DÉCEMBRE 2021
GABON 2023, C’EST DÉJÀ DEMAIN
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NO 3107 – DÉCEMBRE 2021
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RD CONGO Tshisekedi compte ses forces MAROC-UE Le grand reset ?
Covid-19, crise économique, coups d’État… L’année qui s’achève n’incite guère à l’optimisme. Pourtant, de bonnes nouvelles émergent grâce à la détermination de quelques-uns, qui se battent pour une Afrique plus moderne, plus juste, innovante et fière d’elle-même. Portraits de ces pionniers qui, chacun dans son domaine, tirent le continent vers le haut.
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UNE AUTRE IDÉE DE L’AFRIQUE
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LES GAME CHANGERS
Ils sont courageux et déterminés. Et se battent pour une Afrique plus moderne, plus juste, innovante et fière d’elle-même. Portraits de ces pionniers qui, chacun dans son domaine, tirent le continent vers le haut.
FRANÇOIS SOUDAN
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ILLUSTRATIONS : STEPHANIE F. SCHOLZ/COLAGENE
D epuis qu’au début des années 2010 la Banque mondiale (BM) et la Banque africaine de développement (BAD) ont lancé le slogan « l’Afrique qui gagne », cette thématique a tôt fait de montrer ses limites. Vision borgne, qui implique qu’une autre partie de l’Afrique puisse être qualifiée de perdante, tout en englobant dans un même jugement de valeur 54 pays et presque autant de différences humaines, historiques et sociales, ce narratif n’était que la traduction sur le plan médiatique de la dichotomie à pile ou face entre l’afro-optimisme et l’afro-pessimisme, à la fois inepte et contre-productive. L’Afrique n’est ni un paradis ni un enfer, et les Africains n’ont que faire de ces analyses prédictives béates, qui sont
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au principe de réalité ce que l’effet placebo est à la médecine : des prophéties autoréalisatrices. Placer le dernier JA de 2021 sous le signe de « l’Afrique qui gagne » aurait été d’autant plus incongru que l’année qui s’achève n’incite guère à l’euphorie, c’est le moins que l’on puisse dire. Coups d’État militaires régressifs en Guinée, au Mali et au Soudan. Mort violente d’un président et succession hors normes constitutionnelles au Tchad. Extension du domaine du jihadisme au Sahel. Et surtout guerre civile dévastatrice en Éthiopie, siège de l’Union africaine (UA) et pays qualifié il y a peu encore de modèle de développement accéléré pour le continent. Si l’on ajoute à cela les prévisions du FMI pour 2022 – selon lesquelles la reprise de la croissance sera en Afrique plus modeste que dans le reste du monde – et les incertitudes liées à la pandémie de Covid-19, les rares réussites démocratiques de 2021 (Cap-Vert, Niger…) passent presque inaperçues. D’où le choix de consacrer notre enquête de ce mois à ce qui, dans le
fond, caractérise le mieux ce lieu géographique qu’est l’Afrique, à savoir la jeunesse, l’inventivité pionnière et le courage politique de celles et ceux qui y vivent tout en s’efforçant, chacun dans son secteur, de changer la donne. Celles et ceux qui savent qu’enraciner la démocratie, la bonne gouvernance et l’esprit de civisme est une tâche autrement plus difficile et plus importante que celle de les instaurer. Chaque fois, dans les portraits que vous allez lire, nous sommes partis d’un constat, le plus souvent problématique – corruption, justice, environnement, droits des femmes, armées, souveraineté numérique, échange inégal, Maghreb des peuples… –, pour mettre en valeur une ou des personnalités emblématiques du fait que ce qui a été mal fait peut et doit toujours être refait, en mieux. Lecture achevée, une conclusion s’impose : si l’Afrique reste le continent de beaucoup de crises – et notamment celles, cruciales, de l’électrification et de la démographie –, il n’y a pas en Afrique de crise des énergies.
SANTÉ
ENQUÊTE
D’un vaccin antipalu l’autre Dans le climat ambiant de vaccination tous azimuts contre le Covid-19, l’information est presque passée inaperçue. Et, pourtant, elle n’en demeure pas moins cruciale, voire historique. Le 6 octobre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé l’utilisation généralisée du vaccin antipaludique RTS,S/AS01 (RTS,S) dans toutes les régions du monde touchées par le paludisme, à commencer par l’Afrique. Depuis des décennies, le continent est en effet – et de loin – la première victime de cette maladie ravageuse. Sur les 409000 décès recensés à travers le monde par l’OMS en 2019, 385000 l’ont été en Afrique. Parmi les défunts, plus de 260000 enfants de moins de 5 ans. Des chiffres effarants, qui peinent à diminuer ces dernières années.
Un taux d’efficacité de 77 %
C’est dire si l’annonce d’une vaccination prochaine suscite un espoir dans de nombreux pays africains, en particulier ceux les plus touchés (Nigeria, RD Congo, Tanzanie, Burkina Faso, Mozambique, Niger…). Après la recommandation du vaccin RTS,S, développé par le géant pharmaceutique britannique GSK à travers un programme pilote toujours en cours au Ghana, au Kenya et au Malawi, un autre vaccin pourrait bientôt recevoir l’homologation de l’OMS : le R21. Ce dernier est le fruit d’une douzaine d’années de travail du professeur Halidou Tinto et de son équipe de l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) de
Le fruit d’une douzaine d’années de travail du professeur Halidou Tinto et de son équipe de l’IRSS de Nanoro, au nord-ouest de Ouagadougou. Nanoro, à 90 km au nord-ouest de Ouagadougou. Après avoir participé aux recherches sur le vaccin RTS,S entre 2009 et 2014, ce scientifique burkinabè a établi un partenariat avec l’université d’Oxford pour concevoir le vaccin R21, qu’il présente comme une « amélioration du RTS ». Durant la phase II du développement de ce nouveau vaccin, des essais ont été menés sur 450 enfants de 5 à 17 mois de Nanoro, département
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très affecté par le paludisme saisonnier. Leurs résultats, publiés à la fin d’avril dans la revue scientifique The Lancet, sont très satisfaisants. Ils montrent que chez les enfants ayant reçu trois doses sur une période de huit semaines et fait l’objet d’un rappel un an plus tard, le R21 a atteint un taux d’efficacité de 77 %. Soit un chiffre jamais obtenu par un autre vaccin, et supérieur au seuil de 75 % d’efficacité, objectif fixé par l’OMS pour 2030. Depuis le mois de mai, le R21 est entré en phase III d’évaluation. Pendant deux ans, il va être testé sur 4 800 enfants, au Kenya, en Tanzanie, au Mali et au Burkina Faso. Alors qu’un mécanisme de financement doit désormais être créé pour espérer la production et la distribution gratuite du RTS,S, probablement pas avant 2023, le Pr Tinto plaide pour une utilisation rapide du R21 si les tests se montrent concluants. « Il n’y a pas de temps à perdre dans la lutte contre le paludisme, estime-t-il. Si nous confirmons l’efficacité de ce second vaccin au bout d’un an d’essai en phase III, il faudra demander une autorisation temporaire d’utilisation, comme cela a par exemple pu être fait pour les vaccins contre le Covid-19. » Benjamin Roger
ENQUÊTE
Muyembe-Tanfum terrasse Ebola Dans beaucoup de pays du continent, ce fut la première réaction, au début de 2020, lorsque l’OMS tirait la sonnette d’alarme à propos du Covid-19. Un coronavirus? Pas de quoi faire peur aux Africains, confrontés depuis toujours au paludisme, au VIH, à la tuberculose, au choléra et, pis, à Ebola. Identifiée en 1976 dans le village de Yambuku, dans le nord de ce qui était encore le Zaïre, la fièvre hémorragique à filovirus Ebola, du nom d’une rivière de la région, n’est pas le plus meurtrier des fléaux sanitaires qui frappent le continent. On estime qu’elle a tué 15000 personnes depuis son identification, quand le bilan du Covid-19 en Afrique atteint déjà les 200 000 décès. Pourtant, Ebola fait peur, et à raison. La violence de ses symptômes, la vitesse à laquelle il se répand, l’impuissance du corps médical ont fait de la fièvre hémorragique un véritable cauchemar, et on ne compte plus les romans, films, séries et même jeux vidéo dans lesquels les héros se trouvent confrontés à cette menace.
Le combat d’une vie
Durant la dernière décennie, la Guinée, le Nigeria, la Sierra Leone, le Liberia et, bien sûr, la RDC ont dû faire face à plusieurs épidémies, qui n’ont pu être enrayées avant plusieurs mois, faute de traitement efficace. L’annonce faite le 17 septembre 2021 à Kinshasa par le virologue Jean-Jacques Muyembe-Tanfum, directeur de l’Institut national de recherche biomédicale (INRB) de RDC, a donc eu l’effet d’un coup de tonnerre. Ce jour-là, le chercheur congolais informait officiellement que le traitement Ebanga, développé en collaboration avec les Américains, arrivait dans les hôpitaux. « Je suis le plus heureux des Congolais, expliquait alors le professeur. Pendant quarante ans, j’ai été témoin et acteur de la lutte contre cette maladie terrifiante et meurtrière et je peux dire aujourd’hui : elle est vaincue, elle est évitable et guérissable. » La phrase n’a rien d’une clause de style : diplômé de l’université belge de Louvain, revenu
« Je suis le plus heureux des Congolais. Je peux dire aujourd’hui que cette maladie terrifiante et meurtrière est vaincue. Elle est désormais évitable et guérissable. » au Zaïre en 1973, le Pr Muyembe a, au sens strict, consacré sa vie entière à combattre Ebola. Il en fut l’un des découvreurs, en 1976, et n’a cessé, que ce soit à l’Institut Pasteur de Dakar, avec les Américains du CDC ou comme conseiller de l’OMS, de chercher comment éviter la propagation du virus, d’en sauver les malades et de mettre au point un vaccin efficace. Aujourd’hui salué par les médias du monde entier comme l’un des scientifiques les plus influents du monde, le médecin de 79 ans a aussi été choisi par le président Félix Tshisekedi pour piloter la riposte congolaise au Covid-19. Une maladie face à laquelle les stratégies inventées pour lutter contre Ebola ont d’ailleurs été reprises avec succès. Olivier Marbot JEUNE AFRIQUE – N° 3107 – DECEMBRE 2021
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ENQUÊTE
SÉCURITÉ
Innocent Kabandana et Pascal Muhizi : échec aux jihadistes
« Armées africaines : pourquoi sont-elles si nulles ? » Il y a quelques années, constatant la multiplication des conflits et l’incapacité des forces armées à y remédier, JA avait osé cette question, volontairement provocatrice, suscitant une petite tempête sous les bérets du continent. Mais poser la question n’interdit pas de nuancer la réponse, ni même de reconnaître les victoires encourageantes lorsqu’elles se présentent. En ce mois de septembre, la bonne nouvelle est venue du nord du Mozambique, sur lequel les groupes jihadistes tentent, depuis bientôt trois ans, d’étendre leur emprise. Grâce à l’appui de l’armée rwandaise, Maputo est en effet parvenu à reconquérir plusieurs villes précédemment occupées par Ansar al-Sunna, affilié à Daech. Et ces victoires, c’est au brigadier général Pascal Muhizi et à son supérieur, le général major Innocent Kabandana, chargés de l’intervention
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rwandaise au Mozambique et de la coordination avec l’armée mozambicaine, qu’on les doit. Bien sûr, vu du Rwanda, leurs noms importent peu. Le Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir) n’a pas pour habitude de mettre en avant les individus, quels que soient leur grade ou leur fonction, surtout quand le combat est collectif. Mais Muhizi et Kabandana ont incarné, sur le terrain des opérations, toute la détermination et l’efficacité de l’armée rwandaise.
Mozambique, Centrafrique…
Quelquessemainesplustôt,le9 juillet,legouvernement rwandais avait annoncé le déploiement, dans la province de Cabo Delgado, d’un contingent d’un millier de soldats afin d’épauler le Mozambique et son armée, en proie depuis 2017 à des actions terroristes menées par le mouvement islamiste des Shebab. En vertu d’accords bilatéraux, et sans se
préoccuper des grincements de dents que cela pouvait occasionner au sein de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), dont le Rwanda n’est pas membre, Kigali décidait ce jour-là de porter secours à Filipe Nyusi. Quelques mois plus tôt, en janvier 2021, c’était en Centrafrique que les militaires rwandais (présents dans le pays à la fois en tant que Casques bleus et au titre de la coopération bilatérale) avaient joué un rôle décisif pour repousser l’offensive des groupes armés réunis au sein de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), lesquels tentaient d’imposer un blocus de la capitale, Bangui, et de renverser le régime du président Faustin Archange Touadéra
Missions de maintien de la paix
Pour comprendre ces interventions, il faut remonter à 1994, au temps du génocide perpétré contre les Tutsis, lorsque la communauté internationale a fermé les yeux sur l’extermination d’un million de civils. Meurtries par cette non-assistance à peuple en danger, les autorités rwandaises en ont, depuis, tiré une doctrine, optant pour la « responsabilité de protéger », une norme du droit international public énoncée dans un document de 178 articles adopté par les États membres de l’ONU en 2005. Cet engagement a de nouveau été formalisé en 2020 à travers les « Principes de Kigali pour la protection des civils », une charte en 18 points signée par 46 États issus de tous les continents. Entre autres priorités, celle-ci énonce la nécessité d’ « entreprendre une intervention militaire contre des adversaires armés manifestant la claire intention de s’en prendre à des civils ». En juin 2020, selon l’Observatoire BoutrosGhali du maintien de la paix, le Rwanda était le troisième contributeur aux missions de maintien de la paix, derrière l’Éthiopie et le Bangladesh,
Meurtri par la non-assistance à peuple en danger durant le génocide, Kigali a opté pour « la responsabilité de protéger », une norme de droit international adoptée par l’ONU en 2005. avec 6 321 personnels en uniforme mobilisés – sans compter les interventions bilatérales, comme au Mozambique ou en Centrafrique. Avec des Casques bleus déployés au Soudan du Sud, au Darfour, en Centrafrique et jusqu’en Haïti, le Rwanda affiche le nombre de soldats de la paix par habitant le plus élevé au monde. Mehdi Ba
SOUVERAINETÉ NUMÉRIQUE
ENQUÊTE
Un chef d’orchestre nommé Lacina Koné À Dubaï, à la fin d’octobre, pour parler entre autres des talents du continent en matière de technologie au salon Gitex, puis sur le plateau de CNN. Au Caire, au début de novembre, pour signer un accord de financement entre Alliance Smart Africa et la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea). À Douala, quelques jours plus tard, pour assister à la signature du contrat mettant fin aux frais d’itinérance au sein de la zone Cemac, avant de regagner son quartier général de Kigali pour assister au conseil d’administration d’Alliance, qu’il dirige, en présence de Paul Kagame. L’agenda de Lacina Koné, directeur général depuis mars 2019 d’Alliance Smart Africa, est aussi complexe et chargé que sa mission. Cet ancien conseiller présidentiel ivoirien est chargé de définir et de garantir les conditions du développement d’un marché numérique africain unique, et ce toujours dans le souci
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ENQUÊTE de préserver sa souveraineté numérique. En effet, les infrastructures de réseaux existantes sont détenues en majorité par des acteurs étrangers (le chinois Huawei, le français Orange, le britannique Vodafone ou l’indien Airtel, pour ne citer qu’eux), et l’Afrique voit désormais arriver sur ses terres les grands noms de la tech américaines avec des projets comme les câbles sous-marins 2Africa de Facebook ou Equiano de Google.
L’union fait la force
Cette nécessaire vigilance infuse la stratégie de l’initiative Smart Africa, dont le conseil d’administration réunit 35 États, l’Union internationale des télécommunications (UIT), le commissariat de l’UA chargé des infrastructures, et des entreprises privées comme Econet, PWC, Huawei ou encore Google. Certains auraient déjà abandonné tant la tâche paraît insurmontable dans une zone qui ne représente que 1,3 % du marché numérique mondial, et où l’unique grand texte garantissant une certaine souveraineté et la protection des données personnelles – la convention de Malabo – peine à être ratifié. Après sept ans
d’existence, seuls 12 pays l’ont signé, et 6 l’ont ratifié. Dans ce contexte, que peut réellement Smart Africa ? Lacina Koné préfère être optimiste. « L’échec de la convention de Malabo ne veut pas dire que l’Afrique ne progresse pas sur ces questions, car 29 pays disposent quand même d’un texte de loi sur la protection des données, et 9 sont en train d’en adopter un », observe l’ingénieur de formation et ex-directeur général de Qualicom, une société malienne de télécommunications. Mais, selon lui, les États africains ne négocieront mieux que s’ils sont unis sur cet enjeu. C’est pourquoi Smart Africa s’est donné pour objectif d’harmoniser les différents textes internationaux, continentaux et régionaux sur la protection des données et le respect de la vie privée pour en analyser les similarités et les différences. À terme, l’objectif est de créer une nouvelle réglementation capable de fédérer tous les États membres de Smart Africa. « Cela doit servir ensuite à l’Union africaine pour qu’elle élargisse le texte à l’Afrique entière », conclut le dirigeant. Quentin Velluet
ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ
Ismaël Ouédraogo, « Monsieur Soleil » Une consommation d’électricité qui grimpe en flèche, des capacités de production qui ne suivent pas, des importations d’énergie toujours plus coûteuses. C’est le casse-tête que doit résoudre le Burkina Faso, contraint d’importer de Côte d’Ivoire et du Ghana près de 60 % de ses besoins énergétiques pour répondre à une demande en hausse de près de 10 % par an depuis 2012. Une problématique commune à nombre de pays africains. Pourtant, le Burkina a déjà commencé à sortir de l’ornière. Et, de l’avis de plusieurs observateurs du secteur, son ministre de l’Énergie, Bachir Ismaël Ouédraogo, y est pour beaucoup. Nommé en 2018 lors du premier mandat de Roch Marc Christian Kaboré, le quadragénaire, formé au Royaume-Uni et expert des énergies renouvelables, a été reconduit à son poste en début d’année tout en voyant ses prérogatives élargies aux Mines et Carrières – reconnaissance d’une capacité à « délivrer ».
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L’innovation au coeur du développement de l’afrique.
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ENQUÊTE Sous sa houlette, le Burkina Faso est en train de devenir un champion du solaire. Ces derniers mois, trois projets privés de centrale (30, 38 et 24 MW) ont atteint le closing financier – grâce au soutien de l’agence de développement néerlandaise FMO –, étape ultime avant des mises en service prévues en 2022. Deux autres projets de 30 et 20 MW doivent suivre la même voie prochainement.
Sous sa houlette, trois projets privés de centrale ont atteint le closing financier, étape ultime avant des mises en service prévues en 2022. Il y a aussi quatre centrales totalisant 50 MW financées par l’Agence française de développement (AFD) et la Banque africaine de développement (BAD), ainsi qu’une enveloppe de la Banque mondiale (BM) destinée à améliorer l’électrification rurale, puis à lancer, à partir de 2022, près de 300 MW de projets. Autrement dit, sans compter ce dernier volet, le pays va gagner à court terme près de 200 MW d’énergie solaire: un grand pas en avant lorsque l’on sait que sa puissance installée s’élève à 357 MW d’un mix majoritairement thermique avec seulement 34 MW de solaire avec la centrale de Zagtouli, financée par l’Union européenne (UE) et l’AFD.
De l’expertise à revendre
Pour réussir ce pari, le ministre a rencontré tous les acteurs, organisé des deal teams incluant les équipes de son homologue des Finances, la Sonabel et le régulateur du secteur, et suivi les dossiers de bout en bout. « Nous avons tenu à diversifier les projets afin de ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier », souligne-t-il. À la palette d’acteurs publics – BM, BAD, AFD, FMO, UE –, s’ajoute une variété de porteurs privés, dont Africa REN, Qair, GreenYellow et UrbaSolar. Contrairement à plusieurs pays, dont le Togo et le Sénégal, ayant bénéficié du programme Scaling solar d’IFC, filiale consacrée au secteur privé de la BM, le Burkina Faso a « suivi son propre chemin ». « Nous aurions pu aller encore plus vite, mais maintenant, nous avons de l’expertise à revendre », commente le ministre, qui met l’accent sur la solidité des dossiers techniques et le soin apporté au travail en amont avec les bailleurs comme points clés pour garantir rapidité et efficacité. Estelle Maussion
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ÉDITION
Jimsaan en lettres d’or
Les projecteurs se sont braqués sur l’auteur, mais pas sur l’éditeur. Jimsaan est devenue la première maison d’édition étrangère à avoir publié un roman primé par le Goncourt, celui, décerné, le 3 novembre, à Mohamed Mbougar Sarr pour La Plus Secrète Mémoire des hommes. Une œuvre publiée entre deux continents par la maison française Philippe Rey et l’éditeur sénégalais Jimsaan. C’est en 2013 que les intellectuels Boubacar Boris Diop, Nafissatou Dia et Felwine Sarr fondent Jimsaan. Une « petite » maison indépendante, « très exigeante sur le texte ». « On édite peu. Certains nous le reprochent même », confie Felwine Sarr. Pour lancer leur affaire, ils choisissent Saint-Louis, au Sénégal, avant de s’installer à Dakar. Comme si cela ne devait rien au hasard, Saint-Louis a aussi été le début d’une aventure pour Mbougar Sarr, qui a étudié sur les bancs du prestigieux prytanée militaire de la ville. Les associés, tous trois écrivains avant d’être éditeurs, s’étaient lancés un « pari », se souvient Felwine Sarr : inciter les auteurs africains à se
Fondée en 2013 par Boris Diop, Nafissatou Dia et Felwine Sarr, c’est la première maison d’édition étrangère à avoir publié un roman primé par le Goncourt. faire publier en Afrique par un éditeur africain. Felwine Sarr avait été révélé en 2009 par son premier texte, Dahij, publié par un géant de l’édition, Gallimard. « Parfois, lorsqu’on se fait publier à l’étranger, il y a un enjeu de négociation entre ce que l’on veut écrire et ce qui est perçu comme acceptable de la part d’un auteur africain. On avait le sentiment qu’on pouvait y remédier en partie en créant nous-mêmes ce projet », explique Felwine Sarr.
ENQUÊTE
Les contours de sa réussite, Felwine Sarr – aujourd’hui à la tête de Jimsaan, avec Nafissatou Dia – les a aussi dessinés avec Philippe Rey, son propre éditeur, puis ami et « partenaire d’aventures littéraires », comme ils le disent. Ils ont coédité leur premier texte en 2014 avec Comment philosopher en Islam ?, de Souleymane Bachir Diagne. À mesure que Mbougar Sarr avançait dans l’écriture de son dernier roman, les coéditeurs, à distance, procédaient à une double lecture. Les remarques étaient d’abord objectives, puis formulées selon la subjectivité de chacun. « On ne peut pas mettre ça, on coupe ça », se souvient avoir suggéré à plusieurs reprises Felwine Sarr. Côté financier, pour les coûts de fabrication comme pour les recettes, le contrat de coédition a prévu un partage égal entre les deux éditeurs. C’est « 50-50, déclare Philippe Rey, une vraie coédition, où tout est partagé ».
À 50-50 avec Philippe Rey
Dans les faits, la fabrication et la distribution ont été davantage assurées par l’éditeur français. Jimsaan a pu s’appuyer sur le réseau de librairies « bien en place » de Philippe Rey. « Quand le texte sort, on le trouve à Dakar, à Nouakchott, à Bamako, mais aussi à Lille, à Bordeaux », se
réjouit Felwine Sarr. Les coéditeurs explorent désormais la possibilité d’imprimer directement à Dakar, où les exemplaires, vendus 40 % à 50 % moins chers qu’en France, se font attendre chez les libraires. Enfin, chaque maison a soutenu l’effort de promotion du livre, en Afrique et en France.
« Mbougar Sarr a dépassé le face-à-face entre l’Afrique et l’Occident. Il se place ailleurs, dans ce continent tiers qu’est la littérature. » La « petite » maison Jimsaan et l’éditeur indépendant Phillipe Rey ont en tout cas accompli quelque chose de grand, ensemble. Leur jeune auteur de 31 ans est devenu le premier Subsaharien à recevoir le prix Goncourt. « Il [Mohammed Mbougar Sarr] a dépassé ce faceà-face entre l’Afrique et l’Occident. Il se place ailleurs, dans ce continent tiers qu’est la littérature », souligne Philippe Rey. Pauline Le Troquier JEUNE AFRIQUE – N° 3107 – DECEMBRE 2021
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DÉFENSE DE L’ENVIRONNEMENT
ENQUÊTE
Vanessa Nakate, la voix verte En 2020, l’Afrique s’est réchauffée plus rapidement que la moyenne mondiale alors qu’elle n’est responsable que de 7 % des émissions globales de gaz à effet de serre. Inondations en RD Congo, invasions de criquets de l’Éthiopie à l’Ouganda, incendies en Algérie, forte avancée de l’océan sur toute la côte ouest-africaine… Les phénomènes climatiques extrêmes s’y sont multipliés. Et pour ne rien arranger, l’objectif de 100 milliards de dollars annuels accordés par les pays du Nord (principaux pollueurs) à ceux du Sud (un quart à l’Afrique), afin de leur permettre de s’adapter au changement climatique, n’a pas été atteint. À la tribune de la COP26, le 12 novembre, Vanessa Nakate s’est chargée, du haut de ses 24 ans, de leur rappeler cette promesse de 2009 et a mis sérieusement en doute leurs engagements de 2021 : « Nous ne vous croyons plus. S’il vous plaît, prouvez-nous que nous avons tort. Et si vous échouez, que Dieu nous vienne en aide. »
En couverture de « Time »
Éloquente et hyperactive sur les réseaux sociaux, cette jeune militante ougandaise est désormais de toutes les conférences internationales. Pourtant, c’est seule qu’elle s’est penchée, il y a trois ans, sur les questions environnementales. Prenant conscience de l’ampleur et de l’urgence de la crise climatique, elle commence à organiser des manifestations et des actions de sensibi-
Éloquente et hyperactive sur les réseaux sociaux, cette jeune militante ougandaise est désormais de toutes les conférences internationales. lisation dans les écoles. En 2019, elle lance son propre mouvement, Rise Up, avant de publier un livre manifeste, Une écologie sans frontières (éd. Harper Collins, 2021). Elle écrit également au président ougandais, Yoweri Museveni, ainsi qu’au chef de l’État américain, Joe Biden, et à sa vice-présidente Kamala Harris, les exhortant à agir. Pas de réponse. Mais
Vanessa Nakate en a vu d’autres. En janvier 2020, au Forum de Davos, elle a été « coupée » d’une photo de l’agence de presse AP où elle posait au côté de la Suédoise Greta Thunberg. Un incident qui avait fait du bruit, mais qui n’a pas empêché son nom d’être à nouveau régulièrement « omis » dans la couverture médiatique de la COP26, à Glasgow. « Quand on m’efface, on efface un continent » , s’indigne la jeune femme, pour qui il n’existe pas de justice climatique sans justice sociale et raciale. C’est d’ailleurs pour ne pas invisibiliser ses camarades de lutte africaines – la Kényane Elizabeth Wathuti, la Nigériane Adenike Titilope Oladosu, la Zambienne Veronica Mulenga ou la Togolaise Kaossara Sani – qu’elle rejette le titre de « voix de l’Afrique » qu’on lui assigne. Mais, au début d’octobre, en couverture et dans les colonnes du prestigieux magazine américain Time, elle était bel et bien le visage du continent. Julie Gonnet JEUNE AFRIQUE – N° 3107 – DECEMBRE 2021
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ENQUÊTE
INDUSTRIALISATION
Adama Coulibaly, porte-étendard de la transformation agricole en Belgique, l’Ivoirien a rejoint le CCA dès 2013 comme directeur général adjoint avant d’en prendre la tête en 2017. Malgré la concurrence des acteurs asiatiques et la difficulté de structurer une filière soumise aux fluctuations des cours mondiaux, le patron du CCA a accompagné la montée en puissance du secteur. La production ivoirienne de noix brutes est passée de 460 000 tonnes en 2013 à 1 million en 2020, et celle d’amandes de cajou de 30 000 à 100 000 tonnes sur la même période, selon les chiffres officiels. Pour 2021, la progression se poursuit avec une production brute de 1,1 million de tonnes de noix brutes et 110 000 tonnes d’amandes, d’après le cabinet spécialisé N’kalô.
Des noix made in Ivory Coast
C’est une bonne nouvelle émanant du monde agricole, mais qui est passée inaperçue : en 2021, la Côte d’Ivoire a rejoint le podium mondial des exportateurs d’amandes de cajou – le nom de la noix de cajou une fois transformée –, ravissant la troisième place au Brésil et se plaçant derrière le Vietnam et l’Inde. Deuxième exportateur mondial de noix de cajou brutes derrière le géant vietnamien depuis 2016, Abidjan marque ainsi des points sur un défi clé du continent : la transformation des produits agricoles afin de générer de la valeur ajoutée sur place. Ce combat de longue haleine – la Côte d’Ivoire ne transforme encore qu’entre 10 % et 12 % de sa production annuelle – est notamment porté par Adama Coulibaly, directeur général du Conseil du coton et de l’anacarde (CCA), régulateur du secteur créé en 2013. Docteur en médecine vétérinaire de l’Université de Louvain-La-Neuve,
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Pour parvenir à ce résultat, il a d’abord fallu augmenter la production, notamment via l’instauration d’un prix plancher d’achat en 2013, tout en luttant contre la contrebande. L’accent a ensuite été mis sur la transformation, qui se réalise actuellement via une dizaine d’unités, pilotées par Olam, Royal Nuts, SG Agro, Novarea et ICN. Après avoir lancé un centre d’innovation et de technologie de l’anacarde à Yamoussoukro, en octobre 2020, le patron du CCA travaille à la création de zones industrielles pour la transformation de noix (utilisées en cuisine et dans les cosmétiques) et de pommes (aussi prisées dans le domaine agroalimentaire) à Bondoukou (Est), puis à Korhogo (Nord), Séguéla (Nord-Ouest) et Bouaké (Centre). Et ce pour encourager de nouveaux investissements dans un secteur qui compte 250000 producteurs regroupés dans une vingtaine de coopératives. Même si certains jugent les avancées trop lentes, Adama Coulibaly, qui revient de la COP26, ne baisse pas la garde, visant un taux de transformation de 50 % à l’horizon 2025. Son plan : exporter directement de Côte d’Ivoire vers les États-Unis et l’Europe, sans passer par l’Asie, comme c’est le cas aujourd’hui. Multipliant les partenariats, il veut généraliser la certification de la production ivoirienne, sésame pour installer les noix Made in Ivory Coast sur le marché international. Estelle Maussion
WITH AFRICA FOR AFRICA M O B I L I T Y
H E A LT H C A R E
C O N S U M E R
INFRASTRUCTURE
Avec un chiffre d’affaires de plus de 5,8 milliards d’euros, un accès à 46 des 54 pays d’Afrique et près de 21 000 collaborateurs, le groupe CFAO contribue à la croissance du continent, à son industrialisation et à l’émergence de la classe moyenne, en s’appuyant sur ses connaissances terrain et sur les savoir-faire locaux. Partenaire de grandes marques mondiales, le Groupe intervient sur toute la chaîne de valeur –importation, production, distribution– selon les meilleurs standards internationaux.
www.cfaogroup.com
ENQUÊTE
L'exercice n'est guère aisé lorsqu'il s’agit d’identifier, en dehors de la sphère des ONG, des personnalités publiques qui font véritablement bouger les lignes en matière de lutte contre la corruption en Afrique. Sur un continent où la plupart des États et des gouvernements occupent le bas des classements, c’est sans doute en Afrique du Sud que le problème semble avoir été réellement pris à bras le corps ces dernières années. Quand Jacob Zuma a nommé, en juin 2017, Raymond Zondo vice-président de la Cour constitutionnelle sud-africaine, la plus haute juridiction du pays, il ne se doutait pas que celui-ci deviendrait un artisan de sa chute moins d'un an après. Le magistrat prendra en effet, en janvier 2018, la tête de la commission d’enquête chargée de faire toute la lumière sur les graves accusations de corruption pesant sur l’ancien chef de l'État et portées par Thuli Madonsela – inébranlable ex-médiatrice de la République, elle-même nommée en 2009 par Jacob Zuma –, dans un rapport rendu public fin 2016. Le document, au titre évocateur de « State of capture » (« L’État de la captation »), dépeint sur plus de 350 pages la corruption systémique orchestrée au plus haut niveau de l’État par un puissant réseau mafieux à la tête duquel se trouve l’influente famille Gupta, d’origine indienne, qui
aurait bénéficié de contrats gouvernementaux très avantageux, évalués à plusieurs centaines de millions d’euros. Selon l’ancien ministre des Finances Pravin Gordhan, près de 100 milliards de rands (6 milliards d’euros) se seraient évaporés des caisses publiques au profit d’intérêts privés sous la présidence Zuma, de 2009 à 2018. Un peu plus du dixième de cette somme aurait été distribué en pots-de-vin ou blanchi avec la complicité de hauts cadres de l’ANC, à commencer par son secrétaire général, Ace Magashule, soupçonné de corruption autour d’un contrat irrégulier d’audit de désamiantage en 2014.
Long bras de fer
Le caractère inédit des révélations, ajouté à l’ampleur des prévarications dans un pays où plus de la moitié de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, précipite la chute de Jacob Zuma, contraint de démissionner. Mais ce n’est que le début d’un long bras de fer judiciaire entre le juge Zondo et le clan de l’ancien président sud-africain, pourtant mis en cause par plusieurs dizaines de témoins, dont les auditions sont retransmises en direct à la télévision et sur les réseaux sociaux. Tout d’abord le juge ménage Jacob Zuma, 79 ans, lui préférant « une invitation » à témoigner à une citation à comparaître. Mais l’ex-chef de l'État refuse de s’y plier, multipliant les recours ou faisant valoir son droit au silence. En février 2021, un dernier faux bond finit par exaspérer Raymond Zondo, jusque-là resté imperturbable. Pour ne pas avoir répondu à une énième convocation de la commission d’enquête malgré une ordonnance de la Cour constitutionnelle lui refusant son droit au silence, Jacob Zuma est condamné en juin à quinze mois de prison pour « outrage à la justice ». Devenant ainsi le premier président postapartheid à se retrouver derrière les barreaux. Hermann Boko
Pour ne pas avoir répondu aux nombreuses convocations de ce juge, l’ex-président Jacob Zuma est condamné à quinze mois de prison pour « outrage à la justice ». 50
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LUTTE ANTICORRUPTION
Z comme Zondo
MOBILISÉS POUR NOS 175 000 ENTREPRISES CLIENTES EN AFRIQUE
ENQUÊTE
MÉDIATION
Maroc-Algérie : l’appel des 140 Dans le tumulte des tambours de guerre, une initiative pour la désescalade. La rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc, décidée en août par les autorités algériennes, peut-elle mener à une confrontation armée entre les deux voisins? Et déstabiliser ainsi tout le Maghreb ? Pour éviter cette terrible perspective, un collectif d’intellectuels, d’artistes, de militants associatifs, d’hommes politiques ou encore de journalistes ont lancé, en septembre, un appel à la raison, à l’apaisement et à la paix. Parmi les signataires de ce texte, les Marocains Hassan Aourid (ancien porte-parole du Palais), Abdelatif Laabi (poète), Moulay Ismaïl Alaoui (ex-ministre de l’Éducation) ; les Algériens Saïd Saadi (dirigeant politique) et Boualem Sansal (écrivain), ainsi que la Tunisienne Souheir Belhassen (présidente d’honneur de la FIDH). Au total, ce sont plus de 140 personnalités qui s’engagent « à contrer l’escalade, à faire face aux appels à la confrontation et à la haine pour mieux consolider les piliers de la fraternité, de la coopération et contribuer à construire l’avenir ».
Apaiser les esprits
Une telle initiative est aussi rare que précieuse, d’autant que l’escalade entre les deux voisins s’est poursuivie et a presque atteint un point de nonretour, Alger accusant Rabat d’avoir délibérément pris pour cible des camions civils algériens dans le Sahara, causant la mort de trois routiers. La riposte annoncée des autorités algériennes fait craindre un nouveau pic de tensions. D’où la nécessité et l’urgence de multiplier les initiatives, les actions et les appels à la raison. Si, dans ce contexte, l’Union du Maghreb arabe, fondée en 1989, semble bien promise à l’oubli, de telles tentatives de conciliation ont du moins le mérite d’entretenir un dialogue entre Algériens et Marocains, alors que leurs États respectifs ont rompu tout contact. Intellectuels, universitaires et membres de la société civile des deux côtés de la frontière peuvent-ils réussir là où les politiques ont échoué, et apaiser les esprits? Farid Alilat
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RECHERCHE SCIENTIFIQUE
ENQUÊTE
Ambroise Wonkam, les secrets de l’ADN africain Pour expliquer l’intérêt de son projet, Ambroise Wonkam utilise l’exemple des deux maladies qu’il connaît sans doute le mieux. Ce sont elles qui l’ont mené à cette idée qui pourrait bien révolutionner la recherche scientifique. La première, la drépanocytose, qui provoque la déformation ou la dégradation des globules rouges, est la maladie génétique récessive (qui nécessite la contribution des deux parents) la plus courante chez les humains; 80 % des enfants qui naissent avec cette maladie sont africains. Le professeur camerounais, qui enseigne la génétique médicale à l’université du Cap, en Afrique du Sud, a également travaillé sur la surdité. Au sein des populations européennes, la moitié des cas sont provoqués par un gène qui n’explique aucun des cas recensés sur le continent africain. En comprenant cela, Ambroise Wonkam en prend alors conscience : « L’Afrique est la nouvelle frontière à dépasser pour découvrir de nouveaux gènes et de nouveaux variants. » Dans un texte publié au début de 2021 dans la prestigieuse revue scientifique Nature, le généticien expliquait que, sur l’ensemble de l’ADN séquencé dans le monde, seuls 2 % des génomes humains analysés correspondaient à ceux de personnes africaines. « Pourtant, rappelle-t-il, l’Afrique, berceau de l’humanité, contient plus de diversité génétique que n’importe quel autre continent. Les connaissances et les applications de la génomique n’ont que trop peu profité aux pays du Sud, en raison des inégalités dans les systèmes de soins de santé, de la faiblesse des effectifs de recherche locaux et du manque de financement. » En réalisant le séquençage de quelque 3 millions d’Africains, Ambroise Wonkam espère donc rétablir une équité dans le traitement des malades du continent. Il entend aussi « rééquilibrer la compréhension de la médecine génétique », et participer à l’avancée de la santé et de la recherche au niveau mondial à travers le projet « Trois millions de génomes africains » (3MAG), né de ses propres travaux sur la manière dont les mutations génétiques des Africains contribuent à certaines maladies.
Coût du projet : 4 milliards de dollars
Le président de la Société africaine de génétique humaine se réjouit de voir le retentissement qu’a eu ce qui n’était au départ qu’une « idée folle ». Depuis la parution de l’article de Nature, les réunions avec les professionnels de la santé, les industries génétiques, la communauté scientifique, les organisations de recherche et les bailleurs de fonds se sont multipliées. Le scientifique a participé, à la mi-novembre, à une rencontre avec le Centre africain de prévention
« Le continent est la nouvelle frontière à dépasser pour découvrir de nouveaux gènes et de nouveaux variants. » et de contrôle des maladies (Africa CDC), après avoir présenté son projet au comité scientifique de l’Organisation mondiale de la santé, quelques semaines plus tôt. Selon le spécialiste, il faut compter « au minimum » 1 500 dollars par séquençage et stockage de génome, soit près de 4 milliards de dollars pour l’ensemble du projet, qui s’étalerait sur dix ans. Une action d’une telle ampleur impliquerait obligatoirement le soutien des États du continent et une coopération accrue entre les scientifiques des pays concernés. Mais Ambroise Wonkam se veut optimiste : « Notre projet est certes une odyssée humaine, mais il est aussi un impératif scientifique pour l’humanité, car il permettra de traiter véritablement la question de l’équité dans le monde. » Marième Soumaré JEUNE AFRIQUE – N° 3107 – DECEMBRE 2021
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ENQUÊTE
ÉDUCATION
Académie 2.0
Le Ghanéen Fred Swaniker et le Camerounais Acha Leke, qui se sont rencontrés sur les bancs de la prestigieuse université californienne de Stanford, peuvent se targuer d’avoir développé une approche innovante, panafricaine et entrepreneuriale de l’enseignement supérieur sur un continent où aucune université ne figure dans les principaux classements mondiaux, à l’exception d’une poignée d’établissements sud-africains.
Une approche innovante, panafricaine et entrepreneuriale de l’enseignement supérieur. Objectif : former 3 millions de leaders à l’horizon 2035. Non contents d’avoir fondé, en 2005, l’African Leadership Academy (ALA), une prep school à l’américaine qui, depuis sa création, a permis à plus de1100jeunesAfricains–dont194Francophones–, issus de 52 pays, d’intégrer les meilleures filières
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universitaires internationales – en particulier celles de l’Ivy League américaine, dont font partie Harvard, Yale, Columbia et Princeton –, ils créent, dix ans plus tard, l’African Leadership University (ALU). Dotée de deux campus, l’un à l’île Maurice, qui a ouvert ses portes en 2015, l’autre à Kigali, opérationnel depuis 2017, cette université d’un style nouveau, dont le corps professoral est à plus de 75 % africain, a pour vocation de former chaque année près de 1400 entrepreneurs innovants, actifs sur le continent. Actuellement, une centaine de start-up sont nées de leurs initiatives.
Système de bourses
À l’ALA comme à l’ALU, les étudiants triés sur le volet – 5 % seulement des candidats sont retenus – sont sélectionnés sur des critères académiques, mais aussi pour leur engagement dans des projets sociaux, environnementaux ou artistiques qui montrent leur disposition à entreprendre. Ceux qui viennent de milieux modestes – une grande majorité d’entre eux – bénéficient d’un système de bourses financées par des grandes entreprises et des donateurs individuels, dont de nombreux anciens élèves. ALA et ALU ont créé des réseaux d’entraide efficaces qui permettent aux aînés des alumni d’épauler les plus jeunes. Et le duo ghanéo-camerounais ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : l’African Leadership Group, qui chapeaute l’ALA et l’ALU, a pour ambition de former 3 millions de leaders éthiques et d’entrepreneurs à l’horizon 2035. Christophe Le Bec
LIBERTÉ DES MŒURS
ENQUÊTE
Kalista Sy, la scénariste par qui le scandale arrive Certains l’accusent d’avoir attenté aux bonnes mœurs à des heures où enfants et adolescents ne sont pas encore couchés. La Sénégalaise Kalista Sy, 39 ans, est en effet la scénariste et la coproductrice d’une sulfureuse série télévisée qui, depuis 2019, a captivé les Sénégalais, provoqué un énorme scandale et, peut-être aussi, commencé à faire bouger les lignes d’une société encore très conservatrice. Évoquant la sexualité, l’adultère et la polygamie, Maîtresse d’un homme marié a connu, dès son apparition, un fort succès. Mais cette description parfois crue des mœurs sénégalaises et cette attention portée au regard – et au désir – des femmes n’a pas été du goût de tout le monde. « Initialement, Maîtresse d’un homme marié était une chronique que j’avais créée et partagée au sein d’un groupe de femmes, via les réseaux sociaux, pour nourrir le débat sur des sujets de société, raconte Kalista Sy. Puis j’ai décidé d’en faire une série télévisée. Son succès s’explique notamment par le fait que les Sénégalaises se sont identifiées aux personnages. Pour une fois, la narration appartenait à des femmes. »
À deux reprises, en 2019, un collectif d’une cinquantaine d’organisations de la société civile emmenées par l’association islamique Jamra et par le Comité de défense des valeurs morales au Sénégal a saisi le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA). Et, par deux fois, ce dernier a demandé à la société productrice (Mara TV) et au diffuseur (2sTV) d’« apporter des correctifs ». En mars 2019, le CNRA pointait ainsi « des propos, comportements et images jugés choquants, indécents, obscènes ou injurieux » ainsi que « des scènes […] susceptibles de nuire à la préservation des identités culturelles ». Deux mois plus tard, considérant que ses observations n’avaient pas été prises en compte, il mettait en demeure la chaîne de veiller à ce que les excès dénoncés « ne soient plus diffusés ».
« Promotion de l’adultère »
« Si nous avons saisi le CNRA, ce n’est pas parce que la série relate des réalités crues de la société sénégalaise : c’est, au fond, quelque chose qu’on pourrait même considérer comme pédagogique, argue Mame Mactar Guèye, porte-parole de Jamra. Ce que nous leur reprochons, c’est d’avoir pris le prétexte de l’infidélité conjugale pour faire la promotion de l’adultère et l’apologie de la fornication, sur fond de pornographie verbale, à des heures de grande écoute. » « Je pense que la série a suscité une polémique parce que tout le monde au Sénégal n’était
« Le succès de la série s’explique par le fait que les Sénégalaises se sont identifiées aux personnages. Pour une fois, la narration appartenait aux femmes. » pas forcément prêt à entendre des femmes aborder ces sujets “tabous” et parler de leur intimité, rétorque Kalista Sy. J’ai vécu sereinement ces avertissements, qui n’ont rien changé. J’ai continué à faire mon travail. » En juin dernier, elle a pourtant fait ses valises en raison de désaccords avec la production. « Je n’étais plus en adéquation avec leur vision autour du projet », résume-t-elle. Et la série s’est, pour l’heure, interrompue au terme de la saison 3. Mais Kalista Sy, qui en détient les droits, n’exclut pas de nouveaux épisodes. Mehdi Ba
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Tél : (+212) 0522493000 E-mail : healthcare.ma@siemens-healthineers.com
COMMUNIQUÉ
SIEMENS HEALTHINEERS Le soin sous toutes ses formes Près de 5 millions de patients à travers le monde bénéficient chaque jour des technologies innovantes et des services proposés par Siemens Healthineers. Forte de cette expertise, la nouvelle organisation de Distribution indirecte s’est donnée pour mission de faciliter l’accès aux soins aux populations africaines. Rencontre avec Marc Mougel, Vice-Président Business Partner Channel Management (France-Belgique-Afrique) de Siemens Healthineers.
Quels sont vos chantiers les plus emblématiques ? Nous avons développé une collaboration significative avec le Ministère de la Santé et de l’Action sociale du Sénégal. Nous avons déployé des solutions et des technologies de pointe, en installant, par exemple, le premier IRM 3 Tesla, au sein de l’hôpital principal de Dakar. Nous avons également favorisé des partenariats pour le développement de l’ultrason et la formation des sages-femmes pour réduire le taux de mortalité infantile. Des professionnelles ont été formées pour intervenir en zone rurale. Aujourd’hui, à titre d’exemple, des soignantes sont capables de détecter des problèmes durant des grossesses, elles redirigent les patientes vers des centres de référence. Siemens Healthineers est présent sur deux axes : nous fournissons des équipements et nous assurons une formation avancée des utilisateurs de nos solutions.
www.siemens-healthineers.com/fr-ma
Quelles formations mettez-vous à la disposition des professionnels de santé ? Nous travaillons en étroite collaboration avec les Ministères de la Santé du continent, nous les accompagnons dans les différents challenges auxquels ils font face et proposons des solutions adaptées. En plus de faciliter l’accès aux soins, nous mettons à disposition des professionnels de la santé des services et plateformes de formation. Grâce à cela, nous établissons des relations entre les universités françaises, allemandes et marocaines et les organismes de santé en Afrique pour faciliter l’échange et l’accès aux connaissances. Siemens Healthineers a défini une stratégie ambitiseuse d’ici 2025. Pouvez-vous nous en parler ? En cette fin d’année 2021, Siemens Healthineers a franchi une nouvelle étape. Nous avons dynamisé notre croissance et consolidé notre statut de partenaire de référence auprès de nos clients. Désormais, nous avons de nouvelles ambitions, notamment faciliter l’accès aux soins pour chacun partout dans le monde et la prise en charge complète du cancer : le rapprochement entre Siemens Healthineers et Varian permet de contribuer de manière décisive à la lutte contre le cancer. Ensemble, nous disposons d’un portefeuille complet de technologies médicales sur l’ensemble du continuum des soins contre ce fléau. Enfin, notre stratégie prend en compte les soins connectés et services numériques : face à la pénurie de personnel médical, nous essayons de mettre en place des solutions enrichies d’intelligence artificielle, digitalisées et connectées. Chez Siemens Healthineers, nous avons un système d’assistance à distance qui permet à des manipulateurs situés sur des centres de référence, de prendre en main en temps réel (une IRM ou un scanner) situé à plusieurs milliers de kilomètres afin de procéder au diagnostic à distance. C’est une innovation technologique majeure et exclusive.
JAMG - PHOTOS DR
Comment pourriez-vous présenter l’organisation Indirect Distribution Africa ? Marc Mougel : Lorsque je suis arrivé chez Siemens Healthineers en 2019, notre objectif était de nous rapprocher de l’Afrique. Nos équipes devaient être basées là-bas, j’y ai donc ouvert un hub au Maroc, à Casablanca. Une vingtaine de personnes a été déployée sur le continent car nous souhaitions être au plus près de nos partenaires pour aider l’Afrique à être plus autonome dans son accès aux soins. La Covid n’a fait que confirmer cette volonté. Nous avons donc revu notre stratégie et nos services. L’idée est de former des partenaires stratégiques et ingénieurs service afin de les rendre plus indépendants et d’éviter la venue des professionnels d’Europe. Le transfert d’expertise est essentiel au développement des capacités en Afrique.
ENQUÊTE
JUSTICE
Libre comme Saadeddin Merzoug
Seul contre tous. Saadeddin Merzoug est le premier magistrat dans l’histoire de l’Algérie à briser le mur du silence et de la peur en réclamant publiquement l’indépendance de la justice et en manifestant son soutien au mouvement populaire du Hirak. Ses critiques à l’encontre du pouvoir lui ont valu, en juin dernier, sa radiation du corps de la magistrature. La session disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) lui a reproché de violer l’obligation de réserve à travers ses commentaires sur l’actualité politique sur sa page Facebook, ses positions en faveur du boycott des scrutins présidentiels du 18 avril et du 4 juillet 2019, l’incitation à la grève des magistrats et son appel aux membres du CSM de rejoindre la contestation populaire.
Un courage payé au prix fort
La détermination chevillée au corps, Saadeddin Merzoug a opposé un refus ferme quelques semaines plus tôt au deal proposé par le ministère de la Justice : des excuses publiques et le retrait de ses publications critiques sur les réseaux sociaux en contrepartie de l’abandon de la procédure disciplinaire engagée contre lui. « L’obligation de réserve ne consiste pas à se taire mais seulement à ne pas divulguer un secret professionnel », rétorque l’homme, qui a fait voler en éclats la chape de plomb qui, jusque-là, recou-
Il est le premier magistrat dans l’histoire de l’Algérie à briser le mur du silence et de la peur en réclamant publiquement l’indépendance de la justice. vrait le fonctionnement de l’appareil judiciaire depuis l’indépendance, en 1962. Cinq mois après son éviction, ce trentenaire aux cheveux noir corbeau confie à Jeune Afrique ne rien regretter de son parcours contestataire. Les soutiens actifs se comptent par milliers et ne
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cessent de dénoncer un acharnement sans précédent contre ce magistrat, très respecté par sa corporation, qui fait l’objet de cinq affaires disciplinaires depuis le début du Hirak. L’activité du Club des magistrats libres – une organisation syndicale indépendante créée trois ans avant le Hirak du 22 février 2019 et dont il est le porte-parole – est également gelée. « Je préfère payer le prix seul et ne pas exposer d’autres à la radiation », affirme-t-il. Le désormais ex-magistrat veut s’accorder le temps de réfléchir à sa reconversion : devenir avocat agréé à la Cour suprême, intégrer un cabinet de conseil national ou international ou accepter la proposition de présider la Ligue algérienne des droits de l’homme. Ce dernier choix le mettrait à nouveau dans une position de confrontation avec le pouvoir. Rania Hamdi
ENQUÊTE
Idrissa Hamidou Touré, procureur à poigne Il est sous les feux de la rampe. Son nom rime presque avec mandat de dépôt. Idrissa Hamidou Touré, procureur du parquet de la commune IV du district de Bamako, le deuxième plus important du pays, a accroché à son tableau de chasse des célébrités du microcosme bamakois. Parmi elles, Diaba Sora, surnommée la Kim Kardashian malienne, écrouée pour « injures sur les réseaux sociaux », ou encore Kaou Djim, quatrième vice-président du Conseil national de transition (CNT), inculpé pour « atteinte au crédit de l’État et trouble à l’ordre public » après des propos tenus dans un média local. Cette dernière affaire a provoqué un tollé dans certaines rédactions, qui y ont vu une atteinte à la liberté d’expression. Réponse de Touré : « La liberté d’expression ne couvre pas les injures, les invectives, les dénigrements et autres attaques personnelles sur fond de petites rancœurs mal éteintes, de règlements de compte politiques. » Sur un continent où faire respecter la loi, le droit et les libertés individuelles relève bien souvent d’une gageure, au Mali, Idrissa Hamidou Touré détonne. Être « un empêcheur de tourner en rond pour les fauteurs de troubles », c’est la mission qu’il a donnée à son parquet. Touré n’hésite pas à
aller chercher ces derniers jusque dans des textes de rap. Wizy Wozo, 19 ans, très suivi sur les réseaux sociaux l’a appris à ses dépens : « Si la “go” [petite amie] te manque de respect, fais-lui subir un viol collectif », chante-t-il dans son titre Anhan. Touré s’est autosaisi et l’a fait arrêter pour « apologie du viol ». « C’est le meilleur juge que le Mali ait connu », affirme un Bamakois. Nommé en octobre 2020, ce
« Les régimes viennent et passent, les juges restent : nous appartenons à un pouvoir permanent et n’avons pas à vendre notre âme aux passants. » magistrat de 37 ans, formé à Bamako, à Limoges puis à Saint-Louis (Sénégal), est fier quand il égrène ses états de service : Bougouni, Yelimané et même Bafoulabé, dont il garde encore, comme un trophée, « les lettres de félicitations des chefs de village et des élus locaux ». Pourtant, dans l’univers judiciaire malien, certains de ses confrères croient que « le pouvoir lui est monté à la tête ». « Il a transformé son parquet en agence de communication et en un parquet à compétence illimitée. Il s’autosaisit de n’importe quelle infraction pouvant avoir des retentissements médiatiques », dégaine un juge sous le couvert de l’anonymat. « Pour le commun des mortels, c’est un héros, mais pour les juridictions il ne vaut rien. Il veut juste plaire aux autorités. C’est un chercheur de place », assène un autre.
L’ex-patron du renseignement malien épinglé
À ces attaques, Touré répond : « Un magistrat qui n’agit que sur instruction doit son poste à la culture de la médiocrité et à la soumission récompensée. » Et ajoute : « Les régimes viennent et passent, les magistrats restent. Nous appartenons à un pouvoir permanent et n’avons pas à vendre notre âme aux passants. » Le procureur est attendu sur un dossier brûlant, qui a focalisé l’attention sur la juridiction dont il a la responsabilité : la disparition du journaliste Birama Touré. Dans le cadre de cette affaire, il a déjà placé en détention un haut gradé de l’armée, le général Moussa Diawara, l’ancien patron des services de renseignement maliens. Karim Keïta, le fils de l’ex-président IBK, est également cité. Bokar Sangaré, à Bamako JEUNE AFRIQUE – N° 3107 – DECEMBRE 2021
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DROITS DES FEMMES
ENQUÊTE
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Ibrahim Hachane, envers et contre tout Fils de Dar Ould Zidouh – une commune rurale située dans le centre du Maroc, au pied du MoyenAtlas – et « fier de l’être », Ibrahim Hachane, tout juste quadragénaire, est un battant qui ne lâche rien, jamais. En août 2018, le Maroc découvrait avec effroi le calvaire de Khadija Ouakkarou. À l’époque, la jeune fille de 17 ans avait raconté dans une vidéo publiée sur la Toile comment elle avait été kidnappée, séquestrée, violée, violentée et tatouée de force sur l’ensemble du corps par 13 hommes âgés de 15 à 29 ans, dans la région de Beni Mellal, le tout pendant deux mois. Dès son dépôt de plainte, Ibrahim Hachane, avocat pénaliste, membre de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) et issu de la même région que l’adolescente, n’a pas hésité à la défendre envers et contre tout. Pourtant, pour cet homme engagé à gauche et loin des feux des projecteurs de l’axe Casablanca-Rabat, le combat a été éprouvant. Nombreux sont ceux qui ont tout bonnement « abandonné Khadija », selon lui.
JEUNE AFRIQUE – N° 3107 – DECEMBRE 2021
En 2018, l’effroyable histoire de la jeune fille avait suscité l’intérêt des médias nationaux et internationaux, une forte mobilisation des associations et de personnalités publiques. Khadija avait bénéficié d’un accompagnement financier, juridique et psychologique. Plusieurs médecins,
Cet avocat marocain a réussi à obtenir des peines exemplaires pour les agresseurs de Khadija : 11 des 13 prévenus ont écopé de vingt ans de prison ferme. ainsi que le ministère de la Santé, s’étaient engagés à détatouer son corps gratuitement. Puis, petit à petit, le vent a tourné : les médias, la famille des accusés, le voisinage de Khadija ont remis en question sa version et l’ont traînée dans la boue sous prétexte que la jeune fille était une « fugueuse » mal dans sa peau.
Culture du viol
Les soutiens se sont évaporés, et certains avocats qui s’étaient manifestés pour assister la partie civile ont lâché l’affaire, jusqu’à ce que l’histoire de Khadija n’intéresse plus grand monde. Maître Hachane, lui, est resté et a enduré les insultes et les agressions physiques – au sein même du tribunal –, la lenteur et le désintérêt de la justice pour une affaire trop complexe et sordide. Trois ans plus tard, et après un confinement, il a finalement réussi à obtenir des peines exemplaires : 11 des 13 agresseurs ont écopé de vingt ans de prison ferme et ont été reconnus coupables de « traite d’être humain sur mineure », « viol », « constitution d’une bande organisée », « enlèvement » et « séquestration ». Modeste, Maître Hachane considère ces peines comme « normales au regard de la gravité des crimes, d’autant que les séquelles de Khadija vont l’accompagner toute sa vie ». L’avocat a donc fait appel pour obtenir « trente ans de prison ferme pour les accusés ». Une belle victoire pour Khadija et pour toutes les femmes au Maroc, encore et toujours contraintes au silence par la culture du viol. Nina Kozlowski
ENQUÊTE
ART CONTEMPORAIN Touria El Glaoui, passeuse de créateu urs Au début des années 2010, la jeune Marocaine Touria El Glaoui voyage beaucoup en Afrique, pour les besoins de son travail dans les télécoms. Proche du milieu artistique – elle s’occupe en particulier des œuvres et des expositions de son père, le peintre Hassan El Glaoui –, elle a l’occasion de découvrir de nombreuses scènes, alors méconnues. « J’étais toujours surprise de constater le contraste qu’il existait entre ce que je découvrais sur le continent et la faible notoriété des créateurs contemporains africains, se souvient-elle. Même les artistes les plus établis ne bénéficiaient pas d’une reconnaissance internationale. C’est pour cela que j’ai pensé à une foire, qui pourrait leur servir de porte d’entrée sur le marché de l’art. À cette époque, il était très compliqué pour eux de faire voyager leurs œuvres et de les vendre. » Ainsi est née la Foire d’art contemporain africain 1-54 (alors baptisée 1:54), dont le nom fait référence aux 54 pays du continent. La première édition a eu lieu à Londres, en octobre 2013, à Somerset House, en même temps qu’avait lieu la Frieze Art Fair. Touria El Glaoui a en effet eu l’idée d’accoler sa foire à un événement de plus grande ampleur attirant collectionneurs, journalistes, critiques et passionnés d’art. Depuis, 1-54 a lieu tous les ans sur les rives de la Tamise, s’est développée avec des éditions à Marrakech, à New York et à Paris… et a permis une meilleure reconnaissance des artistes africains. « Beaucoup de gens ont travaillé dans ce sens, nous ne sommes pas les seuls, ni les premiers, mais 1-54 a été le déclencheur ! Les critiques d’art, la presse, les professionnels, les collectionneurs ont enfin eu accès à des créations qu’ils ne connaissaient pas. La foire a mis fin à une situation inacceptable. »
Une catégorisation géographique en débat
Si l’idée paraît simple, elle n’était a posteriori pas évidente : réunir dans un même « ghetto » géographique des artistes contemporains pouvait même faire grincer des dents, nombreux sont les artistes ne souhaitant pas porter l’étiquette africaine sur le front. « Nous avons pris ce point de vue très au sérieux, nous en avons débattu dans les différents forums de la foire, nous ne l’avons pas occulté, poursuit Touria El Glaoui. Moi-même, je ne pense pas qu’on doive catégoriser un artiste par sa géographie. Mais, il n’empêche, du côté de l’Afrique, il est bon de joindre nos forces pour avoir plus de visibilité, être mieux intégrés et plus efficaces sur le marché global. »
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JEUNE AFRIQUE – N° 3107 – DECEMBRE 2021
La foire qu’elle a créée – 1-54 – a servi de porte d’entrée sur le marché international à de nombreux artistes africains méconnus. Les années Covid auraient pu être fatales à 1-54, qui a dû annuler par deux fois son événement newyorkais et une fois celui prévu à Marrakech. Réactive, flexible, la petite équipe a su s’adapter. « Nous avons mis en place diverses collaborations, notamment avec la maison de vente aux enchères Christie’s, et nous nous sommes adaptés au contexte sanitaire avec des plateformes en ligne. » Lors de sa dernière édition londonienne, 1-54 a aussi montré qu’elle était totalement en phase avec le monde de l’art contemporain en organisant une première pour un plasticien africain : la vente de la série NFT Different Shades of Water, du crypto-artiste nigérian Osinachi. NFT? Non fongible tokens (« jetons non fongibles »), une technologie qui permet de devenir l’heureux propriétaire d’une œuvre immatérielle disponible uniquement en ligne… Nicolas Michel
COMMUNIQUÉ
Arjowiggins a vu le jour, il y a plus de trois siècles. Le groupe de renommée mondiale est spécialisé dans la fabrication de papier haut de gamme, à l’attention de marques, institutions et métiers de l’impression et de la communication visuelle. La marque est présente à l’international grâce à un catalogue exceptionnel de produits et un important réseau de distributeurs. Découverte Le groupe Arjowiggins est constitué de six business units autour du papier répondant aux besoins les plus divers (Papiers Créatifs, Papiers de Sécurité, Papiers pour Couverture et reliure, Papiers Intelligents, Papiers Transfert, Papiers Transparents). « Le groupe s’articule et se structure autour de six piliers incarnant son ADN : créativité, innovation, héritage, solutions de packaging, dimension internationale et développement durable », explique Christophe Combo, Business Development Manager pour la région Afrique et MoyenOrient. En charge de développer et de promouvoir la marque, ce dernier sillonne le continent africain afin de mettre en relation les principaux acteurs de l’écosystème d’Arjowiggins : distributeurs, marques, dirigeants d’entreprise, décideurs et acteurs de la communauté graphique et visuelle.
Le groupe compte près de 800 employés à travers le monde et quatre usines, dont 3 situées en Europe. Les principaux distributeurs de Arjowiggins sont notamment situés au Nigéria, au Kenya, en Afrique du Sud, en Egypte, au Maroc… Le groupe souhaite apporter une offre inédite grâce à une fabrication 100 % européenne
et par un large catalogue de papiers créatifs et techniques. Papiers Créatifs La gamme Conqueror est dédiée aux identités de marque et au business stationery, les gammes Keaykolour, Pop’Set, Curious Collection et Creative Packaging à la promotion et au packaging de luxe. Pour Christophe Combo, Conqueror est la marque emblématique du groupe : « elle est disponible en Afrique depuis plus de trente ans et est destinée à des secteurs comme l’hôtellerie de luxe. Elle convient parfaitement pour la communication corporate de petites et grandes entreprises. Les structures institutionnelles du domaine public, comme les ministères, sont également concernées». Arjowiggins est quasi exclusivement dédié à un réseau de vente en B2B grâce à un réseau d’importateurs / distributeurs. « Nous pouvons être amenés à travailler en direct avec des transformateurs de papiers de création, précise Christophe Combo, c’est-à-dire conseiller et collaborer avec un second niveau de distribution que sont les imprimeurs, en direction de groupes panafricains de l’hôtellerie, de l’immobilier, des assurances, de la finance ou d’organismes d’état ou non gouvernementaux ».
Aujourd’hui, l’objectif de Arjowiggins est de faire croître sa part de marché sur le Continent, grâce à ses nombreux atouts : « notre papier est destiné à des dirigeants et des décideurs, conclue Christophe Combo, mais, au-delà de la relation fournisseurs-distributeurs, nous sommes également dans une dynamique et une synergie au service d’une communauté créative composée de designers, de créateurs, de studios graphiques mais également de jeunes entrepreneurs qui cherchent à se démarquer dans leur communication grâce à l’utilisation du papier d’une manière créative et éco responsable pour une Afrique qui gagne. » Politique RSE La durabilité fait partie intégrante de la philosophie d’Arjowiggins. Son rôle de pionnier en matière d’initiatives environnementales a contribué à rendre les procédés de fabrication du papier plus vertueux. Le groupe Arjowiggins accompagne les entreprises qui cherchent à réduire l’impact de leurs activités sur la planète en choisissant le papier. ■
Christophe Combo
Business Development Manager MEA christophe.combo@arjowiggins.com
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arjowiggins.com
JAMG - PHOTO D.R.
Arjowiggins, un papetier d’exception