JA 3100 MAI 2021 MIX ENERGETIQUE EN AFRIQUE

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NO 3100 – MAI 2021

MALI

Ce qu’il faut attendre de la transition

ÉGYPTE-ÉTHIOPIE

Le barrage de la discorde

CAMEROUN

NOUVELLE FORMULE ENRICHIE

L’énigme Franck Biya

DOSSIER FINANCE & ASSURANCE

CÔTE D’IVOIRE

QUE VA FAIRE

GBAGBO ?

Acquitté par la CPI, l’ex-chef de l’État prépare son retour au pays, sous le regard vigilant du président Ouattara. Dans quel état d’esprit est-il, et, surtout, quel rôle jouera-t-il ?

Algérie 420 DA • Allemagne 9 € • Belgique 9 € Canada /A 12,99 $CAN • Espagne 9 € • France 7,90 € Grèce 9 € • DOM 9 € • Italie 9 € • Maroc 50 MAD Pays-Bas 9,20 € • Portugal continental 9 € • RD Congo 10 USD Suisse 15 CHF • Tunisie 8 TND • TOM 1 000 XPF Zone CFA 4800 F CFA • ISSN 1950-1285

SPÉCIAL 12 PAGES


Focus Énergie EMPREINTE CARBONE

Transition complexe pour les majors pétrolières Sur le continent, pour limiter leurs émissions de CO2, les géants de l’or noir Total, Eni, BP et Shell ont mis l’accent sur le développement gazier. Mais leurs projets dans le renouvelable et la compensation carbone restent encore modestes. PIERRE-OLIVIER ROUAUD

B

onne nouvelle pour les écologistes, mauvaise pour les pays pétroliers africains qui bénéficient de la manne fiscale et des emplois de l’or noir. Sous pression de l’opinion publique et des régulateurs occidentaux, mais aussi de leurs actionnaires et partenaires financiers, les majors du secteur, surtout européennes – Shell, BP, Total et Eni en premier lieu – ont entamé une mue sans précédent : leur déclin volontaire dans l’extraction de pétrole brut au profit d’énergies plus « vertes ». Le PDG de Shell, Ben van Beurden, vient de l’affirmer : la production de pétrole du groupe néerlando-britannique a atteint son pic en 2019 et décline désormais de 1 % à 2 % par an. Leur but affiché, appuyé par l’Union européenne et le RoyaumeUni, est celui de la « neutralité carbone » à l’horizon 2050. Sans avoir à ce stade d’obligations légales, les majors européennes ont décliné cette cible sur l’ensemble de leurs activités, y compris en y intégrant l’usage final des carburants qu’ils vendent (scope 3), facteur de très loin le plus important en émission carbone. À titre

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d’exemple, les émissions directes de Total se chiffrent à environ 45 millions de tonnes d’équivalent CO2 mais celles liées à la carburation des véhicules sont estimées par le groupe français à 450 millions de tonnes.

Améliorer l’accès à l’énergie

Dans la valse mondiale des émissions de CO2, le continent est pourtant spectateur plus qu’acteur. Il génère 9 % de la production mondiale de pétrole liquide (huiles) – soit 7,2 millions de barils par jour – et 6 % de celle de gaz naturel. Mais il reste un modeste émetteur de gaz à effet de serre : avec 17 % de la population planétaire, l’Afrique ne compte que pour 3 % dans les émissions. Et la moitié de sa production d’or noir est exportée. De fait, en matière d’énergie, pour

Avec 17 % de la population planétaire, l’Afrique ne compte que pour 3 % dans les émissions de gaz à effet de serre.

l’Afrique la priorité des gouvernants est d’abord et avant tout celle de l’amélioration de l’accès à l’énergie : 600 millions de personnes y restent dépourvues d’accès à l’électricité, et le recours massif à la biomasse (charbon de bois) a des effets délétères sur la santé ou l’environnement. Mais cette transition énergétique des majors s’impose, malgré tout, aux États africains. L’enjeu pour eux ne tient pas aux gisements déjà exploités car ceux-là trouveront toujours des investisseurs, quand bien même ils ne seraient plus menés par des majors : au Nigeria, Shell, Total et Eni viennent de céder pour 1,1 milliard de dollars 45 % du champ offshore OML 17 au milliardaire Tony Elumelu. Le risque est celui du ralentissement des développements. Jonathan Evans, directeur des nouveaux projets africains de BP, a ainsi affirmé à la fin de 2020, lors de l’Africa Oil Week, que, du fait de la contrainte carbone, BP lancera désormais très peu de projets d’extraction d’huiles sur le continent Ce mouvement s’affirme d’autant plus que les partenaires financiers occidentaux des majors sont désormais plus réticents à investir dans les


GAMMA-RAPHO VIA GETTY IMAGES

L’entrée en production rapide, en décembre 2017, deux ans après sa découverte, du mégagisement égyptien de gaz de Zohr illustre la volonté de la major italienne d’augmenter la part de cette énergie fossile - présentée comme « verte » - dans sa production africaine.

grands projets extractifs. Barclays et Crédit Suisse viennent ainsi d’annoncer qu’ils s’abstiendraient de financer en Ouganda et en Tanzanie l’oléoduc EACOP, qui doit permettre l’exploitation des champs du lac Albert par le français Total et le chinois Cnooc. « Les agences de développement et même les bailleurs de fonds multilatéraux sont de plus en plus hésitants à financer des projets dans les énergies fossiles, même le dans le gaz », explique Stéphane His, consultant senior au cabinet d’études français Enerdata. Une politique qui n’est pas du goût de tous. L’avocat camerounais NJ Ayuk, président de l’African Energy Chamber, dénonce la « diabolisation » du secteur et l’attitude « anti-africaine » des gouvernements ou des environnementalistes occidentaux comme Greenpeace. Comme, par exemple, la décision de l’assureur public britannique UKef de ne plus soutenir les projets gaz au Mozambique. Dans ce contexte, comment les majors européennes mettent-elles en musique la réduction de leur empreinte carbone en Afrique ? Outre « l’efficacité opérationnelle »

(réduction des fuites de méthane sur les puits ou fin du torchage, optimisation du forage de puits, réduction de l’empreinte au sol), leur plan tient en trois points : le gaz, les renouvelables, et les projets de compensation carbone basés sur la nature

Une option contestée

En Afrique, si les majors lèvent le pied dans l’huile, elles appuient à fond sur le gaz. Par dizaine de milliards de dollars. « Sur le plan mondial, le basculement des majors est en marche. La plupart tirent souvent déjà la moitié de leurs revenus du gaz », indique Stéphane His. La justification est connue : le gaz, s’il se substitue au charbon (37 % de l’électricité mondiale en 2019) pour produire des électrons, réduit les émissions de CO2 de moitié. C’est « l’énergie de transition », vantée par Patrick Pouyanné, patron de Total. Une vision fortement contestée par les ONG environnementalistes qui rappellent que la production de gaz reste polluante et émettrice de CO2… et qu’il n’est pas une énergie renouvelable. Sur le continent, à côté des pays établis dans la filière gazière

comme l’Algérie, les majors se sont implantées dans de nouveaux pays de production où des découvertes majeures ont été faites. En Égypte, Eni, avec son champ géant Zohr, a changé la donne énergétique du pays. Le Mozambique compte pour sa part trois méga­projets totalisant plus de 55 milliards de dollars d’investissements prévus. Les deux plus importants sont Mozambique LNG, porté par Total, qui a déjà validé sa décision finale d’investissement – en dépit d’une situation géopolitique risquée sur le plan local – ; et Rovuma LNG, piloté par Eni avec le soutien d’ExxonMobil, toujours en attente du feu vert final. En Afrique de l’Ouest, Shell (25 % des parts) et Total (15 %) conduisent au Nigeria, avec le groupe semi-­ public NLNG, 4 milliards de dollars d’investissement dans un septième train de liquéfaction sur Bonny Island. Au Sénégal et en Mauritanie, le gisement offshore Grand Tortue Ahmeyim (GTA), porté par BP, associé au découvreur Kosmos, devrait produire ses premiers pieds cubes de gaz en 2023 et bouleverser l’économie de ces pays. Enfin, en Angola, JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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FOCUS ÉNERGIE Chevron Eni (opérateur), Total et BP, avec Sonangol conduisent un projet de gaz naturel liquéfié (GNL) intégré à Soyo et cumulant 12 milliards de dollars. Si l’équation gazière repose surtout sur l’exportation de GNL vers les pays développés ou les grands pays émergents (comme la Chine, par exemple), elle se combine aussi avec des projets d’électrification locale (« gas-topower »). C’est le cas au Mozambique ou encore au Sénégal, avec le projet GTA, qui doit alimenter plusieurs centrales électriques. Au Ghana, Shell vient de son côté d’investir dans le terminal Tema LNG, qui, ces prochaines semaines, va faire de ce pays le tout premier au sud du Sahara à importer de GNL. Total compte faire de même en Côte d’Ivoire et au Bénin. En Angola, le futur terminal de Soyo alimentera une centrale électrique de 750 MW. Le second levier pour les majors, ce sont les énergies renouvelables, principalement le solaire et l’éolien. Dans le monde, Total prévoit d’y investir 60 milliards de dollars d’ici à dix ans et vise 100 GW de capacité. C’est l’équivalent de 322 parcs éoliens du lac Turkana, au Kenya, pourtant le plus grand d’Afrique, qui doit être à pleine capacité en 2030. BP cible 30 GW à même échéance. Shell a, quant à lui, promis d’engager entre 2 et 3 milliards de dollars par an sur le plan mondial.

Un puits de carbone au Congo pour Total

L

d’essences locales et l’approvisionnement de Brazzaville et de Kinshasa en bois scié et contreplaqué.

Des partenaires reconnus

Selon le patron Afrique subsaharienne de Total E&P, Nicolas Terraz, il s’agit du premier projet du genre sur le continent pour le groupe français qui vise la neutralité carbone à l’horizon 2050. Ses performances écologiques seront certifiées par des auditeurs indépendants sous les standards VCS (Verified Carbon Standard) et CCB (Climate Community and Biodiversity). « Nous souhaitons développer ces projets aux côtés de partenaires reconnus, comme FRM, dont nous avons beaucoup à apprendre, et en dialogue avec les territoires, afin d’ancrer notre engagement dans le temps long et de contribuer au développement local », a fait valoir Adrien Henry, directeur de la branche Nature Based Solutions chez Total, à l’annonce du lancement du projet, le 16 mars 2021. Christophe Le Bec

Mauvaise volonté ?

DESIREY MINKOH/AFP

e pétrolier Total et le bureau d’études spécialisé français Forêt Ressources Management, piloté par Bernard Cassagne, ont signé avec le Congo Brazzaville un partenariat pour la plantation d’une nouvelle forêt de 40 000 hectares sur les plateaux Batéké. Elle doit constituer un puits de carbone d’environ 13 millions de tonnes de CO2 séquestrées sur vingt ans. La plantation d’acacias sur ces plateaux sableux situés à quelque 200 km au nord de la capitale du pays, à proximité de la rivière Léfini et du fleuve Congo, devrait créer un environnement forestier plus résistant aux feux de brousse et accroître la biodiversité. L’opération, financée intégralement par Total – autour de 230 millions de dollars sur la durée du projet –, inclut des cultures agroforestières développées avec les populations locales pour des productions agricoles et de bois énergie durable. À l’horizon 2040, l’exploitation responsable, en futaie jardinée, doit permettre la régénération naturelle

La plantation sur les plateaux Batéké permettrait de séquestrer 13 millions de tonnes de CO2.

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Mais, pour l’instant, contrairement au gaz, l’investissement des majors dans le renouvelable sur le continent reste cosmétique. Si Eni promet des projets solaires en Égypte ou en Angola (Solenova, avec Sonangol), elle n’affiche à ce stade que des petites centrales photovoltaïques en Tunisie, en Algérie et en Angola pour moins de 40 MWc. Un peu plus allant, Total opère dans le solaire par différentes filiales dont Total Eren et la société américaine Sunpower qui a notamment porté la centrale sud-africaine Prieska (86 MWc). Après l’Ouganda, en 2016 (10 MWc à Soroti), Total Eren a, à la mi-2019, mis en service en Égypte, près d’Assouan, un parc photo­voltaïque de 126 MWc. Le groupe vient aussi de s’engager avec Greentech pour construire une


LAURENT ZYLBERMAN/GRAPHIX IMAGES/TOTAL

FOCUS ÉNERGIE

La centrale solaire de Prieska, de Total, en Afrique du Sud.

centrale solaire de 35 MWc en Angola. Il a également développé des projets à visée industrielle, comme pour la mine d’or d’Iamgold Essakane, au Burkina Faso (15 MWc). Shell est quant à lui quasiment absent de l’Afrique en tant que meneur de projets dans le renouvelable, tout comme BP, en dépit notamment de son association en 2018 en Égypte avec Hassan Allam Utilities. « Les grandes compagnies ont une approche mondiale du carbone et concentrent leurs efforts liés à la transition sur les pays développés et grand émergents. En raison de la structure

de ces économies et de leur mix énergétique, l’impact y est plus rapide et plus massif qu’en Afrique », constate Francis Perrin, chercheur associé au Policy Center for the New South, à Rabat, et directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques. Mauvaise volonté ou pas ? Plusieurs raisons connues à ce retard, dont la lenteur dans le montage des projets ou encore le déficit d’inter­connexions électriques. À cela s’ajoutent d’autres problèmes comme le risque cyclonique pour l’éolien en zone tropicale, l’absence, dans bien des pays, de

cadre législatif, ou encore l’ambiguïté des droits fonciers et coutumiers : le Kenya bute sur ce type de difficultés.

Rattraper les retards

Les pétroliers habitués au gigantisme sont mal outillés pour multiplier les petits projets, les microréseaux ou l’énergie solaire à la carte façon M-Kopa, un segment pourtant très dynamique. « Le futur de l’électrification en Afrique passe en partie par la production décentralisée renouvelable. Mais les majors restent encore peu présentes sur ce créneau », note Stéphane His.


FOCUS ÉNERGIE Pour accélérer, les compagnies cherchent des partenariats. Shell vient d’apporter, à travers sa fondation, 45 millions de dollars de dons à une initiative sur la micro-électrification en Afrique soutenue par l’agence américaine DFC. En 2019, le groupe avait, avec Sumitomo, pris 15 % dans Powergen, un développeur kényan de microréseaux. Total a, quant à lui, créé la société Tates, sur la problématique « d’accès à l’énergie », en développant des projets pilotes, notamment en Ouganda, et soutenant des start-up en Afrique de l’est.

degradation). Cette initiative des Nations unies s’appuie sur une méthodologie stricte et des certificateurs indépendants, comme l’américain Verra (VCS). Total a créé une filière – Nature based solutions – vouée à investir dans ces puits natu-

Shell vient d’apporter 45 millions de dollars de dons à une initiative sur la micro-électrification du continent.

Reforestation

Le troisième levier pour les majors tient aux solutions « à impact CO2 négatif » (puits de carbone) venant compenser les émissions résultant de leurs activités. En Afrique, leurs efforts se concentrent sur les projets forestiers, notamment dans le cadre REDD+ (reducing emissions from deforestation and forest

rels. Dotée de 100 millions de dollars par an depuis 2020, elle vise à capter, d’ici à 2030, 5 millions de tonnes de CO2 par an. L’entreprise vient de s’engager en ce sens au Congo (lire p. 176). Shell conduit ses plus gros projets en Asie (en Indonésie, notamment),

COMMUNIQUÉ

mais participe à des projets de reforestation au Ghana et au Kenya. Pour sa part, Eni s’est lancé, en Zambie, dans le soutien au projet REDD+, Luangwa Community Forest Project, qui vise à capter 1,5 million de tonnes de CO2. Le groupe promet d’autres partenariats au Mozambique, au Ghana, au Congo, en RD Congo ou en Angola ces prochaines années. La route vers la transition énergétique des majors européennes sera encore longue. Petite consolation pour leurs dirigeants, les géants américains Exxon et Chevron – moins présents que les Européens sur le continent et peu convaincus par les risques liés au changement climatique – ou les chinois Cnooc et Sinopec sont bien plus à la traîne. Quant aux compagnies nationales africaines, elles ne sont clairement pas dans cette optique de transition énergétique, leur but étant d’optimiser l’exploitation des ressources en hydrocarbures, dont elles détiennent une bonne part des réserves sur le continent.

Wärtsilä Energy marc.thiriet@wartsila.com

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Pas de transition énergétique en Afrique sans flexibilité Gérons efficacement l’intermittence des renouvelables Il n’est plus contestable que les énergies renouvelables constitueront la base de la production d’électricité dans le futur. Cette transition s’opère à travers l’Afrique et va s’accélérer avec la chute déjà constatée des prix du kilowatt-heure renouvelable. Cependant, les énergies renouvelables sont intermittentes et génèrent de l’instabilité sur les réseaux électriques, posant d’énormes

difficultés aux opérateurs. Pour parer à cela, les capacités de production non flexibles (typiquement les centrales au charbon), devront être remplacées par des moyens de production beaucoup plus flexibles. Nous devrons ainsi compter sur un mix de solutions de stockage d’énergie et de technologies à base de moteurs pour nous adapter aux excès ou déficits soudains de production re-

nouvelable et satisfaire les pics de demande. L’optimisation des mix énergétiques est LA priorité Encore plus aujourd’hui qu’avant, le prix de production d’un kWh n’est optimisé qu’en combinant les différentes technologies pour les meilleures performances, le moins de risques d’interruption, quelle que soit l’évolution de la consommation.

Introduire une forte part de flexibilité dans notre production électrique n’est pas une option.

Marc Thiriet Directeur Afrique de l’Ouest

C’est pourquoi introduire une forte part de flexibilité dans notre production électrique n’est pas une option si nous voulons faire la part belle au renouvelable : sans flexibilité, la révolution énergétique n’aura pas lieu.


FOCUS ÉNERGIE

STRATÉGIE

Dakar et Nouakchott cherchent le mix gagnant Les deux pays voisins, qui bénéficient à la fois de gigantesques réserves gazières et d’un fort potentiel solaire et éolien, élaborent des feuilles de route similaires pour accélérer l’électrification et en baisser le coût. ALAIN FAUJAS

A

vril 2015 : la junior texane Kosmos Energy annonce la découverte d’un gigantesque réservoir de gaz baptisé Grand Tortue Ahmeyim (GTA) à 125 km au large des côtes sénégalaises et m ­ auritaniennes. Pile sur la frontière maritime entre les deux pays, les obligeant à partager avec les exploitants BP et Kosmos les 425 milliards de mètres cubes de gaz et le pactole des ventes, estimé à une centaine de milliards de dollars sur plus de vingt ans. Les explorations suivantes font apparaître de nouveaux puits. Dans les eaux mauritaniennes, c’est le bloc de Bir Allah qui laisse espérer 50 % de gaz supplémentaire. Dans les eaux sénégalaises, le bassin gazier de Yakaar-Téranga s’avère lui aussi de taille mondiale. Cerise sur le gâteau, l’importance du champ mi-pétrolier mi-gazier de Sangomar est mise en évidence, cette fois par les australiens Woodside et FAR. Les retombées de l’exploitation de ces gisements provoqueront des révolutions dans les budgets, dans les ­économies et dans le développement des deux pays. Il leur faut se préparer

– à partir de 2023, en p ­ rincipe – à l’arrivée de recettes budgétaires accrues, d’une électricité plus abondante et moins chère, d’une énergie plus propre et de nouvelles possibilités d’activités manufacturières. En ce moment même, les deux gouvernements finalisent leurs stratégies ­énergétiques respectives pour tirer le meilleur de cette manne annoncée. Le Sénégal semble bien avancé dans sa réflexion. « Notre pays va bientôt entrer dans le cercle restreint des pays producteurs d’hydrocarbures », a annoncé Mamadou Fall Kane, secrétaire permanent adjoint du Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz (COS-Pétrogaz), lors d’un webinaire organisé le 7 avril par Business France. « Une partie sera monétisée par l’exportation et apportera des recettes qui seront utilisées pour financer les infrastructures, l’éducation, la santé dont notre pays a grand besoin. Le reste sera consacré à une approche de la demande intérieure. » Chaque jour viendront de GTA 35 millions de pieds cubes, ­complétés ensuite par la totalité de la production de Yakaar-Téranga, et seront consacrés au marché domestique. Objectif

numéro un : atteindre l’accès à l’électricité pour tous en 2025, alors que le pourcentage des personnes y ayant accès s’élève à 65 %. Pour ce faire, poursuit Mamadou Fall Kane, « il nous faut atteindre une puissance installée de 1 000 MW cette année-là, et notre entreprise publique d’électricité Senelec devra convertir au gaz ses centrales au fuel d’ici à 2023 ». Le 31 mars, la première pierre de la future centrale à gaz du Cap des Biches a été posée. Exploitée par le consortium West African Energy, dont la Senelec est actionnaire à 15 %, elle aura une capacité de 300 MW et coûtera 220 milliards de F CFA (335 millions d’euros). Elle sera livrée en juin 2022 et abaissera les coûts de production de 40 %. La raffinerie de Mbao, exploitée par la Société africaine de raffinage, sera mise à niveau par Technip pour pouvoir traiter de façon optimale le brut extrait du champ de Sangomar. Les ambitions sénégalaises dans le solaire et l’éolien sont également majeures, avec déjà une belle progression. En quelques années, les énergies renouvelables sont passées de 0 à 220 MW grâce à une dizaine de centrales photovoltaïques et à la centrale éolienne de Taïba Ndiaye, d’une puissance de 50 MW. L’objectif est d’atteindre 386 MW et 30 % de la production totale d’électricité.

Expansion et compétitivité

Le Sénégal n’entend pas s’arrêter là. « Avec un gaz moins cher grâce à une plus grande consommation, nous en aurons assez pour couvrir les besoins des investissements importants que nous espérons dans le domaine minier par exemple, déclare Mamadou Fall Kane. Cela devrait booster l’exploitation et la transformation des phosphates, de l’or, du fer, du zircon et de la bauxite de la sous-région. Par exemple, la Guinée expédie sa bauxite aux Émirats pour qu’elle y soit transformée. Nous pourrions devenir aussi compétitifs que les Émirats. » La Mauritanie suit le même chemin que son voisin, avec lequel elle partage à égalité le champ de GTA. L’arrivée, en 2023, du même quota de gaz (35 millions de pieds cubes) qu’au Sénégal accélère la réflexion JEUNE AFRIQUE – N° 3100 – MAI 2021

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BP

FOCUS ÉNERGIE

La future unité flottante Grand Tortue Ahmeyim, située sur la frontière maritime entre le Sénégal et la Mauritanie.

à Nouakchott, où l’on veut aboutir à l’accès à l’électricité pour tous en 2030, objectif qui sera difficile à atteindre compte tenu des grandes distances entre les centrales et les zones ­reculées, où le taux d’accès est à peine de 3 %. « La production de la première phase de GTA sera intégralement consacrée à la génération d’électricité à usage domestique, explique Moustapha Béchir, directeur des hydrocarbures au ministère du Pétrole, de l’Énergie et des Mines. Actuellement, nous disposons de la centrale hybride de Nouakchott d’une puissance de 180 millions de MW. Nous étudions deux options : relier GTA à celle-ci ou bien à une nouvelle centrale à cycle ­combiné de 250 millions de MW dans la région de Ndiago. » Une ligne à haute tension sera mise en service entre Nouakchott et Nouadhibou d’ici à la fin de l’année. La construction d’une autre ligne vers le centre minier de Zouérate devrait bientôt débuter. Une troisième vers Néma est en cours d’étude. « Nous avons un potentiel énorme en matière de solaire et d’éolien, poursuit Mamadou Fall Béchir. Mais le pourcentage de notre énergie renouvelable devra être déterminé en fonction de la stabilité de notre réseau.

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Notre vision est de nous appuyer au maximum sur le gaz afin de diminuer notre consommation de fuel dans la mesure du possible. Vers la fin de cette année, nous devrions arrêter notre plan directeur de l’électricité, ainsi que notre schéma d’exploitation. Nous déciderons alors si l’activité production de notre entreprise publique Somelec doit être séparée de son activité de distribution. » Les deux États n’ont donc pas fini de revoir de fond en comble leurs arsenaux juridiques, leurs codes gazier et électrique, leur organisation de production, de commercialisation et de distribution énergétique. « Pour le Sénégal, c’est un grand chamboulement, analyse Florent Germain, responsable de l’équipe Projets énergie à l’Agence française de développement (AFD) et spécialiste du pays. Il n’y aura pas de grands problèmes techniques à substituer le

« La Mauritanie mène une politique énergétique identique à celle du Sénégal : moins de fuel et plus de renouvelable. »

gaz au fuel. Ils tenteront de m ­ aintenir le mix à 30 % d’énergies ­renouvelables en faisant croître ces dernières au même rythme que le gaz. Cela leur permettra de répondre à la formidable croissance de la demande, à deux chiffres chaque année. Profitant de la baisse du prix de l’énergie, le gaz étant moins cher que le fioul, ils pourront réduire les subventions à la Senelec. »

Balance commerciale allégée

La problématique de la Mauritanie est comparable. « Elle mène une politique énergétique identique à celle du Sénégal : moins de fuel et plus de renouvelable, complète Mohamed Lemine, de la même équipe à l’AFD, qui ne participe pas au financement de ces projets. Une part de 70 % à 80 % de leur production électrique vient du fuel, soit un tiers des importations du pays. La balance commerciale s’en trouvera allégée. Le gaz contribuera aussi à diminuer la pression sur l’environnement en réduisant le recours au charbon de bois. » Reste le déficit de moyens financiers des deux pays. Ils commencent à peaufiner leurs réglementations sur le partenariat public-privé pour, notamment, séduire les investisseurs étrangers.


PERENCO,

MESSAGE

UNE STRATEGIE GAZIERE EN AFRIQUE Depuis plus de 20 ans Perenco est un acteur majeur de la production de gaz naturel qui constitue aujourd’hui un tiers de sa production totale. Le gaz de Perenco représente une contribution significative pour l’ensemble du continent africain. Il génère de l’électricité pour le développement des industries locales et soutient la production tout en fournissant à des millions de foyers une énergie plus fiable, plus propre pour cuisiner, se chauffer mais également comme carburant, à plus faibles émissions.

LEADER INTERNATIONAL DU PÉTROLE ET DU GAZ Perenco est présent dans 5 pays africains (Cameroun, Congo, Gabon, RDC et Tunisie), mais également en Europe, en Amérique Centrale et du Sud et en Asie du Sud-Est. Fondé en 1975 par Hubert Perrodo, Perenco s’est régulièrement développé grâce à ses opérations de forage, de développement et d’acquisitions. Spécialisé dans l’exploitation des champs matures et marginaux, Perenco produit aujourd’hui 465 000 boepd et emploie plus de 6000 personnes à travers le monde.

UNE CONTRIBUTION DURABLE Grâce à sa vision long terme, Perenco continue d’apporter une contribution positive et durable à ses pays partenaires, basée sur l’écoute de leurs besoins et ainsi faire partie de leur solution énergétique. Au Gabon, Perenco est le seul fournisseur de gaz commercial depuis 2006, produisant 50mmscfd qui assurent les besoins en gaz des centrales thermiques de Port-Gentil et de Libreville. En Tunisie, le Groupe génère plus de 30mmscfd pour produire de l’électricité et du Gaz Naturel Liquéfié (GNL). Au Cameroun, sa production de 30mmscfd produit 250MW à Kribi et permettra le développement industriel de la zone. Au Cameroun encore, Perenco a réalisé avec succès l’installation et la mise en production de la première usine de GNL flottante, ce qui eut un impact positif pour le pays avec la production de 30 000 tonnes de GPL réduisant ainsi ses importations de près de 40%. En RDC, 3MW sont fournis à la ville de Muanda grâce à un mélange de kWh et de gaz naturel. INVESTIR DANS LE FUTUR Perenco rend disponible une ressource naturelle locale, afin d’accompagner la croissance et le développement des pays au sein desquels il est implanté. Perenco travaille main dans la main avec toutes ces nations afin de les aider à équilibrer les besoins énergétiques nécessaires à leur développement économique avec leurs objectifs en matière de transition énergétique. Ainsi, le Groupe continue de travailler sur de nombreux projets innovants autour du gaz dans chacun des pays où il est présent, au travers de projets d’alimentation en gaz pour les centrales thermiques générant de l’électricité, de développement des industries locales, de production de gaz domestique et de conversion de voitures au Gaz Naturel Comprimé (GNC). Quand cela est possible ou nécessaire, ces projets sont complétés par la production de Gaz Naturel Liquéfié.


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