DOSSIER DES SPECTRES DANS LES ARCHIVES
Autant ne pas vous le cacher, il se pourrait bien qu’on ait des problèmes avec nos archives. Évidemment, on a une hérédité imposante – C4 naît de l’expérience du Cirque Divers. Ça ne saurait pourtant tout expliquer. Pour autant qu’il y ait un intérêt à le faire. Or, rien n’est moins sûr. Après tout, ça fonctionne comme ça, et si on n'est pas contents, on peut toujours essayer de le faire marcher autrement. Il y a quelque temps, en regardant, posés sur une étagère, les quatre grands livres composés des quarante-quatre premiers numéros de C4 qui prenaient la poussière, on a pensé qu’on devrait, un jour, essayer de prendre le temps de travailler cette matièrelà. L’idée de réaliser un numéro un peu spécial, dont le dossier serait composé d’une anthologie, a commencé à faire son chemin. Mais, comme on vous le disait, il se pourrait bien qu’on ait des problèmes avec nos archives. En l’absence d’hypothèses clairement établies et d’une méthode bien maîtrisée, les fouilles ne débutaient pas. Puis, on a décidé de plonger, comme ça. Et on a fini par comprendre ce qu’on cherchait. Enfin, peut-être. Remettons ce désir de grande fouille dans son contexte. Si nous avions amorcé un premier virage en 2013 en publiant un numéro avec une maquette radicalement différente de celle que nous utilisions auparavant, nous nous apprêtons à présent à transformer nos méthodes de travail – ce qui devrait affecter le contenu de C4. Les prochains numéros sont déjà en train de s’écrire depuis plusieurs mois. Nous savons qu’ils ne s’empareront pas vraiment d’une grande thématique plus ou moins actuelle mais permettront plutôt à des groupes de construire une parole à partir d’une expérience collective. On pourrait l’interpréter comme un choix stratégique radical, celui d’aller sur le terrain pour l’explorer avec ceux qui l’habitent. Il s’agit surtout d’opportunités, de collaborations à un moment où nous sentions qu’il était nécessaire de chercher autre chose. Les archives qui suivent ont donc été compilées au moment d’un changement de direction voulu mais pas forcément préparé. Un peu comme comme ce réflexe qui consiste à jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur alors qu’on est déjà en train d’amorcer la traversée des trois bandes
d’autoroute qu’il va nous falloir accomplir pour prendre la sortie qu’on vient d’identifier comme étant celle qui est la plus judicieuse à prendre. Et qu’est-ce qu’on a vu dans ce bref regard en arrière? On a vu nos spectres, ceux qui nous hantent numéro après numéro, ces obsessions formalisées dans les années 90 et ces problèmes qu’on continue inlassablement de se coltiner: la psychologisation du problème du chômage et son traitement répressif, les conséquences de la déglingue de l’industrie lourde, l’interminable agonie de la gauche européenne, la mise sur pied de politiques migratoires qui contribuent d’avantage à rassurer la xénophobie qu’à propager l’intelligence, l’incapacité d’imaginer un futur qui ne soit pas flippant ou carrément désastreux, la peur de ne plus rien piger… On a aussi revu des rencontres qui nous ont marqués, des parcours qui continuent de nous inspirer. Le moment était sans doute venu d'essayer une autre voie (ce qui ne veut pas dire une autre direction) mais il restait beaucoup plus prudent d'emporter un max de notes avec nous parce qu’on se méfie des grands programmes qui exigent une tabula rasa autant que de ceux qui consistent à garder un maximum les choses en l’état. Voilà comment on a composé ce dossier. Evidemment, vous le lirez comme vous voudrez. Manquerait plus qu’on se mêle de vous dire comment faire...
C4 N°227 SPECTRE
La rédaction