Mint #04

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n째4

Automne/Hiver 2015 Fall/Winter

Free



min t

é dito

édi to

by: Déborah Pham

On part en voyage toujours plus loin pour y trouver de l’inconnu et du dépaysement, des paysages atypiques qui n’auraient rien en commun avec le quotidien. On n’irait pas jusqu’à dire que l’inconnu se trouve au pas de votre porte, mais on en est pas loin. L’herbe est toujours plus verte dans le jardin d’à côté ; d’un vert riche et intense chez nos voisins irlandais. Quelque chose nous poussait vers l’Irlande, sans trop savoir quoi, on oserait presque vous parler de magnétisme et de magie tant ce voyage nous a marqués par ses paysages indescriptibles de beauté. Une beauté qui vous laisse coi face au spectacle hypnotique des vagues s’écrasant contre une roche bouffée par le sel et l’érosion. On s’est tenu là pendant de longues minutes, plusieurs jours d’affilée, devant les falaises vertigineuses de la côte Atlantique, inspirant à plein poumons un vent iodé dont la pureté grisante nous faisait nous sentir vivants. Plus qu’un horizon qui vous laisse silencieux, la région du Connemara nous a touchés en plein cœur à travers nos rencontres, du vieux qui chantait des chansons d’amour dans un vieux pub de Doolin, aux longues marches sous la pluie avec Tony Kirby qui nous faisait découvrir les mystères du Burren, en passant par l’ostréiculteur de la région Galway qui n’en finissait pas de nous surprendre en nous contant les légendes de son pays. Nous n’avons pas complètement gobé l’histoire de l’irlandais qui aurait découvert les Amériques du haut de son nid-de-pie sur le navire de Christophe Colomb, nous sommes pourtant prêts à parier qu’il y a matière à creuser.

We set off to travel ever further to find the unknown and the new; unusual landscapes that have nothing in common with normal life. We wouldn’t go so far as to say the unknown can be found on your doorstep, but we are not far off. The grass is always greener on the other side, and it is a rich and intense green when it comes to our Irish neighbours. Something was pushing us towards Ireland without us really knowing why. We would nearly venture to talk of magnetism and magic, so much did the indescribably beautiful landscapes of this trip mark us. A beauty that leaves you speechless in front of the hypnotic sight of waves crashing against the rock, eaten away by salt and erosion. We stood there for long minutes, several days in a row, in front of the vertiginous cliffs of the Atlantic coast. Breathing in deep lungfuls of salty wind, whose heady purity made us feel alive. More than just a horizon that hushes you to silence, our hearts were touched by the people we encountered in the region of Connemara. From the old folk who would sing love songs in an old Doolin pub, to the long walks in the rain with Tony Kirby who told us all about the mysteries of the Burren, through the oyster farmer in the Galway region who didn’t stop surprising us with tales of his country’s legends. We didn’t completely swallow the story of the Irishman who discovered the Americas from the crow’s nest on Christopher Columbus’ ship, but we are ready to bet there is something in it. 02|03


c ontr ibute urs

m a ri on b a rr aud

c é c il e be c ke r

ne l ly brie t

IL LUSTR ATRICE

rédactrice

photo graphe

Marion est illustratrice et auteure de bd. Elle aime faire des touches d'aquarelle, relever le tout par son crayon et donner vie à de drôles de personnages. En automne, elle aime marcher dans les feuilles mortes et observer toutes ces jolies couleurs.

Cécile travaille pour les magazines Zut ! et Novo, fait aussi de la radio, a co-écrit un documentaire sur le tatouage. En cette saison, elle mange des champignons fraîchement cueillis et des raclettes pleines de morbier tout en retapant une petite ferme dans les Vosges.

Nelly est photographe et travaille dans le milieu de la mode et de la beauté. Amoureuse de l'Amérique latine, elle économise pour enfin y retourner et apprendre à danser la salsa. En automne elle aime partir à la découverte de nouveaux lieux parisiens, avant de se reclure pour les durs mois de l’hiver.

www.behance.net/marionbarraud

www.nellybriet.com

c ol ine gir a rd

HEJU

l aur a j un ge r

IL LUSTR ATRICE

designers

illustratrice

Coline est graphiste et illustratrice, elle aime créer des ambiances et de nouvelles perspectives par l'assemblage de dessins au trait, souvent à l'encre de chine. En automne, elle aime partir en vacances après tout le monde et en hiver, rentrer au chaud et boire du thé fumant.

Hélène Pinaud et Julien Schwartzmann sont deux jeunes architectes touche-à-tout. Ce duo créatif partage la même passion pour la déco, le design et les DIY. En hiver, ils aiment se replonger dans l'univers décalé de Wes Anderson avec un bon chocolat chaud.

Apres avoir rêvé être danseuse étoile, détective et ornithologiste, Laura a commencé avec joie à dessiner d'abord sur les murs de sa chambre puis sur du papier. En automne, elle aime pédaler au milieu des feuilles oranges et faire des plans de voyages vers le sud pour raccourcir l’hiver.

www.coline-girard.tumblr.com

www.heju.fr

www.loragearrive.free.fr

JULIA LAMOUREU X

zoé l a b

IL LUSTR ATRICE

ILLUSTR ATRICE

Après un diplôme supérieur design graphique à l'école FORM de Toulouse, Julia s'installe à Paris où elle travaille comme graphiste/ illustratrice free-lance. Passionnée de livres pour enfants, elle trouve son inspiration dans le travail d'illustrateurs tels que Fredun Shapur, Paul Rand et Didier Cornille. Elle aime la lumière des soirs d'automne et manger des marrons chauds en hiver.

Zoé est graphiste et illustratrice. Elle aime lire des bandes dessinées et observer les gens qui l’entourent. En automne ou en hiver, elle aime flâner dans les rues de Paris un peu au hasard, et trouver du réconfort dans les chansons de Johnny Cash.

www.julialamoureux.free.fr

www.zoelab.fr


Min t

c é c il e be c ke r

ne l ly brie t

illustrator

writer

photo grapher

Marion is an illustrator and author of comics. She likes doing dabs of watercolour, pencil highlights and bringing funny characters to life. In autumn, she likes walking in the dead leaves and looking at all the pretty colours

Cécile works for the magazines Zut! and Novo, does radio, and also co-wrote a documentary on tattoos. In this season, she eats freshly gathered mushrooms and raclettes full of morbier cheese while doing up a small farm in the Vosges Mountains.

Nelly is a photographer and works in the sector of fashion and beauty. A lover of Latin America, she is saving to go back and finally learn how to dance the salsa. In autumn, she likes to set off to find new places in Paris before hiding away for the hard winter months.

http://behance.net/marionbarraud

www.nellybriet.com

c ol ine gir a rd

he j u

l aur a j un ge r

IL LUSTR AToR

designers

IL LUSTR ATor

Coline is a graphic designer and illustrator. She likes to create atmospheres and new perspectives through gathering line drawings, often using Indian ink. In autumn she likes going on holiday after everyone else, and in winter, getting somewhere warm and drinking steaming hot tea.

Hélène Pinaud and Julien Schwartzmann are two young, versatile architects. The creative duo shares a passion for decoration, design and DIY. In winter, they like diving back into Wes Anderson’s strange universe with a nice hot chocolate.

After dreaming of being a principal dancer, detective and ornithologist, Laura gleefully started drawing on her bedroom walls and then on paper. In autumn she likes cycling through the orange leaves and making plans to travel south to cut winter short.

www.heju.fr

www.loragearrive.free.fr

www.coline-girard.tumblr.com

j ul i a l a m o ure u x

zoé l a b

illustrator

illustrator

After graduating in graphic design from the FORM design school in Toulouse, Julia moved to Paris where she works as a freelance graphic designer/illustrator. Passionate about children’s books, she is inspired by the work of illustrators such as Fredun Shapur, Paul Rand and Didier Cornille. She likes the light of autumn evenings and eating hot chestnuts.

Zoé is a graphic designer and illustrator. She likes reading comics and watching the people around her. In autumn or in winter, she likes wandering a bit aimlessly along the streets of Paris and finding comfort in the songs of Johnny Cash. www.zoelab.fr

www.julialamoureux.free.fr

04|05

c on t rib u t e urs

m a ri on b a rr aud


c ontr ibute urs

au g u s t l il l

c a rol ine ne de l e c

pa ri s s e q ue m a

chef

st yliste

set designers

August est un cuisinier suédois vivant à Paris depuis plus de trois ans. Il a travaillé à la Gazzetta, chez Frenchie, chez Roseval et s’apprête à ouvrir son restaurant Poulet Noir. En hiver, il aime faire la grasse matinée et manger gras avec par exemple un bouillon de queue de bœuf très réconfortant.

Caroline aime faire mille choses à la fois : elle est graphiste, styliste, styliste photo et a aussi créé sa propre marque HYES. En automne, elle aime l’été indien.

Du nom d'une comptine vénézuélienne, Paris se Quema est un studio de design graphique et de set design. En hiver, le studio aime les fenêtres qui s'allument le soir et les lampadaires qui s'éteignent le matin.

hé l è ne ro c c o

j ul ie t hié b ault

www.carolinenedelec.com

www.paris-se-quema.com

rédactricE

rédactrice

Hélène est journaliste chez Fisheye. Elle a vécu à l’étranger et aime autant le voyage que la cuisine. En hiver, elle aime s'emmitoufler dans sa couette à regarder des séries en attendant que le soleil revienne.

Julie est journaliste. Amoureuse des mots et des images, elle fait des screenshots de ses films préférés et écrit ses pensées en technicolor dans son carnet fétiche. Quand l'hiver pointe le bout de son nez, elle boit son café dans la brume du matin, pull fluffy rose sur le dos.

www.helenerocco.wordpress.com

F Ré dé ri q ue ve rnil l e t illustratrice

Frédérique est animée par son désir insatiable de dessiner. Elle est obsédée par la beauté du geste, l'alliance de la grâce et de la sauvagerie, l'envie de fabriquer des images à la fois attirantes et terrifiantes. En hiver, elle aime les balades sur la plage en Normandie, quand le froid est sec et la lumière rasante. www.frederiquevernillet.com

m a rie a mé l ie t ond u photo graphE

Marie-Amélie est photographe. Elle aime particulièrement la mode et la photo culinaire. En automne elle aime la campagne et la forêt mais aussi les champignons, les gâteaux de marrons et les grands plats conviviaux et réconfortants. www.marieamelietondu.com


Min t c on t rib u t e urs

c a rol ine ne de l e c

pa ri s s e q ue m a

chef

st ylist

set designers

August is a Swedish chef who has been living in Paris for over three years. He has worked at Gazzetta, the Frenchie and Roseval and is now preparing to open his restaurant, Poulet Noir. In winter, he likes lying in and eating rich foods, with for example a very comforting oxtail broth.

Caroline likes doing a thousand things at once: she is a graphic designer, stylist, photographic stylist and has also created her own brand, HYES. In autumn, she likes Indian summers.

From the name of a Venezualan nusery rhyme, Paris se Quema is a graphic and set design studio. In winter, the studio likes windows lighting up in the evening and lamps turning off in the morning.

hé l è ne ro c c o

j ul ie t hié b ault

m a rie a mé l ie t ond u

writer

writer

photo graphEr

Hélène is a journalist at Fisheye. She has lived abroad and loves travelling as much as food. In winter, she likes wrapping up in her duvet to watch series, waiting for the sun to come back.

Julie is a journalist. A lover of words and images, she makes screenshots of her favourite films and writes her thoughts in technicolour in her favourite notebook. When winter makes an appearance, she drinks coffee in the morning fog, wearing her fluffy pink jumper.

Marie-Amélie is a photographer. She especially enjoys fashion and culinary photography. In autumn she likes the countryside and the forest, but also mushrooms, chestnut cakes and big comforting dishes to share.

au g u s t l il l

www.helenerocco.wordpress.com

www.carolinenedelec.com

www.paris-se-quema.com

www.marieamelietondu.com

F Ré dé ri q ue ve rnil l e t illustrator

Frederique is driven by her insatiable desire to draw. She is obsessed by the beauty of gesture, the alliance of grace and savagery, and a desire to make images that are at once attractive and terrifying. In winter, she likes walks along the Normandy beaches, when the cold is dry and the light is low. www.frederiquevernillet.com

06|07


RCS : PERNOD SA AU CAPITAL DE 40 000 000 € - 51 CHEMIN DES MÈCHES – 94 015 CRÉTEIL CEDEX – 302 208 301 RCS CRÉTEIL.

COFFRET ABERLOUR TASTE OF MALT. EDITION LIMITÉE AUTOUR DE 3 WHISKIES D’EXCEPTION 18 ANS, 22 ANS ET 35 ANS, DISPONIBLE À LA VENTE POUR LES FÊTES DE FIN D’ANNÉE, CHEZ LES MEILLEURS CAVISTES.

ENTIÈREMENT FABRIQUÉ DE MANIÈRE ARTISANALE AVEC DES MATÉRIAUX NOBLES, LE COFFRET « ABERLOUR TASTE OF MALT » SOULIGNE LES DIFFÉRENTES ÉTAPES DU TEMPS SUR LA MATURATION DES WHISKIES ET DEVOILE TROIS FLACONS INEDITS : 18, 22 ET 35 ANS D’ÂGE, D’UNE GRANDE FINESSE, AYANT TOUS FAIT L’OBJET D’UNE DOUBLE MATURATION INTEGRALE (DOUBLE CASK MATURED). L’INTÉRIEUR DU COFFRET REGROUPE LES ÉLÉMENTS NÉCESSAIRES À L’ÉLABORATION D’UN DINER GASTRONOMIQUE AUTOUR DES ACCORDS GIBIER ET SINGLE MALTS ABERLOUR, LA PLANCHE SERT À LA DÉCOUPE ET À LA PRÉPARATION MINUTIEUSE DU GIBIER. LA COCOTTE EN CUIVRE ASSURE, DANS LE TEMPS, UNE CUISSON PARFAITE ET HOMOGÈNE AFIN D’OFFRIR DES ACCORDS DÉLICATS ENTRE LES METS ET LES WHISKIES ABERLOUR. ABERLOUR EST SITUÉ AU CŒUR DE LA RÉGION DU SPEYSIDE, AU CONFLUENT DES RIVIÈRES SPEY ET LOUR, C’EST DANS CE CADRE AUTHENTIQUE OÙ L’EAU PURE EST NATURELLEMENT FILTRÉE QUE JAMES FLEMING CRÉE EN 1879 LA DISTILLERIE ABERLOUR. LA GAMME ABERLOUR S’EST DEPUIS ÉLARGIE AVEC DES ASSEMBLAGES CARACTÉRISÉS PAR LA DOUBLE MATURATION INTÉGRALE DANS DES FÛTS DE SHERRY ET DE BOURBON, POUR DES SINGLE MALTS ÉQUILIBRÉS, FRUITÉS AVEC DES FINALES SUR LA FRAÎCHEUR ET LES ÉPICES.

W W W. A B E R L O U R . F R

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION


min t

rédactrice en chef

direction artistique

graphisme & maque t te

Noémie Cédille www.noemiecedille.fr

Agathe Boudin

o urs

Déborah Pham

ont coll aboré à ce numéro les rédacteurs :

Cécile Becker, Hélène Rocco, Julie Thiébault les illustrateurs :

Marion Barraud, Coline Girard, Laura Junger, Zoé Labatut, Julia Lamoureux, Frédérique Vernillet et Noémie Cédille les photographes :

Marie-Amélie Tondu, Mathieu Vilasco et Noémie Cédille les designers e t st ylistes :

Heju, Caroline Nedelec et Paris se quema le Chef cuisinier :

August Lill les Relecteurs :

Hugo Cabrit et Anaïs Harel

remerciements

Maman, Alexandra Fiore, Vincent Privat, Sophie Ribault, Stellio et Renaut Caillat, Laura Pagès, Anne Zemmour, Marie-Carole Ancelin de La Chapelle, Domi Cabrit, Lucile Clair et Arnaud Durand.

impression

Imprimé en France par la Manufacture d’histoires Deux-Ponts

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Le Crieur : contact@lecrieurparis.com Dans une ville où les publications gratuites fusent à tout-va sans jamais vraiment savoir où elles atterriront, Le Crieur se propose aujourd’hui de jouer les aiguilleurs.

mentions légales

ISSN : en cours Dépôt légal à parution. Le magazine décline toute responsabilité quant aux sujets et photos qui lui sont envoyés. Les articles publiés n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction réservés pour tous pays. Aucun élément de cette revue ne peut être reproduit ni transmis d'aucune manière ni d'aucun moyen que ce soient, sans l'autorisation écrite des auteurs. 08|09


rece t t es

Ôde aux dim sums e at - 26 | 2 7

Le bon, le beau et le bizarre e at - 62 | 6 3

design

Concrete trays e AT - 4 0 | 4 1

Brut(e) e AT - 5 0 | 5 1

Object Company e AT - 7 2 | 7 3

Découvertes

La grande bouffe

e at - 4 4 | 4 5

City guide

e xp l o r e - 8 8 | 8 9

Vertigo

e xp l o r e - 9 4 | 9 5

Ruins and detox

e xp l o r e - 1 0 0 | 1 0 1

Fauna

e xp l o r e - 1 0 8 | 1 0 9

L'île magnétique

e xp l o r e - 1 1 0 | 1 1 1

Winter is coming e xp l o r e - 1 3 4 | 1 3 5

Terra incognita

e xp l o r e - 1 4 6 | 1 4 7


Min t SO M M A IRE

s h o pp i n g

Climbing to the top

e at - 8 4 | 85

humeur

Viva la pappa col pomodoro e at - 14 | 1 5

L'automne vu par... e at - 7 8 | 7 9

Up to the mountain e xp l o r e - 8 2 | 8 3

A week in ... e xp l o r e - 1 5 8 | 1 5 9

Renc on t res

Le street art se met à table

e at - 1 8 | 19

Cuisine sensible e at - 3 0 | 31

Éloge des viandes mûres e at - 5 6 | 5 7

Le chant de la mer

e xp l o r e - 1 2 2 | 1 2 3

Emerald and stone

e xp l o r e - 1 4 0 | 1 4 1

10|11



e at


Viva la pappa col pomodoro TE X TE / w o r d s : d é b o r a h p h a m Il l u s t r at i o n : z o é l a b at u t

Quand j’étais enfant, j’étais persuadée d’être italienne. Pourtant ma mère était blonde et parlait souvent l’allemand avec ses parents. Je crois que cette confusion vient de ma nounou, qui elle venait du sud de l’Italie, près de Lecce. Un endroit où les murs poussiéreux se dessinaient sous différentes nuances d’ocres et de jaunes, où la mer était fraîche, limpide et turquoise, encerclée par les rochers. On adorait y passer nos étés. Dans la voiture, ma mère écoutait les classiques italiens de l’époque en chantant, lèvres rouges et Wayfarer sur le bout de son nez. Je la regardais admirative et tout cela me confortait dans l’idée que je venais, moi aussi, de cette sublime région des Pouilles. Je ne suis pas sûre qu’elle ait jamais parlé l’italien mais coupe toujours court aux conversations en balançant un charmant « Ciao ! ». Lorsqu’elle sirote

As a child, I was convinced of being Italian. And yet my mother was blond and often spoke German with her parents. I think this confusion stemmed from my nanny, who actually did come from southern Italy, near Lecce. A place where dusty walls materialise in various shades of ochres and yellows, and where the sea is cool, still and turquoise, surrounded by rocks. We loved spending our summers there. In the car, my mother would listen to the Italian classics of the time, singing along, with red lips and Wayfarers on her nose. I would watch her admiringly, comforted in the idea that I, too, was from this sublime region of Apulia. I am not sure if she ever spoke Italian, but she always cut off conversations with a charming ‘Ciao!’. When sipping her coffee on a terrace in Salò,


14|15 hu me ur

e at


C’est la cuisine de la mamma. Celle qui vous met du baume au cœur un soir de pluie, celle qui vous donne envie de faire trois heures de train juste pour y goûter, celle qui éveille en vous de lointains souvenirs.

son café sur une terrasse de Salò près du lac de Garde, son endroit préféré au monde, ma mère ne peine jamais à se faire comprendre et se met, elle aussi, à parler avec les mains.

near Lake Garda ( her favourite place in the world ), my mother never struggled to make herself understood. She too would start speaking with her hands.

À la maison, il y a toujours eu beaucoup d’Italie à table et c’est probablement là la clé de voûte de tous mes fantasmes : pasta, minestrone, melanzane alla parmigiana, piccata milanaise, lasagnes… Tous ces plats gorgés de soleil réchauffaient le plus maussade des automnes. L’essence même de cette cuisine, c’est le réconfort. Quand j’ai commencé à travailler comme journaliste culinaire, elle a pensé que ses petits plats mijotés ne seraient peut-être plus assez bien pour moi. Je l’ai vue redoubler d’efforts, transformant mes visites en véritables banquets. La vérité, c’est que sa cuisine est exactement à la hauteur de mes attentes.

At home, we have always eaten a great deal of Italian food, and that is probably at the root of all my fantasies. Pasta, minestrone, melanzane alla parmigiana, piccata milanaise, lasagna: all these sun-filled dishes warmed up the drabbest of autumns. Comfort is the very essence of this cuisine. When I started working as a food journalist, she thought that these simple, stewed dishes might no longer be good enough for me. I saw her redouble her efforts, turning my visits into veritable banquets. But the truth is that her cooking perfectly hits the spot.

C’est la cuisine de la mamma. Celle qui vous met du baume au cœur un soir de pluie, celle qui vous donne envie de faire trois heures de train juste pour y goûter, celle qui éveille en vous de lointains souvenirs. C’est une cuisine de mémoire, sans chichis. Vous ne la verrez jamais dresser une assiette. En revanche, vous la verrez vous resservir plusieurs fois, les yeux pétillants de bonheur en vous voyant vous goinfrer. Les plats sont toujours posés au centre de la table. À la fin du repas, on vous laissera tremper un morceau de pain dans la sauce pour profiter un peu plus de son jus mijoté. Personne ne vous fera les gros yeux, tout le monde y plongera joyeusement.

It is mamma’s food. Food that makes your heart glow on a rainy evening, that drives you to spending three hours in the train just for a taste; food that rekindles distant memories. It is fuss-free, known-by-heart fare. She will never be found plating up, but she will dish out several extra helpings, her eyes sparkling with joy at seeing you stuffing yourself. The pans are always set down in the middle of the table. At the end of the meal, you can dip some bread into the sauce to savour the slow-cooked flavour a little bit more. You won’t be reproached; everyone happily dips along too.

La cuisine italienne de ma mère est si parfaite qu’elle ferait pâlir d’envie la meilleure trattoria de Paris. Je peine à trouver un tiramisu qui puisse arriver à la cheville du sien : un délicieux dessert généreux

My mother’s Italian food is so perfect that it could turn the best trattoria in Paris green with envy. I struggle to find a tiramisu that could hold a candle up to hers: a delicious pudding,


e at hu me ur

It is mamma’s food. Food that makes your heart glow on a rainy evening, that drives you to spending three hours in the train just for a taste; food that rekindles distant memories.

et crémeux à souhait. J’y retrouve la douceur du mascarpone, des boudoirs imbibés d’espresso, des notes de Grand Marnier ou d’amaretto. Quand je vois son plat sortir du frigidaire, je sais que je serais parfaitement capable d’en découdre seule avec lui, armée d’une petite cuillère. Ce n’est jamais arrivé. On se bat tous pour en avoir une plus grosse part et je l’aime tellement que je pourrais me rouler dedans. Peut-être que les puristes iraient lui voler dans les pattes, arguant sur l’usage de telle liqueur ou de tel café. Ils n’y connaissent rien, je peux vous l’assurer. Vous aussi, vous succomberiez. Ce qu’il y a de magique dans la cuisine d’une mère, c’est qu’elle est avant tout nourricière, directe, honnête et sans fard. N’importe lequel de ces plats me ferait fondre sur le champ mais il y en a un que j’aime par dessus tout : c’est son osso buco. Un plat en sauce qui pourrait être un lointain cousin du bœuf bourguignon. L’osso buco est fait à partir de morceaux de veau et mijote dans une cocotte pendant plus de trois heures. Sur la dernière ligne droite, elle y ajoute quelques os à mœlle, spécialement pour moi. Si ce plat est un délice le jour même, il est à se damner le lendemain. La cuisine d’une mère est la seule à avoir ce pouvoir magique. J’ai souvent essayé de reproduire ses plats, passant de longues minutes avec elle au bout du fil, détaillant chacune de ses astuces pour transmettre une recette « inratable ». Je n’ai connu aucun succès. Certains vous diront que je suis peut-être dure envers moi-même, ma mère en tête de file. Pourtant, ces plats n’étaient que pâles copies en comparaison. La cuisine de ma mère n’est pas faite pour être reproduite. Elle n’a pas d’égal. Un peu comme la cuisine de votre maman.

as lavish and creamy as can be. There is the sweetness of the marscapone, sponge fingers soaked in espresso, and a hint of Grand Marnier or amaretto. When I see it coming out from the fridge, I know that I could easily tuck in, armed with a little spoon, all by myself. This has never happened. We all fight for a bigger portion, and I love it so much I could take a bath in it. Perhaps purists will grumble, arguing about using this liquor or that coffee. They know nothing, I can assure you. It will get you too. The magic of a mother’s cooking lies in it being, above all else, nourishing, direct, honest and plain. I could always fall for any of her dishes, but there is one that I love above all the others: her osso buco. A dish cooked in sauce ( like a distant cousin of bœuf bourguignon ), osso buco is made with veal, stewing in a big pot for over three hours. When it is nearly ready, she adds a few marrowbones, just for me. Delicious straight away, this dish is soul-sellingly good a day later. Only a mother’s cooking has that magic power. I have often tried to reproduce her dishes, spending lengthy minutes with her on the telephone as she enumerates her tips for a ‘fail-safe’ recipe. I have had no success. Some people will tell you that I am being hard on myself, perhaps; my mother first of all. But my endeavours were just pale replicas in comparison. My mother’s food is not made to be copied. It is unparalleled. Rather like your mum’s cooking.

16|17


Le street art se met à table t e x t e s / word s : d. p . photos: Bibo

Prêtez-vous attention aux tableaux qui vous entourent dans un restaurant ? Vous marquent-ils vraiment ? Souvent, les restaurateurs vont à l’essentiel en choisissant des toiles dont les couleurs se fondent agréablement dans la pièce. Qu’en serait-il si vous deviez déjeuner face à une œuvre de Basquiat, de Jeff Koons, de Banksy ou encore de Takashi Murakami ? C’est l’idée folle d’un mystérieux artiste ayant décidé de coupler son amour du street art avec celui de la cuisine française. À Hong Kong, nous avons découvert ce lieu où l’art fait résolument partie des murs. Mi-restaurant, mi-musée, Bibo a fait énormément parler de lui dès son ouverture, créant un concept et une résidence d’artistes uniques au monde. À sa tête, ce français discret dont les gens savent très peu de choses. Do you pay attention to the paintings around you in restaurants? Do they really make a mark on you? Often, restaurant owners keep things simple, choosing pieces with colours that blend in nicely with the room. But what if you were to have lunch in front of a piece by Basquiat, Jeff Koons, Bansky, or even Takashi Murakami? This is the outlandish idea dreamed up by a mysterious artist who decided to couple his love of street art with that of French cuisine. In Hong Kong, we came to a place where art is an integral part of the fixtures and fittings. Half-restaurant, half-museum, Bibo has been getting people talking ever since it opened, creating the only venue and artistsin-residence project of its kind in the world. At the helm, a low profile Frenchman who people know very little about.


20|21 ren c on t re

e at


Min t maga zine : Réussirons-nous à en savoir davantage sur la personne qui se cache derrière Bibo ?

Min t maga zine : Are we going get to know more about the person hiding behind Bibo ?

bibo : Je ne pense pas ! Bibo est avant tout un concept, la ou les personnes qui tirent les ficelles importent peu.

bibo : I don’t think so ! Bibo is first and foremost a concept, and the people pulling the strings don’t really matter.

Min t : Quel est le concept justement ? bibo : Bibo n’est ni un restaurant avec une galerie,

ni une galerie avec un restaurant. Ce lieu existe grâce à son aspect hybride qui essaie de redéfinir notre relation à l’art. L’art n’est pas fait pour être enfermé dans un musée ou des galeries. L’art n’est pas fait non plus pour être exposé dans de luxueux penthouses, ni pour être érigé en trophée pour le plaisir d’un petit groupe de privilégiés. L’art doit se vivre, se sentir et être partagé. Nous avons décidé de combiner cette idée avec celle d’un restaurant, puisque le repas est l’interaction sociale la plus commune dans notre société actuelle. Nous avons pensé que c’était l’alliance parfaite pour partager l’art, faire en sorte que les gens en parlent et vivent ces expériences ensemble avec leur famille et leurs amis. Min t : Que signifie le nom de votre restaurant ? bibo : Il existe une légende urbaine autour de Bibo, cet acteur du street art très connu dans les années 30 à Hong Kong. Il a repris un bâtiment abandonné pour en faire une sorte de refuge pour lui et d’autres artistes de la ville. Près de 80 années plus tard, en avril 2014, notre groupe Le Comptoir a décidé d’y installer un restaurant, partageant le même penchant pour les ambitions artistiques qui peinent à se frayer un chemin.

Min t : So, what is the concept exactly ? bibo : Bibo is neither a restaurant with a gallery, nor a gallery with a restaurant. The place works thanks to its hybrid nature, which attempts to redefine our relationship with art. Art is not made to be shut up in a museum or a gallery. Art is not made to be displayed in luxury penthouses, nor to be kept as a trophy for the pleasure of a small privileged group. Art must be lived, felt and shared. We decided to fuse this idea with that of a restaurant, because eating a meal is the most widespread social interaction in today’s society. We thought it was the ideal combination to share art; to make people talk about and experience it together with their family and friends. Min t : What does the name of your restaurant

mean ? THE OTHER : There is an urban legend around Bibo, a street artist who was very well known in Hong Kong in the thirties. He took over an empty building to make a sort of refuge for himself and other artists in the city. Nearly 80 years on, in April 2014, our group Le Comptoir decided to create a restaurant here, sharing the same fondness for artistic aspiration, struggling to come through.

Min t : Pourquoi avoir choisi Hong Kong ? bibo : C’est la ville idéale pour monter ce genre de

projet : c’est une ville bourrée d’énergie où l’argent est souvent au centre de l’attention. Il nous a semblé que de nombreux habitants étaient désireux d’avoir plus qu’une expression de richesse. Ils veulent de la culture et de l’âme, si je puis dire. Ils sont séduits par les idées nouvelles et créatives. Pour nous, Bibo est une première étape dans ce que deviendra cette ville prochainement : un hub mêlant liberté et culture.

Min t : Why Hong Kong ? THE OTHER : It is the ideal city for doing this sort of project. It is a city full of energy, where money is often the centre of attention. We felt that many residents were after more than just an expression of wealth. They wanted culture and soul, if I may say so. New and creative ideas appeal to them. For us, Bibo is a first stage in what this city will soon become : a hub of freedom and culture.


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bib o  : Hollywood Road est dans les hauteurs de

Sheung Wan, un des plus vieux quartiers de Hong Kong. Le restaurant est situé à 300 mètres de l’endroit où les anglais ont planté leur drapeau en 1841, prenant ainsi possession de l’archipel. Hollywood Road est aujourd’hui la rue des antiquaires et des brocanteurs. Sheung Wan est à cinq minutes à pieds du cœur de la ville. Le quartier a gardé un réel charme avec ses petites impasses et ses ruelles tranquilles. En se promenant en direction du front de mer, on arrive au quartier des magasins traditionnels de remèdes chinois et de produits de mer séchés. Min t : Le bâtiment dans lequel est installé

le restaurant a sa propre histoire, pouvez-vous nous en dire quelques mots ? bib o : Cet endroit accueillait le siège social de la Compagnie Générale Française de Tramways dans les années 30. Cette société aurait dû prendre en charge le réseau de tramways de Hong Kong, mais le projet n’a jamais vu le jour. Les locaux ont été laissés à l’abandon avant que des squatteurs s’y installent. Ils y trouvèrent de vieux documents officiels, des tickets inutilisés ou encore des feuilles de route. Les artistes ayant pris possession des lieux ont laissé libre cours à leur imagination, recouvrant les murs de tags, d’œuvres d’art… C’est comme ça qu’est né Bibo. Min t : On voit très peu de street art dans les rues de Hong Kong, pour quelle raison ? bib o : Hong Kong est une ville où le street art est encore mal perçu. C’est une ville où les œuvres d’Invader sont systématiquement retirées des rues et ce depuis 2001. Il en est de même pour King of Kowloon. Nous pensions que le meilleur moyen de leur donner une voix était de créer un espace dédié à l’expression et à la créativité, de faire de Bibo une résidence d’artistes. Depuis, la situation a considérablement évolué : les galeries d’art exposent du street art et on voit fleurir dans les rues des œuvres faites au pochoir s’inspirant

ren c on t re

Min t : Pouvez-vous nous parler de ce quartier d’Hollywood Road ?

Min t : Can you tell us about Hollywood Road ? bibo : Hollywood Road is up above Sheung Wan, one of the oldest parts of Hong Kong. The restaurant is situated 300 metres from the place where the English staked their flag in 1841, taking possession of the island. Hollywood Road is now famous for its antiques shops and second hand dealers. Sheung Wan is a 5-minute walk from the city centre. The neighbourhood has retained a real charm, with dead ends and quiet streets. Walking towards the seafront, you get to the area with shops selling traditional Chinese medicines and dried seafood. Min t : The building that houses the restaurant has a story of its own, could you sum it up for us ? bibo : This place was home to the headquarters of the Compagnie Generale Francaise de Tramways in the thirties. The company was supposed to be in charge of the tramway network in Hong Kong, but the project never got off the ground. The premises were left to ruin before the squatters moved in. They found old official documents, unused tickets, and even roadmaps. Having taken over the premises, the artists gave free rein to their imagination, covering the walls with tags, artworks… That is how Bibo was born. Min t : There is very little street art to be seen in the streets of Hong Kong, why is this ? bibo : Hong Kong is a city where street art is still badly perceived. It is a city where Invader’s work has been systematically removed from the streets, since 2001. Likewise for King of Kowloon. We felt the best way to give them a voice was to create a space dedicated to expression and creativity, making Bibo an artists-in-residence project. Since then, the situation has developed significantly. Art galleries are exhibiting works of street art and we are seeing stencils clearly inspired by the works of precursor Blek Le Rat, for example. Last May, we were fortunate enough to have Wipe Out in Hong

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clairement du travail du précurseur Blek Le Rat, par exemple. En mai dernier, on a eu la chance de recevoir Wipe Out à Hong Kong, une exposition sur le travail visuel d’Invader. Ce fut un réel succès avec pas moins de 35 000 visiteurs en 15 jours ! Les œuvres installées lors de sa dernière visite sont toujours en place, les hongkongais les ont complètement adoptées. Min t : Au même titre qu’une galerie d’art, les œuvres changent fréquemment. Comment s’organisent vos recherches ? bibo : Nous sommes en contact avec d’autres collectionneurs privés et des fondations avec qui nous trouvons des accords pour en emprunter et satisfaire au mieux notre clientèle avide de découverte. Certaines œuvres ne bougent pas car les clients et nous-mêmes y sommes très attachés. À l’ouverture de Bibo, nous avions installé un Wooden Companion mesurant plus de 2,5 mètres de haut, sculpté par Kaws. Quand nous avons décidé de le remplacer par une sculpture de Yue Minjun, de nombreux clients, pourtant habitués au changement régulier, ont exprimé leur déception. Après 8 mois d’absence, le Wooden Companion est revenu un jour, sans prévenir. Les commentaires sur ce retour inopiné ont été très positifs, il fait vraiment partie de l’ADN de Bibo. Min t : Certaines pièces sont directement

réalisées sur place ? bib o : En effet, par des tagueurs comme JonOne, D*Face, Nasty, Stohead, ou encore le sculpteur de fresques Vhils. Mr Brainwash, Invader, Ella & Pitr sont aussi venus réaliser leurs œuvres dans notre restaurant. Min t : La gastronomie est de plus en plus

considérée comme un art à part entière, qu’en pensez-vous ? bibo : Comme toute chose, la cuisine suit la tendance. Depuis toujours, l’assiette se doit de plaire à l’œil avant de s’attaquer au palais. Si la gastronomie était autrefois appréciée par des happy few, elle est aujourd’hui plus accessible par le biais d’une nouvelle génération de chefs, de restaurateurs et de cuisiniers à domicile qui ont poussé la cuisine au rang d’art en l’ouvrant au monde. Mon idée était aussi de rendre hommage à cette époque où Montmartre était un un lieu d’amusement et de création où se mêlaient déjà l’art et le goût des bonnes choses !

Kong, an exhibition on the visual work of Invader. This was a real success, with no less than 35,000 visitors in two weeks! The pieces put up during his last visit are still in place; the Hongkongers have fully embraced them. Min t : Just like an art gallery, pieces change regularly. What is your research process? bibo : We are in touch with other private collectors and foundations, and we make agreements with them to borrow works to satisfy as best we can our clientele’s thirst for the new. Some pieces don’t move because we and the guests are really fond of them. When Bibo opened, we installed a Wooden Companion measuring over 2.5 metres high, sculpted by Kaws. When we decided to replace it with a sculpture by Yue Minjun, many visitors, despite being used to the works changing frequently, told us they were disappointed. After 8 months’ absence, one day the Wooden Companion came back without warning. Comments on this unexpected return were very positive and the piece really is part of Bibo’s DNA. Min t : Are some pieces made directly on-site? bibo : Yes, by taggers such as JonOne, D*Face, Nasty, Stohead, or even the fresco-sculptor Vhils. Mr Brainwash, Invader, Ella & Pitr also came to make pieces in our restaurant. Min t : Food is increasingly seen as an art in its own right, what do you think about this? bibo : Like anything else, food follows trends. Plates of food have always had to be visually attractive before tackling the taste buds. Gastronomy was once appreciated by the happy few, but now a new generation of chefs, restaurateurs and private chefs have made it more accessible; pushing food to the status of art by opening it up to the world. My idea was also about paying tribute to the time when Montmartre was a place of entertainment and creation; where art and the taste for good things were already combined!




e at RENCONTRE

Min t : Est-ce que les menus sont pensés différemment pour coller au mieux à l’univers artistique du restaurant ? bibo : Bien que notre chef Mutaro Balde ait été formé

auprès de grands chefs français comme Alain Ducasse ou Joël Robuchon, sa cuisine n’en est pas moins moderne. Il s’inspire librement de ce qui l’entoure et son approche de la gastronomie française n’est pas une réflexion cherchant à tout prix à coller au lieu. Cela se passe au gré des envies, de façon fortuite. Par exemple, un des plats signatures du chef est inspiré d’une œuvre de Mist taguée sur un des murs du restaurant. Min t : Pensez-vous que les gens soient

aussi attentifs aux œuvres qui les entourent lors d’un déjeuner que dans un musée ? bibo : Finalement, lorsqu’on visite une galerie ou un

musée, se souvient-on vraiment de tout ce que l'on a vu, ne serait-ce que le lendemain ? Chez Bibo, les gens ont le loisir de les apprécier le temps d’un repas et s’en souviennent, sans aucun doute. L’exemple de la statue de Kaws est bien la preuve que nos clients y sont très attentifs. Min t : Votre journée parfaite à Hong Kong ? bibo : Hong kong est une ville incroyable. On peut quitter l’agitation du centre en seulement 30 minutes pour une promenade en montagne. En semaine, une journée parfaite commencerait tôt le matin avec une marche sur la plage de Repulse Bay, suivie d’un petitdéjeuner chez Hotshot. Le week-end, je prendrais un café le matin dans le quartier de Sheung Wan avant de prendre un brunch au champagne chez Bibo. Je profiterais de la journée avant d’aller admirer un coucher de soleil sur Repulse Bay, en sirotant un cocktail ou en dégustant un dîner balinais chez TRi.

Min t : Are the menus designed specifically to correspond to the restaurant’s artistic nature? bibo : Although our chef Mutaro Balde was formally trained, alongside top French chefs like Alain Ducasse or Joël Robuchon, his food is very modern. He freely draws inspiration from his surroundings, and his approach to French gastronomy does not seek to stick to the place at all costs. It takes shape through feeling, by chance. For example, one of the chef’s signature dishes is inspired by a piece by Mist tagged on one of the restaurant walls. Min t : Do you think people pay as much attention to the art around them during lunch as at a museum? bibo : In the end, when we visit a gallery or a museum, do we really remember all the artworks, even just a day later? At Bibo, people are free to appreciate them throughout a meal, and really remember them. The example of the Kaws statue certainly proves that our clients are very attentive to this. Min t : Your perfect day in Hong Kong? bibo : Hong Kong is an amazing city. You can get away from the frenzy of the centre in just 30 minutes for a walk in the mountains. During the week, a perfect day would start early in the morning with a walk on the beach at Repulse Bay, followed by breakfast at Hotshot. On weekends, I would have a coffee in the morning in Sheung Wan before a champagne brunch at Bibo. I would enjoy the day and then go to watch the sunset at Repulse Bay, drinking a cocktail or enjoying a Balinese dinner at TRi.

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ôde

aux dim sums

te xtes/ words: hélène rocco

il l u s t r at i o n : c o l ine g ir a r d


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Stacked bamboo steamers appear through the misty windowpanes of an eatery a short walk from the Red Market in Macau. Inside, guests are waiting patiently for their precious treasure: four or five chicken, beef or fried-vegetable dim sum, You could say that they are calling me; making eyes at me. I’m out of place among the regulars. The petite lady who serves me is amused by my fascination. A few minutes later, the cantonese antipasti make me forget all about the beeping of the tuk-tuks and the din of the nearby crowd. A moment of calm, before plunging back into the tumult of the frenetic streets in this former Portuguese colony. Thousands of kilometres away, the memory is still with me; a long distance love-affair between a Frenchwoman and steamed bites. I can’t hold myself back from closing my eyes for a few seconds while I eat some more. Dim sum means ‘touching the heart’ in Cantonese, and anyone who has already tried them will understand why. Inside these translucent, juicy pouches, is a delicious, tender filling that I still have not forgotten, several months since our last encounter. Savoury or sweet, it is hard to get tired of them. There are just so many different types of dim sum. There are for example steamed raviolis and buns, tofu pudding and, inherited from the colonial period, pastéis de nata. I have my favourites, of course. I love the prawn Ha-kao and the crispiness of fried wontons. But my number one has to be xiao-long bao, from Shanghai, filled with soup and pork. In restaurants, with an array of choices snug in their bamboo baskets in front of me, I always keep those for last. For centuries, these individual bites have been part of daily life for the residents of Macau, Hong Kong’s peaceful neighbour. At first, they were reserved exclusively for the Emperor. Then they started being served in the tea houses that flourished along the Silk Road. The weary travellers enjoyed them at Yum Cha, with tea, from five o’clock in the morning. The peasants also liked to stop by after a day working in the fields for a little comfort and company. Today, Chinese families continue to enjoy this ritual, and often eat dim sum for brunch at the weekend. I don’t think I would have any problem sticking to the same diet. I admire those who know how to cook them perfectly, and have not yet given it a whirl myself; for fear of not capturing the authentic flavours of those lovely little bite-sized morsels. Oh well. Doubtless it will take me years to master the recipe, but I don’t need all my teeth to be able to eat my beloved dim sum.

rec e t t e

À travers des vitres embuées, on devine les paniers vapeurs empilés dans une échoppe à quelques pas du Red market de Macau. À l'intérieur, les clients attendent patiemment leur précieux sésame : quatre à cinq dim sums au poulet, au bœuf ou aux légumes sautés. On dirait qu'ils m'appellent, qu'ils me font les yeux doux... Au milieu des habitués, je détonne. La petite dame qui me sert s'amuse de mon air fasciné. Quelques minutes plus tard, ces antipasti cantonais me font oublier les klaxons des tuk-tuks et le vacarme de la foule voisine. Une parenthèse de douceur avant de replonger dans le tumulte des rues agitées de cette ancienne colonie portugaise. À des milliers de kilomètres de là, leur souvenir est toujours présent ; un amour longue distance entre une Française et des bouchées vapeurs. Je ne peux pas m'empêcher de fermer les yeux quelques secondes lorsque j'en mange à nouveau. Dim sum signifie « toucher le cœur » en cantonnais et tout ceux qui y ont déjà goûté comprendront pourquoi. À l'intérieur de ces poches translucides et juteuses, une délicieuse garniture fondante que je n'ai toujours pas oubliée, plusieurs mois après notre dernière rencontre. Salés ou sucrés, difficile de s'en lasser tant il existe de variétés de dim sums différentes. Il y a par exemple les raviolis et les brioches vapeurs, le pudding au tofu et, en héritage de la période coloniale les pastéis de nata. Bien sûr, j'ai quelques chouchous. J'aime les Ha-kao aux crevettes et le croustillant des wonton frits mais ma préférence va aux xiao-long bao de Shanghai, emplis de soupe et de viande de porc. Au restaurant, face à une multitude de mets lovés dans des paniers en bambou, je garde toujours ceux-là pour la fin. Depuis des siècles, ces bouchées individuelles accompagnent les journées des habitants de Macau, paisible voisine d'Hong Kong. À l'origine, seul l'Empereur y avait droit puis on s'est mis à les servir dans les maisons de thé qui fleurissaient le long de la route de la Soie. Les voyageurs épuisés les dégustent lors du Yum Cha, la dégustation du thé, dès cinq heures du matin. Les paysans aiment aussi s'y retrouver après une journée de travail dans les champs pour se réconforter. Aujourd'hui, les familles chinoises continuent à apprécier ce rituel et savourent souvent des dim sums le week-end pour le brunch. Je crois que je n'aurais aucun mal à suivre le même régime. J'admire ceux qui savent les cuisiner à la perfection et ne me suis pas encore jetée à l'eau, de peur de ne pas retrouver les vraies saveurs de ces douces bouchées. Qu'importe. Il me faudra sans doute des années avant de maîtriser la recette, mais je n'ai pas besoin d'avoir des dents solides pour pouvoir déguster mes dim sums adorés.

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Les dim sums du Jade Dragon de Macau r e c e t t e / r e c i p e : W i l s o n fa m k e a n wa h il l u s t r at i o n : c o l ine g ir a r d

Ingrédients

150g de homard 150g de crevettes 300g de crevettes broyées 20g de saindoux 100g de racines de bamboo 10g de fécule de pomme de terre 5g de sel 5g d’huile de sésame 5g de sucre

Ingrédients pour la pâte

100g de pousses d’épinards 200g de ciboule de Chine ( ou de ciboulette ) 200g de fécule de pomme de terre 200g de fécule de blé 10g de saindoux 100g d’eau

Préparation

Pour préparer la garniture, hacher en petit dés le homard et les crevettes. Hacher les pousses de bambou en fine julienne. Mettre la chair de crevettes broyées dans un bol et ajouter les dés de homard et de crevette puis les pousses de bambou et mélanger délicatement avec le reste des ingrédients. Réserver. Pour la préparation de la pâte à raviolis, faire blanchir les épinards et la ciboule de Chine dans de l’eau. Égoutter les légumes et conserver l’eau de cuisson. Mettre les fécules de blé et de pomme de terre dans un bol puis porter l’eau de cuisson à ébullition avant de l’ajouter dans le bol. Bien mélanger avec le reste des ingrédients et, à l’aide d’une spatule, avant que le mélange ne refroidisse. Prélever 8g de pâte et l’étaler en formant un cercle d’environ 8-9 cm de diamètre. Placer 30g de garniture au centre et refermer le ravioli de sorte à ce que l’un des bords forme un éventail. Cuire à la vapeur dans un panier en bambou recouvert de papier cuisson perforé ou de papier à dim sum.

Jade Dragon Prawn Dumpling Ingrédients

150 gram Blue Lobster Meat - diced 150 gram Tiger Prawn Meat - diced 300 gram Tiger Prawn Meat - mashed 20 gram Pork Lard 100 gram Bamboo Shoot – fine julienne 10 gram Potato Starch 5 gram Salt 5 gram Sesame Oil 5 gram Sugar

Ingredients for Dumpling Skin

100 gram Baby Spinach 200 gram Chinese Garlic Chives 200 gram Potato Starch 200 gram Wheat Starch 10 gram Pork Lard 100 gram Water

Method and steps

To prepare the dumpling filling, first dice 150g of Tiger Prawn and 150g of Blue Lobster into 1.5cm cubes. Next, finely chop the Bamboo Shoots. Place the Mashed Tiger Prawn Meat into a mixing bowl, followed by the rest of the Dumpling Filling ingredients and gently mix well. Put aside until ready to use. For the preparation of the dumpling skin; blanch the Baby Spinach, Chinese Garlic Chives and water together. Strain the water used to blanch the ingredients and keep aside. Place the Potato Starch and Wheat Starch into another mixing bowl, bring the strained vegetable water to a boil and add it to the starch mixture. Mix well with a spatula before it cools down. Weigh out 8g of the dumpling skin dough and press it into a round shape, roughly around 8-9cm in diameter. Place 30g of the dumpling filling onto the skin and wrap it. Steam for 5 minutes in a basket lined with a round of Dim Sum paper matt.


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Stéphanie Le Quellec a été découverte dans une émission de télévision et pourtant, c’est tout juste si on s’en souvient. Connue dans le métier pour son talent et son caractère bien trempé, elle fêtait cette année sa première étoile au guide Michelin et présentait dans la foulée le concours de Meilleur Ouvrier de France. Autant vous dire qu’on vous parle d’excellence, de rêves exaucés, de passion et de travail acharné. Terrienne, elle a su garder la tête froide sans perdre de vue l’objectif qu’elle s’était fixé. Stéphanie est une femme à l’image de sa cuisine, droite, franche et surprenante.

Cuisine sensible t e x t/ w o rd s : D. P .

photos: marie-amélie tondu

Most people barely remember that Stéphanie Le Quellec came to prominence through a television show. Known in the business for her talent and strong character, this year rang in her first Michelin Star as well as entry to the Meilleur Ouvrier de France competition. Needless to say that you are reading about excellence, dreams come true, passion and hard work. Levelheaded, she knows how to stay cool without ever losing sight of her goals. Stéphanie is a woman in the image of her food: straightforward, frank and surprising.


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Min t maga zine : What kind of child were you?

stéphanie le quellec : J’ai grandi avec mes parents et ma petite sœur à Enghien-les-bains. Dans ma famille, il n’y a pas de cuisinier professionnel mais on a tous le goût des bonnes choses. Notre truc, c’est les grandes tablées à Noël, les apéros qui s’éternisent… Enfant, j’étais une petite fille sage, un peu dans ses rêves, mais très tôt dans ses rêves de cuisine. Je connaissais la recette de la pâte sablée par cœur et m’amusais à faire des montagnes de biscuits avec ma grand-mère. À 11 ans, je faisais déjà des bûches, des biscuits roulés… Curieusement la pâtisserie m’est venue avant la cuisine. Pour mes 14 ans je me suis attaquée à quelque chose de plus élaboré : un millefeuille, mon dessert préféré.

st éphanie l e quel l ec : I grew up with my parents and my little sister in Enghien-les-bains. In my family there are no professional cooks but everyone likes good food. We like doing a big table at Christmas, evenings that go on forever… As a child, I was a good girl. A bit in my own little world, but very early on dreaming about food. I knew the recipe for sweet shortcrust pastry by heart and would have fun making mountains of biscuits with my grandmother. At 11, I was already making log cakes, rolls… Curiously, baking came before cooking. For my 14th birthday I tackled something more complicated: a mille-feuille, my favourite pudding.

Min t : Qui vous a donné envie de cuisiner ?

Min t : Who made you want to cook?

s t ép ha nie  : Dans ma famille, la cuisine est une affaire de femmes, même si j’ai un papa très gourmand. J’observais beaucoup ma mère, j’ai un souvenir très net du pot-au-feu du dimanche qu’elle nous préparait. Aujourd’hui, c’est elle qui vient manger le mien. J’ai toujours su que je voulais faire ça. Je ne sais pas comment est arrivé le déclic. Des amis à nous avaient un resto où on allait de temps en temps le dimanche et j’y ai découvert le métier. Ce monde m’attirait, j’aime la rigueur, le travail et la discipline. Je suis convaincue que ce métier a toujours été en moi.

st éphanie : In my family, cooking is women’s work, even though my father is very fond of food. I watched my mother a lot. I can clearly remember the Sunday pot-au-feu that she would make for us. Now she comes over to eat mine. I always knew I wanted to do this. I don’t know how the penny dropped exactly. Some of our friends had a restaurant where would sometimes go on Sundays, and I learnt about the job there. This world appealed to me. I like the rigour, the work and the discipline. I’m sure this profession was always in me.

Min t : Quand avez vous débuté votre carrière ?

Min t : When did your career start?

stéphanie : J’ai commencé la cuisine très tôt, à 14 ans, car j’avais une année d’avance. Mes résultats scolaires étaient bons, je n’avais donc aucune raison d’entrer dans le monde de la cuisine. Il faut se dire qu’il y a 19 ans, le milieu n’était pas sexy. Les gens s’y retrouvaient plus par défaut que par passion. J’ai expliqué à mes parents que je voulais aller dans une école hôtelière et ils m’ont soutenue. La cuisine était déjà une vocation, c’était indéniable. J’ai vu ma mère se plier en quatre pour me trouver une école dès la rentrée. J’étais sérieuse, bosseuse mais d’emblée, le directeur de l’école a été très frontal en me disant que toutes les femmes abandonnaient, car c’était un métier difficile. Ça a été déstabilisant mais je lui ai prouvé qu’il avait tort.

st éphanie : I started cooking very young, at 14 because I had jumped a year. My school marks were good, so there was no reason for me to go into the world of cooking. It must be said that 19 years ago, it wasn’t a sexy industry. People ended up there by default more than passion. I told my parents that I wanted to go to catering school and they supported me. Cooking was already a vocation, there is no doubt about it. I watched my mother bend over backward to get me a place for the following year. I was serious and hardworking, but right away the school principal was very blunt, telling me how all the girls left because it was a hard job. That was unsettling but I proved him wrong.

RENCONTRE

Min t maga zine : Quel genre d’enfant étiez-vous ?

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Mint : Les gens vous ont découverte grâce à l’émission Top Chef, pourtant on a tendance à l’oublier. Comment avez-vous fait pour gommer cette image ?

Min t : People first saw you in the television programme Top Chef, yet we tend to forget it. What did you do to erase that image?

st éphanie : Je suis restée fidèle à moi-même. Comme beaucoup de monde, j’avais suivi la première saison et pour la seconde, c’est ma famille qui m’a embarquée là-dedans. Avant ça, il faut savoir que j’étais quelqu’un de très timide, la cuisine était le seul endroit où je me sentais bien : j'y suis dans mon élément, ça a toujours été mon moyen d’expression. L’émission m’a aidée à arrondir les angles, d’une certaine manière.

st éphanie : I stayed true to myself. Like a lot of people, I had watched the first season and for the second, my family pushed me forward. Before that, you have to know that I was a very shy person. The kitchen was the only place I felt good. In the kitchen I feel like I’m in my element, and that had always been my way of expressing myself. The programme helped me become more rounded, in a way.

Min t : Que retenez-vous de cette expérience ?

Min t : What do you take from this experience?

stéphanie : C’est une ligne sur mon CV, je ne capitalise pas dessus. Je ne le renie pas non plus, je suis consciente de ce que ça m’a apporté : j’avais déjà entamé ma carrière depuis un moment mais cette émission m’a donné une notoriété. Top Chef est arrivé à une période de transition dans ma vie et m’a énormément appris. J’étais au contact de chefs talentueux qui m’ont fait progresser. Je me souviendrai toujours quand Jean-François Piège m’a dit que ma cuisine était trop sérieuse, presque scolaire. J’étais dans une recherche perpétuelle de perfection et ces critiques m’ont révélé une nouvelle facette de ma cuisine.

st éphanie : It is a line on my CV. I don’t capitalise on it. I don’t renounce it either; I am aware of what it brought me. I had already made a good start on my career, but this show gave me a celebrity status. Top Chef arrived at a transition period in my life and it taught me a great deal. I was in contact with talented chefs who made me move forward. I will always remember when Jean-François Piège told me that my food was too serious, almost pedantic. I was endlessly searching for perfection and his criticism showed me a new side to my cooking.

Mint : Il arrive souvent que la direction d'un hôtel ait

la main-mise sur ce qu’il se passe en cuisine, ce n’est pas le cas au Prince de Galles ? stéphanie : J’ai été choisie pour une vision, une envie

de renouveau. On est à côté du Fouquet’s et du George V, la direction souhaitait se démarquer et proposer une cuisine plus simple, décomplexée. Il a fallu se libérer des chichis du palace. Quand nous avons construit notre cuisine ouverte, ce n’était pas quelque chose de commun dans un restaurant de cet acabit. J’ai la chance d’être indépendante, et de faire ce qui me plaît. Je préfère avoir une étoile toute ma vie et faire ce que je veux plutôt que de changer l’essence de ma cuisine.

Min t : The hotel management is often in control of what goes on in the kitchen. Is that so at the Prince de Galles? st éphanie : I was chosen for a vision, a desire for renewal. We are next door to Fouquet’s and George V; the management wanted to stand out and offer a more simple, relaxed cuisine. We had to shake off the five-star fuss. When we built the open kitchen, it was not an ordinary thing for this style of restaurant. I am lucky enough to be independent and do what I like. I would rather have one star all my life and do what I want than change the essence of my food. Min t : Do you leave space for improvisation?

Min t: Laissez-vous de la place à l’improvisation ? st éphanie : De plus en plus. Ce n’était pas le cas au

début et pourtant je crois que c’est là que je suis douée. J’ai parfois besoin de sortir du cadre pour m’amuser, j’ai beaucoup fait évoluer ma cuisine vers quelque chose de plus épuré. Les gens le remarquent et pourtant, j’ai encore cette envie d’aller à l’essentiel, d’être lisible.

st éphanie : More and more. It was not the case at the beginning, and yet I think this is where my talent lies. Sometimes I need to get out of the box to have a bit of fun. I have really made my food evolve toward something more stripped down. People notice, and yet I still have the desire to get to the point; to be readable.


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L’ennui, c’est qu’on entend « raffinement » ou « élégance » quand on parle de cuisine féminine. Est-ce que ça reviendrait à dire que les hommes font une cuisine de brute ?

What is annoying is hearing ‘refinement’ or ‘elegance’ used to describe feminine food. Does it follow that men make crude food?


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Min t : What do you mean by ‘readable’? Chefs often talk about dishes that ‘tell a story’ but it is not always easy to understand.

stéphanie : J’ai envie qu’on comprenne mon message. Les plats racontent une histoire dans le sens où ils sont le fruit d’une reflexion, d’un souvenir… En ce moment on sert en entrée un caviar de Sologne sur un pain mi-perdu, mi-soufflé avec au centre une pomme Pompadour. On le sert avec un peu de crème crue de chez Quatrehomme. J’ai fait cette recette chez moi pour la première fois l’hiver dernier, c’était lors d’un apéro avec des amis. J’avais mis les différents éléments dans des bols au centre de la table, ça ne ressemblait à rien mais en goûtant il s’est passé un truc. J’ai essayé de reproduire cette impression au restaurant, sans jamais être satisfaite du résultat. C’est une recette très technique, on a mis du temps à y arriver.

st éphanie : I want my message to be understood. The dishes tell a story in the sense that they are the result of a thought, a memory… At the moment we are doing a starter of Sologne caviar on bread that is half-perdu, half-soufflé with a Pompadour potato in the middle. It is served with a bit of unpasteurised cream from Quatrehomme. I made this recipe at home for the first time last winter, during an evening with friends. I had put all the different ingredients in bowls in the middle of the table. It looked rubbish but the taste was something else. I tried to reproduce this feeling at the restaurant, without ever being satisfied with the result. It is a very technical recipe and it took time to make it work.

Min t: Que vous inspire cette saison ?

Min t : What is inspiring you this season?

stéphanie : J’ai envie de me remettre à faire du potau-feu ou de la blanquette de veau. L’automne me donne envie de faire une cuisine rassurante. J’aime le printemps car c’est la saison où je m’exprime le mieux. L’automne m’intéresse pour les mêmes raisons : c’est une période de transition avec des produits intéressants à travailler comme le gibier, les champignons ou encore la truffe blanche qui arrive…

st éphanie : I feel like starting to do stews or a blanquette de veau again. Autumn makes me want to cook comforting food. I love spring because it is the season when I express myself best. Autumn interests me for the same reasons: it is a transition period with interesting products to work with, like game, mushrooms or even those white truffles that are coming soon…

Min t: Quels sont vos atouts et vos faiblesses ?

Min t : What are your strengths and weaknesses?

stéphanie : Être une femme. Dans ce métier, c’était une faiblesse, il ne faut pas oublier que j’ai commencé le métier très jeune, aujourd’hui c’est différent. Être une femme est un atout, on devient comme une sorte de curiosité, dès lors où on arrive à mener une belle carrière, tout en ayant une vie de famille…

st éphanie : Being a woman. In this industry, it was a weakness. We mustn’t forget that I started working very young, today it is different. Being a woman is a strength, you become a sort of curiosity, as soon as you manage to forge a good career while juggling a family…

Min t: Avez-vous connu des moments difficiles face à un milieu masculin ?

min t : Have you encountered difficulties faced with a masculine environment?

st ép hanie : Oui, comme beaucoup de gens mais je n’ai jamais voulu me cacher derrière ça. Je ne suis pas féministe, pour moi la cuisine est un lieu d’expression et je n’y vois que des gens, hommes ou femmes, qui expriment leur sensibilité. À côté de ça, la cuisine est un monde difficile qui demande de la force, de l’attention et de la rigueur. Aujourd’hui, on travaille mieux et on ne gueule plus, mais on n’est pas chez les bisounours non plus.

st éphanie : Yes, like many people, but I never wanted to hide behind that. I am not a feminist. For me food is a mode of expression and I only see people, men or women, expressing themselves. That said, food is a difficult world that requires strength, focus and rigour. Today we work better and we don’t shout, but it is not Care Bear Land either.

RENCONTRE

Min t: Qu’entendez-vous par « lisible » ? Les chefs parlent souvent de plats qui « racontent une histoire » mais ce n’est pas toujours facile à comprendre.

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Min t: Est-ce qu’il existe une cuisine féminine ?

Min t : Is there such a thing as feminine cuisine?

stéphanie : Non. Je n’y crois pas, je ne pense pas que quelqu’un puisse goûter à un plat et en déduire le sexe de l’auteur. L’ennui, c’est qu’on entend « raffinement » ou « élégance » quand on parle de cuisine féminine. Est-ce que ça reviendrait à dire que les hommes font une cuisine de brute ? La cuisine est une question de caractère, de personnalité. J’étais récemment chez Pascal Barbot et j’ai trouvé sa cuisine très raffinée et elle n’est pas féminine pour autant !

st éphanie : No, not in my opinion. I don’t think that someone can taste a dish and deduce the gender of the chef. What is annoying is hearing ‘refinement’ or ‘elegance’ used to describe feminine food. Does it follow that men make crude food? Food is a matter of character, personality. I was recently at Pascal Barbot’s restaurant and I found his food very refined, and that doesn’t make it feminine! Min t : Who cooks at home?

Min t : Qui cuisine à la maison ? st éphanie : Un peu les deux, mon mari est chef lui

aussi. La cuisine c’est notre vie. Le week-end dernier, j’ai acheté 5 kilos de cornichons au marché et on s’est amusé à faire des bocaux en famille, c’est un souvenir d’enfance que je partage aujourd’hui avec mes enfants.

st éphanie : Both of us. My husband is a chef too. Food is our life. Last weekend, I brought five kilos of gherkins at the market and we had fun putting them into jars as a family. It is a childhood memory that I’m now sharing with my children. Min t : Are your children interested in food?

Min t : Vos enfants s’intéressent-ils à la cuisine ? stéphanie : Ils ont la chance de baigner dedans, de le

vivre avec nous qui connaissons bien ce milieu. J’essaye de leur faire comprendre qu’ils ont de la chance d’aller dans de beaux endroits, tandis que leur père et moi avons du faire notre premier restaurant étoilé à 20 ans ! Mon fils aîné adore manger, le petit aime bien la pâtisserie, je retombe au niveau de commis chaque week-end quand on cuisine ensemble. Il a réalisé le superbe Paris-Brest de Philippe Conticini et j’étais vraiment bluffée.

st éphanie : They are lucky enough to be immersed in it; to experience it with us, who know this world well. I try to make them understand that they are lucky to go to nice places, while their dad and I only got to go to our first Michelin star restaurant at 20 years old! My eldest son loves to eat, the little one really likes baking. I get demoted to second chef every weekend when we cook together. He made Philippe Conticini's great Paris-Brest and I was bowled over. Min t : Would you encourage him to do this job?

Min t : Vous l’encourageriez à faire ce métier ? st éphanie : Si c’est ce qu’il souhaite vraiment, s’il

brûle de faire ce métier, alors oui je l’encouragerais. Mais c’est un métier qui demande des sacrifices. Pour moi, c’est le plus beau métier du monde, on donne énormément mais on reçoit beaucoup en échange. On est là pour faire plaisir avant de faire à manger, il faut s’avoir s’effacer, faire preuve d’humilité et ne pas oublier pourquoi on fait ce travail.

st éphanie : If it is what he really wanted. If he was passionate about doing this job then yes, I would encourage him. But it is a profession that demands sacrifice. For me, it is the best job in the world. We give a great deal but we receive a lot in return. We are there to give joy before making food. You have to know how to be invisible, be humble and not forget why you do the job. Min t : The perfect dinner?

Min t : Le dîner idéal ? stéphanie : Il n’est pas dans l’assiette, c’est la compagnie

qui compte. Il suffit de peu de choses en vérité. On peut simplement déboucher une bouteille de vin rouge et découper un saucisson pour partager ce moment en famille ou avec des amis. Le dimanche soir, on s’achète des tourteaux au marché qu’on mange avec un peu de beurre demi-sel et on choisit des femelles pour se faire des tartine avec le corail. Un plat parfait avec un bon vin blanc, on ne peut pas faire plus simple.

st éphanie : What matters is not what is on my plate, but the company. I don’t need much, really. We could just open a bottle of red wine and slice a saucisson to share a moment as a family or with friends. On Sunday evenings, we buy crabs at the market that we eat with some slightly salted butter. We pick females to eat the orange part on toast. A perfect dish with a good white wine, it can’t get more simple than that.


38|39 ren c on t re

e at


D.I.Y Concrete Trays

design: hÊlène pinaud & j u l i e n s c h wa r t z m a n n


e at de si g n

Pour mettre en scène vos petits plats d’hiver, nous avons imaginé des plateaux aux formes pures. Nous avons choisi de travailler les matières naturelles et de privilégier l’aspect brut du béton. Au centre, la petite anse en bois donne une touche ludique aux plateaux.

To serve your winter dishes, we have designed some simple-shaped trays, choosing to work with natural materials and favour the rough appearance of concrete. In the centre, the wooden handle gives the tray a playful touch.

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Mat ériel pour 1 pl at e au de 25 cm de l arge 1 kg de ciment gris en poudre 1 anneau de rideau en bois 1 plaque de carton gris 1 cutter 1 rouleau de ruban adhésif

Inst ruc t ions Découpez à l’aide d’un cutter un moule rond ou carré dans du carton gris. Fixez-le bien avec du ruban adhésif. Dans une bassine, mélangez le ciment en poudre avec de l’eau en respectant les quantités indiquées sur le paquet. Lorsque le mélange est bien homogène, versez-le dans votre moules jusqu’à obtenir une épaisseur d’environ 1,5 cm. Lissez le béton si besoin et plongez un anneau en bois au centre, tant que le béton est encore liquide. Laissez sécher pendant 48 heures. Découpez délicatement votre moule en carton. Retirez l’excédent de poussière à la surface du plateau et appliquez un vernis alimentaire si vous souhaitez poser la nourriture directement dessus.

Mat erial for 1 t r ay 25 cm wide 1 kg grey cement powder 1 wooden curtain ring 1 piece of grey cardboard 1 cutter 1 roll of adhesive tape

Inst ruc t ions Use the cutter to cut a round or square mould from the grey cardboard. Fix in place using adhesive tape. In a bowl, mix the cement powder with water, following the quantities specified on the packet. When the mixture is nicely consistent, pour it into your mould. The thickness should be about 1.5 cm. Smooth out the concrete if you need to, and bury the wooden ring in the centre while the concrete is still liquid. Leave to dry for 48 hours. Gently cut off the cardboard mould. Remove the excess dust from the surface of the tray and apply a food-safe varnish if you would like to place food straight on top.


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te xtes/ words: cécile becker ILLUSTRATIONS : l a u r a j u n g e r

En dépit des mythes voulant que les groupes en tournée se nourrissent exclusivement de pizzas, Alex Kapranos, leader des Franz Ferdinand, mais aussi ex-chef, ex-sommelier, ex-livreur de plats indiens ; atteste avec son livre La Tournée des grands-ducs que les musiciens, même harnachés à leurs tour bus, n’échappent pas à la ruée vers la bonne chère. Une aubaine pour jeter un œil indiscret aux coulisses de concerts mais aussi pour explorer les liens existants entre musique et cuisine. Despite the myths claiming that bands on tour eat nothing but pizza, Alex Kapranos ( Franz Ferdinand frontman, ex-chef, ex-sommelier and ex-Indian takeaway delivery boy ) confirms in his book Sound Bites: Eating on Tour with Franz Ferdinand, that musicians, even when tied to the tour bus, are not immune to the rush for good food. A godsend for a sneaky backstage peek, but also for exploring the links between food and music.


e at déc o u vert e

Il y a quelques mois, Noisey, branche musicale du site Vice, titrait un de ses nombreux guides déglingués : Manger de la bouffe de merde en tournée  ( Pardon my French ) compilant les conseils impertinents de groupes de rock indé forcés d’ingérer frénétiquement burritos, sandwiches de chips tortillas ( sic ) et pizzas entre l’installation de la batterie et les balances. L’auteur explique cette fatalité par la condition financière des musiciens souvent misérable : nombreux sont ceux qui enchaînent les petits boulots qui leur permettent d’enregistrer ou de partir en tournée à tout moment. Difficile alors de dépenser leurs précieux cachets en menus équilibrés et sans gluten… L’autre explication tient au fait qu’un musicien est continuellement en jet lag : voyages, heures indues de coucher et de réveil, concerts se finissant bien souvent tardivement, excluant tout espoir de trouver un restaurant digne de ce nom encore ouvert. Si l’article brille par sa drôlerie, il se complaît dans l’imaginaire du rockeur en clochard céleste qui, pour alimenter nos fantasmes, se nourrirait exclusivement de bières, de whisky et de cocaïne. C’est oublier que bien souvent, les salles de concert prévoient un catering – terme consacré pour désigner la restauration du spectacle – rassemblant charcuteries, fromages, plats chauds, sucreries et boissons de toutes sortes pour satisfaire l’appétit des musiciens, avant et après leurs concerts. Si la qualité du catering peut évidemment être discutable, les promoteurs sont d’ordinaire tenus d’offrir le couvert aux artistes. Élémentaire !

A few months ago, Vice’s music section, Noisey, entitled one of its many off-the-wall guides ‘Eating Shit Food on Tour’ ( pardon my French ). It brings together sound advice from indie rock groups who are forced to frenetically ingest burritos, tortilla chip sandwiches ( sic ) and pizzas between setting up the drums and soundcheck. The author cites the often miserable financial situation of musicians as accounting for this state of affairs. Many take a series of odd jobs so they can record or go on tour at any moment. Which makes it hard to spend their precious earnings on balanced, gluten-free meals. The other explanation lies in musicians’ eternal jet-lag, from travelling and keeping ungodly hours. Concerts often finish late, ruling out any hope of finding a restaurant open that is worthy of the name. Despite being brilliantly funny, this guide wallows in the poetic image of the hobo-rocker who ( to fuel our fantasies ) fuels himself entirely on beer, whisky and cocaine. Which is to ignore the fact that venues very often provide catering; selections of cold meats, cheese, hot dishes, sweets and all sorts of drinks to satisfy the musicians’ appetites before and after their shows. Although the quality of catering can of course be dubious, promoters are generally required to provide food for the artists. At the very least. All bands on tour are supposed to send a rider in advance, a sheet with technical information and 44|45


Tout groupe en tournée est d’ailleurs censé envoyer au préalable un rider, fiche mêlant informations techniques et exigences alimentaires pouvant être surprenantes lorsqu’en fan de rock, l’on reste attaché à ses légendes. De source sûre, les groupes les plus bruyants peuvent être les plus raisonnables, exigeant thé au jasmin et aliments exclusivement bio, quand on pourrait établir à la louche que 95 % des groupes de rock ont en leur sein un végétarien ( s’il n’est pas végétalien ). Tess Parks, jeune musicienne protégée d’Anton Newcombe des Brian Jonestown Massacre, confie avec humour : « J’aime vraiment manger sainement : fruits, légumes, poisson, poulet, smoothies, mais selon là où nous tournons, par exemple en Europe, on nous sert généralement beaucoup de pain, de fromages et de viandes… ». Attachée aux traditions gastronomiques, elle avoue se tourner vers des plats typiques par plaisir :  « Cela fait partie du voyage ! ». À force de tournées et de malbouffe, les musiciens ont sans doute eu raison des clichés, réalisant l’importance de mieux se nourrir alors que leurs corps sont sans cesse sollicités. Alex Kapranos de Franz Ferdinand, qui se décrit lui-même comme un « gastro-aventurier », fait partie de ceux-là, sensibilisé dès son plus jeune âge aux vertus comme aux méfaits de la nourriture. Originaire d’Angleterre, le futur leader du groupe a passé une grande partie de sa vie en Écosse, à Glasgow, où il a enchaîné les jobs en restauration : livreur, plongeur, commis, sommelier et même chef. Cette partie de sa vie, loin d’être insignifiante,

food requests that can be surprising for rock fans attached to the myths. Reliable sources reveal that the loudest groups can be the most sensible, asking for jasmine tea and fully organic food. As a rough estimate, 95% of rock bands have a vegetarian in their midst ( if not a vegan ). Tess Parks, young musician and protégé of Anton Newcombe from Brian Jonestown Massacre, says happily: ‘I really like eating healthily: fruit, vegetables, fish, chicken, smoothies, but it depends on where we’re on tour. In Europe, for instance, they usually give us a lot of bread, cheese and meat…’ Respectful of gastronomic traditions, she admits that she likes going for local dishes: ‘It’s part of travelling!’. As a result of being on tour and eating badly, some musicians have doubtless shaken off the cliché and realised the importance of eating better, with their bodies endlessly under strain. Alex Kapranos of Franz Ferdinand, in his own words a ‘gastro-adventurer’, is one of them. From his earliest days he has been aware of the advantages and harmful effects of food. Born in England, the band’s future frontman spent a large part of his life in Glasgow, Scotland, where he started working in hospitality: delivery boy, dishwasher, commis, sommelier and even chef. Far from insignificant, he recounts this part of his life in his book Sound Bites: Eating on Tour with Franz


e at déc o u vert e RENCONTRE

il la raconte dans son livre La Tournée des grands-ducs qui réunit ses chroniques gastronomiques de tournée écrites pour le Guardian. On y lit avec délectation sa première gueule de bois, sa vision du repas comme une « expérience sociale ultime [ où l’on se penche ] au-dessus de la table pour échanger des cuillerées de saveur avec ses amis » et de multiples odyssées du goût traversées dans des restaurants, aux quatre coins de la planète, dont il livre d’ailleurs les adresses. Au fil des pages, l’on découvre de belles anecdotes, notamment l’invitation de Kapranos adressée à tous les spectateurs d’un concert à Singapour à venir, chargés de nourriture, manger et faire la fête dans le hall de son hôtel par vengeance à l’encontre du responsable qui s’était plaint de l’odeur d’un plat de crevettes apprécié quelques heures plus tôt sous son nez. Ou encore sa rencontre avec des « huîtres de montagne » ou testicules de taureau dont le goût lui rappelle une comparaison émise par l’une de ses ex-petites amies, arguant que l’arrière-goût d’une fellation ressemblait à un « sac de pièces rouillées ». On lit ce livre comme on entrerait, indiscrets, en coulisses, scruter le moindre secret de fabrication de nos groupes favoris. C’est d’ailleurs avec la même fascination que l’on découvrait Fuck, that’s delicious la série produite par Vice avec le rappeur Action Bronson, lui aussi ancien chef, que l’on suit poussant la porte des restaurants où il est en tournée pour tester leurs menus dans leur intégralité. Dans un autre volet, Cooking with Mr. Wonderful, il propose à des chefs de cuisiner en sa compagnie après s’être

Ferdinand, which reunites his articles on eating on tour written for the Guardian. Inside, you can read with glee about his first hangover, his vision of the meal as ‘ultimate social experience ( where you lean ) across the table and exchange spoonfuls of flavour with your friends’, and countless taste adventures in restaurants across the four corners of the earth ( for which he also gives addresses ). Some great anecdotes are contained in these pages. Kapranos inviting every single member of the audience at a concert in Singapore to bring food and party in the lobby of his hotel, to get revenge on a manager who complained about the smell of a prawn dish enjoyed under his nose a few hours earlier. Or his encounter with ‘mountain oysters’ ( bull testicles ), whose taste reminded him of a comparison made by one of his ex-girlfriends, arguing that the aftertaste of oral sex is like a ‘bag of rusty coins’. This is a book to be read in the same way that you would sneakily head backstage to uncover the trade secrets of your favourite bands. The same fascination comes with watching Fuck, that’s delicious, the Vice series made with rapper Action Bronson, another ex-chef, who is followed going to restaurants while on tour to test out the menus. In another instalment, Cooking with Mr. Wonderful, he asks chefs to cook with him after being inspired by the music from his album. While making a pizza with his idol Mario Batali, god 46|47


Certains restaurants vont même jusqu’à travailler leur playlist pour décupler l’expérience gustative. Dis-moi ce que tu écoutes, je te dirai ce que tu manges ?

Some restaurants go so far as adjusting the playlist to augment the taste experience. Tell me what you’re listening to, and I’ll tell you what I’m eating ?


e at déc o u vert e

laissés inspirer par les sons de son album. Alors qu’il prépare une pizza avec son idole Mario Batali, dieu des restaurants Eataly toujours fourré dans ses Crocs oranges, il ose un parallèle : « C’est un artiste, je suis un artiste. Tout est question de sensations ! » Difficile de ne pas voir de similitudes entre un musicien et un cuisinier qui cherchent constamment à donner le meilleur d’eux-mêmes pour satisfaire autant nos sens que nos émotions. Leur rythme de vie est souvent effréné, totalement dépendant de leur métier. Cité dans l’ouvrage d’Alex Kapranos, l’ouvrage d’Anthony Bourdain Cuisines et confidences, mémoires toqués d’un chef branché, conte d’ailleurs les coulisses d’une cuisine, lieu de toutes les jouissances, rappelant la décadence de certains milieux rock. Au-delà de tout débordement, nombreux sont les cuisiniers à écouter de la musique derrière les fourneaux et à revendiquer son influence sur leurs plats. Agata Felluga Urbain, ancienne chef de partie du Chateaubriand à Paris et désormais chef du restaurant Jour de Fête à Strasbourg, ne manie quasiment jamais le couteau avant d’avoir branché son iPhone sur les enceintes de sa cuisine : « La musique, si elle dissimule d’abord les bruits parfois insoutenables de la cuisine, augmente mes aspirations de liberté nécessaires à mon hygiène expressive farouchement opposée à mes tendances castratrices et frustrantes… Elle provoque une excitation à la fois mentale et physique. C’est un privilège de pouvoir choisir chaque détail en termes visuel, auditif et gustatif de l’espace où l’on passe le plus clair de notre temps et où l’on se sent en sécurité ». La musique comme calmant ou excitant, c’est selon, et même comme exhausteur de goût : des tests scientifiques prouvent que l’écoute de fréquences aigües favorise un goût plus sucré quand les basses invitent, elles, à sentir plus d’amertume. Certains restaurants vont même jusqu’à travailler leur playlist pour décupler l’expérience gustative. Dis-moi ce que tu écoutes, je te dirai ce que tu manges ? Un aphorisme singeant l’original que ne renierait pas Brillat-Savarin, lui-même épicurien de référence et fin gastronome. Musique et cuisine sont des plaisirs aussi simples que complémentaires. Pas étonnant que même les groupes de rock s’y mettent.

of the Eataly restaurants ( and always in orange Crocs ), he braves a parallel : ‘He’s an artist, I’m an artist. It’s all about vibes!’ It is hard not to see the similarities between musicians and cooks, always trying to give their best to satisfy our emotions as much as the senses. Their lifestyles are often frantic, revolving entirely around work. Quoted by Alex Kapronos in Sound Bites, Anthony Bourdain’s Kitchen Confidential is a behind-the-scenes plunge into the kitchen, home to debauchery and reminiscent of the decadence of certain rock milieux. Leaving aside the naughtiness, lots of chefs listen to music in the kitchen, and assert its influence on their food. Agata Felluga Urbain, former chef de partie at the Chateaubriand in Paris, and now chef of the restaurant Jour de Fête in Strasbourg, hardly ever picks up a knife before plugging her iPhone into the kitchen speakers: ‘Firstly, music blocks out the kitchen noises, which are sometimes unbearable. And then it enhances the dreams of freedom I need for my creative cocoon, to fight against my castrating and frustrating tendencies. Music brings excitement; mental and physical. Being able to choose every detail ( visual, auditory and gustative ) of the space where you spend most of your time, and where you feel safe, is a privilege’. Music as tranquilliser or stimulant, depending, and even as flavour enhancer. Scientific tests show that listening to high frequencies makes things taste sweeter, while bass stimulates a bitter taste. Some restaurants go so far as adjusting the playlist to augment the taste experience. Tell me what you’re listening to, and I’ll tell you what I’m eating? An aphorism aping the original that would do BrillatSavarin proud, himself a famous epicurean and fine gastronome. The joys of music and food are as simple as they are complementary. So it is not surprising that even rock bands are joining in. Sound Bi t es: E at ing on Tour wi t h Fr anz Ferdinand, Al e x

Fr anz Ferdinand, L a tournée des gr ands-ducs par Al e x

K apr anos, Penguin

K apr anos, aux édi t ions Rouergue

Mr. Wonderful, Ac t ion Bronson, Vice Rec ords

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Brut(e)

D. a . e t se t de si gn : Pa ris se q ue m a

Peler, éventrer, découper, éplucher, trancher, évider... Mises en scène suaves pour actions sauvages.




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Éloge des viandes mûres t e x t/ w o rd s : J ul ie t hié b a ult p h o t o s : ne l ly brie t

Nos papilles sont encore émues de leur rencontre avec la vedette des frères Olivier et Franck Metzger, la viande. Nous sommes parfaitement saisis, à l'instar de la côte de bœuf du restaurant Le Severo, par la simplicité et la justesse de l'expérience gustative. Depuis son lit de porcelaine le vermillon de la chair éclabousse nos regards, s'infiltre dans nos artères et tambourine à nos tempes. Les frères Metzger dévorent le monde à la recherche des meilleures viandes et furent les premiers à ouvrir les frontières françaises aux bestiaux venus d'ailleurs. Our tastebuds are still buzzing from our meat encounter with brothers Olivier and Franck Metzger. We were totally gripped by the simplicity and precision of this gustatory experience, like the prime rib of Bavière beef at the restaurant Le Severo. Our eyes were dazzled by the meat’s redness on its porcelain bed, seeping into our arteries and drumming against our temples. The Metzger brothers scour the world looking for the best meats, and were the first to open the French borders to livestock from elsewhere.

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Mint: Metzger c'est ?

Mint : Eating is?

FRANCK MEZGER : Metzger Frères est une petite maison avec un savoir-faire. Nous sommes la troisième génération de bouchers et nous avons remonté l'entreprise Metzger au début des années 90. Olivier s'occupe à 100% des activités commerciales et de la relation avec les chefs, depuis Rungis, avec la restauration et la grande restauration. Quant à moi, je suis boucher et m'occupe de l'aspect social et de la boutique pour les particuliers. Cette dernière existe pour ceux qui veulent vivre l'expérience à domicile des produits qu'ils ne trouvent pas chez les bouchers plus classiques, car nous avons une variété de races et de sourcing à part.

FRANCK MEZGER : Metzger Frères is a small company with a savoir-faire. We are the third generation of butchers, and we have dated the Metzger business back to the early nineties. Olivier looks after 100% of our commercial activity and liaising with the chefs, from Rungis, with restaurants and large-scale hospitality. As for me, I am a butcher, looking after the social side and the shop. The shop is there for people who want to experience the products at home that they will not find at more classic butchers, because we have a unique range of breeds and sourcing.

Mint: La transmission des savoir-faire est importante

dans votre histoire. Essayez-vous de garder ce principe de filiation dans votre travail avec les éleveurs et les restaurateurs ? franck : J'ai repris fidèlement ce que mon grandpère faisait il y a 60 ans, c'est-à-dire acheter les bêtes vivantes, faire attention à la façon dont elles sont soignées, nourries, et les emmener à maturité afin qu'elles aient un engraissement suffisant. Mint: Qu'est-ce que de la bonne viande ? franck : Si vous demandez aux gens ce qu'est de la bonne viande, ils vont répondre « de la viande tendre », alors que c'est seulement un des critères. Une viande tendre est une viande jeune, qui n'a donc pas eu le temps de mûrir. Le critère principal est le goût ; et pour avoir le goût, il faut la matière grasse. Si pour le canard la graisse vient autour de la viande, pour le bœuf le gras est intramusculaire. C'est ce que l'on appelle le persillage de la viande. L'important est donc l'alimentation de l'animal et surtout laisser le temps au temps. Mint: Ne pas laisser la viande maturer revient à cueillir les tomates avant qu'elles ne soient mûres ? franck : Exactement. Il faut prendre en considération

que le bœuf est l'animal le plus long à élever. La cuisine, ce n'est pas de la magie. Mint: Vous pensez que la majorité des bouchers s'est éloignée de l'artisanat ? franck : Il y a deux types de bouchers. Celui qui connait la viande, et celui qui ne la connait pas. Ceux qui ne sont jamais sortis de leur boutique et n'ont jamais été voir la chaîne en amont, notamment la bête vivante, ont beau être de parfaits techniciens, ils ne connaissent pas le produit qu'ils travaillent. Certains

Mint : Passing on savoir-faire is important for you. Do you try to keep this filiation principle as you work with farmers and restaurants? franck : I am faithfully going back to what my grandfather was doing 60 years ago, which means buying live cattle, paying attention to the way they are cared for and fed, and bringing them to maturity so they are sufficiently fattened. Mint : What is good meat? franck : If you ask people to define good meat, they will say: ‘tender meat’. But this is just one criteria. Tender meat is young meat, which as such has not had time to mature. The main criteria is taste; and to have taste, you need fat. In duck the fat is around the meat, but in beef it is intramuscular. This is what is known as the ‘marbling’ of the meat. So the important thing is how the animal is fed, and especially to let time run its course. Mint : Is not letting meat mature a bit like picking tomatoes before they are ripe? franck : Exactly. We must take into account that cattle is the longest animal to rear. Mint : Do you think most butchers have moved away from an artisanal approach? franck : There are two types of butcher. The ones that know meat, and the ones that don’t. Those who have never left their shop and never been to see higher up the chain (especially live cattle) may well be perfect technicians, but they do not know the product they are working with. Some have their sights focused more on the cash drawer than the product, favouring lean meat at the cost of the fat needed for taste to make better profits. In the end, the client will have tender but bland and heartless meat. Unfortunately, this currently


e at RENCONTRE

La viande est un produit à part, il faut des années pour la connaître. C'est à force de regarder, de goûter, d'essayer de comprendre pourquoi, quand elle a cette forme, cette couleur ou ce gras, elle a ce goût, et répéter l'expérience plusieurs fois.

Meat is a unique product, it takes years to understand. It comes through looking and tasting. Trying to understand why it is that when it has this form, colour, and fat it has that taste. And repeating the experience many times.

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ont plus l'œil sur le tiroir caisse que sur le produit, et privilégient une viande maigre, au détriment du gras nécessaire au goût, pour un meilleur rendement. Au final, le client aura une viande tendre, mais insipide et sans émotion. Malheureusement, cela représente actuellement 80% des bouchers. Pour nous, c'est le produit avant le prix. olivier : La problématique de la consommation de viande est l'accès à la qualité du produit. Il n'y aura jamais de baisse de consommation de viande aux États-Unis et en Argentine car la viande y est bonne et accessible. En France, ce n'est pas le cas et les consommateurs sont souvent déçus. La bataille des prix dans la grande distribution a fait chuter l'axe de qualité. La volonté du consommateur de ne pas vouloir de graisse dans l'animal a poussé les éleveurs à proposer des bêtes qui ne sont pas finies. Pour qu'une bête arrive à maturité il lui faut des céréales, du maïs, et ainsi parvenir à l'accomplissement de l'animal. Même avec le meilleur animal, le meilleur transporteur, le meilleur abattoir, le meilleur boucher, s'il n'y a pas eu la maturation nécessaire, vous n'irez pas au bout du savoir-faire. Mint: Vous allez à la rencontre des éleveurs, voir leurs bêtes. Quel rapport avez-vous avec l'animal ? franck : Je vais dans les foires aux bestiaux majeures en France, notamment dans le Charolais, car il y a là-bas un vieux monsieur qui a été l'élève de mon grand-père. Il a aujourd'hui 600 animaux et travaille à l'ancienne, avec passion. Il m'a appris le vivant comme mon grand-père lui avait transmis. On sélectionne seulement les bêtes primées. On les soigne, les nourrit, on fait attention à ce que la bête tolère et digère. Une vache qui ne veut pas manger, ne mange pas. Mint: Quelles sont les qualités d'un bon sourceur ? franck : La viande est un produit à part, il faut des

années pour la connaître. C'est à force de regarder, de goûter, d'essayer de comprendre pourquoi quand elle a cette forme, cette couleur, ce gras, elle a ce goût, et répéter l'expérience plusieurs fois. Mint: Vous réalisez un sourcing international. Aucune promotion du Made in France ? franck : La France est un réservoir de connaissances énorme. Mais la France ne représente qu'une des facettes. Si mon voisin est meilleur, je n'hésite pas à aller chercher son produit. Ce qui compte c'est que le client soit content. Je suis chauvin mais juste. Dans chaque race, il faut déceler la bonne viande de la mauvaise.

represents 80% of butchers. For us, product comes before price. olivier : The issue of consuming meat is access and quality of the product. There will never be a fall in meat consumption in the US and Argentina because the meat is good and accessible. In France, this is not the case and the consumers are often disappointed. The price wars in supermarkets has made the quality fall. The consumer’s desire to not have fat in the animal has pushed farmers to offer cattle that is not mature. To reach maturity cattle need cereals and corn. This is how the animal reaches maturity. Even with the best animal, the best transporter, the best abattoir and the best butcher, if the required maturity is not there, you will not be getting the best of it. Mint: You go to meet the farmers and see their cattle. What relationship do you have with the animal? franck : I go to the important cattle markets in France, especially in Charolais, because an old gentleman is there who was my grandfather’s student. Today he has 600 cattle and works the old way, with passion. He taught me about livestock just as my grandfather taught him. You chose only prime cattle. You care for them, feed them, and pay attention to what they tolerate and digest. A cow that doesn’t want to eat, won’t eat. Mint: What are the qualities of a good sourcer? franck : Meat is a unique product, it takes years to understand. It comes through looking and tasting. Trying to understand why it is that when it has this form, colour, and fat it has that taste. And repeating the experience many times. Mint: You source internationally. No promotion of French meat? franck : France has a huge reservoir of knowledge. But France is just part of the story. If my neighbour is better than me, I don’t hesitate to go and find my product there. What matters is that the client is happy. I am patriotic but fair. You have to find the good and bad meat for each breed. Mint: What is the role of the modern butcher? franck : There has to be a relationship of trust between the butcher and consumer. Our clients visit regularly, because we are sincere with them, advise them and offer them excellent products. In this job, you have to know what you are doing.


olivier : Avant le boucher était également éleveur donc maitrisait de l'amont à l'aval. Aujourd'hui les logiques industrielles ont cassé ce schéma. On fait du prêt-à-manger, du prêt-à-porter, il y a un manque de compétence. franck : Le terroir fait partie du patrimoine français. Il faut donner les moyens aux éleveurs de nourrir leurs bêtes sans concession et le temps qu'il faut. Cependant nous sommes minoritaires sur l'échelle de la consommation de viande. La clientèle a un revenu assez faible et est contraint d'acheter du steak haché. Le bon produit est élitiste à cause de son prix et il devient plus rare de le consommer. C'est la boucherie loisir. Mint: Quelles sont vos spécificités vis-à-vis des autres bouchers ? franck : Je n'ai rien inventé, j'ai repris les fondamentaux. Je travaille à l'ancienne, en fonction de mon éducation et de mon expérience personnelle. Je suis impliqué, j'écoute, je regarde et j'explore en permanence. Je suis capable de faire 900km dans la journée pour aller voir une bête. Mint: Claude Lévi-Strauss préconisait une consommation plus exceptionnelle et plus ritualisée de la viande. On y arrive ? franck : Quand les bouchers de Rungis viennent me

voir, ils me disent "Chez nous les gens viennent se nourrir, chez vous ils viennent pour le loisir". J'aimerais que mon produit ne corresponde pas à une élite, même si le prix est indissociable de la qualité.

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franck : Il doit y avoir une relation de confiance entre le boucher et le consommateur. Nos clients viennent régulièrement, car nous sommes sincères avec eux, nous les conseillons, et nous leur proposons des produits d'excellence. Ce n'est pas un métier qui s'improvise. Il évolue chaque jour, car nous travaillons sur des produits vivants.

It evolves every day, because we work with living products. olivier : Before, butchers were also farmers and so mastered the chain from end to end. Now, industry has broken this pattern. It is all ready-to-eat, readyto-wear: there is a lack of skill.

RENCONTRE

Mint: Quel est le rôle du boucher aujourd'hui ?

franck : The countryside is part of French heritage. We have to give farmers the means to feed their cattle properly, and the time they need. But we are a minority on the meat consumption chain. Clients have quite small incomes and have to buy minced meat. Good products are elitist and due to the price are becoming rarer. It is leisure butchering. Mint: What are your particularities compared to other butchers? franck : I didn’t invent anything, I went back to the basics. I work the old way, according to my education and personal experience. I am hands-on, always listening, watching and exploring. I could do 900 km in a day to go and see an animal. Mint: Claude Lévi-Strauss recommended consuming meat more rarely, more ritualistically. Are we getting there? franck : When the butchers at Rungis come to see me, they tell me: ‘People come to us to get fed, they come to you for the pleasure’. I would like for my product to not correspond to an elite, even though the price cannot be separated from quality. Mint: A shared or solitary culinary experience to remember ? olivier : My favourite meal was a Wagyu sukiyaki on the Kobé Mountain. The meat was to share, gathering the family around the table. A Sunday leg of lamb or rib of beef are also products to be shared.

mint : Une expérience culinaire solitaire ou collective mémorable ? olivier : Mon meilleur repas a été un sukiyaki de Wagyu dans la montagne de Kobé. La viande est un produit de partage, qui réunit la famille autour de la table. Le gigot d'agneau du dimanche ou la côte de boeuf sont des produits de convivialité.

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Le bon, le beau et le bizarre TE X TE / W OR D s : D . P .

rece t tes/recipes: august lill photos: marie-amélie tondu

L’audace de cette série pour les champagnes G.H. Mumm réside dans sa réflexion profonde. Il s’agit d’un état des lieux de ce que nous raconte la cuisine, celle tirée à quatre épingles qu’on nous sert sur des nappes blanches. C’est aussi un pied-de-nez saignant face à une cuisine timide et consensuelle. À la gastronomie sérieuse et policée qui se répète et se complait, nous préférons le frémissement de l’inconnu à travers des plats s’alliant à l’intensité d’un Cordon Rouge. Nous voulons une gastronomie qui brise les codes et frappe là où on ne l’attend pas, où l’accord mets et champagne nous bouscule à la juste limite du disgracieux et du sublime. Dans notre quête infinie vers l’exploration du goût, nous nous sommes attaqués au cœur du problème en osant nous délecter des parties ingrates, souffrant parfois d’une mauvaise réputation. Il y a de la beauté dans ce qui nous effraie et nous révulse. Une beauté si indécente qu’on s’en lècherait les doigts. This series for G.H. Mumm champagnes is daring in its deep thinking. It is a report on what food tells us; all spruced up and served on white tablecloths. It also sticks a finger up at timid and consensual food. To serious and policed gastronomy that basks in repetition, we prefer the thrill of the unknown through meals pairing with the intensity of a Cordon Rouge. We want food that breaks the rules and hits us where we don’t expect it, where the pairing of food and champagne pushes us right to the edge of the graceless and the sublime. In our infinite quest for exploring taste, we struck the crux of the matter by daring to eat the unattractive cuts that sometimes suffer from a bad reputation. There is beauty in what scares and repulses us. Beauty so indecent it will leave us licking our lips. 62|63



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Carcasse de sardine frite, mayonnaise à l’huître et concombre noir

Prendre quelques carcasses de sardines et faire frire dans de l’huile à 180°C pendant deux minutes. Déposer les carcasses sur du papier absorbant et assaisonner de sel fin. Préparer la sauce en faisant cuire 2 œufs pendant 3 minutes. Laisser refroidir et retirer la coquille. Au blender, mixer les œufs avec 3 huîtres et un peu de vinaigre de vin blanc. Petit à petit, ajouter de l’huile de colza jusqu’à obtention d’une consistance épaisse. Finir par une pointe de sel fin. Prélever l’intérieur d’un concombre et mixer avec de l’encre de sèche et du vinaigre de riz infusé avec du gingembre. Réserver pendant au moins trois heures. Ajouter quelques radis roses et décorer d’un peu d’aneth. Take some sardine carcasses and fry them in oil at 180°C for two minutes. Place the carcasses on a paper towel and season with fine salt. To prepare the sauce cook 2 eggs for three minutes. Let them cool and remove the shell. In a blender, mix the eggs with 3 oysters and a little white wine vinegar. Gradually add colza oil until the mixture thickens. Finish with a pinch of fine salt. Remove the inside of a cucumber and mix with squid ink and rice vinegar infused with ginger. Leave to stand for at least three hours. Add some pink radish and decorate with a little dill. 66|67



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Cœur d’agneau, cèpes et pickle de veines de chou

Découper le cœur, déveiner et retirer les morceaux de gras. Colorer dans une poêle avec un peu de beurre pendant 3-5 minutes. Assaisonner de sel fin et réserver. Nettoyer une feuille de chou et découper le nerf blanc. Dans une casserole, faire bouillir 1 volume de vinaigre blanc avec 2 volumes de sucre et 3 volumes d’eau. Déposer le nerf de chou dans un récipient, recouvrir du mélange bouillant et laisser reposer pendant au moins trois heures. Faire revenir de beaux cèpes dans un peu de beurre avec du thym. Assaisonner de sel fin. Découper le reste de la feuille de chou en brunoise avec quelques cèpes restants. Prendre des airelles et les déglacer rapidement dans du vinaigre de framboise avec un peu de sucre et du sel fin. Cut the heart and remove the veins and pieces of fat. Brown in a pan with a little butter for 3-5 minutes. Season with fine salt and set aside. Clean a cabbage leaf and cut the white stem. In a saucepan, boil 1 volume of white vinegar to 2 volumes of sugar and 3 volumes of water. Place the cabbage stem in a pot. Cover with the boiling mixture and leave to stand for at least three hours. Gently brown some good ceps in a little butter with thyme. Season with fine salt. Finely dice the rest of the cabbage leaf with some of the remaining ceps. Take some cranberries and defrost them quickly in raspberry vinegar with a little sugar and fine salt. 68|69



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Gâteau de sang et pomme clochard

Pour le gâteau, mélanger 400ml de sang de cochon, 400ml de lait, 160g de poudre d’amande, 160g de farine de seigle, 2 cuillères à soupe de levure chimique et 2 cuillères à soupe de mélasse. Placer le mélange dans un moule à cake et cuire pendant environ 20 minutes à 180°C. Mettre 2 pommes dans un petit plat avec du foin, un bâton de cannelle, 2 gousses de cardamome, quelques graines de coriandre et 150g de beurre. Cuire à couvert au four à 160°C pendant une heure. Faire une crème avec 400ml de sang de cochon, ajouter 100ml de champagne, une cuillère à café de cannelle et deux cuillères à soupe de sucre. Cuire au bain-marie jusqu’à ce que la consistance épaississe. Passer la préparation au blender pour rendre la texture lisse. Dresser avec quelques figues, fraîches et séchées. For the cake, mix 400ml pig’s blood, 400ml milk, 160g ground almond, 160g rye flour, 2 tablespoons of baking powder and 2 tablespoons of molasses. Place the mixture in a cake tin and cook for around 20 minutes at 180°C. Put 2 apples in a small dish with hay, a cinnamon stick, 2 cardamon pods, some coriander seeds and 150g of butter. Cover and cook in the oven at 160°C for one hour. Make a cream with 400ml of pig’s blood, 100ml of champagne, one teaspoon of cinnamon and two tablespoons of sugar. Cook in a bain marie until it thickens. Blend the mixture for a smooth texture. Serve with some fresh and dried figs. 70|71



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t e x t e s / w ord s : j ul ie t hié b ault Photographs: greig jackson

L'ère industrielle s'est permise d'ôter la vie aux objets qui nous accompagnent au quotidien. Fabriqués en série, nos couteaux et nos verres se ressemblent, tous nés de la même mère suédoise. Le plastique a perdu de son âme, pourtant il hante nos maisons. Partant du postulat que la vie ne peut s'épanouir qu'en compagnie de matériaux vivants, de surcroît dans une pièce aussi fondamentale que la cuisine, Catherine Johnston a.k.a. Object Company, conçoit notamment des planches à découper et des cuillères à partir de bois issu de forêts écossaises. Détail qui n'est pas anecdotique, seuls les arbres malades ou endommagés par une tempête sont utilisés pour produire les ustensiles. Cette utilisation respectueuse de nos ressources permet une fabrication durable et interdit tout épuisement de nos richesses. Mère Nature nous donne la becquée et permet à ses rejetons de se réincarner dans nos cuisines. Ainsi, donnons la main à une branche, dégustons de la confiture de mirabelles dans le creux de ses reins et préparons une botte de navets nouveaux sur son dos. Les ustensiles d'Object Company deviennent nos colocataires et maintiennent le lien parfois ténu que nous entretenons avec le vivant.

The industrial age took the liberty of disanimating the objects that form part of our daily lives. Mass produced, our knives and glasses all look the same, born to the same Swedish mother. Plastic has lost its soul, and yet it haunts our homes. Starting from the premise that life can only blossom when accompanied by living materials ( and all the more so in a room as fundamental as the kitchen ), Catherine Johnston, a.k.a. Object Company, designs cutting boards and spoons using wood from Scottish forests. An important detail: only sick or storm-damaged trees are used to make the utensils. This respectful use of resources makes for sustainable manufacture, and prevents our riches from being depleted. Mother Nature nourishes us, allowing her progeny to be reused as our food. So let’s work with her, to eat mirabelle jam in the palm of her hand, or chop a bunch of spring turnips on her back. Object Company utensils become our companions, nurturing our sometimes-tenuous bond with the living. 72|73


Les ustensiles en bois sont le pont vers une existence plus lente, consciente, et durable.

Object Company ?

Min t : What is the concept behind Object Company ?

Cat herine Johns ton : Je m'intéresse aux objets durables et fonctionnels. Chacun d'entre eux est imaginé dans le respect de la fibre et des propriétés du matériau puis créé à partir de bois ayant grandi localement. Chaque pièce est façonnée, sculptée, poncée et terminée à la main, en utilisant principalement des outils manuels et des techniques de travail traditionnelles du bois.

Cat herine : I am interested in sustainable and functional objects. Each one is designed in accordance with the nature and properties of the material, and then made with locally grown wood. Each piece is shaped, sculptured, sanded and finished by hand, using mostly manual tools and traditional woodworking methods.

Min t : Quels sont vos projets actuels ?

Min t : What projects are you currently working on?

Cat herine : Actuellement mon travail est basé sur des collaborations, des expérimentations continues et l'élargissement de mes connaissances autour du matériau avec lequel je travaille.

Cat herine : At the moment, my work is based around collaborations, ongoing trials, and learning more about the material that I work with.

Min t maga zine : Quel est le concept derrière

Min t : Tell us about your relationship with wood. Min t : Quelle est votre relation avec le bois ? Cat herine : J'apprécie ses aspérités, qu'il soit difficile

Cat herine : I like its bumps, how it is hard to control, and the way it appeals to the touch.

à maîtriser et son appel au toucher. Min t : Fabriquer de la vaisselle permet-il de partager le

quotidien de ceux qui l'utilisent ? Catherine : J'espère que les pièces irrégulières et uniques

que je crée construisent un havre de paix, où les gens peuvent plus facilement interagir et partager. Min t : L’art de la table est-il le croisement entre intimité

et extérieur ? Cat herine : Utiliser ces pièces faites à la main pour

se nourrir permet de conserver un lien à la fois avec le fabriquant et avec le matériau dont il est issu. Les ustensiles en bois sont le pont vers une existence plus lente, consciente, et durable.

Min t : Does making tableware allow those who use it to open up their daily lives? Cat herine : I hope the irregular, unique pieces I make create a peaceful haven in which people can interact and connect more easily. Min t : Does tableware represent the meeting point between private and public? Cat herine : Eating with these handmade pieces makes it possible to conserve a link both with the maker and the material with which it is made. Wooden utensils are a bridge toward a slower, more mindful, and sustainable existence.


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Wooden utensils are a bridge toward a slower, more mindful, and sustainable existence.

Min t: Le fait main replace-t-il l'homme au centre du monde ?

Min t : Does the handmade replace man at the centre of the world?

Cat herine : La possibilité de remonter aux origines de l’objet procure à l'utilisateur un incroyable sentiment de fierté, un sujet de conversation inépuisable et un intérêt envers le processus de fabrication mis en œuvre. Les objets faits à la main invoquent des discussions et des histoires ; ils permettent au savoir-faire et aux techniques d'être davantage mis en valeur.

Cat herine : Being able to trace the origins of an object gives the user an unbelievable feeling of pride, an inexhaustible topic of conversation, and an applied interest in production methods. Handmade objects evoke discussions and stories; they enable more prominence to be given to savoirfaire and techniques.

Mint: Fabriquer des objets à partir de matériaux naturels permet-il de se réconcilier avec la nature ?

Min t : Can making objects with natural materials lead to a reconciliation with nature?

Cat herine : C'est une satisfaction difficile à évaluer. Chaque pièce nous renvoie au matériau brut avec lequel elle a été faite. L'utilisation du bois dans nos intérieurs est une douce piqûre de rappel quant au monde sauvage et naturel qui nous entoure. La nature apaisante du bois, en particulier, procure un sentiment de paix.

Cat herine : That satisfaction is difficult to assess. Each piece takes us back to the raw material it was made from. Using wood in our interiors is a gentle nudge reminding us of the wild and natural world outside. The soothing quality of wood, in particular, gives a feeling of peace; unthinkable with metal utensils.

Min t: Le rituel du repas accompagné par de la vaisselle en bois démontre t-il le besoin de prendre son temps et de prendre soin de soi ? C at he rine  : Le plaisir procuré par une sélection soigneusement réalisée et le choix précieux d'articles faits main devient certainement un rituel. Le slow living découle d'une meilleure appréciation des valeurs et des processus impliqués dans la création du design dans nos maisons.

Min t : Do mealtime rituals with wooden tableware demonstrate a need to slow down and take care of oneself? Cat herine : The joy of careful selection, and the precious choice of handmade objects, certainly becomes a ritual. Slow living flows from a better appreciation of the values and processes involved in bringing design into our homes. Min t : Have we gone back to an era of ‘being at

Min t: Sommes-nous revenus dans l'ère de l'« être chez soi » ?

home’?

Catherine : L'observation de l'espace dans lequel nous demeurons constitue une étape clef vers une existence plus lente et détendue. Chacune des pièces choisies participe grandement à notre bien-être global.

Cat herine : Really seeing the space we live in is a key step towards a slower and calmer existence. Each piece chosen contributes greatly to our overall comfort.

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L'automne vu par... Julia Lamoureux


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word s : D. P . photo: Noémie cédille


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Le thermomètre annonce 16°C ce matin, une aubaine pour une journée de randonnée dans les montagnes environnantes. On balance d’un coup de bras nos chaussures de marche et nos parkas sur la plage arrière de la voiture en espérant trouver notre chemin du premier coup. Ou se perdre. Au choix. La signalisation et le GPS nous mèneront à bon port. Pas de chance.

The thermometer measured 16°C that morning. A blessing for a day’s hike in the nearby mountains. We threw off our hiking boots and parkas, onto the parcel shelf in the car, hoping to find the way first time. Or get lost. Optionally. Signposts and GPS would lead us to our destination. How unfortunate.

Comme pour nous tromper, les premiers kilomètres n’ont rien d’impressionnant et les parcours sont tracés, à l’image des parcs nationaux américains qui nous forcent à marcher dans les clous, refoulant nos désirs d’aventure. Impossible de se perdre ne seraitce qu’un peu et de savourer pleinement ce retour à la nature, loin du train-train quotidien. Plus loin, la pente s’accentue et ce qui ressemblait il y a peu à une promenade de santé devient bien plus ardu et la montagne à gravir paraît plus pentue, plus escarpée et de moins en moins confortable. On décide de faire une pause ; le pépé croisé à l’entrée avance rapidement d’une marche régulière et sportive. Nous l’observons, admiratives, enjamber avec une facilité déconcertante les marches de pierres glissantes, sous un ciel menaçant. Le ciel s’assombrit soudainement.

As if to lull you into a false sense of security, the first few kilometres are nothing too impressive. The footpaths are marked out, like the ones in American national parks that make you walk inside the rails, quashing your adventurous spirit. It is impossible to get even just a little bit lost and really enjoy getting back to Nature, away from the everyday routine. Further on, the slope steepens. What had shortly before seemed like a leisurely stroll became more strenuous. The mountain ahead seemed steeper, sharper, and less and less comfortable. We decided to take a break. The grandpa we had seen at the start was making steady progress, with a regular and athletic gait. Admiringly, we watched him stride over the slippery stones under an ominous sky. All at once the skies darkened.

Nous avions choisi ce sommet pour son point de vue ahurissant donnant sur les larges plaines du Connemara jusqu’au Fjord de Killary. La pluie bat de plus en plus fort, des mèches de cheveux collent à nos joues alors que nous atteignons le haut de la montagne où s’amoncèlent des pierres formant d’étranges totems. Nous ne voyons rien à 10 mètres devant nous et avançons à tâtons, la tête enfoncée entre les épaules pour se protéger du vent. Alors que rien ne le laissait présager, le brouillard se disperse dans la vallée laissant apercevoir les montagnes voisines. Une lumière rasante nous permet de voir au loin l’Abbaye de Kylemore. Nous empilons quelques pierres pour former une statuette un brin bancale et reprenons la route.

We had chosen this peak for the stunning view over the vast plains of Connemara and on to Killary Fjord. The rain lashed harder and harder, strands of hair sticking to our cheeks as we reached the mountaintop, where strange totems are formed out of piles of stones. We could see nothing more than 10 metres in front of us and felt our way forward, heads shoved into our shoulders to shield against the wind. Although there was nothing to suggest that it would, the fog cleared in the valley to unveil the neighbouring mountains. In the lowangled light we could make out Kylemore Abbey in the distance. We piled up a few stones to make a rather wobbly statue, and set back off.

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Climbing to the top

s e t d e s i g n / p h o t o s  : p a r i s s e q u e m a s t y l i s m e / s t y l i s m  : c a r o l i n e n e d e l e c


e x p lore SHO P P ING page de gauche : Impermé abl e St u t t erheim chez Cen t re C ommercial / T hermos Stanl e y / S ac Ou t Of Town C ombinaison Carol ina Ri t z chez L e Bon Marché / Bonne t Monsieur L acenaire /Bo ots Pl e a se Paris chez Cen t re C ommercial / Echarpe Ami / Pul l vin tage chez Kil l iwatch / Sous-pul l A Kind Of Guise chez Cen t re C ommercial Chaussures Al e xander Wang chez C ol e t t e / Mousque tons MSM chez Armes Ba st il l e page de droi t e : Pan talon Val en t ine Gau t hier chez Cen t re C ommercial / Bo ots chez Urban Ou t fi t t ers Hache Gr ansfors Bruk chez Armes Ba st il l e / Appareil photo vin tage / Pique ts de t en t e C o ghl ans Sous-pul l A Kind Of Guise chez Cen t re C ommercial / T rench Carol ina Ri t z chez L e Bon Marché

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page de gauche : T eddy Monsieur L acenaire / Mousque tons MSM chez Armes Ba st il l e / Bo ots Esquivel chez C ol e t t e Cein t ure L e Sel l ier chez Cen t re C ommercial / Pan talon Frei tag chez Cen t re C ommercial Fl a sque Barbour chez Kil l iwatch / C ou t e aux Hel l e de D okk a e t N°6 C ourt y & Fils chez Armes Ba st il l e Ca sque t t e L arose chez C ol e t t e page de droi t e : S ac à d os Epperson Moun taineering chez Cen t re C ommercial / Bo ots T imberl and chez C ol e t t e Chemise Monsieur L acenaire / Pul l vin tage chez Kil l iwatch / Ca sque t t e L arose chez Cen t re C ommercial C ou t e au Frédéric Ma schio, L a forge de l a Louvière chez Armes Ba st il l e / Whisk y PADDY Pan talon Monsieur L acenaire / Park a A Kind Of Guise chez Cen t re C ommercial


02|03 R IsChHo pp T A iB nL g E

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City Guide The Wild Atlantic Way t e x t e s / word s : d. P .

il l u s t r at i o n s : n o é mie c é d il l e

Voir

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LES FALAISES D E MOHER

Ireland’s only fjord, stretching over fourteen kilometres. It has inspired writers including Oscar Wilde, who stayed at the Illaunroe Lodge. Sometimes, it is even possible to see groups of seals or dolphins, which have fun following the boat.

w w w.doolinferries.com

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Profitez d’une vue à couper le souffle en partant en bateau depuis le port de Doolin. On y observe toutes sortes d’oiseaux dont des macareux si l’on est chanceux ! Enjoy a breathtaking view by catching a boat from Doolin Harbour. There are all sorts of birds to be seen, including puffins if you’re lucky!

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Partez en randonnée avec Tony Kirby. Rendez-vous à Kilfenora pour rencontrer ce professionnel irlandais qui vous contera les nombreux secrets historiques et géologiques de ce territoire. Go on a hike with Tony Kirby. Head to Kilfenora to meet this professional Irishman, who will divulge its many historical and geographical secrets.

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L e fj o rd d e K il l a ry e n b at e a u w w w.kill aryfjord.com

L’unique fjord d’Irlande qui s’étend sur quatorze kilomètres. Ce dernier a inspiré des écrivains comme Oscar Wilde qui séjournait au lodge Illaunroe. Parfois, il est même possible d’observer des groupes de phoques ou de dauphins qui s’amusent à suivre le bateau.

p a r c n at i o n a l du c onnemar a T : +353 95 41054 w w w.connemar anationalpark.ie

LE BURREN w w w.heartofburrenwalks.com

The same airline that links Galway to the Aran Islands also offers a 35 minute scenic flight. Remember to book, takeoff is every day at noon for just 8 people ( 60€/ person ).

On suggère la balade de Diamond Hill qui offre une vue spectaculaire sur les Twelve Bens. Prenez de quoi faire un pique-nique au sommet et ne sous-estimez pas cette montagnette plutôt pentue. We suggest the Diamond Hill walk, offering spectacular views of the Twelve Bens. Take what you need for a picnic at the top, and don’t underestimate this rather steep little mountain.

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O b s e r v e r l e s fa l a i s e s de Moher, Dun Aengus e t l e s îl e s d ’ A r a n e n av i on T : +353 91 593034 w w w.aer ar annisl ands.ie

La même compagnie reliant Galway aux îles d’Aran propose également un « scenic flight » de 35 minutes. Pensez à réserver, le départ se fait chaque jour à midi pour 8 personnes seulement ( 60€/personne ).

l e c o n n e m a r a à c h e va l Errisl annan Manor, Clifden, Co. Galway, T : +353 95 21134 w w w.errisl annanmanor.com

Les irlandais sont très fiers de leur chevaux et dans cette région, on aime particulièrement le poney du Connemara. Ces derniers sont curieux et très dociles. Rendez-vous au plus joli centre équestre de la région pour y découvrir une nouvelle facette du Parc National. The Irish are very proud of their horses, and in this region the Connemara pony is especially well-loved. They are curious and very gentle. Go to the prettiest riding centre in the region and discover a new side to the National Park.

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Derrigiml agh à vélo w w w.clifdenbikes.com

Louez des vélos à Clifden, la plus grande ville de la région du Connemara, et empruntez l’une des pistes cyclables qui vous mènera à Derrigimlagh. Découvrez ces paysages somptueux faits de lacs et de tourbes et surtout, n’oubliez pas votre appareil photo. Rent bicycles in Clifden, the biggest town in the Connemara region, and take one of the cycling paths that lead you to Derrigimlagh. You will find sumptuous landscapes of lakes and peat, so you really mustn’t forget your camera.


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Hôtels 1

immenses miroirs d’époque et ses portraits accrochés dans les couloirs. On a aimé son style suranné et ses chambres spacieuses.

t he house hot el Spanish Par ade, L atin Quarter, Galway

Situated in Clifden town centre, the hotel looks rather like a haunted house with huge period mirrors and portraits hung in the halls. We loved the old-fashioned style and spacious rooms.

Vous ne trouverez pas d’hôtel mieux situé que celui-ci, à seulement deux pas de la vieille ville. Commandez des pancakes au petit-déjeuner et filez visiter le quartier latin de Galway. You will not find a hotel with a better location than this one, just two steps from the old town. Order pancakes for breakfast and run off to visit Galway’s latin quarter.

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AN d u n B & B Inishma an, Ar an Isl ands, Co. Galway

Avec ses cinq suites, ce bed & breakfast est une affaire familiale tenue par un couple natif de l’île. Vous pourrez compter sur eux pour vous indiquer les lieux à visiter et les balades à faire. With five suites, this bed & breakfast is a family affair run by a couple of native islanders. You can rely on them to point you to the places to visit and walks to do.

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40 Causeway Road, Bushmills, Co. Antrim, T : +44 (28) 2073 1210 w w w.thecausewayhotel.com ( hors pl aN )

Sheedys Hot el & Re s taur an t Main Street, Lisdoonvarna, Co. Cl are, T : +353 65 7074026

On a aimé à la fois le restaurant et l’hôtel. L’endroit est chaleureux et le personnel aux petits oignons. Le petit déjeuner est fait maison, difficile de résister au Full Irish Breakfast ou aux tartines de banana bread. We loved both the restaurant and the hotel. A welcoming place with excellent service. The breakfast is homemade, and it is hard to resist the Full Irish and slices of toasted banana bread.

C a u s e wa y H o t e l

Profitez de cet hôtel charmant pour faire une promenade matinale sur la Chaussée des Géants, juste avant que les plages ne soient prises d’assaut par les touristes et leurs perches à selfie. Le salon de l’hôtel est très cosy, installez-vous près de la cheminée en sirotant votre Irish coffee. 4

Foyl es Hot el Main Street, Clifden, Co. Galway T : +353 95 21801 w w w.foyleshotel.com

Situé en plein centre-ville de Clifden, l’hôtel prend des allures de maison hantée avec ses

Take advantage of this charming hotel for a morning stroll on the Giant’s Causeway, just before the beaches are taken over by the tourists and their selfie sticks. The hotel lounge is very cosy; take a seat by the fireplace and enjoy an Irish coffee.


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Sheedys Hot el

Seven generations on, this little cottage has not aged one bit; still serving up its world-renowned simple dishes. On rainy days, order a chowder ( a hearty fish soup ), and end on a high note with a Baileys cheesecake.

& Re s taur an t Main Street, Lisdoonvarna, Co. Cl are, T : +353 65 7074026

Dans la petite ville se Lisdoonvarna se trouve une maison des plus chaleureuse tenue par la famille Sheedy. Le père est en cuisine et nous propose une cuisine juste et honnête. Commandez le butterscotch pudding qui est à tomber. In the small town of Lisdoonvarna is the warmest of establishments, run by the Sheedy family. The father is in the kitchen, serving guests fair and honest food. Order the butterscotch pudding, it is to die for.

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M o r a n’s Oy s t e r C o t ta g e The Weir, Kilcolgan, Co. Galway T : +353 (0)91 796113

Sept générations plus tard, ce petit cottage n’a pas pris une ride et sert toujours ses petits plats de renommée mondiale. Les jours de pluie, commandez un chowder ( une soupe de poisson très « comfort food » ) et terminez en beauté avec un cheesecake au Baileys.

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e xp l o r e

Run by an Australian couple, this restaurant continues the neo-bistro trend. Everything is homemade and all the ingredients are sourced regionally. We love the original combinations and their homemade pickles !

Aniar re s taur an t 53, Lower Dominick Street, Galway Cit y, Co. Galway

Ce restaurant est l’unique étoilé de l’Ouest de l’Irlande. Le chef compile dans ses menus les meilleurs producteurs de la région avec Gannet fishmongers ( tenu par un français ) ou encore les superbes fromages de Sheridan’s cheesemongers. La cuisine y est rafraîchissante et inventive. The only Michelin-starred restaurant in the West of Ireland. The chef unites the best producers in the region for his menu, including Gannet Fishmongers ( run by a Frenchman ) and superb cheeses from Sheridans Cheesemongers. Refreshing and inventive food. Swiss chard; lobster tail and ginger… Creative and delicious.

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bistro. Tout est fait maison et les produits proviennent exclusivement de la région. On aime leurs associations originales et leurs pickles maison !

K ai 20 Sea Rd, Galway Cit y, Co Galway

Tenu par un couple d’australiens, ce restaurant s’inscrit dans une tendance neo-

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Ard Bia Spanish Arch, Long Walk, Co. Galway, T : +353 91 561 114 w w w.ardbia.com

Il s’agit probablement d’un des endroits les plus cool de la ville avec une sélection de livres parfaite et d’excellents scones à se mettre sous la dent pour le goûter. Comme nous, n’hésitez pas à vous offrir une confiture faite maison au packaging orné d’une licorne. This is probably one of the coolest places in the town, with a perfect book collection and excellent scones to get your teeth into for afternoon tea. Like us, don’t think twice about treating yourself to a homemade jam with packaging decorated with a unicorn.

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déc o u vert e

Restaurant s



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C up an Tae 8 Quay Ln, Galway cit y, Co Galway

L’endroit devrait s’agrandir d’ici peu et pour cause, il est parfois difficile d’y trouver une place pour le tea time ou le brunch ! Les gâteaux sont délicieux et très généreux. Vous pouvez également y acheter du thé ou des confitures faites maison. Soon this place should be getting bigger, and for good reason: it can be hard to find a table at brunch or teatime. The cakes are delicious, and very big. You can also buy tea and homemade jams.

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Sheridans Cheesemongers 14 Church Yard St, Galway cit y, co Galway

La boutique est au rez-de-chaussée et le bar est à l’étage avec une jolie sélection de vins et des planchettes à déguster dans une atmosphère typiquement irlandaise ! The shop is on the ground floor and a bar is upstairs, with a lovely selection of wine and small tasting platters in a typically Irish atmosphere!

e xp l o r e déc o u vert e

Sortir

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bierhaus 2 Henry Street, Galway cit y, Co Galway

Dans cette « maison de la bière », vous trouverez une large sélection de bières artisanales irlandaises et anglaises ainsi que de très bons cocktails. Consultez leur programme, il y a souvent des Dj sets ou des concerts. In this ‘beer house’ you will find a large range of artisanal Irish and English beers, along with very good cocktails. Have a look at the programme, there are often DJ sets and gigs.

Get Ready i n f o r m at i o n s t o u r i s t i q u e s   :

Y a l l e r / G e t t i n g t h e r e  :

Tourisme Irlandais : T : 01 70 20 00 20 www.irlande-tourisme.fr

Tourism Ireland : T : 01 70 20 00 20 www.irlande-tourisme.fr

Téléchargez l’appli Wild Atlantic Way qui vous sera très utile une fois sur place en vous renseignant sur les lieux à voir et les événements prévus prochainement.

Download the Wild Atlantic Way app, it will prove very useful when you arrive, telling you about places to see and upcoming events.

Les cétacés aiment particulièrement les eaux irlandaises et sur les 24 espèces répertoriées, 17 peuvent être aperçues le long de la Wild Atlantic Way. Evidemment, il vous faudra être là au bon endroit et au bon moment mais vous multiplierez considérablement vos chances en suivant les infos du Irish Whale and Dolphin Group. www.iwdg.ie

Cetaceans are especially fond of Irish waters and of the 24 species identified, 17 can be seen along the Wild Atlantic Way. You have to be in the right place at the right time, of course, but you will considerably improve your chances by keeping abreast of the news from the Irish Whale and Dolphin Group. www.iwdg.ie

Aer Lingus : Informations et réservations au 0821 230 267 ( 0,12€/minute ) ou sur www.aerlingus.com Vols directs toute l’année au départ de Paris, Lyon, Nice et Bordeaux ( et d’autres villes en saison ). Information and bookings: 0821 230 267 ( 0.12€/minute ) or www.aerlingus.com Direct flights all year round from Paris, Lyon, Nice and Bordeaux ( and other cities in season ).

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V e r t i g o

52째 56' 10" N 9째 28' 15" O


e x p lore TABL E RICH

Les Falaises de Moher

Situées dans le comté de Clare en Irlande, ces falaises s’élèvent jusqu’à 214m et offrent un panorama imprenable sur l’océan Atlantique. En gaélique irlandais, leur nom signifie « falaises de ruines », des ruines faites de calcaire et de schiste érodées par le vent et l’océan, particulièrement tumultueux. In Ireland’s County Clare, these cliffs tower up to 214 m and offer stunning views of the Atlantic ocean. In Irish Gaelic, their name means ‘the cliffs of the ruin’; ruins of limestone and schist worn by the wind and the ocean, particularly wild.

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Les Falaises de Dún Aengus

C’est l’un des trois forts que l’on peut trouver sur Inishmore, perché à plus de 90 mètres de hauteur sur un promontoire surplombant l’Océan Atlantique et le littoral de l’île. La nature de ce site serait plus religieuse que militaire, on pense que ce fort servait autrefois pour des rites et cérémonies de druides. One of three forts found on Inishmore, perched over 90 metres high on a headland looking out over the Atlantic Ocean and the island’s coastline. The site of the fort is said to be more religious than military; thought to have once been used for Druid rites and ceremonies.


e xp l o r e Déc o u vert e

53° 07' 33" N 9° 46' 05" O

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55째 14' 25.92" N 6째 30' 40.96" O


e x p lore TABL E RICH

La chaussée des géants

Situé en Irlande du Nord, ce site est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les colonnes, faites de roches volcaniques constituées d’un basalte gris, forment des prismes rappelant un chemin pavé. Ces derniers sont le résultat de l’érosion marine sur la lave. A UNESCO World Heritage site situated in Northern Ireland. Volcanic rock of grey basalt makes columns that look rather like stepping stones, formed by the sea eroding the lava.

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e xp l o r e déc o u vert e

Ruins and detox t e x t e s / word s : D. P . photos: N.C.

La petite ville de Lisdoonvarna compte moins de 800 habitants, pourtant elle est prise d’assaut chaque année au mois de novembre pour son gigantesque Matchmaking Festival qui rassemble pas moins de 60 000 célibataires venus du monde entier. S’il est possible d’y trouver l’âme sœur depuis près de 150 ans, il faut savoir qu’autrefois, les touristes s’y rendaient surtout pour la detox, une riche idée exploitée par un médecin dont il ne reste plus qu’une maison possiblement hantée, comme on en trouve tant en Irlande. The small town of Lisdoonvarna has fewer than 800 permanent residents, and yet in November each year it is taken by storm for the gigantic Matchmaking Festival, which unites no less than 60,000 singles from all over the world. Although it has been possible to find a soulmate here for nearly 150 years, in the past tourists came mainly to detox. A grand idea exploited by a doctor who has left behind nothing but a potentially haunted house. One of so many to be found in Ireland.

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Au sud de la ville, les thermes sont divisées en plusieurs bâtiments regroupés dans un cadre idyllique, traversé par la rivière Gowlaun. Elle est bordée par d’étranges plantes, vagues cousines de la rhubarbe ressemblant à de larges parasols végétaux mesurant jusqu’à deux mètres. Le jardin sent la mousse humide et la pluie, qui nous précipite vers l’entrée du premier bâtiment renfermant le puits principal. Cette maison est en excellent état puisqu’elle a été rénovée très récemment grâce à une levée de fonds et à l’aide de nombreux bénévoles supervisés par Paddy Dunne, notre guide. Des gobelets traînent sur le bar et en ouvrant le robinet, une odeur pestilentielle se dégage de l’évier. Paddy nous retrouve et nous propose de commencer par une dégustation d’eau miracle. Il se dirige vers le même robinet et nous sert un verre d’eau que nous observons en faisant la moue. Paddy sourit et nous encourage en nous ventant les mérites d’une eau sulfureuse ( longévité infinie, gloire et fortune ), on se répète le conseil avisé que nous assenaient nos mamans : « il faut souffrir pour être belle ». Le goût est en parfait accord avec l’odeur ; nous n’abuserons point du breuvage, sagesse oblige. Paddy semble amusé quand nous lui demandons s’il en boit souvent : « Certainement pas ! ». Vous l’aurez compris, Paddy est malin mais pas vraiment du genre intrépide.

South of the town, the thermal baths are split across several buildings in an idyllic setting, spanned by the Gowlaun River. The river is lined with strange plants, distant cousins of rhubarb that look like big vegetable umbrellas and measure up to two metres. The garden smelled like damp moss and rain, which made us scuttle to the entrance of the first building, home to the main well. This building is in excellent condition. It was restored very recently thanks to fundraising and the help of many volunteers led by Paddy Dunne, our guide. Tumblers stood on the counter and a foul smell emanated from the sink when we turned on the tap. Paddy found us and suggested starting with a taste of the miracle water. He walked to the same tap and served us a glass of water, which we looked at with a frown. Paddy smiled and encouraged us, explaining the merits of sulphurous water ( infinite life, glory and fortune ). We silently repeated the shrewd advice our mothers have hammered into us: ‘You must suffer to be beautiful’. The taste matches the smell perfectly, and good sense told us we certainly would not be drinking too much of the beverage. Paddy seemed amused when we asked him if he drinks it often: ‘Certainly not!’. You see, Paddy is clever, but not really the daring kind.

Pourtant, même si le goût peine à nous convaincre, les eaux de Lisdoonvarna étaient autrefois très prisées et ont permis à cette petite ville de devenir un vrai spot touristique. À l’extérieur du bâtiment se trouve une seconde pompe à eau où les gens pouvaient remplir leurs fioles avant de les emporter chez eux. Nous passons cette étape et arrivons dans le second bâtiment du complexe qui n’a pas encore été rénové. Dans l’aile droite, on trouve un espace de sport avec d’anciennes machines électriques ( en état de marche ) censées raffermir les fessiers. L’espace est labyrinthique et Paddy nous conseille de faire attention aux chauves-souris.

Despite us not being very impressed by the taste, Lisdoonvarna’s water was once very popular and turned this town into a real tourist spot. Outside the building is a second water pump, where people could fill their flasks before taking them home. We skipped this step and arrived in the complex’s second building, which is yet to be restored. In the right-hand wing, there is a fitness area with old electric machines ( still working ), meant to firm the buttocks. The space is maze-like and Paddy advised us to look out for bats. We went back to the entrance hall with the old ticket counter, in


102|103 DECOUVERTE

e xp l o r e



e xp l o r e

Paddy smiled and encouraged us, explaining the merits of sulphurous water : infinite life, glory and fortune

Nous retournons dans le hall d’entrée où se trouve l’ancien guichet, face à une petite pièce où s’entassent des fioles d’apothicaires de toutes les formes et de toutes les couleurs. Le couloir en longueur s’ouvre sur une petite fenêtre donnant sur le jardin arboré. Le couloir est long et les pièces traversantes semblent manger toute la lumière. Les pièces sont toutes semblables avec de larges baignoires robustes, on se croirait dans un film d’horreur, mais nous ne manquons pas de courage et poursuivons notre visite jusqu’à l’étage. La tapisserie ancienne se détache du mur en formant des rouleaux imprimés de fleurs ou de motifs datant des années 70, témoignant des neuf vies de chat qu’a dû connaître ce bâtiment appelé Bath House. La tendance autour des eaux riches en minéraux a mis du temps avant d’intéresser le grand public. Il existe quelques sources réputées en Irlande, notamment dans le comté de Dublin ou dans le Fermanagh, qui étaient plébiscitées avant que l’on ne s’intéresse à Lisdoonvarna. On commence à en entendre parler dès l’époque Victorienne, par des scientifiques ou des médecins cités dans l’ouvrage Lisdoonvarna spas and sea-side places of Clare datant de 1871. Selon le Docteur John Rutty, c’est la richesse naturelle des alentours qui donne sa magie aux eaux minérales. Rappelons que la

front of a small room where apothecary vials are piled up in all shapes and colours. The traversing hall leads to a small window overlooking a treefilled garden. The hall is long and the rooms that lead off it seem to swallow up all the light. These rooms are all alike, with big, sturdy bathtubs. It could be the set of a horror movie, but we were not lacking in courage and continued our visit upstairs. The old tapestry was falling off the wall, forming printed rolls of flowers and patterns from the seventies that hinted at the nine lives that this building, the Bath House, has doubtless had. It took some time for the general public to get interested in the trend for mineral-rich waters. There are several well-known springs in Ireland, particularly in the county of Dublin or Fermanagh, popular before people looked to Lisdoonvarna. People started talking about the town in Victorian times; scientists and doctors cited in the publication Lisdoonvarna spas and sea-side places of Clare dating from 1871. According to Doctor John Rutty, it is the rich natural environment that gives the mineral water its magic. Remember that part of this town sits on the Burren, one of the regions with the richest geology and plant 104|105

DECOUVERTE

Paddy sourit et nous encourage en nous ventant les mérites d’une eau sulfureuse : longévité infinie, gloire et fortune



e xp l o r e

Les arbres se font secouer, exposés au vent de l’Atlantique qui se réveille gentiment, tandis que Paddy nous parle de folklore, de fées et de puits magiques. Une légère bruine commence à tomber et l'on voit le ciel s’assombrir tandis que notre guide nous accompagne vers la maison du médecin responsable des thermes. La maison est située en haut d'une colline et domine les bâtiments au sud. La porte est barricadée d’une chaîne et d’un cadenas, la plupart des fenêtres sont condamnées. La maison est à l’abandon depuis si longtemps qu’une drôle d’atmosphère se fait ressentir. Quelque chose d’indicible, quelque chose qui se sent et semble couper à Paddy l’envie de faire la moindre plaisanterie. Au rez-de-chaussée, le couloir mène à une porte entrouverte sur une pièce sans lumière, nous comprenons que si nous décidions de nous y aventurer, ce serait seules. Impossible d’y traîner Paddy, qui n’aime pas tellement les maisons hantées. À l’étage, alors qu’on s’amuse de la trouille de notre ami, on entre dans une pièce qui ressemble à une chambre à coucher avec des rideaux en lambeaux pendus aux fenêtres. Première photo, première impression étrange où un halo de lumière enveloppe les angles. La photographe fronce les sourcils puis s’empresse d’y trouver une explication logique, rationnelle. En quittant la pièce, Paddy nous fera remarquer deux traces de pas face à la fenêtre, alors que le sol partout ailleurs est recouvert de poussière « Comme si quelqu’un se tenait là, face à la fenêtre », ditil. Nous quittons la maison un peu perplexes. Évidemment, nous n’avons vu personne, mais entre les anciens objets de médecine, l’ambiance lugubre et le sol semblant prêt de s’effondrer à chaque pas, il y a de quoi frissonner, au moins un peu. La côte Atlantique, c’est ça : une multitude de petites villes faites de curiosités, de gens passionnés et fiers d’un patrimoine d’une richesse incommensurable. Surtout, restez hors des sentiers battus et perdez-vous. Mais pas trop non plus, on ne sait jamais sur quoi on pourrait tomber.

DECOUVERTE

ville est en partie assise sur le Burren, l’un des territoires à la géologie et à la flore les plus riches au monde. L’eau jaillissant de la roche calcaire s’en trouve imprégnée, elle présente un goût assez acide et une odeur soufrée. Cette eau, selon ses points de distribution, est riche en fer, en soufre, en nitrate mais aussi en cuivre. À cette époque, la fièvre est l’une des maladies les plus mortelles en Irlande et l’on préconise d’en boire plusieurs pintes pour retrouver la forme. Efficacité garantie.

life on the planet. The water springing from the limestone rock is infused with it, and has quite an acidic taste coupled with a sulphurous odour. This water, depending on the spring’s location, is rich in iron, sulphur, nitrate and also copper. At the time, fever was one of the deadliest illnesses in Ireland, and people were encouraged to drink several pints to get well. Effectiveness guaranteed. The trees quivered in the Atlantic wind that was gently rising as Paddy talked to us about folklore, fairies and magic wells. A light drizzle started to fall and the sky noticeably darkened as our guide took us to the house that once belonged to the doctor in charge of the baths. The house is situated on top of a hill and looks over the buildings to the South. The door was barred with a lock and chain and most of the windows were bordered up. The house has been empty for so long that a funny atmosphere hangs in the air. Something indescribable; something palpable that seemed to take away Paddy’s desire to make the slightest of jokes. On the ground floor, the hall leads to a door, ajar, onto a dark room. We realised that if we decided to adventure inside, it would be alone. Impossible to drag Paddy ( who doesn’t really like haunted houses ) in there. Upstairs, and laughing about our friend’s cowardice, we entered a room that looks like a bedroom with tattered curtains hanging from the windows. First photo, first strange effect: a halo of light enveloping the corners. The photographer knitted her brow and then tried to come up with a logical, rational explanation. As we left the room, Paddy pointed out two footprints by the window, with the rest of the floor covered in dust. ‘As if someone was standing there, in front of the window’, he said. We left the house a little bemused. We didn’t see anyone, of course, but between the old medicinal objects, heavy atmosphere and a floor that seemed about to fall in with every step, there is enough to give you the jitters ( a little at least ). This is the Atlantic coast: a wealth of small towns full of curiosities and passionate people who are proud of their immeasurably rich heritage. Stay off the beaten track and get lost. But don’t stray too far: you never know what you might find. 106|107



Fauna t e x t e s / word s : d. p . il l u s t r at i o n : f r é d é r i q ue v e r nil l e t

Prenez des jumelles lors de vos balades et attendez-vous à être émerveillé à chaque détour. Munissez vous de patience et peut-être croiserez-vous d’adorables macareux nichés sur les falaises de Moher. Prenez le large et vous verrez à coup sûr de petits pingouins appelés « razorbill » qui volent en frôlant la surface de l’eau. Bien que ce soit plus rare, on peut observer des baleines le long de la côte Atlantique, à condition d’arriver au bon moment, notamment au printemps dès l’arrivée du plancton. Il est possible d’apercevoir des phoques depuis les plages d’Inishmore, même s’ils se font de plus en plus rares dans les zones fréquentées par les touristes. Take a pair of binoculars for your walks and you will be amazed at every turn. Armed with patience, you might come across some adorable puffins nestled on the cliffs of Moher. Head out to sea and you can be sure of seeing little ‘razorbill’ penguins that graze the surface of the water as they fly. Despite being rarer, whales can also be seen along the Atlantic coast, providing you arrive at the right moment (especially in spring, when the plankton comes). Seals can be seen from the beaches of Inishmore, even if they are getting increasingly rare in the areas visited by tourists.

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L'ĂŽle

t e x t e s / word s : d. p . photos: N.c.

au t o b a n

m agnĂŠtiq u e t e x t e s / word s : d. p

p h o t o s : m. a T ond u


02|03 RICH

TABL E

e x p lore


À une poignée de kilomètres du territoire continental se trouvent les trois îles d’Aran. Elles sont la continuité du Burren, situé dans le comté de Clare, et possèdent la même richesse naturelle, rassemblant des mondes végétaux aux géographies opposées. Pas moins de 600 espèces de plantes différentes s’y côtoient en harmonie, qu’elles viennent de l’Arctique, des Alpes ou même du bassin méditerranéen. Pourtant, Inis Meán se mérite et l’on peut passer à côté de son charme, à l’image du général britannique Edmund Ludlow qui, en 1651, déclarait : « Il n’y a pas assez d’eau pour noyer un homme, ni assez d’arbres pour le pendre, ni assez de terre pour l’enterrer. ». Néanmoins, Inis Meáin est un véritable joyau irlandais où sont installés le chef Ruairí de Blacam ainsi que sa femme Marie-Thérèse. The three Aran Islands sit a handful of miles from the mainland. Once attached to the Burren, situated in County Clare, they have the same rich environment, uniting plant life and remarkably diverse landscapes. No less than 600 different plant species live together in harmony, coming from the Arctic, the Alps or even the Mediterranean basin. Still, Inis Meáin isn’t easy, and its charm can go unappreciated. As it was by British general Edmind Ludlow in 1651, who declared: ‘There is not enough water to drown a man, wood enough to hang one, nor earth enough to bury him’. And yet Inis Meáin is a real Irish gem, home to chef Ruairí de Blacam and his wife Marie-Thérèse.


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e x p lore



e xp l o r e déc o u vert e

Des bourrasques de vent nous giflent le visage et de gros nuages noirs s'avancent à l'horizon. Monsieur Faherty nous dépose chez son ami Ruairí en nous annonçant que nous ne pourrons pas prendre l’avion le lendemain pour cause de mauvais temps. MarieThérèse est partie voir sa famille et c’est le chef qui nous accueille. Ruairí nous fait visiter son jardin : la chaleur est étouffante dans la serre et une légère bruine vient fouetter le toit. Le travail de la terre n’est pas une chose aisée sur l’île où le climat et le territoire ne sont pas toujours propices à la culture. Tout comme dans le Burren, les terres des îles d’Aran sont recouvertes de calcaire, donnant à son paysage un caractère mystérieux et lunaire. Toutefois, avant d’envisager une construction, il faudra d’abord débarrasser le terrain de ses grandes dalles rocailleuses dont les habitants amoncèlent les morceaux pour créer des coupe-vent, tout en délimitant leur terrain. Ces portails de pierre dessinent le paysage à la manière d’un labyrinthe. « Ici la terre, c’est du sable, des algues et de la bouse de vache. C’est ce qui rend un terrain cultivable au fur et à mesure des années. Nous avons du importer 100 tonnes d’engrais par bateau avant de pouvoir cultiver nos légumes. », raconte Ruairí.

Gusts of wind were hitting our faces, and big black clouds were drawing in on the horizon. Mr Faherty dropped us off at the home of his friend Ruairí, telling us that we would not be taking the airplane the following day due to the bad weather. Marie-Thérèse had left to see her family, so we were greeted by the chef. Ruairí showed us around his garden. The heat in the greenhouse was suffocating and a light drizzle started drumming against the roof. Toiling the land is no easy feat on this island, where the climate and the land are not always conducive to farming. Just like the Burren, the land of the Aran Islands is covered in limestone, giving the landscape a mysterious and moonlike character. Before thinking about building, first you have to clear the terrain of the large slabs of rock that the locals pile up to make wind-breaks and mark out their property. Stone walls that mark the landscape like a maze. ‘Here, the soil is sand, seaweed and cowpats. That is what slowly makes the land fertile over the years. We had to import 100 tonnes of manure by boat before being able to grow our vegetables’, Ruairí explained.

On arrive à proximité d’un enclos où deux cochons viennent nous accueillir en grouinant, « On n’utilise que des produits locaux, je sais que c’est une grande mode de se définir ainsi mais sur cette île nous n’avons simplement pas le choix. Un fermier élève des agneaux et nous permet de les commander selon les besoins du restaurant. Nous avons aussi un poulailler et les cochons recyclent les restes et les épluchures de légumes afin d’éviter le gâchis. À la fin de la saison, on en fait de la charcuterie qu’on sert à nos clients l’année suivante. », explique Ruairí. Ce dernier est de la vieille école, né à une époque où il n’y avait pas encore d’électricité sur l’île. Une vie à l’écart du pays où les ferries ne venaient pas quotidiennement mais une fois par semaine seulement, quand la météo le permettait. Il raconte : « Chaque maison disposait d’une vache et l’on empruntait du lait au voisin si l’on avait une génisse. J’ai appris l’irlandais

We neared a pen where two pigs came oinking out to greet us. ‘We only use local products. I know it is really fashionable to describe yourself like that, but on this island we just don’t have a choice. A farmer rears lambs, and we can order them in accordance with the restaurant’s needs. We have a henhouse, too, and the pigs eat the leftovers and vegetable peelings to cut waste. At the end of the season, we use them to make ham to be served to our guests the following year,’ Ruairí explains. He is old school, born at a time when there was still no electricity on the island. A life removed from the mainland, with ferries arriving not daily but only once a week ( weather permitting ). ‘Each house had a cow and you would borrow milk from a neighbour if you had a heifer. I learnt Irish before learning English, and that is 114|115



e xp l o r e

Elle est là tous les jours depuis l’ouverture et elle a un certain talent pour garder le sourire même dans les moments difficiles.

We’re talking a lot about me, but my wife is fantastic. She has been here every day since the opening, and she has a special talent for keeping a smile, even in difficult moments.

avant d’apprendre l’anglais et c’est le langage que nous utilisons toujours entre nous sur l’île. Je prends en compte l’endroit où je suis : c’est primordial pour moi de ne plus importer mes produits et de tout préparer sur place, ainsi, je me rends chaque semaine dans la serre en préparant mes menus à venir. Je vois si j’ai des betteraves ou des pommes de terres prêtes. Ici, il n’y a pas d’instinct, il n’y a que de la logique. ». Le restaurant et les suites sont ouvertes d’avril à septembre, mais à la fin de la saison, le couple ne chôme pas : depuis son ouverture il y a huit ans, le restaurant n’a eu de cesse d’évoluer chaque année, tant en termes de style que de cuisine. Marie-Thérèse et lui décident ensemble des mutations du restaurant et de ses suites : « On parle beaucoup de moi, mais ma femme est exceptionnelle. Elle est là tous les jours depuis l’ouverture et elle a un certain talent pour garder le sourire même dans les moments difficiles. », nous confie Ruairí. Selon lui, son métier repose sur l’hospitalité et la simplicité. C’est dans cette optique que le couple a opté pour un design simple et épuré en concevant euxmêmes leur mobilier. Le résultat est à la mesure du travail entrepris, sans fioritures ni prétention. Le bâtiment ressemble à un énorme paquebot, voire un vaisseau vu de loin ; malgré son apparence contemporaine qui tranche radicalement avec la foule de maisons aux allures de cottages, l’Inis Meán Restaurant & Suites réussit à se frayer une place sans perturber le paysage. L’idée venait de l’oncle architecte de Ruairí, Shane de Blacam, à l’origine de nombreux projets de renom.

the language we still use among ourselves on the island. I acknowledge the place I am in. For me, it is vital not to import ingredients anymore, and make everything on-site. So every week I come to the greenhouse to set my new menus. I see if my beetroots or potatoes are ready. There is no instinct here, only logic.’ The restaurant and the suites are open from April to September, but the couple does not stop working at the end of the season. Since opening eight years ago, each year the restaurant has not stopped changing; in terms of style as much as cuisine. He and MarieThérèse decide on all the changes in the restaurant and the suites together: ‘We’re talking a lot about me, but my wife is fantastic. She has been here every day since the opening, and she has a special talent for keeping a smile, even in difficult moments,’ Ruairí confides. According to him, his work comes down to hospitality and simplicity. With this vision, the couple chose a simple and refined style, designing the furniture themselves. The result matches the effort involved, stripped of frills and pretension. The building looks like a big liner, or a ship seen from afar. Despite the contemporary appearance, which breaks radically from the crowd of cottage-like houses, Inis Meáin Restaurant & Suites manages to carve out a place for itself without upsetting the landscape. The concept came from Ruairí’s uncle, Shane de Blacam, an architect behind many celebrated projects. 116|117

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On parle beaucoup de moi, mais ma femme est exceptionnelle.


À l'ouverture, le chef a opté pour une cuisine de brasserie assez traditionnelle. Seulement, quand on a l’amour de la bonne chère et une bonne dose de potentiel, ce style peut devenir redondant. Aujourd’hui encore, la cuisine irlandaise a mauvaise réputation car si l’on trouve des produits excellents, rares sont ceux capables de les sublimer. Ruairí dépoussière les classiques et donne une nouvelle impulsion à cette cuisine : « Je pense qu’on pourrait la définir comme étant « néo irish », dans le sens où l’on s’éloigne de la cuisine irlandaise traditionnelle. On n’a pas l’héritage culinaire français, on a une cuisine nourricière qui s’inspire certainement des classiques français avec Escoffier, tout en gardant une influence anglaise très forte. Ma cuisine est naturelle et brute. Je ne veux pas me prendre trop au sérieux. ». On pourrait y trouver une influence méditerranéenne ou même japonaise dans son look mais cette cuisine est bien irlandaise : « Elle prend ses racines sur ces terres avec la richesse des produits insulaires. Je ne peux pas dire que ce soit du « néo bistro », principalement parce que je ne passe pas trois plombes à dresser une assiette avec une pince à épiler. De plus, les modes ne m’intéressent pas. Je n’aime pas la bouffe « intéressante », j’aime la bonne bouffe ». Dans la forme, la cuisine de Ruairí ne fait pas de longs discours. Un peu comme lui. Il y a un an, il a décidé d’arrêter les menus dégustation en dix étapes. Les gens viennent sur l’île, marchent toute la journée et quand ils arrivent au restaurant, ils sont affamés. Selon lui, ils n’ont pas envie de tralalas, c’est pourquoi il propose un menu en quatre étapes. En entrée, il y a toujours des coquillages suivis d’un plat de légumes. En Irlande, les légumes sont souvent mis sur le côté, ce qui déplaît beaucoup à Ruairí qui préfère leur donner une place centrale avant de poursuivre le repas avec un poisson noble ou une viande. Ce jour-là, ce sera un poisson fin. La serveuse dépose à table un large pot en terre rempli de pommes de terre cuites avec la peau. À côté, une motte de beurre dont on garnira notre accompagnement avec une pointe de fleur de sel. On devine que le chef n’aime pas les chichis : « J’aime aller au restaurant pour voir ce qu'il s’y fait mais pour être honnête, je ne mange jamais aussi bien qu’à la maison chez mes amis. Je n’aime pas les restaurants trop chics avec un serveur qui vient me demander un truc toutes les deux minutes, retire les miettes de ma table ou vient me servir du vin.

For the opening, the chef opted for fairly traditional brasserie cuisine. Only, when you have a passion for good food and a fair dose of potential, this style can become redundant. Even today, Irish cuisine has a bad reputation. Although there are excellent products, few are capable of doing them justice. Ruairí dusts off the classics and gives a new impulse to this cuisine: ‘I think it could be defined as being ‘neo-irish’, in the sense that it is taken away from traditional Irish cuisine. We do not have the French culinary heritage; we have hearty food that definitely draws on the French classics, with Escoffier, while retaining a very strong English influence. My food is natural and basic. I don’t want to take myself too seriously.’ You might sense a Mediterranean, or even Japanese, influence in the presentation, but this food is unequivocally Irish: ‘It has roots in this land, with the richness of the island’s produce. I can’t say that it is ‘neo bistro’, mainly because I don’t spend ages plating up with tweezers. And trends don’t interest me. I don’t like ‘interesting’ food; I like good food.’ In form, Ruairí’s food isn’t overly complicated; it is frank and direct. A little like him. One year ago, he decided to cut the ten course tasting menu. People come to the island, walk all day long, and when they arrive at the restaurant, they are famished. He thinks they don’t want fuss, which is why he is offering a four course menu. As a starter there is alway shellfish, followed by a vegetable dish. Vegetables are often ignored in Ireland, which Ruairí doesn’t like at all. He prefers to give them a central place, before the meal continues with good fish or meat. That day, it would be fish. The waitress put down a large ceramic bowl on the table, filled with potatoes cooked in their skins. Next to it, a lump of butter with which we garnished our accompaniment, along with a pinch of salt. You can see the chef doesn’t like fuss: ‘I like going to restaurants to see what is going on, but, to be honest, I never eat as well as at my friends’ houses. I don’t like restaurants that are too posh, with waiters who come and ask me something every two minutes, sweeping the crumbs from the table or pouring my wine.


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Leave the bloody bottle on the table, I can pour it myself like a big boy!’ We ate our rustic meal, looking out at the landscape late into the evening. The chef most often serves a fruit-based pudding to finish. The couple’s next project, which will doubtless happen soon, is to grow an orchard in the garden, planting apricot, plum and apple trees. Odds on that in no time there will be homemade cider to try.

Sur Inis Meán, on compte 150 habitants tandis qu’Inismore en a 800 et la petite Inisheer 200. Pourtant, chaque année, près de 70 000 touristes viennent visiter Inisheer, proche de Doolin. De son côté, Inishmore est facilement accessible depuis Galway ce qui explique pourquoi ces deux îles vivent principalement du tourisme. Ce n’est pas le cas d’Inis Meán et les irlandais vous le diront : les trois îles se ressemblent mais Inis Meán est très différente. Ruaíri explique  : « Nous ne dépendons pas du tourisme et on doit réussir à faire venir les gens sur notre île. La majorité des habitants vivent de la pêche ou de l’agriculture. Ici, la plupart des gens sont âgés : c’est terrible à dire mais dans quelques années il n’y aura peut-être plus personne ! ». Depuis quelques temps, l’île organise des échanges scolaires avec des enfants du continent. Sur les îles d’Aran, le gaélique irlandais est la langue maternelle, c’est pourquoi les enfants peuvent y passer quelques mois en séjour linguistique, « Cette démarche vient de l’île, mais comme souvent, le gouvernement en tire tout le crédit ! Ce dernier s’inquiète de plus en plus et craint que le gaélique ne disparaisse complètement si l’on ne fait rien.  ». Vu comme ça, difficile de comprendre comment et pourquoi le chef s’est lancé dans une telle entreprise à un endroit aussi difficile d’accès. Il explique : « J’ai travaillé à l’étranger avant de revenir ici. J’ai pu découvrir Milan, Munich, Paris… Mais une chose me rattache à mon île, c’est magnétique. J’ai toujours voulu vivre ici et y construire mon restaurant. Je ne suis pas un citadin, j’aime bien passer quelques jours à New York mais je m’y sens comme au zoo ! Les choses et les gens me paraissent déconnectés de la réalité. ». La vie en autarcie sur Inis Meán a quelque chose d’effrayant lorsqu’on vit dans un monde en perpétuel mouvement, lorsqu’on a peur de l’ennui ou de l’inertie. Pourtant, il y a bien quelque chose de mystérieusement magnétique en ces terres. Quelque chose qui se ressent mais ne s’explique pas.

There are 150 residents on Inis Meáin, 800 on Inismore, and 200 on the smaller Inisheer. Each year, nearly 70,000 tourists visit Inisheer, close to Doolin, and Inishmore can be reached easily from Galway. Which explains why these two islands live mainly from tourism. This is not the case for Inis Meáin. As the Irish will tell you, the three islands look alike, but Inis Meáin is very different. Ruaíri explains : ‘We cannot rely on tourism, and we have to find ways to bring people to our island. Most locals make a living by fishing or farming. Most people are elderly here. It is horrible to say, but maybe in a few years there will be noone left!’. For a while now, the island has been organising school exchanges with children from the mainland. On the Aran Islands, Irish Gaelic is the mother tongue, so children come to spend a few months to learn the language, ‘This move was initiated by the island. But as is often the case, the government takes all the credit! They were getting more and more worried, fearing that Gaelic would disappear completely if nothing was done.’ Seen like this, it is hard to imagine why and how this chef threw himself into such an enterprise, in a place that is so hard to access. He explains: ‘I worked abroad before coming back here. I got to see Milan, Munich, Paris… But something ties me to my island. It is magnetic. I always wanted to live here, and build my restaurant here. I am not a city person. I like spending a few days in New York, but when I’m there it feels like I’m at the zoo! People and things seem so disconnected from reality’. Self-sufficient living on Inis Meáin has something frightening about it when living in a world that is always moving, afraid of boredom or inertia. But this land certainly has something mysteriously magnetic. Something that you feel but cannot explain.

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Laisse-moi cette fichue bouteille sur la table, je peux me servir comme un grand ! ». On déguste notre plat au charme rustique en observant le paysage jusque tard dans la soirée. Pour finir, le chef propose le plus souvent un dessert à base de fruits. D’ailleurs, le prochain projet du couple, qui verra certainement le jour bientôt, serait de créer un verger dans leur jardin pour y planter abricotiers, pruniers et même pommiers. Il y a fort à parier qu'on pourra bientôt déguster du cidre maison.

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Le chant de la mer t e x t e s / word s : d. p . p h o t o s : TOMM MOORE

Au détour d’un chemin sur l’île d’Inishmore, il n’est pas impossible de trouver quelques maisons de leprechauns dissimulées dans les jardins. Elles sont construites pour garder de bonnes relations avec la créature connue pour jouer de mauvais tours. Pourtant, les mythes et les folklores ont depuis longtemps été relégués au rang des superstitions de bonne femme. Il faut dire que l’Irlande regorge d’histoires de maisons hantées, de géants et de petits êtres maléfiques. Des histoires poétiques et fascinantes que le réalisateur Tomm Moore a choisi d’assembler dans son film Le Chant de la mer. À 37 ans, le réalisateur a signé un nouveau film largement salué par la critique, cinq ans après la sortie de Brendan et le Secret de Kells. Dans ce film, on découvre une mosaïque de mythes celtes portant l’histoire autour de Ben et sa petite sœur Saoirse qui aurait hérité des pouvoirs magiques de sa mère. Saoirse est une Selkie capable de se changer en phoque lorsqu’elle revêt son manteau de fourrure. Les mythes sont la toile de fond de ses histoires ; c’est ainsi que Tomm perpétue la tradition en donnant vie aux légendes de son pays qui nous enchantent, superstition ou non. Wandering along a footpath on the island of Inishmore, you might just spot a few leprechaun houses scattered in the gardens. They are built to keep up good relations with these creatures, who are known for making mischief. Although the myths and folklore have long been relegated to the rank of old wives’ tales, Ireland is brimming with stories of haunted houses, giants and wicked little beings. Poetic and fascinating stories that director Tomm Moore chose to gather in his film Song of the Sea. At 37 years old, the director has made a new film to critical acclaim, five years after the release of The Secret of Kells. In this film, we find a patchwork of Celtic myths holding up the story of Ben and his little sister Saoirse, who seems to have inherited magic powers from her mother. Saoirse is a Selkie, capable of transforming into a seal when she wears her fur coat. Myths form the background for his stories, which is how Tomm keeps tradition alive. Breathing life into the legends of his country, which enchants us, superstitions or not.


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Mint magazine : Qu’est ce qui vous passionne dans la mythologie celte ?

Mint magazine : Why are you so passionate about Celtic mythology?

TOMM MOORE : Je m’intéresse à toutes les mythologies mais la mythologie irlandaise est l’histoire avec laquelle j’ai grandi. J’ai le sentiment que la mythologie et le folklore détiennent la vérité de chaque génération et que ces dernières se les transmettent au fil du temps. Chaque génération se les approprie et les met à jour, même si cela demeure intimement lié à la sagesse des anciens. Je pense que tous les conteurs d’histoires sont des enseignants à leur manière, qu’ils en soient conscients ou non. Les récits et les contes semblent expliquer comment nous, en tant qu’espèce, donnons du sens à notre monde.

TOMM MOORE : I am interested in all mythology but Irish mythology is the storytelling I grew up with. I feel mythology and folklore hold the truths of each generation, which passes them on to the next in turn. Each generation appropriates and updates them, but they remain closely linked to our ancestors’ wisdom. I think all storytellers are teachers in some respect, whether they are conscious of it or not. Narrative and storytelling is how we, as a species, seem to make sense of our world.

Mint : étiez-vous au courant de tous ces mythes et de cette richesse culturelle étant enfant ? Tomm : L’une de mes grands-mères était très superstitieuse. C’était une catholique très stricte mais en même temps elle croyait aux fées et à tout un tas de trucs fous. C’est elle qui m’a raconté l’histoire de la Chaussée des Géants ou d’autres histoires de ce genre. Comme tout enfant gâté des années 1980, je pensais que tout cela était très dépassé, que c’était des histoires de vieilles personnes. Je m’intéressais bien plus aux bandes dessinées. Plus tard, alors que j’étais étudiant à Young Irish Filmmakers, quelqu’un m’a montré une interview de Joseph Campbell et Leonard Maltin ; c’est à ce moment que j’ai compris les liens entre la bande dessinée, Star Wars et la mythologie et que j’ai commencé à m’y intéresser.

Mint : We you aware of all these myths and cultural richness as a child? Tomm : One of my grandmothers was very superstitious. She was a very strict Catholic but at the same time believed in fairies and all kinds of mad stuff. She told me the story of the Giant’s Causeway and other stories like that. Like any spoilt child in the 1980s, I thought is was all very passé; stories for old people. I was much more interested in comic books.

Later, when I was in Young Irish Filmmakers, someone showed me an interview with Joseph Campbell and Leonard Maltin. It was then that I made the link between comics and Star Wars and mythology, and I started to get interested.

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Mint : Pouvez-vous nous expliquer comment vous êtes devenu illustrateur et réalisateur ?

Mint : Tell us about how you became an illustrator and director.

Tomm : J’ai toujours été intéressé par le dessin, la bd et l’animation. Quand j’étais enfant, je savais que le studio Don Bluth était sur le point d’ouvrir à Dublin et c’est à partir de ce moment que j’ai commencé à y réfléchir. Plus tard, j’ai rejoint le Young Irish Filmmakers où j’ai pu rencontrer de nombreux amis qui travaillent toujours avec moi. J’ai étudié l’animation à l’école de Ballyfermot à Dublin où j’ai fondé Cartoon Saloon en 1999 avec Nora Twomey et Paul Young.

Tomm : I was always interested in illustration, comics and animation. As a child I found out that the Don Bluth studio was about to open in Dublin, and I started thinking about it from that moment. Later, I joined the Young Irish Filmmakers, where I was able to meet many friends who still work with me. I studied animation at Ballyfermot College in Dublin, where I founded Cartoon Saloon in 1999 with Nora Twomey and Paul Young.

Mint : Comment vous est venu l’idée de réaliser Le Chant de la mer ?

Mint : Where did the idea of making Song of the Sea come from?

Tomm : Au début de la production de Brendan et le secret de Kells, je suis parti quelques jours sur la côte Ouest d’Irlande avec ma femme et mon fils Ben, qui avait 10 ans à l’époque. Alors qu’on était en train de dessiner sur la plage, près de la ville de Dingle où nous avions loué un cottage, on est tombé sur quelque chose de très perturbant. Il y avait des cadavres de phoques sur la plage. On a demandé à la dame qui nous louait le cottage de quoi il s’agissait et elle nous a expliqué que les pêcheurs locaux s’étaient mis à chasser les phoques et à les tuer, frustrés de voir que les stocks de poissons diminuaient. Évidemment c’est fou de penser ainsi, puisque l’humain et la pêche intensive sont les vraies causes de ce problème. Elle nous a dit que cela n’aurait jamais pu arriver autrefois puisque selon des croyances folkloriques, les phoques étaient vus comme des créatures mystiques et les blesser portait malheur. À l’époque, de nombreux pêcheurs pensaient que les phoques contenaient l’âme de personnes perdues en mer ou qu’ils pouvaient bien être des Selkies, c’est à dire des personnes capables de se transformer en phoque puis en humain. J’ai réalisé qu’on perdait beaucoup plus que des histoires lorsqu’on perdait notre folklore : le respect pour l’équilibre de la nature et les traditions anciennes se perdent aussi. C’est comme ça que je me suis demandé à quel moment ces croyances avaient commencé à disparaître. Je crois que ça a débuté quand j’avais 10 ans, tout comme mon fils. C’est comme ça que j’ai commencé à rêver de ce film, à en tisser les influences, les idées que j’avais pu glaner lors du voyage, tout cela mêlé à ma nostalgie pour la période pré-Tigre Celtique.

Tomm : At the beginning of production on The Secret of Kells I went away for a few days to the west coast of Ireland with my wife and son Ben, who was ten years old at the time. While we were sketching on the beach, near the town of Dingle where we had rented a cottage, we came across a disturbing sight. There were seal corpses on the beach. We asked the lady we were renting the cottage from about it and she explained that the local fishermen had taken to hunting and killing the seals, frustrated with the falling fish stocks. Of course it is crazy to think like that, because man and overfishing is really to blame. She said that it would never have happened before because according to folkloric belief, seals were seen as mystical creatures and it was bad luck to harm them. Many fishermen in those days believed that the seals could contain the souls of people lost at sea or could even be Selkies, people who can transform from humans into seals. I realised that we lose so much more than stories when we lose our folklore : a respect for the balance of nature and the old traditions was being lost too. I started thinking about when these beliefs had started to disappear. I think it started when I was ten, just like my son. That is how I started dreaming up this film, weaving together the influences and ideas that I took from the trip, all mixed with my nostalgia for the pre-Celtic Tiger Ireland.


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J’ai réalisé qu’on perdait beaucoup plus que des histoires lorsqu’on perdait notre folklore : le respect pour l’équilibre de la nature et les traditions anciennes se perdent aussi.

I realised that we lose so much more than stories when we lose our folklore: a respect for the balance of nature and the old traditions was being lost too.

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Mint : Quels lieux vous ont inspiré les paysages du film ?

Mint : What places inspired the film’s scenery?

Tomm : Je me suis inspiré de Dingle et Donegal mais toute la côte ouest d’Irlande est une source constante d’inspiration puisqu’il s’agit d’un bastion du langage et des traditions, sans parler de la beauté des paysages.

Tomm : I was inspired by Dingle and Donegal but all of the west coast of Ireland is a constant source of inspiration, as it is a stronghold of language and traditions as well being very beautiful.

Mint : Connaissiez-vous cette légende autour des Selkies ?

Mint : Did you know the legend of the Selkies?

Tomm : J’avais entendu parler des Selkies quand j’étais

jeune et ces souvenirs me revenaient au fur et à mesure du voyage. Quand je suis rentré, j’ai parlé de cette histoire à Ross Stewart, le directeur artistique de Brendan et le secret de Kells. Il m’a prêté un livre appelé Le Peuple de la mer qui compilait de vieilles histoires d’Irlande et d'Écosse au sujet des personnes qui pouvaient se changer en phoque.

Tomm : I had heard stories about Selkies when I was younger and these memories came back to me as the holiday continued. When I got home, I talked about all this to Ross Stewart, the Art Director on The Secret of Kells. He lent me a book called The People of the Sea which was a collection of old stories from Ireland and Scotland about the Seal people. Mint : Why is the film set in 1987?

Mint : Pourquoi le film se déroule-t-il en 1987 ? Tomm : Parce que j’ai le souvenir de cette période de

transition entre ce que je considère comme l’ancienne Irlande et le pays dans lequel nous vivons aujourd’hui, qui participe largement à la mondialisation. C’est très intéressant pour moi d’observer tant de références à cette période dans la pop culture d’aujourd’hui. Enfant, je regardais des films nostalgiques des années 1950 et 1960 et, de la même manière, ma génération réalise aujourd’hui des projets nostalgiques des années 1980. Je m’attends donc à ce qu’on puisse voir aussi des projets inspirés des années 1990 et 2000 dans le futur ; ce sera certainement le signe que je vieillis ! Mint : Le Chant de la mer est donc un conte moderne, comment fait-on le lien avec l’ancien monde et ses traditions ? Tomm : J’ai voulu créer un conte de fée moderne en empruntant des personnages et des thèmes de l’ancienne tradition Seanachai, c’est-à-dire celle des conteurs d’histoires. C’est une tradition orale : chaque

Tomm : Because I remember this transition period between what I see as an old Ireland and the country we live in now, which is very much part of the globalised West. It is interesting for me to see so many references to this period in pop culture at the moment. Younger, I watched films tinged with nostalgia for the 1950s and 1960s and, in the same way, my generation is now creating projects nostalgic for the 1980s. So I expect to see projects inspired by the 1990s and 2000s in the future; and then I’ll know I'm getting old! Mint : Song of the Sea is a modern tale, how do you link it to the ancient world and its traditions ? Tomm : I wanted to craft a modern fairytale borrowing characters and themes from the ancient tradition of the Seanachai - traditional storytellers. It is an oral tradition: each Seanachai having his own take on the legends and often inventing new ones, enriched with the themes and events from the traditional stories.


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Mint : Qu’est-ce-qui vous a inspiré les personnages de ce film ? Tomm : Au départ, nous avons créé une sorte de fond, une structure de conte de fée afin d’expliquer comment tous les personnages se retrouvaient là, au moment où Ben et Saoirse les rencontrent. Cependant, après avoir travaillé sur différents brouillons de scénarios, nous avons réalisé que nous ne voulions pas être trop « littéral » en expliquant en détails qui sont tous ces personnages issus d’un monde magique. Ainsi, les spectateurs pourraient avoir leur propre lecture du film. Nous avons voulu faire un clin d’œil aux anciens récits qui ont inspiré notre monde sans pour autant perdre de vue nos personnages principaux. Un peu à la manière de Hayao Miyazaki dont le travail se concentre sur des personnages auxquels on peut s’identifier ; ces derniers se meuvent dans un monde inspiré par la tradition animiste japonaise. Mint : Dans ce film, vous faites de nombreuses références aux mythes irlandais. Tomm : Tout au long du film, il y a des références visuelles et orales aux histoires et aux traditions d’autrefois. Par exemple, le Grand Seanachai chante la chanson traditionnelle Si do mhamo qui parle d’une

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Seanachai a sa propre interprétation des légendes, puis il en invente de nouvelles enrichies de thèmes et d’événements lié aux contes traditionnels. En tant que tradition vivante, ces histoires ont besoin d’évoluer afin de plaire à l’audience pour laquelle elles ont été créées. C’est dans cet esprit que Will Collins et moi avons emprunté des thèmes et des références aux contes anciens pour en créer un plus moderne. C’est justement en référence à des conteurs d’histoires comme Eddie Lenehan ou Eamon Kelly que nous avons créé Le Grand Seanachai, ce personnage du film qui doit recueillir toutes les histoires dans ses cheveux afin de ne pas les oublier.

As a living tradition, these stories need to evolve to suit the audience they are being created for. It is in this spirit that Will Collins and I borrowed and referenced the old stories to create a more modern one. It is precisely in reference to these storytellers like Eddie Lenehan or Eamon Kelly that we created the Great Seanachai, the character in the film who has to gather all the stories in his hair to prevent him from forgetting them. Mint : What inspired the characters in the film? Tomm : At first, we developed a sort of background, a fairytale structure to explain how all the characters ended up where they are when Ben and Saoirse encounter them. But after working on various drafts of the script we realised that we didn’t want to be overly literal and explain in detail who these people from a fairy world are. That way, the audience could have their own interpretation of the film. We wanted to hint at the ancient stories that inspired our world without losing the focus on our central characters. A bit like Hayao Miyazaki whose work focuses on characters we can all relate to, who inhabit a world inspired by Japanese animist traditions. Mint : You make a lot of references to various Irish myth in this film. Tomm : Throughout the film there are visual and oral references to old stories and traditions. For example, the Great Seanachai sings a traditional song ‘Si do mhamo’ which is about an old granny who is a witch, an allusion to the mirroring aspect between the granny and the witch Macha. Many examples of ancient carvings and stone work are incorporated into the film. Viewers who know about such things will see Dolmens, Ogham carvings ( Editor’s note: an ancient alphabet dating from the fourth century ) as well as stone statues

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Mint : Ces personnages ont leur propre histoire mais dans votre film, ils servent l’épopée de Ben et Saoirse ? Tomm : Ce qui était important pour nous était d’utiliser ces anciens personnages et ces motifs d’autrefois, afin d’aider à raconter l’histoire d’une famille qui a besoin d’aller mieux. C’est pour cela que les personnages du monde magique se réfléchissent dans le monde réel grâce à un effet miroir : la sorcière et la grand-mère puis le géant et le père de famille. Mint : Avez-vous changé votre méthode de travail depuis votre premier film ? Tomm : Nous avons affiné notre méthode mais cela reste assez similaire. Le plus gros changement est que nous dessinons les personnages grâce à des tablettes, directement sur ordinateur sans scanner nos dessins. Mint : Contrairement à Brendan et le secret de Kells qui était un dessin animé assez sombre, on a le sentiment que vous avez arrondi les angles pour Le Chant de la mer. Tomm : Oui, j’ai travaillé très dur cette fois pour faire un film qui plairait à un public aussi large que possible. Je suis certain que des adultes ou des adolescents sauront apprécier les images, la musique et l’histoire mais je voulais aussi faire un film comme Le Livre de la jungle ou Mon Voisin Totoro, que les enfants pourraient également apprécier et revoir en grandissant. C’est dans ce but que nous avons testé le film très tôt, au stade du storyboard, avec des écoliers, des amis et nos familles, afin d’être certains que nous ne partions pas dans quelque chose de trop ésotérique. Nous voulions savoir si l’histoire, en tant que telle, saurait les captiver même au moment du storyboard qui est une étape très brute, presque sans son et avec très peu de couleurs.

from Boa Island. We hope we used these sources with as much respect as possible to encourage children to discover our folklore and keep the tradition alive.

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vieille grand-mère qui est une sorcière - une allusion au jeu de miroir entre l’aspect de la grand-mère et celui de la sorcière Macha. De nombreux exemples de gravures ou de tailles de pierre ont été ajoutés dans le film. Les spectateurs avertis y verront les Dolmens, l’Ogham ( ndlr : un ancien alphabet qui remonterait au IVe siècle ) ainsi que les statues de pierre que l’on observe sur l’île de Boa. On espère avoir utilisé ces sources avec le plus de respect possible afin d’encourager les jeunes à découvrir notre folklore et faire vivre la tradition.

Mint : These characters have their own story, but in your film they serve Ben and Saoirse’s adventures. Tomm : For us what was important was using these old characters and motifs, to help tell the story of a family that needs to heal. That is why the characters in the fairy world are mirrored in the real world: the witch and the granny and then the giant and the father. Mint : Has your work process changed since the first film? Tomm : We refined our process but it is largely the same. The biggest change is that we draw the characters with tablets, directly onto the computer without scanning our drawings. Mint : Unlike The Book of Kells, which was quite a dark animation, it feels like you made Song of the Sea more gentle. Tomm : Yes, I worked really hard this time to make a film that would appeal to as broad an audience as possible. I am sure that adults and teenagers will enjoy the visuals, the music and story but I also wanted to make a film like The Jungle Book or My Neighbour Totoro, that children could enjoy and come back to as they grow up. To that end we tested the film very early, at storyboard stages, with schoolchildren, friends and our families, to be sure that we had not made anything too esoteric. We wanted to know if the story itself could captivate them even at the rough storyboard stage, almost without music and very little colour. Mint : What other films have inspired your work? Tomm : Night of the Hunter was an influence both for me and Bruno Coulais' music. Especially the boat sequence. I was interested in making a film like the ones of my childhood. They were

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Mint : Quels autres films ont inspiré votre travail ? Tomm : La Nuit du chasseur a certainement été une influence que ce soit pour moi ou pour la musique de Bruno Coulais d’ailleurs. En particulier la scène du bateau. Cela m’intéressait de faire un film qui ressemblerait à ceux de mon enfance. Ces derniers étaient aventureux et drôles tout en gardant une pointe de tristesse. Leur profondeur se révélait en les revoyant en grandissant. Alors que je faisais évoluer l’histoire, je pensais à des films comme Le Cheval venu de la mer, Le Secret de Roan Inish, ET, Les Goonies, Le Magicien d’Oz, ou encore des dessins animés comme Mon Voisin Totoro, Le Voyage de Chihiro et Le Livre de la jungle. Le film japonais The Little Prince and the Eight headed Dragon ont été des influences tout au long de mon travail. Aussi, je pense que Dark Crystal et L’Histoire sans fin m’ont fait une forte impression et se sont subtilement nichés dans mes influences sans même que je m’en aperçoive puisque de nombreuses personnes ont cité ces deux références après avoir vu Le Chant de la mer. Mint : Vos deux films ont été réalisés avec des dessins faits à la main, vous n’avez pas le sentiment que c’est de plus en plus rare ? Tomm : Je suppose que c’est toujours très présent dans les films japonais et les séries américaines comme Adventure time, Steven universe ou Souvenirs de Gravity Falls mais en ce qui concerne les gros films d’animation américains, l’image de synthèse semble être la grande tendance, certainement grâce au pouvoir de Pixar qui fait de si bons films que le spectateur a le sentiment que c’est dû à l’aspect alors qu’il s’agit plutôt de l’histoire. Mint : Pourtant vous préférez cette méthode ? Tomm : Je n’imaginais pas le film en images de synthèse, ça n’aurait pas de sens et je ne pense pas être un réalisateur qui puisse accéder à ce monde si facilement. Nous avons maintes fois réfléchi à l’image de synthèse ou même à la 3D puisqu’il semblerait que ce soit une forme d’animation plus commercialisable ces derniers temps. Au final, je préfère garder ce brin de nostalgie, non seulement de l’Irlande, mais aussi des dessins animés que j’aimais quand j’étais enfant, empreints d’une pointe d’influence de Miyazaki.

adventurous and funny yet had a tinge of sadness. Their depth appeared with repeat viewings growing up. When I was evolving the story, I was thinking of films like Into the West, The Secret of Roan Inish, ET, The Goonies, The Wizard of Oz or even animations like My Uncle Totoro, Spirited Away and The Jungle Book. The Japanese film The Little Prince and the Eight Headed Dragon has been an ongoing influence throughout my work. Also, I think that Dark Crystal and The Neverending Story made a big impression and subtly found their way into my influences without me even realising it, because many people have mentioned them after seeing Song of the Sea. Mint : Your two films were made with hand-drawn visuals, don’t you feel that this is becoming much rarer? Tomm : I suppose it is still very present in Japanese films and American shows like Adventure Time, Steven Universe or Gravity Falls, but in big American animations CGI seems to be the main trend. Surely thanks to the power of Pixar which makes such good films that the audience thinks it is because of the look, when really is is more the story. Mint : And yet you prefer this method? Tomm : I didn’t imagine the film as a live action film, it would not have made sense and I don’t think of myself as a director who could jump into this world very easily. We thought about CGI and even 3D because it seems to be a more marketable form of animation these days. In the end, I preferred to keep a touch of nostalgia, not just for Ireland but also for the cartoons I loved as a child, marked with a bit a Miyazaki influence. Mint : Don’t all stories work in CGI or 3D ? Tomm : I believe there are many stories that better suit this style of animation rather than CGI or 3D, and I think Song of the Sea is one of them. It is a melancholy musical comedy with a lot of nostalgia and references to former times, which is why more traditional animation fits it best.


Tomm : Je crois qu’il y a énormément d’histoires qui se prêtent davantage à cette forme d’animation plutôt qu’aux images de synthèse ou à la 3D et je pense que Le Chant de la mer en fait partie. C’est une comédie musicale mélancolique avec beaucoup de nostalgie et de références aux temps anciens, c’est pourquoi l’animation plus traditionnelle lui sied mieux.

Tomm : It took time for it to come together and the financing was long and difficult to obtain. The biggest production challenge was finding the best way to represent the sea, keeping the organic hand-drawn look. The sea had to become a character in the film and we had to be able to afford it. Sometimes it is calm, sometimes it is violent. We had to manage to do that within the budget we had: we couldn’t do a Pixar and write amazing software, nor do what the Ghibli studios did for Ponyo.

Mint : Quelles ont été vos plus grandes difficultés lors de la réalisation ? Tomm : On a mis du temps à donner vie à l’histoire et le financement a été long et fastidieux à mettre en place. Le plus gros challenge lors de la production a été de trouver la meilleure façon de représenter la mer, tout en gardant ce côté organique du dessin à la main. Il fallait que la mer devienne un personnage du film et que l’on puisse se le permettre financièrement. Parfois c’est calme, d’autres fois c’est violent. Nous avons du nous débrouiller pour réaliser cela avec le budget que nous avions : on ne pouvait ni faire du Pixar et créer un super software ni faire ce que les studios Ghibli ont réalisé pour Ponyo sur la falaise.

e xp l o r e

Mint : What were your biggest challenges during the production  ?

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Mint : Toutes les histoires ne se prêtent pas aux images de synthèse ou à la 3D ?

Mint : What is your memory of this latest film ? Tomm : For me, the film is not finished until it has been seen. As long as it is still shown or seen somewhere, the film stays alive. I like how the youngsters can discover animation with handdrawn visuals on the big screen and in this way find out about our stories, our folklore. I like the questions they ask afterwards. That is perhaps my best memory: having the chance to talk with the children and their families after the film is screened.

Mint : Quel souvenir gardez-vous de ce dernier film ? Tomm : Pour moi, le film ne prend fin qu’une fois qu'il a

été vu. Tant qu'il est encore diffusé ou découvert quelque part, le film reste vivant. J’aime que les jeunes spectateurs puissent découvrir l’animation avec des dessins réalisés à la main sur grand écran et ainsi découvrir nos histoires, notre folklore. J’aime les questions qu’ils nous posent après coup. C’est peut-être ça mon meilleur souvenir : avoir la chance de discuter avec les enfants et leur famille après la projection du film. Mint : Quelles sont vos envies dans le futur ? Tomm  : Il y aurait deux choses. D’une part, j’aimerais développer mon travail avec le dessin à la main afin de voir jusqu’où cette forme de langage pourrait nous mener. Jusqu’à quel point les visages peuvent devenir expressifs avec le dessin, un peu comme dans Le Conte de la Princesse Kaguya. D’autre part, je m’intéresse aux nombreuses possibilités de l'image de synthèse, notamment en voyant des choses comme la dernière bande-annonce de Snoopy et les Peanuts. Cela me fait réfléchir à l’étendue des possibilités qu’on aurait, tout en s’éloignant de ce que fait Pixar avec ses personnages très réalistes.

Mint : What do you want for the future ? Tomm : There would be two things. Firstly, I would like to develop my drawing work to see how far this form of language can take us. How far drawing can make faces become expressive, a bit like in The Tale of Princess Kaguya. Secondly, I’m interested in the many possibilities of CGI, especially seeing things like the trailer for The Peanut’s Movie. That makes me think about the range of possibilities we would have, while moving away from what Pixar is doing with very realistic characters.

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e xp l o r e DÉCOUVERTE

Winter is coming t e x t e / word s : D. P . Photos: N.c.

La série Game of Thrones combine à elle seule complots, sexe, mysticisme et meurtres à répétition sur fond de décor médiéval. La bataille pour le contrôle du Trône de Fer qui permettrait de régner sur les Sept Couronnes de Westeros passionne et réunit des millions de fans à travers le monde. Dès sa première saison, la production avait choisi l’Irlande du Nord pour y filmer de nombreuses scènes. Pour marcher dans les pas de la famille Stark, observer les plaines chevauchées par des hordes de Dothraki ou découvrir d’autres lieux de Winterfell à la Route Royale et des Iles de Fer aux Stormlands, suivez la côte d’Antrim jusqu’à la Chaussée des Géants. The series Game of Thrones brings together plots, sex, mysticism and murder after murder on a Medieval background. The battle to control the Iron Throne and rule over the Seven Kingdoms of Westeros empassions and unites millions of fans throughout the world. From the first season, the makers chose Northern Ireland to film numerous scenes. To walk in the footsteps of the Stark family, see the plains that the hordes of Dothraki ride across or find other places from Winterfell to the Kingsroad and the Iron Islands to Stormlands, make your way along the Antrim coast to the Giant’s Causeway.

pour t rouver d'au t res l ieux de tournage / To find ou t abou t ot her filming lo cat ions : www.visi tcausewayc oa stand gl ens.c om

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Les arbres de Dark Hedges S 02E01

Au sud de Ballycastle se trouve Gracehill House, une maison du XVIIIe siècle qui se dévoile au bout d’une haie de hêtres plantés il y a plus de 200 ans. On dit que ce chemin serait hanté par une Dame Grise, c’est dire à quel point ce lieu était tout indiqué pour la série. C’est sur cette allée que l’on voit s’enfuir la jeune Arya Stark de Port Réal, déguisée en garçon. La roulotte s’enfonce dans cette forêt menaçante sur l'allée représentant la Route Royale.

Gracehill House is found to the south of Ballycastle, an eighteenth century house that comes into sight at the end of a lane lined with a beech tree hedge planted over 200 years ago. It is said that this path is haunted by a Grey Lady, which shows just how much the location was perfect for the series. It is on this path that we see the young Arya Stark flee from King’s Landing, disguised as a boy. The caravan heads deeper into the threatening forest along the alley, representing the Kingsroad.


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Les plages de Pendragon S 02E01

Le Temple de Mussenden offre une vue spectaculaire sur la plage de Downhill. Construit en 1785 par l’excentrique évêque de Derry, ce bâtiment était autrefois utilisé comme une bibliothèque d’été. La plage est peut-être un des lieux les plus romantiques de la région avec ses kilomètres de sable fin. Pourtant, c’est sous les flammes qu’on la découvre dans la série. Ces plages ont été utilisées pour représenter Peyredragon, lorsque Mélissandre d’Asshaï, dite la Dame Rouge, brûla les sept statues des sept dieux de Westeros.

Mussenden Temple offers a spectacular view of Downhill beach. Built in 1785 by the eccentric bishop of Derry, the building was once used as a summer library. The beach is perhaps one of the most romantic places in the region, with long stretches of fine sand. But in the series we see it in flames. These beaches were used to show Dragonstone, when Melissandre, known as the Red Lady, burns the seven statues of the seven gods of Westeros.

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La forêt des marcheurs blancs S 02E01

Les sept premières minutes du pilote de Game of Thrones s’ouvrent sur une scène tournée dans les bois de Tollymore en Irlande du Nord. Trois hommes quittent le mur, ils ont pour ordre de traquer les sauvageons. C’est dans cette scène que nous découvrons les Marcheurs Blancs, qui ne laisseront qu’un seul survivant. La forêt est complètement enneigée : de la fausse neige a été utilisée par la production puisqu’il ne neige pratiquement jamais en Irlande.

The first seven minutes of the Game of Thrones pilot shows a scene shot in the Tollymore woods in Northern Ireland. Three men leave the wall, under order to follow the Wildlings. In this scene we meet the White Walkers, who leave only one survivor. The forest is completely covered in snow: fake snow used by the production team because it hardly ever snows in Ireland.



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Emerald and stone t e x t e / word s : D. P .

P h o t o s : P e t e r r o wa n

On remarque depuis quelques années un regain d’intérêt pour les métiers manuels qui semble toucher bon nombre de personnes en reconversion. Elles y trouvent une façon d’exprimer leur créativité, de reprendre le contrôle de leur vie à travers un métier fait d’humain et de choses tangibles, à mille lieues de nos vies connectées. Eric Byrne est tailleur de pierre comme l’était son père qui lui apprit son métier à l’âge de 16 ans. Son métier nous transporte vers un autre âge, une autre époque. Malgré les avancées techniques, on peut dire qu’Eric travaille toujours « à l’ancienne », armé d’un burin et de beaucoup de patience. Installé près de Dublin, Hennessy & Byrne travaille la roche irlandaise qui constitue la roche-mère, une couche minérale superficielle de la croûte terrestre. De fait, les objets qu’il fabrique s’en retrouvent chargés d’histoire. For some years we have seen a rise in interest for manual trades, that seems to affect a good number of career changers. In these professions, people find a way to express their creativity and take back control of their lives, with work based on people and tangible things: a thousand miles away from our digital lives. Eric Byrne is a stone mason, as was his father, who taught him the profession at 16 years old. His trade takes us back to another age; another era. Despite technical advances, we can say that Eric still works ‘the old way’, armed with a chisel and a lot of patience. Near Dublin, Hennessy & Byrne works the Irish stone that makes up the bedrock; the mineral surface layer of the Earth’s crust. Which means the objects he makes are steeped in history.

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Min t mag a z ine : Avez-vous toujours su que vous feriez un métier manuel ?

Min t maga zine : Did you always know you would work with your hands?

eric  : Mon père était tailleur de pierre, donc j’ai été exposé à cette idée de travailler avec mes mains dès mon plus jeune âge. J’ai observé mon père tailler et former la pierre avec de simples outils manuels et transformer un morceau de roche en quelque chose de vraiment beau. Ce processus de création m’a toujours attiré, même quand j’étais enfant. C’est l’aspect de mon travail que j'aime le plus aujourd’hui.

eric  : My father was a stone mason, so I was exposed to the idea of working with my hands from my earliest years. I watched my father cut and shape stone with simple, manual tools and turn a piece of stone into something really beautiful. I was always drawn to this process of creation, even as a child. This is the aspect of my work that I like most today. Min t : How did you start out in your trade?

Min t : Comment avez-vous débuté votre métier ? eric  : J'ai appris mon métier aux côtés de mon père, tout

d’abord dans la restauration de monuments. Quand j’avais la vingtaine, je travaillais essentiellement sur du granit ou des cuisines et des salles de bain en marbre. Avec la crise financière de 2008, les métiers de la construction ont été très sérieusement touchés. J’ai dû trouver nouvelle direction pour ma carrière et adapter mon savoir-faire. C’est comme ça qu’en 2010, avec le soutien de ma femme Jeanine, nous avons créé Hennessy & Byrne. Min t : Quel était le concept derrière cette nouvelle entreprise ? eric  : C’était de créer une ligne d’objets autour de l'art de la table à partir de marbre et de granit irlandais, en utilisant surtout du marbre vert d’Irlande, aussi connu comme le marbre du Connemara. Nous utilisons aussi le marbre noir de Kilkenny ou encore le silver granit de la région de Dublin et du Wicklow. Notre collection s’est rapidement développée avec de nouveaux objets comme des plateaux de présentation pour le fromage, la charcuterie, des ustensiles de service et d’autres encore. Les réactions ont été phénoménales et au bout de quelques mois, nous avons commencé à exporter nos objets aux États-Unis et au Canada. Min t : Pensez-vous que cela aurait pu être un autre

matériau ? eric  : Tous les objets que je créé pourraient être faits en bois ou en métal, mais je crois que l’attrait de la pierre irlandaise est vraiment unique et qu’un matériau comme le marbre est inégalable en termes de qualité, de beauté et de toucher. J’ai toujours eu une passion pour le marbre irlandais ainsi que le granit qui sont parmi les plus belles matières naturelles au monde. Pour moi, le fait de travailler avec ces matériaux chaque jour est une vraie chance. Bien que l’Irlande soit un tout petit pays, elle offre une richesse géologique immense.

eric  : I learnt my trade by my father’s side, restoring monuments at first. When I turned twenty, I was working mainly with granite or marble kitchens and bathrooms. With the financial crisis in 2008, the building trades were very badly affected. I had to find a new direction for my career and adapt my skills. That is how in 2010, with the support of my wife Jeanine, we started Hennessy & Byrne. Min t : What was the concept behind this new business? eric  : It was to create a line of objects for the table made out of marble and Irish granite, especially using Irish green marble ( also known as Connemara marble ). We also use black Kilkenny marble, and even silver granite from the region of Dublin and Wicklow. Our collection quickly developed, with new objects like cheese and ham presentation boards, serving utensils, and more. The reaction was phenomenal and within a few months we had started exporting our objects to the United States and Canada. Min t : Do you think it could have been another material? eric  : All the objects I create could be made out of wood or metal, but I believe that Irish stone is truly unique. A material like marble cannot be equalled in terms of quality, beauty and feel. I have always had a passion for Irish marble as well as Irish granite; they are among the most beautiful materials in the world. I personally feel very lucky to work with these materials every day. Even though Ireland is a very small country, it is extremely rich in terms of geology. There is rock in different shades of grey, red, green and black. The stone I use was formed millions of years ago, so my work is literally a product of Ireland’s bedrock.


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Min t : Vous faites de nombreux objets en marbre du Connemara, qu’a-t-il de si particulier ? eric  : Ce marbre iconique est l’un des plus luxueux dans le monde, il est internationalement reconnu grâce à sa couleur verte unique avec ses veines faites de sépia, de gris et de touches scintillantes de mica entremêlées. Il est extrait dans les anciennes carrières nichées dans les montagnes des Twelve Bens, les géologues estiment que sa formation daterait d’il y a 750 millions d’années. Ce marbre exceptionnellement rare reflète selon moi les couleurs changeantes de l’île d’Emeraude, ses paysages, ses montagnes, sa côte… C’est pourquoi il n’y a pas deux pièces de marbre du Connemara pouvant se ressembler. Min t : Quelles sont les différentes étapes pour créer un objet ? eric  : Chaque pièce demande un soin et un processus différent mais je dois toujours commencer par choisir un morceau de roche qui puisse convenir selon sa structure et sa couleur. Je découpe et forme la pierre grâce à des foreuses à pointe de diamant puis je polis le marbre afin d’obtenir un bel éclat. Min t : Avez-vous changé votre méthode de travail depuis vos débuts ? eric  : Eh bien je pense qu’on pourrait dire que je me suis complètement réinventé, j’ai adapté mon savoir-faire très traditionnel pour me frayer une place et gagner ma vie dans un contexte moderne. Pendant ce temps-là, ma passion pour le marbre et le granit restait au centre de mon artisanat tandis que mes ambitions évoluaient. Mint : La taille de pierre peut-elle avoir les mêmes effets bénéfiques que la sculpture ? eric  : Le travail de la pierre c’est beaucoup d’amour, cela demande de la patience, un objectif clair et de la ténacité. La pierre est un très beau matériau à travailler mais il ne vous fera pas de cadeau. Tailler et former une pierre est un processus lent et difficile, en une fraction de seconde, un burin mal placé ou une faille cachée dans la matière peut ruiner des jours entiers de travail. Ca peut vous briser le coeur de perdre ainsi du temps après tous ces efforts mais quand tout se passe comme prévu et que ma pièce est terminée, j’ai un sentiment d’accomplissement immense.

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Mint : You make many objects out of Connemara marble, what is so special about it? eric  : This iconic marble is one of the most luxurious in the world. It is internationally recognised thanks to its unique green colour, with veins in sepia and grey intertwined with sparkling flecks of mica. It is extracted from the old quarries nestled in the Twelve Bens mountains, geologists estimate that it was formed 750 million years ago. For me, this exceptionally rare marble reflects the Emerald Island’s changing colours: the landscapes, mountains, coastline. This is why no two pieces of Connemara marble will ever look the same.

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On trouve des roches avec différentes nuances de gris, de rouge, de vert et de noir. La roche que j’utilise s’est formée il y a des millions d’années, donc mon travail provient littéralement de la roche-mère d’Irlande.

Mint : What are the different steps to create an object? eric  : Each piece calls for different care and a different method, but I always have to start by choosing a suitable piece of rock in terms of the form and colour. I cut and shape the stone using a drilling machine with a diamond tip, then I polish the marble to get a nice shine. Mint : Have you changed your work method since starting out? eric  : Well, I think we could say that I completely reinvented myself. I adapted my very traditional savoir-faire to carve out a place for myself and earn a living in a modern context. During that time, my passion for marble and granite remained central to my craft, while my ambitions evolved. Mint : Does stone masonry have the same beneficial effects as sculpture? eric  : Working with stone means a lot of love. It takes patience, a clear vision and tenacity. Stone is a very beautiful material to work with, but it is not easy. Cutting and shaping stone is a slow and difficult process. In a fraction of a second a badlyplaced chisel or a hidden fault in the material can ruin whole days of work. It can break your heart to lose so much time after all that effort, but when everything goes to plan and my piece is finished, I get a huge feeling of achievement.

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Terra incognita photos: noĂŠmie cĂŠdille


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A week i n I re l a n d il l u s t r at i o n : m a r i o n b a r r a ud


1 5082| 1| 0 59 3 hu meh uu r m e eu xp r l oe r ae t


places

Jade Dragon

Level 2, The Boulevard City of Dreams Estrada do Istmo, Cotai, Macau Ob jec t C o mpa ny

37 Clincart Road Glasgow, G42 9BN, écosse l a s cène

bib o

33 Avenue George V 75008 Paris

Level 2, The Boulevard City of Dreams Estrada do Istmo, Cotai, Macau

p o ur p ré pa re r v o t re v oyag e :

Office de Tourisme de Hong Kong Tél : +33(0)1 42 65 66 64 www.discoverhongkong/fr

Hennessy & Byrne

spa wel l s

The Forge Yard, Russborough House Blessington Comté de Wicklow, Irlande

Kincora Road, Lisdoonvarna, Irlande Inis Me áin re s taur an t and s ui t e s

Inis Meáin, Aran Islands, Comté de Galway, Irlande


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