MINT #18

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Printemps 2O2O - Gratuit

À table avec Stéphane De Groodt 92 Plongeurs : les hommes de l’ombre 88 Destination Palerme 110


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Journalistes HÉLÈNE ROCCO est journaliste

lifestyle. Amoureuse des voyages, elle est aussi accro à la bonne cuisine et donnerait sa mère pour du fromage de brebis. ANOUCHKA CROCQFER est journaliste chez Mint Magazine.Passée dans les colonnes de L’Express Styles, du Parisien et de Néon, elle arpente les rues de la capitale à la recherche des nouvelles tendances lifestyle. JULIE GERBET est slasheuse indépendante dans l’univers du manger, tantôt journaliste (Grazia), chroniqueuse (Le Fooding), auteure, cuisinière des fois et surtout podcasteuse (À Poêle). IRÈNE VERLAQUE est journaliste.

Elle raconte des histoires dans Télérama, Le Temps, L’Obs, et ailleurs. Entre deux voyages, elle se plait à regarder de vieux films à des heures indues. JORDAN MOILIM voue un amour

inconditionnel à la bouffe. Il est journaliste pour le Très Très Bon et recommande aussi ses restos préférés dans les pages de L’Express Styles. Photographes TIPHAINE CARO est architecte de formation. Elle collectionne les vieux appareils-photos et aime saisir les moments du quotidien à l’argentique. → www.tiphainec.com ANNE-CLAIRE HÉRAUD est une

photo-reporter culinaire engagée qui s’immisce dans le quotidien des protagonistes d’une alimentation durable pour en tirer leur portrait. → www.anneclaireheraud.com LÉA BOEGLIN a grandi en Provence.

Elle aime la simplicité, la spontanéité et l’authenticité. Son univers est teinté d’intime, de poésie et de douceur.

STÉPHANIE DAVILMA est

photographe et aime inscrire son travail dans la lenteur. Celle de l’errance, de l’observation et du choix d’un sujet, aussi bien dans l’image que dans l’écriture. → www.stephaniedavilma.com PARIS SE QUEMA est un studio créatif

fondé par Anaïs et Nicolas en 2014. Tour à tour set designers, photographes, graphistes et scénographes, leur mot d’ordre est d’être des couteaux-suisses. → www.paris-se-quema.com CHLOÉ GASSIAN met en scène des

natures mortes et de l’humain à travers un regard insolite. Elle aime créer des narrations dans ses séries où elle explore la beauté dans l’étrange.

Rédactrice en chef DÉBORAH PHAM deborah@magazine-mint.fr

Directrice artistique NOÉMIE CÉDILLE → www.noemiecedille.fr

Responsable du développement HUGO THANNBERGER hugo@magazine-mint.fr

Graphiste AGATHE BOUDIN → www.agatheboudin.com

Couverture

→ www.chloegassian.com

STÉPHANIE DAVILMA

PIERRE LUCET-PENATO est photographe. Les backstages des défilés et les cuisines des têtes toquées sont ses terrains de jeu favoris. Il travaille avec M Le Magazine ou encore Le Fooding.

Contact contact@magazine-mint.fr → www.magazine-mint.fr 55ter rue de la Chapelle,

→ www.pierrelucetpenato.com

75018 Paris

LOU VERSCHUEREN, photographe

Impression

Bruxelloise, capture à l’argentique la lumière, les couleurs et les histoires qu’elle croise sur son chemin, avec poésie et simplicité. → www.instagram.com/lou_verschueren

Illustrateur•trice•s FANNY MONIER est diplômée en

dessin et narration. On peut retrouver ses combinaisons de personnages colorés dans les revues avec lesquelles elle collabore depuis quelques années. → www.fannymonier.fr JONATHAN BLEZARD est illustrateur. Passionné de voyage, il a façonné son style au fil de ses expériences qu’il retranscrit, non sans humour et poésie, à travers un trait naïf. → www.blezardjonathan.com

→ www.lea.boeglin.net

Distribution

Dans une ville où les publications gratuites fusent à tout-va sans jamais vraiment savoir où elles atterriront, Le Crieur se propose aujourd’hui de jouer les aiguilleurs.

Publicité KAMATE RÉGIE dolivier@kamateregie.com

Nous accompagnons le développement d’acteurs qui portent un nouveau regard sur le jeu media et sur la ville.

Mentions légales ISSN : en cours. Dépôt légal à parution. Le magazine décline toute responsabilité quant aux sujets et photos qui lui sont envoyés. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction réservés pour tous pays. Aucun élément de cette revue ne peut être reproduit ni transmis d’aucune manière ni d’aucun moyen que ce soient, sans l’autorisation écrite des auteurs.


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édito

Amuse-bouche Par Déborah

Pham

Mint fait peau neuve, le bon moment pour jeter un coup d’œil dans le rétro’. En tout, sept années à sillonner les villes et les campagnes à travers le monde. Sept ans de souvenirs marquants, de rencontres et d’aventures. Contempler le spectacle hypnotique des vagues qui se fracassent sur les falaises d’Inis Mean en Irlande. Participer à un marathon de la bouffe avec KF Seetoh à Singapour. Marcher en montagne à Megève avec deux pépés géniaux qui fabriquent des couteaux. Passer une journée à bosser dans les cuisines de St John à Londres. Découvrir les campagnes japonaises et la région du Mont Aso en survolant ses volcans. Je manque d’espace pour tous les raconter. Je profite de cet édito pour remercier nos contributeurs qui souvent sont devenus des amis. Mint évolue avec ses créatrices et désormais celles et ceux qui l’ont vu grandir. Le Crieur qui a distribué nos 18 numéros. Bon Esprit qui a passé de la musique à chacun de nos événements. Vilaje qui nous fait confiance. Hugo, Anouchka, Chloé et Margaux qui ont rejoint l’équipe. Il nous reste encore tant de choses à vous faire découvrir. L’histoire est belle et l’avenir est à nous. À toutes et à tous, merci.


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Sommaire Le bon goût 8 L’Abeille, contre vents et marées noires 28 société

Quand le piment fait monter la sauce 36 la story

Se taper un poulpe vivant 42 se taper…

Les passeurs de lumière 46 rencontre

Nature morte 56 portfolio

Plongeurs :

les hommes de l’ombre 62 société


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sommaire

Amandine Sepulcre-Huang et Jaimie Stettin 74 family Food

Alexia Duchêne, tambour battante 78 rencontre

Le jour où je suis devenu critique gastronomique 88 le jour où…

À table avec Stéphane De Groodt 92 à table

1€ le kilo 104 mode

Palerme 110 destination

Bonnes adresses 124


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le bon goรปt

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Textes

Anouchka Crocqfer

Tendances

Maison Matisse

Déco

Beaux comme des tableaux, les vases signés des frères Bouroullec, de Jaime Hayon ou encore d’Alessandro Mendini ouvraient la collection de céramiques de Maison Matisse. Derrière ce nom, la quatrième génération du peintre prolifique bien décidée à faire vivre l’univers artistique d’Henri Matisse qui sera mis à l’honneur à Beaubourg en mai prochain. À l’occasion des 150 ans de sa naissance, c’est au tour de la designer franco-polonaise Marta Bakowski de se plonger dans les archives. Baptisée la Musique, la première collection permanente pensée par la créatrice s’inspire de la toile éponyme. Au total, ce sont quatorze pièces composées de plats, d’assiettes, de bouteilles et d’une cruche qui prennent vie sous ses coups de pinceaux dans un joyeux méli-mélo de formes et de couleurs chatoyantes. → La Musique — À partir de 130 € — www.maison-matisse.com Exposition « Matisse » du 13 mai au 31 août 2020 — Centre Pompidou, Place Georges-Pompidou, 75004 Paris


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le bon goût

PolkaPants

tendances

Mode

Le bon goût n’est pas l’apanage des podiums, il s’invite aussi en cuisine avec la collection de vêtements pour cheffe aux petits oignons lancée par l’australienne Maxine Thompson. Passée par le monde de la mode et de la restauration, la jeune entrepreneuse basée à Londres décide de lancer une ligne de pantalons en coton inspirée des années 1940 conjuguant praticité, confort et élégance. Existant exclusivement en taille haute, il se décline en trois modèles, à pois, à carreaux ou en noir uni, à twister à toutes les sauces selon l’envie. → POLKAPANTS — à partir de 60 € www.polkapants.com


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Aesop

Beauté

Un grand shot de vitamines pour la peau dans un petit pot en verre, telle est la promesse de ce masque de nuit aux vertus dynamisantes et hydratantes. On optimise son temps de sommeil au cours d’une nuit, d’un voyage en train ou en avion, en appliquant quelques couches de ce soin gorgé d’actifs hydratants et nourrissants afin de se réveiller le teint frais et lumineux sans aucun effort. Le secret ? Pendant qu’on se la joue Belle au bois dormant, notre épiderme, beaucoup plus perméable aux soins, s’active pour se régénérer naturellement. → Masque de Nuit Récupérateur Sublime, Aesop — 105 € www.aesop.com


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tendances

D E S P I È C E S FA I T E S P O U R D U R E R , D E P U I S 1 8 5 3 E T P O U R TO UJ O U R S .

W W W. A I G L E .C O M


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Harper’s Bazaar au MAD

Art

Le Musée des Arts Décoratifs consacre une exposition au magazine de mode américain à travers une série de unes, de croquis, d’illustrations et de clichés signés de photographes de renom comme Peter Lindbergh ou encore de Melvin Sokolsky ayant contribué à la renommée de la revue. Au fil du parcours, ce sont près de 150 années de création allant de Jeanne Lanvin à Cristobal Balenciaga et Christian Dior que l’on (re) découvre par la présence de pièces iconiques ayant marqué l’histoire de la haute couture s’exposant face aux photographies de top modèles immortalisées sur papier glacé. → Haper’s Bazaar, premier magazine de mode — MAD, 107 - 111 rue de Rivoli, 75001 Paris — Jusqu’au 14 juillet 2020


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Tous babas de la babka

Décryptage


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Donnez-leur de la brioche. Mais pas n’importe laquelle… Une petite boule tressée, zébrée, bien dodue et bien chocolatée que le monde entier — ou plutôt que le Tout-Paris — s’arrache : la babka. Il faut dire qu’elle porte un nom bien mignon emprunté au polonais voulant dire grand-mère. De Stohrer à Mamiche en passant par Maafim et Florence Kahn, elle s’invite dans toutes les vitrines, jusqu’à notre boulangerie de quartier. Si tous sont croqués de cette spécialité venue d’Europe de l’Est, sa recette actuelle aurait pris du galon en gourmandise au fil de ses voyages. L’écrivaine et photogrape culinaire Annabelle Schachmes, auteure de la Cuisine juive, nous conte sa petite histoire. « La babka est une pâtisserie de diaspora, elle a évolué au cours des migrations juives de la Pologne aux États-Unis pour devenir une brioche aussi réconfortante qu’un burger. Aujourd’hui on ne la retrouve pas qu’au chocolat, elle s’est complètement décomplexée ». En cake, en gâteau, en petit roulé, les formes varient autant que les parfums à l’instar de chez Babka Zana à Paris, le petit dernier qui a déjà tout d’un grand. « Sarah et Emmanuel Murat (les co-fondateurs) ont tout compris, leurs déclinaisons citron halva et pistache fleur d’oranger sont des tueries et c’est aussi ça la cuisine, des recettes, parfois centenaires, qui évoluent à travers le temps. Aujourd’hui il reste peu d’héritage culinaire ashkénaze. New York est la seule ville où cette gastronomie est encore très mise en avant » ajoute-t-elle. L’autre raison du succès de leurs brioches beurrées à souhait, c’est l’aide précieuse du boulanger-pâtissier Benoît Castel qui n’a pas hésité à mettre la main à la pâte. « On a travaillé un levain naturel riche et beurré pour une brioche qui se suffit à elle-même » dit-il en se remémorant la toute première babka dans laquelle il a croqué chez Florence Kahn il y a plusieurs années. « Sur les podiums comme

en cuisine il y a des modes, des tendances. Les uns inspirent les autres. Aujourd’hui il y a une véritable mouvance autour de la cuisine levantine, je pense notamment au succès de Blitz ou encore de Miznon. » S’il ne souhaite pas proposer cette douceur dans ses adresses parisiennes pour autant, d’autres têtes toquées n’hésitent pas à casser du sucre sur le dos de la babka à l’instar de Maria Bonnici que l’on retrouve aux fourneaux de La Bête Noire. Après de longues années à enchanter les palais des becs sucrés avec sa brioche zébrée maison, elle annonce sur son compte Instagram la retirer de sa carte définitivement, lasse d’en voir éclore à tous les étals et sur tous réseaux sociaux confondus. S’aimer comme on se quitte, rien n’y personne n’y échappe donc, pas même la babka, victime de son succès. OÙ LA DÉGUSTER À PARIS → Adar, 49 passage des Panoramas, 75002 Paris → Plaq, 4 Rue du Nil, 75002 Paris → Salatim, 15 rue des Jeûneurs, 75002 Paris → Babka Zana, 65 rue Condorcet, 75009 Paris → Mamiche, 45 Rue Condorcet, 75009 Paris → The French Bastards, 61 Rue Oberkampf, 75011 Paris → Bob’s bake shop, 12 Espl. Nathalie Sarraute, 75018 Paris


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À GAUCHE : Bottes & Other Stories À DROITE : Sac By Far, Lunettes Emmanuelle Khanh, Carafe Muuto chez Fleux, Bougie 19-60 chez Centre Commercial

Take a seat

Sélection, set design et photos

Paris se quema


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À GAUCHE : Casquette Avnier chez Centre Commercial, Baskets & Other Stories, raquette et balle Ridley’s chez Fleux À DROITE : Banane Rains, Lunettes Izipizi, Vase The Conran Shop, Sérum Ma Thérapie, Caisse Hay chez Fleux


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le bon goรปt

shopping


Sac Epperson Mountaineering chez Centre Commercial, Carafe et verre Pomax chez Fleux, Vase26 The Conran Shop, Whisky Arran


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CI DESSUS : Imper Rains, Gin Orange Copenhagen Distillery, Boïte à outils Vitra chez The Conran shop À DROITE : Plateau Octaevo, Porte-clé Le Sellier chez Centre Commercial, tasse Pomax chez Fleux, Eau de parfum 19-69 chez Centre Commercial

le bon goût

shopping


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eat & explore

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eat & explore

société

L’Abeille, contre vents et marées noires

Texte et photos Irène

Verlaque

Il y a quelques mois, nous sommes montés à bord de l’Abeille Flandre, un remorqueur de haute-mer qui sillonne la Méditerranée pour assurer la sécurité de ceux qui la traversent, et préserver le littoral de drames écologiques. Récit de dix jours aux côtés de ceux que l’on surnomme les « chasseurs de tempêtes ».


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Tout a commencé sur Youtube. Une vidéo de vagues. Mais pas n’importe lesquelles. Des vagues monstrueuses et envoûtantes, dites scélérates. Des murs d’eau qui jaillissent de nulle part et explosent avec écume et fracas. Passées quelques minutes de fascination, on réalise que cette vidéo de 1998 a été tournée par un homme, depuis un bateau, brassé par ces mêmes vagues. Les marins à l’écran semblent étonnamment calmes. En prêtant plus attention à la voix-off, on apprend que l’homme derrière la caméra est à bord de l’Abeille Flandre, un remorqueur de haute-mer, alors basé à Brest, en mer d’Iroise. Sa mission : sortir quand les autres marins s’empressent de rentrer au port et rester aux aguets, pour éviter les catastrophes écologiques et sauver les éventuelles têtes de pioche piégées par des flots déchaînés. Après avoir regardé ce documentaire de Hervé Hamon, les questions ont afflué. Qu’est-ce qui motive des individus à se mettre dans pareil guêpier ? Leur arrive-t-il d’avoir la frousse ? À quoi ressemble leur quotidien à bord ? Et c’est ainsi que, mue par la curiosité, une journaliste qui a une peur panique de la mer et un mal des transports légendaire s’est retrouvée quelques mois plus tard à bord de l’Abeille Flandre. Ce matin de mars, en contrebas des collines corses, le petit port de Saint-Florent est désert. Le moteur d’un zodiaque vient troubler le silence. À son bord, le commandant Frédéric Denis et le lieutenant Thomas font signe du bras, puis nous tendent un casque et un gilet de sauvetage. Ils n’ont pas l’air de marins bourrus contrariés par la présence d’une femme à bord. Ils ont même l’air sympa. On s’assoit nonchalamment sur un boudin, l’embarcation accélère, et on comprend fissa qu’il va

eat & explore

société

falloir se tenir fermement au cordage. Le ventre du bateau rebondit sur les vagues, et ça la ficherait mal de tomber à l’eau avant même d’avoir embarqué sur le « vrai bateau », qui est au coffre, c’est-à-dire accroché à une grosse bouée à l’extérieur du port. Vu des flots, il semble gigantesque. Peinte d’un élégant bleu sombre, striée de bandes bleu-blanc-rouge, sa coque mesure 63 mètres de long, et presque 15 de large. Le monstre d’acier a vu le jour en 1978, sur le chantier d’Ulstein, en Norvège. Cette même année, l’Amoco Cadiz, un supertanker libérien, coulait en bordure des côtes bretonnes, libérant 227 000 tonnes de pétrole. À l’époque, aucun des remorqueurs affectés à cette zone ne fut en mesure d’enrayer ce qui s’est avéré l’une des pires marées noires de l’histoire. Pour éviter qu’une telle catastrophe ne se reproduise, la Marine Nationale s’est rapprochée de la société Abeilles International et a affrété deux navires pour protéger le littoral. Pendant 25 ans, la Flandre fut basée à Brest. Elle est intervenue sur le naufrage de l’Erika, en 1999, puis du chimiquier Levoli Sun en 2000, et a veillé sur le rail d’Ouessant, l’une des routes maritimes les plus empruntées au monde. En 2005, l’Abeille Bourbon est arrivée à Brest, et l’Abeille Flandre est partie assurer la sécurité en mer Méditerranée. Une fois à bord, un marin nous entraîne dans un dédale de coursives jusqu’à notre cabine, située sur le pont des officiers. On découvre que l’Abeille abrite treize mille chevaux et seulement douze marins, divisés en deux groupes. D’un côté, les officiers, de l’autre l’équipage. Ils travaillent ensemble, dans une bonne ambiance manifeste, mais dorment à des étages différents, et ont chacun leur salle à manger et leur salon.


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Une organisation hiérarchique un tantinet désuète, qui présente toutefois l’avantage de pouvoir relâcher les soupapes sans se coltiner ses chefs, et vice-versa. On jette un œil curieux au salon des officiers, en bois verni, et aux cadres qui ornent les murs, à l’instar d’une superbe carte des naufrages qui répertorie les accidents des siècles derniers (humour marin ?). Chaque jour, à midi, puis à 19h, les gourmands affluent dans la cuisine. On sort les assiettes, le sel, le poivre et « les graines du Commandant ». Car le Commandant est végétarien, milite pour le bio et aime saupoudrer ses plats de graines de courge et de gomasio. La quarantaine, Frédéric Denis n’a rien d’un capitaine Haddock, et déjoue tous les clichés liés à son métier. Ravis de déguster leurs burgers et frites maison, le commandant, le second capitaine Cyrille, le chef mécanicien Pierre et le lieutenant Thomas discutent, entre deux bouchées, de la « nav » du lendemain, autour du Cap Corse. Lorsque le calendrier et les conditions météorologiques le permettent, l’Abeille Flandre effectue des rondes, une façon de veiller sur le littoral et de montrer l’action de l’État en mer. Initialement, ce reportage qui débutait en Corse devait se conclure à Toulon, trois jours plus tard. En raison d’une météo capricieuse, nous sommes restés dix jours dans les eaux corses, prêts à agir en cas d’accident. Il y a eu des traversées plus ou moins mouvementées et des exercices d’entraînement, mais aucune intervention d’urgence. Si les sauvetages en pleine tempête sont la vitrine des Abeilles, ils ne sont qu’un aspect d’un métier complexe. Mener à bien une intervention nécessite une acuité intellectuelle et physique constante. Cela demande aussi un entretien du bateau de chaque instant, du nettoyage

aux peintures, en passant par la réparation de pièces parfois aussi vieilles que le navire quadragénaire. En alerte permanente, l’Abeille Flandre doit appareiller en seulement 40 minutes. Une prouesse compte tenu de sa taille. Le quatrième jour, le Commandant met le cap sur Ajaccio, où l’on prévoit du gros temps. Puisqu’elle s’annonce mouvementée, la navigation se fera de nuit, pour préserver l’équipe. Il est 21h, et la passerelle est plongée dans le calme et l’obscurité. « Paradoxalement, se mettre dans le noir permet de mieux voir » explique Frédéric Denis. Il porte une frontale rouge, qui ne dilate pas les pupilles et permet de voir distinctement son tableau de bord. Alors que les nouveaux navires sont bourrés d’électronique, la Flandre a une ribambelle de boutons multicolores à pousser, de leviers à actionner et un baromètre en papier, comme dans le Titanic (on imagine). Assis sur un siège de cuir noir, surplombé par un Saint-Bernard en peluche suspendu au plafond (leur mascotte), Frédéric Denis dégage une force tranquille et une douceur inattendue, compte tenu de son poste. Le Breton a rejoint les Abeilles à 25 ans. Lorsqu’on évoque les récits de sauvetages spectaculaires, ses sourcils se froncent. Le métier ne repose pas tant sur l’héroïsme que sur l’entraînement, la vigilance extrême et une équipe soudée. Quand on lui demande s’il lui arrive d’avoir peur, il secoue la tête de gauche à droite. « On est en pleine confiance à bord de l’Abeille, car c’est une coque marine très solide, mais parfois on peut prendre très cher. Au finish, il faut intégrer qu’entre la machine et la mer, la machine ne gagnera pas. » L’homme a sillonné les eaux du globe et évoque la mission écologique des Abeilles avec allant.


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« Depuis la passerelle, 15 mètres au-dessus du pont, la proue du bateau se soulève en rythme, à la manière d’un cheval lancé au galop. »


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Sensible à la beauté de l’environnement, il sait la nécessité de le préserver et déplore la course au gigantisme. Alors que les vagues se font de plus en plus fortes, on laisse le Commandant finir son quart, et on regagne notre cabine dans laquelle la moitié de nos affaires, mal attachées, sont éparpillées au sol. L’arrivée à Ajaccio se fait au petit matin, l’estomac un peu éprouvé. C’est là que l’attente débute. Elle fait partie intégrante du quotidien de ces marins qui sont en mer depuis déjà cinq semaines, et ignorent quand ils retrouveront leurs proches. Le bateau n’est pas un lieu de travail comme les autres puisque c’est aussi un lieu de vie. Et un huis clos sur l’eau. Pendant leur temps libre certains font du sport, d’autres lisent, matent des séries ou fabriquent des filets de pêche dans leur cabine. Une dernière habitude héritée du temps où certains étaient pêcheurs, avant de rejoindre les Abeilles, usés par des conditions de travail difficiles. Pendant des jours, la météo est incertaine. Chacun vaque à ses occupations dans un calme résigné. Un après-midi, une partie de l’équipage se rejoint dans le salon aux murs de bois clair, ornés d’une cible de fléchettes et d’un calendrier de pin-ups. Installés devant Les Lyonnais d’Olivier Marchal, ils parlent de leur programme une fois qu’ils seront « à terre ». L’un se réjouit de retrouver ses mômes, un autre profitera de ses congés pour poursuivre les travaux de sa nouvelle maison, et un troisième a hâte de faire la fête. Ils ont en moyenne 35 ans, ont grandi sur les bateaux et si la vie à bord peut être dure, ils n’y renonceraient pour rien au monde. Les vents ont fini par faiblir le vendredi, et le Commandant a décidé de rentrer

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société

au port de Toulon. Une fois de plus, nous ferons route en fin de journée. Après le déjeuner, les marins ont entrepris de bloquer tous les tiroirs, d’attacher les frigos, les chaises et tout ce qui pouvait l’être, pour éviter que le mobiliser ne valse à la moindre vague. Le cuisinier, sujet au mal de mer, a laissé de quoi manger au frais. Il passera la soirée allongé, seul moyen de lutter contre la nausée lorsque le bateau se transforme en tambour de machine à laver. Comme lui, beaucoup ont sauté le dîner. Au niveau des îles Sanguinaires, la houle était très courte et bien creusée. La mer, très forte, a atteint le niveau 6, sur une échelle de 9. Depuis la passerelle, 15 mètres au-dessus du pont, la proue du bateau se soulève en rythme, à la manière d’un cheval lancé au galop. On sent toute la puissance du navire, qui craque à chaque fois qu’il prend une vague de plein fouet. Au bout de quelques heures, la houle grossit, dépasse les six mètres, et nous contraint à regagner notre cabine, en s’agrippant à ces balustrades qui nous faisaient jusqu’alors penser à la décoration d’intérieur d’un EHPAD. Dans la cabine, livres et fauteuils se sont renversés et se fracassent régulièrement contre les murs. On aurait aimé mettre un terme à cette danse endiablée, mais impossible de se lever. Au milieu de la nuit, le bateau ne semble plus se balancer d’avant en arrière, mais de droite à gauche. On manque d’être jeté hors du lit par une grosse vague. Après une nuit presque blanche, nous voilà à Toulon. Les marins cavalent jusqu’à leur voiture avec ce regain d’énergie propre à la perspective des vacances, tandis que l’on regagne la gare en ayant l’impression que les pavés tanguent. Qui diable a dit que la Méditerranée était une mer d’huile ? •


Texte Jordan Moilim Photos The Social Food


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la story

QUAND LE PIMENT R E T N O M T I FA E C U A S A L

Il rend complètement dingue. On lui prête un plaisir qui flirte avec l’extase, des montées de fièvre et d’intenses sueurs. Parfois ravageur, parfois transcendant, les rastafaris le considèrent comme une porte d’entrée vers la spiritualité. Le piment rend dément, littéralement. Pour ses adorateurs comme pour ceux qui ne le supportent pas, manger du piment relève de l’expérience. Tabasco, Sriracha, Oh La La Ça Pique, Ultra Death, Sambal… Ces sauces enflammées ont déjà conquis quelques cœurs et il se pourrait bien que cette vague de chaleur ne soit pas prête de s’arrêter.


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Tout aurait commencé en Bolivie il y a 7 000 ans. Étroitement liées à la gastronomie aztèque, les premières préparations pimentées étaient alors confectionnées à partir d’un mélange de cacao et de piment. Depuis, la sauce pimentée n’a cessé de relever les repas et de s’installer sur les tables de restaurants sous l’impulsion d’ayatollahs du piment, à commencer par Edmund McIlhenny. L’air de rien, il mit au point en 1868 l’une des sauces les plus mythiques de la gastronomie mondiale : le Tabasco. Ce nom aujourd’hui plus que commun est tiré de la variété de piment utilisée par l’entreprise basée en Louisiane. Depuis sa création rien n’a changé : du fruit, du sel, du vinaigre et basta. Force est de constater que la petite bouteille rouge est devenue l’un des totems de la cuisine moderne : comment imaginer un tartare, des œufs brouillés ou encore un Bloody Mary sans quelques gouttes de ce brûlant nectar ? Nicolas Alary – cofondateur d’Holybelly – acquiesce : « À la base, mon palais français n’était pas forcément prêt pour ça, mais j’ai appris à apprécier. J’aime bien ce petit kick. La sauce pimentée est très importante pour les Anglo-saxons, on nous en demande constamment au resto’ et on est super heureux de leur proposer une version française de leur Tabasco. » Et oui, car c’est dans les Yvelines que cette iconique sauce trouvera un écho pour le moins patriotique. Le Piment Français, voilà comment la famille Martin a baptisé sa propre préparation pimentée. Bien décidés à ne pas se laisser impressionner par l’immensité des marchés étasuniens, asiatiques, ou encore latino-américains, cette joyeuse bande a entrepris de faire sa sauce de manière artisanale, histoire d’enflammer quelques palais parisiens depuis leur petit atelier de Viroflay. Mieux équipés que Walter White

dans Breaking Bad, on les retrouve durant la fabrication de « Mistral », la version sudiste de leur sauce. L’équipe source ses piments du côté d’Agen, ils sont petits, bien rouges et ont l’air franchement mesquins même si Jean-Baptiste l’assure « ceux-là sont plutôt mignons ». Une fois hachés, les piments macèrent quelques mois avant d’être mélangés au romarin et à l’ail, puis réduits afin d’obtenir cette mixture d’un orange qui tire vers le tango. Une sauce redoutable bien que « faiblement » notée à 4/12 selon la famille Martin. Et la notation, c’est crucial pour tout bon puriste, à commencer par Wilbur Scoville. Ce pharmacologue décida de pimenter sa vie en 1912 en créant un classement des plus puissants piments. L’outil de mesure ? La capsaïcine, qui n’est rien d’autre que le doux nom de la molécule à l’origine du feu ressenti. Il s’avère que dans le haut du classement : le Pepper X est noté à 3 180 00 unités (à peine moins qu’une bombe au poivre), rien à voir avec le petit 2500 du Tabasco. Difficile de parler de sauce pimentée sans évoquer le fabuleux destin de David Tran. En 1975, il mijote ses premières sauces au Vietnam alors baptisées Pepper Sa-Te. Cherchant à fuir le communisme, M.Tran se réfugie aux U.S mais n’abandonne pas pour autant son goût pour la sauce, et pas n’importe laquelle. Grand coq dessiné, capuchon vert, sauce rouge vermillon, on parle de bien de la légendaire Sriracha. Elle tire son nom de Si Racha, ville côtière thaïlandaise à proximité de Bangkok et représente dans l’imaginaire collectif l’incarnation même de ce qu’est une sauce piquante. On la trouve à la table de tous les bouis-bouis parisiens, elle fait partie du décor au même titre que la porcelaine chinoise et la statue de Bouddha sur


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eat & explore

la story

« Dans ma famille on a toujours mangé très pimenté. C’était le défi auprès des frères et sœurs, manger du piment sans pleurer, serrer les dents, impressionner. »

le comptoir. David Tran le confesse : « On cherchait à retrouver le goût de la sauce piquante vietnamienne. On n’avait pas vraiment de plan, on a simplement acheté des piments frais et on a fait des sauces. » Huit ingrédients, une recette traduite en cinq langues, un seul secret : des piment très frais. Elle se marie avec tout et participe largement à la confusion des genres lorsqu’on évoque le paysage culinaire asiatique : que ce soit avec un porc tonkatsu japonais, des banh xeo vietnamiennes ou encore des jiaozi chinois, la Sriracha s’adapte, se marie, réveille et cajole à peu près tout. Le hic, c’est qu’il n’y a pas besoin de l’appli Yuka pour comprendre que tout n’est pas forcément sain dans ces gros bidons de sauce rouge dont on badigeonne allègrement le moindre plat à déguster avec des baguettes. Fort heureusement pour les tarés du piment, un couple de brillants touche-à-tout se sont mis en tête de cuisiner la sauce comme personne. Shirley Garrier et Matthieu Zouhairi se sont rencontrés à 14 ans, du côté de Perpignan. Rapidement ils sont tombés d’amour, d’abord l’un pour l’autre, puis pour les voyages, la bouffe et évidemment… le piment.

Ensemble, ils ont fondé The Social Food, nom un peu trouvé par hasard il y a quelques années mais qui prend désormais tout son sens tant le duo multiplie les expériences humaines auprès de restaurateurs, clients, et pas mal de gourmets qui suivent assidûment leurs pérégrinations culinaires. La cuisine c’est du sérieux, surtout avec une maman vietnamienne confie Shirley « Chez nous, c’est une affaire de transmission, toutes les femmes de la famille cuisinent. J’étais le petit commis, j’épluchais l’ail, l’oignon et j’apprenais en regardant. »  Et le piment dans tout ça ? « Dans ma famille on a toujours mangé très pimenté. C’était le défi auprès des frères et sœurs, manger du piment sans pleurer, serrer les dents, impressionner. » Cela participe à la fascination autour du piment, en manger sans sourciller face à une audience désireuse de vous voir craquer. Il faut dire que les palais français n’étant pas accoutumés au feu sacré, il arrive souvent que les néophytes aient les yeux ronds comme des billes en voyant les amateurs ingurgiter de sacrées doses de sauce pimentée. D’ailleurs pour complètement intégrer la famille de Shirley, Matthieu a également eu droit à son baptême du feu :


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« Ma mère fait un plat viet’ qui s’appelle le mam tom. Ce sont des crevettes fermentées et franchement, ça pue. Alors pour masquer l’odeur elle blinde d’ail et de piment et c’est le passage obligé. S’il y arrive, c’est que c’est un homme. » À les voir aujourd’hui, on suppose qu’il ne s’en est pas mal sorti à l’époque. La véritable révélation s’est produite lors d’un voyage aux Bahamas. Le duo prend le bateau pour rejoindre une île et il s’avère que le conducteur leur offre une bouteille de sa propre production de sauce pimentée. La Chat and Chill, avec sa trombine apposée sur la bouteille. « Là, on a pris une grosse claque en goûtant ça. On a découvert le goût de l’habanero jaune et orange, c’était complexe, fruité. Il faisait mariner son piment avec de l’huile, du gingembre, des oignons… J’ai pleuré lorsqu’on a terminé la bouteille ». À partir de là se lance une quête sans fin à la recherche de la sauce parfaite afin de combler la frustration provoquée par ce souvenir enflammé. Alors oui, il y a quelques petits lots de consolation comme la fameuse Oh la la… Ça pique !, sorte de pâte de piments antillaise pimpée au combava (variété de citron, ndlr) que l’on trouve dans toutes les épiceries asiatiques de Belleville, mais force est de constater que le marché français de la sauce pimentée est quasiment inexistant. Ils décident alors de mettre la main à la pâte, et se lancent le week-end dans la confection de sauce pimentée maison « On ne voulait pas refaire des sauces très communes comme aux U.S, c’est à dire tomatées et rouges, ni des sauces barbecue un peu relevées, on voulait vraiment avoir un aspect fruité dans nos sauces. Le piment donne du goût, ça n’est pas juste fait pour arracher. » Évidemment, autour d’eux, tout le monde trouve leurs sauces trop fortes, excepté le chef mexicain d’El Nopal, Emmanuel Peña, qui

fait assurément partie de la clique des adorateurs. Peu à peu, le bruit court que le duo qui excelle dans à peu près tout ce qu’il entreprend commence à potasser une histoire de sauce pimentée et ils se retrouvent rapidement sur les étals du Food Court des Galeries Lafayette. « On a créé la Poire de Feu. C’était du travail car on a dû faire une dizaine de tests avant d’arriver à la recette idéale selon nous, de la poire, du piment habanero jaune, du vinaigre de riz… » et c’est effectivement un modèle de sauce pimentée : de l’acidulé, de la rondeur… Ils sont parvenus à concentrer dans cette sauce une sorte de « brûlante fraîcheur » d’une folle complexité aromatique. Forts de ce succès, les deux loustics décident de creuser le filon en lançant Matshi, leur marque de sauce pimentée artisanale, fabriquée à partir de piments en provenance du pays catalan. Sur l’étiquette, un enfant en pleurs lèche allègrement cette brûlante bouteille tandis qu’un petit pompier tente d’éteindre les braises. Allégorie de la dimension masochiste des mangeurs de piment, se faire beaucoup de mal pour y trouver un peu de bien, se faire suer un bon coup, tuer les microbes et repartir purifié de cette expérience pimentée. Pour cette nouvelle recette ce sera kumquat, clémentine, piment scotch bonnet, vinaigre de riz, sel et sucre. Shirley raconte : « Elle fonctionne particulièrement bien avec les fruits de mer, les huîtres, les Saint-Jacques, mais aussi sur les charcuteries pour trancher avec le gras ». Longtemps considérée comme un anesthésiant, la sauce pimentée dépasse aujourd’hui le simple stade d’à-côté culinaire, à l’image de cette divine recette de tiradito (cousin du ceviche, ndlr) de SaintJacques aux kumquats boosté à la sauce Matshi, concoctée par Sylvain Roucayrol, le chef du tout nouveau Mara, rue Saintonge. On a toutes les raisons de penser qu’après le règne du salé, du sucré, de l’acide, de l’amer et même de l’umami, il est enfin temps… de mettre un peu de piquant. •


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« Les palais français n’étant pas accoutumés au feu sacré, il arrive souvent que les néophytes aient les yeux ronds comme des billes en voyant les amateurs ingurgiter de sacrées doses de sauce pimentée. »


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SE TAPER UN POULPE VIVANT Alexandre Stern, un homme de goût Texte Anouchka Crocqfer Illustration Jonathan Blezard

Après avoir sillonné près de 120 pays à la recherche de saveurs d’exception, Alexandre Stern, fin gastronome tombé dans le miel il y a cinq ans, nous livre ses découvertes culinaires les plus folles dans un ouvrage baptisé L’Explorateur du goût publié chez Ducasse Édition. Poisson pénis, poulpe vivant, soupe de chien… De l’aventurier à la Indiana Jones, il n’a ni le chapeau, ni le fouet, mais l’estomac bien accroché, indéniablement. La preuve en récit.


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Tout a commencé non pas dans une rose ou dans un chou, mais dans un pot de miel. À l’intérieur des petits contenants aux allures de diamants polis exposés dans sa boutique à deux pas de la Madeleine, se trouvent de précieux nectars. Récoltés aux quatre coins du monde par Alexandre Stern, ils font tourner la tête d’une poignée de chefs parisiens. Au total, ce sont près de 120 pays que cet épicurien friand de voyage a sillonné à la recherche de saveurs d’exception. Ne rechignant devant aucune curiosité culinaire qu’il lui a été donné de goûter, le grand brun au brushing impeccable se raconte dans L’Explorateur du goût. En guise d’amusebouche, on s’envole pour l’Asie direction Séoul sur le plus vieux marché de la ville connu de tout foodie qui se respecte : le Gangjang Market. « Pour comprendre les habitudes culinaires d’un pays, je démarre toujours par ses marchés et ses petits commerces de rue, » explique-t-il en montrant sa zone géographique sur la carte de son application mobile maps.me noircie de petits points rouges et verts. « J’aime bien pointer tous les endroits où je suis allé. Sa fonction hors ligne sauve des vie parfois ». Malin, même si on est presque déçu de ne pas avoir sous les yeux une mappemonde version papier usée de trop avoir été mal repliée. « S’il y a la queue devant les échoppes, c’est généralement bon signe ». Ça, tu l’as dit bouffi. Sur l’étal de sa première escale gastronomique, des aquariums où barbotent de drôles de petites créatures marines ressemblant fortement à des… pénis. « Je n’avais aucune idée de ce que j’allais manger. Était-ce une plante, un animal aquatique. Je le pointe du doigt pour qu’on me le serve. La personne plonge sa main dans l’eau pour attraper ce qui était en fait un gaebul aux prétendues vertues aphrodisiaques,

que l’on appelle aussi poisson pénis ». Côté texture, une fois passé au wok, « on est proche du coquillage. Ferme et croquant » continue-t-il. On en a presque les papilles qui frétillent. S’il peut se targuer d’avoir sillonné les deux Corée, et de s’être envoyé — amis des bêtes s’abstenir — une soupe de chien, que l’on voit parfois rôtir entier en broche, ou servi façon steak frites en plat du jour… Son fait d’arme reste tout de même le sannakji. Ou plutôt sa version badass. Pour ceux qui ne connaissent pas ce met traditionnel dont la dégustation a donné lieu à des vidéos horrifiantes devenues virales dans le monde merveilleux de l’Internet, il s’agit d’une petite pieuvre découpée vivante juste avant d’être servie en tartare ou en salade. « Imaginez vous, les tentacules continuant à s’agiter dans votre assiette, mais aussi dans la bouche », dit-il en rigolant. Jouant dans la cour des grands, Alexandre ne s’est pas contenté de ces morceaux riquiquis se trémoussant dans leur huile de sésame ou leur sauce gochujang. Cette pieuvre, il l’a gobée en entier. « C’est la première fois que je mangeais quelque chose qui bouge encore. C’est gluant, gélatineux, les mouvements de succions continuent. En les avalant, certaines tentacules peuvent s’accrocher dans la gorge, et on ne peut plus respirer ». Chaque année, en moyenne six Coréens meurent étouffés par un tentacule. Mais pour lui, braver la mort par amour du goût ça n’a pas de prix. « On a plus de chance de mourir écrasé par une voiture dans les rues de Séoul qu’en mangeant des pieuvres » ironise-t-il. Dans son livre, il est d’ailleurs question d’un autre plat à tomber (raide) par terre, le fugu.


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« C’est la première fois que je mangeais quelque chose qui bouge encore. C’est gluant, gélatineux, les mouvements de succions continuent. En les avalant, certaines tentacules peuvent s’accrocher dans la gorge, et on ne peut plus respirer. »

Pour la petite histoire, le poison contenu dans les organes internes de ce poisson que seul l’empereur du Japon ne peut consommer, peut provoquer l’asphyxie s’il n’est pas cuisiné dans les règles de l’art. Uniquement servi aux tablées de chefs détenteurs d’un brevet spécifique, son prix peut atteindre plusieurs centaines d’euros. Soupe de chauve-souris, viande de serpent, insectes en tout genre crus comme séchés, « objectivement, que l’on croque dans un criquet ou une crevette n’a pas de grande différence. C’est là qu’on s’aperçoit que la cuisine est quelque chose de fondamentalement culturel. La première fois vous n’êtes pas à l’aise car vous n’avez pas l’habitude. Il faut savoir dépasser cette barrière ». De son tour du monde des saveurs en 120 pays, notre Jules Verne de la gastronomie n’a réuni dans son livre — de 635 pages — que les aliments ayant un intérêt gustatif à ses yeux. « L’étoile de mer frite communément consommée sur le marché en Chine par

exemple n’est pas un snack très exaltant, ce n’est que du cartilage, autant manger des chips ». D’autres relèvent simplement de l’expérience comme l’ayahuasca qu’il a hésité à intégrer au bouquin. « C’est une boisson préparée à partir de lianes tropicales contenant une substance psychédélique consommée pendant des rites en présence d’un chaman. Une fois monté, on met au moins six heures à redescendre ». Un trip d’un autre genre en somme qu’il serait tenté d’essayer lors d’un prochain voyage au Pérou confie-t-il avant de conclure sur ces mots en fervent patriote. « À mon sens, quatre cultures culinaires sont allées sur une certaine forme d’excellence, le Japon, la Chine, l’Italie et la France. Il y a une diversité de terroirs incroyable chez nous qui pourrait se résumer au vin et au fromage ». Cocorico ! • → L’Explorateur du goût, tout ce qu’il faut avoir goûté une fois dans sa vie — par Alexandre Stern — Ducasse Édition, 635 pages — 28 €


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Texte Déborah Pham Photos Tiphaine Caro

Rendez-vous à Ivry-sur-Seine au bout de la ligne 7 du métro parisien où, derrière une large porte, se cache Le Lavoir, un atelier d’artistes déployé sur près de 600 mètres carrés. C’est ici que nous avons rencontré les deux fondateurs de l’Atelier ST, Inès Sahli et Pierre Tatin qui ont choisi de dédier leur vie au vitrail, un artisanat qui, même s’il peut paraître suranné est résolument tourné vers le futur.


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Définir les rôles Le verre crisse au contact du tungstène en émettant des vibrations, Pierre dessine une courbe sur la matière, retourne son outil d’un geste et tape le verre par à-coups, les morceaux se séparent, « Et voilà. Comme tu peux le voir on ne coupe pas le verre, on le raye. La matière est en tension et suit une ligne. Autrefois la partie coupante de ces outils était en diamant ; pour des raisons évidentes, on utilise désormais du tungstène. » Les échantillons sont alignés les uns à côté des autres sur un rectangle en feutre gris. On croit percevoir des jaunes, des gris, des bleus. Difficile à dire, le verre révèle sa véritable couleur à la lumière. À côté, une équerre, des clous, une pince à gruger pour broyer le verre si on dépasse de la forme initiale et un petit marteau. Sur la table d’Inès, le puzzle de son vitrail prend forme, elle se souvient : « J’ai découvert le verre et je suis tombée amoureuse de la matière, de ce qu’on pouvait faire avec, de sa solidité et sa fragilité. J’ai toujours été passionnée d’histoire et tout se retrouvait dans la discipline du vitrail, je me suis dit que j’étais où je devais être. Je travaillais dans la mode auparavant et j’avais déjà une réflexion sur le corps perçu, non perçu, les jeux de transparence… Avec le vitrail, je changeais de propos et de medium mais j’avais les mêmes intentions. » Pierre est le maquettiste de l’atelier, chacun a commencé à travailler sur ce qui le mettait à l’aise, Inès raconte : « L’avantage c’est qu’on a tous les deux une formation de vitrail donc on connaît chacun les différentes étapes, la force de notre association est que nous sommes complémentaires. Pierre a un grand talent de dessinateur et c’est naturellement

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qu’il s’est tourné vers la partie maquette, le dessin, la peinture sur verre, faire les patrons et le calibrage, la préparation des vitraux… J’interviens sur l’aspect plus technique avec la découpe du verre, monter et mastiquer les vitraux. Pour m’exprimer, je passe par des biais techniques plutôt que la peinture. Généralement on s’occupe de la pose ensemble. Notre force étant que nous avons chacun des domaines d’intérêt et de plaisir différents qui composent le métier de vitrailliste. Dessiner ou peindre ne sont pas mes parties favorites, je n’ai ni la patience ni le talent bien que j’aime y réfléchir avec lui en amont et traduire l’idée du client en vitrail. On trouve l’équilibre en gardant chacun ce que l’on aime faire. Monter 24 panneaux ça ne me dérange pas, bien au contraire j’adore ça. Je pourrais monter cent fois le même. » Justement, Inès est en montage dans une autre pièce et travaille sur un vitrail qui sera installé à la Chapelle de Montmagny dans le 95. La baie était en mauvais état, le verre était cassé par endroits, restauré à la va-vite au papier calque coloré au feutre, Inès raconte : « On voit parfois des choses comme ça, les paroissiens font comme ils peuvent. » Les verres tiennent les uns aux autres grâce aux tiges de plomb encore souples. À l’aide d’une spatule, elle rabat le plomb sur le verre en repassant soigneusement de chaque côté, cela s’appelle sertir les vitraux, les plombs seront soudés aux intersections. À bien regarder, on se rend compte que la texture du verre n’est pas lisse : « Il peut y avoir ce genre de texture si à la cuisson une bulle éclate, ce n’est pas pour autant un défaut, ça crée des vibrations, des choses pas contrôlées et donc intéressantes.


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Il y a plein de textures différentes dans le verre, elles sont subtiles et ne se voient pas mais on dit souvent que quand ça ne se voit pas, c’est que c’est bien fait. Typiquement, l’Art Déco c’est essentiellement des verres blancs assez fins avec des textures très différentes créant une dynamique. Au moment du soufflage, on utilise des rouleaux d’impression quand le verre est encore un peu mou, en température de fusion. On y imprime des motifs ou des textures. » Malgré quelques évolutions notables, le métier reste figé dans un autre temps : « Il y a eu des progrès techniques, pour l’essentiel on s’est demandé comment retirer le plomb pour protéger les artisans puisque c’est dangereux. Toutefois le métier est resté archaïque avec des méthodes moyenâgeuses qui ont fait leurs preuves. J’aime aussi cet aspect traditionnel de prendre soin de mes outils et de les entretenir. Par ailleurs, le métier a tout de même évolué avec l’impression sur verre, on peut observer cette technique sur la Cathédrale de Strasbourg ou celle de Tours. » De même en peinture, les méthodes ont très peu évolué et tout est fait à la main, Pierre ajoute : « Il existe des techniques d’impression sur verre mais on ne sait pas vraiment combien de temps ça dure, on peut aussi faire de la sérigraphie ce qui reste artisanal. » L’ordinateur sera utile essentiellement au stade de la maquette pour gagner du temps. Entre création et restauration « Mes amis étaient surpris quand je leur parlais de mon métier mais depuis qu’ils visualisent ce que ce que nous faisons, ils remarquent des vitraux partout, » raconte Inès. Et pour cause, au-delà des églises et des chapelles, il suffit de lever le nez pour se

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rendre compte que les vitraux se nichent dans les cages d’escaliers anciennes, les bow-windows, les brasseries et autres bâtiments publics. Si l’église est sans conteste le berceau du vitrail, ce dernier s’invite volontiers chez les particuliers : « Pour notre premier projet, nous avions une commande d’un couple qui souhaitait un vitrail s’inspirant du travail de l’architecte américain Frank Lloyd Wright qui a réalisé beaucoup de vitraux dans un style plutôt Art Déco, » se rappelle-t-elle. La création comme pour tout artisanat reste l’espace de liberté le plus attrayant donnant plus de place à l’artiste et à son imagination, notamment pour tenter de pousser la matière dans ses retranchements : « Une personne qui ne connaît pas ce métier n’a aucune idée de ce que l’on peut faire, de ce qu’on peut expérimenter. J’aimerais qu’on puisse se dégager du temps pour montrer aux gens jusqu’où on peut aller. Techniquement on connaît les verres et leurs spécificités, il y en a qu’on peut graver, d’autres ont deux couleurs, certains sont opaques. On aimerait aller plus loin dans la taille des verres. Il y a des fragilités dues à la matière que l’on connaît mais on peut réfléchir, expérimenter, enlever le plomb du verre, superposer des couleurs… Toutes ces réflexions nous mènent vers des choses plus modernes. Si ça se trouve, ça sera nul, et ça n’intéressera personne mais c’est maintenant qu’on doit essayer. Je pense qu’on est resté coincé à une époque, on a arrêté d’évoluer et on le voit avec l’Art Déco, c’est un style qu’on nous demande régulièrement et en faire en 2020 je ne trouve pas ça pertinent, » regrette Inès. Pierre ajoute : « Notre atelier vient d’avoir un an, on se rend bien compte que c’est la restauration qui nous fait vivre et notre capacité à nous adapter,


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à être tout-terrain est primordiale. On ne pourrait pas avoir un atelier qui ne fasse que de l’Art Nouveau, c’est déjà assez compliqué comme ça d’avoir des commandes… Il faut pouvoir s’adapter très vite à un style demandé. Les gens pensent que c’est simple et que c’est juste de la géométrie avec des formes qui s’emboîtent les unes aux autres, en fait c’est très compliqué à mettre en page, l’Art Déco. Il arrive que des artisans ouvrent le bouquin Taschen concerné, et prennent un peu tout ce qu’il y a pour en faire une sorte de patchwork alors que ce n’est pas du tout ça, il y a beaucoup de composition. Il faut réussir à comprendre comment un style a évolué et pouvoir le réinterpréter. C’est aussi ça la qualité d’un maquettiste. Finalement quand tu copies, tu décales tout, ça ne ressemble plus à rien à la fin et il ne vit pas, le style n’a pas été compris. » La tendance générale se dirige essentiellement vers ces styles abstraits : « J’aime tout ce qui est figuratif mais les vitraux le sont de moins en moins et au-delà d’une mode je dirais que c’est par stratégie, ce qu’il y a de plus cher dans le vitrail c’est la peinture, car c’est long. Tous les panneaux 19è que l’on peut voir dans les églises seraient quasiment invendables. Il faudrait vendre ça 50 000 euros pièce au vu du temps de travail. J’aime que ce soit léché en peinture et en même temps il faut être malin et réussir à trouver des compositions et des manières de peindre qui soient plus rapides, faciles à monter et surtout qui soient graphiques. Il faut que le panneau et se tienne. » Justement, Pierre était autrefois graphiste dans une agence de pub et se retrouve manifestement dans ce métier: « Pendant des jours on coupe du verre, on comprend comment les morceaux s’imbriquent les uns avec les autres, que le processus est constitué

de plein d’étapes qui nous approchent plus de la finalité : lever le vitrail à la lumière et là, la magie opère. En tout cas, c’est autre chose que de dessiner des pots de yaourt pour Nestlé. » La place du sacré dans le vitrail La plus grande partie du travail du vitrailliste aujourd’hui encore consiste à restaurer les vitraux d’églises à travers la France. Entretenir et respecter le patrimoine en travaillant comme on le faisait jadis, garder la noblesse de ce savoir-faire tout en travaillant dans la continuité d’un autre artisan : « Ces projets me plaisent particulièrement et on ne manque pas de vitraux en France, on a 60 % du patrimoine mondial. On entre dans une église et on a l’impression de faire un truc qui va servir, j’ai l’impression d’être utile. Finalement, beaucoup de monde va dans les églises, les églises c’est une manière de placer un musée dans quasiment chaque ville de France. Toutes se mettent à fonctionner sur ce principe-là, comment faire vivre une ribambelle de petits villages, si ce n’est en faisant venir visiter les églises. Je ne vais pas changer le monde, effectivement c’est un sujet de réflexion, et puisque de toute manière on n’est pas parti pour relancer le catholicisme en France je pense qu’au moins relancer les églises en les restaurant c’est une bonne chose, on peut s’accorder sur le fait que les églises ont une valeur patrimoniale si ce n’est religieuse. De toute manière aujourd’hui, quand on est amené à faire des vitraux religieux, on a moins tendance à mettre la tête de Jésus mais plutôt à travailler sur des jeux de lumière pour essayer d’évoquer une représentation du sacré, » explique Pierre. Inès enchérit : « Il y a de la place pour tout le monde, je respecte énormément l’art religieux que ce soit le vitrail, la mosaïque, la peinture.


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« Au-delà des églises et des chapelles, il suffit de lever le nez pour se rendre compte que les vitraux se nichent dans les cages d’escaliers anciennes, les bow-windows, les brasseries et autres bâtiments publics. »

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Le religieux a nourri des chefs-d’œuvre et on ne peut pas le renier, c’est un thème qui existe de moins en moins mais qui a nourri toutes sortes de créations. L’église a toujours été le berceau du vitrail, il en est sorti pour arriver dans les bâtiments publics. » À titre d’exemple, le binôme installera prochainement leurs vitraux restaurés à la Chapelle de Montmagny. L’espace a été réhabilité en salle polyvalente pour les habitants. Si les vitraux s’inspirent essentiellement de thèmes catholiques, on trouve dans les vitraux du 13ème siècle énormément de symbolique sur les métiers et la vie des artisans qui travaillaient à la construction de l’église. Dans la plupart des ateliers, les artisans collaborent de plus en plus avec les artistes extérieurs pour répondre à des projets. Parfois détachés du poids sacré de la discipline du vitrail, certains artistes s’appliquent à créer des œuvres qui dénotent avec le style originel : « Quand on travaille dans une église, il faut le garder en tête, je trouve ça important. Je pense qu’il y a pas mal d’artistes qui ne sont pas particulièrement passionnés par l’idée de faire du vitrail en se consacrant au côté sacré de la chose, ils trouvent ça plus marrant d’essayer de caler un détail pour en faire une création presque hérétique, ou faire des trucs complètement iconoclastes. Traditionnellement, les vitraillistes s’amusaient à cacher des éléments personnels dans les peintures comme les artisans qui bâtissaient des églises et mettaient leur tronche en gargouille. » Si le vitrail reste résolument campé dans ses églises, ces dernières se métamorphosent et changent de fonction, elles deviennent des lieux de rencontres et de culture. Peu à peu, le vitrail s’invite dans nos maisons, revient dans les hôtels, les cafés et les restaurants.

Reste à savoir comment le réinventer, « Tous les jours on essaye de penser à des manières fonctionnelles de le faire sortir de l’église, à la limite le plus compliqué avec le vitrail c’est réussir à le rendre fonctionnel, il n’a pas de fonction première si ce n’est faire passer la lumière. C’est pas une lampe, c’est pas une table, c’est un des artisanats d’art le moins fonctionnel. On peut essayer de se réinventer chaque jour dans ce milieu hyper codifié, souvent phagocyté par des ateliers qui sont sur le marché depuis plusieurs générations et travaillent un vitrail plus classique. On peut montrer ce qu’on peut faire, dans un genre différent. Actuellement on travaille avec des architectes : créer des émulations avec d’autres artisans c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui, bosser avec des métalliers, des menuisiers… Un vitrail c’est des morceaux de verre qui tiennent entre eux mais on pourrait les imaginer tenir entre eux grâce à du tissu, rien ne l’empêche, on peut tout imaginer. C’est ce qui nous anime au quotidien. Construire un vitrail, oui c’est complexe, c’est long, on ne peut pas venir un matin pour repartir avec le soir. Je ne vais pas me plaindre, c’est quand même plus simple de monter un vitrail que de construire une fusée ! Pour certains, la partie complexe c’est la peinture, moi c’est ce que j’aime. Malgré tout j’ai du mal à me percevoir comme un artiste, à la fin c’est un objet et nous sommes des artisans. On n’a jamais fait d’exposition de nos créations par exemple. Mais quand on se dit que nos vitraux resteront peut-être dans les églises pendant des siècles, on court-circuite une manière d’exposer des œuvres. » réfléchit Pierre. Nul doute que le vitrail a de beaux jours devant lui. • → www.atelier-st.fr


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Plongeurs : les hommes de l’ombre

Texte Déborah Pham Photos Léa Boeglin

Ils viennent d’Inde, du Mali, du Sénégal, du Pakistan, ou encore du Bangladesh et vous ne les voyez presque jamais. En cuisine, ils sont chargés de nettoyer la vaisselle et les casseroles, le sol et les plans de travail. Ils sortent aussi les poubelles et aident la brigade en cuisine. Leur métier est physique, éreintant, routinier et souvent mal payé. Dans le pire des cas, au noir. Pourtant, les plongeurs sont la clé-de-voûte des restaurants, et ce sont les chefs qui le disent.


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Karrim Abdul, qu’il est rare de voir assis Aux deux amis.


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Paris 2012. Pierre Jancou, ouvre les portes de son ancien restaurant Vivant aux journalistes du Fooding pour leur fameuse Toquéra, des recettes filmées par les chefs. Il s’agit de la 161ème recette dévoilée sur le site du guide de restaurants et tandis que la plupart des cuisiniers met en avant leur plat phare, Pierre passe la main à son plongeur Fodié Siby, ainsi qu’à son épouse Tiguidé, « C’est Madame qui cuisine et nous sommes ses assistants. » Ce jour-là, le trio partage une recette de mafé à l’agneau, tout enrobé d’une sauce à la cacahuète, le chef est conquis : « C’est bon, c’est gourmand… Merci beaucoup ! » Pierre se souvient « Fodié était paysan au Mali avant de s’installer en France. J’ai travaillé avec différents plongeurs, toujours très bien intégrés à l’équipe, mais ce n’est pas comme ça partout. De plus, il faut savoir qu’ils vivent presque toujours dans des foyers. » Autrement dit, des centres d’hébergement ayant pour mission d’assurer l’accueil, le logement, l’accompagnement et l’insertion sociale des personnes en difficulté. Ces centres sont gérés par des associations comme la Croix Rouge, le Samu social, l’Armée du Salut, Emmaüs ou encore le Secours Catholique. Jancou poursuit : « D’après mon expérience, tous les plongeurs que j’ai connu envoyaient une partie de leur salaire chez eux et ne gardaient que le strict nécessaire pour survivre. » Dans les restaurants, tout dépend du patron et bien qu’il y ait du progrès, le chef remarque : « Nous sommes quelques-uns à avoir lancé un nouveau mouvement en cuisine à Paris il y a 15 ans. Le sourcing des produits et le lien avec les paysans est devenu primordial. C’est une condition pour ouvrir un restaurant si l’on veut qu’il marche ! Et je ne parle même pas

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du vin nature… Curieusement, les gens reproduisent ce schéma comme une recette, parfois sans penser à l’humain. C’est choquant de voir que l’on cache les plongeurs même dans les restos branchouilles avec des cuisines ouvertes. Pour beaucoup, ça reste un boulot dégradant qu’on ne souhaite pas montrer, comme dans les brasseries classiques où c’est l’usine. » 10 ans de bac à plonge Rendez-vous Aux deux amis, rue Oberkampf dans le 11è arrondissement de Paris, le bistrot de David Loyola qui travaille depuis une dizaine d’années avec son plongeur Karrim Abdul. Originaire de l’Île Maurice, ce dernier a toujours évolué dans la restauration en Métropole : d’abord dans un café puis chez un traiteur où il assurait la préparation de charcuteries et de salades. Karrim a quitté son île il y a plus de 35 ans. Si la destination fait rêver, c’est une toute autre réalité que nous dépeint l’intéressé : « À l’époque c’était la misère chez nous, tous mes amis venaient à Paris pour y trouver du travail car on y gagnait mieux notre vie. Il y avait beaucoup d’entraide et je n’ai jamais été au chômage de ma vie. » Karrim est venu pour un remplacement et n’est jamais parti. Il travaille en coupure (midi et soir avec une pause l’après-midi, ndlr) et occupe le poste de plonge et de commis de cuisine. Il raconte : « Il faut être débrouillard à la plonge, c’est la restauration donc il y a toujours des soucis, des absents ou des clients qui attendent… » En dix ans, il a connu une foule de chefs talentueux parmi lesquels Pierre Touitou et Marc Meya.


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Hamady Sylla en pleine action Ă son poste de plonge.


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Pierre se souvient : « Karrim est incroyable, il a un livre de recettes immense en tête grâce aux différents chefs passés Aux deux amis comme Adriana Seghetta, Svante Forstorp ou Masa Ikuta… Il peut arriver qu’un chef ne sache pas trop quoi faire pour les desserts et Karrim trouve l’idée aussitôt ! » À Marc Meya de surenchérir : « Karrim en a sous la pédale, il a su garder les meilleurs plats. Les cuisiniers arrivent dans ce bistrot avec leur talent, leur créativité et Karrim lisse le tout pour que ça colle au style du resto. Quand j’étais en panne d’inspiration, il trouvait toujours une recette d’un ancien chef qu’il avait adapté à sa sauce. » Karrim en est bien conscient : « Les chefs se succèdent au fil des années et j’assure une continuité. » Ses trois enfants sont nés en France, sa fille de 24 ans travaille dans un cabinet notaire, son fils de 25 ans est comptable et le cadet de 15 ans est encore à l’école. Lorsqu’on lui demande s’il les imagine évoluer dans le milieu de la restauration, Karrim répond : « Mes enfants font ce qu’ils veulent mais je suis content qu’ils soient dans un bureau plutôt que dans une cuisine. Et surtout, je préfère qu’il ne fassent pas mon métier. Plongeur c’est pour les gens qui ne sont pas bons à l’école, ceux qui ne savent pas lire ou écrire. Plus jeune, je n’ai pas fait d’études car j’aidais mon père à la ferme. » Oui et non. Il y a autant de personnes qui ne savent ni lire ni écrire à la plonge que de personnes ayant fui une situation économique ou politique, se trouvant confrontés à un plafond de verre une fois installés en France. On peut être expert-comptable au Bangladesh et devenir plongeur une fois à Paris. On peut être avocat en Syrie et se retrouver à la plonge d’une terrasse huppée. On peut aussi être pudique, voire honteux au point de ne pas vouloir que son nom soit cité dans ce papier.

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À 55 ans, Karrim pense finir sa carrière Aux deux amis car le métier lui plaît, d’ailleurs il ne s’en plaint jamais : « J’ai un patron gentil, je suis bien payé, on mange bien et je peux boire un café quand je veux. C’est un métier qui demande de garder un œil sur ce qu’il se passe, je ne dirais pas que c’est difficile si la santé est bonne. C’est une question d’habitude. Quand j’arrive, le chef ne me laisse jamais avec l’évier plein de vaisselle. Je fais la mise en place pour le midi et le soir, je lave la vaisselle du déjeuner et le chef la met dans la machine, on travaille ensemble même si on ne fait pas le même métier. Pour être un bon plongeur, il faut surtout de l’expérience car chaque cuisine est différente, si quelqu’un arrive sans avoir jamais travaillé à la plonge, ça va être très dur. Il faut être malin, et ne pas s’énerver si un chef laisse cramer quelque chose dans le fond de la casserole… » Un poste central Il n’y a pas plus ouverte que la cuisine de Pierre Touitou, le chef qui a repris les rênes de Vivant où le plongeur officie devant les clients : « Certains pensent que les plongeurs sont en retrait à cause du bruit, mais tout est bruyant dans une cuisine quand on ne sait pas travailler, quand on balance des casseroles et qu’on gueule. Chez nous, on met la musique un peu fort. Toute l’équipe, y compris notre plongeur Shakil Sarker, accueille nos clients avec un « Bonsoir, bienvenue ». Shakil occupe d’ailleurs un poste clé puisqu’il se trouve derrière le comptoir entre Clément Jeannin en charge du service et du vin, et moi côté cuisine. Il sèche les verres d’un côté, nettoie les assiettes de l’autre, et sert aussi de l’eau aux aux clients, tout comme le reste de l’équipe qui officie derrière le comptoir. »


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Pour que les choses changent, encore faudrait-il repenser notre façon d’aborder ce métier, et c’est ce que suggère Iñaki Aizpitarte, chef du restaurant Le Chateaubriand à Paris : « Ce n’est certainement pas un boulot qu’on apprend en trois semaines, je ne sais pas si on l’enseigne en école de cuisine mais on devrait probablement proposer des méthodes aux cuisiniers. La plonge est un poste qui évolue avec les machines, les réglementations et évidemment la surface de la cuisine, mais il faut des bases. » Peu de gens le savent mais sa première incursion en cuisine a été plongeur, vers la fin des années 1990. Parti en voyage à Tel Aviv pour changer d’air, le chef qui était alors paysagiste cherchait un petit boulot pour payer sa semaine en auberge de jeunesse. « La discipline m’intéressait déjà mais j’avais raté le coche des inscriptions, j’avais besoin d’oseille. J’ai sauté sur un boulot de plongeur en deux secondes. Je suis arrivé dans un resto qui servait une cuisine méditerranéenne franco-italienne très personnelle et bon marché. J’y ai fait la plonge pendant un mois, ça m’a paru dix ans. C’était très dur car le patron me faisait tout faire : la verrerie et la batterie de cuisine, sans machine. C’était très intense et il faisait une chaleur à crever. Il fait toujours chaud au poste de plonge. Après cette première expérience, Iñaki a travaillé à Paris, Au Petit Marguery, un restaurant de gros mangeurs où l’on pouvait croiser des personnages comme Gérard Depardieu. Son chef avait sa méthode, les plats étaient servis dans de l’argenterie et le service se faisait au torpilleur (de très grands plats de service, ndlr), une fois terminé, l’équipe empilait la vaisselle sale et un cuisinier s’y collait le lendemain matin :

« Il y a autant de gens qui ne savent pas lire ou écrire à la plonge que de gens ayant fui une situation politique, se trouvant confrontés à un plafond de verre une fois installés en France. » « On arrivait en cuisine à 8h et le chef finissait la plonge de la veille avec sa Gitane Maïs au bec. On faisait des roulements, le patron ne voulait pas de plongeur. C’était une idée à lui, je me suis dit qu’il considérait peut-être que c’était au personnel de la cuisine de le faire. » On ne l’imagine pas lorsqu’on est client mais ce poste est capital à bien des égards et les professionnels s’accordent à le dire : « C’est un vrai boulot d’organisation, ils s’occupent de la propreté de leur poste, de la machine, des poubelles, il y a une grosse charge de travail. C’est un métier technique il faut faire gaffe à ne pas boucher ses éviers, et tout ça en plein coup de feu. Je dirais que les qualités d’un plongeur c’est ça : la rapidité, savoir s’économiser, et s’organiser. Ça ne s’apprend pas comme ça, » explique Iñaki. Tatiana Levha, cheffe du restaurant Le Servan, toujours dans le 11è arrondissement de Paris, ajoute : « C’est un poste super important, si tu travailles avec quelqu’un qui n’y arrive pas, ça te flingue un service. Ce qui est dur c’est que c’est ingrat et physique. Personne ne veut le faire…


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Muna Banya et la cheffe du Servan Tatiana Levha.

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De plus, les choses sont généralement mal pensées autour de la plonge alors que c’est vraiment le nerf de la guerre. » Iñaki continue : « Il y a des cuisines dans lesquelles tu n’as pas de climatisation, tu es entouré d’eau chaude, de produits chimiques agressifs pour les mains… Tu frottes des plats nerveusement, c’est un métier très pénible. » Au Servan, la transition vers des produits d’entretien d’origine naturelle et biodégradable est en cours, on n’y utilise pratiquement plus de produits abrasifs mais il faut frotter un peu plus… Vers plus de reconnaissance Nous avons rencontré plusieurs plongeurs à Paris, les parcours et les horizons sont différents contrairement à leurs expériences convergentes : « On sait qu’il y a des établissements où ça ne se passe pas très bien, on en entend parler et surtout on voit bien qu’en arrivant ils se montrent méfiants, ce n’est pas par hasard, » regrette Tatiana. Le chef du Chateaubriand l’a remarqué : « Il y a des restaurants dans lesquels les cuisiniers se cassent après le service et laissent le plongeur se débrouiller,

« Certes, c’est un boulot que je connaissais mais je n’ai pas eu besoin d’être plongeur pour les considérer. » - Iñaki Aizpitarte

je trouve ça abominable. J’ai du mal à croire qu’il y ait des endroits où les plongeurs sont laissés de côté, ne partagent pas le repas du personnel, ne font pas réellement partie de l’équipe. C’est grave. Lors des récentes grèves, notre plongeur Hamady Sylla dormait chez mon associé Laurent Cabut ou chez moi car il n’y avait pas de transports. Il y a différentes façons de donner une meilleure place au plongeur dans un restaurant : en considérant la difficulté de leur travail, en s’arrangeant avec les vacances car souvent leur famille vit loin… En leur offrant le même pourboire qu’au reste de l’équipe (traditionnellement, le personnel en service empoche le pourboire sans toujours partager avec l’équipe en cuisine ou à la plonge, ndlr). Les mentalités changent et les relations entre l’équipe en cuisine et en salle ont évolué aussi. Au-delà de tout ça, il y a le salaire. Certes, c’est un boulot que je connaissais mais je n’ai pas eu besoin d’être plongeur pour les considérer. » Au Servan, le plongeur historique, Muna Banya, a récemment pris place en cuisine après six ans de plonge. Ce dernier vient du Bangladesh, parle un peu le français mais discute essentiellement en anglais avec l’équipe, « Pendant le service c’est difficile car on parle vite et fort. Je sens qu’il est très stressé mais je le rassure en lui disant qu’il connaît la maison mieux que personne. D’ailleurs il va commencer à former un ami à lui à la plonge cette semaine, » raconte Tatiana. Le chemin est encore long mais l’optimisme demeure, notamment en discutant avec Bertrand Grébaut, chef du restaurant Septime, situé rue de Charonne à Paris : « Un plongeur est arrivé chez nous il y a 8 ans, il est devenu indispensable au fil des années et est passé chef de partie. » Parfois, les plafonds de verre se brisent. •


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Iñaki Aizpitarte et Hamady Sylla devant Le Chateaubriand, sans tablier.

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Family food : Amandine Sepulcre-Huang et Jaimie Stettin Texte Julie Gerbet Photos Pierre Lucet-Penato

Dans la famille d’Amandine Sepulcre-Huang, cheffe du néobistrot des abords du Canal Saint-Martin Early June, on cuisinait beaucoup mais on n’en parlait pas. Six ans après sa reconversion, cette ancienne de Hero, du restaurant Copenhague et de Dersou, a rétabli le dialogue. C’est d’ailleurs avec beaucoup d’aisance qu’elle a abordé ces thèmes de la famille et de la food, tout en cuisinant un plat de mac’ and cheese au gochujang (un condiment fermenté coréen à base de piments rouges) dans l’appartement qu’elle occupe avec sa compagne Jaimie.


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« J’ai commencé à cuisiner tardivement, quand j’ai quitté la maison de mes parents, vers 20 ans. Je n’y prenais pas grand plaisir, c’était vraiment par nécessité, pour me nourrir. C’est lorsque j’ai commencé à recevoir des amis que le plaisir est venu. Ce n’est pas tant la réaction des autres qui me plaisait, mais plus le fait de m’atteler à faire quelque chose pour d’autres personnes, de me concentrer… Mon héritage culinaire – ma mère est sino-réunionnaise, et mon père pied noir du Maroc – a marqué mon éducation des saveurs.

Mon éducation culinaire professionnelle, elle, s’est faite à travers la cuisine coréenne dans le premier restaurant où j’ai travaillé, Hero, avec le chef Haan Palcu-Chang, Canadien d’origine chinoise passionné de nourriture coréenne. Aujourd’hui, quand je cuisine, ces questions d’identité reviennent fortement et tout se mélange. À la maison, au début, avec Jaimie, on cuisinait peu ensemble. Comme c’est mon métier, je n’avais pas envie de m’imposer, de l’embêter avec des automatismes et comme l’espace est petit, je lui laissais la place. Aujourd’hui, on prend plaisir à préparer des repas à quatre mains, même si 80 % du temps, c’est elle qui cuisine ! Chez moi, j’ai cette liberté de ne pas organiser ni de compter. D’aller plus loin, car personne ne regarde. Si je ne cuisinais pas chez moi, ce serait aliénant. Au contraire, j’ai besoin d’équilibrer, de continuer à voir la cuisine comme un truc que j’aime faire pour me nourrir, faire plaisir ou m’amuser et de sentir que ce n’est pas juste un travail. » •

« Chez moi, j’ai cette liberté de ne pas organiser ni de compter. D’aller plus loin, car personne ne regarde. Si je ne cuisinais pas chez moi ce serait aliénant. »


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Mac’ and cheese au gochujang POUR 3/4 PERSONNES ­­̶ 300 g de macaronis ­­̶ 40 g de beurre ­­̶ 40 g de farine ­­̶ 500 ml de lait ­­̶ 2 cuillères à soupe rases de gochujang ­­̶ 200 g de gruyère, dont 20 g à réserver au moment de gratiner ­­̶ 50 g de parmesan ou de pecorino ­­̶ Huile de sésame ­­̶ Un peu de sel et de poivre

Cuire les macaronis al dente, les égoutter, puis les passer sous un filet d’huile de sésame. Dans une casserole, délayer à feu doux le gochujang avec le lait. Dans une cocotte, réaliser un roux avec la farine et le beurre. Allonger le roux avec le lait au gochujang, laisser un peu épaissir. Ajouter le gruyère et un peu de parmesan (ou de pecorino), mélanger. Goûter et assaisonner avec sel, poivre et plus de gochujang selon son degré de tolérance au piment. Rajouter les macaronis cuits directement dans la cocotte et bien mélanger le tout. Saupoudrer avec le pecorino et le reste de gruyère, mettre la casserole au four sous le grill et laisser gratiner 15 minutes. Sortir du four et déguster immédiatement ou non : c’est encore meilleur réchauffé le lendemain !

→ Early June — 19, rue Jean Poulmarch, 75010 Paris — www.early-june.fr


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Alexia Duchêne tambour battante

Texte Hélène Rocco Photos Anne-Claire Héraud

Elle aurait pu être notaire, comme son grand-père avant elle. À l’adolescence, ça lui a traversé l’esprit. Après avoir laissé mijoter plusieurs années son projet, c’est finalement la carrière de cheffe qu’Alexia Duchêne a décidé d’embrasser. À 24 ans, elle est à la tête du Datsha Underground à Paris. Retour sur l’itinéraire d’une bosseuse qui ne se laisse pas marcher sur les pieds.


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Ce mardi-là, on a beau avoir l’adresse en tête, on passe à côté du 57 rue des Gravilliers sans même s’en apercevoir. Le nom du restaurant aurait pourtant dû nous mettre la puce à l’oreille : « Datsha Underground », ça fleure bon la discrétion, le cool, l’exclusivité. La porte noire, dépourvue d’enseigne mais parée d’un tag dégoulinant, finit par nous sauter aux yeux. Bienvenue dans le fief d’Alexia Duchêne, cheffe prodige de 24 ans. Née dans le 16e, d’une mère britannique et d’un père français, Alexia passe son enfance à Paris. Parce que sa mère a grandi en Égypte puis en Grèce, l’héritage culinaire de la future cheffe est pluriel : « À la maison, on mangeait souvent une soupe égyptienne à base de feuilles de coriandre - la molokheya -, du riz aux oignons, et du poulet pané. Il y avait toujours sur la table une salade concombre-tomate, peu importe la saison », se marre Alexia quand elle nous reçoit dans son restaurant. Biberonnée à la gastronomie méditerranéenne, la jeune fille s’intéresse très tôt à la cuisine. D’autant qu’elle mange beaucoup au restaurant : « au moins trois fois par semaine », car ses parents ont un travail prenant. Au collège, Alexia profite des soirées en solo pour cuisiner ce qu’elle veut plutôt que de faire ses devoirs : « J’adorais organiser des soirées fajitas. J’avais déjà une vraie attirance pour les condiments. » En taillant les légumes, son sens de la rigueur se dessine. Le métier de cheffe ne s’impose pas pour autant à elle. « Ado, je me voyais bien notaire comme mon grand-père mais j’ai fini par me demander si ça avait vraiment du sens. » Pourquoi ne pas s’essayer à un bac pro cuisine à l’école hôtelière de Paris ? « Au pire, je redouble », balance Alexia à ses parents.

Les débuts sont durs mais la détermination d’Alexia est déjà à l’œuvre. À l’issue de trois années de formation, elle décroche son bac pro mention Bien. Pas question de s’en contenter, elle embraye sur un CAP pâtisserie à l’école Ferrandi. Alexia a 19 ans et passe ses semaines en stage au salon de thé Maison Carette. Jusqu’au-boutiste, elle demande « à venir tous les matins à 4 heures pour assister à la production du pain et des viennoiseries. » Histoire de ne pas s’arrêter en si bon chemin après son diplôme, ses parents lui conseillent de décrocher un BTS Management Hôtellerie-Restauration en alternance. Elle trouve une place de commis chez Taillevent mais l’expérience ne se passe pas bien : « Quand t’es payée, les gens sont extrêmement durs. Ca n’allait pas et, à l’école, je m’ennuyais. » Elle apprend alors que Grégory Marchand, le chef du restaurant Frenchie à Paris, cherche quelqu’un pour l’ouverture de son restaurant à Londres. « Je lui ai envoyé un message, il m’a dit de venir pour un entretien. J’ai pris un bus de nuit et trois jours plus tard je m’installais là-bas. » Ce n’est qu’à ce moment-là qu’Alexia comprend qu’elle veut devenir cheffe. Au Frenchie Covent Garden, elle fait ses armes en tant que pâtissière avant d’entrer au Fera, dans la brigade du chef Simon Rogan. À l’époque, elle refuse de postuler à Top Chef, quand M6 la contacte. La jeune cuisinière va ensuite travailler à Copenhague chez Tortsen Vildgaard, un ancien de Noma.


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Quelques mois plus tard, cap sur la France pour le festival de Cannes aux côtés du chef Harry Cummins avant de le suivre aux Rencontres d’Arles. Une saison estivale qu’elle vit comme une révélation : « J’ai capté que la cuisine pouvait aussi être fun, pas uniquement cadrée, sérieuse. » De retour à Paris, elle est embauchée comme cheffe de partie Chez Passerini. Puisqu’elle travaille dans un restaurant italien, elle deviendra une orfèvre des pâtes. Avec le temps, Giovanni Passerini la félicite d’avoir réussi à façonner des pâtes comme une vraie Italienne. Mais l’ambiance dans l’équipe lui pèse, elle entend des remarques sexistes et a du mal à se faire une place. « Une petite blonde qui arrive en cuisine, on se dit qu’elle ne va pas faire long feu et on ne cherche pas à l’intégrer. » Alors qu’elle envisage de partir, le chef la promeut seconde : « Je ne pouvais pas refuser une offre comme ça, dans un resto aussi connu, si jeune. » Son intuition est la bonne puisque Giovanni Passerini est un chef qui sait déléguer. « On avait une vraie complicité, je comprenais sa cuisine. Certains soirs, il me laissait les rênes du resto. » Leur cuisine a en commun la rigueur, l’amour des assaisonnements et une certaine spontanéité. « On adorait tous les deux faire des cuissons minute ui te mettent dans le jus. Gio’ a une cuisine d’instinct : ça m’a appris à être hyper réactive. »

← De gauche à droite, de haut en bas : la cave à manger, à l’étage du restaurant / millefeuille au poivre et sorbet au lait de chèvre / bœuf-carottes et sauce au raifort / bar de ligne et jus d’arêtes au curry

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À 22 ans, la cuisinière franco-britannique gère une brigade quand M6 l’appelle une troisième fois pour l’inciter à participer à Top Chef. Giovanni lui conseille de dire oui pour mettre en avant leur cuisine, bien loin de celle des restaurants étoilés « avec des pinces et des fioritures qui ne servent à rien. » Motivée, elle dépose sa candidature et après deux épreuves, Alexia intègre la promotion 2019 de l’émission. Pour la première fois, la jeune cheffe imagine sa propre cuisine. D’abord rattachée à la brigade d’Hélène Darroze où elle prend confiance en elle, elle rejoint ensuite l’équipe de Jean-François Piège qui la pousse à penser davantage ses plats. Elle se qualifie assez facilement pour la demie-finale avant d’être éliminée. « Gagner, ça m’aurait forcée à faire des trucs très lisses. Il n’y a pas de contrat qui nous lie à la chaîne mais on a un peu une obligation de faire des partenariats avec telle marque, et moi je ne suis pas un produit marketing. » Après la diffusion, Alexandre Rapoud, jeune entrepreneur de 26 ans, l’appelle : il cherche quelqu’un pour l’ouverture de son restaurant Datsha. « Je me suis d’abord dit que ça allait être un beau lieu où la cuisine ne serait pas star. Et puis j’ai discuté avec lui, (…) il m’a dit que j’aurais carte blanche. Quand j’ai vu le lieu, je me suis dit qu’ouvrir ça à 23 ans, c’était du jamais-vu. Un vrai défi. J’ai un peu la folie des grandeurs… » Nous voilà donc chez Datsha, qui signifie « maison secondaire » en russe, quelques semaines après son ouverture dans le Haut-Marais. Ici, le terme est librement interprété : il donne naissance à un restaurant


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fait de marbre et de briques de Serbie d’un côté, et à un futur bar à cocktails souterrain de l’autre, qui prendra le nom de Spootnik Cosmic Bar. Un lieu tout en hauteur, aux airs de table sélect new-yorkaise qui se dévoile derrière un épais rideau de velours. Derrière le comptoir, Alexia lance des directives sans hausser le ton. La cuisine est ouverte, c’était une volonté de la cheffe : « J’ai eu mon quart d’heure de gloire avec Top Chef, je ne voulais pas éclipser le talent de mon équipe ». Aux fourneaux, les cuisiniers sont concentrés tandis que les clients dévorent des yeux leur technique entre chaque assiette du menu dégustation. À rebours de la plupart des restaurants parisiens, l’adresse ne semble pas miser sur Instagram pour se faire un nom. L’absence d’éclairage incite plus aux chuchotements qu’aux clichés léchés : de quoi se concentrer davantage sur le contenu du dîner. Saucisse de poisson, chinchard mariné, haddock poché au lait : la mer y a la part belle, des amusebouches jusqu’au plat de résistance. La minutie et la gourmandise des sauces sont, elles aussi, remarquables, tout comme le travail du végétal qui s’observe même dans les desserts. On salue le style audacieux d’une cheffe qui aurait pu se contenter de miser sur son héritage méditerranéen, franchement en vogue actuellement. Les vins naturels, eux, ont vu du pays et viennent de Géorgie, de Hongrie, de Suisse ou d’Allemagne. À ceux qui lui reprochent de proposer un menu unique à 80 euros, Alexia répond qu’elle privilégie les produits de qualité et que cela a un coût. Bientôt, l’étage accueillera un espace sans réservation où se partager des petites assiettes, ainsi que le fameux Pithiviers signature à base d’anguille fumée, de pomme de terre et de cochon.

« La cuisine est ouverte, c’était une volonté de la cheffe : “ J’ai eu mon quart d’heure de gloire avec Top Chef, je ne voulais pas éclipser le talent de mon équipe.” » Alexia est ambitieuse, déterminée et cela fait grincer des dents certains chefs dans le vent qui la trouvent trop sûre d’elle et trop médiatisée. Le tremplin de Top Chef lui a permis de tracer sa voie sans prêter d’importance aux commentaires cinglants, comme elle nous le confie avec une franchise étonnante, entre le plat et le dessert. « Un chef très connu est venu au resto un soir. Après le dîner, il m’a envoyé un sms assassin pour me dire qu’il avait failli se barrer au milieu du repas tellement c’était mauvais. » Mais qu’importe les coups durs et le manque de solidarité entre chefs, Alexia est prête à encaisser. Elle saisit sa chance, compte voyager et répondre aux événements auxquels on l’invite dans le monde entier. Déjà, elle réfléchit à l’écriture d’un livre avec la journaliste Céline Maguet qui a signé sa carte des vins. N’en déplaise à ses détracteurs, le talent n’attend pas le nombre des années. La cheffe compte bien installer Datsha dans le paysage culinaire parisien. Un jour, quand il sera temps, elle ira vivre en Angleterre ou aux États-Unis, à New York ou à Dallas. Elle ouvrira un restaurant rien qu’à elle, son rêve depuis toujours. • → Datsha Underground — 57, rue des Gravilliers, 75003 Paris — www.datshaunderground.com


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Sucrine snackĂŠe, crumble de pain, sauce mirin et anchois.

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le jour où…

LE JOUR OÙ u n e v e d s i u s je e u iq m o n o r t s a g e u iq it cr

Illustration

Fanny Monier

par Fra

nçois S

imon

Le jour où je suis devenu critique gastronomique, je ne me suis pas débattu. J’avais vaguement compris qu’il ne servait à rien de tordre la vie. Les circonstances vous font, vous défont. Vous flottez sur ce ruisseau, comme une allumette dans le caniveau. On a beau se mettre en travers de la route, faire badaboum sur sa poitrine, un autocar vous fait pivoter, une micheline vous emporte.


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Pour tout dire, je rêvais d’être chroniqueur de rock. Je voulais rencontrer des filles vénéneuses au pied du mur de Berlin, avoir des cernes sous les yeux, ne pas cirer mes boots noires, mourir sottement. Je le fis trente minutes, dans les ruines de l’ambassade d’Italie, au bord du mur. Mais ce fut tout. Le film s’arrêta net sans que je puisse comprendre quoi que ce soit. J’ai encore les négatifs. Dieu qu’elles étaient belles, faussement cruelles. Le flash était mal ajusté. Je me suis plutôt retrouvé dans le bureau de Christian Millau (cofondateur du guide gastronomique Gault et Millau, ndlr), rue du faubourg Saint-Antoine, station Faidherbe-Chaligny. J’arrivais de Nantes. Pendant cinq ans j’avais assuré la chronique des chiens écrasés et ce, nuitamment. C’était merveilleux. Les immenses locaux du journal Presse Océan étaient vides, les cendriers pleins, la nuit offerte. Et puis, je me suis lassé. C’était en 1981. J’ai eu la chance de travailler au Matin de Paris, ce qui me conféra une aura aussi inattendue qu’injustifiée. C’est pour cela que Christian Millau me convoqua. Je lui avouais d’emblée que je n’y connaissais rien. Je ne savais même pas que l’île de la Jatte existait. Je me nourrissais de pizzas pas chères, de yaourts au chocolat, de boissons adolescentes. « Ce n’est pas grave, répondit posément Christian Millau, on va vous apprendre. Lundi prochain, vous irez passer la semaine à Lille tester tous les restaurants ».

C’est ainsi que je me retrouvais installé royalement, au Carlton, me pinçant tant cette vie me semblait incongrue : manger le midi et le soir, attendre entre les deux. C’était donc ça. Commander sur la carte, pointer du doigt une sole meunière, une poire belle-Hélène. Déjeuner précautionneusement, surveiller le crénelé de la sole, la vulgarité du dessert, régler et s’en aller. Personne ne m’apprit le métier. Du reste, je n’avais pas envie d’être comme ces critiques que je voyais, enrobés, omniscients, joviaux, conquérants, soiffards, vantards. Je les en remercie aujourd’hui, tant ils m’ont appris ce que je ne voulais pas être. Ils m’ont évité cholestérol, embonpoint, égocentrisme, suffisance, méchanceté. C’est là que j’ai appris l’art de disparaître, à multiplier les identités, les cartes de crédit et de visite. J’ai toujours pensé que l’on diffusait – ou non – une image de soi. Qu’elle s’imprimait sur la rétine parce que notre émetteur agissait dans ce sens. On veut être reconnu, aimé. Il suffit de se mettre dans l’axe de la porte d’un café, et vous comprendrez tout de suite ce que je veux dire. J’ai donc inversé mon ego, appris à ne laisser aucune impression. Au point que plusieurs fois, on me marcha sur les pieds. Ce que d’aucuns auraient pris pour un affront, je le considérais comme un certificat d’aptitude à la disparition. Les serveurs ne me calculent jamais : si vous voyez dans un café un brave


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bonhomme levant désespérément le bras, ne cherchez pas, c’est moi probablement. Je mangeais donc à tour de bras, par pelletées, par fournées. Parfois même, les enquêtes en province m’obligeaient à déjeuner et dîner plusieurs par fois jour, et ce jusqu’à quatre-cinq fois, histoire de ne pas rester tout un mois dans une même ville. Ne pensez pas pour autant que l’invisibilité put altérer la sensibilité. Bien au contraire, la disparition suppose une perception aiguë, la tabula rasa, et de ce fait une vulnérabilité accrue. Tout me touche, me choque, me trouble. Tout. D’où parfois, cette solitude, cette thébaïde imaginaire construite sur un nuage proche. Si vous me croisez dans la rue, ne m’en voulez pas, je ne vous reconnaîtrais pas, je n’ai pas de conversation. J’ai laissé un alibi faire le taf. Tout ceci pour dire que lorsqu’un choc se produit, sa déflagration est intense. La toute première et seule explosion ne tarda pas à venir. Ce fut à Toulouse, en 1981, chez Lucien Vanel (1928-2010). Ce fut en quelque sorte mon baptême. Je me vois encore attablé dans la lumière d’une belle journée de juin. Il n’y avait pas grand monde. La table vibrait du clair de jour. Quarante ans après, je ressens encore ce séisme. L’assiette était tapissée de fleur de sel. Dessus trônait une truffe. C’était tout. Enfin presque : dans la tulipe du verre patientait un magnifique Montée de Tonnerre. Ce fut tout. Une sorte de zébrure puissante, mon cœur en chamade, ma tête en perdition. Ah oui, je me souviens aussi

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le jour où…

avoir été seul, d’où cette réverbération infinie. Depuis lors, il ne m’est rien arrivé de semblable. Et cela ne m’attriste nullement. Pourtant, j’ai dû avaler près de quarante mille plats. Mais cette virginité perdue s’est refermée dans un veuvage magnifique. Comme un astre. Il ne m’en fallait pas plus. J’avais eu mon content, ma bible, mon astre. Depuis lors, je me promène l’âme en paix, l’appétit intact, le bonheur au bout de mes doigts. Le monde de la table m’enchante toujours autant car ce n’est pas ma passion. Cette dernière, je le sens, vous envahit, vous sermonne et vous tient. Elle vous calcine. Elle vous aveugle. Je les vois bien les décillés, les vibrés, les sermonneurs, mais je passe mon chemin, tant j’aime que ce dernier soit toujours ouvert, offre un banc, une aurore, un après-midi, une compagnie. La table m’aura appris paradoxalement la légèreté, la valise prête, l’épiderme heureux, le corps léger, le cœur offert, l’âme bienveillante. Dès lors, je me demande encore si je n’ai jamais été vraiment un critique gastronomique. • — François Simon vit à Paris. Il collabore à de nombreux médias (Arte, Air France Magazine, les Echos-Série Limitée, Purple magazine, Dim Dam Dom, Tempura, Numéro Hommes…) tout en écrivant des livres dont un roman "L’esprit des Vents" (Plon) et un "Paul Bocuse-Héritage", avec Patricia Zizza (Flammarion) et prépare un autre roman : "Neiges sur Karuizawa, John Lennon et le silence de l’amour"…


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À TABLE

STÉPHANE DE GROODT


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à table

L’hiver est frisquet à Bruxelles mais au lieu de nous entasser comme des sardines dans la petite salle du bistrot Tortue, on profite encore de la terrasse, grelottant dans nos coupes-vent. Les gens trinquent, fument et rient devant l’angle de la rue Edith Cavell où nous emmène l’écrivain, comédien et humoriste Stéphane De Groodt…

Texte Déborah Pham Photos Lou Verschueren

Mint On est dans quel quartier de Bruxelles ?

Stéphane Uccle, c’est le quartier où je suis né, dans cet hôpital juste derrière moi. En fait ici, tu as beaucoup de Français, c’est un quartier plutôt résidentiel. À Bruxelles, on a la chance d’avoir pas mal d’espaces verts comme le Bois de la Cambre, c’est l’équivalent du Bois de Boulogne chez vous, sauf qu’ici c’est assez central. On est chez Tortue, un bar à vins nature qui tient dans un mouchoir de poche et qui est devenu ton endroit fétiche. Tu sais pourquoi ça s’appelle Tortue ?

Non, peut-être pour le culte de la lenteur, nous dire qu’il faut apprendre à prendre le temps… Trinquons !

Est-ce que tu te souviens de ton premier verre de vin ?

C’était à l’insu de mes parents. J’avais 12 ans et j’ai vidé les verres de chaque invité après un déjeuner un dimanche. Je ne pensais pas que ça pouvait tourner aussi vite. Mes parents étaient avec leurs potes et je me torchais la tronche tout seul. J’ai été malade comme jamais et pendant longtemps je n’ai pas bu de vin, ça m’avait vacciné. Ça a plutôt été la bière ton alcool de jeunesse ?

Pas vraiment… J’étais parti faire un stage de tennis en Écosse et je me suis torché au bitter, j’ai eu plus tard l’expérience


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similaire avec le gin. Je suis assez excessif mais ça a toujours été une manière d’être, pour le meilleur et pour le moins meilleur. Pour le pire hein, en fait. Dans le travail aussi, j’imagine ?

Oui, quand j’ai l’envie et l’énergie de faire quelque chose, je fais vraiment la chose jusqu’au bout. Quand j’ai voulu être pilote de course, je me suis acheté une combinaison et un casque alors que je n’avais jamais fait de course de ma vie et c’était juste pour me retrouver dans la baignoire et me prendre pour un pilote. Tu étais tout jeune ?

Ah non, c’était à un âge où j’étais passé de mignon à ridicule. J’y suis allé à fond. C’est comme la bouffe, plus jeune j’étais très gros, je bouffais beaucoup. Quand je bois, je bois beaucoup. Quand j’aime, j’aime beaucoup. Je suis excessif. C’est vrai que tu adores la cuisine et que tu étais même cuisinier à un moment de ta vie…

Pour me payer mes premiers cours de pilotage, je faisais des raviolis que je vendais aux restaurants. La nuit je faisais la pâte et la farce puis je les livrais le lendemain. C’était une farce avec du bœuf, du parmesan et des herbes. Puisque quand tu fais les trucs tu y vas à fond, tu ne te verrais pas ouvrir un resto un jour ?

Ça a toujours été un de mes fantasmes. Je me suis déjà dit que je ferais bien

des dîners chez moi, comme si c’était un resto, avec quelques tables. Pour les copains ?

Oui ou d’autres ! Je ferais bien un resto qui serait comme si j’invitais des potes à la maison. Je ferais des choses que j’aime manger. Ce que j’aime c’est qu’un artiste fasse quelque chose qui lui plaise à lui. Et pas en vue de plaire. C’est paradoxal ce que je vais dire mais ce qui compte c’est de ne pas le faire pour les autres. C’est faire un truc que tu aimes toi et tu le fais partager. Tu penses qu’il est plus important de faire les choses pour soi avant tout ?

C’est comme quand je joue la comédie ou que j’écris, c’est avant tout pour moi. En essayant de faire le mieux possible et si les gens aiment tant mieux, sinon tant pis. Mais au moins j’étais au bout du truc. Si tu fais les choses pour les autres tu auras toujours quelqu’un qui te dira « Oui mais moi je préfère le bleu ou le vert » et tu vas te perdre là-dedans. Mon écriture a mis du temps à être acceptée et c’est ce qui m’a permis de basculer dans une autre carrière et de vivre la situation que j’ai aujourd’hui. Pendant 20 ans, on me regardait de travers sans comprendre quel était l’univers absurde que je développais. Pour autant, tu n’as pas essayé de tordre ce style…

Non je n’ai pas essayé de me changer pour plaire aux gens. C’était à prendre ou à laisser, et en vérité on aurait très bien pu me laisser. Il se trouve que j’ai toujours maintenu le cap et le jour où ça a marché, ça a marché pour les bonnes raisons.


« La plus grande des erreurs dans les métiers artistiques, c’est d’essayer de plaire. Parce que d’abord les gens ne sont pas dupes et, “ essayer de plaire ”, déjà dans la phrase quelque chose ne va pas. Ce qui compte c’est le côté surprenant des choses. Quand tu vas dans un restaurant trois étoiles, il y a tout pour plaire mais c’est pas mécanique la séduction, sinon ça serait facile… »


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Et c’est d’autant plus gratifiant… Beaucoup de gens font des métiers créatifs tout en essayant de plaire…

La plus grande des erreurs dans les métiers artistiques, c’est d’essayer de plaire. Parce que d’abord les gens ne sont pas dupes et, « essayer de plaire », déjà dans la phrase quelque chose ne va pas. Ce qui compte c’est le côté surprenant des choses. Quand tu vas dans un restaurant trois étoiles, il y a tout pour plaire mais c’est pas mécanique la séduction, sinon ça serait facile… Quand le cuisinier démarre sa mise en place, la casserole est vide. Tout est à recommencer chaque jour, et c’est rassurant puisque ça montre qu’on est vivant.

On peut se sentir mal à l’aise dans l’un des meilleurs restaurants du monde…

Dans tous les domaines, ce qui compte c’est d’être surpris et si tu fais ta cuisine, quelqu’un sera surpris par ton univers, ta singularité. C’est ça qui manque au cinéma ou dans certains restaurants qui font des choses assez universelles pour plaire aux guides mais ce n’est pas vraiment leur cuisine et ce n’est pas très intéressant. Si tu avais un resto, il serait à Bruxelles ou Paris ?

Ce serait ici, parce que ça me permettrait d’être un peu plus près de ma famille et de mes potes. Je vais dire un truc de vieux schnock mais Bruxelles est une ville confortable et moi j’aime bien le confort ! Ce métier n’est pas confortable, il est très aléatoire, tu dépends du désir des autres, tu es sur le fil…


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C’est vrai que tu es souvent en déplacement avec les tournages… Tu as souffert de cette situation ?

J’ai beaucoup souffert d’être loin de mes filles quand je partais en tournage pendant une période assez longue. J’étais très contrarié et frustré car elles étaient petites. En même temps, il fallait bien le faire puisque je devais gagner ma vie et le travail c’était beaucoup à Paris. On dit qu’il ne faut pas avoir de regrets mais je m’en fous de cette phrase de merde, j’en ai à ce niveau là. Aujourd’hui mes filles sont plus grandes donc ça va mieux mais quand je suis à Paris, c’est ce qui me manque le plus. C’est un métier où on est emporté par beaucoup de choses, on joue des personnages, il y a des gens à notre service tout le temps, on est assez loin des choses fondamentales du quotidien et c’est ce qui me manque.

Au contraire, la restauration est un métier très routinier, et si tu le faisais à Bruxelles ce serait merveilleux car il y a tant à faire, Paris peut sembler saturée pour un restaurateur qui se lance !

C’est un autre esprit, on s’émeut de plus de choses ici je crois, il me semble qu’à Paris on est un peu blasé. C’est une question de mentalité. Tu penses que les Parisiens et plus généralement les Français sont blasés ?

Oui un peu, c’est dans leur caractère, c’est dans leur nature. Ils sont dans une autre posture. J’ai l’impression que chez nous on est un peu moins sûr de nous, alors qu’à Paris il y a plus de fierté, plus d’engagement, les gens descendent dans la rue, revendiquent…


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C’est un peuple de gens qui parlent fort, de gens qui cherchent à débattre, se manifestent et manifestent. Vous descendez souvent dans la rue pour revendiquer des choses et nous très rarement. Ici, on laisse une place au comprenne-qui-pourra, au hiatus, au second degré. On est plus anglo-saxon dans notre manière de réfléchir je trouve. On n’explique pas tout, on laisse des cases vides, chez vous non, il faut expliquer le pourquoi du comment. Je dis ça sans faire de reproche, c’est un fait et cela peut vous servir comme cela peut nous desservir parfois dans certaines circonstances mais on fonctionne d’une autre manière. Pour en revenir au vin, tu as appris à l’apprécier sur le tard finalement ?

À l’âge où j’étais pilote automobile je ne buvais pas. Jusqu’à 30 ans je ne buvais pas beaucoup, je m’autorisais peut être une bière le week-end. J’ai été initié par des amis et j’ai appris à l’aimer. L’important c’est le vin ou le moment passé ?

C’est le tout, c’est associé à des moments. Je trouve que le vin fixe les instants. Je ne me souviens pas que de très grands vins, je me souviens de l’instant. La première fois où j’ai bu un Romanée Conti ou un Château d’Yquem, je me souviens où et avec qui et je trouve ça vachement chouette. Comme un grand plat ?

Oui ou comme une œuvre d’art qui te marque ou un paysage, tu te retournes vers la personne qui est près de toi et il y a vraiment un moment de partage fort. Ce n’est pas possible de faire un très bon

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à table

restaurant seul. Si tu ne le partages pas c’est dommage, tu le gardes pour toi et tu ne peux pas en parler. Ça doit être difficile de se retrouver sur une île déserte avec une caisse de Grand Cru ! Avec qui est-ce que tu aimerais partager un grand repas ?

Il y a plein de gens avec qui j’aimerais aller au restaurant. La question c’est surtout avec qui j’aimerais retourner au restaurant, car la première fois tu découvres quelqu’un et tu te dis « Merde, je vais peut-être me faire chier pendant deux heures ». Ce qui compte c’est surtout de se dire tiens, avec cette personne je retournerais bien au restaurant une fois, dix fois, cent fois. Si c’est une femme, ça peut devenir la femme de ta vie. Je trouve ça très important, j’étais très heureux quand j’étais avec ma femme et même séparé j’ai toujours du plaisir à aller au restaurant avec elle. C’est marrant. Il y a un échange, elle aime la bouffe, le vin, donner ses impressions. Est-ce que tu prends autant de plaisir dans un resto bistronomique que dans un restaurant prestigieux ?

Oui et c’est ce que j’aime. J’ai eu ce sentiment quand je suis allé chez Noma à Copenhague : j’ai fait une association mets et vins et au fil du menu je goûte un rouge super bon, j’en commande un deuxième, un troisième et je demande finalement au sommelier ce que c’est et il me répond « le Domaine le Picatier ». En rentrant, j’ai voulu m’en acheter et ça valait à peine plus de dix euros la bouteille. Ça me rassure de savoir que je peux prendre un plaisir fou avec quelque chose de simple. C’est ce que je cherche aujourd’hui : être étonné. En fait ce que j’aime c’est la surprise, c’est être cueilli et ça marche avec tout vraiment :


les gens, les rencontres, les films, l’art et la bouffe. Quand tu vas dans un restaurant et qu’on te dit « Ça va être le meilleur repas de ta vie car il y a trois étoiles », à priori il n’y a pas de surprise, en tout cas elle est forcément déceptive. À vrai dire, je n’aime plus tellement les restaurants étoilés, les classements…

On nous apporte à manger. C’est beau !

Oui, c’est beau. Ah la poutargue ! Même sur une tartine de pain grillé avec un peu d’huile d’olive c’est un régal…

Une bonne poutargue n’a pas besoin de grand chose pour être dégustée.

Parfois, le plus grand plaisir entre amis, c’est aussi de mettre des produits simples sur la table, sans fioritures.

Oui, tu vois quand on parlait des restaurants étoilés tout à l’heure, c’est exactement ça, le plus grand plaisir c’est le produit. Bon on dit toujours « le produit, le produit », ça devient des phrases génériques mais ’est vrai ! Tu prends un bon morceau de viande, un bon fromage ou même un bon beurre, c’est magnifique. Il commence à pleuvoir, moi qui pensais qu’il faisait toujours beau à Bruxelles… On va dîner ?

Celui qui t’a dit ça mentait, allons-y ! • → Tortue — 34 rue Edith Cavell, 1180 Uccle, Belgique


LE CREDIT MUTUEL DONNE LE

LANA DEL REY | BAD BUNNY | YOUNG THUG LOMEPAL & FRIENDS | NINHO | DISCLOSURE LONDON GRAMMAR | WIZKID CATHERINE RINGER RITA MITSOUKO CARIBOU | RONE | SEBASTIEN TELLIER CHANTE LES

HS (HAMZA & SCH) | LORENZO | FOUR TET | BICEP LIVE SET | MR EAZI RICARDO VILLALOBOS | MODESELEKTOR LIVE AND LIZARD AND KING GIZZARD THE WIZARD | POMME | LOUS THE YAKUZA & BIEN PLUS ENCORE ...

WEEK-END DU 6 - 7 JUIN PARIS, BOIS DE VINCENNES MUSIC

ART

FOOD

TALKS

NATURE


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inspirations

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DA & Photos Chloé Gassian / Style et accessoires Sophie Aprile / Set design Lise Dupont & Océane Alagron / Maquillage Gaëlle Bonnot / Coiffure Margot Moine / Modèles Jessica chez Studioparisagency / Jimmy chez Mademoiselle

1€ le kilo 106


À GAUCHE Chemise Won Hundred Sur Zalando, Jean Levi’s, Boucles D’oreilles Aristocrazy, rideau Delhi chez Fleux À DROITE Jimmy : Veste, Chemise Et Pantalon Études Studio, Sandales Paraboot Chaussettes Jimmy Lion / Jessica : Sweat Côme Éditions, Pantalon Sandro, Derbies Robert Clergerie, Boucles D’oreilles Uncommon Matters, Bijou De Main Vibe Harsløf / Au Sol : Vase Speckled The Conran Shop, Rideau Palazzo chez The Socialite Family, vase Mandarine chez Fleux, tapis Kris chez Alinéa



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CI-DESSUS T-Shirt Collective Swallow, Sweat From Future, Pantalon Lgn Louis Gabriel Nouchi, Vase Bendum chez Fleux, Tapis Kris chez Alinéa À GAUCHE Jessica : Combinaison Essentiel Antwerp, Sac porté en banane Object Particolare, Jimmy : Vest, Sweat Et Pantalon Levi’s / Fond : Rideau Palazzo chez The Socialite Family



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inspirations

À DROITE Chemisier Sandro, Boucle D’oreille Vibe Harsløf À GAUCHE Jimmy : Trench J.crew Sur Zalando, Polo Falke, Pantalon Rue Begand, Chaussures Converse, Casquette Études Studio, Lunettes Jimmy Fairly, Ceinture Momoni, Chaussettes Jimmy Lion / Jessica : Trench Collective Swallow, Chemisier Coralie Marabelle, Chaussures Bobo Choses, Sac Banane Bimba & Lola, Ceinture Forte Forte, Chaussettes Royalties / Déco : Tapis « Eden », Alinéa

mode


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Ses dalles lissées par la chaleur écrasante des longues journées d’été bruissent de son histoire. Tour à tour byzantine, arabe, normande, espagnole et autrichienne pour finir italienne, la bouillonnante capitale de la Sicile brille toujours autant de sa superbe. On s’élance sur ses grandes artères aux innombrables palais décatis, villas raffinées et églises ruisselantes de stuc et de dorures. On se perd dans ses ruelles colorées où les linges sont étendus aux balcons et les fresques de street-art font le mur. Tandis que le soleil continue sa course dans le ciel, on s’enfonce vers le port, dans le quartier en pleine renaissance de la Kalsa, dont les rues s’animent à la tombée du soir pour se muer en de géantes terrasses devenant le théâtre de joyeux aperitivo s’éternisant jusqu’à pas d’heure.

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PALERME Textes Anouckha Crocqfer Photo Stéphanie Davilma


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Avant de partir On lit… la prose d’Edmonde Charles-Roux

80 églises et 50 palais pour 158 kilomètres

carrés de superficie. Ouvrez bien les yeux, d’après nos calculs, vous tomberez sur un, voire deux édifices tous les kilomètres.

FUN FACT La Fontana Pretoria – surnommée la fontaine de la honte avec ses statues mythologiques exposant fièrement leur nudité – aurait tant choqué les religieuses du couvent voisin, qu’elles leur coupèrent le nez dans la nuit à défaut de pouvoir toucher le reste.

dans son roman Oublier Palerme, dans lequel elle nous livre un récit de l’exil tout aussi puissant que coloré à travers le regard de son héroïne Babs qui lui a valu le prix Goncourt 1966, rien que ça.

On regarde… le Guépard de Luchino Visconti

dont les cinéphiles se feront un plaisir de faire rugir le trio de feu interprété par Alain Delon, Claudia Cardinale et Burt Lancaster. Idéal pour se faire une idée du faste de la Sicile aristocratique et du rococo italien d’antan.

On écoute… le troisième épisode

de la série « Des villes transformées par l’exil » de France Culture consacré à Palerme, ville faisant figure d’exception face au discours de rejet et d’intolérance autour de la question migratoire.

À rapporter On ne repart pas sans avoir mis la main sur

l’un des crus allume-papilles d’Arianna Occhipinti, jeune vigneronne établie dans

le sud de la Sicile tout près de Vittoria dont les vignes conduites en bio sont essentiellement composées de cépages locaux. Strike gagnant pour ses quilles natures de Frappato aux notes de framboises et d’épices.

Une testa di moro en céramique. D’après

la légende, ces vases à l’effigie de têtes de Maures débordants de fleurs que l’on retrouve aux balcons ainsi que dans les jardins siciliens seraient nés d’une histoire d’amour entre une jeune palermitaine et un jeune Maure dont la romance lui aurait coûté la tête.


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3 incontournables Les marchés Il capo, Ballarò et Vucciria

les marchés

Aussi pittoresques que charmants, ce sont dans ses marchés que vibre Palerme. On y vient pour remplir son panier d’agrumes, d’herbes, d’épices et de poissons frais. D’étals en étals on déambule, on goûte, on sent, et on s’offre le meilleur de la street-food palermitaine sur les places se transformant en barbecues géants à la tombée de la nuit.

I Segreti del Chiostro

I Segreti del Chiostro

Si l’Église de Sainte-Catherine renferme bien des trésors à l’instar de sa chapelle, c’est à l’étage que se cache son cœur battant où l’on s’adonne au péché de gourmandise : la fabrique de pâtisseries d’antan. Que l’on opte pour un minne di virgine, sein des saints constitué d’une génoise, de chocolat et de ricotta ou pour un cannolo farci minute d’une savoureuse ricotta battue saupoudrée d’éclats de pistache, tout ici est à se damner. → Piazza Bellini, 33, 90133 Palerme

Le jardin botanique

le jardin botanique

On s’offre une balade en front de mer du Port de la Cala au Foro Italico qu’on longe vers le sud jusqu’à la Via Lincoln et ses vastes villas ayant gardé leurs plus beaux atours en direction de l’Orto botanico di Palermo. Véritable inventaire de la flore sicilienne où s’érigent également bananiers et papayers. On y trouve une multitude de plantes exotiques collectionnées au fil du temps. → Via Lincoln, 2, 90133 Palerme


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T Û O G E L E M R E DE PAL Le lit

La table

Butera 28

Buatta Cucina Popolana

Une chambre avec vue sur les eaux de la grande bleue dans un palais du XVIIIe siècle, telle est la promesse de ce pied-à-terre composé de douze appartements où la duchesse di Palma, Nicoletta Polo reçoit aujourd’hui des globe-trotteurs de tout horizon. Ici, tout fleure l’authentique, de ses meubles transmis de génération en génération aux dîners orchestrés par l’hôte de ces lieux qui dispense également des cours de cuisine. → Via Butera, 28, 90133 Palerme

Villa Igiea

Parmi les merveilles de la ville figure cet établissement d’exception tournant le dos au mont Pellegrino. Ses habitations feraient pâlir plus d’un duc de l’ancien temps, tandis que son jardin dévalant jusqu’à sa piscine en front de mer appelle au luxe, au calme et à la volupté. → Salita Belmonte, 43, 90142 Palerme

La cuisine de tradition est mise à l’honneur à cette table où l’on hésite longuement entre la caponata d’artichauts et les roulés de poisson bleu avant de jeter notre dévolu sur les bucatini aux sardines. → Via Vittorio Emanuele, 176, 90133 Palerme

’Nni Franco U’Vastiddaru C’est l’institution du quartier de la Kalsa en matière de street-food palermitaine. Panelle, crocchè, petits sandwichs aux abats à l’instar des pani câ mèusa à la rate de bœuf ou encore arancini et sfincione, sorte de pizza typique de la région y sont servis à la bonne franquette à toute heure de la journée. → Via Vittorio Emmanuele, 102, 90133 Palerme

Aja Mola

Poissons et fruits de mer se dégustent à toutes les sauces dans cette adresse à deux pas du port de la Cala. Mention spéciale pour le carpaccio de Saint-Jacques à la

truffe que l’on termine en deux coups de fourchette avant d’attaquer une succulente bouillabaisse, le tout joyeusement arrosé du cru blanc nature de Viteadovest. → Via dei Cassari, 39, 90133 Palerme

Bisso Bistrot

Ne vous laissez pas avoir par sa devanture, entre les murs de cette ancienne librairie sont aujourd’hui servies de belles assiettes dans un esprit cantine où les classiques de la cuisine sicilienne sont remis au goût du jour. → Via Maqueda, 172A, 90134 Palerme

Le verre Botteghe Colletti

On est séduit par la déco au charme suranné de ce bar où s’empilent aux murs les meilleurs crus de la région aux côtés d’affiches d’époque un brin coquines de la marque française de liqueur de fleur de sureau en clin d’œil aux zincs germanopratins des années 1930. On s’accoude au bar à la lumière de chandeliers


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↑ De gauche à droite, de haut en bas : Butera 28 / Villa Igiea / Buatta Cucina Popolana / Bisso Bistrot


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enjuponnés de cire pour s’offrir un verre d’Etna Bianco aux arômes d’agrumes avec des notes d’anis et de miel, accompagné d’antipasti offerts par la maison à l’heure de l’aperitivo. → Via Alessandro Paternostro, 79, 90133 Palerme

Bocum mixology

Bières artisanales, vins locaux et produits de terroirs sont ici servis par Katha et Angelo qui se feront un plaisir de vous conter les merveilles de leur région entre deux dégustations d’espadon fumé. À goûter aussi, le fromage de brebis accompagné d’une étonnante gelée de tomates et d’oranges qu’on s’envoie à la terrasse de leur petite échoppe idéalement posée sur une rue piétonne. → Via dei Cassari, 6, 90133 Palerme

Bottega monteleone

Les déjà-bu ont la vie dure au comptoir de ce bar où l’on sirote exclusivement des créations de saison bien frappées. Côté carte des vins, le naturel prend le dessus pour escorter de belles assiettes iodées entre huîtres, tartare de saumon et poulpe mariné. — Via Monteleone, 10, 90133 Palerme

Le goûter Cioccolateria Lorenzo

Dans ce coffee-shop aussi cosy que gourmand, on se rafraîchit le gosier de thés glacés maison ou de granités acidulés flanqués d’une généreuse part de tiramisu aérien à savourer dans son patio ombragé décoré de lampions et de fleurs posées ça et là entre ses vieilles pierres. → Via IV Aprile, 7, 90133 Palerme

Pasticceria Cappello

L’escale idéale pour une pause douceur après avoir flâné dans l’écrin de verdure du Parc d’Orleans à deux pas. Un caffé con gelato accompagné de deux petits cannoli et puis s’en vont ? Pas vraiment, après avoir englouti le tout en terrasse, on prend le temps de faire un tour dans ce temple de la gourmandise pour repartir avec un sorbet au melon lové dans sa petite brioche. → Via Colonna Rotta, 68, 90134 Palerme

Échappées siciliennes Les Nébrodes

On met le cap au nord-est de l’île en direction des Nebrodi, une chaîne de montagnes offrant de sublimes paysages entre collines et chutes d’eau, lacs et monticules. Peu connu du grand public, ce coin de nature préservé offre un autre visage de la Sicile où l’on s’adonne à de longues

Cefalù

balades sur ses sentiers de randonnées. On s’offre quelques haltes gourmandes dans ses fermes à taille humaine ou dans ses auberges locavores à la découvertes des produits typiques de la région à l’instar du Provola dei Nebrodi, savoureux fromage en forme de poire produit à partir de lait de vache, ou de la charcuterie de cochon noir.

Cefalù

Si Palerme tourne le dos à la mer, cette ancienne cité de pêcheurs bâtie au pied de la Rocca regorge de criques où l’on vient se retirer pour paresser au soleil entre plages de sable fin, roches déchiquetées et eaux cristallines. À la tombée du jour, on s’enfonce dans ses ruelles étroites menant à la cathédrale, bijou médiéval perché au sommet de la ville renfermant de remarquables mosaïques byzantines et de fresques religieuses ruisselantes d’or. •


Idéal avec une rondelle d’orange sanguine

L’APÉRITIVO AU GOÛT 10 0% NATUREL

L’A B US D’ALCO O L E S T DA N G E R E U X P OU R L A SA NTÉ , À CONSOMME R AV EC MOD É RATION.


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F E H C U D S A P S E A L C R I B SU A I C S O Z N E R O L E M R E L À PA

Texte Anouchka Crocqfer Photo Agathe Boudin

Pur produit de la Sicile, le chef italien aux fourneaux du restaurant Pastore — posé dans le 9è arrondissement de Paris — nous raconte la ville qui l’a vu naître et grandir. Du souvenir de ses premières polpettes que lui préparait sa mamma, à la richesse du terroir palermitain métissé, Lorenzo Sciabica nous dresse son portrait de la capitale sicilienne. Découverte des balades en ville et échappées vertes dans la réserve naturelle de Capo Gallo jusqu’aux vallées montagneuses des Nebrodi.


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Mint Quelle serait votre journée idéale à Palerme ?

Lorenzo Sciabica : Ce serait un jour d’été ou de printemps. Après avoir pris un petit café, direction Barcarello, non loin de la réserve naturelle de Capo Gallo pour profiter de la mer, ses plages sauvages et ses roches avant que le soleil n’atteigne son zénith. De retour en ville, une petite balade dans le centre historique pour un déjeuner sur le pouce et un tour dans les jardins de l’Orto Botanico auxquels je suis très attaché. À la tombée du jour, je me rendrais à la Chiesa di Santa Maria dello Spasimo, une église du Moyen-Âge dont le toit a été rasé pendant les bombardements, qui accueille aujourd’hui concerts et pièces de théâtre, c’est un lieu magique. Un quartier que vous aimez par-dessus tout ?

J’aime beaucoup me balader dans les petites rues de la Kalsa, le centre de la Palerme arabe, où l’on retrouve de magnifiques architectures arabo-normandes. Pour découvrir la ville et vivre l’expérience de Palerme, il faut accepter d’y entrer, de prendre son temps pour la découvrir elle ne se dévoile pas au premier regard. Quelles sont les spécialités culinaires palermitaines ?

La street-food fait parti de l’ADN de la ville. Il y a tout un éventail de petites choses typiques que l’on grignote dans la rue et sur les marchés. Certaines sont concoctées à partir d’abats comme la frittola, constituée de restes de viande, de graisse, et de cartilage bouillis ou frits disposés dans un panier sous un torchon à l’abri des regards que le vendeur met dans un petit pain. Parmi les plats

inspirations

destination

traditionnels, on retrouve la caponata, chaque famille a son ingrédient secret. Une sorte de ratatouille composée d’aubergines, de tomates, de céleri, de câpres et d’olives. Il y a également la pasta con la sarde, ce sont des pâtes avec un ragoût de sardines, du fenouil sauvage, des raisins secs et du safran. Nous entrons dans la meilleure saison pour les déguster en Sicile. Avez-vous quelques adresses à nous recommander ?

Pour découvrir les vins de la région, Enoteca Picone, dont la sélection est magnifique. Pour les bières, il y a Luppolo, voulant dire houblon en italien. En contrebas de la Vucciria, dans le ventre de Palerme, on trouve de très bons pani câ mèusa chez Rocky. Sinon pour les glaces, il faut se rendre à la Gelateria Al Cassaro dont les sorbets et crèmes glacées de saison sont élaborées dans leur petit labo du Corso Vittorio Emmanuele. Un coin de nature à découvrir ?

Les Nebrodi. C’est une région montagneuse dont l’écosystème est à mille lieues du reste de la Sicile entre ses lacs et ses tout petits villages, la nature y est très sauvage. Le cochon noir est leur produit star, on le retrouve nulle part ailleurs sur l’île. À l’automne, il y a beaucoup de champignons, notamment des cèpes que l’on trouve en nombre également dans la région de l’Etna. • → Pastore — 26 Rue Bergère, 75009 Paris LES ADRESSES DE LORENZO SCIABICA À PALERME : → Enoteca Picone — Via Guglielmo Marconi, 36 → Luppolo — Via Daniele Manin, 36/38 → Rocky basile — Via Vittorio Emanuele, 211 → Gelateria al cassaro — Via Vittorio Emanuele, 214


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BO AD NN R E ES SS ES

Shabour Liquiderie bar Uncino Le Servan Ribote

Textes

Déborah Pham


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Shabour → 19, rue Saint-Sauveur 75002 Paris

→ Notre conseil : Go big or go home, on se fait le menu Grand Voyage (96 euros).

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L’assiette vide est devant nous, joliment dressée par un cuisinier en tablier blanc. Des petites pâtes à l’encre de seiche, du homard puis de la truffe râpée au dernier moment… La célébration de la joie commence, l’assiette est presque terminée tandis qu’un autre serveur vient nous remettre une généreuse cuillère de pâtes dans l’assiette. Nous ne sommes pas chez ma mère mais bien chez Shabour, l’un des restaurants les plus joyeux, brillants et spontanés de Paris. « Shabour, ça veut dire ’casser’, mais ça veut aussi dire ’gueule de bois’, » tout est dit. Peu de lieux ont su conquérir aussi rapidement une clientèle parisienne exigeante, habituée à un paysage gastronomique largement saturé par des ouvertures tous les quatre lundis. Pour eux, il y avait de la place. Il y a la cuisine bien-sûr, des recettes bien ficelées mais aussi tout ce qui relève de l’atmosphère avec l’art de la table, la musique, la solennité des regards du chef, le cérémonial des assiettes qui s’enchaînent et la générosité tout au long du repas. En fait Shabour c’est ça, c’est du génie, c’est un coup de cœur.


Liquiderie bar → 7, rue de la Présentation 75011 Paris

→ Notre conseil : arriver tôt et se tenir au courant des événements sur place en les suivant sur les réseaux ou grâce à l’application Untappd qui répertorie les soirées et nouvelles bouteilles disponibles dans les bars à bière du monde entier !

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Ouvert depuis décembre, le Liquiderie bar a déjà ses adeptes et pour cause, la cave située rue des Trois Bornes faisait déjà un carton avec une sélection de bières, cidres et vins natures aux petits oignons. À la carte, des bières « new school » uniquement, à savoir des micro-brasseries. Choisir des maisons indépendantes est une priorité lorsqu’on sait que le milieu de la bière s’agglomère autour de trois gros groupes. Vous trouverez donc au bar 14 bières et cidres à la pression mais aussi 6 vins à la tireuse parmi lesquels Jean-Marc Dreyer ou le domaine de La Paonnerie. On goûte aussi d’autres autres délices en bouteille comme les vins d’Alice Bouvot mais aussi une myriade de vins venus d’Italie, d’Espagne, d’Autriche ou encore d’Allemagne… Le tout à s’envoyer derrière la cravate avec une petite assiette de jambon Noir de Bigorre, une bruschetta ou encore des artichauts grillés. L’équipe s’amuse aussi autour de collaborations bien senties, disponibles à la pression. Dernière en date : 5 cuvées pensées avec Anthony Tortul du Domaine de La Sorga.


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Uncino → 31, rue La Bruyère 75009 Paris

→ Notre conseil : Les Spaghetti Martelli à l’araignée de mer. Cette sauce riche, iodée et intense est composée de toute les parties de l’araignée : chair, bouillon de carcasse, sucs et œufs (en saison). Un régal.

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Si l’on connaît l’Île d’Elbe, c’est surtout parce qu’elle a été la terre d’exil de Napoléon Bonaparte en 1814. Étrangement, on connaît moins sa cuisine qui incarne parfaitement tout le relief de ce qu’on appelle la « cucina povera » (littéralement la « cuisine pauvre », ndlr). À la carte, le chef Gabriele Muti fait la part belle à cette cuisine méconnue et savoureuse avec quelques spécialités désormais cultes comme la Pappa al pomodoro, une soupe de pain à la tomate, réconfortante à souhait. On opte aussi pour la pasta accompagnée d’un ragoût de brebis qui a cuit une dizaine d’heures. Le parfum est sauvage et le goût puissant. La Trippa all’elbana (ou tripes à l’ancienne de l’île d’Elbe, ndlr) est un autre classique de la maison, réalisé en hommage au père de Gabriele qui la réalisait dans son propre restaurant autrefois. Côté vino, il y a de belles choses à goûter. En effet, le chef a été sommelier avant de se lancer en autodidacte dans la cuisine. Côté dessert, on goûte au tiramisu, un classique relevé d’une touche de fève tonka.


Léa Boeglin

Le Servan → 32, rue Saint-Maur 75011 Paris

→ Notre conseil : Y faire ses petits-déjeuners ? Ses déjeuners ? Y passer son temps puisqu’on s’y sent bien.

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Un restaurant où grignoter à toute heure. Un lieu où l’on peut débouler le matin sans penser à le quitter jusqu’au soir. On n’est pas mal chez les sœurs Levha avec la cheffe Tatiana en cuisine et Katia en salle. Non contentes d’avoir un des restaurants les plus charmants de la capitale avec son plafond peint, ses moulures et son zinc en laiton, la cuisine explosive nous colle l’eau à la bouche dès la lecture du menu. Les tables sont fleuries, les plats fumants commencent à sortir de la cuisine, il est temps de s’attabler. On se partage un os à mœlle boosté d’une sauce au poivre vert et d’herbes fraîches et un raviolo épinard al dente, flanqué d’une sauce bien relevée. En plat de résistance : poulette et kimchi d’un côté, poitrine de cochon parfaite et purée de l’autre. Plus un iota de place pour le dessert mais c’est pas tous les midis qu’on se régale ainsi. On s’envoie deux tartes aux pommes accompagnées de leur glace au fromage blanc. Pas question d’un dessert et deux cuillères. On reviendra bientôt pour le pithiviers et les wontons frits au boudin noir.


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Ribote → 25, rue Moret 75011 Paris

→ Notre conseil : Goûter aux nouveaux plats de la carte qui vont débouler prochainement. Ces derniers ont été mitonnés par le chef Alexandre Marchon (du restaurant Lolo, petit spot qui a le vent en poupe dans le 9è arrondissement).

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Charles Gamon et Romain Battesti se sont installés à l’automne 2019 à deux pas du grand frère : le club 1999. Ribote (en vieux français « un joyeux excès de table et de boisson », ndlr) fait la part belle aux quilles natures et plus généralement à tout ce qui a trait à la fête, puisque le lieu s’est doté d’un mini club où l’on nous promet une programmation musicale tricotée par Gabriel Belabbas. Sous la piste de danse, une cave ahurissante où l’on dégote de jolis flacons : Jean-Yves Péron, Ludovic Bonnardot et tant d’autres encore. Côté cocktail, on mise sur des classiques bien réalisés, du genre Negroni, notre favori. En cas de faim, optez pour les charcuteries, fromages ou conserves de la mer venues tout droit du Finistère. L’offre sera prochainement boostée par des assiettes froides avec toujours une offre végétarienne, une vegan, un poisson et une viande.


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