signifie « fusion des frères », en sénoufo, sa langue maternelle), Zak Koné a su se faire un nom grâce à des collections jouant subtilement sur l’alliance entre inspirations traditionnelles et ancrage dans le contemporain. Le tout avec deux mots d’ordre : chic et élégance. « Je n’habille pas des

« Je n’habille pas des générations, mais des femmes élégantes. »

générations, mais des femmes naturellement élégantes », déclare celui qui affirme ne pas être porté sur l’extravagance. Pourtant, certaines de ses robes du soir, pour lesquelles il utilise sa matière de prédilection qu’est le voile de coton, inspirées par la toilette

jeuneafrique no 3064 du 29 septembre au 5 octobre 2019

d’une certaine Scarlett O’Hara, ne passent pas inaperçues de par leur majesté. Des créations, entre autres tenues de cocktails, aux prix compris entre 200 000 et 500 000 F CFA (entre 300 et 800 euros). Sa clientèle, essentiellement ivoirienne, provient aussi des


pays francophones de la sous-région, d’Afrique centrale et, depuis peu, d’Afrique du Nord. L’une de ses dernières collections présentées lors de l’édition 2018 du Festival international de la mode en Afrique (Fima) mettait en avant des silhouettes très féminines en blanc et noir agrémentées de pièces dorées et autres bijoux pour un résultat éblouissant. Le nom de cette collection : « Makeda devient Aya ». Makeda, appellation éthiopienne de la reine de Saba, « l’une des premières femmes africaines connues dans le monde entier pour sa beauté et son courage » et Aya, pour son mentor, Aya Konan – accessoiriste, décoratrice et créatrice de bijoux inspirés des traditions Akan –, dont la marque s’intitule justement Makeda. C’est auprès de cette dernière, mère de l’un de ses amis, que Zak Koné apprend la couture alors qu’il est censé poursuivre à l’université ses études en marketing et communication, au sortir du lycée professionnel. « J’avais à peine 20 ans. Je considère vraiment Aya Konan comme la Makeda des temps modernes. Avec elle, j’ai appris la mode grâce à l’art de la décoration et du beau. »

Identité sans folklore

Et d’ajouter : « En Afrique, grâce à nos traditions, on peut être tendance et glamour. C’est ce qu’elle m’inspire. » On y revient. Cultiver son identité africaine, dire l’Afrique à travers le vêtement, sans pour autant se tourner vers le folklore. « Je ne comprends pas bien pourquoi les créateurs africains devraient revendiquer leur africanité dès qu’ils créent une collection. Parler

de mode africaine revêt une vision caricaturale de ce qu’est la mode chez nous, aujourd’hui. Nous ne faisons plus de vêtements pour habiller seulement notre continent et cela depuis des décennies. Cette mode dite “africaine” rime avec “ethnique” et je n’ai pas l’impression de voir des choses ethniques sur les podiums d’une Lagos Fashion Week. » Ses dernières pièces, incluses dans sa collection 2019-2020, sont à l’image de ce vibrant plaidoyer. À partir de Lycra italien, de mousseline de crêpe, de soie imprimée ou de velours de coton, il s’inspire de plusieurs codes vestimentaires traditionnels ivoiriens pour des créations résolument modernes. Comme le cache-sexe, appelé abaklon dans certaines régions de la Côte d’Ivoire, pour des combinaisons de type sarouel. Il s’inspire également des tenues des ménagères et des commerçantes anangos. Ce, avec des ensembles dont les tops, ou chemises-foulards, peuvent être agrémentés d’un col Claudine. Sans oublier des jupes s’attachant comme un pagne sur le devant ou sur le côté. « In fine, on peut porter ces tenues en toutes occasions, pour un simple déjeuner, un cocktail ou même une soirée », précise le styliste, qui estime que la femme Pelebe doit être fabuleuse sans trop en faire. En 2018, il collabore avec Vlisco pour la confection

INCONTOURNABLE Depuis la naissance de Pelebe, Zak Koné a créé six collections. « Je préfère parler d’intentions de collections parce que nous, jeunes créateurs, n’avons pas encore la possibilité de produire en masse. » Avec ses dernières pièces, il entend donner une certaine direction à la mode et créer des tenues incontournables pour la garde-robe des femmes africaines. Chez lui, les prix vont de 75 000 à 150 000 F CFA (de 115 à 230 euros) pour le prêt-à-porter ou de 25 000 à 75 000 F CFA pour ses basiques (comme ses chasubles unisexes ou ses robes-chemises en soie imprimée). Ses créations sont actuellement disponibles à Abidjan : à Cocody, au sein du Comptoir des artisans mais aussi dans la Zone 4, à Prestige Shoes. Prochain défilé : le Moreno’s Fashion Show, en Côte d’Ivoire, prévu en décembre. K.D.T.

« Je ne comprends pas bien pourquoi les créateurs africains devraient revendiquer leur africanité dès qu’ils créent une collection. »

de plusieurs robes du soir dont lui seul a le secret: du grandiose, sans trop de fioritures toutefois. « Depuis que j’ai lancé ma marque, j’investis sur fonds propres. Le sur-mesure me permet de financer le prêt-à-porter. Sans organisation et discipline, je ne pourrai pas m’en sortir. » Il y a un an, il a d’ailleurs quitté, avec deux modélistes et une petite main pour les finitions, son atelier d’Abidjan – où il employait sept personnes – pour trouver un plus grand espace à Bassam, à moindre coût. « Sortir de la ville m’a permis de me laisser porter par mes inspirations sans contrainte de temps, affirme le jeune homme. Aujourd’hui, je peux dire que la seule différence entre les créateurs de mode occidentaux et moi, c’est que mon travail est fait en Afrique. Ici, nous avons nos codes vestimentaires et culturels, mais le continent est influencé par l’Europe, les États-Unis et même l’Asie. Le monde change, et l’Afrique avec. Nos codes feront les tendances de demain. »

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