Marie-Christine Jamet Pascale Bachas Gabrielle Bornancin Francesca Checchia Marie Malherbe Eliana Vicari
LITTÉRATURE ARTS CULTURES PERCORSI DIGITALI CON VIDEO CITOYENNETÉ ET AGENDA 2030 LES MOTS DES FEMMES PENSÉE VISIBLE ET DÉBATS ACTIVITÉS VERS L'ESABAC ESPACES INTERDISCIPLINAIRES APPROCHE THÉMATIQUE DE LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE
COMPACT
Du Moyen Âge à nos jours
Sommaire PENSIERO CRITICO
RISORSE DIGITALI
Pensée visible
Aperçu vidéo
Tableau parlant
Ligne du temps interactive
Textes extra
Débat
Module A
Fiches de révision
T1 La Chanson de Roland, Le roi Charlemagne contre les Sarrasins T2 La Chanson de Roland, Roland et son épée Durendal T3 La Chanson de Roland, La mort de Roland Panorama littéraire • La littérature courtoise : le lyrisme Rutebeuf T4 Les Dits, La repentance T5 Les Dits, La Complainte Rutebeuf Christine de Pizan T6 Le Livre du Duc des vrais amants, Complainte : plus que nulle autre dolente François Villon T7 Le Testament, La Ballade des pendus ESABAC Panorama littéraire • La littérature courtoise : le roman Chrétien de Troyes T8 Érec et Énide, Les larmes d’Énide MOTS PHARES LES MOTS DE LA CITOYENNETÉ • Des vertus du chevalier aux valeurs du citoyen LES MOTS DES FEMMES • Jeanne d’Arc : une icône à travers les âges ESPACE des ARTS • L’art roman • L’art gothique ESABAC
Pour faire le point • Vers l’Esame di Stato
François Rabelais T9 Gargantua, La journée de Gargantua ESABAC T10 Gargantua, Vainqueurs et vaincus ESABAC ESPACE CULTURES CROISÉES • La circulation des savoirs
X
2 4 6 8 12 12 13 14 16 16
Les Dits, Le Dit des ribauds de Grève
17 18 20 22 24
Le Testament, La Ballade des dames du temps jadis Chrétien de Troyes
26 27 28-29 30-31
La Renaissance (XVI siècle)
L’esprit du temps Jalons historiques Panorama socio-culturel • Renaissance et humanisme Panorama littéraire • Le renouveau littéraire
MOTS PHARES
La risorsa Deascuola dedicata a studenti e docenti: un nuovo modo di apprendere gli argomenti fondamentali di letteratura francese grazie a 30 percorsi digitali interattivi con video.
L’époque médiévale (V -XV siècles)
L’esprit du temps Jalons historiques Panorama socio-culturel • La société au Moyen Âge Panorama littéraire • La littérature populaire
Module B
COMPACT
32 34 36 38 40 42 44 46 47
François Rabelais Pantagruel, Lettre sur l’éducation
Sommaire Michel de Montaigne T11 Essais, Comment éduquer un enfant T12 Essais, Contre l’usage de la torture ESPACE des ARTS • Sarlat, ville de La Boétie MOTS PHARES
48 50 51 52 53
LES MOTS DE LA CITOYENNETÉ • Le droit à l’éducation
54
LES MOTS DES FEMMES • Femmes de la Renaissance
55 56 58 60 61 62 64 65
Panorama littéraire • La Pléiade, une révolution poétique Joachim du Bellay T13 Les Regrets, Heureux qui comme Ulysse… T14 Les Regrets, Je me ferai savant en la philosophie Pierre de Ronsard T15 Odes, Mignonne, allons voir si la rose MOTS PHARES
Pour faire le point • Vers l’Esame di Stato
Module C
Michel de Montaigne Essais, Vivre à propos
La Pléiade
Ronsard : Sonnets pour Hélène, Quand vous serez bien vieille...
66-67
Le Grand Siècle (XVII siècle)
L’esprit du temps Jalons historiques Panorama socio-culturel • L’apogée du classicisme à la française
ESPACE des ARTS • Versailles • La peinture au XVII siècle Panorama littéraire • Le siècle du théâtre, entre baroque et classicisme Pierre Corneille T16 Le Cid, Le dilemme de Rodrigue (I, 6) ESABAC Jean Racine T17 Phèdre, Brûler d’amour (I, 3) T18 Iphigénie, Retrouvailles tragiques (II, 2) MOTS PHARES Molière T19 Le Misanthrope, Faut-il dire ce que l’on pense ? (I, 2) ESABAC T20 Le Bourgeois gentilhomme, Une leçon de français (II, 4) ESABAC T21 Les Femmes savantes, Deux sœurs, deux projets de vie (I, 1) ESPACE LITTÉRATURES CROISÉES • Commedia dell’Arte et théâtre français MOTS PHARES Panorama littéraire • Entre doctrine religieuse et morale René Descartes T22 Discours de la méthode, « Je pense donc je suis » ESABAC T23 Traité des passions de l’âme, Au sujet de la jalousie Blaise Pascal T24 Pensées, Disproportion de l’homme (84) MOTS PHARES Jean de La Fontaine T25 Fables, Le Loup et le Chien ESABAC T26 Fables, Le Corbeau et le Renard ESABAC MOTS PHARES
68 70 72 74 76 78
80 82 84 86 87 88 92 94 96 98 99 100 102 104 105 106 108 109 110 112 114 115
LES MOTS DE LA CITOYENNETÉ • Les règles du savoir-vivre en société
116
LES MOTS DES FEMMES • Les filles, le mariage et la liberté
117
Pour faire le point • Vers l’Esame di Stato
Jean Racine Andromaque, Chantage ? Molière L’Avare, Le vol d’un trésor Dom Juan, Un vrai Dom Juan Le Tartuffe, Madame, je ne suis pas un ange René Descartes
Jean de La Fontaine Fables, Perrette et le pot au lait Fables, La Cigale et la Fourmi Fables, La Grenouille et le Bœuf
118-119
XI
Sommaire
Module D
Le siècle des Lumières (XVIII siècle)
L’esprit du temps Jalons historiques • De 1715 aux états généraux (1789) Panorama socio-culturel • Entre Lumières et ombres Jalons historiques • Chronique de la Révolution (1789-1795)
120
ESPACE CINÉMA • Un peuple et son roi Panorama littéraire • Les Lumières et l’écriture Montesquieu T27 Lettres persanes, Du rôle des sciences et des arts T28 L’Esprit des lois, De l’esclavage des nègres MOTS PHARES Voltaire T29 Le Mondain, Plaisir de bien vivre T30 Candide, « Il faut cultiver notre jardin » T31 Dictionnaire Philosophique, « Fanatisme » MOTS PHARES
128 130 132 134 136 137 138 142 143 144 145
122 124 126
Montesquieu Lettres persanes, Un persan à Paris
Voltaire
LES MOTS DE LA CITOYENNETÉ • L’esclavage hier et aujourd’hui
146
LES MOTS DES FEMMES • Olympe de Gouges, écrivaine engagée et féministe
Zadig, En quête du basilic Traité sur la tolérance, Mourir en hypocrite ? Dictionnaire Philosophique, « Guerre »
147 148
Denis Diderot
Denis Diderot T32 Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, De la relativité de la morale ESABAC T33 Jacques le Fataliste et son maître, « Je ne fais pas un roman… » T34 Encyclopédie, « Réfugiés »
MOTS PHARES ESPACE des ARTS • Un nouveau goût pictural au XVIII siècle Un nouveau marché de l’art Jean-Jacques Rousseau T35 Discours sur l’origine de l’inégalité, L’origine de l’inégalité T36 Les Confessions, Voyage à Paris T37 Émile ou De l’éducation, Amour de soi ou amour-propre ? ESABAC MOTS PHARES Panorama littéraire • Roman et théâtre au XVIII siècle Les romanciers : Prévost, Choderlos de Laclos L’abbé Prévost T38 Manon Lescaut, Une rencontre fatale ESABAC Pierre Choderlos de Laclos T39 Les Liaisons dangereuses, Duplicité d’un ami MOTS PHARES Les dramaturges : Marivaux, Beaumarchais Pierre de Beaumarchais T40 Le Mariage de Figaro, Jeu de dupes (III, 5) Pierre de Marivaux T41 Le Jeu de l’amour et du hasard, Un jeu cruel et tendre (III, 3) MOTS PHARES
Pour faire le point • Vers l’Esame di Stato
Module E
150 152 154 155 156 157 158 161 162 164 165 166 168
Jacques le Fataliste, Et les amours de Jacques ? Encyclopédie, « Autorité politique »
Jean-Jacques Rousseau Du Contrat social, Profits et pertes du contrat social Les Confessions, Voleur de pommes
170
Manon Lescaut, Après deux ans
172 173 174
Les Liaisons dangereuses, Une entreprise difficile
176
Le Mariage de Figaro, Que de trouble !
178 179
Le Jeu de l’amour et du hasard, Chassé-croisé
180-181
Du romantisme à l’aube du réalisme (première moitié du XIX siècle)
L’esprit du temps Jalons historiques • De Bonaparte à Napoléon XII
182 184
Sommaire De la Restauration à la Monarchie de Juillet
Panorama socio-culturel • La société française à l’aube du XIX siècle Panorama littéraire • Le romantisme en France Poésie et théâtre romantique Le roman entre romantisme et réalisme
François-René de Chateaubriand T42 René, L’étrange blessure T43 Voyage en Amérique, Vers le Nouveau Monde ESABAC Alphonse de Lamartine T44 Méditations poétiques, Le Lac ESABAC Gérard de Nerval T45 Odelettes, Une allée du Luxembourg George Sand Alfred de Musset George Sand T46 La petite Fadette, Le sacrifice de la petite Fadette ESABAC Alfred de Musset T47 Les Nuits, La Nuit de Mai MOTS PHARES
ESPACE des ARTS • La peinture dans la première moitié du XIX siècle Victor Hugo T48 Hernani ou l’honneur castillan, « Je suis Hernani » (III, 3) T49 Notre-Dame de Paris, Une larme pour une goutte d’eau ESABAC T50 Les Misérables, La mort de Gavroche ESABAC T51 Les Contemplations, Demain, dès l’aube MOTS PHARES
186 188 190 191 193 196 197 198 200 202 204 205 206 207 208 210 212-213 214 216 220 222 224 226 227
LES MOTS DE LA CITOYENNETÉ • De la liberté de la presse aux fake news
228
LES MOTS DES FEMMES • Flora Tristan
229 230 232 234 236 237 238 240 242 243
Honoré de Balzac T52 Le Père Goriot, Une gaffe sociale T53 La Fille aux yeux d’or, Paris, un enfer T54 La Peau de chagrin, Une passion coûteuse MOTS PHARES
Stendhal T55 Le Rouge et le Noir, Première victoire ESABAC T56 La Chartreuse de Parme, Retrouvailles MOTS PHARES
Pour faire le point • Vers l’Esame di Stato
Module F
De Staël, De l’Allemagne, Poésie classique et poésie romantique Alexandre Dumas Le Comte de MonteCristo, Visite au cachot François-René de Chateaubriand Mémoires d’outretombe, D’où vient l’envie d’écrire ? Nerval : Les Chimères, El Desdichado George Sand La Mare au diable, Tendresse Musset : Les confessions d’un enfant du siècle, Désillusions Victor Hugo Ruy Blas, L’aveu Les Rayons et les Ombres, La fonction du poète Les Châtiments, Ô scélérat vivant Les Misérables, Terrible dilemme Les Misérables, L’Alouette Honoré de Balzac Le Père Goriot, L’odeur de la pension Vauquer La Peau de chagrin, Une étrange inscription Stendhal La Chartreuse de Parme, Fabrice à Waterloo
244-245
Entre réalisme et symbolisme (deuxième moitié du XIX siècle)
L’esprit du temps Jalons historiques • Du Second Empire à la III République Panorama socio-culturel • Le développement de la société au XIX siècle
246 248 250
LES MOTS DE LA CITOYENNETÉ • L’instruction publique sous la III République
252
LES MOTS DES FEMMES • Marie et Irène Curie
253 254 256 258
Panorama littéraire • Le courant réaliste
Gustave Flaubert T57 Madame Bovary, Le bal T58 Un Cœur simple (Trois Contes), Une triste histoire d’amour ESABAC T59 Bouvard et Pécuchet, Coup de foudre amical
260 262
Gustave Flaubert Madame Bovary, Maternité Madame Bovary, J’ai un amant
XIII
Sommaire MOTS PHARES
263 Panorama littéraire • Le courant naturaliste 264 Émile Zola 266 T60 L’Assommoir, Gueule-d’Or 269 T61 Germinal, Un réveil très matinal 270 T62 Au Bonheur des Dames, Le mécanisme du nouveau commerce 272 Guy de Maupassant 274 T63 Boule de Suif, Et Boule de Suif pleurait 276 ESPACE LITTÉRATURES CROISÉES • Des lieux et des hommes : Zola et Verga 278 279 MOTS PHARES ESPACE des ARTS • L’impressionnisme 280 Panorama littéraire • La poésie symboliste 282 Charles Baudelaire 284 T64 Les Fleurs du Mal, L’Albatros ESABAC 286 T65 Les Fleurs du Mal, Spleen ESABAC 287 T66 Le Spleen de Paris ou Petits poèmes en prose, Enivrez-vous 288 T67 Le Spleen de Paris ou Petits poèmes en prose, N’importe où hors de ce monde 289 Paul Verlaine 290 T68 Poèmes saturniens, Mon rêve familier ESABAC 292 T69 Romances sans paroles, Il pleure dans mon cœur… 293 Arthur Rimbaud 294 T70 Poésies, Le Dormeur du val 296 T71 Poésies, Le Bateau ivre ESABAC 297 T72 Illuminations, Aube 298 ESPACE LITTÉRATURES CROISÉES • Le symbolisme et Giovanni Pascoli 299 300-301 MOTS PHARES ESPACE des ARTS • Le symbolisme 302-303
Pour faire le point • Vers l’Esame di Stato
Module G
Charles Baudelaire
Arthur Rimbaud
304-305
D’une guerre à l’autre (1900-1945)
L’esprit du temps Jalons historiques • La Première Guerre mondiale et ses conséquences La France dans la Seconde Guerre mondiale
Panorama socio-culturel • Des années folles aux années noires Panorama littéraire • La poésie au début du XX siècle Vers la modernité : Valéry, Apollinaire Paul Valéry T73 Album de vers anciens, Le bois amical T74 Charmes, Le cimetière marin ESABAC Guillaume Apollinaire T75 Alcools, La Chanson du mal-aimé ESABAC T76 Calligrammes, La colombe poignardée et le jet d’eau MOTS PHARES
Panorama littéraire • Du surréalisme à l’engagement Les surréalistes : Breton, Éluard, Aragon
André Breton T77 Manifeste du surréalisme, L’écriture automatique Paul Éluard T78 Capitale de la douleur, La courbe de tes yeux T79 Le Phénix, Je t’aime
XIV
Émile Zola L’Assommoir, Gervaise cède à la tentation Germinal, Une masse affamée
306 308 310 312 314 316 319 320 322 324 325 326 328 331 332 333
Guillaume Apollinaire Apollinaire : Calligrammes, Il pleut Le surréalisme Breton : Claire de terre, Pièce fausse Éluard : L’Amour la poésie, La terre est bleue comme une orange Éluard : Poésie et Vérité, Liberté
Sommaire Louis Aragon T80 Le Roman inachevé, Strophes pour se souvenir ESPACE des ARTS • Picasso et les avant-gardes MOTS PHARES
Panorama littéraire • Les diverses formes du roman avant 1945
Marcel Proust ESPACE CINÉMA • Le Temps retrouvé T81 Du côté de chez Swann, Combray, La petite madeleine ESABAC T82 Du côté de chez Swann, Un amour de Swann, Le clan Verdurin T83 Du côté de chez Swann, Un amour de Swann, Il était snob ESPACE LITTÉRATURES CROISÉES • Proust et Pirandello : le « Moi » est-il unique ? MOTS PHARES
André Gide T84 Les Caves du Vatican, L’épreuve fatale ESABAC Louis-Ferdinand Céline T85 Voyage au bout de la nuit, Le travail à la chaîne ESABAC T86 Voyage au bout de la nuit, La dispute MOTS PHARES Romanciers d’avant 45 : Colette, Giono, Saint-Exupéry, Némirovsky
Colette T87 La Chatte, Meurtre d’une rivale ESABAC Jean Giono T88 Lettre aux paysans, Les paysans peuvent arrêter toutes les guerres Antoine de Saint-Exupéry T89 Le Petit Prince, Il faut chercher avec le cœur Irène Némirovsky T90 Suite française, Il n’a pas l’air méchant
334 336 337 338 340 343 344 346 347 348 349 350 352 354 356 358 359 360 362
Le Côté de Guermantes, Dilemme aristocratique
Les Faux-monnayeurs, La pendule sonna quatre heures Louis-Ferdinand Céline Voyage au bout de la nuit, Le voyage Colette : La Naissance du jour, Entre mère et fille
366
MOTS PHARES LES MOTS DE LA CITOYENNETÉ • Le droit à la paix
370
LES MOTS DES FEMMES • Joséphine Baker, du music-hall au Panthéon
371
Module H
Marcel Proust
364
368 369
Pour faire le point • Vers l’Esame di Stato
Aragon : La Diane française, Elsa au miroir
372-373
De l’euphorie à l’inquiétude (de 1945 aux années 2000)
L’esprit du temps Jalons historiques • La France de la IV à la V République Panorama socio-culturel • La société française après 1945 Panorama littéraire • L’existentialisme
Simone de Beauvoir T91 Le Deuxième sexe, Les femmes n’ont jamais rien créé de grand Jean-Paul Sartre T92 La Nausée, Vivre sa vie, raconter sa vie T93 Les Mots, Toujours exclu T94 Huis Clos, Un châtiment éternel ESABAC Albert Camus T95 L’Étranger, Alors, j’ai tiré T96 La Peste, Mort d’un enfant ESABAC T97 Le Mythe de Sisyphe, Pourquoi cette vie ? MOTS PHARES
Panorama littéraire • Une littérature en langue française La poésie contemporaine
374 376 378 380 382 383 384 386 387 388 390 392 394 396 397 398 402
Simone de Beauvoir Le Deuxième sexe, La condition de la femme Sartre : Les Mains sales, Tuer pour des idées Sartre : La Nausée, Parcours existentiel Camus : L’Étranger, Aujourd’hui, maman est morte Camus : La Peste, Héroïsme ou honnêteté ?
XV
Sommaire Poésie dans la francophonie : Prévert, Senghor, Bonnefoy, Miron
Jacques Prévert T98 Les feuilles mortes T99 Paroles, Barbara ESABAC Léopold Sédar Senghor T100 Chants d’ombre, Femme noire Yves Bonnefoy T101 Pierre écrite, La chambre Gaston Miron T102 L’Homme rapaillé, Le damned Canuck MOTS PHARES
Panorama littéraire • Le roman après 1945
ESPACE CULTURES CROISÉES • « Dis-moi dix mots »… le grand concours du monde francophone Le roman en Europe : Simenon, Yourcenar, Duras Georges Simenon T103 Maigret, Lognon et les gangsters, Le commissaire Maigret et le gangster napolitain ESPACE CINÉMA • Simenon à l’écran : Maigret Marguerite Yourcenar T104 Mémoires d’Hadrien, Construire Marguerite Duras T105 L’Amant, La rencontre MOTS PHARES Le roman aux Amériques et en Afrique : Condé, Godbout, Dib, Memmi, Kourouma Maryse Condé T106 Moi, Tituba sorcière… Noire de Salem, Étrangère à moi-même ESABAC Jacques Godbout T107 Salut Galarneau !, Au roi du hot dog Mohammed Dib T108 La Grande maison, La France est notre mère Patrie Albert Memmi T109 La Statue de sel, Un nom révélateur Ahmadou Kourouma T110 Allah n’est pas obligé, Oraison funèbre MOTS PHARES Panorama littéraire • Le théâtre moderne et contemporain Samuel Beckett Eugène Ionesco T111 En attendant Godot, Comme le temps passe vite quand on s’amuse ! T112 La Cantatrice chauve, Une conversation absurde ESPACE CULTURES CROISÉES • Le festival d’Avignon MOTS PHARES Panorama littéraire • L’OuLiPo ou la liberté au pouvoir OuLiPo : Queneau, Perec Raymond Queneau T113 Exercices de style, Exercices de style Georges Perec T114 Un Cabinet d’amateur, L’art est dans le détail ! Dans la variation ! ESPACE CULTURES CROISÉES • Et si l’OuLiPo était le sésame du bac ? MOTS PHARES LES MOTS DE LA CITOYENNETÉ • « Indignez-vous, Engagez-vous »
XVI
404
407 408
Prévert : Paroles, Le cancre Prévert : Histoires, Embrasse-moi
410
411 412 413 414
Le Nouveau Roman
417 418
420 422 423
Yourcenar : Mémoires d’Hadrien, La mort d’Hadrien
424 425 426 428 430 432
Condé : Traversée de la Mangrove, Le monde en noir et blanc Dib : Ombre gardienne, Contre-jour
434 436 437 438 440 441 442 444 446 447 448 452
454 456 458 459 460
Perspectives théâtrales Perspectives théâtrales Beckett : La Dernière Bande, Krapp, à la recherche du temps perdu Ionesco : Rhinocéros, Invasion OuLiPo
Sommaire LES MOTS DES FEMMES • Simone Veil, une vie d’engagement
Pour faire le point • Vers l’Esame di Stato
Module I
461 462-463
Entre deux millénaires
La littérature contemporaine et les objectifs pour demain Conseils pour le « capolavoro »
464 466
Thème 1 • Écologie et environnement T115 Ferney Le Règne du vivant, Un militant écologiste T116 Autissier Le Naufrage de Venise, Venise engloutie T117 Fottorino Mohican, Pratiques agricoles dangereuses T118 Van Cauwelaert Le Pouvoir des animaux, Retour à la vie
467 468 470 472 474
Vers l’Esame di Stato
476
Thème 2 • Égalité et fraternité T119 Schmitt Ulysse from Bagdad, Liberté, égalité, fraternité : mensonge ? T120 Mabanckou Bleu Blanc Rouge, De l’Afrique à Paris T121 N’Sondé Le Cœur des enfants léopards, Garde à vue T122 Ben Jelloun Le Racisme expliqué à ma fille, Rien oublier, rien occulter, rien négliger
477 478 480 482
Vers l’Esame di Stato
486
Thème 3 • Bonheur et bien-être T123 Bobin La grande vie, Le livre est plus vivant que la pomme T124 Carrère Yoga, C’est ça le yoga T125 Perrin Changer l’eau des fleurs, Je suis au paradis T126 Delerm La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, Un banana-split
487 488
490 492
Vers l’Esame di Stato
496
Thème 4 • Parité et genre T127 Ernaux L’Événement, Comment interrompre volontairement une grossesse en 1964 ? T128 Colombani Les Victorieuses, Victime de violence conjugale T129 Amadou Amal Les Impatientes, Mariage forcé T130 Madjidi Marx et la poupée, Comment peut-on être persane ?
497 498 500 502 504
Vers l’Esame di Stato
506
Thème 5 • Éducation et enseignement T131 Bégaudeau Entre les murs, Apprendre à devenir un adulte T132 Abdallah Mauvaises herbes, Je déteste encore plus l’école ici que là-bas T133 Orsenna La grammaire est une chanson douce, Magie des mots ou jargon scientifique ? T134 Pennac Chagrin d’école, J’étais un mauvais élève
507 508 510
Vers l’Esame di Stato
516
Thème 6 • Guerre et paix T135 Lemaitre Au revoir là-haut, À moins de dix jours de la fin de la guerre T136 Modiano Dora Bruder, Le dimanche de la fugue de Dora T137 Le Clézio Étoile errante, Esther et Nejma T138 Zeniter L’Art de perdre, Tu n’avais qu’à choisir le bon côté
517 518 520 522 524
Vers l’Esame di Stato
526
Glossaire et Index des auteurs cités
527
484
Jourde : Festins secrets, Un cauchemar de cochons
Laferrière : L’énigme du retour, Vie de quartier avant et après Maalouf : Les Identités meurtrières, Appartenances et identité
Godo : Je n’ai jamais voyagé, Le poème de votre vie
494 Tremblay : Les Bellessœurs, Une maudite vie plate
Ernaux : La Place, Études et classes sociales
512 514
Claudel : Les Âmes grises, Un pays prêt à se jeter dans la gueule d’un autre Vuillard : L’Ordre du jour, La conférence de Munich
XVII
Module
G
D’une guerre à l’autre 1900-1945
1 ● ● ● ● ● ●
Luc Albert Moreau, Au front, Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne (Paris), après 1918
2
Vers la modernité : Valéry et Apollinaire Les surréalistes : Breton, Éluard, Aragon Proust, romancier du Temps Gide, immoraliste ou moraliste ? Céline, scandale et génie Romanciers d’avant 45 : Colette, Giono, Saint-Exupéry, Némirovsky
306
Marcel Gromaire, La Place blanche, Musée Carnavalet (Paris), 1928
Thèmes
Les mots de la citoyenneté • Les mots des femmes • la langue • la liberté • la mort • la nature • les passions • la satire • la société • le souvenir
• l’amitié • l’amour • l’argent • le bonheur • la création • l’enfance • la femme • la guerre
• le temps • la ville
• Le droit à la paix • Joséphine Baker : du music-hall au Panthéon
Espaces interdisciplinaires • Littératures croisées : Proust et Pirandello : le « Moi » est-il unique ? • Cinéma : Le Temps retrouvé • Arts : Picasso et les avant-gardes
PENSÉE VISIBLE OBSERVER – RÉFLÉCHIR – COMPARER OBSERVER A Ces deux tableaux résument l’esprit de la première moitié du XXe siècle. Que représentent-ils d’après vous ? Décrivez les détails. RÉFLÉCHIR B Selon vous, quel est le message que veulent transmettre les deux peintres ? Quelle impression générale se dégage du second tableau par rapport
au premier ? L’atmosphère y est-elle seulement joyeuse et légère ? C Pourquoi, à votre avis, ces deux tableaux sont-ils représentatifs de cette période ? COMPARER D Quelles différences remarquez-vous dans la façon de peindre entre le premier et le deuxième tableau ?
MOTS PHARES 1 Complétez le texte avec les mots donnés. artistes • audacieuses • culturel • déchirée • déclin • hécatombe • transgressions • vainqueurs La première moitié du XXe siècle du point de vue politique… de la Cette période marque le 1 puissance française dans le monde. Deux guerres ont profondément bouleversé le pays, même si la France . La guerre de signe du côté des 2 humaine sans 14-18 a été une 3 précédent ; la défaite de 1940 a été brutale. En 1945, la France disparaît derrière ses alliés. … et du point de vue culturel Ce début de siècle est d’une richesse inouïe. Paris est extraordinaire où un centre 4
du monde entier. convergent les 5 Farouchement novatrice, cette période démystifie tout, renie toutes les formes traditionnelles pour trouver de nouvelles voies : dans cette atmosphère naissent, par exemple, les nouveaux courants artistiques du dadaïsme et du surréalisme. C’est le et des explorations siècle des 6 7 . par deux guerres Mais, 8 mondiales, cette période oscille sans arrêt entre l’enthousiasme et l’angoisse, entre le dégoût et la révolte, entre l’isolement et l’engagement, entre le besoin de vivre et la conscience tragique de la fin.
Ressources numériques Aperçu vidéo Audio Ligne du temps interactive Tableau parlant Textes extra
GUILLAUME APOLLINAIRE
AUTEURS COURANT
MARCEL PROUST LOUIS-FERDINAND CÉLINE LE SURRÉALISME (BRETON, ÉLUARD, ARAGON)
Fiches de révision
307
PANORAMA HISTORIQUE
Jalons historiques
Ligne du temps interactive
La Première Guerre mondiale et ses conséquences
28 juin 1914 L’attentat de Sarajevo déclenche la guerre
3 août 1914 La France entre en guerre 1915 La guerre des tranchées et la guerre totale
1917 L’année des basculements
11 novembre 1918 L’armistice et la victoire
308
À l’été 1914, les rivalités qui opposent les pays européens pour la conquête des colonies et les tensions liées aux différentes nationalités qui composent les grands empires de l’Europe centrale, se conjuguent pour provoquer un conflit d’une ampleur jamais connue. À Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine annexée récemment à l’empire austrohongrois, l’héritier du trône est tué par un nationaliste serbe revendiquant l’appartenance de la Bosnie à la Serbie. Par le jeu des alliances diplomatiques, cet incident local précipite les puissances européennes, ainsi que leurs colonies, dans une guerre « mondiale », opposant deux camps : la Triple Entente (Royaume-Uni, France, Russie) et la Triple Alliance (Empires allemand et austro-hongrois, puis Italie). Jean Jaurès, leader socialiste appelant désespérément à la paix, est assassiné le 31 juillet par un nationaliste. Les pacifistes français, désormais sans chefs, sont présentés comme des traîtres, alors qu’un courant belliciste attise l’esprit de revanche contre l’Allemagne, qui a pris l’Alsace-Lorraine en 1870. Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France. La France répond par la mobilisation générale. On croit alors que la guerre sera brève. La puissance destructrice de l’armement moderne empêche la guerre de mouvement et force les hommes à s’enterrer dans des tranchées. Les armées ennemies se retrouvent face à face dans leurs galeries respectives, séparées par un no man’s land où la mort attend les assaillants. Les tranchées s’organisent en réseaux complexes : lignes de feu en première ligne, abris, magasins à munitions, postes de commandement à l’arrière. Les soldats vivent dans la boue, le froid, les canonnades et les cadavres de leurs camarades. De temps en temps, l’état-major ordonne une percée pour essayer de débloquer le front : mais gagner quelques mètres vaut la vie à des milliers d’hommes. En moyenne, entre 1914 et 1918, 900 Français et 1300 Allemands meurent chaque jour sur le champ de bataille. Les batailles de Verdun (février-décembre 1916) ou de la Somme (juillet-novembre 1916) sont de véritables massacres où l’on meurt par centaines de milliers. À l’arrière, le gouvernement mobilise l’industrie, met en place une censure étroite des moyens de communication (presse, correspondances) et oriente la totalité des ressources vers ce qui devient une « guerre totale ». À partir de 1917, des troupes épuisées, lasses des carnages absurdes, se mettent en grève ; l’opinion, que la censure ne parvient plus à endormir, gronde. Le général Pétain, plus tard surnommé « le vainqueur de Verdun », est nommé commandant en chef des armées françaises. Proche de ses hommes, réaliste, il préfère attendre les Américains fraîchement entrés en guerre plutôt que lancer des attaques meurtrières et inutiles, ce qui redresse le moral des soldats. Entre-temps, la révolution russe de 1917 profite aux Allemands qui n’ont plus à combattre à l’Est. Mais l’entrée en guerre des États-Unis, qui apportent des hommes et du matériel, fait basculer la guerre en faveur de l’Entente. Après le débarquement d’un million de soldats américains, une offensive générale est lancée sur tous les fronts, avec renforts de chars et avions. Elle aboutit à la capitulation allemande. L’armistice est signé le 11 novembre 1918 dans un wagon de chemin de fer.
Un marin américain, un soldat français et un volontaire de la Croix-Rouge célèbrent l’armistice à Paris, le 11 novembre 1918
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
L’Allemagne n’est pas invitée aux négociations diplomatiques. Le traité qui règle son sort, et la mise en scène spectaculaire de sa signature (dans la même galerie des Glaces où l’Empire allemand avait été proclamé en 1870), vise à laver l’affront de 1870 et à « faire payer » l’empire vaincu, accusé d’être responsable de la guerre. Celui-ci doit rendre l’Alsace-Lorraine, démilitariser sa frontière, et payer d’importantes réparations en argent. Malgré le retour des riches provinces d’Alsace et de Lorraine, le bilan est lourd. On compte en France 2 500 000 décès entre militaires et civils (sachant que 3 781 000 hommes, dont 77 000 « indigènes » des colonies, ont été envoyés au front). La mort de tous ces jeunes gens avant d’être parents entraîne une grave crise démographique. Tout le Nord-Est du pays est en ruines puisque la guerre s’est déroulée sur ce territoire et que les Allemands ont opéré des destructions systématiques au cours de leur retraite. Une dette considérable accable le pays ; on recourt à l’inflation. Malgré la victoire, les privations continuent. En 1926, Raymond Poincaré, président du Conseil, stabilise le franc et rétablit l’équilibre budgétaire. Mais le krach boursier américain de 1929 provoque au début des années 1930 une crise économique et l’augmentation du chômage. L’incapacité de la classe politique à résoudre la crise, une succession de scandales financiers en France et la montée du fascisme et du nazisme en Italie et en Allemagne inspirent des Ligues nationalistes. Ces Ligues réclament un régime autoritaire et font de plus en plus d’adeptes. Le 6 février 1934, les Ligues organisent une manifestation qui dégénère en émeute sanglante. La presse se déchaîne ; le président Daladier démissionne, mais la République demeure. Ainsi en France, la démocratie résistet-elle à la crise. Ce traumatisme profite finalement à la gauche : face aux Ligues, les défenseurs de la République et des libertés démocratiques se rassemblent et, deux ans plus tard, un « Front Populaire » remporte les élections, avec à sa tête, le socialiste Léon Blum. C’est un changement radical dans la vie politique française, et un souffle d’espoir pour le monde ouvrier.
28 juin 1919 Le traité de Versailles, une paix arrogante 1919-1930 La France en pleine catastrophe financière France : 3 avril 1920. Les communes françaises vendent le pain au prix unique d’un franc afin de maintenir les prix bas. Les boulangeries qui refusent de se conformer à ce prix sont obligées de fermer
6 février 1934 Une crise politique
1936-1938 Le Front Populaire
MOTS PHARES J’AI COMPRIS L’ESSENTIEL Répondez aux questions. 1 Quand les soldats commencent-ils à creuser des tranchées, et pourquoi ? 2 Qu’est-ce qui fait finalement pencher le rapport de force en faveur d’un des deux camps ? 3 Pourquoi le traité de Versailles est-il humiliant pour l’Allemagne ? 4 La France termine la guerre en vainqueur. Pourtant, dans les années suivantes, sa situation économique est dramatique : pourquoi ?
Répondez aux questions. 1 Pourquoi une partie de l’opinion en 1914 est-elle animée d’un esprit de revanche ? 2 Selon vous, que signifie le terme « mobilisation » durant une guerre ? Quels secteurs de la société sont-ils concernés ? 3 Pourquoi est-il risqué de tenter une percée dans la guerre des tranchées ? Que cherche-t-on à percer ? 4 Par qui est signé l’armistice de 1918 ? Où a lieu cet événement et qu’apporte-t-il ? 5 Pourquoi certains combattants sont-ils des « indigènes » venus d’autres continents alors qu’on se bat en Europe ? Donnez des exemples de régions d’où ils sont originaires. 6 À quoi sont dus les problèmes de chômage dans les années 1920 ?
309
PANORAMA HISTORIQUE Ligne du temps interactive
1938-1939 L’envol des ultimes espoirs de paix
septembre 1939mai 1940 La « drôle de guerre » et la débâcle française
18 juin 1940 L’appel du général de Gaulle
mai-juillet 1940 L’armistice et la mise en place du régime de Vichy
juillet 1940juin 1944 La « Révolution nationale » et la collaboration d’État
310
Jalons historiques
La France dans la Seconde Guerre mondiale En 1938, la guerre qui semble prête à éclater devient la principale préoccupation en France et en Europe. Adolf Hitler, le chancelier de l’Allemagne, mène une politique d’annexion agressive ; en mars 1939, il envahit la Tchécoslovaquie. Français et Britanniques tentent un ultime évitement de la guerre au prix du sacrifice de leur alliée en signant les accords de Munich (septembre 1938), qui entérinent l’annexion des Sudètes contre la promesse de ne plus envahir d’autre territoire. Mais cela ne suffit pas à arrêter Hitler qui, le 1er septembre 1939, envahit la Pologne. Pour respecter ses engagements, la France déclare la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939. La France en guerre attend les Allemands derrière des lignes de fortifications essentiellement concentrées sur ses frontières de l’Est (la Ligne Maginot). Mais pendant sept mois, il ne se passe rien. Cette « drôle de guerre » est incompréhensible pour les troupes. Tout à coup, l’Allemagne lance l’offensive le 10 mai 1940, non pas depuis la frontière commune à l’est, mais par la Belgique. Paris est pris en quelques semaines ; le gouvernement et les parlementaires doivent se réfugier au Sud. La guerre-éclair anéantit l’armée française en cinq semaines : c’est la débâcle, faisant un million et demi de prisonniers. Des millions de civils affolés et des familles disloquées abandonnent leurs maisons et se lancent dans un exode désespéré vers le Sud, tandis que les Allemands pénètrent jusqu’à la Loire. Le 10 juin, Mussolini, qui entend récupérer le Comté de Nice, la Corse et la Tunisie, déclare la guerre à la France. Devant le désastre, la majorité du gouvernement pense que l’armistice est la meilleure solution : c’est ce que le maréchal Pétain, devenu président du Conseil, demande à Hitler le 16 juin. Le lendemain, il parle à la radio pour demander aux Français de cesser les combats. C’est alors qu’un sous-secrétaire d’État, un certain général de Gaulle, refuse le geste et fuit à Londres (l’Angleterre étant le seul pays européen démocratique résistant encore aux forces armées allemandes rassemblées dans la Wehrmacht (l’armée du IIIe Reich)). Le 18 juin, depuis les micros de la BBC que Winston Churchill met à sa disposition, il lance un appel aux Français. Il invite tout combattant ou ingénieur à le rejoindre à Londres pour continuer les combats. La Résistance est née. Mais l’armistice est bien signé le 22 juin 1940. La France est désormais coupée en deux zones : la zone occupée (la moitié nord de la France ainsi que tout le littoral atlantique), et la zone dite « libre » (la moitié sud hormis le littoral atlantique). L’Alsace-Lorraine quant à elle est véritablement annexée au Reich allemand. Bordeaux tombant dans la zone occupée, c’est au nord de la zone libre, dans la ville thermale de Vichy, que le nouveau pouvoir établit ses quartiers. La débâcle apparaît à beaucoup de Français comme le signe ultime qu’il faut réformer le régime qui les a conduits à la catastrophe. Le 10 juillet 1940, le maréchal Pétain demande pour ce faire les pleins pouvoirs, ce qu’un vote parlementaire lui accorde. Le nouveau régime que Pétain met en place n’est pas parlementaire ; il veut réaliser une « Révolution nationale » dont la devise « Travail, Famille, Patrie » remplace la devise républicaine. Il est appuyé au début par une bonne partie des Français, de l’Église, et de la droite. Le 24 octobre 1940, il rencontre Hitler, scellant la mise en place d’une collaboration avec l’Allemagne nazie. Vichy promulgue des lois de plus en plus antisémites. Le 16 juillet 1942, la police française arrête 13 000 juifs à Paris, qui sont rassemblés dans le Vélodrome d’Hiver pour être livrés à l’occupant (rafle du Vel’ d’hiv).
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
Le « mur de l’Atlantique » (puissante ligne défensive allemande tout le long du littoral atlantique) fait opter les Alliés pour un débarquement en Afrique du Nord (opération « Torch »). Au début, l’armée française des colonies, censée être aux ordres de Vichy, tire sur les Alliés. Mais elle se retourne rapidement en leur faveur, ce qui permet des victoires décisives. La riposte allemande au débarquement d’Afrique du Nord ne tarde pas : trois jours plus tard, la zone sud de la France est envahie. Le régime se durcit, les déportations en Allemagne de juifs et de résistants s’intensifient. L’invasion de l’URSS par l’Allemagne en juin 1941 précipite les communistes dans la Résistance. L’imposition du Service du Travail Obligatoire (STO) pour envoyer des Français travailler en Allemagne ne fait que grossir les rangs des résistants qui se cachent dans le maquis, d’où leur nom de « maquisards ». Plusieurs mouvements de résistance s’organisent contre l’occupant, imprimant des journaux clandestins, des faux papiers pour juifs et résistants, organisant des sabotages… Mais tous ces groupes divers et isolés manquent de coordination. En 1943, Jean Moulin est parachuté en France par de Gaulle pour unifier les réseaux et former le Conseil National de la Résistance (CNR). Au petit matin, près de 7000 navires traversent la Manche et débarquent plus de 150 000 hommes (Américains, Britanniques, Canadiens) sur les plages de Normandie, aidés d’un peu plus de 3000 FFL (Forces Françaises Libres), c’est-à-dire les combattants français ayant rejoint de Gaulle à Londres. Les Alliés ont ouvert une brèche, et vont peu à peu parvenir à libérer la France puis toute l’Europe occidentale. Paris est libéré en une semaine par l’action conjointe des FFI (Forces Françaises de l’Intérieur qui rassemblent tous les groupes résistants armés) et des Alliés. Le 26 août, de Gaulle descend les Champs-Élysées en vainqueur et héros. Ce geste symbolique contribue à garantir la place de la France dans le camp des vainqueurs du conflit. Le régime de Vichy est aboli et remplacé par le GPRF (Gouvernement Provisoire de la République Française) dirigé par de Gaulle. Le territoire français est progressivement libéré. Le 8 mai 1945, l’Allemagne capitule. Mais le GPRF a deux grands défis à relever : reconstruire un pays détruit par les combats, et rétablir l’ordre, car l’épuration spontanée des « collabos » par des groupes armés de résistants conduit à des excès. Les cours de justice sont rétablies pour juger les délits de guerre dans la légalité.
novembre 1942 Le débarquement en Afrique du Nord et ses conséquences 1943 La Résistance française s’unifie
6 juin 1944 (« Jour J ») Le débarquement de Normandie 26 août 1944 Paris libéré 1944-1946 Le GPRF
MOTS PHARES J’AI COMPRIS L’ESSENTIEL Répondez aux questions. 1 Qui lance l’appel du 18 juin ? Pourquoi cet appel est-il considéré comme l’acte de naissance de la Résistance française ? 2 Expliquez ce que signifient les expressions « zone occupée » et « zone libre ». 3 Quels événements viennent grossir les rangs des « maquisards » au cours de la guerre ? 4 Quelle est la différence entre les FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) et les FFL (Forces Françaises Libres) ?
Les termes suivants ont un sens ordinaire dans la vie quotidienne, mais aussi un sens historique précis dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. Pour chacun, imaginez deux phrases simples : l’une où vous l’emploierez dans son sens ordinaire, et l’autre où vous l’emploierez dans son sens historique (vous pouvez vous aider d’un dictionnaire). • débâcle • collaboration (ou collaborateur/collaboratrice) • résistance (ou résistant/résistante) • maquis • débarquement
311
PANORAMA SOCIO-CULTUREL
Des années folles aux années noires Les années 1920 ou « années folles » : une société transformée Les gagnants et les perdants de la guerre Malgré les tranchées qui ont momentanément estompé les distinctions sociales, la guerre a profondément modifié la société sans effacer les classes. Alors que certains « nouveaux » riches enrichis par la guerre affichent un luxe tapageur, la petite bourgeoisie qui fournissait ses cadres à l’armée a été durement touchée. Les paysans ont eux aussi payé un lourd tribut ; ils représentent près de la moitié des morts. Les ouvriers, qui avaient été affectés dans les usines à l’arrière, comptent moins de morts, mais leur sort ne s’améliore pas, au contraire : ils sont de plus en plus astreints au travail à la chaîne qui se développe sur le modèle américain avec le fordisme et le taylorisme.
Paris la nuit, un cabaret à Montmartre, illustration de Manuel Orazi, extraite de L’Amour et l’Esprit gaulois de Edmond Haraucourt, bibliothèque des Arts Décoratifs (Paris), vers 1925
312
L’émancipation de la femme La condition de la femme, en revanche, change. Remplaçant l’homme mobilisé, celle-ci s’est mise à travailler dans les champs et les usines, à gérer seule la famille, à affirmer son autonomie morale et financière. Les nécessités du travail et les privations ont amené l’abandon du corset et un raccourcissement des robes ; les femmes se coupent les cheveux à la « garçonne » ; certaines fument. Contrairement aux Britanniques, les Françaises n’obtiennent pas le droit de vote, mais ces signes extérieurs symbolisent un pas vers l’émancipation.
Un renversement des valeurs : les « années folles » Après quatre ans de souffrances, la France est prise d’un violent désir de plaisir et la morale traditionnelle est en crise. On veut oublier ; on veut être libre. Dans cette atmosphère naissent le dadaïsme, le surréalisme, l’amoralisme d’André Gide. Dans des robes qui laissent le corps libre et dévoile ses formes, on danse au son du tango et du jazz venus des Amériques. À Paris, le quartier Montparnasse devient le haut lieu des courants révolutionnaires, intellectuels ou artistiques. Mais la grande majorité des Français reste indifférente à l’effervescence de la capitale.
Les avancées démocratiques du Front Populaire (1936-1938)
La victoire du Front Populaire aux élections de 1936 marque un changement radical dans la vie de la société française, et un souffle d’espoir pour le monde ouvrier. À sa tête, le socialiste Léon Blum forme un ministère que les communistes soutiennent sans y participer, et qui pour la première fois compte trois femmes (alors que les Françaises n’ont toujours pas le droit de vote). Dans tout le pays se produit alors un déferlement de grèves, grèves tranquilles dans l’euphorie de la victoire. Des négociations sont entamées entre le patronat et les syndicats, et d’importantes réformes sociales sont réalisées. Les plus significatives sont la réduction du temps de travail à 40 heures par semaine sans diminution de salaire, l’octroi de deux semaines de congés payés, et le droit pour les syndicats d’établir avec les patrons des « conventions collectives ». Pour les ouvriers, c’est une incontestable victoire. C’est une avancée démocratique considérable : auparavant, seules les classes aisées pouvaient s’offrir le luxe de partir en vacances. L’été 1936 voit pour la première fois l’arrivée sur les plages de nombreuses familles d’ouvriers. Même si la France est rattrapée par les difficultés dès 1938, la brève expérience du Front Populaire marque profondément la société française : le monde ouvrier a pris conscience de soi et l’impératif d’une justice sociale s’est affirmé.
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
Après 1945 : une France détruite et traumatisée
Outre ses considérables dégâts militaires, cette seconde guerre « totale » a lourdement éprouvé les civils : 200 000 déportés, 40 000 fusillés, 50 000 victimes des bombardements ; sans compter les Alsaciens-Lorrains enrôlés de force dans la Wehrmacht, ceux qui sont morts de la pénurie, et toutes les naissances manquées. Le bilan économique est catastrophique, et les traumatismes psychologiques profonds. Les Français se rendent compte qu’ils doivent en grande partie leur libération aux Alliés. La débâcle et la collaboration ont fait perdre à la France son prestige international de puissance militaire et démocratique. Derrière l’euphorie de la libération, d’immenses difficultés politiques, économiques, coloniales jettent leur ombre sur la France de l’après-guerre.
Mais la reconstruction ne va pas tarder. Grâce à la Résistance et à de Gaulle, la France réintègre le concert des nations démocratiques, ce qui lui vaudra un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.
Foule de Français qui acclame les troupes américaines entrant dans Paris
EN SYNTHÈSE Complétez les textes avec les mots donnés. autonomie • bourgeoisie • civils • démocratique • émancipation • lois • militaires • ouvriers • paysans • reconstruction • sociale • traumatismes
Des années folles aux années noires Les années 1920 • La guerre a modifié la société mais n’a pas effacé les classes. La petite 1 a été durement touchée. Les 2 représentent près de la moitié des morts de la guerre tandis que les 3 sont de plus en plus forcés au travail à la chaîne sur les modèles américains. • Les femmes affirment leur 4 morale et financière. Les conditions difficiles de la guerre les ont portées à changer leur habillement et leur comportement en société. Les Françaises n’obtiennent pas le droit de vote mais ces éléments marquent le début de leur 5 . • Quatre ans de guerre ont bousculé les mœurs, surtout à Paris, où le quartier Montparnasse devient le haut lieu des courants intellectuels et artistiques novateurs.
Les années 1930 • La victoire du Front Populaire aux élections de 1936 marque un changement radical. Une série de 6 sociales sont promulguées (réduction du temps de travail, hausse des salaires, diverses assurances, le droit à deux semaines de congés payés par an). Il s’agit d’une avancée 7 considérable : le monde ouvrier a pris conscience de soi et l’impératif d’une justice 8 s’est affirmé.
Les conséquences de la Seconde Guerre mondiale en France • Outre ses considérables dégâts 9 , la guerre a touché particulièrement les 10 : personnes déportées, fusillées, victimes des bombardements, personnes qui sont mortes des pénuries de nourriture, et toutes les naissances manquées. Le bilan économique est catastrophique, psychologiques et les 11 profonds. • Les difficultés économiques, coloniales et l’instabilité politique représentent un de véritable défi dans la 12 la France de l’après-guerre. Néanmoins, celle-ci ne va pas tarder. Grâce à de Gaulle, la France obtient un siège au Conseil de sécurité de l’ONU et va peu à peu retrouver une place importante sur la scène internationale.
313
PANORAMA LITTÉRAIRE
La poésie au début du XXe siècle
L’Avenue de l’Opéra 1861-1875, illustration d’un livre de vue de Paris (éditions d’art Patras, vers 1920)
Au début du XXe siècle, il n’existe pas d’autre école poétique que le surréalisme [→ p. 326], mais des voix poétiques différentes, très fécondes dans leur diversité, se font entendre essentiellement dans deux directions différentes. La poésie oscille entre un renouveau « classique » avec Paul Valéry, Paul Claudel ou Charles Péguy et une modernité incarnée par Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars et les surréalistes, aussi bien en ce qui concerne les thèmes traités qu’en ce qui concerne la forme audacieuse qui enfreint les règles. D’autres poètes se situent entre deux tendances comme Jules Supervielle ou Saint-John Perse. Pourquoi parler d’héritage du classicisme ? Le terme de « classicisme » est relié à une période historique [→ p. 191] contre laquelle se sont élevés les romantiques ; toutefois l’adjectif « classique » peut s’appliquer à des poètes d’autres périodes et Valéry [→ p. 317] le revendique pour lui-même, alors qu’on le classe aussi volontiers chez les symbolistes. Outre son attention à la mythologie, c’est surtout parce qu’il exalte le travail conscient sur la langue, les contraintes des formes fixes et la perfection formelle que Valéry est « classique ». Péguy, dont l’inspiration est plus mystique, rejoint Valéry : tous deux sont particulièrement attentifs à la qualité sonore du vers, en bons disciples de Mallarmé dont on a retenu le vers célèbre pour sa musicalité « Aboli bibelot d’inanité sonore ». Le travail sur les sonorités est particulièrement sensible dans ces vers où Valéry suggère comment une grenade trop mure éclate et libère ses grains. On entend, avec les allitérations, comme le craquement du fruit : Et que si l’or sec de l’écorce À la demande d’une force Crève en gemmes rouges de jus (« Les Grenades », Charmes, 1922)
314
Sous quelle forme poétique s’exprime la modernité ? Les avant-gardes vont remettre en question la forme même de la poésie. Certes, déjà Baudelaire souhaitait « le miracle d’une poésie sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurté pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ». Baudelaire excelle dans le poème en prose où le rythme non contraint joue un rôle fondamental. La notion de vers ne disparaît cependant pas, mais les contraintes qui lui étaient liées disparaissent dans le vers que l’on dit « libre ». Apollinaire poussera l’innovation jusqu’à supprimer toute forme de ponctuation incarnant en poésie « l’esprit nouveau » qu’il promeut, refusant les règles et s’autorisant des hardiesses syntaxiques comme dans ce poème, Les colchiques : Le pré est vénéneux mais joli en automne Les vaches y paissant Lentement s’empoisonnent Le colchique couleur de cerne et de lilas Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là Violâtres comme leur cerne et comme cet automne Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne (Alcools, 1913) L’absence de ponctuation abolit la frontière des phrases et crée une ambiguïté (le colchique y fleurit ; tes yeux sont… ou bien le colchique y fleurit tes yeux avec le mot yeux à la fois COD de fleurir et sujet de sont). Dans le domaine de l’innovation formelle, Apollinaire ira jusqu’à transformer le poème en dessin avec ses Calligrammes [→ p. 321]. La modernité n’est-elle pas aussi une question de thèmes ? La poésie d’avant-garde bouleverse aussi les thèmes traditionnels en représentant le monde contemporain et ses nouveautés. Apollinaire [→ p. 316] promeut l’avant-garde artistique qui a marqué le début du XXe siècle et il écrit en 1913 L’Antitradition futuriste, manifeste qui renie tout passéisme pour célébrer l’homme moderne.
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 Quant à Cendrars, il disait : « L’heure de la Tour Eiffel avait sonné. Elle était le mât de la TSF. Elle donnait l’heure à tous les navires en haute mer. Pourquoi pas aux poètes ? ». Ses poèmes évoquent le voyage et la découverte du monde moderne, à New York notamment où il fait l’expérience de la ville, des machines, de la vitesse. N’y a-t-il pas un espace aussi pour l’hétérogénéité ? La création poétique a des formes multiples. Un poète comme Jules Supervielle se place entre deux courants : le classicisme qu’il admire, voyant dans les contraintes de prosodie des « gênes exquises » comme le disait Valéry, et le surréalisme, bien qu’il n’ait jamais fréquenté les poètes surréalistes, sans doute par refus de se laisser trop aller à la folie. Il écrit en prose ou en vers d’une grande diversité, laissant le « poème faire son choix ». Sa poésie tente de concilier deux aspirations : le rêve et la précision. « La poésie, dit-il, vient chez moi d’un rêve toujours latent », mais « le poète doit être éveillé tout en gardant des lambeaux de sommeil conscient ». Quant à Saint-John Perse, il reçoit en 1960 le prix Nobel de littérature « pour l’envolée altière et la richesse imaginative de sa création poétique, qui donne un reflet visionnaire de l’heure présente ». Sa poésie, en prose ou en versets, est difficile d’accès, notamment par
l’emploi d’un vocabulaire technique, érudit, et de mots polysémiques, mais emporte le lecteur par la richesse de ses images, et surtout par son rythme et sa musicalité. Car « le poète aussi est avec nous, sur la chaussée des hommes et de son temps » (Vents) : il doit faciliter le « renouement » de l’homme vers son élan vital. C’étaient de très grands vents sur la terre des hommes – de très grands vents à l’œuvre parmi nous, Qui nous chantaient l’horreur de vivre, et nous chantaient l’honneur de vivre, ah ! et nous chantaient et nous chantaient au plus haut faîte du péril, Et sur les flûtes sauvages du malheur nous conduisaient, hommes nouveaux, à nos façons nouvelles. (Vents, 1946)
J’AI COMPRIS L’ESSENTIEL Répondez aux questions. 1 Qu’est-ce qui unit Valéry et Péguy ? 2 Quelle est la révolution poétique qu’apporte Apollinaire ? 3 En quoi peut-on considérer Cendrars comme un poète de la modernité ? 4 En quoi Supervielle et Perse sont-ils à la fois classiques et modernes ?
VUE D’ENSEMBLE La poésie au début du XXe siècle Vers la modernité • conciliation de deux aspirations : le rêve et la précision • richesse des images • rythme non contraint • vers « libre » • absence de ponctuation • représentation du monde contemporain • célébration de l’homme moderne
Paul Valéry Album de vers anciens Texte 73 Charmes Texte 74
Guillaume Apollinaire Alcools Texte 75 Calligrammes Texte 76
315
VERS LA MODERNITÉ
→ Mots phares, p. 325
Entre classicisme et avant-gardes Paul Valéry (1871-1945)
La poésie au début du XXe siècle
Imprégné de culture classique, Valéry considère la pratique de la poésie comme un exercice de la pensée. Exigeante pour le poète, sa poésie l’est aussi pour le lecteur, appelé à trouver par lui-même le sens des poèmes.
Vers la modernité • conciliation de deux aspirations : le rêve et la précision • richesse des images • rythme non contraint • vers « libre » • absence de ponctuation • représentation du monde contemporain • célébration de l’homme moderne
Paul Valéry
L’influence précoce du symbolisme et l’éclipse poétique Paul Valéry naît à Sète, au bord de la Méditerranée, en 1871. Il suit une éducation classique. Sa rencontre avec André Gide [→ p. 350], puis Stéphane Mallarmé, est essentielle pour lui. Le jeune poète subit l’influence du symbolisme et publie dans diverses revues symbolistes des poèmes qu’il réunira plus tard dans l’Album de vers anciens (1920, → texte 73). Mais après une profonde crise existentielle, il renonce à la poésie pour se consacrer à l’étude et à la recherche intellectuelle, et il s’installe à Paris. Pendant vingt ans, Valéry observe un long silence poétique, mais publie le fruit de ses méditations et de ses réflexions dans deux essais : Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1895) puis La Soirée avec M. Teste (1896). Voulant démontrer les vertus de la rigueur intellectuelle et de la connaissance de soi, l’auteur se sert de l’immortel Léonard, cet « homme universel » aux aptitudes illimitées, et d’un personnage de son invention, M. Teste, « monstre d’intelligence », pour incarner la force de l’esprit.
Guillaume Apollinaire
Album de vers anciens Texte 73 Charmes Texte 74
Alcools Texte 75 Calligrammes Texte 76
Le retour à la poésie Sous l’influence d’André Gide et de l’éditeur Gaston Gallimard, Valéry fait paraître en 1917 La Jeune Parque, puis en 1922 le recueil Charmes, qui constitue l’aboutissement de sa pensée. Les thèmes essentiels de sa réflexion s’y retrouvent : celui de la création poétique, de la naissance de l’œuvre à son achèvement, avec une insistance sur la nécessité double de l’inspiration et du travail, mais aussi celui de la condition humaine, de la vie et de la mort, avec, dans certaines pièces, une invitation pressante au carpe diem.
LA VIE ET LES ŒUVRES Naissance de Valéry à Sète
1871
Naissance d’Apollinaire à Rome 1880
Installation sur la Côte d’Azur 1887
« Nuit de Gênes », Valéry renonce à la poésie
4-5 octobre 1892 Introduction à la méthode de Léonard de Vinci
316
1895
1896
La Soirée avec M. Teste
Installation à Paris
1899 La Chanson du mal-aimé
1909
1913
Alcools Les Peintres cubistes, méditations esthétiques, essai L’Antitradition futuriste, manifeste
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 Le titre du recueil, « charmes », traduit le latin carmina, c’est-à-dire poèmes, mais aussi chant magique. Grâce à un travail minutieux sur la langue, les vingt-et-un poèmes de Charmes sont d’une forme « parfaite ». Sous l’influence de l’hermétisme de Mallarmé, ils sont toujours susceptibles de plusieurs interprétations : c’est là le pouvoir et l’enchantement des mots [→ texte 74].
La gloire Élu à l’Académie française, professeur au Collège de France, Valéry publie des essais et les textes de ses conférences dans plusieurs recueils (5 recueils de Variétés, Regards sur le monde actuel (1931), Tel Quel (1941) entre autres). Il poursuit son travail sous l’occupation malgré ses origines juives, et meurt à Paris le 20 juillet 1945. Le général de Gaulle organise des funérailles nationales. Valéry est inhumé à Sète, dans « son » cimetière marin, dominant la mer, célébré dans le poème du même nom.
Guillaume Apollinaire (1880-1918) À LA DÉCOUVERTE DE L’AUTEUR
GUILLAUME APOLLINAIRE
SA VIE ET SON ŒUVRE ALCOOLS
Introduction vidéo
Ligne du temps interactive
Parcours interactif
POUR FAIRE LE POINT
Test interactif
Une jeunesse européenne Guillaume Apollinaire naît à Rome en 1880, fils naturel d’un officier italien et d’une femme d’origine polonaise. À sept ans, il est avec sa mère sur la Côte d’Azur, où il commence de bonnes études. Toujours avec elle, il s’installe à Paris en 1899. Il est ensuite engagé comme précepteur en Rhénanie, région qu’il évoquera plus tard dans ses poèmes d’Alcools. Il s’éprend de la jeune gouvernante anglaise du château, qui le repousse. Cet épisode lui inspirera La Chanson du mal-aimé (1909) [→ texte 75]. Le promoteur de l’avant-garde artistique Revenu à Paris, il fréquente les milieux artistiques. Il mène une vie de bohème et fréquente les cafés et les ateliers. En 1913 il défend les peintres cubistes dans son essai Les Peintres cubistes, méditations esthétiques.
Apollinaire est envoyé au front 1915
1916 Les Mamelles de Tirésias, drame surréaliste
Élu à l’Académie française
Mort d’Apollinaire à Paris
Blessé, il revient à Paris 1917
1917
La Jeune Parque
1918 1918
1920
1922
Charmes
Calligrammes L’Esprit nouveau et les poètes, manifeste
1925
Album de vers anciens
Mort de Valéry à Paris
1945
1957-1961 Cahiers, publication posthume
317
VERS LA MODERNITÉ Toutes les manifestations de la modernité l’intéressent. La même année, il publie L’Antitradition futuriste, manifeste en faveur du mouvement animé par l’Italien Marinetti, qui renie tout passéisme pour célébrer l’homme moderne. 1913 est aussi l’année de la publication d’Alcools [→ texte 75]. Le recueil constitue un coup de tonnerre dans la poésie de l’époque tant par ses thèmes que par sa forme. Lorsqu’Apollinaire décide de rassembler des poèmes déjà publiés dans des revues, il décide de supprimer toute ponctuation. Il cherche en effet à introduire l’« esprit nouveau » de la création picturale des avant-gardes dans sa poésie en forçant la syntaxe et en explorant, par des images insolites et déconcertantes, les possibilités figuratives du vers.
Max Jacob, Guillaume Apollinaire et sa muse, Musée des Beaux-Arts d'Orléans, 1910
L’engagement et la guerre Quand éclate la guerre, Apollinaire part comme engagé volontaire. Il est envoyé au front en avril 1915. Le 17 mars 1916, il est blessé à la tête et rentre à Paris. Peu après, il publie un « drame surréaliste », Les Mamelles de Tirésias (1917) où il utilise pour la première fois le néologisme « surréalisme ». En 1918 paraît Calligrammes, nouveau recueil de poèmes, où il poursuit ses recherches formelles : il fait des poèmes-dessins, ou idéogrammes [→ texte 76] ; grâce à la présentation typographique du texte, il dessine véritablement l’objet chanté par le poème. Il propose également dans Calligrammes des poèmes-conversations, constitués par le rapprochement de conversations saisies ça et là, parfois simultanément, dans le quotidien, et que le poète invite à écouter comme s’il s’agissait de musique. À côté de ces hardiesses esthétiques, certains poèmes de facture plus classique sont inspirés par l’horreur de la guerre ou par l’amour. La fin de la guerre est le moment où Apollinaire épouse Jacqueline Kolb, la « jolie rousse » des Calligrammes. Mais, atteint par l’épidémie de grippe espagnole, il meurt le 9 novembre 1918, l’avant-veille de l’armistice.
J’AI COMPRIS L’ESSENTIEL Répondez aux questions. 1 Pourquoi peut-on considérer Paul Valéry comme un poète hermétique ? 2 Comment la réflexion intellectuelle influence-t-elle la poésie de Valéry ? 3 Quelle relation Apollinaire a-t-il entretenue avec les avant-gardes artistiques ? 4 Quelles sont les principales caractéristiques des Calligrammes ? 5 Quels sont les principaux thèmes abordés par Apollinaire dans sa poésie ?
318
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
Thèmes l’amour • la nature • le temps
Le bois amical T 73
73
Paul Valéry, Album de vers anciens (1920) Ce sonnet dépeint un lieu connu de l’auteur et identifiable, un espace sentimental tant « amical » que mélancolique. Valéry y raconte d’ailleurs l’histoire d’une amitié et fait de ce bois un lieu de mémoire. Nous avons pensé des choses pures Côte à côte, le long des chemins, Nous nous sommes tenus par les mains Sans dire… parmi les fleurs obscures ;
MOTS PHARES • Le lieu poétique • La tendresse • La sensualité
5
PENSÉE VISIBLE
Nous marchions comme des fiancés Seuls, dans la nuit verte des prairies ; Nous partagions ce fruit de féeries La lune amicale aux insensés
Et puis, nous sommes morts sur la mousse , 10 Très loin, tout seuls parmi l’ombre douce De ce bois intime et murmurant ;
1 fiabe 2 muschio
Et là-haut, dans la lumière immense, Nous nous sommes trouvés en pleurant Ô mon cher compagnon de silence !
COMPRENDRE 1 Quel est le lieu décrit dans ce poème ? 2 À quels sentiments cet espace est-il rattaché ? Comment comprenez-vous le groupe nominal « des choses pures » au vers 1 ? Fait-il référence à un amour charnel ? Appuyez-vous sur le texte pour justifier votre réponse.
ANALYSER 3 Relevez le champ lexical qui se réfère à l’espace de ce poème. Quelles connotations lui associez-vous ? Pourquoi le poète a-t-il utilisé l’article défini « le » dans le titre ? 4 En vous appuyant notamment sur l’emploi des pronoms personnels et des déterminants possessifs, examinez l’évolution du lien amical au fil du poème. 5 Vers 5 : quelle figure de style identifiez-vous ? Commentez son emploi. 6 Quels sont les temps verbaux utilisés dans ce texte ? Quelle valeur ont-ils ?
PENSER – PARTAGER L’amitié est-elle importante pour vous ? L’est-elle plus que l’amour ? A Comment vous comporteriez-vous s’il vous fallait choisir entre conserver un(e) ami(e) ou un amour ? B Chacun expose son opinion. Écrivez chaque opinion au tableau. C Repérez les idées les plus intéressantes et faites une synthèse de ce qui a été dit. Résumez vos idées sur l’amitié.
7 Relevez des indices faisant référence au cadre temporel. À quel moment précis les faits évoqués se sont-ils déroulés ? Selon vous, pourquoi ? 8 Dans les strophes centrales, relevez deux métaphores. Quelle vision du lieu ces images véhiculent-elles ? 9 Quels sens sont évoqués ici ? Relevez des mots ou des expressions qui s’y rapportent.
RÉCAPITULER 10 En quoi la relation décrite par le poète est-elle étrange ? Appuyez-vous sur le texte pour justifier votre réponse. 11 En quoi le bois amical est-il un lieu de mémoire pour Valéry ? Observez les temps verbaux pour répondre.
DISCUTER 12 Avez-vous également un endroit qui vous rappelle de bons souvenirs dans lequel vous vous rendez de temps en temps ? Partagez votre expérience avec vos camarades.
319
VERS LA MODERNITÉ
Thèmes la mort • la nature • le temps
Le cimetière marin T 74
74
Paul Valéry, Charmes (1922) Publié pour la première fois en 1920, ce poème est l’un des chefs-d’œuvre de la poésie moderne. Avec ses 24 strophes, le poème est une longue méditation sur la condition humaine. Ce cimetière qui domine la mer du haut de sa colline est celui de Sète, la ville natale de Valéry. La mer et la lumière de la Méditerranée lui inspirent les thèmes qui l’ont accompagné pendant toute sa vie artistique et intellectuelle : la réflexion profonde de la conscience sur l’opposition entre la vie et la mort, la lumière et l’ombre, le mouvement et l’immobilité, le rêve et la pensée, qu’il a su traduire en images fortement évocatrices. Ce toit tranquille, où marchent des colombes, Entre les pins palpite, entre les tombes ; Midi le juste y compose de feux La mer, la mer, toujours recommencée 5 Ô récompense après une pensée Qu’un long regard sur le calme des dieux ! Quel pur travail de fins éclairs consume Maint diamant d’imperceptible écume , Et quelle paix semble se concevoir ! 10 Quand sur l’abîme un soleil se repose, Ouvrages purs d’une éternelle cause, Le Temps scintille et le Songe est savoir. […]
Le poète se laisse tenter par le désir d’immuabilité et d’immobilité, comme la nature qui l’entoure. Puis il se ressaisit et se tourne à nouveau vers la vie et le mouvement. Non, non !... Debout! Dans l’ère successive ! Brisez, mon corps, cette forme pensive ! 15 Buvez, mon sein, la naissance du vent ! Une fraîcheur, de la mer exhalée, Me rend mon âme… Ô puissance salée ! Courons à l’onde en rejaillir vivant. […] Le vent se lève ! … il faut tenter de vivre ! 20 L’air immense ouvre et referme mon livre, La vague en poudre ose jaillir des rocs ! Envolez-vous, pages tout éblouies ! Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies Ce toit tranquille où picoraient des focs !
1 fiamme, luci 2 lampi 3 molti diamanti 4 schiuma 5 abisso 6 per risalirne 7 in polvere 8 sgorgare, zampillare 9 rocce (lett.) 10 abbagliate 11 razzolavano fiocchi (vele triangolari)
320
MOTS PHARES • La méditation métaphysique • La nostalgie • Le paysage extérieur et intérieur • Le pouvoir de suggestion • L’appel à la vie
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
Cimetière marin à Sète, en région Occitanie (France)
Vers l’ESABAC VUE D’ENSEMBLE
1 Où se trouve le poète et à quel moment de la journée ? 2 Dans quel cadre naturel se trouve le cimetière ? 3 Quel nouvel élément naturel surgit dans les dernières strophes ? Quel effet produit-il sur le poète ?
COMMENTAIRE DIRIGÉ
Justifiez toujours vos réponses par des mots du texte.
Compréhension 4 Retrouvez les éléments lexicaux qui dans ces strophes renvoient à la mer, au soleil et au vent. Comment sont-ils distribués à l’intérieur du poème ? 5 Relevez et expliquez les deux métaphores présentes dans le premier vers. 6 Quel est l’état d’âme du poète dans les deux premières strophes ? Dans quel état semble se trouver le poète face à ce paysage, alors qu’il vit un moment suspendu ? 7 Que représentent les éléments naturels évoqués dans les dernières strophes après l’atmosphère calme des premières strophes ? Qu’est-ce que le poète y retrouve ? 8 Quelle est la fonction des exclamations des deux dernières strophes ? Quels autres éléments linguistiques accompagnent les exclamations ?
Interprétation 9 En quoi peut-on affirmer que la mer et le poète se ressemblent ? 10 Ce poème a une structure classique et en même temps originale. Analysez la métrique et la composition des vers, le rythme, les figures de style, les rimes, la longueur des phrases, les modes et les temps verbaux. En quoi consiste la modernité du poème d’après vous ?
Réflexion personnelle 11 La mer, et plus généralement l’eau, représente un topos littéraire. Développez ce sujet en considérant des œuvres de votre connaissance (300 mots minimum).
321
VERS LA MODERNITÉ
Thèmes l’amour • la ville
La Chanson du mal-aimé T 75
75
Guillaume Apollinaire, Alcools (1913) Avec ses cinquante-neuf quintils – soixante avec l’épigraphe – ce long poème raconte la désillusion amoureuse d’Apollinaire avec Annie Playden, la jeune gouvernante anglaise rencontrée en Allemagne puis recontactée à Londres, où elle était rentrée. Le titre du poème présente le néologisme « mal-aimé », créé par Apollinaire en opposition à « bien-aimé », qui nous fait comprendre dès le début que les tentatives de reconquérir la jeune femme sont vaines. Dans les premières strophes du poème, le poète croit voir sa bien-aimée dans les rues de Londres. À Paul Léautaud .
MOTS PHARES • La déception amoureuse • Le souvenir • Le rêve
1 Léautaud pubblicò la Chanson nel 1909 2 fenice (uccello mitologico che rinasce dalle proprie ceneri) 3 canaglia 4 fischiettava 5 allusione all’esodo degli Ebrei dall’Egitto inseguiti dal Faraone 6 ubriaca 7 liccio (strumento per tessere i tappeti, allusione alla tela che tesseva Penelope) 8 Shakuntala, eroina della mitologia induista che aspetta il suo amore nascosta nella foresta
322
Et je chantais cette romance En 1903 sans savoir Que mon amour à la semblance Du beau Phénix s’il meurt un soir 5 Le matin voit sa renaissance.
C’était son regard d’inhumaine La cicatrice à son cou nu Sortit saoule d’une taverne Au moment où je reconnus 30 La fausseté de l’amour même
Un soir de demi-brume à Londres Un voyou qui ressemblait à Mon amour vint à ma rencontre Et le regard qu’il me jeta 10 Me fit baisser les yeux de honte
Lorsqu’il fut de retour enfin Dans sa patrie le sage Ulysse Son vieux chien de lui se souvint Près d’un tapis de haute lisse 35 Sa femme attendait qu’il revînt
Je suivis ce mauvais garçon Qui sifflotait mains dans les poches Nous semblions entre les maisons Onde ouverte de la mer Rouge 15 Lui les Hébreux moi Pharaon
L’époux royal de Sacontale Las de vaincre se réjouit Quand il la retrouva plus pâle D’attente et d’amour yeux pâlis 40 Caressant sa gazelle mâle
Que tombent ces vagues de briques Si tu ne fus pas bien aimée Je suis le souverain d’Égypte Sa sœur-épouse son armée 20 Si tu n’es pas l’amour unique
J’ai pensé à ces rois heureux Lorsque le faux amour et celle Dont je suis encore amoureux Heurtant leurs ombres infidèles 45 Me rendirent si malheureux
Au tournant d’une rue brûlant De tous les feux de ses façades Plaies du brouillard sanguinolent Où se lamentaient les façades 25 Une femme lui ressemblant
Regrets sur quoi l’enfer se fonde Qu’un ciel d’oubli s’ouvre à mes vœux Pour son baiser les rois du monde Seraient morts les pauvres fameux 50 Pour elle eussent vendu leur ombre […]
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
File de personnes attendant pour monter sur le tramway, près de Blackfriars Bridge (Londres), 1912
Vers l’ESABAC VUE D’ENSEMBLE
1 À quel moment et où se passe l’histoire racontée dans ce poème ? 2 Le poète croit voir sa bien-aimée à travers deux figures plutôt louches : lesquelles ? Décrivez-les. Quelle est l’idée que le lecteur se fait de la femme aimée par le poète à la fin du poème ? 3 Apollinaire se réfère à deux rois de la mythologie. Qui sont-ils ? Pourquoi leur bonheur s’oppose-t-il à l’état d’âme du poète ?
COMMENTAIRE DIRIGÉ
Justifiez toujours vos réponses par des mots du texte.
Compréhension 4 5 6 7 8 9
Quels sont les éléments qui font de ce poème un récit ? En quoi décrit-il un échec amoureux ? Relevez une métaphore dans le poème. Comment les personnages que le poète rencontre sont-ils associés à sa bien-aimée ? En quoi le récit est-il à la fois réaliste et onirique ? En quoi la forme de ce poème est-elle à la fois traditionnelle et moderne ? Pour répondre, observez les rimes, les strophes et la ponctuation.
Interprétation 10 Étudiez l’évolution des sentiments du poète. 11 Quel effet produisent les innovations poétiques introduites par Apollinaire dans ces vers ? En quoi reflètent-elles l’état d’âme du poète ?
Réflexion personnelle 12 L’amour non partagé est un topos de la littérature à toutes les époques. Réfléchissez sur ce sujet à partir de vos connaissances (300 mots minimum).
323
VERS LA MODERNITÉ
Thèmes l’amour • la guerre
La colombe poignardée et le jet d’eau T 76
MOTS PHARES • Le calligramme • La mélancolie • L’engagement
Texte extra : Calligrammes, Il pleut
1 accoltellate 2 schizzano verso il cielo 3 alloro
76
Guillaume Apollinaire, Calligrammes (1918) Mêlant dessin et écriture, ce poème embrasse la forme du calligramme. Libre dans l’espace de la page, cet écrit poétique pictural mêle des thèmes chers à son auteur : l’amour et la guerre. Douces figures poignardées chères lèvres fleuries Mya Mareye Yette et Lorie Annie et toi Marie Où êtes-vous ô jeunes filles 5 Mais près d’un jet d’eau qui pleure et qui prie Cette colombe s’extasie Tous les souvenirs de naguère Ô mes amis partis en guerre Jaillissent vers le firmament 10 Et vos regards en l’eau dormant Meurent mélancoliquement Où sont-ils Braque et Max Jacob Derain aux yeux gris comme l’aube Où sont Raynal Billy Dalize 15 Dont les noms se mélancolisent Comme des pas dans une église Où est Cremnitz qui s’engagea Peut-être sont-ils morts déjà De souvenirs mon âme est pleine 20 Le jet d’eau pleure sur ma peine. Ceux qui sont partis à la guerre au Nord se battent maintenant Le soir tombe Ô sanglante mer Jardins où saignent abondamment 25 le laurier rose fleur guerrière.
COMPRENDRE 1 Quelles formes dessinées Apollinaire donne-t-il à son calligramme ? En quoi ces formes sont-elles surprenantes ? 2 De quoi parle ce poème ? Appuyez-vous précisément sur le titre pour répondre.
ANALYSER 3 4 5 6
Quelle voyelle revient fréquemment ? Comment est-elle mise en valeur et qu’exprime-t-elle ? Quels sont les personnages évoqués par les premiers mots du texte ? Quel est le thème qui apparaît alors aussitôt ? Relevez le champ lexical dominant la partie inférieure du calligramme. À quels personnages est-il associé ? Quel type de phrase emploie le poète dans ce texte ? Pour quelle raison selon vous ? Observez la ponctuation : que remarquez-vous ? 7 Quels sentiments ce poème exprime-t-il ? Appuyez-vous sur des citations précises pour répondre.
RÉCAPITULER 8 Comment le poète inscrit-il ce texte dans le contexte historique de l’époque ? 9 Quelle utilisation Apollinaire fait-il de l’art pictural dans ce poème ?
324
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
MOTS PHARES 1 Complétez les textes avec les mots donnés. condition • disposition • modernité • pensée • puissance • syntaxe
PAUL VALÉRY (1871-1945) LE RÔLE DE LA POÉSIE
ŒUVRES Album de vers anciens (1920) thèmes : l’amour, la nature (Le bois amical), le temps style : poèmes influencés par le symbolisme
la poésie est un exercice de la les vers sont souvent obscurs : le lecteur est appelé à trouver le sens
Charmes (1922) le titre traduit le latin carmina, poèmes thèmes : la création poétique, la humaine (la vie et la mort), l’invitation au carpe diem (Le cimetière marin) style : travail minutieux sur la langue, des mots
GUILLAUME APOLLINAIRE (1880-1918) ŒUVRES Alcools (1913) il souhaite incarner « l’esprit nouveau » des avant-gardes dans ses œuvres (suppression de toute ponctuation, décomposée, exploration des possibilités figuratives du vers, images insolites et déconcertantes) poèmes écrits entre 1898 et 1913, qui chantent la célébration de la , l’horreur de la guerre, l’amour et la nostalgie (Le Pont Mirabeau, La Chanson du mal-aimé)
Calligrammes (1918) sous-titre : Poèmes de la Paix et de la Guerre, ce qui renvoie aux thèmes de la guerre (La colombe poignardée et le jet d’eau) et de l’amour pour Lou ce sont des idéogrammes (poèmes-dessins) qui représentent l’objet chanté à travers la typographique du texte : un lyrisme visuel inspiré des peintres il y a aussi des « poèmes-conversations » constitués par des conversations saisies dans le quotidien
325
PANORAMA LITTÉRAIRE
Du surréalisme à l’engagement Avec son préfixe « sur », le surréalisme dépasse le réalisme qui, à la fin du XIXe siècle, est une conception artistique « qui doit peindre la réalité telle qu’elle est, en évitant de l’idéaliser », selon la définition du dictionnaire Robert. Le SUR-réalisme cherche un « au-delà », un « plus loin », un « plus profond », un « plus vrai » que les apparences du réel tangible. Qui a inventé le mot « surréalisme » ? Guillaume Apollinaire [→ p. 316], dans le drame Les Mamelles de Tirésias (1917), crée ce néologisme. Il décrit une attitude d’esprit qui donne « libre cours à [la] fantaisie qui est [une] façon d’interpréter la nature », qui peut recourir aux invraisemblances « pour faire surgir la vie même dans toute sa vérité », en élevant « l’humanité au-dessus des pauvres apparences » (Les Mamelles de Tirésias, extrait de la préface et du prologue). De quel mouvement artistique est issu le surréalisme ? Le surréalisme est issu du dadaïsme, mouvement créé par Tristan Tzara (1896-1963) et ses amis. Le mot « dada », qui veut dire « cheval » en langage enfantin, a été trouvé par hasard dans le dictionnaire. Après l’horreur de la Première Guerre mondiale [→ p. 308-309], ce mouvement traduit le dégoût des jeunes générations pour un monde qui a fait faillite. Il faut dire « non » à toutes les idéologies, accomplir « un grand travail négatif » pour faire table rase du passé. « Je détruis les tiroirs du cerveau et ceux de l’organisation sociale » dit Tzara, dans le Manifeste Dada, en 1918. Des poètes adhèrent au mouvement : Breton, Aragon, Éluard, mais ils se brouillent ensuite avec Tzara et fondent le surréalisme.
Quelles sont les racines littéraires du surréalisme ? On retrouve les précurseurs du mouvement au XIXe siècle : c’est Rimbaud [→ p. 294] « le voyant » qui transcrit les hallucinations provoquées par les dérèglements de sa vie, c’est Baudelaire [→ p. 284] qui va « au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau », c’est Nerval [→ p. 204] qui se promène dans le monde des rêves. C’est aussi Sigmund Freud qui, dans L’Interprétation des rêves (1899), indique l’importance de la compréhension des rêves pour sonder l’inconscient et découvrir l’homme dans sa totalité. Quels sont les principes du surréalisme ? Sans remettre en cause le principe initial de la révolte, les surréalistes donnent le pouvoir à l’imagination. L’imagination ouvre un espace infini où tous les désirs, tous les fantasmes ont droit de cité. Pour libérer l’imagination, les surréalistes inventent de nouvelles formes de création artistique. Quelles formes peut prendre l’écriture surréaliste ? Les surréalistes ont recours à l’écriture automatique qui est dictée par l’inconscient : il s’agit d’écrire sans réfléchir tout ce qui vient à l’esprit. Ils pratiquent aussi l’écriture collective qui permet d’obtenir une poésie nouvelle, comme dans le jeu du « Cadavre exquis » : chacun écrit le premier mot d’une phrase (groupe nominal) sur un papier qu’il plie et donne à son voisin ; celui-ci écrit un verbe, et on continue jusqu’à la fin des constituants de la phrase. Celle-ci, dépliée, est le pur fruit du hasard. La première ainsi créée, en 1925, fut « le cadavre exquis boira le vin nouveau ».
Joan Mirò, Panneau mural de l’hôtel Plaza Terrace de Cincinnati (Cincinnati, États-Unis), 1947
326
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 Quels écrivains sont surréalistes ? André Breton [→ p. 328], « pape du surréalisme », écrit différents manifestes du surréalisme ; Paul Éluard [→ p. 329], Louis Aragon [→ p. 330], Robert Desnos, Philippe Soupault, Francis Picabia sont quelques-uns des membres du groupe, qui fluctue au gré des arrivées et départs, pour différentes raisons, dont certaines sont politiques. Le surréalisme trouve un écho international et sa consécration dans une Exposition en 1938 à Paris. Mais il s’étiole après la Seconde Guerre mondiale [→ p. 310-311]. On peut rattacher au mouvement surréaliste les écrivains italiens Tommaso Landolfi, Alberto Savinio et Dino Buzzati. Le surréalisme se manifeste-t-il dans d’autres domaines artistiques ? Le surréalisme touche tous les domaines artistiques, notamment le cinéma (avec Luis Buñuel, Jean Cocteau, Salvador Dalí) et la peinture : on peut citer Giorgio de Chirico, Max Ernst, Joan Miró, René Magritte, Victor Brauner, Salvador Dalí, Yves Tanguy, Man Ray. Comment la Seconde Guerre mondiale influence-t-elle les auteurs surréalistes ? De nombreux poètes surréalistes s’engagent dans la Résistance pendant l’occupation
allemande, parmi lesquels il faut citer René Char, Paul Éluard, Louis Aragon et Robert Desnos [→ p. 370]. Leurs poèmes écrits dans la clandestinité appellent à garder confiance en l’avenir et à agir pour libérer la France. « Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore/ Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent » promet Desnos dans Demain (1942), tandis qu’Éluard chante la Liberté (1942) dans son poème, parachuté en milliers d’exemplaires par les avions anglais sur le sol français.
J’AI COMPRIS L’ESSENTIEL Répondez aux questions. 1 Que veut dire « surréalisme » par rapport à « réalisme » ? 2 Qui a inventé le mot « surréalisme » ? 3 Quel mouvement artistique a fondé Tristan Tzara et que prône-t-il ? 4 Comment les écrivains surréalistes laissentils le hasard ou l’inconscient dicter ce qu’ils écrivent ? 5 Qui est le chef de file du mouvement surréaliste ?
VUE D’ENSEMBLE Du surréalisme à l’engagement Les principes • réaction à la faillite du monde contemporain • au-delà du monde tangible, pouvoir de l’inconscient et de l’imagination
Les précurseurs Apollinaire [→ p. 316] Tristan Tzara
• nouvelles formes d’écriture : • écriture automatique • écriture collective
André Breton
Paul Éluard
Manifeste du surréalisme Texte 77
Capitale de la douleur Texte 78 Le Phénix Texte 79
Louis Aragon Le Roman inachevé Texte 80
327
LES SURRÉALISTES
→ Mots phares, p. 337
le pouvoir de l’imagination Du surréalisme à l’engagement
À LA DÉCOUVERTE DU COURANT
LE SURRÉALISME
Les principes • réaction à la faillite du monde contemporain • au-delà du monde tangible, pouvoir de l’inconscient et de l’imagination • nouvelles formes d’écriture : • écriture automatique • écriture collective
Manifeste du surréalisme Texte 77
Capitale de la douleur Texte 78 Le Phénix Texte 79
DÉCOUVREZ LE THÈME
Parcours interactif
POUR FAIRE LE POINT
Test interactif
André Breton (1896-1966) Né en Normandie, André Breton grandit en région parisienne. Étudiant en médecine, pendant la guerre il est mobilisé en qualité d’infirmier militaire et affecté à sa demande dans des centres psychiatriques, où il découvre la psychanalyse de Freud. De retour à Paris, il fréquente entre autres Guillaume Apollinaire [→ p. 316] et Philippe Soupault, et fait, grâce à eux, la rencontre de Louis Aragon, puis de Paul Éluard. Il est un temps influencé par le dadaïsme de Tristan Tzara [→ p. 326]. Avec Aragon et Soupault, il fonde en 1924 le mouvement surréaliste, dont il décrit les principes dans le Manifeste du surréalisme [→ texte 77] : écriture automatique, « collages », images audacieuses et refus de la logique. Depuis cette date jusqu’à sa mort, la vie de Breton est intrinsèquement liée à l’histoire du mouvement. Influencé par la psychanalyse et par l’écriture automatique, qu’il pratique depuis 1919, Breton essaie dans ses œuvres poétiques (Les Champs magnétiques, 1920 ; Clair de terre, 1923 ; L’Air de l’eau, 1934), d’atteindre la vérité cachée à la raison. La dislocation de la phrase, la métaphore et la libre association des idées doivent libérer la créativité et permettre un accès direct à l’inconscient du poète. Dans ses récits (Nadja, 1928 ; Les Vases communicants, 1932 ; L’Amour fou, 1937), Breton refuse la fiction romanesque, et évoque de manière privilégiée l’attente de l’amour et sa révélation, seule vérité qui ait du poids pour les surréalistes. Pendant la guerre, Breton s’exile aux États-Unis, où il diffuse les idées surréalistes. De retour en France, il organise des expositions, des rétrospectives, anime des revues, et forme de nouveaux poètes jusqu’à sa mort en 1966.
André Breton
Louis Aragon
Paul Éluard
Introduction vidéo
Ligne du temps interactive
HISTOIRE ET ŒUVRES
Le Roman inachevé Texte 80
LA VIE ET LES ŒUVRES Naissance d’Éluard à SaintDenis 1895
1896
Naissance de Breton en Normandie
Mariage avec Gala
1917 Les Champs magnétiques
328
1920
1923
1924
Clair Manifeste de du terre surréalisme
1926 Capitale de la douleur
1928 Nadja, récit
1929 L’Amour la poésie
1932 1932
Les Vases communicants, récit
La Vie immédiate
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 Paul Éluard (1895-1952) Paul Éluard grandit en région parisienne. À l’âge de seize ans, il est atteint de tuberculose et doit abandonner ses études pour aller se soigner dans un sanatorium en Suisse. Il y fait la rencontre d’une jeune femme russe, Gala, cultivée et séduisante. Avec elle, il découvre la poésie et lit Nerval [→ p. 204], Baudelaire [→ p. 284], Lautréamont. Mobilisé en 1914, il rentre bientôt à Paris en raison d’une bronchite. À sa majorité, il épouse Gala. Il découvre aussi le dadaïsme puis le surréalisme [→ p. 326], auquel il participe jusqu’en 1938. En 1926, son premier recueil important, Capitale de la douleur [→ texte 78] paraît. L’année suivante, Éluard adhère au Parti communiste français dont l’objectif révolutionnaire rejoint sa volonté de révolutionner la poésie. Sa poésie est de plus en plus influente : en 1929, il publie L’Amour la poésie ; en 1932, La Vie immédiate. Les images y explosent, les associations de mots lui font dépasser les limites de la pensée et de la poésie traditionnelles. Cependant, son mariage tourne mal : Gala le quitte pour le peintre Salvador Dalí. Peu de temps après, Éluard rencontre une artiste de music-hall, Nusch, qui lui offre une présence plus apaisante. En 1934, ils se marient. Éluard chante la douceur de sa femme dans sa poésie (Les Yeux fertiles, 1936), mais il s’éloigne du surréalisme lorsqu’il prend conscience avec la guerre d’Espagne de la barbarie et de la nécessité d’une poésie qui appelle à la fraternité. On ne retrouve pas chez lui l’hermétisme typique du surréalisme : sa langue est transparente, son style est très accessible. Pendant la guerre, son poème Liberté (dans Poésie et Vérité, 1942), parachuté par les avions anglais, fait de lui le poète le plus populaire de la Résistance. Éluard continue à exprimer son engagement par la poésie : L’Honneur des poètes (1943) et Au Rendez-vous allemand (1944) rassemblent des poèmes de Résistance. Avec simplicité, le poète s’engage aux côtés des hommes pour leur parler à travers sa poésie. Progressivement, Éluard se laisse séduire par le stalinisme (Poèmes politiques, 1948 ; Une leçon de morale, 1949) mais l’amour demeure la constante de son œuvre, marquée par la sincérité. La mort de Nusch en 1946 lui inspire un recueil très émouvant, Le Temps déborde (1947). Puis la rencontre de Dominique Lemort, qu’il épouse en 1951, un an avant sa mort, le fait renaître à la vie et à l’amour (Le Phénix, 1951) [→ texte 79].
Mariage avec Nusch
Mariage avec Dominique
1934 1934 L’Air de l’eau
Salvador Dalì, La persistance de la mémoire, MOMA (New York, États-Unis), 1931
1936 Les Yeux fertiles
1937
L’Amour fou, récit
1942 Poésie et Vérité
1947 Le Temps déborde
Mort d’Éluard à Charentonle-Pont 1951
1952
Mort de Breton à Paris
1966
Le Phénix
329
LES SURRÉALISTES Louis Aragon (1897-1982) Louis Aragon naît à Paris en 1897. Après ses études, il est mobilisé pendant la Première Guerre mondiale [→ p. 308-309]. L’horreur de la guerre marquera profondément son œuvre. Avec André Breton et Philippe Soupault, il fonde en 1924 le surréalisme [→ p. 326]. Ses premiers écrits témoignent d’une application très réussie des principes du mouvement. Rédigé entre 1923 et 1926, Le Paysan de Paris propose ainsi une exploration du merveilleux quotidien grâce à un montage de récits, souvenirs, dialogues, poèmes, extraits d’articles de journaux, etc. Un soir, dans un café de Montparnasse, en 1928, Aragon rencontre Elsa Triolet, une jeune femme qui est elle-même écrivaine, et qui deviendra la compagne de toute sa vie. Le poète lui dédiera plusieurs recueils : Les Yeux d’Elsa (1942), Elsa (1959), Le Fou d’Elsa (1963), Il ne m’est Paris que d’Elsa (1964), mais la figure de l’aimée hantera en réalité l’œuvre tout entière. En 1927, Aragon adhère au Parti communiste français. La radicalité de son engagement politique le pousse à rompre violemment avec le mouvement surréaliste en 1932. Dès lors, sa fidélité au Parti est presque inconditionnelle. Dans plusieurs textes, il approuve le stalinisme et célèbre l’édification du socialisme (Hourra l’Oural, 1934). Convaincu que la littérature doit servir à l’analyse sociale, Aragon s’engage dans la conception d’une série de romans qu’il intitule de manière programmatique « Le Monde réel ». Malgré leur réalisme, ces romans (dont Aurélien, en 1944, est le plus célèbre) expriment le lyrisme de l’amour avec une forme de « réalisme magique ». Pendant la guerre, Aragon embrasse la Résistance ; il chante la liberté et exalte le sentiment national (Crève-Cœur, 1941 ; Musée Grévin, 1943 ; La Diane française, 1944). En 1956, l’invasion de la Hongrie par l’armée soviétique l’éloigne définitivement du communisme. Il exprime la crise qui accompagne cette rupture dans Le Roman inachevé (1956), recueil de poèmes (dont Strophes pour se souvenir, → texte 80) où il évoque l’apaisement que lui procure, au milieu de la tourmente, la présence d’Elsa. Aragon décède en 1982, à Paris.
LE SAVIEZ-VOUS ? Aragon en chansons Plusieurs auteurs-compositeurs-chanteurs – qui ont marqué des générations de Français – ont mis en musique des poèmes d’Aragon : Léo Ferré lui consacre un album en 1961, tout comme Jean Ferrat en 1971 dont on ne peut oublier l’interprétation de « Que serais-je sans toi ? » et de « C’est si peu dire que je t’aime ». Georges Brassens, qui a mis en musique de très nombreux poètes français, a rendu célèbre le poème : « Il n’y a pas d’amour heureux », rechanté plus tard par Barbara, tandis que Serge Reggiani a choisi de le réciter.
J’AI COMPRIS L’ESSENTIEL Répondez aux questions. 1 Par quels moyens la poésie peut-elle, aux yeux de Breton, révéler une vérité cachée ? 2 Comment peut-on, selon vous, caractériser la recherche poétique d’Éluard ? 3 Quelles ont été les ruptures qui ont traversé la vie et l’œuvre d’Aragon ?
LA VIE Naissance à Paris
1897
Rencontre d’Elsa Triolet
1926 Le Paysan de Paris
LES ŒUVRES 330
1928
Rupture avec le surréalisme
1932
1934
Hourra l’Oural
Mort à Paris
1942 Les Yeux d’Elsa
1944 Aurélien
1956
1959
Le Roman inachevé
Elsa
1963
1964
Le Fou d’Elsa
1982 Il ne m’est Paris que d’Elsa
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
Thèmes la création
L’écriture automatique T 77 MOTS PHARES • L’inconscient • L’automatisme psychique • L’écriture automatique
PENSÉE VISIBLE 3-2-1 A Résumez le surréalisme avec 3 mots (noms ou adjectifs). B Résumez le surréalisme avec 2 verbes. C Donnez avec vos propres mots 1 définition du surréalisme.
77
André Breton, Manifeste du surréalisme (1924) En 1924, André Breton fonde le mouvement littéraire du surréalisme [→ p. 326]. Il expose dans son Manifeste sa volonté de faire appel en littérature au rêve et à l’imagination avant tout, en s’émancipant des contraintes de la société de son temps. C’est de très mauvaise foi qu’on nous contesterait le droit d’employer le mot Surréalisme dans le sens très particulier où nous l’entendons, car il est clair qu’avant nous ce mot n’avait pas fait fortune. Je le définis donc une fois pour toutes : SURRÉALISME, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, 5 soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. ENCYCL. Philos. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution 10 des principaux problèmes de la vie. Ont fait acte de SURRÉALISME ABSOLU MM. Aragon, Baron, Boiffard, Breton, Carrive, Crevel, Delteil, Desnos, Éluard, Gérard, Limbour, Malkine, Morise, Naville, Noll, Péret, Picon, Soupault, Vitrac. […] Faites-vous apporter de quoi écrire, après vous être établi en un lieu aussi favorable que possible à la concentration de votre esprit sur lui-même. Placez-vous dans l’état le plus passif, ou réceptif, que vous 15 pourrez. Faites abstraction de votre génie, de vos talents et de ceux de tous les autres. Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout. Écrivez vite sans sujet préconçu , assez vite pour ne pas retenir et ne pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra toute seule, tant il est vrai qu’à chaque seconde il est une phrase étrangère à notre pensée consciente qui ne demande qu’à s’extérioriser. Il est assez difficile de se prononcer sur le cas de la phrase 1 malafede 20 suivante ; elle participe sans doute à la fois de notre activité consciente et de 2 sistemati 3 non tenete conto l’autre, si l’on admet que le fait d’avoir écrit la première entraîne un minimum bene in testa de perception. Peu doit vous importer, d’ailleurs ; c’est en cela que réside, pour la 45 mettetevi argomento predeterminato plus grande part, l’intérêt du jeu surréaliste. 6 comporta
Texte extra : Claire de terre, Pièce fausse
COMPRENDRE 1 Attribuez un titre à chaque partie du texte : a Lignes 1-3 b Lignes 4-6 c Lignes 7-12 d Lignes 13-23
1 Définition de la philosophie surréaliste et de ses penseurs. 2 Mode d’emploi du surréalisme en écriture. 3 Définition du mot surréalisme. 4 Utilisation du terme surréalisme.
ANALYSER 2 Qu’entend Breton par « automatisme psychique pur » (ligne 4) et « dictée de la pensée » (ligne 5) ? Justifiez votre réponse. 3 En quoi croient les surréalistes ? Quelles sont les figures principales selon Breton ? Lesquelles connaissez-vous ? 4 Quelle technique propose Breton aux écrivains qui souhaitent entrer dans le courant surréaliste ?
RÉCAPITULER 5 En quoi la technique proposée par Breton met en œuvre les principes énoncés dans sa définition du surréalisme ?
331
LES SURRÉALISTES
Thèmes l’amour • la femme
La courbe de tes yeux T 78
MOTS PHARES • Un éloge • L’image des yeux • Le pouvoir du regard
1 cerchio 2 culla 3 schiuma di rugiada 4 giunchi 5 dischiusi (lett. nati) 6 covata
78
Paul Éluard, Capitale de la douleur (1926) Dans ce célèbre poème dédié à sa femme Gala, Éluard reprend un thème traditionnel de la poésie : la célébration de la femme aimée qui fait renaître l’art poétique. Mais il le renouvelle par des images étonnantes et des impressions qui dessinent une surréalité. La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur, Un rond de danse et de douceur, Auréole du temps, berceau nocturne et sûr, Et si je ne sais pas tout ce que j’ai vécu, 5 C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu. Feuilles du jour et mousse de rosée , Roseaux du vent, sourires parfumés, Ailes couvrant le monde de lumière, Bateaux chargés du ciel et de la mer, 10 Chasseurs des bruits et sources des couleurs, Parfums éclos d’une couvée d’aurores Qui gît toujours sur la paille des astres, Comme le jour dépend de l’innocence, Le monde entier dépend de tes yeux purs 15 Et tout mon sang coule dans leurs regards.
COMPRENDRE
Jeune femme aux fleurs
1 Quel est le personnage évoqué par le poème ? 2 Sur quel détail du visage se concentre le poète ?
ANALYSER Versification. 3 Relevez les termes qui rappellent les yeux de la femme. Pourquoi le poète insiste-t-il sur leur forme ? 4 Identifiez les hypallages dans ce poème. D’après vous, pourquoi sontelles utilisées par le poète ? 5 Observez les images utilisées par le poète : quels sens, quels éléments naturels et quelles couleurs évoquent-elles ? Montrez que la femme devient un univers entier pour Éluard. 6 Analysez les vers des trois premières strophes : en quoi la première strophe se distingue-t-elle des deux suivantes ? Qu’observez-vous concernant la ponctuation de la troisième strophe ? Comparez les rimes des deux premières strophes avec celles de la dernière strophe : que constatez-vous ? Que traduit, selon vous, cette différence majeure ?
RÉCAPITULER 7 Peut-on dire qu’Éluard libère les mots dans ce poème ? Pourquoi ?
332
Textes extra : L’Amour la poésie, La terre est bleue comme une orange Poésie et Vérité, Liberté
PENSÉE VISIBLE MOT – VERS A Quel est pour vous le mot clé du poème ? B Relevez un vers qui vous a particulièrement plu dans le poème. C En classe, discutez ensemble de vos choix respectifs pour le mot clé et le vers.
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
Thèmes l’amour • la femme
Je t’aime T 79
MOTS PHARES • Les raisons du cœur • L’apprentissage de la vie • L’éblouissement de l’amour
79
Paul Éluard, Le Phénix (1951) Parmi les femmes qui ont compté dans la vie d’Éluard, il y eut Dominique, qu’il rencontre en 1949 à Mexico et épouse. Dans ce poème, le poète lui adresse une déclaration d’amour à la fois personnelle et universelle. Je t’aime pour toutes les femmes que je n’ai pas connues Je t’aime pour tous les temps où je n’ai pas vécu Pour l’odeur du grand large et l’odeur du pain chaud Pour la neige qui fond pour les premières fleurs 5 Pour les animaux purs que l’homme n’effraie pas Je t’aime pour aimer Je t’aime pour toutes les femmes que je n’aime pas Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu Sans toi je ne vois rien qu’une étendue déserte 10 Entre autrefois et aujourd’hui Il y a eu toutes ces morts que j’ai franchies sur de la paille Je n’ai pas pu percer le mur de mon miroir Il m’a fallu apprendre mot par mot la vie Comme on oublie Je t’aime pour ta sagesse qui n’est pas la mienne Pour la santé Je t’aime contre tout ce qui n’est qu’illusion Pour ce cœur immortel que je ne détiens pas Tu crois être le doute et tu n’es que raison 20 Tu es le grand soleil qui me monte à la tête Quand je suis sûr de moi. 15
COMPRENDRE 1 Quel est le thème central de ce poème ? À qui s’adresse le poète ici ? 2 Quel élément a presque disparu du texte ? 3 Réécrivez la seconde strophe en ajoutant la ponctuation manquante.
ANALYSER 4 Tout au long du texte, quelle est la figure de style indique qu’il s’agit d’un poème d’amour ? 5 Observez les premiers vers : quel est le parallélisme qui saute aux yeux ? Que veut exprimer ainsi le poète ? 6 Quels pronoms personnels dominent le texte ? Quel lien est mis en valeur entre le poète et son interlocutrice ? 7 Vers 3-5. Relevez les images : à quels éléments font-elles référence ? Quel type de vie suggèrent-elles ? Quelle vision de l’amour est mise en place ?
Richard Edward Miller, Femme au parasol, date inconnue 1 mare aperto 2 che ho incrociato stesi sulla paglia (allusione a un’antica usanza, quella di stendere su della paglia i morti in battaglia)
8 Lisez le vers 6 : qu’exprime-t-il ? En quoi est-il différent des précédents ? 9 Seconde strophe : quelle figure de style apparaît dans ces vers ? Quel changement de tonalité constatez-vous dans le choix des thèmes abordés ? À travers ces nouvelles images, de quoi le poète veut-il parler ?
RÉCAPITULER 10 Expliquez et commentez la métaphore de l’avant-dernier vers : en quoi résume-t-elle toutes les raisons qu’a le poète d’aimer ?
DISCUTER 11 Selon vous, est-ce qu’écrire un poème pour déclarer son amour a encore un sens de nos jours ? Alors même que les gens écrivent de moins en moins ? Discutez-en entre vous.
333
LES SURRÉALISTES
Thèmes la guerre • le souvenir
Strophes pour se souvenir T 80
80
MOTS PHARES • La Résistance • L’héroïsme • L’étranger et la xénophobie
Louis Aragon, Le Roman inachevé (1956) Louis Aragon évoque dans ce poème de 1955 les membres du groupe de résistance parisien Manouchian. Michel Manouchian était immigré en France, rescapé du génocide arménien, militant communiste, et engagé dans la résistance française avec son épouse Mélinée dès 1940. Lui et ses vingt-trois camarades (dont vingt étrangers espagnols, italiens, arméniens et juifs) sont arrêtés fin 1943, jugés par un tribunal de collaborateurs français, et exécutés début 1944 par les nazis après avoir été torturés. Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes Ni l’orgue ni la prière aux agonisants Onze ans déjà que cela passe vite onze ans Vous vous étiez servi simplement de vos armes 5 La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans
Texte extra : La Diane française, Elsa au miroir
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants L’affiche qui semblait une tache de sang Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles 10 Y cherchait un effet de peur sur les passants Nul ne semblait vous voir français de préférence Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA France 15 Et les mornes matins en étaient différents Tout avait la couleur uniforme du givre À la fin février pour vos derniers moments Et c’est alors que l’un de vous dit calmement Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre 20 Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses Adieu la vie adieu la lumière et le vent Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses 25 Quand tout sera fini plus tard en Erivan
1 moribondi 2 irsuti, spettinati 3 coprifuoco 4 tristi 5 brina 6 capitale dell’Armenia (chiamata anche Erevan in francese) 7 il mio cuore si spezza
334
Un grand soleil d’hiver éclaire la colline Que la nature est belle et que le cœur me fend La justice viendra sur nos pas triomphants Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline 30 Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir 35 Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.
L’affiche rouge, affiche réalisée par les services de propagande allemands en France en 1944, conservée au Musée de l’armée, Paris. Publiée à 15 000 exemplaires, cette affiche représente une action d’envergure contre la Résistance française.
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 COMPRENDRE 1 À qui s’adresse Louis Aragon dans les trois premières strophes de ce poème ? 2 Qui parle dans les deux strophes en italique ? À qui s’adresse-t-il ? 3 Selon vous, à qui s’adresse le poète dans la dernière strophe du poème ?
COMMENTER PAR THÈMES La guerre et la xénophobie 4 Quelles sont les références à la vie de Michel Manouchian ? Pourquoi ses compagnons sont qualifiés de « menaçants » (vers 7) et avec « des noms […] difficiles » (vers 9) ? Quelle hypallage les qualifie ? Observez l’affiche pour vous aider et expliquez quels étaient les objectifs des Allemands. 5 Relevez les termes appartenant au champ lexical de la guerre. En quoi le champ lexical de la guerre participe-t-il de cette vision ? Quelle anaphore la souligne ? 6 Observez les termes qui suggèrent la douleur des victimes et la dureté de l’occupation allemande. Expliquez le double sens du vers 12. Comment les rimes véhiculent-elles également ce sentiment de tristesse ? La Résistance et l’héroïsme 7 Montrez que les membres du groupe Manouchian sont présentés comme des héros par le poète. 8 Comment et pourquoi le poète oppose-t-il la lumière à l’obscurité dans ce poème ? Qu’évoque le « sang » du vers 8 ? L’amour et la paix 9 Étudiez les vers en italique (vers 18-30) : quels sentiments expriment-ils ? Quels champs lexicaux mélangent-ils ? Repérez les marques du lyrisme que le poète y a placées. 10 Aragon exprime-t-il une volonté de vengeance contre les Allemands ? Peut-on dire que son message s’oppose à la xénophobie et au racisme des nazis ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur le texte.
RÉCAPITULER 11 En quoi ce poème est-il un hommage funèbre aux résistants ? 12 En quoi ce poème est-il également une dénonciation de la guerre et un appel à la fraternité universelle ?
DÉBAT Divisez la classe en deux groupes : ‘pour’ et ‘contre’ l’affirmation suivante. Chaque groupe présente ses arguments. « Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand. » dit Manouchian alors que l’Allemagne occupe la France et opprime les Français. Pensez-vous qu’il soit possible, comme le dit Manouchian, de ne pas haïr un peuple ennemi qui occupe votre pays et vous opprime ? 1 Chacun cherche des arguments. 2 Mettez en commun vos opinions et indiquez tous les arguments mentionnés. POUR
CONTRE
• Oui, car on doit se comporter plus dignement et
• Non, car les atrocités commises durant une guerre et le
• (Ajoutez des arguments)
• (Ajoutez des arguments)
respectueusement que l’envahisseur.
désir de voir finir l’occupation peuvent justifier de haïr son ennemi.
335
ESPACE des ARTS Picasso et les avant-gardes Sur la colline de Montmartre à Paris, le BateauLavoir était une ancienne fabrique de pianos. De jeunes peintres, sans ressources, la reconvertissent en ateliers sommaires. Le Bateau-Lavoir devient vite un lieu de vie et de réunion des nouveaux peintres – Pablo Picasso, Georges Braque, Juan Gris, Fernand Léger, Marie Laurencin, Henri Matisse – et de leurs amis écrivains, Guillaume Apollinaire [→ p. 316], Max Jacob, Blaise Cendrars, Pierre Reverdy, tous en quête de nouveau. La crise des valeurs, commencée dès le début du siècle et qu’accentuera la secousse de la Première Guerre mondiale, ouvre la voie de l’art moderne. Pour construire du nouveau, il faut détruire. On fait donc table rase de tous les principes du passé ; la peinture devient expression d’une vision personnelle de l’artiste, et abolit les principes de la représentation visuelle traditionnelle. Pablo Picasso arrive en 1904 au Bateau-Lavoir ; il y vivra jusqu’en 1909 et y conservera son atelier jusqu’en 1912. C’est donc là qu’il va réaliser Le bordel philosophique, rebaptisé par la critique Les Demoiselles d’Avignon, qui fait figure de manifeste du cubisme.
Pablo Picasso, Les Demoiselles d’Avignon, MOMA (New York, États-Unis), 1907 Né à Malaga en Espagne, Pablo Picasso (1881-1973) arrive à Paris et donne naissance avec son ami Georges Braque (1882-1963) au cubisme, basé sur la déconstruction des formes. Picasso a poursuivi ses recherches picturales dans d’autres directions, notamment le néo-classicisme autour de la mythologie, le surréalisme. Bouleversé par la guerre civile espagnole, il peint Guernica et par la suite s’inscrira au parti communiste. Sa notoriété est mondiale. Il finira ses jours sur la Côte d’Azur, au terme d’une vie personnelle très mouvementée, et d’une vie artistique parmi les plus riches du siècle : plus de 50 000 œuvres, dont 1885 tableaux. Plusieurs musées lui sont consacrés à Antibes, à Vallauris, à Paris, à Barcelone, à Malaga.
PENSÉE VISIBLE VOIR – OBSERVER – RÉFLÉCHIR VOIR A Que représente le tableau ? B Connaissez-vous des tableaux qui traitent le même thème dans l’histoire de la peinture ? C À quoi font penser les visages des femmes à droite ? D À quel style artistique très ancien vous fait penser la figure à gauche ? E S’agit-il d’une scène d’intérieur ? Où pourraient être les fruits que l’on voit au premier plan et sur quel fond sont placées les femmes ?
336
OBSERVER F Sous quels angles sont peintes les femmes (face, profil, trois quarts ?). Les traits sont-ils réalistes ? Quelle est la femme la plus « cubiste » ? Y a-t-il une perspective ? Qu’est-ce qui est étonnant ? G Y a-t-il des ombres ? Comment est traitée la lumière ? H Comment est rendue la couleur de la peau ? RÉFLÉCHIR I Face à ce tableau, comment réagissez-vous ? Vous plaît-il ? Vous dérange-t-il ? Discutez-en en classe en justifiant vos réponses. Trouvez éventuellement d’autres exemples.
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
MOTS PHARES 1 Complétez les textes avec les mots donnés. amour • création • écho • engagement • fantaisie • hasard • inconscient • pacifisme • poème • raison • refus • Résistance • sentiment
LE SURRÉALISME ORIGINE
PRINCIPES ET FORMES
VICISSITUDES
le mot apparaît pour la première fois chez Apollinaire et il renvoie à une attitude qui dépasse le réalisme et qui donne libre cours à la pour faire « surgir la vie même dans toute sa vérité » le surréalisme trouve son origine dans le Dadaïsme, le mouvement créé en 1916 par Tristan Tzara les précurseurs sont surtout Rimbaud, avec son idée du poète voyant et Baudelaire, avec sa descente dans l’Inconnu. Sigmund Freud, dans L’interprétation des rêves (1899), indique l’importance de la compréhension des rêves pour sonder l’
les surréalistes donnent le pouvoir à l’imagination, qui doit être libérée pour déclencher la
après la Première Guerre mondiale ce mouvement traduit le dégoût des jeunes générations pour un monde qui a fait faillite il faut dire « non » à toutes les idéologies le surréalisme trouve un international et sa consécration dans une Exposition en 1938 à Paris il touche tous les domaines artistiques de nombreux poètes surréalistes s’engagent dans la pendant l’occupation allemande le mouvement s’étiole après la Seconde Guerre mondiale
« L’Écriture automatique » est dictée par l’inconscient, sans le contrôle de la l’écriture peut être aussi collective et le fruit du
LES SURRÉALISTES ANDRÉ BRETON (1896-1966)
PAUL ÉLUARD (1895-1952)
LOUIS ARAGON (1897-1982)
Manifeste du surréalisme (1924) où il expose les principes surréalistes et fonde le mouvement, il mélange des genres (poésie, récits, dessin, photos) œuvres poétiques : • Les Champs magnétiques (1920) • Clair de terre (1923) • L’Air de l’eau (1934) récits : • Nadja (1928) • Les Vases communicants (1932) • L’Amour fou (1937) thèmes : la vérité, l’ , le merveilleux, la folie, la création poétique style : usage de la métaphore, de la dislocation de la phrase pour atteindre la vérité, cachée à la raison ; écriture automatique et associations libres pour avoir un accès direct à l’inconscient
sa poésie explore l’inconscient : les images éclatent, se heurtent et font dépasser les limites de la pensée et de la poésie traditionnelles œuvres poétiques : • Capitale de la douleur (1926) • L’Amour la poésie (1929) • Poésie et Vérité (1942) thèmes : l’amour pour la femme, la sincérité ; l’engagement politique ( , fraternité, liberté) : Liberté devient le de la Résistance style : langue transparente et très accessible
il est profondément marqué par les horreurs des deux guerres mondiales œuvres : • Le Paysan de Paris (1926) : collage de dialogues, poèmes, récits, articles de journaux • recueils poétiques dédiés à la femme aimée (Les Yeux d’Elsa, 1942 ; Le Roman inachevé, 1956 ; Elsa, 1959 ; Le Fou d’Elsa, 1963 ; Il ne m’est Paris que d’Elsa, 1964) • série de romans : « Le Monde réel » qui expriment un « réalisme magique » • recueils poétiques dédiés à la liberté et au national thèmes : amour, politique, analyse sociale style : écriture automatique, images audacieuses, de logique, lyrisme
337
PANORAMA LITTÉRAIRE
Les diverses formes du roman avant 1945 Le roman connaît une très grande vogue au début du XXe siècle : l’école obligatoire a fait accéder tous les Français à la lecture, les maisons d’édition se multiplient. La production romanesque, qui est immense, pose des problèmes de classification. Mais on peut voir se dessiner trois orientations : les auteurs de l’inquiétude spirituelle, ceux de la grandeur humaine et ceux des grands romans cycliques. Les romanciers manifestent l’envie de faire du nouveau, après les formes romanesques variées du siècle précédent.
Sigmund Freud (1856-1939)
338
scandale avec Le Diable au corps (1923) qui raconte l’amour entre un jeune homme de 15 ans et une femme dont le mari est soldat au front.
À quoi s’intéressent les romanciers avant la Première Guerre mondiale ? Les écrivains d’avant 1914 sont influencés par la philosophie idéaliste d’Henri Bergson (1859-1941, prix Nobel de littérature en 1927), ainsi que par la psychanalyse de Sigmund Freud. En contraste avec les romanciers naturalistes [→ p. 264] dont les personnages étaient caractérisés par leur appartenance sociale, ils s’intéressent davantage à l’analyse de l’individu pris dans sa subjectivité et dans son effort de se situer par rapport à un monde qui le refuse. Ils mettent au premier plan le « moi » et la représentation de la conscience. Ainsi Marcel Proust [→ p. 340] dans À la recherche du temps perdu (1913-1927) privilégie l’introspection et André Gide [→ p. 350] met la réflexion sur la morale individuelle au premier plan dans nombre de ses romans. Tous deux contribueront à ce que l’homosexualité devienne un sujet littéraire.
Quels changements dans la production romanesque apparaissent après la Grande Guerre ? Après la Première Guerre mondiale, la France connaît des bouleversements politiques, économiques et sociaux et on voit réapparaître le désir de représenter les personnages dans un contexte social. De vastes fresques romanesques se développent. Elles sont appelées « romans cycliques » et racontent, à travers une série de volumes, les aventures d’un même personnage, d’une même famille, ou de différents types d’une même génération. Parmi eux : Jean-Christophe (10 vol.) de Romain Rolland (prix Nobel en 1915), La Chronique des Pasquier (10 vol.) de Georges Duhamel, Les Thibault (8 vol.) de Roger Martin du Gard (prix Nobel en 1937), Les Hommes de bonne volonté (27 vol.) de Jules Romains. De nombreux romanciers évoquent par ailleurs le conflit absurde qui a ravagé l’Europe : Georges Duhamel dans Vie des martyrs (1917), Roland Dorgelès dans Les Croix de bois (1919), Céline dans Voyage au bout de la nuit (1932) et Jules Romains dans Verdun (1938). Enfin, Roger Martin du Gard y consacre un volume entier de son cycle romanesque : Les Thibault VII : L’Été 1914 (1936).
Quelles sont les œuvres romanesques majeures du début du siècle ? Les œuvres de Proust, Gide et Louis-Ferdinand Céline [→ p. 354] marquent un formidable renouveau du roman. Mais d’autres auteurs connaissent le succès avec des œuvres plus classiques : par exemple, Anatole France (prix Nobel en 1921) qui n’hésite pas cependant à intégrer l’ironie et rejeter le réalisme scientifique de Zola dans ses romans et contes Thais, Clio et L’Île des Pingouins ; ou Pierre Loti, qui relate des aventures de voyage aux quatre coins du monde marquées par le goût de l’exotisme. En 1913, un court roman d’Alain-Fournier connaît un immense succès : Le Grand Meaulnes, une histoire d’amour et d’amitié à la frontière du merveilleux. Raymond Radiguet provoque un immense
Quel tournant marquent les « années trente » ? Les romanciers des années trente affichent leur volonté d’agir sur le monde pour le transformer. Certains adhèrent à des idéologies de droite (Brasillach, Drieu la Rochelle et Céline, qui devient violemment antisémite après 1938). D’autres perçoivent le danger de la montée des totalitarismes en Europe et le risque d’une nouvelle guerre. L’angoisse du présent les pousse à un engagement plus direct et positif, à la recherche des valeurs humaines fondamentales : l’action héroïque chez Henri de Montherlant ou Antoine de Saint-Exupéry [→ p. 361], l’engagement politique chez André Malraux, la sainteté chez Georges Bernanos et François Mauriac, le bonheur poétique chez Jean Giraudoux ou celui lié à la nature et aux sens chez
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 Colette [→ p. 360] ou Jean Giono [→ p. 360]. Déjà Céline avait dénoncé le colonialisme et l’absurdité de la guerre dans Voyage au bout de la nuit (1932). Avec La Nausée (1938), Jean-Paul Sartre [→ p. 384] remettra en cause la notion même d’existence humaine. Quelle influence a la Seconde Guerre mondiale sur les romanciers ? Les romanciers prennent position face au gouvernement de Vichy et à l’Occupation. Certains soutiennent l’idéologie nationale de Pétain (Montherlant, Colette, Giraudoux), d’autres entrent dans la Résistance. En 1942 paraît un roman emblématique de la Résistance : Le Silence de la mer, de Vercors, qui relate la résistance passive de deux Français face à un officier allemand qui loge chez eux et dont l’héroïne tombe amoureuse. Irène Némirovsky [→ p. 361], après avoir écrit sur les dérèglements des années suivant la Première Guerre mondiale, évoque la
débâcle, l’exode, l’occupation allemande dans Suite française, roman paru en 2004, longtemps après sa mort à Auschwitz en 1942.
J’AI COMPRIS L’ESSENTIEL Répondez aux questions. 1 Par quelles idées les romanciers du début du XXe siècle sont-ils influencés ? 2 En quoi les caractéristiques des personnages des romans naturalistes diffèrent-elles de celles des personnages des romans du début du XXe siècle ? 3 Quel objectif ont les romanciers des années trente et suivantes ? Donnez des exemples. 4 Quelle position prennent les romanciers face à l’occupation allemande et au gouvernement de Vichy ? Dans quelles œuvres notamment ?
VUE D’ENSEMBLE Les diverses formes du roman avant 1945 Les auteurs de l’introspection • sont influencés par Bergson et Freud • s’intéressent davantage à l’analyse de l’individu pris dans sa subjectivité par rapport à la société • mettent au premier plan le « moi » et la représentation de la conscience
André Gide
Marcel Proust Du côté de chez Swann Textes 81-83
Les Caves du Vatican Texte 84
Les auteurs de la grandeur humaine • engagement et recherche des valeurs humaines fondamentales • dénonciation de l’absurdité de la guerre
LouisFerdinand Céline Voyage au bout de la nuit Textes 85 et 86
SidonieGabrielle Colette La Chatte Texte 87
Jean Giono Lettre aux paysans Texte 88
Antoine de SaintExupéry Le Petit Prince Texte 89
Irène Némirovsky Suite française Texte 90
339
MARCEL PROUST (1871-1922)
→ Mots phares, p. 349
romancier du Temps À LA DÉCOUVERTE DE L’AUTEUR
MARCEL PROUST
SA VIE ET SON ŒUVRE
Ligne du temps interactive
À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU POUR FAIRE LE POINT
Introduction vidéo Parcours interactif
Test interactif
À défaut de conquérir aisément le grand public, Marcel Proust est aujourd’hui un écrivain très aimé de la critique littéraire, reconnu comme le fondateur du roman moderne.
Les diverses formes du roman avant 1945
Une santé fragile Marcel Proust naît en 1871, dans une famille aisée et cultivée. Son père, médecin, est catholique, et sa mère appartient à la grande bourgeoisie israélite. L’enfant grandit dans un climat familial chaleureux, marqué par la présence de sa mère, de sa grand-mère et de sa tante. Touché par l’asthme à l’âge de neuf ans, il connaît une enfance très protégée et développe une sensibilité presque maladive. Il découvre très tôt sa vocation littéraire et fonde, dès le lycée, une revue intitulée Le Banquet. Il y publie de nombreux articles sur des sujets variés : littérature, art, société et mœurs…
Les auteurs de l’introspection • sont influencés par Bergson et Freud • s’intéressent davantage à l’analyse de l’individu pris dans sa subjectivité par rapport à la société • mettent au premier plan le « moi » et la représentation de la conscience
Dilettantisme et vie mondaine La fortune familiale permet à Proust de ne pas avoir à travailler. Introduit dans la société élégante de Paris, le jeune homme passe surtout ses journées entre les salles de spectacle, les musées et les salons aristocratiques. Ces années itinérantes et oisives constitueront la source inépuisable de son œuvre. Le séjour qu’il effectue à Venise en compagnie de sa mère, en 1900, le marquera par exemple durablement.
Marcel Proust Du côté de chez Swann Textes 81-83
À la recherche du temps perdu Deux deuils viennent alors à la fois assombrir la vie de l’écrivain et lui donner l’impulsion nécessaire pour commencer le grand œuvre qu’il sent germer en lui : la mort de son père en 1903, puis celle de sa mère en 1905. En 1907, Proust commence la rédaction de la Recherche. Pendant quinze ans, enfermé dans son appartement du boulevard Haussmann, l’écrivain
LA VIE Naissance à NeuillyAuteuil-Passy, près de Paris 1871
Voyage à Venise
1896 Les Plaisirs et les Jours
LES ŒUVRES 340
1900
Mort du père
1903
Mort de la mère
1905
Rédaction de la Recherche
1907-1922
1913 Du côté de chez Swann
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 réfléchit à son œuvre. Cruellement atteint, à nouveau, par la maladie, il a conscience que le temps lui est compté. Il s’enferme dans sa chambre et il travaille sans relâche. Il écrit sur des cahiers ; il colle des feuilles supplémentaires, qu’il appelle « paperolles », ne cessant de faire des ajouts au texte initial. Mais le texte, qui prend toujours plus d’ampleur, effraie les éditeurs : sur les conseils d’André Gide, qui s’en repentira ensuite, Gallimard refuse le manuscrit de Du côté de chez Swann (premier volume de l’œuvre qui, à la fin, en comptera 7) [→ textes 81-83]. Proust résout alors de le publier à compte d’auteur.
Thèmes et style Histoire d’un milieu. Marcel Proust ne cherche pas à donner une image exhaustive de la société de son temps, comme Balzac [→ p. 230] ou Zola [→ p. 266] ont tenté de le faire ; il décrit le monde qu’il connaît bien, celui de la bourgeoisie et de l’aristocratie. Mais ce petit monde clos, Proust sait l’observer d’un regard aigu, non exempt d’ironie. Il a ainsi pu créer des personnages dotés d’une extraordinaire présence, relevant jusqu’à leurs tics de langage qui les rendent typiques. Nous voyons évoluer ces personnages : plus qu’une analyse matérielle de la société, Proust propose une analyse psychologique et montre comment les rapports sociaux, comme les rapports amoureux, fonctionnent sur le désir de ce que l’on n’a pas. Temps et mémoire À la recherche du temps perdu retrace l’itinéraire d’une conscience en quête de son identité. La quête de l’identité exige que l’on se tourne vers le passé pour essayer de comprendre ce qu’il a été. Or le Temps abolit tout et change tout, en particulier le « moi » qui évolue sans cesse. Les plus grandes douleurs comme les plus grands bonheurs qui semblent inoubliables au moment où on les vit se diluent dès que la cause qui les a provoqués disparaît. C’est ce que Proust appelle « les intermittences du cœur ». Pour retrouver dans leur vérité les émotions d’autrefois, il faut le secours de la mémoire involontaire. Proust montre, dans le roman, comment une sensation actuelle (une vision, une odeur, une saveur, etc.) peut faire remonter à la surface de la conscience les émotions d’autrefois. C’est cette théorie du souvenir, de la mémoire affective, que Proust explique dans le célèbre passage de la petite madeleine. Après le rappel involontaire du souvenir, tout un travail d’analyse permet de reconstruire le passé, en le fixant par l’écriture. Ainsi l’écrivain a-t-il le pouvoir d’annuler la soumission de l’homme au Temps, et donc en quelque sorte de vaincre la mort.
Texte extra : Le Côté de Guermantes, Dilemme aristocratique
René-Xavier Prinet, Femmes élégantes au bord de la mer à Cabourg, collection privée (France), 1929
René-Xavier Prinet, La plage de Cabourg, Musée d’Orsay (Paris), 1910
Mort à Paris
1919 À l’ombre des jeunes filles en fleurs
1920 Le Côté de Guermantes
1921
1922
Sodome et Gomorrhe
1923 La Prisonnière (posthume)
1925 Albertine disparue (posthume)
1927 Le Temps retrouvé (posthume)
341
MARCEL PROUST Les techniques narratives • La première caractéristique est la présence d’un narrateur, Marcel, qui dit « je ». Ce « je » ne représente pas l’auteur, malgré l’identité du prénom, parce que la Recherche n’est pas une œuvre pleinement autobiographique. Le « je » n’est pas non plus le personnage principal ; c’est un personnage intermédiaire, un point de vue, un regard sur le monde, qui pourrait être aussi celui du lecteur. Tout ce que le lecteur voit, il le voit par les yeux du narrateur, qui dit « je ». Ainsi le lecteur se trouve-t-il par l’intermédiaire de ce « je » encore plus impliqué dans l’intrigue. Cela est nouveau dans l’histoire du roman. • La deuxième caractéristique est le traitement du temps. La reconstruction du passé obéit aux soubresauts de la mémoire. Pour rendre ce phénomène, l’écrivain joue sur le nombre de pages. Il n’y a pas de véritable intrigue : un événement, en apparence mineur du point de vue de l’action mais très important pour la sensibilité du narrateur, peut être dilaté au fil des pages et disséqué dans ses moindres aspects. Ainsi le temps de l’histoire n’est pas seulement chronologique mais c’est un temps psychologique qui permet de reconstruire un monde intérieur. • La dernière caractéristique est le style narratif de Proust. Pour rendre compte des subtilités de l’analyse, il choisit des phrases longues, très longues, avec de nombreuses subordonnées et des incises, aussi bien que de nombreuses figures de style, qui semblent pouvoir davantage épouser les sinuosités de la pensée ; elles donnent un rythme lent, un peu précieux, et souvent poétique au texte proustien qui est, de ce fait, un véritable chef-d’œuvre.
J’AI COMPRIS L’ESSENTIEL Répondez aux questions. 1 Quel est le milieu social qui a inspiré Proust ? 2 Quel est l’accueil qui a été réservé au départ aux œuvres de Proust ? 3 Que représentent les intermittences du cœur ? 4 Quelle est la découverte fondamentale pour l’écriture que fait le narrateur du Temps retrouvé ? 5 De quelle manière la présence d’un narrateur qui s’exprime à la première personne permet au lecteur de se sentir impliqué dans l’intrigue du roman ? 6 Pourquoi Proust utilise-t-il des phrases très longues avec de nombreuses incises et subordonnées ? Que représentent-elles ?
342
À la recherche du temps perdu (1913-1927) – cycle romanesque 1913 : Du côté de chez Swann le monde de l’enfance
Dans la première partie du roman, le narrateur se souvient de ses vacances heureuses pendant son enfance : la jeune Gilberte, dont il tombe amoureux, la présence affectueuse de sa grand-mère et de sa mère, les promenades enchantées – tout lui revient à la mémoire en mangeant une madeleine trempée dans une tasse de thé, comme la lui offrait autrefois sa tante Léonie. La seconde partie, autonome, constitue une narration à la troisième personne ; le narrateur y rapporte une histoire dont il a été témoin dans son enfance (la passion conçue par Swann pour Odette).
1919 : À l’ombre des jeunes filles en fleurs (prix Goncourt) les amours adolescentes
Toujours d’inspiration autobiographique, le roman se concentre sur les séjours du narrateur adolescent à Balbec, au bord de la mer. Il y rencontre, parmi d’autres « jeunes filles en fleurs », Albertine, qui deviendra l’un des personnages les plus importants de la Recherche.
Le roman décrit l’univers des salons 1920 : Le Côté de parisiens, grâce à la fréquentation du Guermantes le monde des salons duc et de la duchesse de Guermantes, voisins du narrateur à Paris. 1921 : Sodome et Gomorrhe le monde du vice
Cette œuvre retrace la découverte du vice à travers l’exploration de plusieurs personnages : le baron de Charlus, Albertine, les Verdurin et leurs amis.
1923 (posthume) : La Prisonnière la passion destructrice
Ce roman analyse la relation passionnelle qu’entretient le narrateur avec la femme qu’il aime, Albertine, qui le rend méfiant, possessif et jaloux.
1925 (posthume) : Dans ce roman sont évoquées la Albertine disparue fugue, puis la mort d’Albertine dans la tragédie un accident de cheval. 1927 (posthume) : Cette œuvre vient conclure l’ensemble. Le Temps retrouvé Le narrateur retrouve, après la le sens de la vie guerre, la société qu’il a décrite dans les volumes précédents : beaucoup sont morts, d’autres ont vieilli et changé. Cependant le narrateur prend conscience que l’écriture peut devenir le moyen de fixer les souvenirs. Comme l’auteur, il prend, pour vaincre le temps, la décision d’écrire.
ESPACE CINÉMA Le Temps retrouvé
Titre
Le Temps retrouvé
Réalisateur
Raúl Ruiz (1941-2011)
Pays de production France, Italie, Portugal
À la recherche du temps perdu est une œuvre dont l’adaptation au cinéma a toujours été réputée impossible, pour ses dimensions, pour la variété de ses thèmes, pour la complexité d’une écriture non linéaire et des réflexions qui dépassent le récit et deviennent intemporelles. Parmi les sept livres qui composent l’œuvre monumentale de Proust, Le Temps retrouvé, le dernier, est sans aucun doute le plus épineux, comme le confirment les tentatives de deux réalisateurs exceptionnels tels que l’anglais Joseph Losey (1909-1984) et l’italien Luchino Visconti (1906-1976), qui ont pourtant renoncé à l’idée d’une transposition du Temps retrouvé, en le considérant inadaptable. En effet, comment rendre en images un texte qui a la forme d’une pensée, qui se développe en un réseau de digressions sur l’art, sur la littérature, sur la mémoire, pour arriver à la révélation du Temps, qui dévoile le secret de la création artistique ? À l’aide d’un casting d’exception, le réalisateur chilien Raúl Ruiz a accepté ce pari et il a réussi à porter à l’écran une adaptation que les critiques ont jugée remarquable et intelligente. Comment y est-il parvenu ? En reconnaissant que son film ne pouvait être que réducteur, il a écarté l’idée d’une progression chronologique de la narration, pour choisir un récit non linéaire, où le passé se mêle au présent sans distinction. Les images perdent leurs contours, la lumière et les couleurs sont brouillées par des philtres, les époques se confondent dans une sorte de vertige qui conduit le spectateur à une réflexion sur le temps et sur la mémoire. Le film a fait partie de la sélection officielle du Festival de Cannes 1999, en compétition pour la Palme d’or.
Avec
Catherine Deneuve, Emmanuelle Béart, Vincent Pérez, John Malkovich, Pascal Greggory, Marcello Mazzarella, Marie-France Pisier, Chiara Mastroianni
Année de sortie
1999
Durée
169 min
PENSÉE VISIBLE VOIR – OBSERVER – RÉFLÉCHIR VOIR A Sur la photo tirée du film on reconnaît le narrateur. Regardez et décrivez la photo. OBSERVER B Cherchez et regardez sur Internet la première partie de la bande-annonce. Que voit-on ? Quel est le personnage qui revient régulièrement dans la séquence ? C Que remarque-t-on quant à la structure de cette séquence ? D Quel est à votre avis le sens de cette alternance ? RÉFLÉCHIR E En lisant les résumés de À la recherche du temps perdu [→ p. 342], quel est le lieu qui a marqué la vie du narrateur qui pourrait correspondre à celui que vous voyez ici ? F Est-ce que les personnages présents sur l’image semblent reconnaître le Narrateur ou s’apercevoir de sa présence ? Pourquoi, à votre avis ?
343
MARCEL PROUST
Thèmes le bonheur • l’enfance • le souvenir
La petite madeleine RÉSUMÉ Du côté de chez Swann (Combray) Du côté de chez Swann (premier volume de la série À la recherche du temps perdu) est composé de Combray, Un amour de Swann et Noms de pays : le nom. Dans Combray, le narrateur raconte son enfance, sa vie dans sa famille, sa relation avec sa mère, son village, l’amour pour Gilberte, la fille de Monsieur Swann. Un amour de Swann est consacré
T 81
MOTS PHARES • La mémoire involontaire • Le bonheur passé
1 cambiai idea 2 grassottelli 3 sorsata 4 trasalii 5 bevanda 6 inzuppato 7 tiglio
344
81
à la vie de Charles Swann. Le narrateur évoque la rencontre avec Odette, qui deviendra sa femme, et son amour jaloux pour elle. Ensemble, ils fréquentent le salon des Verdurin, un couple de riches bourgeois. Noms de pays : le nom relate les rêveries du narrateur, ainsi que ses envies de voyage et sa maladie.
Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Combray (1913) L’épisode de la petite madeleine représente sans doute le passage le plus célèbre de l’œuvre de Proust. Toute l’histoire de À la recherche du temps perdu prend forme à partir de cette page où tout un monde perdu dans les méandres de la mémoire ressort involontairement, à partir d’une sensation déjà vécue. L’émotion que le narrateur éprouve en dégustant le petit gâteau trempé dans le thé le pousse à approfondir les raisons de cette puissante joie. C’est peine perdue que nous cherchions à évoquer notre passé, tous les efforts de notre intelligence sont inutiles. Il est caché hors de son domaine et de sa portée, en quelque objet matériel (en la sensation que nous donnerait cet objet matériel), que nous ne soupçonnons pas. Cet objet, il dépend du hasard que nous le rencontrions avant de mourir, ou que nous ne le rencontrions pas. 5 Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai . Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines. […] Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je 10 portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis , attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était 15 pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. 20 Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. […] Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui n’apportait aucune preuve logique, mais l’évidence de sa félicité, de sa réalité devant laquelle les autres s’évanouissaient. Je veux essayer de le faire réapparaître. Je rétrograde par la pensée au moment où je pris la première cuillerée de thé. Je retrouve le 25 même état, sans une clarté nouvelle. Je demande à mon esprit un effort de plus, de ramener encore une fois la sensation qui s’enfuit […]. Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray, quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul . La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé 30 avant que j’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 s’était désagrégé ; les formes […] s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la 35 mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. Et dès que j’eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante 40 (quoique je ne susse pas encore et dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux), aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était sa chambre, vint comme un décor de théâtre s’appliquer au petit pavillon, donnant sur le jardin, qu’on avait construit pour mes parents sur ses derrières ; et avec la maison, la ville, la Place où on m’envoyait avant déjeuner, les rues où j’allais faire des courses depuis le matin jusqu’au soir et par tous les temps, les chemins qu’on prenait si le temps était beau.
PENSÉE VISIBLE LES POINTS PRINCIPAUX Relevez les thèmes traités dans chacune des quatre parties du texte et résumez-les par un titre. a Lignes 1-4 : b Lignes 5-15 : c Lignes 16-26 : d Lignes 27-44 :
8 sul retro (della casa)
Vers l’ESABAC VUE D’ENSEMBLE
1 Pourquoi la mère du narrateur lui propose de boire une tasse de thé ? 2 Qu’est-ce qu’une madeleine ? 3 Qu’est-ce qui produit chez le narrateur un plaisir délicieux ? 4 En quoi consiste ce plaisir ? 5 Quel souvenir surgit d’un coup, rattaché au goût du petit gâteau ?
COMMENTAIRE DIRIGÉ
Justifiez toujours vos réponses par des mots du texte.
Compréhension 6 Relevez la progression de l’état d’esprit du narrateur quand il boit sa tasse de thé. 7 On reconnaît dans cet extrait trois âges différents de la vie du narrateur : lesquels ? En quoi les temps verbaux contribuent à les différencier ? 8 Relevez et étudiez le champ lexical du passé. 9 « Mais à l’instant même où… » (lignes 10-11) : quelle est la valeur du connecteur « mais » dans la phrase ?
Interprétation 10 Qu’arrive-t-il aux souvenirs et pourquoi peuvent-ils se libérer ? 11 Pourquoi les sensations l’emportent sur le raisonnement dans la résurrection des souvenirs ? 12 En quoi la narration de cette page se distingue des romans réalistes qui l’ont précédée ?
Réflexion personnelle 13 Les œuvres littéraires se développent souvent autour de la narration des souvenirs. Réfléchissez sur cette thématique en considérant des œuvres que vous avez étudiées (300 mots minimum).
345
MARCEL PROUST
Thèmes la satire • la société
Le clan Verdurin RÉSUMÉ Du côté de chez Swann (Un amour de Swann) Le récit relate l’amour que Swann, homme intelligent, cultivé et du grand monde, éprouve pour une femme séductrice et infidèle, Odette de Crécy. Cet amour irraisonnable entre deux êtres de conditions différentes permet à Proust de
T 82
82
pénétrer dans les milieux de la bourgeoisie que fréquente Odette, et en particulier dans le salon des Verdurin dont il fait une féroce description.
Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Un amour de Swann (1913) Dans cet extrait Proust présente les Verdurin, des bourgeois qui reçoivent régulièrement un petit groupe d’amis régi par des règles particulières et très strictes. Mais le regard ironique du romancier tourne en ridicule cette pâle copie du salon mondain et le couple qui l’anime.
MOTS PHARES • Le ridicule • L’ironie
1 nucleo 2 soppiantava 3 celebri pianisti 4 famoso cardiologo francese 5 se gli faceva piacere 6 si lasciava sfuggire 7 frottola 8 scoppiare a ridere 9 mandibola 10 che si evitavano come la peste 11 sciarade (la sciarada è un gioco enigmistico)
Pour faire partie du « petit noyau », du « petit groupe », du « petit clan » des Verdurin, une condition était suffisante mais elle était nécessaire : il fallait adhérer tacitement à un Credo dont un des articles était que le jeune pianiste, protégé par M Verdurin cette année-là et dont elle disait : « Ça ne devrait pas être permis de savoir jouer Wagner comme ça ! », « enfonçait » à la fois Planté et Rubinstein et que le docteur Cottard avait 5 plus de diagnostic que Potain . […] Les Verdurin n’invitaient pas à dîner : on avait chez eux « son couvert mis ». Pour la soirée, il n’y avait pas de programme. Le jeune pianiste jouait, mais seulement si « ça lui chantait », car on ne forçait personne et comme disait M. Verdurin : « Tout pour les amis, vivent les camarades ! » Si le pianiste voulait jouer la chevauchée de la Walkyrie ou le prélude de Tristan, M Verdurin protestait, non que cette musique lui déplût, 10 mais au contraire parce qu’elle lui causait trop d’impression. « Alors vous tenez à ce que j’aie ma migraine ? Vous savez bien que c’est la même chose chaque fois qu’il joue ça. Je sais ce qui m’attend ! Demain quand je voudrai me lever, bonsoir, plus personne ! » S’il ne jouait pas, on causait, et l’un des amis, le plus souvent leur peintre favori d’alors, « lâchait », comme disait M. Verdurin, « une grosse faribole qui faisait esclaffer tout le monde », M Verdurin surtout, à qui, – tant elle avait l’habitude de prendre au propre les expressions figurées 15 des émotions qu’elle éprouvait – le docteur Cottard (un jeune débutant à cette époque) dut un jour remettre sa mâchoire qu’elle avait décrochée pour avoir trop ri. L’habit noir était défendu parce qu’on était entre « copains » et pour ne pas ressembler aux « ennuyeux » dont on se garait comme de la peste et qu’on n’invitait qu’aux grandes soirées, données le plus rarement possible et seulement si cela pouvait amuser le peintre ou faire connaître le musicien. Le reste du temps, on se contentait 20 de jouer des charades , de souper en costumes, mais entre soi, en ne mêlant aucun étranger au petit « noyau ».
COMPRENDRE
5 Quelle image Proust a-t-il voulu donner de Mme Verdurin ?
1 Quelles sont les activités proposées dans le salon des Verdurin ?
RÉCAPITULER
ANALYSER 2 Soulignez les expressions employées par Proust pour montrer qu’il s’agit d’un « petit clan » très sélectif. En quoi sont-elles négatives ? 3 Pourquoi Proust dit-il que « l’habit noir était défendu parce qu’on était “entre copains” » (ligne 17) ? 4 Pourquoi selon vous l’auteur utilise-t-il les guillemets même quand il ne s’agit pas de discours rapporté ?
346
6 Quel ton adopte Proust ? Quelle description fait-il de ce salon et dans quel registre ? Dans quel but ?
ÉCRIRE 7 Connaissez-vous des exemples semblables aux Verdurin au niveau des règles d’inclusion et de comportement dans la société contemporaine ? En vous appuyant sur votre expérience personnelle, décrivez une situation semblable (250 mots environ).
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
Thèmes les passions • la société
Il était snob T 83
83
Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Un amour de Swann (1913) Monsieur Legrandin, un bourgeois ingénieur de profession, est un critique féroce des aristocrates comme les Guermantes, mais meurt d’envie de faire leur connaissance. Il deviendra d’ailleurs marquis… Le narrateur l’aborde ici en lui demandant s’il connaît les châtelains de Guermantes.
MOTS PHARES • Un bourgeois snob • La fascination pour l’aristocratie
1 incisione, taglio 2 trafitti 3 pupilla 4 piega 5 riacquistando il controllo 6 irto 7 pronunciò 8 calcando 9 dolorosa 10 confessione 11 voto 12 espressamente 13 in contumacia
Mais à ce nom de Guermantes, je vis au milieu des yeux bleus de notre ami se ficher une petite encoche brune, comme s’ils venaient d’être percés par une pointe invisible, tandis que le reste de la prunelle réagissait en sécrétant des flots d’azur. […] Sa paupière noircit, s’abaissa. Et sa bouche marquée d’un pli amer se ressaisissant plus vite sourit, tandis que le regard restait douloureux, comme celui d’un beau 5 martyr dont le corps est hérissé de flèches. « Non, je ne les connais pas », dit-il, mais afin de donner à un renseignement aussi simple, à une réponse aussi peu surprenante le ton naturel et courant qui convenait, il le débita en appuyant sur les mots, en s’inclinant, en saluant de la tête, à la fois avec l’insistance qu’on apporte, pour être cru, à une affirmation invraisemblable – comme si ce fait qu’il ne connût pas les Guermantes ne pouvait être l’effet que d’un hasard singulier – et aussi avec l’emphase de quelqu’un, qui, 10 ne pouvant pas taire une situation qui lui est pénible , préfère la proclamer pour donner aux autres l’idée que l’aveu qu’il fait ne lui cause aucun embarras, est facile, agréable, spontané, que la situation elle-même – l’absence de relation avec les Guermantes – pourrait bien avoir été non pas subie mais voulue par lui, résulter de quelque tradition de famille, principe de morale ou vœu mystique lui interdisant nommément la fréquentation des Guermantes. « Non, reprit-il, expliquant par ses paroles sa propre intonation, non, je ne 15 les connais pas, je n’ai jamais voulu, j’ai toujours tenu à sauvegarder ma pleine indépendance ». […] Je ne comprenais pas bien que, pour aller chez des gens qu’on ne connaît pas, il fût nécessaire de tenir à son indépendance […]. Mais ce que je comprenais, c’était que Legrandin n’était pas tout à fait véridique quand il disait n’aimer que les églises, les clairs de lune et la jeunesse ; il aimait beaucoup les gens des châteaux et se trouvait pris devant eux d’une si grande peur de leur déplaire qu’il n’osait pas leur laisser voir qu’il avait pour 20 amis des bourgeois, des fils de notaires ou d’agents de change, préférant, si la vérité devait se découvrir, que ce fût en son absence, loin de lui et « par défaut » ; il était snob.
COMPRENDRE 1 De qui et de quoi parle le narrateur ? 2 Pourquoi M. Legrandin ne veut-il pas rencontrer les Guermantes ?
COMMENTER PAR THÈMES La souffrance 3 Lignes 1-5 : quels sont les mots et expressions qui expriment la souffrance de M. Legrandin ? Quelle est la figure de style utilisée ici ? À quel imaginaire renvoie-telle ? 4 Quelle est la cause de cette souffrance ? Quelle impression l’auteur veut-il susciter chez le lecteur ? Le snobisme et l’hypocrisie 5 Pourquoi et comment M. Legrandin ment-il ? 6 Quelle justification donne M. Legrandin au fait de ne pas connaître les Guermantes ? Quel ton utilise le narrateur dans ce passage pour relater sa justification ?
7 Quelle est la vraie raison pour laquelle M. Legrandin ne connaît pas les Guermantes ? En quoi apparaît-il comme un personnage hypocrite ?
RÉCAPITULER 8 En quoi M. Legrandin est-il snob ? Pourquoi ce snobisme est-il comique ?
DISCUTER 9 Que signifie être snob de nos jours, selon vous ? Pensez à trois caractéristiques morales qui évoquent l’hypocrisie, puis trouvez deux adjectifs synonymes de snob. Cherchez dans l’actualité ou parmi vos connaissances une personnalité célèbre que vous considérez comme l’essence du snobisme moderne. Mettez en commun vos idées.
347
ESPACE LITTÉRATURES CROISÉES Proust et Pirandello : le « Moi » est-il unique ? Si depuis le XVe siècle, les écrivains ne manquent pas de s’intéresser au « Moi », Proust arrive à lui donner une dimension toute nouvelle. Selon sa conception, le « Moi profond » s’oppose à un « Moi superficiel », mondain, extérieur, qui est l’image que nous montrons de nous-mêmes au monde ; elle se transforme dans le temps et selon les situations ; on s’habille comme d’un masque. Or, on ne peut pas parler de masque ni de fragmentation du « Moi » sans penser à Luigi Pirandello (1867-1936). Pour cet auteur, le masque est une métaphore de l’homme qui se comporte de manière différente selon les situations et les moments. En même temps, les autres nous voient selon l’idée qu’ils ont de nous, qui ne correspond pas forcément à la nôtre. La vie est un théâtre permanent auquel notre être réel est obligé de s’adapter, en dépit de notre identité. La littérature dévoile la Vie au-delà des masques, en mettant en évidence le conflit entre « être » et « apparaître ». Ces principes reviennent chez Pirandello, notamment dans Uno, nessuno e centomila (1926), un long monologue où le héros raconte les événements sans une succession logique ou temporelle : la vie du narrateur, Vitangelo Moscarda, un jour est bouleversée par une allusion de sa femme à son nez, qui penche légèrement à droite. Cette découverte le jette dans l’angoisse : il n’est que ce qu’on voit de l’extérieur, chacun a une image de lui différente, mais aucune ne correspond à son « moi ». Il cherche alors à déconstruire les images que les autres se font de lui, mais on le prendra pour un fou. Ce n’est qu’en renonçant à tout et en allant vivre dans un hospice que Moscarda pourra se dérober aux perceptions des autres et devenir « personne ». «Se per gli altri non ero quel che finora avevo creduto d’essere per me, chi ero io? Vivendo, non avevo mai pensato alla forma del mio naso; […]. Ma ora pensavo: «E gli altri? Gli altri non sono mica dentro di me. Per gli altri che guardano da fuori, le mie idee, i miei sentimenti hanno un naso. Il mio naso. […] Che relazione c’è tra le mie idee e il mio naso? Per me, nessuna. […] Ma gli altri? gli altri che non possono vedere dentro di me le mie idee e vedono da fuori il mio naso? Per gli altri le mie idee e il mio naso hanno tanta relazione, che se quelle, poniamo, fossero molto serie e questo per la sua forma molto buffo, si metterebbero a ridere».
Luigi Pirandello
COMPRENDRE 1 Après avoir lu le texte et en vous référant aussi aux pages traitant Proust [→ p. 340342], sauriez-vous donner une définition du Moi selon Proust et selon Pirandello ? 2 Quelle est la valeur de la littérature pour Pirandello ? 3 Quel événement bouleverse le protagoniste de Uno, nessuno e centomila ? Pourquoi ?
PENSÉE VISIBLE OBSERVER – COMPARER – RÉFLÉCHIR OBSERVER A Observez et décrivez le tableau de Magritte Golconde : en quoi peut-il représenter l’idée du Moi de Proust et de Pirandello ? COMPARER ET RÉFLÉCHIR B Depuis le XVe siècle, certains écrivains s’intéressent au « Moi » : à quelles autres conceptions du Moi se réfèrent-ils ? Pensez à Rabelais [→ p. 40], à Montaigne [→ p. 48], ou aux écrivains romantiques [→ p. 190-194]. René Magritte, Golconde, collection Menil (Houston, États-Unis), 1953
348
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
MOTS PHARES 1 Complétez les textes avec les mots donnés. écriture • identité • intrigue • intuition • mémoire • passion • pensée • reconstruction
MARCEL PROUST (1871-1922)
À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU (1913-1927)
THÈMES
ROMANS
Histoire d’un milieu la description des milieux de la bourgeoisie, de l’aristocratie et des domestiques se caractérise par l’analyse psychologique qui montre comment les rapports sociaux et amoureux fonctionnent sur le désir de ce que l’on n’a pas les personnages sont décrits avec ironie et précision
Du côté de chez Swann (1913) c’est le monde de l’enfance du narrateur Marcel à Combray le récit de l’amour de Swann, un ami de famille, paraît comme une digression écrite à la troisième personne
Temps et mémoire c’est l’itinéraire d’une conscience en quête de son : la vie trouve sa signification grâce à l’art et à l’écriture qui fixe le passé sinon voué à la destruction la quête de l’identité exige qu’on se tourne vers le passé : mais le temps change tout et en particulier le « Moi ». Tout est oublié dès que la cause qui l’a provoqué disparaît (les « intermittences du cœur ») seule la involontaire, déterminée par une sensation (une vision, une saveur, une odeur), peut retrouver les émotions d’autrefois (l’épisode de la madeleine). Proust affirme la primauté de l’ sur l’intelligence, de la mémoire involontaire sur la mémoire volontaire l’écrivain a le pouvoir d’annuler la soumission de l’homme au Temps, et de « vaincre la mort » à travers l’écriture
Techniques narratives et style le roman est écrit à la première personne mais ce n’est pas une autobiographie : « Un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices ». Le « je » du narrateur est un personnage intermédiaire, un point de vue, un regard sur le monde la du passé suit les soubresauts de la mémoire. Un événement en apparence mineur du point de vue de l’action mais important pour la sensibilité du lecteur peut être dilaté. Le temps de l’histoire est à la fois chronologique et psychologique : il n’y a pas de véritable le style est complexe : les phrases sont longues avec des figures de style, des subordonnées et des incises qui suivent les sinuosités de la
À l’ombre des jeunes filles en fleurs (1919) c’est le récit des amours adolescentes sur la plage de Balbec et la rencontre du narrateur avec Albertine Le Côté de Guermantes (1920) c’est le monde des salons aristocratiques des Guermantes Sodome et Gomorrhe (1921) c’est le monde du vice et la rencontre avec le clan snob des Verdurin La Prisionnière (1923, posthume) la destructrice fait d’Albertine la prisonnière de Marcel
Albertine disparue (1925, posthume) c’est le récit de la mort accidentelle d’Albertine
Le Temps retrouvé (1927, posthume) le narrateur comprend que seule l’ peut fixer le souvenir et donc il décide d’écrire le roman que le lecteur est en train de lire
349
ANDRÉ GIDE (1869-1951)
→ Mots phares, p. 359
immoraliste ou moraliste ? André Gide est demeuré tout au long de sa vie très controversé. Ses nombreux combats, contre l’hypocrisie sociale, contre le puritanisme et ses excès, les tabous sexuels, mais aussi contre l’injustice coloniale et les totalitarismes de tout bord, en font un précurseur des thèmes du XXe siècle.
Une éducation puritaine André Gide naît en 1869 à Paris, dans une famille bourgeoise aisée de religion protestante. Il perd son père très jeune, et reçoit de sa mère une éducation très stricte, à la morale intransigeante. Une maladie nerveuse l’empêche de suivre des études régulières. Cette période marquera durablement sa sensibilité. Son adolescence se place sous le signe de l’amour exalté et mystique qu’il porte à sa cousine Madeleine. Sans souci financier, il se met à écrire, fréquente les milieux symbolistes, se lie d’amitié avec le poète Pierre Louÿs, puis avec Paul Valéry [→ p. 317] qu’il rencontre dans le salon de Mallarmé.
Les diverses formes du roman avant 1945 Les auteurs de l’introspection • sont influencés par Bergson et Freud • s’intéressent davantage à l’analyse de l’individu pris dans sa subjectivité par rapport à la société • mettent au premier plan le « moi » et la représentation de la conscience
Le séjour en Afrique et l’éveil des sens En octobre 1893, malade et menacé de tuberculose, il part pour la Tunisie avec son ami Paul Laurens. Ce premier voyage en Afrique du Nord est le moment de ses premières expériences homosexuelles : Gide découvre « l’éblouissement du plaisir sensuel ». Il revient deux ans plus tard, complètement transformé, prêt à rejeter tous les interdits et toutes les contraintes. En 1895, il épouse pourtant Madeleine : les deux cousins feront un mariage blanc. L’écrivain et la morale Gide commence une carrière littéraire prolifique. En 1897, il publie Les Nourritures terrestres, où il exalte, dans la continuité de son séjour en Afrique, le plaisir des sens et la jouissance de toutes choses. En 1902, par l’intermédiaire du personnage de Michel, L’Immoraliste continue à revendiquer cet ardent désir de vivre dans une totale liberté. Le roman dénonce aussi les tourments et les limites d’une attitude résolument individualiste. En 1909 paraît La Porte étroite, où Gide, à travers l’histoire d’Alissa qui renonce à son amour et à son bonheur terrestre pour Dieu, s’interroge sur le mysticisme.
André Gide Les Caves du Vatican Texte 84
LA VIE Naissance à Paris
1869
Voyage en Afrique du Nord
1891 Les Cahiers d’André Walter
LES ŒUVRES 350
1893-1895
Mariage avec Madeleine 1895
Paludes
1895
1897
Les Nourritures terrestres
1902 L’Immoraliste
1909 La Porte étroite
1914 Les Caves du Vatican
1919 La Symphonie pastorale
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 Le roman Les Caves du Vatican (1914) [→ texte 84] s’inspire d’un fait divers de l’année 1893 : des escrocs avaient fait croire que le pape était prisonnier dans les caves du Vatican et qu’il avait été remplacé par un usurpateur. Parodiant le roman traditionnel, le texte continue à aborder les traditionnels thèmes gidiens : les préjugés, les contraintes sociales, la liberté individuelle. Le héros, Lafcadio, est resté célèbre pour son acte gratuit : dans un train, Lafcadio précipite dans le vide l’enquêteur Amédée Fleurissoire sans raison aucune, simplement pour se prouver à lui-même sa propre liberté. À son époque, le roman fait scandale : Gide est accusé de corrompre la jeunesse. Dépourvu de toute ironie, le texte de La Symphonie pastorale (1919) raconte l’amour coupable d’un pasteur protestant pour une jeune fille aveugle, et dit la lutte désespérée du héros contre les tentations de l’amour. L’année suivante, la franchise de Si le grain ne meurt, qui constitue un nouveau récit autobiographique, fait scandale. La réputation de Gide ne cesse cependant de croître. En 1925, le roman Les Faux-monnayeurs pose la question de la création. À travers le personnage du romancier Édouard, Gide explore les difficultés de l’écriture à représenter fidèlement le monde. Les nombreux personnages qui gravitent autour du protagoniste permettent encore une fois, avec leurs problématiques personnelles, de soulever des questionnements moraux et de dénoncer l’hypocrisie générale. En immergeant le lecteur dans le processus de création de l’œuvre, Les Faux-monnayeurs bouleversent par leur forme audacieuse la conception même du roman, et en renouvellent les techniques (mise en abyme → Le saviez-vous?, multiplication des points de vue).
L’engagement politique et les dernières œuvres Gide cependant ouvre son esprit aux autres hommes et aux autres peuples. Un voyage au Congo en 1925 le met face aux réalités de la colonisation qu’il dénonce dans ses livres, Voyage au Congo et Retour du Tchad (1927 et 1928). Il adhère au communisme, part en 1936 pour un voyage en URSS, mais reviendra déçu par l’expérience soviétique (Retour d’URSS, 1936). Gide publie tardivement son Journal qui couvre cinquante ans de sa vie (1889-1939). C’est un document essentiel sur lui et sur son temps, où il se livre tout entier, dans un effort remarquable de sincérité et de lucidité. Après avoir reçu le prix Nobel de littérature en 1947, il meurt à Paris en 1951.
Voyage au Congo
1920 Si le grain ne meurt
1925
1925
Les Fauxmonnayeurs
Texte extra : Les Faux-monnayeurs, La pendule sonna quatre heures
LE SAVIEZ-VOUS ? La mise en abyme Le roman dans le roman, aussi appelé mise en abyme, est la représentation dans le roman d’un personnage qui se livre à un acte d’écriture. La mise en abyme est déjà présente dans la littérature du XIXe siècle, mais a été largement utilisée au XXe siècle.
J’AI COMPRIS L’ESSENTIEL Répondez aux questions. 1 Par quels textes André Gide a-t-il renouvelé l’écriture romanesque ? 2 Quels sont les principaux questionnements moraux proposés par l’œuvre d’André Gide ? 3 Quels ont été les principaux engagements politiques d’André Gide ?
Voyage en URSS
1927 Voyage au Congo
1928 Retour du Tchad
1936
1936 Retour d’URSS
Prix Nobel de littérature
1944 Journal
1946
Mort à Paris
1947
1951
Thésée
351
ANDRÉ GIDE
Thèmes l’amour • la société
L’épreuve fatale RÉSUMÉ Les Caves du Vatican Gide présente Les Caves du Vatican comme une sotie : un genre médiéval au caractère burlesque qui met en scène des personnages comiques, des dupes ou des « sots », et qui critique de manière satirique les mœurs du pouvoir et de la société. Le roman se compose de cinq parties ; l’intrigue est délibérément embrouillée : Anthime ArmandDubois, grand athée et franc-maçon, guérit d’un coup de ses rhumatismes et croit au miracle. Il attend une grosse somme d’argent que l’Église lui a promise à la suite de sa conversion au catholicisme, mais qui n’arrivera jamais. Son beau-frère Julius de Baraglioul est à la recherche de son frère Lafcadio, fils illégitime auquel leur père veut confier une partie de sa fortune. Protos, le mécréant déguisé en abbé, confie à
T 84 MOTS PHARES
84
André Gide, Les Caves du Vatican (1914) Gaston Blafaphas est l’ami inséparable d’Amédée Fleurissoire. Tous deux ne font qu’un : ils partagent tout, y compris l’amour qu’ils éprouvent pour Arnica, ce qui risque de compromettre leur amitié. Vers qui se tournera Arnica ?
• Une amitié indéfectible • Le ridicule de situation • Une union déconcertante
1 si invaghirono 2 unione 3 verbena 4 si imbaldanzivano 5 abbandonato 6 si inebriò 7 valutando 8 sintesi scherzosa dei nomi dei due amici 9 festicciola danzante 10 tremante
352
la sœur de Baraglioul, la comtesse de Saint-Prix, que le vrai pape a été enlevé par des francs-maçons et qu’il a été remplacé par un sosie. C’est en réalité une escroquerie, afin d’obtenir une grosse somme d’argent de la comtesse. Elle en parle au couple Fleurissoire, formé par la belle-sœur de Julius, Arnica Petérat, et son mari Amédée, dans l’espoir de récupérer son argent. Amédée Fleurissoire décide de partir tout seul en direction de Rome pour libérer le pape. Pendant le voyage, il se retrouve dans son compartiment avec Lafcadio, qu’il ne connaît pas. Celui-ci, par le célèbre acte gratuit, le pousse par la porte du compartiment, en dehors du train.
Amédée Fleurissoire et Gaston Blafaphas s’éprirent ensemble d’Arnica ; c’était fatal. Chose admirable, cette naissante passion, qu’aussitôt l’un à l’autre ils s’avouèrent, loin de les diviser, ne fit que resserrer leur couture . Et certes Arnica ne leur donna d’abord, à l’un non plus qu’à l’autre, de grands motifs de jalousie. Aucun d’eux du reste ne s’était déclaré ; et jamais Arnica 5 n’eût été supposer leur flamme, malgré le tremblement de leur voix lorsque, à ces petites soirées du dimanche chez M Semène dont ils étaient les familiers, elle leur offrait le sirop, la verveine ou la camomille. Et tous deux, s’en retournant le soir, célébraient sa décence et sa grâce, s’inquiétaient de sa pâleur, s’enhardissaient … Ils convinrent de se déclarer l’un et l’autre le même soir, ensemble, puis de s’abandonner à son 10 choix. Arnica, toute neuve devant l’amour, remercia le ciel dans la surprise et la simplicité de son cœur. Elle pria les deux soupirants de lui laisser le temps de réfléchir. À vrai dire elle ne penchait non plus vers l’un que vers l’autre, et ne s’intéressait à eux que parce qu’eux s’intéressaient à elle, alors qu’elle avait résigné l’espoir d’intéresser jamais personne. Six semaines durant, perplexe de plus en plus, elle s’enivra doucement des hommages de 15 ses prétendants parallèles. Et tandis que dans leurs promenades nocturnes, supputant mutuellement leurs progrès, les Blafafoires se racontaient longuement l’un à l’autre, sans détours, les moindres mots, les regards, les sourires dont elle les avait gratifiés, Arnica, retirée dans sa chambre, écrivait sur des bouts de papier qu’elle brûlait soigneusement ensuite à la flamme de sa bougie, et répétait inlassablement tour à tour : Arnica Blafaphas ?... Arnica 20 Fleurissoire ? incapable de décider entre l’atrocité de ces deux noms. Puis brusquement, certain jour de sauterie elle avait choisi Fleurissoire ; Amédée ne venait-il pas de l’appeler Arnîca, en accentuant la pénultième de son nom d’une manière qui lui parut italienne ? (inconsidérément du reste, et sans doute entraîné par le piano de M Semène qui rythmait l’atmosphère en ce moment), et ce nom d’Arnica, son propre nom, aussitôt lui était 25 apparu riche d’une musique imprévue, capable lui aussi d’exprimer poésie, amour… Ils étaient tous deux seuls dans un petit parloir à côté du salon, et si près l’un de l’autre que, lorsque Arnica défaillante laissa pencher sa tête lourde de reconnaissance, son front toucha l’épaule d’Amédée
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 qui, très grave, prit alors la main d’Arnica et lui baisa le bout des doigts. 30 Quand, au retour, Amédée annonça son bonheur à son ami, Gaston contre son habitude, ne dit rien et, quand ils passèrent devant une lanterne, il parut à Fleurissoire qu’il pleurait. Si grande que fût la naïveté d’Amédée, pouvait-il vraiment supposer que son ami partageait jusqu’à ce dernier point son bonheur ? Tout 35 décontenancé , tout penaud , il prit Blafaphas dans ses bras (la rue était déserte) et lui jura que, pour grand que fût son amour, son amitié l’emportait de beaucoup encore, qu’il n’entendait pas que, par son mariage, elle fût en rien diminuée et qu’enfin, plutôt que de sentir Blafaphas souffrant de quelque jalousie, il était prêt 40 à lui promettre, sur son bonheur, de ne jamais user de ses droits conjugaux. Ni Blafaphas ni Fleurissoire n’étaient de tempérament bien fougueux ; pourtant Gaston, que sa virilité occupait un peu davantage, se tut et laissa promettre Amédée. 11 confuso 12 mogio mogio 13 focoso
John Petite, Deux cordes à son arc, Musée et Galerie d’art Kelvingrove (Glasgow, Écosse), 1887
Vers l’ESABAC VUE D’ENSEMBLE 1 2 3 4
Quel événement frappe la vie d’Amédée Fleurissoire et de Gaston Blafaphas ? Que décident-ils de faire ? À quel moment l’amitié d’Amédée Fleurissoire et de Gaston Blafaphas risque-t-elle de vaciller et pourquoi ? Que propose Amédée Fleurissoire à Gaston Blafaphas pour qu’il ne soit pas jaloux ? Est-ce que Gaston accepte ?
COMMENTAIRE DIRIGÉ
Justifiez toujours vos réponses par des mots du texte.
Compréhension 5 Décrivez et expliquez la distribution des pronoms tout au long du texte. À qui se réfèrent-ils ? Comment évoluent-ils au fil du texte ? 6 Relevez l’évolution de l’amitié des deux personnages. 7 Relevez le champ lexical de l’amour. 8 Comment découvre-t-on dans le texte la personnalité de la jeune fille ?
Interprétation 9 Quel est le ton utilisé par le narrateur dans ce passage ? 10 En quoi ces personnages se révèlent-ils médiocres ? 11 Comment cet extrait peut-il justifier la définition de « sotie » [→ résumé p. 352] que l’auteur a donnée à son roman ? Quels aspects de la société cherche-t-il à critiquer ?
Réflexion personnelle 12 L’amitié est un topos littéraire et artistique. Réfléchissez sur ce thème à travers des œuvres de votre connaissance (300 mots minimum).
353
LOUIS-FERDINAND CÉLINE (1894-1961)
→ Mots phares, p. 359
scandale et génie LOUISFERDINAND CÉLINE
À LA DÉCOUVERTE DE L’AUTEUR SA VIE ET SON ŒUVRE
Ligne du temps interactive
VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT POUR FAIRE LE POINT
Introduction vidéo
Parcours interactif
Test interactif
Céline renferme en lui de nombreuses contradictions : il dénonce la guerre sous toutes ses formes ainsi que le colonialisme, mais il est violemment antisémite et soutient le nazisme. Pourtant il est reconnu comme un écrivain incontournable pour sa contribution à l’histoire du roman moderne.
Le traumatisme de la guerre Louis-Ferdinand Destouches est né dans la banlieue parisienne, dans une famille modeste. En 1897, la famille déménage à Paris, où il reçoit une instruction sommaire. Adolescent, il occupe plusieurs petits emplois puis, à 18 ans, s’engage dans l’armée. En 1914 il part sur le front. Au cours d’une mission dangereuse, il est gravement blessé au bras. Il est décoré alors de la médaille militaire, mais ce choc le traumatise à jamais. Après avoir épousé la fille d’un professeur de médecine, il reprend ses études. Il prépare le baccalauréat puis s’inscrit à la faculté de médecine de Rennes. Il soutiendra sa thèse en 1924. Après son doctorat, Céline est embauché dans la section hygiène de la Société des Nations. À cette occasion, il voyage à travers le monde, en Afrique et en Amérique surtout. En 1926, il rencontre Elizabeth Craig, une danseuse américaine avec qui il vivra six ans, après avoir divorcé de sa première femme.
Les diverses formes du roman avant 1945 Les auteurs de la grandeur humaine • engagement et recherche des valeurs humaines fondamentales • dénonciation de l’absurdité de la guerre
Louis-Ferdinand Céline
Médecine et écriture C’est aussi l’époque où il crée son cabinet de médecine à Clichy, dans la banlieue parisienne. Parallèlement, il commence à écrire. Il publie son premier roman chez Denoël en 1932, Voyage au bout de la nuit, sous le nom de LouisFerdinand Céline (Céline étant le prénom de sa grand-mère maternelle). Sorte de roman picaresque moderne, Voyage au bout de la nuit retrace
Voyage au bout de la nuit Textes 85 et 86
LA VIE Naissance à Courbevoie
1894
Départ pour Paris
1897
Engagement dans l’armée
1912
Blessure au bras
1914
Rencontre d’Elizabeth Craig
1926 Voyage au bout de la nuit
LES ŒUVRES 354
1932
1936 Mort à crédit
1937 Bagatelles pour un massacre
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 les aventures mouvementées et sordides de Ferdinand Bardamu, médecin comme Céline. Chacune des étapes du voyage infernal de cet anti-héros [→ Le saviez-vous ?] est l’occasion de dénoncer une des tares de la société : colonialisme en Afrique, déshumanisation du travail en Amérique où s’affirme le capitalisme, pauvreté sordide des banlieues parisiennes, mesquinerie et méchanceté foncière de l’homme. Les personnages, dont les aventures ne mènent nulle part, semblent ballottés au fil des événements de la vie, sans être véritablement responsables de leur destin. Pour Céline, la vie est ainsi un voyage interminable vers une « nuit » opaque et dénuée de sens. S’il ressort du livre une impression tragique, l’angoisse existentielle, l’horreur et la noirceur sont pourtant atténuées par la dérision et l’ironie qui permettent au narrateur d’aller de l’avant et de supporter l’insupportable. Le livre fait scandale et manque le prix Goncourt. Mais Céline, jusque-là inconnu, devient subitement célèbre. C’est avant tout pour sa forme que le roman déstabilise le public : après les timides tentatives de Zola, avec Voyage au bout de la nuit, le langage parlé populaire et argotique entre de plain-pied dans la littérature. Non seulement Céline met dans la bouche de son personnage des mots argotiques, mais il fait de ce dernier un véritable créateur : Bardamu invente des mots et des expressions, des images cocasses et, pour exprimer toutes les différentes émotions (de la tendresse à la colère), il utilise une syntaxe proche du langage parlé : juxtaposition des phrases, ordre des mots inhabituel, exclamations, interrogations, absence de ponctuation [→ textes 85 et 86]. En 1936, Céline publie Mort à crédit, où il remet en scène Ferdinand Bardamu et retrace son enfance. Le livre se termine par l’évocation de l’engagement dans l’armée, par où commençait Voyage au bout de la nuit.
La dérive d’extrême droite et la solitude Dans les années troublées de l’avant-guerre, de retour d’un voyage en URSS, Céline publie un premier pamphlet anti-communiste, Mea Culpa. Puis trois autres pamphlets suivent, Bagatelles pour un massacre (1937), L’École des cadavres (1939), Les Beaux Draps (1941) où il affirme son angoisse d’un péril juif et son antisémitisme. Pendant la guerre, Céline collabore avec le régime de Vichy. En 1944, à la fin de la guerre, il s’enfuit avec sa nouvelle femme, Lucette Almanzor. Il sera arrêté au Danemark et condamné à la dégradation et à la confiscation de la moitié de ses biens. Amnistié en 1951, Céline rentre en France, et vit à l’écart du monde, en compagnie de sa femme. Il continue à écrire (entre autres D’un château l’autre, 1957 et Rigodon, publié posthume) jusqu’à sa mort en 1961.
Fuite de Céline
1939 L’École des cadavres
1941 Les Beaux Draps
1944
Amnistie
1951
LE SAVIEZ-VOUS ? Un anti-héros est un héros qui est dénué des qualités du héros traditionnel : il n’est pas forcément beau, il a des traits de caractère négatifs, il se comporte de manière immorale ou commet des actions répréhensibles… Les anti-héros les plus célèbres sont Don Quichotte et Don Juan. Au XXe siècle, l’anti-héros s’est diffusé largement dans la littérature, mais aussi au cinéma et à la télévision.
J’AI COMPRIS L’ESSENTIEL Répondez aux questions. 1 Pourquoi peut-on dire que la vision du monde qui se dégage du roman Voyage au bout de la nuit (1932) est-elle pessimiste ? Quelle est la seule solution possible ? 2 Quelle innovation formelle adopte Céline dans le langage de ses romans ? 3 Pour quelle raison Céline a-t-il été condamné à la dégradation après la Seconde Guerre mondiale ?
Mort à Meudon
1957 D’un château l’autre
1960 Nord
1961
1969 Rigodon (posthume)
355
LOUIS-FERDINAND CÉLINE
Thèmes l’argent • la liberté
Le travail à la chaîne RÉSUMÉ Voyage au bout de la nuit Bardamu, le personnage principal, raconte son « voyage au bout de la nuit ». En 1914, jeune étudiant en médecine, il décide de s’engager dans l’armée et part au front où les horreurs de la guerre le bouleversent. Blessé, il revient à Paris ; en proie à des hallucinations, il est interné en hôpital psychiatrique, puis réformé. Il part alors en Afrique, mais sur le bateau, il est la cible de l’hostilité des passagers. Il s’enfuit et trouve du travail dans une compagnie coloniale, mais l’expérience africaine est décevante. Malade de la malaria, il embarque pour New York, il est embauché à la chaîne chez Ford, mais le rêve américain laisse bientôt la place à
T 85
85
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932) Après avoir quitté New York, Bardamu réussit à se faire engager à Détroit, dans les usines Ford. Il craint d’être refusé au travail à cause de la malaria dont il souffre, mais son état physique n’intéresse pas ceux qui l’embauchent.
MOTS PHARES • La désillusion • L’abrutissement des travailleurs • Les conditions inhumaines du travail à la chaîne
5
10
15
Texte extra : Voyage au bout de la nuit, Le voyage
20
1 spacciato 2 fare una gaffe 3 sappiatelo 4 persona tranquilla 5 lente 6 le budella, le viscere 7 irrigidito
356
la constatation de la pauvreté et de l’abrutissement des travailleurs immigrés. Affolé par la dureté du travail, il repart pour Paris où il termine ses études et devient médecin. Il exerce dans une banlieue pauvre où la misère et la mort sont le lot quotidien. Au milieu de toutes ces péripéties, il a plusieurs aventures féminines (Lola, Molly) et croise plusieurs fois Robinson, déserteur, voleur, marginal, qui se fera tuer par sa compagne. Le roman se termine comme il a commencé avec Bardamu assis au bistrot.
25
– Pour ce que vous ferez ici, ça n’a pas d’importance comment que vous êtes foutu ! m’a rassuré le médecin examinateur, tout de suite. – Tant mieux que j’ai répondu moi, mais vous savez, monsieur, j’ai de l’instruction et même j’ai entrepris autrefois des études médicales... Du coup, il m’a regardé avec un sale œil. J’ai senti que je venais de gaffer une fois de plus, et à mon détriment. – Ça ne vous servira à rien ici vos études, mon garçon ! Vous n’êtes pas venu ici pour penser, mais pour faire les gestes qu’on vous commandera d’exécuter... Nous n’avons pas besoin d’imaginatifs dans notre usine. C’est de chimpanzés dont nous avons besoin... Un conseil encore. Ne nous parlez plus jamais de votre intelligence ! On pensera pour vous mon ami ! Tenez-vous-le pour dit . Il avait raison de me prévenir. Valait mieux que je sache à quoi m’en tenir sur les habitudes de la maison. Des bêtises, j’en avais assez à mon actif tel quel pour dix ans au moins. Je tenais à passer désormais pour un petit peinard . Une fois rhabillés, nous fûmes répartis en files traînardes , par groupes hésitants en renfort vers ces endroits d’où nous arrivaient les fracas énormes de la mécanique. Tout tremblait dans l’immense édifice et soi-même des pieds aux oreilles possédé par le tremblement, il en venait des vitres et du plancher et de la ferraille, des secousses, vibré de haut en bas. On en devenait machine aussi soi-même à force et de toute sa viande encore tremblotante dans ce bruit de rage énorme qui vous prenait le dedans et le tour de la tête et plus bas vous agitant les tripes et remontait aux yeux par petits coups précipités, infinis, inlassables. À mesure qu’on avançait on les perdait les compagnons. On leur faisait un petit sourire à ceux-là en les quittant comme si tout ce qui se passait était bien gentil. On ne pouvait plus ni se parler ni s’entendre. Il en restait à chaque fois trois ou quatre autour d’une machine. On résiste tout de même, on a du mal à se dégoûter de sa substance, on voudrait bien arrêter tout ça pour qu’on y réfléchisse, et entendre en soi son cœur battre facilement, mais ça ne se peut plus. Ça ne peut plus finir. Elle est en catastrophe cette infinie boîte aux aciers et nous on tourne dedans et avec les machines et avec la terre. Tous ensemble ! […] On se laisse aller aux machines avec les trois idées qui restent à vaciller tout en haut derrière le front de la tête. C’est fini. Partout ce qu’on regarde, tout ce que la main touche, c’est dur à présent. Et tout ce dont on arrive à se souvenir encore un peu est raidi aussi comme du fer et n’a plus de goût dans la pensée.
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
Vers l’ESABAC VUE D’ENSEMBLE 1 2 3 4
Où se trouve le personnage principal ? Ses connaissances et son instruction sont-elles importantes pour ce genre de travail ? Comment les ouvriers sont-ils accompagnés à leur poste ? Est-ce que les ouvriers travaillent dans des conditions de confort acceptable ?
COMMENTAIRE DIRIGÉ
Justifiez toujours vos réponses par des mots du texte.
Compréhension 5 Observez et étudiez le type de narrateur et de focalisation de cet extrait. Que remarquez-vous concernant l’emploi des pronoms personnels au fil du texte ? 6 Relevez le champ lexical qui relie les hommes aux animaux et aux machines. 7 Comment le narrateur présente-t-il l’usine ? (Ses caractéristiques, les champs lexicaux appartenant à la vue, à l’ouïe, au toucher). 8 Quels effets de langue pouvez-vous remarquer dans ce passage ? 9 Quelle est l’attitude du narrateur au fur et à mesure qu’il découvre le travail à la chaîne ?
Interprétation 10 En quoi cet extrait est-il une représentation critique des conditions inhumaines de travail ? 11 Le style de Céline s’écarte de la langue normalement utilisée dans les œuvres littéraires, montrez-le. Pourquoi Céline transforme-t-il le langage littéraire ? Que veut-il réaliser et représenter ? 12 En quoi dans cette scène Bardamu apparaît-il comme un anti-héros [→ Le saviez-vous ? p. 355] ?
Réflexion personnelle 13 Les écrivains, et plus en général les artistes, se sont souvent exposés pour empêcher l’exploitation du travail humain. Approfondissez ce sujet en considérant des œuvres de votre connaissance (300 mots minimum).
DÉBAT Divisez la classe en deux groupes : ‘pour’ et ‘contre’ l’affirmation suivante. Chaque groupe présente ses arguments. « Nous n’avons pas besoin d’imaginatifs dans notre usine. C’est de chimpanzés dont nous avons besoin. » La chaîne de montage est-elle encore acceptable aujourd’hui ? 1 Chacun cherche des arguments. 2 Mettez en commun vos opinions et indiquez tous les arguments mentionnés. POUR
CONTRE
• Oui, parce que la quantité de biens industriels à laquelle
• Non, car certains biens que nous désirons et que nous
• (Ajoutez des arguments)
• (Ajoutez des arguments)
notre société est habituée ne peut être atteinte d’une autre manière.
avons sont superflus. Il suffirait d’y renoncer pour ne plus avoir besoin de produire autant.
357
LOUIS-FERDINAND CÉLINE
Thèmes l’amour • la langue
La dispute T 86
86
MOTS PHARES • Une querelle • La violence d’un assassinat • La mort
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932) Dans cette fin de roman, Bardamu a proposé à ses amis, Madelon et Robinson, autrefois fiancés mais désormais séparés, une sortie à la fête des Batignolles à Paris. Dans le taxi qui les y emmène, une dispute éclate entre Madelon et Robinson : ce dernier refuse en effet de céder aux avances de celle qui est toujours amoureuse de lui. Madelon le tue alors de trois coups de revolver. — Tu dis que t’as rien dit alors ? T’as rien dit ? Écoutez-le à présent qui m’insulte plus bas que terre et qui prétend encore qu’il a rien dit ! Mais il faudra le tuer pour qu’il puisse plus mentir 5 davantage ! C’est pas assez de la taule pour un cochon pareil ! Un sale maquereau pourri !... Ça suffit pas !... C’est l’échafaud qu’il lui faudrait ! Elle voulait plus être calmée. On ne comprenait plus rien à leur dispute dans le taxi. On entendait 10 que des gros mots dans le boucan que faisait l’auto, le battement des roues dans la pluie et dans le vent qui se jetait contre notre portière par bourrasques. Des menaces, il en restait plein entre nous. « C’est ignoble… » qu’elle a répété à plusieurs reprises. 15 Elle pouvait plus parler d’autre chose… « C’est ignoble ! ». Et puis elle a essayé le grand jeu : « Tu viens ? qu’elle lui a fait. Tu viens Léon ? Un ?... Tu viens-t-y ? Deux ? … » Elle a attendu. « Trois ?... Tu viens pas alors ? … » « Non ! » qu’il lui a répondu, 20 sans bouger d’un pouce. « Fais comme tu veux ! » qu’il a même ajouté. C’était une réponse. Elle a dû se reculer un peu sur la banquette, tout au fond. Elle devait tenir le revolver à deux mains parce que quand le feu lui est parti c’était comme 25 tout droit de son ventre et puis presque ensemble encore deux coups, deux fois de suite… De la fumée poivrée alors qu’on a eue plein le taxi.
COMPRENDRE 1 Quels sont les personnages présents dans cette scène ? Comment sont-ils désignés ? 2 Au début de ce texte, quel thème est principalement abordé par les personnages ? Relevez-en le champ lexical. 3 Qui est le narrateur ? Se manifeste-t-il ?
ANALYSER 4 Observez les premières lignes du texte : qu’est-ce qui caractérise ce discours (syntaxe, lexique...) ? 5 Dans quelles circonstances se déroule l’action ? Justifiez.
358
«Tu dici che hai detto niente allora? Hai detto niente? Sentitelo adesso che m’insulta che nemmeno un cane e ancora pretende che non ha detto niente! Ma bisogna ucciderlo perché non possa mentire ancora? 5 Non è abbastanza la gattabuia per un maiale del genere! Uno sporco magnaccia ammuffito!... Basta mica!... È la forca che gli ci vorrebbe!». Non voleva più essere calmata. Non si capiva più niente del loro alterco nel taxi. Si capivano solo delle 10 parolacce nel frastuono che faceva l’auto, il battere delle ruote nella pioggia e nel vento che si gettava contro la nostra portiera a raffiche. Quanto a minacce, ci nuotavano in mezzo. «È ignobile...» ha ripetuto lei a più riprese. Non poteva più parlare d’altro... 15 «È ignobile!». E poi lei ha tentato il colpo grosso. «Vieni? gli ha fatto lei. Vieni Léon? Uno?... Ci vieni? Due?...» Lei ha aspettato. «Tre?... Non vieni allora?... – No! le ha risposto lui, senza muovere d’un millimetro. Fa’ come vuoi!» ha perfino aggiunto. Era una risposta. 20 Lei ha dovuto ritirarsi un po’ sul sedile, fino in fondo. Doveva tenere la rivoltella a due mani perché quando il colpo è partito era come diritto dal suo ventre e poi quasi insieme altri due colpi, due volte di seguito... Di un fumo acre s’è allora riempito il taxi. traduzione di Ernesto Ferrero, Corbaccio, 1992
6 Quelle est l’impression qui se dégage dans les lignes 9-13 ? Quel est le champ lexical qui la souligne ? À quel contexte renvoie-t-il ? 7 Lignes 13-21 : quelle est la forme du discours ? Quel est le personnage que l’on nomme finalement ? Comment évolue l’échange entre les personnages ?
RÉCAPITULER 8 Lignes 22-27 : quel événement est raconté à la fin de l’extrait ? Relevez le champ lexical présent. Qui est le témoin de cet événement ? 9 Quelles innovations langagières apparaissent dans cet extrait ?
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
MOTS PHARES 1 Complétez les textes avec les mots donnés. angoisse • argotique • contraintes • déshumanisation • hypocrisie • liberté • mise en abyme • pessimisme • picaresque • populaire • préjugés • tentations Les Nourritures terrestres (1897) le roman, qui est un hymne à la vie, est écrit après son séjour en Afrique qui lui a redonné la joie de vivre L’Immoraliste (1902) la liberté est conçue comme l’affranchissement des morales et puritaines le roman s’inspire de la maladie de l’auteur et de son voyage en Afrique avec ses expériences homosexuelles
ANDRÉ GIDE (1869-1951)
ŒUVRES
THÈMES le plaisir des sens et la jouissance de toutes choses la totale individuelle une attitude résolument individualiste la dénonciation des préjugés, de l’ et des contraintes sociales l’engagement politique
Les Caves du Vatican (1914) c’est un roman caractérisé par l’ironie et qui est inspiré d’un fait divers de 1893, quand des escrocs avaient fait croire que le pape était prisonnier dans les caves du Vatican et qu’il avait été remplacé par un usurpateur l’intrigue est compliquée et joue sur la parodie les thèmes sont les , les contraintes sociales, la liberté individuelle c’est aussi une critique du roman traditionnel et des mœurs de la société La Symphonie pastorale (1919) thème de l’amour coupable d’un pasteur protestant pour une fille aveugle qui recouvre la vue et de la lutte contre les Les Faux-monnayeurs (1925) Gide pose dans ce roman la question de la création il utilise la technique de la , par laquelle on assiste à la multiplication des points de vue, ce qui offre une réflexion sur l’hypocrisie
LOUIS-FERDINAND CÉLINE (1894-1961)
ŒUVRES
THÈMES le choc de la guerre l’ existentielle la dénonciation des tares de la société : le colonialisme, la déshumanisation du travail en Amérique le fondamental envers la nature de l’homme ironie et dérision dans le œuvres littéraires
Voyage au bout de la nuit (1932) Céline affiche ses idées anti-bourgeoises c’est une sorte de roman moderne qui concerne les aventures de Ferdinand Bardamu, médecin comme Céline, aventures qui mènent seulement vers une « nuit » dénuée de sens les personnages sont ballottés par les événements, les étapes du voyage infernal sont des prétextes pour dénoncer le colonialisme, la du travail, la pauvreté et la méchanceté de l’homme le langage est , riche en mots nouveaux la langue parlée entre dans le roman Mort à crédit (1936) le roman revient en arrière pour retracer les années de jeunesse de Ferdinand Bardamu, le héros – ou anti-héros – du Voyage au bout de la nuit et se termine au moment où Ferdinand s’engage dans l’armée, là où commençait Voyage
359
ROMANCIERS D’AVANT 45
→ Mots phares, p. 369
nouvelles formes, nouveaux thèmes Les diverses formes du roman avant 1945 Les auteurs de la grandeur humaine • engagement et recherche des valeurs humaines fondamentales • dénonciation de l’absurdité de la guerre
SidonieGabrielle Colette La Chatte Texte 87
Antoine de Saint-Exupéry Le Petit Prince Texte 89
Jean Giono Lettre aux paysans Texte 88
Irène Némirovsky Suite française Texte 90
Sidonie-Gabrielle Colette (1873-1954) Colette passe une enfance heureuse, au contact de la nature. Très jeune, elle épouse un journaliste, et sous le nom de son mari elle écrit la série des Claudine (1900-1903), dans laquelle, conformément au goût de la Belle Époque, elle raconte l’histoire d’une jeune fille très indépendante. Divorcée, elle mène une vie agitée et libre, entretient ouvertement plusieurs relations amoureuses homosexuelles, se remarie et continue à écrire en mêlant autobiographie et fiction, études de mœurs et analyses psychologiques. Dans ses textes de fiction, les thèmes récurrents sont ceux de l’amour, même physique, ou de la jalousie, sur lesquels elle pose un regard dénué des préjugés de l’époque (Chéri, 1920 ; Le Blé en herbe, 1923 ; La Chatte, 1933, → texte 87). Mais Colette est aussi l’auteure de textes autobiographiques où elle revient sur ses souvenirs d’enfance (Les Vrilles de la vigne, 1908 ; Sido, 1929 ; La Naissance du jour, 1928). Elle est récompensée de son vivant par de nombreux prix académiques, et est également décorée de la Légion d’honneur. Elle est enfin la première femme à recevoir des funérailles nationales. Jean Giono (1895-1970) Né en Provence, Giono est issu d’une famille très modeste. Il doit travailler dès l’âge de 16 ans, mais commence très tôt à écrire. Il se fait connaître avec Colline (1929), qui raconte la vie de paysans provençaux et forme le premier tome d’une trilogie, la « trilogie de Pan ». Les deux tomes suivants, Un de Baumugnes (1929) et Regain (1930), sont également ancrés dans la terre de Haute Provence (l’homme au contact de la nature est un des thèmes principaux de sa production littéraire). Ayant gardé de l’expérience de la guerre des convictions pacifistes très fortes, Giono s’engage en faveur de la paix (voir Lettre aux paysans, 1938, → texte 88). Dans Que ma joie demeure (1935), il exprime sa foi en l’humanité. Après la Seconde Guerre mondiale, il recommence à publier (« cycle d’Angelo » : Angelo, 1945 ; Le Hussard sur le toit, 1951 ; Le Bonheur fou, 1957). À la fin de sa vie, il se lance dans l’écriture de scénarios pour le cinéma.
LA VIE ET LES ŒUVRES Naissance de Colette en BourgogneFrancheComté 1873
Naissance de Giono en Provence 1895
Naissance de SaintExupéry à Lyon
1900 1900-1903 Claudine
Naissance de Némirovsky à Kiev, Ukraine 1903 Chéri
1920
1926
Le Malentendu
1928 Courrier Sud
1929 Sido Colline
360
1930 Regain Le Bal
1931 Vol de nuit
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) Devenu pilote, il est engagé par la compagnie Latécoère (1926), pour laquelle il assure ses premiers long-courriers. En 1928, il publie son premier roman, Courrier Sud. Par la suite, son œuvre reste intimement liée à sa carrière d’aviateur. Éternel voyageur, il est en même temps journaliste et reporter. En 1931, Vol de nuit fait connaître au public la vie des pilotes de ligne dans le contexte héroïque des premières conquêtes aériennes. Il tente un raid Paris-Saïgon, dans l’intention de battre le record, mais est contraint à un atterrissage forcé dans le désert. Après cinq jours de marche, il est sauvé par une caravane. Mobilisé en 1939-1940, il se bat héroïquement. Avec Terre des hommes (1939), Saint-Exupéry reçoit tous les honneurs. Dans cette œuvre, il exprime pleinement ses valeurs humanistes (confiance en l’être humain, en la communauté, altruisme, solidarité). Il disparaît en juillet 1944 en Méditerranée, au cours de l’une de ses missions. Après avoir été publié en anglais en 1943, en 1945 paraît en français le chefd’œuvre qui l’immortalisera, Le Petit Prince [→ texte 89], où les valeurs humanistes se mêlent à une réflexion philosophique sur l’amitié, l’imagination et l’amour. Irène Némirovsky (1903-1942) Née en Ukraine, Némirovsky est issue d’une famille de la grande bourgeoisie russe. Elle quitte son pays avec ses parents pour fuir la révolution bolchévique. Son premier roman, Le Malentendu (1926), la rend célèbre. Centrée sur une analyse perçante de la société de l’époque, son œuvre compte une quinzaine de romans et une cinquantaine de nouvelles, parmi lesquels David Golder (1929), Le Bal (1930), Le Vin de solitude (1935). Sa notoriété ne suffit pas à la sauver des nazis : déportée, elle meurt à Auschwitz en 1942. Paru en 2004, son roman inachevé Suite française [→ texte 90] est couronné par le prix Renaudot. C’est la première fois qu’une telle récompense est attribuée à titre posthume. Suite française décrit la débâcle de juin 1940, l’exode et l’occupation allemande vécus par un ensemble de personnages fictifs. À partir de cette publication, l’écrivaine est redécouverte et ses textes rencontrent un succès retentissant.
Mort de Némirovsky à Auschwitz, Pologne 1933 La Chatte
1935 Le Vin de solitude Que ma joie demeure
1938 Lettre aux paysans
1939
1942
Terre des hommes
J’AI COMPRIS L’ESSENTIEL Répondez aux questions. 1 Quels sont les thèmes principaux de l’œuvre de Colette ? Quels sont ceux qui ont provoqué un scandale ? 2 Quel ancrage régional peut-on trouver dans les premières œuvres de Jean Giono ? Quelle est la caractéristique principale des habitants de la région ? 3 En quoi peut-on dire que l’œuvre de SaintExupéry est intimement liée à sa vie ? 4 À quelle œuvre Irène Némirovsky doit-elle la célébrité ? De quoi parle cette œuvre ?
Mort de Saint-Exupéry
1944
1945
Le Petit Prince (posthume, en français)
Mort de Colette à Paris
1951 Le Hussard sur le toit
1954
Mort de Giono en Provence
1970
2004
Suite française (posthume)
361
ROMANCIERS D’AVANT 45
Thèmes l’amour • la mort • les passions
Meurtre d’une rivale RÉSUMÉ La Chatte Alain et Camille sont un couple de jeunes mariés, amis d’enfance mais profondément différents quant à leur idée de la vie : Camille est moderne et désinvolte, Alain est le fils unique gâté d’une famille de la riche bourgeoisie. Ils vont temporairement s’installer au neuvième étage d’un appartement moderne à Paris et commencent leur vie à deux, ou mieux… à trois : la présence de la chatte Saha, trop chère à Alain et liée au jeune homme par une entente muette mais indissoluble, fait naître chez Camille une jalousie
T 87
87
MOTS PHARES • La jalousie • Le suspense
Texte extra : La Naissance du jour, Entre mère et fille
1 muretti di separazione 2 muratura 3 appoggiata sui gomiti 4 tende da esterno per terrazze o negozi 5 sfiorò 6 sbadigliò 7 la casa ha una forma triangolare 8 a canticchiare 9 colpire
362
obsédante, qu’Alain alimente par son indifférence croissante à l’égard de la jeune femme. Les rapports entre les deux époux peu à peu se détériorent, Camille voit de plus en plus l’animal comme une ennemie, et sa haine culmine dans un crime qu’elle consomme contre la chatte. Elle pousse en effet l’animal du balcon mais, grâce à un store providentiel, la chatte se sauve. Une fois la vérité découverte, Alain quitte Camille et revient avec Saha victorieuse dans sa maison d’enfance.
Colette, La Chatte (1933) L’aversion réciproque entre la jeune femme et la chatte grandit sans aucune possibilité d’un retour à l’équilibre, jusqu’à ce que, un soir d’été, Camille, exaspérée, traque la chatte. Un soir de juillet qu’elles attendaient toutes deux le retour d’Alain, Camille et la chatte se reposèrent au même parapet, la chatte couchée sur ses coudes, Camille appuyée sur ses bras croisés. Camille n’aimait pas ce balcon-terrasse réservé à la chatte, limité par deux cloisons de maçonnerie , qui le gardaient du vent et de toute communication avec la terrasse de proue. 5 Elles échangèrent un coup d’œil de pure investigation, et Camille n’adressa pas la parole à Saha. Accoudée , elle se pencha comme pour compter les étages de stores orange largués du haut en bas de la vertigineuse façade, et frôla la chatte qui se leva pour lui faire place, s’étira, et se recoucha un peu plus loin. Dès que Camille était seule, elle ressemblait beaucoup à la petite fille qui ne voulait pas dire bonjour, et son visage retournait à l’enfance par l’expression de naïveté inhumaine, d’angélique dureté qui ennoblit 10 les visages enfantins. Elle promenait sur Paris, sur le ciel d’où chaque jour la lumière se retirait plus tôt, un regard impartialement sévère, qui peut-être ne blâmait rien. Elle bailla nerveusement, se redressa et fit quelques pas distraits, se pencha de nouveau, en obligeant la chatte à sauter à terre. Saha s’éloigna avec dignité et préféra rentrer dans la chambre. Mais la porte de l’hypoténuse avait été refermée, et Saha s’assit patiemment. Un instant après elle devait céder le passage à Camille, qui se mit en marche d’une cloison 15 à l’autre, à pas brusques et longs, et la chatte sauta sur le parapet. Comme par jeu, Camille la délogea en s’accoudant, et Saha, de nouveau, se gara contre la porte fermée. L’œil au loin, immobile, Camille lui tournait le dos. Pourtant la chatte regardait le dos de Camille, et son souffle s’accélérait. Elle se leva, tourna deux ou trois fois sur elle-même, interrogea la porte close… Camille n’avait pas bougé. Saha gonfla ses narines, montra une angoisse qui ressemblait à la nausée ; un miaulement 20 long, désolé, réponse misérable à un dessein imminent et muet, lui échappa, et Camille fit volte-face. Elle était un peu pâle, c’est-à-dire que son fard évident dessinait sur ses joues deux lunes ovales. Elle affectait l’air distrait, comme elle l’eût fait sous un regard humain. Même elle commença un chantonnement à bouche fermée, et reprit sa promenade de l’une à l’autre cloison, sur le rythme de son chant, mais la voix lui manqua. Elle contraignit la chatte, que son pied allait meurtrir , à regagner d’un saut son étroit observatoire, puis à se coller contre la porte. 25 Saha s’était reprise, et fût morte plutôt que de jeter un second cri. Traquant la chatte sans paraître la voir, Camille alla, vint, dans un complet silence. Saha ne sautait sur le parapet que lorsque les pieds de Camille arrivaient sur elle, et elle ne retrouvait le sol du balcon que pour éviter le bras tendu qui l’eût précipitée du haut des neuf étages. 30 Elle fuyait avec méthode, bondissait soigneusement, tenait ses yeux fixés sur l’adversaire, et ne condescendait ni à la fureur, ni à la supplication. L’émotion extrême, la crainte de mourir, mouillèrent de
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 sueur la sensible plante de ses pattes, qui marquèrent des empreintes de fleurs sur le balcon stuqué ! Camille sembla faiblir la première, et disperser sa force criminelle. Elle commit 35 la faute de remarquer que le soleil s’éteignait, donna un coup d’œil à son bracelet-montre, prêta l’oreille à un tintement de cristaux dans l’appartement. Quelques instants encore et sa résolution, en l’abandonnant comme le sommeil quitte le somnambule, la laisserait innocente et épuisée… Saha sentit chanceler la fermeté de son ennemie, hésita sur le parapet, et Camille, tendant les deux 40 bras, la poussa dans le vide. Elle eut le temps d’entendre le crissement des griffes sur le torchis, de voir le corps bleu de Saha tordu en S, agrippé à l’air avec une force ascendante de truite, puis elle recula et s’accota au mur. Elle ne montra aucune tentation de regarder en bas, dans le petit potager 45 cerné de moellons neufs. Rentrée dans la chambre, elle posa ses mains sur ses oreilles, les retira, secoua la tête comme si elle entendait un chant de moustique, s’assit et faillit s’endormir ; mais la nuit tombante la remit debout et elle chassa le crépuscule en allumant pavés de verre , rainures lumineuses, champignons aveuglants et aussi la longue paupière chromée qui versait un 50 regard opalin en travers du lit.
10 piccole pietre 11 blocchi di vetro 12 scanalature
PENSÉE VISIBLE DANS LA PEAU DE… Après avoir lu le texte, mettez-vous dans la peau de la chatte. Quels pourraient être ses sentiments et réactions face à l’attitude de Camille ? Discutez-en en classe.
Vers l’ESABAC VUE D’ENSEMBLE 1 2 3 4 5
À quel moment se passe la scène et où ? Quels sont les protagonistes de la scène ? Qu’est-ce qu’elles sont en train de faire ? Quel est le geste inattendu et criminel de Camille contre Saha ? Que fait Camille après son geste ?
COMMENTAIRE DIRIGÉ
Justifiez toujours vos réponses par des mots du texte.
Compréhension 6 Observez quel type de narrateur parle dans cet extrait, puis relevez et expliquez les mots qui identifient les deux personnages. 7 Relevez les éléments anthropomorphes qui caractérisent la chatte. 8 Décrivez l’évolution du comportement de Camille. 9 Quels éléments semblent anticiper le geste final de Camille ?
Interprétation 10 En quoi ce passage fait-il penser à un règlement de comptes entre deux rivales ? Étudiez en particulier l’espace dans lequel les deux ennemies se trouvent, leurs mouvements et les sentiments qu’elles expriment. Comment l’auteure les qualifie-t-elle ? 11 En quoi la dualité du monde humain et animal représente-t-elle l’originalité de cet extrait ? 12 Quelle sensation croissante ressent le lecteur ?
Réflexion personnelle 13 La jalousie occupe souvent les pages de la littérature. Développez ce thème à partir des œuvres de votre connaissance (300 mots minimum).
363
ROMANCIERS D’AVANT 45
Thèmes la guerre • la société
Les paysans peuvent arrêter toutes les guerres RÉSUMÉ Lettre aux paysans Cet essai s’inscrit dans le genre de la littérature d’idées : en effet, son auteur prend le parti des paysans à un moment où l’Europe est confrontée aux bouleversements majeurs liés à un second conflit d’ampleur mondiale. Le texte fait l’éloge
T 88
88
MOTS PHARES • Le pacifisme • L’engagement • L’écologie
Jean Giono, Lettre aux paysans (1938) Dans cette lettre exemplaire du pacifisme de Giono, l’auteur s’adresse directement aux paysans, plus particulièrement aux paysannes, en les enjoignant de refuser le rôle que l’État guerrier leur donne : l’alimentation d’une nation en guerre quoi qu’il en coûte. Comment est-il possible que vous, les hommes essentiels, on puisse faire si bon marché de votre vie et vous massacrer ainsi largement sans crainte, vous et vos enfants ? D’abord, parce que, du temps où vous faites six cent mille kilos de blé quand il ne vous en faut que douze cents, l’État constitue des réserves de 5 guerre qui lui permettent pendant un certain temps de se passer totalement de vos services paysans. Ensuite parce que, dès que les réserves sont épuisées , les paysannes, vos femmes, vos mères, vos sœurs, et les jeunes enfants paysans – qui sont des hommes à treize ans – labourent, sèment, font du blé aussi facilement, aussi largement que vous-même. Pourtant, la paysanne n’est jamais 10 une chienne à soldat. Elle aime. Elle est profondément pacifique. Elle hurle comme une bête fauve quand son mari ou son fils est tué. Elle insulte la patrie. Souvent la douleur la tue comme une maladie ; elle ne s’en relève pas ; les opiums patriotiques ne peuvent pas l’endormir […]. Elle n’est pas cornélienne : elle est naturelle et humaine. Elle peut empêcher la guerre si elle veut. Il faut que le paysan soit aussi indispensable aux champs que l’ouvrier à l’usine. La paysanne doit refuser d’être la remplaçante. Dès le début de la guerre elle doit détruire ses stocks de blé et ne garder strictement que ce qui est nécessaire à sa vie à elle et à la vie des enfants qui sont avec elle. Il n’y a pas besoin de le faire ostensiblement . La révolte ouverte attire les gendarmes. Non, il suffit 20 simplement d’aller enterrer le blé en trop dans le fumier . Il faut cacher le reste. Quand la réquisition passe le grenier est vide. Une fois votre homme arraché de votre famille pour l’usage de la guerre, rendez votre homme indispensable à ses champs. Ne cultivez plus que le petit morceau de terre qui vous fera vivre, vous et vos enfants. Plus encore que d’or et de poudre la guerre a besoin de 25 pain. La grenade que fait l’ouvrier ne sert qu’au soldat, mais le pain sert à la fois au soldat, à l’ouvrier, au général, au ministre, au dictateur, si puissant qu’il soit. Allons, paysannes du monde entier, éclairez un peu ce sombre abattoir où l’on égorge vos hommes. Pourquoi continueriez-vous à fournir du pain à leurs bouchers ? Vous avez la famine à votre disposition : affamez les parlements et 30 les états-majors jusqu’à ce qu’il soit indispensable de renvoyer vos hommes aux champs comme on a renvoyé les ouvriers à l’usine. 15
Photographie prise le 2 août 1937 et montrant des paysans en pleine récolte de foin, lieu inconnu (France) 1 fare a meno di 2 esaurite 3 pronta a sacrificarsi, come gli eroi di Corneille 4 apertamente 5 letame 6 carestia
364
du pacifisme, nourri chez Jean Giono par le traumatisme de la Première Guerre mondiale. Il fait également écho aux romans dans lesquels Giono célèbre la ruralité.
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 COMPRENDRE 1 Quelle forme ce texte adopte-t-il ? 2 De quoi parle ce texte ? Quel est le champ lexical le plus utilisé ?
ANALYSER 3 Quel type de phrase identifiez-vous au début du texte ? Qu’indique ce choix opéré par l’auteur ? 4 Lignes 1-14 : quel type de texte est présenté au lecteur ? Relevez les mots qui permettent à l’auteur d’ordonner sa pensée. 5 Lignes 6-14 : quelles figures de style Jean Giono emploie-t-il à plusieurs reprises dans ces lignes ? Pourquoi ? 6 Lignes 15-24 : à quoi l’auteur exhorte-t-il les paysans et les paysannes dans ce passage ? Quelle est la particularité de la construction des phrases de ce passage ? Qu’exprime-t-elle ?
RÉCAPITULER 7 Dans le second paragraphe, quel est le mode verbal utilisé principalement par Jean Giono ? Que permet-il à l’auteur d’exprimer ? Quel est son message aux paysans et paysannes ? 8 Comment l’engagement pacifiste de Jean Giono se manifeste-t-il dans cette lettre ouverte ? Quels autres écrits littéraires déjà étudiés vous rappelle cette lettre ?
LE SAVIEZ-VOUS ? Le récit de Giono L’homme qui plantait des arbres (1953) est devenu un classique de la littérature de la jeunesse mondiale, notamment depuis que l’intérêt pour l’écologie s’est fait plus prégnant. Il raconte l’histoire – réelle ou fictive, Giono a laissé planer le doute – au début du XXe siècle d’un berger, Elzéard Bouffier, qui décide de planter des arbres sur les hauts plateaux provençaux, secs et dénudés où ne poussait que la lavande, pour que naisse une forêt. Son pari réussi aura des répercussions humaines et sociales, avec des familles qui viendront se réinstaller dans un village, qui avait été déserté, pour y vivre en harmonie avec la nature. Le texte non seulement exalte avant l’heure les valeurs du développement durable, mais aussi les valeurs humaines fondamentales du courage, de la constance, de la simplicité, de l’humilité, le tout avec le lyrisme qui caractérise l’auteur.
DÉBAT Divisez la classe en deux groupes : ‘pour’ et ‘contre’ l’affirmation suivante. Chaque groupe présente ses arguments. « (La paysanne) peut empêcher la guerre si elle veut. », dit Giono dans sa lettre. 1 Chacun cherche des arguments. 2 Mettez en commun vos opinions et indiquez tous les arguments mentionnés. CONTRE
POUR
• Oui, si elles le voulaient vraiment, les gens communs
• Non, cette affirmation est utopique parce que la marge
• (Ajoutez des arguments)
• (Ajoutez des arguments)
pourraient arrêter les guerres.
de manœuvre des gens est limitée.
365
ROMANCIERS D’AVANT 45
Thèmes l’amitié
Il faut chercher avec le cœur RÉSUMÉ Le Petit Prince Le Petit Prince relate l’aventure d’un pilote, proche de l’auteur lui-même, qui tombe en panne de moteur dans un désert plus ou moins réaliste et identifié comme étant le Sahara. Là, il fait la connaissance d’un être aussi mystérieux qu’attachant auprès duquel il partage des expériences et des histoires : il s’agit du petit prince évoqué dans le titre de l’œuvre. Ce dernier prétend vivre sur une planète, l’astéroïde
T 89 MOTS PHARES • Les symboles • Le désert • L’eau
1 si gettano 2 puleggia 3 secchio 4 banderuola 5 bordo del pozzo
366
89
B612, dont il brosse le portrait des habitants au narrateur devenu son ami. Un lien puissant se noue entre le pilote et l’enfant qui lui livre, de manière presque testamentaire et à travers le récit d’épisodes symboliques de son existence, des clés destinées à mieux vivre auprès des hommes.
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince (1945), Chapitre 25 Le petit prince et le pilote sont dans le désert. Ils échangent des propos sur les hommes tout en cherchant de l’eau qu’ils finissent par trouver dans un étrange puits. – Les hommes, dit le petit prince, ils s’enfournent dans les rapides, mais ils ne savent plus ce qu’ils cherchent. Alors ils s’agitent et tournent en rond… Et il ajouta : – Ce n’est pas la peine… 5 Le puits que nous avions atteint ne ressemblait pas aux puits sahariens. Les puits sahariens sont de simples trous creusés dans le sable. Celui-ci ressemblait à un puits de village. Mais il n’y avait là aucun village, et je croyais rêver. – C’est étrange, dis-je au petit prince, tout est prêt : la poulie , le seau et la corde… Il rit, toucha la corde, fit jouer la poulie. Et la poulie gémit comme gémit une vieille girouette quand le vent a 10 longtemps dormi. – Tu entends, dit le petit prince, nous réveillons ce puits et il chante… Je ne voulais pas qu’il fît un effort : – Laisse-moi faire, lui dis-je, c’est trop lourd pour toi. Lentement je hissai le seau jusqu’à la margelle . Je l’y installai bien d’aplomb. Dans mes oreilles durait le 15 chant de la poulie et, dans l’eau qui tremblait encore, je voyais trembler le soleil. – J’ai soif de cette eau-là, dit le petit prince, donne-moi à boire… Et je compris ce qu’il avait cherché ! Je soulevai le seau jusqu’à ses lèvres. Il but, les yeux fermés. C’était doux comme une fête. Cette eau était bien autre chose qu’un aliment. Elle était née de la marche sous les étoiles, du chant de la poulie, de l’effort de 20 mes bras. Elle était bonne pour le cœur, comme un cadeau. Lorsque j’étais petit garçon, la lumière de l’arbre de Noël, la musique de la messe de minuit, la douceur des sourires faisaient ainsi tout le rayonnement du cadeau de Noël que je recevais. – Les hommes de chez toi, dit le petit prince, cultivent cinq mille roses dans un même jardin… et ils n’y trouvent pas ce qu’ils cherchent… 25 – Ils ne le trouvent pas, répondis-je… Et cependant ce qu’ils cherchent pourrait être trouvé dans une seule rose ou un peu d’eau. Bien sûr, répondis-je. Et le petit prince ajouta : – Mais les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le cœur.
G D’une guerre à l’autre 1900-1945 COMPRENDRE 1 À la lecture des premières lignes, que constatez-vous quant à la forme du texte ? Quel est le type de discours qui est majoritairement employé ? Qu’est-ce qui en fait l’intérêt pour le lecteur ? 2 Quels sont les personnages principaux de cette histoire ? Présentez-les rapidement en vous appuyant sur le texte. 3 Dans quel environnement particulier se trouvent les deux héros de l’histoire ? Que trouvent-ils ?
ANALYSER 4 Lignes 1-2 : examinez les premiers mots du petit prince. Qu’est-ce qui caractérise la manière dont il s’exprime ? A-t-on l’impression que c’est un enfant qui parle ? Pourquoi ? 5 Quelle découverte font ensemble les deux personnages ? Observez le récit qu’en fait l’aviateur : comment évoque-t-il l’apparition à laquelle il est confronté dans ce désert ? Comment se comportent les personnages face à cette découverte ? 6 Selon vous, dans quel registre littéraire s’inscrit cet épisode du roman Le Petit Prince ? Qu’est-ce qui relève de l’étrange et de l’inhabituel ? 7 Quel geste marquant le petit prince accomplit-il dans la seconde moitié de l’extrait ? Après avoir étudié le récit détaillé qui en est fait, dites quelle est, selon vous, la portée symbolique. 8 Lignes 18-22 : quelles figures de style sont employées dans ce paragraphe du texte ? Dans quelle mesure contribuent-elles à transformer l’atmosphère du récit ? À quel type de cérémonie et d’événement religieux s’apparente ce passage ? Appuyezvous sur le champ lexical utilisé.
RÉCAPITULER 9 À travers le récit de leur aventure et les paroles qu’ils échangent, quelle est la nature de la relation qui unit les deux personnages ? 10 Selon vous, quelle est la signification symbolique de ce récit ?
DÉBAT Divisez la classe en deux groupes : ‘pour’ et ‘contre’ l’affirmation suivante. Chaque groupe présente ses arguments. Comme le dit le petit prince, nous vivons dans un monde où l’homme se détourne de l’essentiel. 1 Chacun cherche des arguments. 2 Mettez en commun vos opinions et indiquez tous les arguments mentionnés. CONTRE
POUR
• Oui, car chacun de nous mène une vie stressante et nous • Non, car aujourd’hui nous pouvons vivre comme nous le sommes incapables de discerner le bonheur et le sens de la vie.
• (Ajoutez des arguments)
souhaitons et chacun de nous peut suivre des objectifs qu’il considère essentiels.
• (Ajoutez des arguments) 367
ROMANCIERS D’AVANT 45
Thèmes la guerre
Il n’a pas l’air méchant RÉSUMÉ Suite française Dans ce roman consacré aux Français sous l’Occupation allemande, Irène Némirovsky décrit en direct l’exode de juin 1940 et la fuite tragique de la population vers le sud du pays pour échapper à l’avancée de l’armée. Étant elle-même réfugiée, Irène est aux premières loges pour
T 90
90
MOTS PHARES • L’envahisseur • L’ancien combattant • L’occupation
1 spiraglio 2 lucernario 3 tabaccaio 4 sul bavero 5 mormorarono 6 rigidità 7 si mise in moto
Irène Némirovsky, Suite française (2004) Tandis que l’ennemi prend peu à peu possession du pays, les habitants du village de Bussy, apeurés, voient arriver le premier soldat allemand. L’auteure décrit ici comment la curiosité succède à la peur. Ce n’étaient pas encore les Allemands qui arrivaient mais UN Allemand : le premier. Tout le village, derrière les portes fermées, par l’entrebâillement des persiennes demi-closes ou à la lucarne d’un grenier, le regardait venir. Il arrêta sa motocyclette sur la place déserte ; ses mains étaient gantées ; il portait un uniforme vert, un casque sous la visière duquel on aperçut, lorsqu’il leva la tête, un visage rose, maigre, presque enfantin. « Il est 5 tout jeune ! » murmurèrent les femmes. Sans bien s’en rendre compte, elles étaient prêtes à quelques visions de l’Apocalypse, à quelque monstre étrange et effrayant. Il regardait autour de lui et cherchait quelqu’un. Alors le buraliste , qui avait fait la guerre de 14 et portait la croix de guerre et la médaille militaire au revers de son vieux veston gris, sortit de sa boutique et s’avança vers l’ennemi. Un moment, les deux hommes restèrent immobiles, face à face, sans parler. Puis L’Allemand montra sa cigarette et demanda du feu en mauvais français. Le buraliste 10 répondit en mauvais allemand car il avait fait l’occupation en 18, à Mayence. Le silence était tel (tout le village retenait son souffle) qu’on entendait chacune de leurs paroles. L’Allemand demanda son chemin. Le Français répondit, puis s’enhardissant : — Est-ce que l’armistice est signé ? L’Allemand écarta les bras. 15 — Nous ne savons pas encore. Nous l’espérons, dit-il. Et la résonance humaine de cette parole, ce geste, tout ce qui prouvait jusqu’à l’évidence que l’on avait affaire non à quelque monstre altéré de sang mais à un soldat comme les autres, cela brisa tout à coup la glace entre le village et l’ennemi, entre le paysan et l’envahisseur. — Il n’a pas l’air méchant, chuchotèrent les femmes. 20 Il porta la main à son casque, mais sans raideur , en souriant, d’un geste incertain et comme inachevé, qui n’était pas tout à fait un salut militaire et pas davantage celui dont un civil prend congé d’un autre. Il jeta aux fenêtres closes un bref regard curieux. La moto démarra et disparut.
COMPRENDRE 1 Que se passe-t-il dans cet extrait ? Quels sont les personnages ? 2 Qui s’adresse en premier au soldat allemand ? Pourquoi ?
ANALYSER 3 En vous appuyant sur le texte, montrez que les habitants du village ont peur des Allemands. 4 Le soldat allemand est-il conforme à quoi s’attendaient les habitants de Bussy ? 5 À quoi les spectateurs de l’échange entre le buraliste et l’Allemand pouvaient-ils s’attendre ? Pourquoi ?
368
observer les comportements de ses contemporains face à l’occupant : elle dépeint ainsi les tensions et les frustrations des habitants d’un village, Bussy, où toutes les familles, même les plus riches, doivent cohabiter avec l’ennemi.
Au contraire, comment se passe leur rencontre ? Pour quelles raisons ? Quels sont les points communs entre ces deux hommes ? 6 Pourquoi la réponse de l’Allemand semble-t-elle dissiper la peur des habitants ? Qui désigne le pronom personnel « nous » ? Pourquoi l’atmosphère change-t-elle ?
RÉCAPITULER 7 En quoi s’agit-il d’une scène très théâtrale ? Répondez en vous appuyant sur le texte. 8 En quoi cette rencontre est-elle particulièrement étonnante ?
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
MOTS PHARES 1 Complétez les textes avec les mots donnés. analyse • conséquences • humanistes • humanité • pacifisme • relations • sensualité • société • vol
ROMANCIERS D’AVANT 45 SIDONIE-GABRIELLE COLETTE (1873-1954)
THÈMES
l’amour, la , la jalousie les souvenirs d’enfance l’ psychologique
ŒUVRES
série des Claudine (1900-1903) Les Vrilles de la vigne (1908) Chéri (1920) Le Blé en herbe (1923)
THÈMES
la nature, le contact avec la terre, la vie à la campagne le la foi en l’
ŒUVRES
Colline (1929) Un de Baumugnes (1929) Regain (1930) Que ma joie demeure (1935)
THÈMES
la passion du aérien les valeurs (confiance en l’être humain, en la communauté, altruisme, solidarité) la réflexion philosophique sur les humaines
ŒUVRES
Courrier Sud (1928) Vol de nuit (1931)
THÈMES
l’analyse de la la guerre et ses
ŒUVRES
Le Malentendu (1926) David Golder (1929) Le Bal (1930)
JEAN GIONO (1895-1970)
ANTOINE DE SAINTEXUPÉRY (1900-1944)
IRÈNE NÉMIROVSKY (1903-1942)
La Naissance du jour (1928) Sido (1929) La Chatte (1933)
Lettre aux paysans (1938) Angelo (1945) Le Hussard sur le toit (1951) Le Bonheur fou (1957)
Terre des hommes (1939) Le Petit Prince (1945, posthume)
de l’époque
Le Vin de solitude (1935) Suite française (2004, posthume)
369
Les mots de la citoyenneté AGENDA 2030 Paix, justice et institutions efficaces
Le droit à la paix Le choix de la Résistance
Que faire lorsque son propre pays est envahi et qu’on est pacifiste ? Ce dilemme s’est posé à de nombreuses personnes durant la Seconde Guerre mondiale. Le poète Robert Desnos (1900-1945), mort en camp de concentration, a mis son point d’honneur dans la Résistance contre l’oppression et l’injustice, même s’il haïssait la guerre. Résister pour la liberté […] Révolte contre Hitler et mort à ses partisans ! Pourtant ce cœur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons, Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères […] Robert Desnos, L’Honneur des poètes (1943)
De la Résistance à l’institution d’un organe de Paix
Après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, le besoin de se doter d’une institution qui pourrait empêcher les guerres et maintenir la paix était pressant. Ainsi sont nées les Nations Unies, dont la charte a été publiée en juin 1945. Les principes fondateurs, issus de la résistance, sont énoncés dans le Préambule : respect des droits humains, respect de la justice et du droit international,
PENSÉE VISIBLE
tolérance, maintien de la paix, nonusage des armes sauf dans l’intérêt commun. Lorsqu’une menace de conflit se profile, le conseil de sécurité intervient comme médiateur pour régler des différends ou lors d’un acte d’agression pour imposer des sanctions ou envoyer les casques bleus.
Le droit d’ingérence
Mais les conflits n’ont hélas pas disparu avec leur lot de souffrances et de violences. C’est ainsi qu’est apparu un nouveau concept, le « droit d’ingérence » dans un pays tiers, en cas de violation massive des droits humains. D’abord ce sont des associations humanitaires indépendantes – comme Médecins sans Frontières qui a reçu le prix Nobel de la paix – qui ont choisi de combattre de l’intérieur souffrances et injustices. Puis des États ou des coalitions internationales ont commencé à intervenir dans un pays en cas de terreur de masse. Or ce « droit » n’est pas inscrit dans les textes juridiques, et la Charte des Nations Unies précise qu’elles ne sont pas autorisées à interférer avec la souveraineté d’un État. Est-il légitime alors d’exercer ce droit d’ingérence dans un pays pour combattre les violations des droits humains ?
Un groupe de résistants (maquisards) prend la pose avec ses armes et un drapeau tricolore dans la cour d’une ferme, dans un lieu inconnu, durant l’été 1944 en pleine Seconde Guerre mondiale
Le drapeau des Nations Unies
OBSERVER – RÉFLÉCHIR OBSERVER A Lisez l’ensemble de la page : quel est le thème commun ? B Quel est le paradoxe que souligne Robert Desnos ? Comment le dépasse-t-il ? C Prendre les armes peut-il être légitime ? Mais avant d’arriver à cette solution, par quelles étapes faut-il passer ? RÉFLÉCHIR D Quel est le problème lié à la notion de « droit » dans l’expression « droit d’ingérence » ? E Est-il juste de se porter au secours d’une population agressée ou pensez-vous que la souveraineté d’un peuple soit sacrée et ne doive jamais faire l’objet d’intrusions ? Échangez vos idées par groupes de deux et partagez ensuite le fruit de votre travail avec la classe. Enfin, rédigez un texte commun.
370
Les mots des femmes Joséphine Baker, du music-hall au Panthéon
Joséphine Baker a été une chanteuse, danseuse et actrice française d’origine américaine. Elle a aussi été l’une des deux seules femmes à prendre la parole lors de la Marche sur Washington avec Martin Luther King en 1963, et la sixième femme à entrer au Pathéon (notamment, la première femme noire). Joséphine Baker est née aux États-Unis en 1906. Enfant, elle aide aux besoins de sa famille en travaillant le soir comme domestique dans des familles riches. Puis elle rejoint une troupe d’artistes itinérants et danse dans des revues à Broadway, avant de partir pour la France. Elle y devient rapidement célèbre en se produisant dans différents théâtres : la taille ceinte de plumes ou de bananes, elle se conforme au stéréotype colonial de la femme noire, érotique, exotique et sauvage. Dans ce Paris des années folles, l’Art Nègre connaît sa première exposition (1919). Devenue la muse des peintres cubistes, Joséphine Baker, militante du mouvement Renaissance de Harlem qui réclame l’émancipation des Noirs américains, provoque l’enthousiasme des Parisiens pour le jazz et la musique noire. Sa chanson J’ai deux amours (1931) est un immense succès. Elle continuera à se produire dans des spectacles au cours de tournées en France. Pendant la dépression de 1929, elle participe à des soupes populaires (distribution de repas aux personnes dans le besoin). Lors de la Seconde Guerre mondiale, elle se mobilise pour la Croix-Rouge, devient agent du contreespionnage français puis s’engage dans les services secrets de la France libre. Souslieutenant dans le corps des auxiliaires féminines de l’armée de l’Air, elle recevra la
Médaille de la Résistance française. Elle achète en 1947 un château en Dordogne dans lequel elle élève douze enfants adoptés, de toutes origines, sa « tribu arc-en-ciel », et qui lui coûtera toute sa fortune. Ruinée, elle ne pourra y installer le « collège de la fraternité universelle » où elle souhaitait que soient enseignés à des enfants venus du monde entier la tolérance, la laïcité, le goût de l’égalité et de la fraternité. Elle milite contre la ségrégation raciale aux États-Unis, ainsi que contre l’apartheid en Afrique du Sud. Le 28 août 1963, lors de la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté, elle prononce un discours aux côtés de Martin Luther King. Elle s’engage aussi dans la lutte contre l’antisémitisme. Elle décède en 1975 à Paris et entre au Panthéon le 30 novembre 2021.
Voici les premiers mots du discours prononcé par le Président de la République, Monsieur Emmanuel Macron, lors de la cérémonie d’entrée de Joséphine Baker au Panthéon (2021).
«
Héroïne de guerre. Combattante. Danseuse. Chanteuse. Noire défendant les noirs, mais d’abord femme défendant le genre humain. Américaine et Française. Joséphine Baker mena tant de combats avec liberté, légèreté, gaieté. Fulgurante de beauté et de lucidité dans un siècle d’égarements, elle fit, à chaque tournant de l’Histoire, les justes choix, distinguant toujours les Lumières des ténèbres.
»
Photographie de Joséphine Baker et ses enfants sur le chemin de l’école, 29 septembre 1968
COMPRENDRE 1 Quels sont « les justes choix » faits par Joséphine Baker ? 2 Quels « handicaps » a-t-elle dû surmonter ?
RÉFLÉCHIR 3 Quels sont les choix que l’on pourrait et devrait faire aujourd’hui pour lutter contre les injustices sociales ? Existe-t-il aujourd’hui des figures féminines pertinentes en ce sens ? Faut-il être célèbre pour pouvoir faire quelque chose ?
371
Pour faire le point PANORAMA HISTORIQUE • PANORAMA SOCIO-CULTUREL 1 Répondez aux questions.
a Pour quelles raisons la France entre-t-elle en guerre en 1914 ? b La guerre de 14-18 s’est principalement déroulée en France. Quel a été son cours ? c En quoi consiste le traité de Versailles et quelles en ont été les limites ? d Pourquoi l’entre-deux-guerres est-il une période d’instabilité ? e Entre résistance et collaboration, comment se sont situés les Français face à l’occupant nazi ?
f Par où les Américains ont-ils décidé d’arriver au secours des Alliés ? g La Première Guerre mondiale a profondément transformé la société française mais sans supprimer les inégalités sociales. Quelles classes sociales la composent dans les années 1920 ? h Comment a évolué la condition féminine ? i Quelles sont les conséquences sur la société française de la victoire du Front Populaire en 1936 ? j Après la Seconde Guerre mondiale, la France perd son prestige international de grande puissance. Pourquoi ?
PANORAMA LITTÉRAIRE • LA POÉSIE AU DÉBUT DU XXe SIÈCLE • VALÉRY ET APOLLINAIRE 2 Répondez aux questions.
a Quel a été le cheminement poétique de Valéry ? b En quoi Valéry se rattache-t-il à la tradition classique ? c Comment et dans quel but Apollinaire utilise-t-il les possibilités figuratives des vers ?
d En quoi consiste la modernité d’Apollinaire ? e Quel rapport avait Apollinaire avec les peintres de son époque ?
PANORAMA LITTÉRAIRE • DU SURRÉALISME À L’ENGAGEMENT • BRETON, ÉLUARD, ARAGON 3 Répondez aux questions.
a Qu’est-ce que le dadaïsme et le surréalisme ? Qui en sont les fondateurs ? b En quoi consiste l’écriture automatique ? c Pourquoi dit-on d’André Breton qu’il est le « pape du surréalisme » ?
d Comment l’engagement politique d’Éluard trouve-t-il écho dans son œuvre ? e Quel rapport a eu Aragon avec le surréalisme ?
PANORAMA LITTÉRAIRE • LES DIVERSES FORMES DU ROMAN AVANT 1945 MARCEL PROUST 4 Répondez aux questions.
a En quoi consiste l’idée fondatrice de l’œuvre de Proust ? b La Recherche peut-elle être considérée comme une chronique sociale ?
c Quel est, pour Proust, le rôle de l’écriture dans la résurrection du passé ? d Quelles sont les techniques narratives de Proust ?
ANDRÉ GIDE ET LOUIS-FERDINAND CÉLINE 5 Répondez aux questions.
a En quoi consiste la révolte de Gide ? b Quels liens se dessinent entre la vie de Gide et son œuvre ?
c Pourquoi le Voyage au bout de la nuit de Céline a-t-il causé autant de polémiques ? d Qu’est-ce que le pessimisme intrinsèque de Céline ?
COLETTE, GIONO, SAINT-EXUPÉRY, NÉMIROVSKY 6 Répondez aux questions.
a Comment les œuvres de Colette reflètent-elles sa vie ? b Quels sont les deux thèmes principaux dans l’œuvre de Giono ?
372
c En quoi l’expérience de pilote de Saint-Exupéry se retrouve-t-elle dans ses œuvres ? d Quels sont les thèmes principaux dans l’œuvre de Némirovsky ?
G D’une guerre à l’autre 1900-1945
Vers l’Esame di Stato De l’horreur à la renaissance
La première partie du XXe siècle est une période noire de l’histoire française et mondiale. En moins de quarante ans, deux guerres mondiales frappent l’ensemble des pays de la planète. Des dizaines de millions de soldats perdent la vie dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, les nationalismes et totalitarismes insufflent la haine entre les peuples, jusqu’à provoquer la Seconde Guerre mondiale et le génocide des Juifs et des Tsiganes.
C’est pourtant dans ce contexte d’horreur que se diffuse une culture intellectuelle et littéraire d’une immense vitalité. Ce sont les « années folles » : en France, Paris est l’épicentre d’un renouveau culturel qui bouleverse toutes les formes artistiques traditionnelles. Naissent alors les grandes expérimentations littéraires du dadaïsme, du surréalisme, et l’analyse du sujet à travers les proses introspectives de Marcel Proust et André Gide. Letteratura francese
Storia • La Prima guerra mondiale • I ruggenti anni ’20 • La Seconda guerra mondiale • L’Olocausto
Storia dell'arte • Il futurismo • Il dadaismo • Il surrealismo • L’art déco • La nuova oggettività
Fisica • La teoria della relatività
Cittadinanza e costituzione • L’Italia ripudia la guerra: l’articolo 11 della Costituzione italiana • Agenda 2030, Obiettivo 16: Pace, giustizia e istituzioni solide
Filosofia • Henri Bergson, Materia e memoria e Il riso • Sigmund Freud, Al di là del principio di piacere e Il disagio della civiltà • Simone Weil, Oppressione e libertà
• Les surréalistes : André Breton, Paul Éluard, Louis Aragon • Marcel Proust, À la recherche du temps perdu • André Gide, L’Immoraliste • Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit
Letteratura inglese
De l’horreur à la renaissance
• Ernest Hemingway, A Farewell to Arms e The Sun also Rises • Francis Scott Fitzgerald, Tender is the Night • James Joyce, Ulysses
Letteratura italiana • Filippo Tommaso Marinetti, Manifesto del futurismo • Luigi Pirandello, Uno, nessuno e centomila e Sei personaggi in cerca d’autore • Italo Svevo, La coscienza di Zeno
Letteratura tedesca • Erich Maria Remarque, Im Westen nichts Neues • Bertolt Brecht, Mein Bruder war ein Flieger Letteratura spagnola • Ramón María del Valle Inclán, Luces de Bohemia • Federico García Lorca, Poeta en Nueva York • Miguel Hernandez, El niño yuntero
PROJET Réalisez une carte mentale sur le thème proposé en faisant des liens avec la littérature et au moins quatre autres matières scolaires. Puis, individuellement ou en groupe, préparez une présentation pour la classe afin d’illustrer les liens que vous avez identifiés.
373
THÈME 2
PAS DE PAUVRETÉ
INÉGALITÉS REDUITES
PAIX, JUSTICE ET INSTITUTIONS EFFICACES
Égalité et fraternité L’Article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame : « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit ». Mais c’est en 1848 seulement qu’apparaît la devise officielle de la France : « Liberté, Égalité, Fraternité ». • Cette devise figure aujourd’hui à tous les frontons des bâtiments publics français. C’est ce que remarque Saad, le héros de Ulysse from Bagdad de Éric-Emmanuel Schmitt, quand, dans son long périple de migrant pour quitter l’Irak, il traverse la France [→ texte 119]. Si le premier mot, liberté, en France est un acquis, en revanche comment ne pas s’interroger sur les principes d’égalité et de fraternité comme le fait Saad ? L’égalité entre les personnes, quels que soient leur sexe, la couleur de leur peau, leur religion, leur handicap, leurs opinions, leurs conditions sociales, reste un objectif universel à décliner selon l’agenda 2030. • Dans son livre autobiographique L’Énigme du retour, l’écrivain haïtien Dany Laferrière est frappé par les inégalités dont souffre son pays. Quand, de retour d’exil, il revient en Haïti, sa constatation lapidaire est sans appel : « Ici on vit d’injustice et d’eau fraîche. » [→ ].
• Éric-Emmanuel Schmitt Ulysse from Bagdad p. 478
Texte extra : Dany Laferrière, L’Énigme du retour, Vie de quartier avant et après
• C’est en partie à cause de l’inégalité des conditions que se produisent de grands mouvements migratoires en quête d’une vie meilleure, dans un pays imaginé comme un Eldorado. Mais une fois parvenu à l’endroit de ses rêves, on voit que la réalité est tout autre. L’auteur congolais Alain Mabanckou, dans son roman Bleu-Blanc-Rouge, raconte la déception de son héros qui souffre : « le choc de la réalité me rongeait » [→ texte 120].
• Alain Mabanckou Bleu-Blanc-Rouge p. 480
• Pour l’étranger, cette réalité est en effet non seulement la précarité, mais aussi bien souvent le racisme. Le héros du roman de Wilfried N’Sondé (Le Cœur des enfants léopards), expérimente l’inégalité de traitement : « Nous portons sur la gueule la misère du monde » dira-t-il [→ texte 121].
• Wilfried N’Sondé Le Cœur des enfants léopards p. 482
• Si le roman est un instrument pour dire le monde, la littérature sert aussi à l’orienter. L’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun veut faire comprendre à sa fille, dès l’enfance, les vraies valeurs. Son livre Le Racisme expliqué à ma fille a connu un succès mondial [→ texte 122].
• Tahar Ben Jelloun Le Racisme expliqué à ma fille p. 484
• Souvent, l’égalité est malmenée parce que certains revendiquent une identité propre qui de fait exclut l’autre dans sa différence. Or c’est là que réside, selon le journaliste et écrivain libanais Amin Maalouf, l’erreur qui porte au racisme, à l’exclusion et à la violence, d’où le titre de son essai, Les Identités meurtrières [→ ].
Texte extra : Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Appartenances et identité
Et la fraternité ? Longtemps considérée comme une simple valeur morale, elle est aujourd’hui reconnue par la loi française, par exemple pour l’aide humanitaire apportée aux immigrés en difficulté. En tout cas, elle implique la solidarité nécessaire pour mettre en œuvre les objectifs de l’agenda 2030.
477
THÈME 2 ÉGALITÉ ET FRATERNITÉ
ÉRIC-EMMANUEL SCHMITT (1960)
Ulysse from Bagdad (2008)
PRIX GONCOURT
L’AUTEUR Éric-Emmanuel Schmitt grandit à Lyon, étudie la philosophie à Paris et rédige une thèse sur Diderot. Il commence une carrière universitaire, mais quitte rapidement l’université pour se consacrer complètement à l’écriture. Tout en écrivant beaucoup pour le théâtre, Schmitt compose des nouvelles (il reçoit le prix Goncourt de la Nouvelle en 2010), des romans et des essais. Il s’installe
T119 119
Liberté, égalité, fraternité : mensonge ? Tel Ulysse, Saad va affronter des épreuves tout au long de son parcours de l’Irak jusqu’à Londres. Avec Max, il traverse la France, en camion, émerveillé par la richesse des paysages et des villages, et par l’atmosphère paisible. Tout au long du livre, le fantôme de son père mort vient lui parler et le guide. Voici une conversation qui remet en cause la belle devise de la France.
MOTS PHARES • Liberté, Égalité, Fraternité • La devise de la France • Frontières et guerre
5
10
15
20
1 sei fuori strada 2 carneficina 3 fratellanza
478
à Bruxelles en 2002, et obtient en 2008 la naturalisation belge. Au cours de la même année, il publie Ulysse from Bagdad, qui traite le thème de l’immigration. Le titre du livre évoque l’Odyssée, mais il ne s’agit pas d’un voyage de retour vers le pays natal, mais inversement d’un périple, semé d’embuches, pour quitter son pays.
25
Papa se glissa auprès de moi et siffla d’admiration : – Liberté, égalité, fraternité. Tu as vu, fils ? – Mm ? De quoi parles-tu ? – Liberté, égalité, fraternité. – C’est une chanson ? – Non, depuis ce matin, je lis ça partout, sur les façades, les frontons, les monuments, les statues. Bon, ce n’est qu’un slogan, d’accord, mais les gens qui le revendiquent ne peuvent pas être mauvais. – Ils en font trop. C’est comme celui qui, dans un souk, crie qu’il vend les tissus les plus beaux et les moins chers : il ne l’affirme que parce que c’est faux. – La Constitution d’une République n’a rien à voir avec les pratiques d’un souk, fils, tu t’égares ! – Les Français ne brandissaient-ils pas déjà cette devise lorsqu’ils conquéraient le monde pour constituer leur empire colonial ? – En Algérie, en Maroc, en Sénégal, en Asie ? Tu as peut-être raison. – Alors « liberté, égalité, fraternité » signifie sans doute « nous sommes libres de vous envahir, nous serons égaux quoique certains le seront davantage, vous serez nos frères quand il faudra aller ensemble à la boucherie des guerres ». – Oh, je te trouve bien sombre. – Le mensonge réside dans le troisième terme, « fraternité ». Pour établir une fratrie , il faut décider qui en fait partie, qui n’en fait pas partie. En circonscrivant un ensemble d’êtres solidaires qui s’entraideront quoi qu’il arrive, il faut aussi désigner ceux qui seront tenus à l’écart et n’y appartiendront pas. Bref, il faut tracer des limites. Dès que tu dis « fraternité », tu contredis « égalité », les deux termes s’annulent ! On en revient toujours là : à la frontière. Il n’y a pas de société humaine sans un tracé de frontière. Papa soupira, exaspéré, et conclut : – L’homme n’aurait jamais dû devenir sédentaire, il aurait dû rester nomade, ainsi il n’y aurait pas de frontières. – Non, Papa, il y a autant de guerres entre des peuples nomades qu’entre des peuples sédentaires. – Alors d’où viennent les guerres ?
I Entre deux millénaires
30
35
40
4 creditore
– L’origine des conflits, c’est le « nous », ce « nous » d’une communauté contre une autre, ce « nous » exprimant une identité et justifiant d’attaquer les identités étrangères. – Tu ne prononces jamais « nous », toi ? – Si, mais je ne veux pas faire « nous » avec n’importe qui. Toi, Papa, quand tu t’exclames « nous », tu penses au peuple d’Irak ; quand je murmure « nous », je pense à ma famille. À ma famille j’ai l’impression de devoir beaucoup, pas à l’Irak. Je sais reconnaître mes dettes mais essaie de ne pas me tromper de créancier . Qu’est-ce qu’il m’offre, mon pays ? Un passé tragique, un présent chaotique et un avenir douteux. Merci. J’ai compris, je n’attends rien de lui, je ne lui dois rien. En revanche, je dois aux miens. – Donc tu n’es plus irakien ? – Je tente de ne plus l’être. – De tes racines, tu as une conception bien étroite ! – Toi tu l’avais si large que tu en es mort. – En bref, tu rêves d’être apatride ? – Non, je ne rêve pas d’être apatride, je rêve que le monde le devienne. Je rêve que le « nous » que je prononcerai un jour soit la communauté des hommes intelligents qui cherchent la paix. – Un gouvernement mondial ? – Chut, voilà Max !
Compréhension et interprétation
VERS L’ESAME DI STATO
Dites si les affirmations suivantes sont vraies (V), fausses (F) ou si l’information n’est pas précisée (NP) en cochant la case correspondante. 1 Saad et son père sont français.
V
F NP
2 En France, la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » est inscrite sur les façades des bâtiments publics.
V
F NP
3 Dans cette conversation, Saad considère que l’égalité contredit la liberté.
V
F NP
4 Cochez les arguments utilisés par Saad contre la devise républicaine (plusieurs réponses possibles). Saad reproche aux Français de mettre trop en avant leur devise. Saad considère que les Français n’appliquent pas leur devise dans leur propre pays. Saad pense que, pour définir les Français, il faudrait une devise comme « Liberté et propriété privée ». Selon Saad, les Français n’ont pas fait preuve de fraternité à l’égard des populations colonisées. Saad considère que la fraternité s’oppose à l’égalité parce qu’elle nécessite de créer une limite. Répondez aux questions. 5 Pourquoi la colonisation menée par la France s’oppose-t-elle à sa devise ? 6 Quel idéal personnel Saad préfère-t-il à la devise française ? 7 Quelle réaction a le père de Saad ? Est-il d’accord avec l’idéal de son fils ? Que lui reproche-t-il ? 8 Comment l’auteur rend-il vivant le discours de Saad ? Observez la forme du texte, le type de phrases et le langage employé.
Production écrite Dans le Manuel républicain de l’homme et du citoyen (1848), Charles Renouvier, philosophe et socialiste français (1815-1903), écrit : « C’est la fraternité qui portera les citoyens [...] à concilier tous leurs droits, de manière à demeurer des hommes libres et à devenir, autant qu’il est possible, des égaux. » Après avoir expliqué en quoi cette conception est différente de celle de Saad, dites laquelle des deux vous préférez et exprimez votre propre opinion sur la devise française (300 mots environ).
479
THÈME 2 ÉGALITÉ ET FRATERNITÉ
ALAIN MABANCKOU (1966)
Bleu-Blanc-Rouge (1998) L’AUTEUR Alain Mabanckou naît à Pointe-Noire, en République du Congo. Il y passe son enfance dans le quartier de Tié-Tié, entre sa mère, qui est vendeuse de bananes au marché, et son père adoptif, réceptionniste dans un hôtel. Il commence des études de droit à Brazzaville, mais obtient vite une bourse pour étudier en France. À Nantes, puis à Paris, il poursuit ses études, tout en commençant à écrire.
T120 120
De l’Afrique à Paris Dès ce roman, Alain Mabanckou affirme un humour caustique et aborde le thème de l’émigration. Le narrateur, Massala-Massala, rêvait de venir à Paris, fasciné par les récits merveilleux du grand Charles Moki lorsque celui-ci rentrait au pays, auréolé de gloire. Moki organise alors sa venue dans la capitale. Mais rien n’est comme le jeune homme l’espérait.
MOTS PHARES • L’immigration • La pauvreté • Le rêve brisé
5
10
15
1 commozione cerebrale 2 tormentava 3 si metteva d’impegno 4 fiutando 5 sprofondavo 6 assolvere 7 rasenta 8 spiazzava 9 parte 10 richiedere, chiedere 11 impietosiranno 12 sgualcita
480
Son premier roman, Bleu-Blanc-Rouge, paraît en 1998. La reconnaissance qu’il obtient lui permet de devenir professeur de littérature francophone aux États-Unis. Souvent d’inspiration autobiographique, ses romans mettent en scène son Congo natal.
20
25
Je résidais à Paris depuis quelques mois. Je me remettais de ma commotion . Le choc de la réalité me rongeait . Moki, tant bien que mal s’évertuait à me consoler, flairant que je sombrais dans le désenchantement. Il n’y pouvait plus rien. Je lui en voulais de n’avoir pas été plus précis sur un certain nombre de choses. Sur l’essentiel. Ma décision sans doute n’eût pas été la même. Je supposais qu’il avait péché par omission. Une omission volontaire. La plus grave qui fût. Celle qu’on prend du temps à absoudre , tellement elle frôle le mensonge, l’hypocrisie et la lâcheté. […] Ce n’était pas tant l’oisiveté qui me cisaillait , mais l’envie d’écrire au pays. C’est une urgence dans l’esprit de tous ceux qui laissent un pan d’eux-mêmes à des milliers de kilomètres. Les mots sont désormais les seuls liens. Une lettre dans la boîte est la bonne nouvelle de la journée, voire du mois lorsque ces missives s’espacent, le temps érodant la volonté… Me revient en mémoire cette histoire de la lettre de Marie-Josée. C’était ce jour où je fus pris d’une nostalgie profonde. Je ressentis ce vide angoissant, cette envie d’écrire au pays, à mes parents, à quelques amis, pour leur donner de mes nouvelles et leur parler de notre existence ici. […] Ils sauraient tout... Je devais écrire. Qu’est-ce qui m’a exhorté à requérir , au dernier moment, l’avis de Moki ? Il exigea d’ouvrir les missives. Il les lut l’une après l’autre et me qualifia de naïf, d’irresponsable, de pauvre Paysan. – Pour qui te prends-tu ? Tu perds ton temps ; ils ne te croiront pas, au pays. Ces gens-là n’ont jamais changé et ce n’est pas les larmes que tu auras versées qui les apitoieront . Ils aiment le rêve. Tu entends, le rêve. […] Tout ce que tu écriras n’engagera que toi et tu seras la risée du quartier… […] Si je voulais écrire, la lettre devait relater tout le bien que je pensais de Paris. […] J’eus un fou rire en parcourant cette lettre type que tout le monde recopiait. Une lettre destinée à une copine au pays. Elle traînait, accrochée au mur de la pièce, tout près de la glace brisée. Ceux qui la recopiaient ne remplaçaient que le prénom de la destinataire. […] À voir la manière dont elle était mâchurée , on comprenait que les compatriotes s’étaient tous exercés dans l’art du calque. La lettre était claire et résumait notre volonté de perpétuer le rêve.
I Entre deux millénaires
30
35
40
13 faccia baldoria 14 ammuffivo 15 muffa 16 contare 17 ritorno all’ovile
45
Ma chère Marie-Josée Je t’écris en face de la Tour Montparnasse que je contemple chaque matin depuis la salle de bains de notre magnifique appartement du quatorzième arrondissement. L’été vient de s’achever sur la plus belle ville du monde. Nous allons vers l’automne, pour ensuite admirer la splendeur blanche de la neige en hiver. Je t’ai acheté beaucoup de cadeaux, des vêtements de grands couturiers du faubourg Saint-Honoré. Je t’ai aussi acheté une paire de mocassins Weston. Je veux bien te les envoyer mais je crains que tu ne fasses la java avec mes adversaires locaux, des gens qui ne savent même pas combien coûte un pantalon Yoshi Yamamoto. Moi je n’ai plus rien à prouver. Je suis un Parisien, avec un grand P. […] Je compte t’épouser pour le meilleur seulement, il n’y aura pas de pire avec moi. Je te donne ma parole de Parisien. Compte sur moi, je prépare notre avenir. Je t’embrasse tendrement. Je t’aime, ma petite Golden (c’est comme ça qu’ils appellent le genre de pomme que j’aime ici). Ton fiancé parisien. [...] Et notre gîte ? Je n’y croyais pas. Je ne voulais pas y croire. J’y vivais pourtant depuis quelques mois. J’y croupissais . Il fallait s’y faire. Nous habitions là, métro Alésia, au septième étage, dans une chambre de bonne du quatorzième arrondissement, rue du Moulin. Vert. Une lucarne donnant vers le ciel répandait une médiocre lueur du jour. […] Aucune autre ouverture. Rien. […] Nous n’avions pas d’ascenseur pour arriver jusqu’au septième. L’immeuble n’était pas éclairé et il exhalait la moisissure . [...] Il n’avait pas non plus d’autres habitants que nous. […] Je n’avais pu dénombrer tous les occupants de la chambre. Ce n’était pas les mêmes. Nous étions plus d’une douzaine de compatriotes à coucher dans cette pièce exiguë. [...] C’est de cette lucarne que je pus contempler le ciel d’automne de Paris. J’y cherchais déjà, dans ces nuages cendrés et touffus, l’esquisse d’une promesse de retour au bercail ...
Compréhension et interprétation Dites si les affirmations suivantes sont vraies (V), fausses (F) ou si l’information n’est pas précisée (NP) en cochant la case correspondante. 1 Dans cet extrait, Massala-Massala écrit V F NP à une femme nommée Marie-Josée. 2 Le narrateur souhaite écrire des lettres V F NP plus originales que celle montrée par Moki. 3 Le narrateur vit dans une rue V F NP très commerçante de Paris. 4 Cochez les caractéristiques du séjour parisien mentionnées dans la lettre à Marie-Josée (plusieurs réponses possibles). Résidence dans un « magnifique appartement ». Croisière en péniche sur la Seine. Déjeuner sur un banc du Jardin des Tuileries. Paris couvert de neige.
VERS L’ESAME DI STATO Répondez aux questions. 5 Montrez que l’expérience de Paris faite par MassalaMassala est complètement à l’opposé de cette vision idyllique. Citez le texte. 6 Quels sentiments éprouve le narrateur ? 7 Relevez les éléments du comique de situation, de caractère et de mots dans cet extrait. 8 Massala-Massala finit-il par utiliser lui aussi la lettre type adressée à Marie-Josée ? Pourquoi d’après vous ?
Production écrite « Le mensonge est tout aussi vivace que la vérité ; peut-être l’est-il plus encore », a écrit l’écrivain russe Ivan Tourgueniev (1818-1883). À la lumière de l’extrait que vous venez d’étudier et de vos propres expériences, expliquez cette citation et donnez des exemples tirés de la littérature ou de votre expérience personnelle (300 mots environ).
Soirée entre amis au cinéma. Shopping rue du faubourg Saint-Honoré. Visite guidée de l’opéra Garnier. Promesse d’un amour exceptionnel pour le meilleur seulement.
481
THÈME 2 ÉGALITÉ ET FRATERNITÉ
WILFRIED N’SONDÉ (1968)
Le Cœur des enfants léopards (2007) L’AUTEUR Wilfried N’Sondé naît à Brazzaville, en République du Congo. En 1973, sa famille émigre en France. Il grandit en banlieue parisienne, puis part à Berlin. Il revient en France en 1998 et il y écrit des romans, qui ont le plus souvent pour cadre la banlieue parisienne ou le Berlin de la chute du mur. En 2007 son premier roman, Le Cœur des enfants léopards, a obtenu plusieurs prix littéraires.
T121 121
Garde à vue Le livre s’ouvre sur le narrateur (Wilfried) qui a été arrêté. Il ne sait pas trop pourquoi il est là, en prison. Les souvenirs affluent à sa mémoire en désordre, passant du passé au présent. Il se souvient de son copain d’enfance Drissa.
MOTS PHARES • Le racisme • La violence • L’aspiration au bonheur
5
10
15
20
25
1 ricci 2 andato fuori di testa 3 farfugliato 4 rimasero delusi
482
Son texte a séduit en effet par sa langue rythmée, sensuelle, poétique, capable d’exprimer la violence, le désir, la peur avec justesse. Ses romans abordent surtout les thèmes de l’immigration, de l’exil et de l’altérité, mais aussi de la construction de l’identité.
30
Enfant, Drissa et moi allions régulièrement à la boulangerie du quartier, la vendeuse souriait, ils sont mignons avec leurs frisettes , caresses sur la joue et les cheveux crépus, une sucrerie en cadeau, merci madame la boulangère. J’étais fasciné par sa grosse poitrine sous la blouse blanche, madame, je t’aimerai toujours d’amour. C’est plus tard, vers treize quatorze ans que nous sommes devenus étrangers, délinquants, « lintegration », « limmigration », clandestins, seuil de tolérance dans les programmes politiques. Nous portons sur la gueule la misère du monde pour laquelle elle ne veut pas payer. Alors la même boulangère nous épie, regards méfiants. Elle doit connaître le capitaine, ils ont dû fréquenter la même école, celle où l’on apprend avant tout à fermer sa porte. Elle nous analyse, nous identifie de prime abord comme un problème, un danger. Pourquoi venez-vous ici, qu’est-ce que vous voulez ? Si la boulangère n’avait pas changé avec les années, à tous les coups, Drissa n’aurait pas pété les plombs . Il aurait continué à sourire, mais aujourd’hui son regard fixe toujours quelque chose intensément, au hasard, et dès qu’il peut, il s’allonge n’importe où pour se réfugier dans son sommeil. Quand il commence à parler, j’ai vraiment l’impression qu’il est fou. [...] La maîtresse, qui l’aimait bien, lui avait demandé de parler de son pays d’origine. Il s’est dirigé vers le tableau, puis s’est retourné afin de se placer face à la classe. Comme il ne savait pas trop quoi dire, il a souri, bredouillé deux, trois lambeaux d’histoire de l’ancêtre, puis a inventé un lion par ci, un bananier par là, un village de terre cuite qu’il avait vu la veille à la télévision. Il a pris soin de laisser les esprits dans leur nuit, auprès des autres, on redevient plus vite qu’on ne le croit sauvage et idiot. Quand il se tut quelques instants plus tard, tout le monde resta sur sa faim . Eh, Drissa, tu aurais dû avoir une institutrice comme la mienne, elle prenait mon cahier, puis me demandait de rester à quelques pas d’elle, ne m’en veux pas petit, mais cette odeur, tu comprends, je ne suis pas habituée. Elle balançait alors la tête de gauche à droite, la paume élégamment placée devant sa bouche et son nez. Moi je l’aimais, avec ce désir chaud d’enfant, elle était si fine, sans parler de
I Entre deux millénaires
35
40
45
50 5 sbarre 6 carogna 7 sballo 8 appuntamento 9 discriminazione razziale (basandosi sul colore della pelle) 10 sputi 11 prato 12 confessione
Compréhension et interprétation Dites si les affirmations suivantes sont vraies (V), fausses (F) ou si l’information n’est pas précisée (NP) en cochant la case correspondante. 1 Enfants, Wilfried et Drissa n’étaient pas très bien accueillis par la boulangère V F NP de leur quartier. 2 Quand ils sont devenus adolescents, Wilfried et Drissa ont commencé à être accueillis différemment V F NP par la boulangerie. V F NP 3 Wilfried est français. 4 Sur quels problèmes de la société française l’auteur cherche-t-il à interpeler ici ? Cochez les réponses correctes. Sur l’individualisme et l’égoïsme. Sur la xénophobie. Sur le racisme anti-africain. Sur les injustices sociales.
55
ce rose sur son sourire. Je restais donc debout, sage et patient, à quelques mètres, c’est bien mon garçon. C’est drôle, hier cette distance entre elle et moi, tout juste quelques pas, les barreaux d’aujourd’hui entre le capitaine et mes quartiers d’infortune, les uniformes et ma détresse. [...] Suivez-nous sans faire d’histoire maintenant, pour l’instant vous gardez les menottes. J’imagine déjà la tête du capitaine charognard , son air à tout vouloir savoir de moi, ce qui s’est passé, t’avoue n’importe quoi, ça le rassure, bon travail officier, très bon pour son ulcère. Rien que d’y penser, j’en suis déjà épuisé, pas même une fenêtre pour respirer et voir le jour. Quelle heure est-il ? Pourquoi veulent-ils tous que je réponde quelque chose de sensé ? Tu viens d’Afrique ? Tu as pensé à ton avenir ? Tu n’as plus aucune raison d’avoir peur, je suis maintenant menotté entre quatre uniformes, à me débattre tout seul avec ma défonce , j’avance tel un zombie, rencard chez la charogne à toute heure du jour ou de la nuit. La police, pourquoi est-ce que je te dérange autant que ça ? Papiers d’identité, à croire que je t’inquiète, carte de séjour, ah bon vous êtes français ? Délit de faciès , vide tes poches t’as un couteau sur toi ? Tu te défends comment ? Monsieur le gardien, moi aussi j’en veux de la paix, et des allées fleuries, des sourires, bonjour mademoiselle, comment allez-vous madame, je ne veux plus de crachats dans l’escalier, disputes chez l’ivrogne d’en face, les seringues dans le bac à sable, le samedi soir qui finit en fait divers. Fermez les bars-tabacs-tiercé, que nos pères s’assoient dans la salle à manger pour le dîner. Moi aussi je veux du bleu dans ma vie, des promenades dans les parcs, une belle voiture devant le garage, du gazon vert et frais, un jardin pour l’été. Dommage que tu ne m’entendes pas mon capitaine, j’avais là un bel aveu pour toi.
VERS L’ESAME DI STATO Répondez aux questions. 5 Décrivez l’attitude des personnes à l’égard de Wilfried et Drissa. Pourquoi évolue-t-elle au fil du temps ? 6 Relevez les termes qui appartiennent au champ lexical de l’immigration, à celui de la peur, et ceux qui appartiennent au champ lexical de l’amour. Quelle impression l’auteur veut-il créer ici en les mélangeant ? 7 Quels sentiments éprouve Wilfried enfant puis adolescent ? Citez le texte pour répondre. Quelle position sociale et quels biens souhaiterait posséder Wilfried ? 8 Commentez les lignes 44 à la fin : à qui s’adresse le narrateur ? Au policier ou au lecteur ? Que lui demande-t-il ? Quels éléments stylistiques montrent que l’auteur cherche à capter l’attention du lecteur ?
Production écrite Nelson Mandela (1918-2013) a dit : « Personne n’est né avec de la haine envers l’autre du fait de la couleur de sa peau, ou de son origine, ou de sa religion. Les gens doivent apprendre à se haïr, et s’ils peuvent apprendre à haïr, ils peuvent apprendre à aimer, car l’amour jaillit plus naturellement du cœur humain que son opposé. » À la lumière du texte que vous venez d’étudier, commentez cette citation en y ajoutant des exemples tirés de votre expérience personnelle ou de l’actualité (300 mots environ).
483
THÈME 2 ÉGALITÉ ET FRATERNITÉ
TAHAR BEN JELLOUN (1944)
Le Racisme expliqué à ma fille (1998, 2018)
PRIX GONCOURT
L’AUTEUR Né au Maroc, à Fès, Tahar Ben Jelloun fait des études de philosophie à Rabat. Tout en composant des poèmes, il enseigne la philosophie. En 1971, en raison de l’arabisation de l’enseignement de la philosophie au Maroc, il part pour la France. Il y suit des études de psychologie et devient psychothérapeute, tout en continuant à écrire, notamment des romans. En 1985, son roman L’Enfant de sable le rend célèbre. La suite de L’Enfant de sable, intitulée La Nuit sacrée,
T122 122
Rien oublier, rien occulter, rien négliger En 1998, Tahar Ben Jelloun répondait aux questions de sa fille, âgée de 8 ans, sur le problème du racisme. Le livre a rencontré un succès mondial. En 2018, l’écrivain reprend le texte, car comme il le constate dans sa préface : « vingt ans après, le racisme se porte bien. » Mérième,
MOTS PHARES • Le racisme • La tolérance • « L’homme n’est pas un loup pour l’homme »
5
10
15
20
1 sbavatura, svista 2 non opprime 3 calpesta
484
obtient le prix Goncourt en 1987. En 2008, Tahar Ben Jelloun est élu membre de l’Académie Goncourt. Plusieurs de ses essais, qui prônent la tolérance dans un style très accessible, ont été d’immenses succès de librairie : Le Racisme expliqué à ma fille (1998, 2018), L’Islam expliqué aux enfants (2002), Le Terrorisme expliqué à nos enfants (2016).
25
Il ne faut rien oublier, rien occulter, rien négliger. Le racisme est un fait, ce n’est pas un accident ou une bavure de l’histoire. Le racisme est là où prospère l’homme, Là où les sentiments se confrontent et se font la guerre. Sentiment de supériorité Sentiment de puissance qui autorise l’homme à mépriser d’autres hommes qui ne lui ont pourtant rien fait Sentiment d’être autorisé à porter des jugements sur des différences que l’homme traite comme autant de signes d’inégalité Sentiment de se sentir plein de pouvoir parce que plein d’or et d’argent. Il ne faut rien oublier L’homme n’est pas un loup pour l’homme N’accable en point les pauvres animaux qui ne se font jamais la guerre Mais l’homme est simplement un homme pour l’homme. C’est son meilleur ennemi C’est la guerre qu’il préfère, celle qui annihile d’autres hommes Celle qui humilie et fait table rase Celle qui détruit le foyer et les jardins Celle qui piétine l’innocence des enfants et des vieilles personnes. Le racisme, ma fille, colle à la peau de l’homme où qu’il se trouve Même sur une île déserte, cet homme trouvera qui haïr, qui mépriser, qui humilier Haïr pour exister, pour se sentir vivant Il pourrait aimer Mais l’amour n’est pas chose aisée Il faut mériter l’amour Il faut le séduire, l’arracher à la nuit et aux ombres cachées derrière les sourires.
I Entre deux millénaires
30
35
40
45
4 flagello
Ma fille, tu as bien compris que tout est dans l’éducation, cette pédagogie du quotidien Cette obstination à inculquer des valeurs à l’enfance et à lui apprendre à les respecter. Le respect n’est pas autre chose qu’une humilité grandiose qui fait que l’humanité prend sens Le respect, c’est d’aller vers les autres, qu’ils sont en danger ou dans la pauvreté et le besoin et leur tendre la main Le respect, c’est considérer que nous sommes tous différents et pourtant semblables Qu’un homme vaut un autre homme, quels que soient sa taille, sa couleur de peau, la langue qu’il parle, la foi qui l’habite, le doute qu’il cultive, le désir qu’il poursuit, le travail qu’il effectue, la folie qu’il brandit ou la sagesse qu’il place au-dessus de tout. Le respect, ma fille, est le devoir de tout être Parce que nous avons tous besoin d’être respectés pour vivre et entreprendre des choses qui font honneur à l’humanité. Ô ma fille [...] Tu as vu tant de choses dans tes voyages et tu as appris qu’aller vers d’autres horizons, visiter d’autres pays et d’autres cultures fait reculer le racisme qui, lui, est fondé, principalement sur l’ignorance, la peur de l’inconnu et la haine qu’inspire telle ou telle religion. Voilà pourquoi ma fille, je m’adresse aujourd’hui à toi, parce que tu as grandi avec ce petit livre qui a été étudié par des millions d’enfants dans le monde. Aujourd’hui plus que jamais, la vigilance et la lutte contre ce fléau qu’est le racisme sont nécessaires. Il ne faut rien oublier, Rien négliger, Rien occulter.
Compréhension et interprétation Dites si les affirmations suivantes sont vraies (V), fausses (F) ou si l’information n’est pas précisée (NP) en cochant la case correspondante. 1 Dans cet extrait, Tahar Ben Jelloun dresse V F NP l’histoire du racisme. 2 L’auteur considère le racisme comme V F NP un fait réel et actuel. 3 Pour l’auteur, il n’existe V F NP pas de solution au racisme. 4 Indiquez les sentiments cités par l’auteur pour expliquer le racisme (plusieurs réponses possibles). L’amour. Le sentiment de supériorité. La haine. La vengeance.
VERS L’ESAME DI STATO Répondez aux questions. 5 Donnez un titre à chacune des quatre parties du texte : a l. 1-2 : ....................…………………………………………………........……… b l. 3-23 : .......................…………………………………………………........…… c l. 24-39 : ..........................…………………………………………………........… d l. 40-51 : .......................…………………………………………………........…… 6 Listez les moyens proposés par l’auteur pour lutter contre le racisme. 7 Montrez que l’auteur utilise des anaphores (répétitions) pour rendre son discours plus convaincant pour le lecteur (lignes 1-23) et expliquez l’effet produit. 8 Quel ton emploie l’auteur dans ce texte ? Quelle expression verbale est répétée ? Observez les modes et temps verbaux employés et justifiez votre réponse. Commentez également l’emploi qui est fait des images et du champ lexical des sentiments.
Production écrite « L’homme est un loup pour l’homme » a écrit l’auteur latin Plaute. « L’homme n’est pas un loup pour l’homme » déclare, quant à lui, Tahar Ben Jelloun. Après avoir expliqué le sens de ces deux citations, exposez à votre tour vos arguments contre le racisme en prenant des exemples tirés de l’actualité et/ou de votre propre expérience (300 mots environ).
485
THÈME 2 ÉGALITÉ ET FRATERNITÉ DÉBAT Divisez la classe en deux groupes : ‘pour’ et ‘contre’ l’affirmation suivante. Chaque groupe présente ses arguments. « Dès que tu dis “fraternité”, tu contredis “égalité”, les deux termes s’annulent ! » (É.-E. Schmitt) 1 Chacun cherche des arguments. 2 Mettez en commun vos opinions et indiquez tous les arguments mentionnés. POUR
CONTRE
• Oui, les deux termes s’annulent, car la fraternité crée un • Non, les deux termes sont étroitement liés, car la groupe particulier d’hommes qui se sentent « frères » et cela exclut donc les autres. C’est le cas par exemple des citoyens d’une nation.
• (Ajoutez des arguments)
fraternité peut être une valeur universelle qui ne se limite pas aux citoyens d’un seul pays, mais concerne l’ensemble des humains.
• (Ajoutez des arguments)
Letteratura inglese • Toni Morrison, Beloved • John Maxwell Coetzee, Youth • Harper Lee, To Kill a Mockingbird
Storia • L’antisemitismo e l’Olocausto • Le lotte per i diritti civili • Le lotte contro l’apartheid in Sudafrica • La decolonizzazione
Storia dell'arte • Jean-Michel Basquiat • Keith Haring • Banksy
Letteratura italiana • Primo Levi, Se questo è un uomo • Giorgio Bassani, Il giardino dei Finzi-Contini • Fabio Geda, Nel mare ci sono i coccodrilli
Vers l’Esame di Stato
Égalité et fraternité [→ p. 477]
Cittadinanza e costituzione • L’uguaglianza: l’Articolo 3 della Costituzione italiana • Agenda 2030, Obiettivo 10: Ridurre le disuguaglianze
Letteratura tedesca
• Hatice Akyün, Einmal Hans mit scharfer Soße • Jenny Erpenbeck, Gehen ging gegangen • Robert Schneider, Dreck
Filosofia • Il marxismo • Hannah Arendt, La banalità del male
Greco • Platone, La Repubblica Latino
• Seneca, Epistulae morales ad Lucilium, epistola 47
PROJET Réalisez une carte mentale sur le thème proposé en faisant des liens avec la littérature et au moins quatre autres matières scolaires. Puis, individuellement ou en groupe, préparez une présentation pour la classe afin d’illustrer les liens que vous avez identifiés.
486