Les Rencontres à l'échelle 2015-16 > extraits de presse

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la provence 27/10/15

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8e art magazine automne 2015

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La 10è édition des Rencontres à l’Echelle offre de jolis moments chorégraphiés, bâtis sur un Islam culturel et quotidien

Les filles du Prophète • 4 novembre 2015 et 5 novembre 2015 • La 10è édition des Rencontres à l’Echelle offre de jolis moments chorégraphiés, bâtis sur un Islam culturel et quotidien - Zibeline Pour sa semaine d’ouverture à Montévidéo, la 10è édition des Rencontres à l’Echelle a déjà offert de bien jolis (cet adjectif mérite une réhabilitation urgente) moments bâtis simplement sur les matériaux familiers d’un Islam quotidien et culturel. Deux performances dansées, des interprètes et des chorégraphies parfaitement dissemblables mais un questionnement qui se rejoint sur la prégnance des rituels dans lesquels baigne le monde musulman. Dans Fatmeh, pièce chorégraphiée par le tout jeune libanais Ali Chahrour, deux femmes : Umama Hamida et Rania Rafei ne sont pas des danseuses professionnelles et pourtant… – remontent le cours de l’histoire de la lamentation chez les arabes et donc tout commence par… un épilogue : flagellations, postures douloureuses et grands drapés noirs d’autant plus surprenants que l’on a entraperçu quelques instants avant dans une pénombre bien dosée les soutien-gorge et les culottes de ces dames ; tout va donc se jouer entre ces deux corps contrastés ( la grande et la petite ; la sensuelle et la virile) dans un va et vient subtil du profane au sacré, du rituel au geste dansé dans une appropriation qui ne mime pas, ne vide pas mais déplace encore ailleurs. Derviches tourneurs au féminin, elles déploient somptueusement leur chevelure dans une parfaite complicité, jouent des résonances de leur poitrine martelée aussi bien que des voiles qu’elles mordent ou utilisent comme tapis de sol au gré des séquences dont les titres (l’absence / L’impénétrable /Le bien aimé ) projetés sur un grand tambourin éclairé de la pleine lune au croissant évoquent évidemment les chansons de la divine Oum Kalthoum omniprésentes dans la bandeson tout autant que les noms d’Allah. Possession, dépossession….le spectacle déconstruit respectueusement les manifestations de la tristesse et du tragique même en ne les dissociant jamais d’un certain plaisir qui se pose tranquillement dans le beau prologue… de fin : les danseuses de dos- et un « truc en plume » habille le haut de l’une d’elles- balancent en cadence leurs fesses rondes, enlacées de leurs bras blancs qui captent la lumière; cette

image salue alors un monde dans lequel on aime mieux faire tourner les têtes que les couper. Avec Malika Djardi c’est une expérience plus individuelle, intime et « fraîche » qui anime un solo de 40 minutes ; jeune et toute menue, la danseuse aux grands yeux noirs mobiles, en jeans et baskets installe rapidement sa présence physique en interaction avec la voix off de sa mère qui raconte paisiblement sa prière, sa conversion à l’Islam, l’amour pour son père puis sa déception, sa pratique quotidienne et son enracinement lumineux dans cette religion ; avec légèreté elle questionne aussi sa fille sur ce qui la met, elle, en mouvement. Réactions vives, gestes incisifs, traversées de plateau ultra-rapides comme des ripostes à décocher… on a un peu de mal à imaginer lesquelles et c’est tant mieux car on échappe ici à l’illustratif malgré l’intention de «faire une danse comme un documentaire». Méthodique, ce travail est aussi un contrepoint respectueux -la mère a fait «un peu de rythmique», la fille fait un peu de gymnastique tout de même- mais libérateur et on aime bien le clin d’œil cul nu à l’orientalisme façon Ingres. Remuantes les filles du Prophète, pleines de vie à bousculer et à créer comme semble aussi nous le clamer le titre que la chorégraphe libanaise Nancy Naour donne à son spectacle These shoes are made for walking qui sera donné vendredi 13 novembre à la Criée. Plus grave sans doute et pour répondre à une commande au cœur de l’actualité de Marie José Malis, directrice du théâtre d’Aubervilliers, Olivier Coulon-Jablonka fera entendre la voix des sans-papiers du 81 avenue Victor Hugo dont huit au moins seront actifs sur le Grand Plateau de la Friche samedi 14 et dimanche 15 novembre (le spectacle sera précédé dimanche d’une rencontre aux Grandes Tables à 12h30 : Artistes et opérateurs culturels face à la question de l’hospitalité avec Olivier Py, JeanFrançois Chougnet, Ferdinand Richard…). MARIE JO DHO Novembre 2015


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Culture. Dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, Pier Paolo Pasolini était assassiné dans des circonstances troubles. Sa disparition a laissé un vide dans la vie politique et intellectuelle italienne.

Celui qui faisait rimer critique avec poétique n

Au petit matin du 2 novembre 1975, le corps d’un homme écrasé par une voiture est découvert près des plages d’Ostie, dans la périphérie de Rome. Pendant ce temps, un jeune homme est arrêté au volant d’une voiture volée qui s’avère appartenir à l’écrivain et cinéaste italien Pier Paolo Pasolini. Le lien est rapidement fait et le corps identifié : Pasolini a été sauvagement assassiné à l’âge de 53 ans. Quarante ans après, les conditions de son assassinat sont encore troubles et diverses théories s’opposent. Une fin violente, comme un écho à son ultime film ultra-violent Salò qui, sorti après sa mort, avait scandalisé. La thèse de la rencontre ayant mal tourné avec un jeune prostitué est paradoxalement la seule retenue après un jugement alors que plus personne ou presque n’y croit (lire ci-contre). Il faut dire qu’à l’époque, l’homosexualité assumée de Pasolini a permis aux enquêteurs d’orienter leurs recherches sur la piste des moeurs, surtout avec une personne s’accusant du crime. Mais d’autres, en revanche, ont plutôt penché vers la piste politique. Pasolini dérangeait, notamment le pouvoir de la Démocratie-chrétienne à travers ses derniers textes – son roman Pétrole et ses articles dans le Corriere della Sera réunis dans Ecrits corsaires – et il était devenu une cible. « On savait qu’il risquait beaucoup, en s’exprimant avec autant de liberté contre la corruption des politiques au pouvoir depuis la guerre, contre la pègre et la mafia en liaison avec les puissants, contre l’inertie des observateurs » rapporte son biographe René de Ceccaty. « On savait que sa vie privée le mettait en danger, à cause de ses errances nocturnes et de ses rencontres de voyous et de prostitués. Aussi la réaction fut-elle extraordinairement émotionnelle. "Nous avons perdu un poète et de poètes il y en a deux ou trois par siècles", dira son ami intime Alberto Moravia. » La vie et l’oeuvre de ce « marxiste athée » dans cette Italie baignée dans le christianisme sont rythmées par les scandales. La quasi-totalité de ses livres ou films sont pas-

sés devant les tribunaux, attaqués par le moralisme ambiant. Jamais la censure n’aura le dernier mot. Pasolini ne sera jamais condamné.

Un critique de la société de consommation

A priori, il est difficile de trouver un fil conducteur entre ses premiers succès romains en librairie ou au cinéma (Ragazzi di vita, Una vita violenta, Accattone, Mamma Roma) et ses oeuvres de la fin des années 65-75 (Uccellacci, uccellini, La Trilogie de la vie, Salò). Mais Pasolini, lui, l’avait certainement à l’esprit. A chaque fois, ses oeuvres rompent avec l’ordre établi qu’il soit politique, intellectuel ou moral. Homme de gauche, dont les liens avec le puissant Parti communiste étaient à la fois teintés d’affection et de ressentiment pour des divergences passées, Pasolini a occupé les plus grands débats de société de l’Italie d’après-guerre (sexualité, divorce, Mai-68...). Quant à ses dernières critiques de la société de consommation, la comparant à un « nouveau fascisme », à un « génocide culturel », elles s’apparentent à des prophéties si on constate la dérive de l’Italie depuis 40 ans, marquée par les années de plomb, l’arrivée du Berlusconisme et l’explosion de la Première République après l’opération Mains propre de 1992. Aujourd’hui, presque honteuse, l’Italie se remet à la page et tente de placer sur le devant de la scène celui qu’elle a eu tant de mal à écouter. Au fil des ans, « Pasolini a fini par devenir un monument national » assure Marco Tullio Giordana, qui a écrit un livre et réalisé un film sur la mort de l’écrivain (Pasolini, mort d’un poète). « Tout lui a été pardonné au nom du succès : l’homosexualité, les garçons, l’Alfa GT, le communisme, l’argent.. Mais de là à dire qu’il est enfin compris, je n’irais pas jusque-là. » Et Pasolini disait : « La mort ce n’est pas ne plus pouvoir communiquer, mais c’est ne plus pouvoir être compris. » La phase de réhabilitation est encore à mener. sébAstiEN MADAu

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Hommages

CMJN

A Paris

A Marseille

Le Théâtre du Rond-point organise ce soir à partir de 20h une soirée spéciale « Pasolini, nous sommes tous en danger » orchestrée par René de Ceccaty, Jean-Michel Ribes et Ernest Pignon-Ernest. L’hommage se composera de lectures de poèmes, de textes critiques, d’extraits de romans témoignant des combats et engagements de l’intellectuel italien.

Le Mucem accueille ce dimanche à 16h une lecture publique du scénario de Accattone, le premier film de Pasolini, par Stanislas Nordey et Thomas Gonzalez. A noter que les éditions Macula viennent de publier une version inédite et annotée du scénario de Accattone accompagné d’essais sur ce film culte. Réservations : 04 91 37 97 35 ou info@montevideomarseille.com

Pier Paolo Pasolini sur le plateau du film Théorème en 1968.

Photo Angelo novi / CinémAthèque De Bologne

Affaire. Si, officiellement, un jeune de 17 ans a été condamné, l'enquête est régulièrement remise en question.

Quarante ans de mystères n Depuis le 2 novembre 1975, un véritable mystère plane sur les conditions de l’assassinat de Pasolini. Dans les faits, un seul homme a été jugé coupable : Pino Pelosi, un jeune marginal romain, 17 ans à l’époque, condamné à une peine de 9 ans de prison. Longtemps, sa version est demeurée inchangée : il a tué Pasolini dans sa voiture en légitime défense suite à une agression sexuelle de la part de l’écrivain et lui a roulé dessus en voiture en fuyant. Toujours défendue par la famille et les proches de Pasolini, la thèse selon laquelle ils étaient plusieurs à s’être acharnés sur lui n’a pas été retenue. Jusqu’à ce jour de 2005 où Pino Pelosi est apparu à la télévision italienne pour affirmer qu’il n’était pas seul sur les lieux, qu’il était dans l’Alfa Romeo de l’écrivain pour un rapport sexuel tarifé d’où il a été violemment sorti par une bande qui a lynché Pasolini sous ses yeux avant de prendre la fuite. Pelosi est même allé jusqu’à donner les noms de deux membres de cette bande, proche de la mafia romaine, aujourd’hui décédés et a avoué avoir menti par peur des représailles.

un monument a été érigé en hommage à Pier Paolo Pasolini aux abords du lieu du crime, à Ostie, en banlieue romaine. Photo D.r. Restait alors à connaître les noms et surtout le mobile qui écartait de fait la piste de la mauvaise rencontre en privilégiant celle du guet-apens. L’enquête a été relancée en 2009 grâce à l’abnégation d’un avocat et d’une criminologue qui ont permis de certifier que des traces ADN n’appartenant ni à Pelosi ni à Pasolini avaient été retrouvées dans le véhicule. Mais l’affaire a été classée

au printemps 2015 après l’impossibilité de mettre un nom sur ces traces ADN. A l’heure actuelle donc, Pelosi reste le seul condamné dans l’affaire. Signe que le trouble demeure, des députés italiens viennent de lancer une pétition demandant la création d’une commission d’enquête pour se donner les moyens d’enfin connaître la vérité. s.M.


l’humanité 2 novembre 2015

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Emile Breton : «Accatone, ou la naissance d’un cinéaste» JEUDI, 29 OCTOBRE, 2015 L’HUMANITÉ

Émile Breton est critique de cinéma Photo : Francine Bajande la plus facile de gagner quatre sous sans forcer. Ils ont toujours faim, à la recherche d’une combine qui leur permettrait de manger sans travailler. Horreur, le travail. Mais ils ont la beauté de l’ange, celui qui ouvre le film, Accatone lui-même sautant dans le Tibre du haut du pont des Anges en un plongeon ailes ouvertes. Pour un pari stupide qui pourrait lui coûter la vie.

L’audace que ce fut d’inscrire la tragédie de toute vie qui vaille d’être vécue de cette gangue Deux volumes (1) sont consacrés au premier film de Pasolini, «Accatone» (1961), sur un garçon de la banlieue romaine, affamé de vie mais peu regardant sur les moyens de nourrir sa faim, vivant au jour le jour sa mort à venir. Pour enrichissantes que soient les études publiées dans le second volume, c’est pourtant dès le premier, dans la préface écrite à la sortie du livre en Italie (1961, la même année que le film) par l’écrivain Carlo Levi, qu’on trouve la plus juste approche. Levi dit de cette première œuvre qu’« on peut (la) considérer et analyser avec les mêmes critères qu’un livre ou un tableau parce qu’elle est, et c’est ce qui compte le plus, à l’évidence l’œuvre d’un poète ». Et, quelques pages plus loin, dans un texte de Pasolini intitulé « La veille, 5 octobre », parlant du moment où il apprit qu’il allait pouvoir tourner son film (espoir suivi de pas mal de douches froides, qu’il raconte aussi), il a ce mot insolite, pour parler de l’état de fièvre dans lequel il se trouva : « C’était la vieille joy qui se réveillait. » Joy, ce n’est ni de l’italien ni du français, ni la gioia, ni la joie. C’est de l’occitan, la joy des troubadours, une joie agissante, enthousiasme créateur. On ne s’étonnera donc pas que le poète qu’était alors Pasolini l’éprouve au moment de cette étape décisive pour lui qu’allait être l’appropriation d’un mode nouveau d’expression. Et sur un mode tout à lui. Il ne dirait là que ce qu’il avait dit dès ses premiers poèmes, l’amour de la vie. Il n’allait pas au plus facile : dire de ces ragazzi de banlieue – pas des adolescents, des hommes faits déjà – qu’ils étaient la grâce même. Si Carlo Levi en effet a raison de dire qu’Accatone est « l’œuvre d’un poète », ce n’est pas au sens où l’auteur aurait « embelli » son sujet. Non. Ils sont fainéants, mal embouchés et le protagoniste le tout premier, maquereau de son état car c’est la façon

Ces anges ne sont jamais idéalisés et, si cela choqua à la sortie du film, habitué qu’on était par le néoréalisme – et tout le cinéma – à s’identifier au héros, on mesure mieux aujourd’hui, à la lecture du scénario publié (écrit de la main même de Pasolini pour le livre) et à la revision du film à quoi cette lecture conduit, l’audace que ce fut d’inscrire la tragédie de toute vie qui vaille d’être vécue de cette gangue. Et que puisse être dite la grandeur humaine dans une scène aux marges de la bouffonnerie, ce moment où Accatone qui vient de « vendre » celle qu’il aime à un possible client, fuit la scène et, faute d’arriver à se suicider en se jetant dans le Tibre, se macule de sable. Annonçant le gros plan, on lit dans le scénario : « Il se redresse : il n’est plus qu’un masque noir, avec ce sable noir collé sur son visage mouillé, sur les paupières, le nez, les joues, le front, le menton. Il n’a plus rien d’humain. » Ainsi se dit tout à la fois la déchéance d’un homme et sa grandeur : en un gros plan. Sans emphase. Démarche consciente notée par Pasolini, dans le texte cité plus haut : « Je choisissais le moyen le plus rapide et le plus simple pour représenter ce que j’avais écrit dans le scénario. De petits blocs visuels bien en ordre, presque grossièrement. » Accessoirement, on trouvera dans ce double livre de précieuses indications sur les liens qui unissaient alors les cinéastes et écrivains romains. Liens de travail, d’amitié, expliquant en partie sans doute la fécondité de cette période. Et puis, cette lecture devrait conduire à voir ou revoir (en DVD) le film de Jean-André Fieschi Pasolini l’enragé (1966). (1) Scénario du film et commentaires, éditions Macula.


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causette novembre 2015

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Les Rencontres à l’échelle

champs d’espoir

Rubrique Sur les planches, le jeudi 10 Déc 2015 dans Ventilo n° 365 C’est au son des chants d’Oum Kalsoum l’Egyptienne dans Fatmeh d’Ali Chahrour, et de Gougoush l’Iranienne chez Gurshad Shaheman et la trilogie Pourama Pourama, que s’est ouvert et clôturé le premier temps fort des Rencontres à l’Echelle, à quai jusqu’en janvier. En ce début de traversée, dans les eaux saumâtres de cette fin d’année 2015, nous avons croisé foule de destinées singulières, chargées d’histoire(s) et d’espoir, racontées par des artistes aux gestes forts et engagés.

La première rencontre se fait à rebours, sous une lune orientale. Les deux danseuses de Fatmeh, aux cheveux longs et noirs, aux hanches souples et aux regards transperçants partent dans des transes frénétiques, atteignant leurs confins physiques, dans l’épuisement et l’apaisement. De l’épilogue au prologue, au rythme des darboukas et des chants lancinants, elles remontent le fil d’un récit marin, dessinant avec leurs jupes et voiles des volutes, des tornades, des tsunamis, dans lesquels on projette ici la liberté, là la contrition. Quant à Malika Djardi, coiffée de son bob platine, elle illumine par la fougue de sa première création. Dans Sa prière, Rihanna l’appelle à entrer dans une course effrénée autour d’une colonne à facettes : sa façon à elle de « se préparer à l’au-delà comme si elle devait mourir demain. » A la parole d’Aicha, sa mère musulmane, sur sa conversion, sa pratique de la religion et sa vie intime et familiale, Malika réagit en mouvements parfois amples et d’une liberté folle, parfois minimalistes, réduits à l’essentiel, esquissant avec grâce un visible concrètement divin. 81 avenue Victor Hugo s’entame sur une fable du paradis. Une histoire de porte, de gardien et de destin.


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Les Rencontres à l’échelle

champs d’espoir (2/2) On pénètre en même temps que les interprètes dans le Pôle Emploi désaffecté d’Aubervilliers, squat de ces anciens sans-papiers qui racontent leurs vies de galères. De la situation dans leurs pays d’origine qui les a forcés à migrer (« Si l’on va chez son voisin c’est que chez soi ça ne va pas »), aux périlleuses étapes semées d’embûches pour atteindre l’Europe, ils témoignent de tout ce qu’il en coûte de persévérance pour survivre. De l’autre côté du prisme, la russe Tatiana Frolova soulève le tabou du suicide dans la société. Le Songe de Sonia, performance théâtrale, filmique, visuelle et plastique, allie Dostoïevski et empreinte sibérienne au documentaire avec l’histoire de Sonia, ancienne stagiaire dépressive du KnAM et de sa tentative d’en finir. Trois acteurs en jeu dans une esthétique magnétique de l’obscurité et de la lumière. Un traitement glacialement magistral du désespoir éprouvé par une personne toutes les huit secondes dans le monde. Autre récit, autre point de vue : « Comment continuer à raconter des histoires malgré la peur ?, s’interroge David Geselson. Par souci de survie », répond-il avant de narrer l’épopée de son grand-père, Yehouda, qui démarre alors qu’il est encore étudiant dans une yeshiva en Lituanie. La guerre et l’amour en filigrane l’un de l’autre parsèment le parcours de l’homme, parti s’installer dans la vallée du Jourdain en Palestine à 19 ans, en 1934, séduit par l’utopie socialiste laïque des kibboutz, avant de déchanter. Elios Noël prête corps à ce grand-père disparu, pour une ultime confrontation face aux reproches de son petit-fils qui lui demande des comptes. Ce à quoi l’intéressé lui répond que c’est à présent à lui, à sa génération, de prendre les décisions. Enfin, Gurshad Shaheman nous convie lors de trois performances dans lesquelles il se met en jeu, lui et ses racines. Dans les premiers actes, la parole se fait par l’entremise d’un enregistrement, tandis que Gurshad partage avec nous sa présence. Dans Touch me, il est surtout question de sa petite enfance en Iran avant la révolution, dans le gynécée familial, en l’absence du père. Or, cette douceur originelle bercée par les légendes ancestrales contraste avec la dureté de l’autoritarisme religieux et paternel qui suivront. Le temps d’avant la révolution s’apparente à un paradis perdu, et cerné par les règles ; Gurshad développe une honte vis-à-vis de son corps que son père n’ose effleurer. Il fait alors appel au public qui doit le toucher pour que le récit continue. Ironie du sort, c’est plus tard que se nouera chez le docteur l’intimité avec le père malade. Changement de décor et de dispositif pour Taste me. Ambiance cabaret pour les spectateurs invités à table à déguster les spécialités culinaires du comédien. On boit et l’on mange tandis que d’une robe et de talons vêtu, il s’affaire aux fourneaux. La lumière est cette fois sur sa mère, jeune fille indépendante rêvant d’être avocate, finalement mariée à 19 ans et dont les ambitions seront brisées avec l’avènement de la charia. Pourtant, un divorce et un exil à Lille plus tard, celle-ci aura finalement réussi son émancipation. Cette partie décrit aussi les premiers émois sexuels de Gurshad, en guise d’introduction au troisième et dernier morceau de la trilogie. Trade me voit Gurshad s’adresser au public directement. Evoluant d’abord autour d’une salle cubique, il y entre ensuite pour mieux raconter ses frasques et ses passes. Les spectateurs, invités un par un à pénétrer dans l’antichambre de sa vie intime, écoutent et figurent ces épisodes amoureux et échanges financiers. Gurshad prend la peau de la diva Gougoush : pas une martyre, mais une sainte. Trois récits composant sa personne, livrés sans fausse pudeur mais avec délicatesse et un aplomb splendide. Rendez-vous en janvier pour la suite du périple sur la même ligne de foi… Barbara Chossis


let’s motiv - le mag janvier 2016

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france tv info 13 janvier 2016

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«Bab-El» : Valentine Vermeil explore les fêtes et le quotidien en Terre Sainte Par Odile Morain @Culturebox Mis à jour le 13/01/2016 à 13H11, publié le 13/01/2016 à 12H05

Israël, Palestine,Terre Sainte, terre de discorde enfin apaisée dans l’objectif de la photographe Valentine Vermeil. Au rythme des fêtes religieuses et des scènes de vie quotidienne, «Bab-El» est un voyage photographique et spirituel exposé jusqu’au 28 février 2016 à la Friche la Belle de Mai de Marseille. «Bab-El», la nouvelle exposition de Friche la Belle de Mai réussit à «accorder» en quelques photos la Palestine et Israël. Du quotidien des hommes et des femmes dans leur communauté aux fêtes religieuses, les photographies de Valentine Vermeil sont à voir comme la traversée d’un territoire riche et complexe. Reportage : C. Pesci / MA. Peleran / E. Pirosa

Avec «Bab-El», la photographe Valentine Vermeil reconstruit une tour de Babel devenue de plus en plus bancale en Terre Sainte. «J’aime envisager cette terre comme une gigantesque tour de Babel avant que Dieu ne décide de brouiller les langues et de séparer les hommes pour que leurs forces ne le défient. J’aime envisager cette terre où l’Autre serait une part de moi-même, et ses différences mes propres manques», dit-elle à propos de cette série.

Scènes de joie Décliné sous trois aspects principaux – les paysages, les scènes de la vie quotidienne et regroupements communautaires, et les portraits ou scènes plus intimes – l’approche de la photographe est essentiellement tourné vers l’Autre comme une terre de voyage. Au terme de trois longs séjours en Terre Sainte, Valentine Vermeil revient du pays du lait et du miel avec un regard différent sur les stéréotypes du pays issus de reproductions orientalistes du XIXe siècle. Elle revient avec des rencontres, des souvenirs et l’envie de montrer des scènes joyeuses, d’amour et de partage.


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Au coeur des communautés Les photos de Valentine Vermeil gardent une certaine distance vis à vis du conflit relaté par les média internationaux.»Bab-El» est au plus près des gens et des communautés sociales, ethniques ou religieuses et illumine davantage l’histoire profonde des individus qui vivent sur une terre commune. «En voyageant à travers Israël et les territoires occupés, j’ai vu des cultures s’opposer ; une culture musulmane où chaque événement est conforté par la grâce de Dieu, et une culture juive associant l’histoire tragique de son peuple avec un besoin de défense et de suprématie», raconte la photographe.

Les femmes : mères et matrices La série qui alterne paysages et portraits, scènes de rue et célébrations religieuses, s’attache particulièrement aux femmes, figures matricielles, porteuses d’espoir, de générosité et de vie. Diplômée des Arts décoratifs de Paris, Valentine Vermeil choisit la photographie comme terrain d’expression. Depuis 2004, elle développe une pratique documentaire qui rend compte du monde, dans sa diversité et sa complexité. Cette exposition a été mise en place dans le cadre des Rencontres à l’Échelle, en partenariat avec Les Bancs Publics et les Ateliers de l’Image. Valentine Vermeil souhaite écrire la suite de ce voyage dans un ouvrage à double résonance entre deux auteurs du pays. Elle est toujours à la recherche d’un écrivain palestinien. «Bab-El» photos de Valentine Vermeil à La Friche Belle de Mai 41 rue Jobin 13003 Marseille


les inrocks janvier 2016

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la provence 18 janvier 2016

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«Antigone of Shatila» revisité sur scène par 17 réfugiées syriennes Par Lamia Coulibaly - Mis à jour le 28/01/2016 à 17H13, publié le 28/01/2016 à 15H48

17 réfugiées syriennes et palestiniennes montent sur scène les 29 et 30 janvier à la Friche La Belle de Mai de Marseille pour jouer en langue arabe «Antigone of Shatila». Une version revisitée de la tragédie de Sophocle qui fait inexorablement écho au parcours de chacune d’entre elles, aujourd’hui exilées au Liban.

Répétition de «Antigone of Shatila» de Omar Abusaada / Festival «Les rencontres à l’échelle» 2016 © Didier Nadeau Reportage : C. Pesci / R. Gasc / A. Despretz

Elles ont fui la guerre, elles ont vécu le pire, et c’est par le biais du théâtre que ces 17 femmes réfugiées au Liban ont décidé de le raconter, de l’exorciser. Une «analyse» proposée par le metteur en scène syrien Omar Abusaada, qui croit au pouvoir salvateur du théâtre. A travers le mythe d’Antigone, Fadwa, Mona, Intisar, Zarifa et les autres ont fondu leurs confidences dans le texte de Sophocle. La tragédie grecque résonne dans leur parcours de vie. D’abord en tant que femmes (elles ont lutté pour leur émancipation) puis en tant que Syriennes qui ont affronté un tyran mais aussi comme réfugiées qui refusent la ghettoisation, le dénuement ou la stigmatisation induits par leur statut d’exilées. Comme Antigone qui défie Créon, ces femmes réfugiées ont donc choisi la rébellion et la désobéissance, peu importent les conséquences. «Le texte d’Antigone parle surtout des personnages, des femmes qui résistent à la dictature et au pouvoir. C’est ce que vivent ces femmes en général» explique Omar Abussada, le metteur en scène, à l’initiative du projet. Durant deux mois, dans les camps de Bourj al Barajneh, de Sabra et de Shatila au Liban, les 17 femmes réfugiées ont adhéré à cette démarche théâtrale qui leur a permis de tisser du lien social et culturel et de s’extraire de leurs conditions de vie précaires.


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Créé au théâtre Al-Madina à Beyrouth en mai 2015, «Antigone of Shatila» sera présentée pour la première fois en Europe à Marseille les 29 et 30 janvier dans le cadre du festival «Les rencontres à l’échelle». Les 1er et 2 février, la pièce sera jouée à Hambourg au Thalia Theater. «Antigone of Shatila» spectacle en arabe surtitré en français durée : env. 1h30 Production déléguée : Les Bancs Publics Avec le soutien du Ministère des Affaires Etrangères et du Développement International, de la Ford foundation, de l’Office National de la Diffusion Artistique (ONDA) et de la Friche la Belle de Mai. INFOS PRATIQUES Titre : Antigone of Shatila Nom du lieu : Friche La Belle de Mai / Festival Les rencontres à l’échelle Adresse : 41, rue Jobin - 12, rue François Simon - Marseille Dates : Vendredi 29 et Samedi 30 janvier 2016 Horaires : 19h30 et 20h30 Site : Festival Les Rencontres à l’échelle


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« Antigone me ressemble car on a vécu le même chagrin. J’aimerais avoir sa force » dit l’une des réfugiées syriennes présentes sur le plateau. Elles se nomment Fadoa Alaoyete, Zafira Aljafar, Heba Alshaly, Muntaha Al Shuladat, Reem Meselmani, Esraa Shahror, Walaa Sokare et Wessam Soukari.

Dix ans dans les villages syriens

Chacune parle en son nom mais chacune, peu ou prou, parle au nom de toutes. Celle-ci raconte qu’elle a perdu son père mais qu’elle a pu l’enterrer. Elle raconte aussi que son frère a disparu à un check point, qu’elle l’a cherché partout en prenant bien des risques mais qu’elle ne l’a pas retrouvé. Fuyant la guerre et les bombardements, elle s’est résolue a quitté sa maison et à se réfugier au Liban, emportant simplement une des pierres de la maison familiale. C’est là, dans un camp (celui de Chatila et d’autres), qu’un jour deux hommes sont venus parler d’une femme courageuse,Antigone, l’héroïne de la pièce de Sophocle, une femme qui veut enterrer le cadavre de son frère. Ces deux hommes ce sont deux amis, le metteur en scène Omar Abusaada et le dramaturge Mohammad Al Attar. Tous deux sont sortis de l’institut du théâtre de Damas, une bonne école, « la meilleure du Moyen Orient » assurent-ils, où enseignaient des professeurs formés en France ou en Russie. Avant même leur diplôme, ils ont travaillé dans différents villages de Syrie en ayant en poche les méthodes du théâtre forum du brésilien Augusto Boal. Abordant bien des sujets en fonction du contexte : le chômage, les tâches domestiques, le désœuvrement des jeunes, l’oppression des femmes, le patriarcat, l’école abandonnée trop tôt. Des heures et des heures de discussion. Un travail social et théâtral. Ils ont menés ces travaux pendant dix ans, avant que le pays ne soit en proie à la guerre. Omar a travaillé dans des prisons, des camps de réfugiés au Moyen Orient, Mohammad est allé parfaire ses études dramaturgiques à Londres. Ecrit par l’un, mis en scène par


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l’autre, ils sont signé « Could you please look into the camera » ( s’il vous plait pouvez-vous regarder la caméra) en 2012. Avec la Révolution, la guerre, ils ont continué autrement. Et se sont retrouvés à Beyrouth, réfugiés eux aussi.

Trente réfugiées de Syrie

Tête chercheuse et directrice perspicace des Rencontres à l’échelle (une manifestation annuelle produite par les Bancs Publics, structure installée à Marseille à la Friche de la Belle de mai), Julie Kretszchmar d’origine tchèque (que ferait-on sans nos binationaux ?) est allée à leur rencontre au Liban. Omar et Mohammad ils lui ont proposé le projet qu’ils étaient en train de mettre sur pied autour d’Antigone avec une trentaine de réfugiées syriennes. Complexe. Beaucoup de directeurs de théâtre auraient baissé les bras, Julie Kretszchmar et Bancs Publics ont relevé le défi. Le spectacle entrelace l’histoire d’Antigone racontée par Sophocle, l’histoire du spectacle sous forme de journal de bord dit par une narratrice et les témoignages individuels de ces femmes syriennes consignés par écrit pour contrecarrer le pathos d’une confession improvisée. Omar Abusaada signe une mise en scène qui va au plus simple -des chaises, des micros sur pied- dans des éclairages soignés et une rigueur scénique canalisant l’émotion. Le texte de chacune a été travaillé avec Mohammad Al Attar. La vie dans les camps de réfugiés du Liban est monotone, elles y sont depuis un an, deux ans, plus encore. « Dans le camp, le temps passe lentement » dit l’une d’elles au cours du spectacle. Le projet d’« aide par le théâtre » a été une aubaine. Venues de différents camps, elles se sont retrouvées une trentaine. Omar et Mohammad avaient l’intuition qu’ « Antigone » était la pièce juste pour dialogueravec leurs vies endeuillées, meurtries, ballotées par l’exil mais aussi leur courage, leur affirmation face aux hommes.

Elles sont toutes une Antigone

Elles se souviennent avoir été timides au début. « On avait peur de dire ‘je’ » dit la narratrice. Au fil des jours, elles se sont rapprochées d’Antigone, fascinées de voir à quel point elle était « têtue et forte ». Elles ont aussi compris les déchirements d’Ismène, entre l’obéissance à la décision du roi et l’amour de sa sœur. Elles ont admiré le beau Hémon qui ose défier son père Créon. Ce dernier, personne ne voulait le jouer, c’est Fadoa qui s’est dévouée, la plus ancienne, « une mère pour nous toutes », celle qui apaise les disputes, et qui, en un an, a perdu deux enfants. Antigone est aussi une femme qui s’insurge contre le pouvoir des hommes. Comme cette réfugiée syrienne, élevée dans une famille où on ne porte pas le voile, qui se retrouve mariée (à 14 ans) à un homme exigeant qu’elle le porte. Elle proteste, en appelle à son père, mais le pouvoir du mari est souverain. Le couple et leur enfant fuient la guerre. Arrivée dans un camp, la jeune femme fait une lessive, lave son voile, le vent l’emporte. Fureur du mari. « Pas de foulard, pas de sortie ». Elle vit cloitrée. Jusqu’au jour où leur enfant tombe malade. Elle doit le faire voir à un médecin, il faut bien sortir. Le mari cède. Elle sort sans voile. La première du spectacle a eu lieu en mai 2015 au Théâtre Al-Madina à Beyrouth. Puis il est venu à Marseille ce weekend, à la Friche de la belle de mai, pour deux représentations à guichets fermés. Les trois dernières ont lieu ce soir et demain à Hambourg. Pas simples pour des syriens réfugiés au Liban d’obtenir des passeports et des visas pour venir en Europe. Aicha Al Khalaf, Zakieh Al Khalaf , Fatema El Hasan, Faten Al Hasan, Majdoline Reem Shehadat, Rahal Shehadat, Mariam Jamous et Israa Al Abdou, actrices de la création n’ont pas pu faire le voyage en raison des problèmes familiaux et de blocages administratifs. Le dialogue continuera dans leur vie. « Il y a des choses que tu sais sur moi, Antigone, mais il y en a d’autres que tu ignores » disent-elles. Celles qui sont venues et celles qui ne sont pas venues, ont encore des choses à se dire, elles n’en ont pas fini avec leur Antigone. Jean-Pierre Thibaudat


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Sortir des images d’actualité, du nombre toujours grossissant des réfugiés syriens qui fuient leur pays en guerre, masse anonyme sans autre histoire que celle, partagée, collective, de l’exil, de la perte et de l’espoir de recommencer à vivre ailleurs. Et entrer dans l’intimité d’histoires particulières, racontées face au public par des femmes syriennes et palestiniennes, réfugiées dans le camp de Chatila à Beyrouth. Des récits tissés et noués ensemble à travers un motif qui, à la fois les réunit et leur donne un statut irréductiblement singulier : celui d’Antigone, la rebelle, qui résiste et s’oppose au roi Créon qui interdit l’inhumation de son frère Polynice. Le spectacle du metteur en scène syrien Omar Abusaada, créé au fes-

tival de Beyrouth en 2015 avec le dramaturge Mohammad Al Attar, prend doublement la forme d’un journal intime où s’entrecroisent leur histoire et le récit du processus de création d’Antigone of Shatila par ces femmes qui se projettent tour à tour dans la figure d’Antigone, et dans celles de sa sœur Ismène, de son amant Hémon, de son frère Polynice, du messager Tirésias ou du tyran, le roi Créon. La possibilité d’un “je” qui témoigne de la perte de ses proches et raccorde sa douleur à celle d’Antigone, moins pour lui donner un sens que pour affirmer celui de sa résistance à la tyrannie, de son désir de faire exister ses disparus dans l’agora du théâtre. Pour Omar Abusaada, ce projet s’inscrit dans un parcours qui, depuis toujours, fait frayer le théâtre

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avec des non-professionnels en situation d’enfermement ou d’exil. Avec sa compagnie Studio créée à Damas, il a animé nombre d’ateliers dans des villages syriens ainsi que dans des prisons et des camps de réfugiés, de l’Egypte au Yémen, de l’Irak à la Jordanie.

Des récits portés par l’espoir Il raconte la genèse d’Antigone of Shatila : “Notre première rencontre avec les femmes a eu lieu dans le camp de Chatila à Beyrouth. Ce camp a été établi en 1949 pour abriter les réfugiés palestiniens après la perte de la Palestine en 1948 et la proclamation de l’Etat d’Israël. Soixante-cinq ans après sa création, le camp avec ses ruelles étroites et insalubres, ses maisons entassées, est aussi devenu le refuge de milliers de Syriens ayant fui la guerre pour rejoindre les 15 000 réfugiés palestiniens entassés sur une superficie d’environ 1 km2. ”Pendant les répétitions, les femmes nous ont apporté leurs histoires : des histoires de pertes, celles de leurs enfants, de leurs frères, de leurs maisons. Mais aussi des photos charmantes des petites villes dispersées dans toute la Syrie. Elles ont apporté des larmes abondantes, beaucoup de rires aussi, et n’ont eu de cesse de nous rappeler que nos Antigone s’accrochaient à la vie et résistaient au désespoir. Contrairement à l’histoire d’Antigone dont on connaît la fin, leurs histoires se poursuivent et les derniers chapitres ne sont pas encore écrits. Elles sont toujours portées par leurs espoirs.” La transplantation de tous ces deuils dans une figure tragique qui acquiert une dimension mythique a eu d’abord un sens social. C’est la question qu’elles posent d’emblée, se rappelant du jour où elles ont appris qu’un metteur en scène cherchait des femmes pour monter

un spectacle, se demandant en quoi pouvait consister cette “aide par le théâtre”. Très vite, pourtant, l’aventure leur procure un espace et un temps essentiels, infiniment précieux, où leur histoire existe d’autant plus qu’elles ont la charge de la transmettre et que celle des autres leur fait écho. Mise en perspective et résonance. Effet miroir et reconnaissance de soi dans l’autre. Ecoute et prise de parole. Echange et responsabilité partagée.

Rallier le réel à la fiction A cette composante fondamentale, rallier le réel à la fiction, les conjuguer l’un à l’autre, s’ajoute une mise en scène aussi juste que forte. La rangée de chaises qui les attend et où elles prennent place ne reste jamais statique. En fonction

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de leurs prises de paroles, elles se déplacent et les chaises marquent dans l’espace les trajectoires de leur exil. Projetés en fond de scène, les dessins des costumes qu’elles ont imaginé pour chaque personnage, et les films tournés dans les décombres d’immeubles du camp de Chatila, sont là pour rappeler qu’ici, le processus de création contient déjà tout entier la représentation qui se déroule sous nos yeux. Au point qu’envisager la fin de l’aventure leur est douloureux et nous pose de manière tangible notre responsabilité d’Européens face à leur sort.

Organisées dans le cadre des Rencontres à l’échelle de Marseille par les Bancs Publics, la venue d’Antigone of Shatila s’est heurtée à des difficultés : “Malheureusement, la moitié des femmes qui ont participé au spectacle à Beyrouth n’ont pas pu être des nôtres aujourd’hui, indique Omar Abusaada à Marseille. Et ce, pour des raisons de force majeure, d’ordre familial ou d’ordre administratif. Nous pensons aux Syriens coincés dans les pays voisins et dont la plupart – notamment pour ces mêmes raisons – se précipitent aujourd’hui à la mer dans l’espoir de sortir de l’enfer des camps et des conditions misérables du déplacement ; après avoir tout perdu en Syrie.” Si le spectacle bouleverse tant, c’est qu’il opère ce que le réel leur refuse : faire entendre leur histoire et réaliser ce que Tchekhov résume si bien dans Platonov : “Enterrer les morts et réparer les vivants.”

Fabienne Arvers

Antigone of Shatila, mise en scène Omar Abusaada, dramaturgie Mohammad Al Attar. Les 1er et 2 février, festival de Lessingtage. Thalia in der Gausstrasse, Hambourg.

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Elles sont huit femmes face au spectateurs qui lancent en langue arabe, dans un chœur monodique et puissant, la vieille histoire d’Antigone. Celle-la même qui a accompagné son père Œdipe à Colonne, celle qui s’est entêtée à enterrer son frère Polynice et pour cela a été enterrée vivante, subissant la rage de son oncle Créon. Pour nous raconter cette histoire, elles sont assises sur des chaises de bois et de paille. Peut-être sont elles épuisées de la route qu’elles ont parcouru entre Alep, Daraa ou Damas et Beyrouth et dont elle vont nous faire le récit entrelacé dans les vers d’Antigone ? Peut-être qu’elle sont assises ainsi comme on peut l’être dans la cuisine avec ses amies, pour leur confier soudain – parce que les circonstances s’y prêtent – des récits jusqu’ici enfouis, des récits que l’on a jusqu’ici préféré oublier. Car les chaises vont bouger. Le chœur est là pour rythmer les monologues de chacune d’entre elle, indiquer le passage de l’une à l’autre. Comme dans la tradition du théâtre antique, il est mené par une coryphée qui sort du chœur régulièrement pour s’installer à son petit bureau de bois. C’est elle qui a la fonction de guider le spectateur, lui faire comprendre le contexte à travers la lecture de son journal intime qui raconte pourquoi ces huit femmes, qui habitent le camp de Shatila à Beyrouth, sont là ce soir. Ainsi, assise à son bureau, elle raconte d’abord sa surprise – au milieu du désordre du camp de Shatila – d’apprendre que des cours de théâtre se mettent en place et s’adressent à des femmes. Elle est la seule “dans la vraie vie” : elle boit quelques gorgées de thé ou d’eau à même la bouteille au fil de sa lecture, elle feuillette son journal, elle fume… – les autres ne prennent vie que lorsqu’elles racontent, comme si elles représentaient l’”Histoire” -. Elle a tout noté de ces deux mois de travail et de répétitions, avec la tristesse de l’excitation du premier jour qui sait déjà que l’aventure qui rompt son quotidien sinistre, se terminera. “Aide par le théâtre”, c’était ce qui circulait par le bouche à oreille dans le camp de Shatila et laissait chacune circonspecte. Antigone of Shatila@Didier Nadeau0066 Au camps, une trentaine de femmes décident de participer à ce projet mené par Omar Abusaada1 et participent à des ateliers d’écriture qui vont peut à peu constituer le corps d’Antigone. Car chacune se reconnait dans ce personnage entêté à défendre ses valeurs, essentielles pour se construire, et à prendre son destin en main.

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Assises sur leurs chaises, pieds nus, elles sont semblables et différentes. Chacune a sa façon de se tenir, de porter son foulard, de se vêtir. Lorsqu’elles sont sous la lumière, cette individualité déferle dans un récit qui renvoie à une traversée de quelques kilomètres qui les a arrachées à leur vie, leur maison, leurs proches – de la Syrie au Liban. La soeur qui a perdu son frère, la mère qui a perdu ses fils, la fille qui a perdu son père, celle qui ne parle pas de ses morts mais du combat de la vie chaque jour… Des récits qui nous happent et viennent éclairer les statistiques que l’on lit trop souvent sans s’en représenter la réalité. L’écriture est belle, la diction mélodieuse, plongeant le spectateur dans chacune de ces bribes d’Histoire, uniques et universelles. Une soeur court d’une faction à une autre pour chercher son frère disparu. La rumeur le dit mort, elle veut l’enterrer. Contrainte à définitivement quitter sa campagne d’Alep sans avoir pu le retrouver, elle emporte avec elle une pierre de sa maison détruite par un bombardement. Une fille retrouve l’odeur de son père mort d’épuisement dans ses bras en dépliant le pull-over qu’il portait ce jour là. Elle déplie avec lui cette journée, où à l’hôpital libanais, en tant que réfugiés, leur douleur s’est heurtée à une absence totale de considération. Il y a aussi cette épouse réveillée un matin pour la première fois de sa vie après son mari, le lit est vide. Inquiète aussitôt – car tout qui change de l’habitude peut être douloureux -, elle s’alarme d’autant plus quand il lui demande de ne pas ranger, de rien préparer mais de partir en taxi, quitter le camp, aller à Beyrouth. Et voilà qu’il entre dans un magasin, lui achète un chemisier et lui souhaite une belle Saint-Valentin ! Quel émerveillement que de ressentir ce bonheur simple de ne plus trembler. Il y a celle mariée très jeune à un mari grincheux qui lui impose de porter un voile intégral. Sa propre famille soutient cette obligation, le ciel et les oiseaux s’obscurcissent. Mais le camp de Shatila curieusement va la libérer. En voulant ramasser son linge, étendu sur la terrasse de leur pauvre appartement le lendemain même de leur long périple, elle découvre que quelqu’un lui a volé son voile. Les premiers jours, son mari lui impose la règle, “Pas de voile, pas de sorties” mais son épuisement et les vicissitudes de la vie quotidienne auront le dessus : il finira par la laisser aller visage découvert. “Aide par le théâtre”, c’était par ces mots que ces actrices se sont décider à participer à ce projet d’écriture de pièce sans savoir qu’à travers le théâtre c’est elles qui allaient aider le public à comprendre l’Histoire. Leurs bribes de récits de vie, nous permettent de partager pour un instant leur intimité, leur douleur et leurs espoirs. Loin du stéréotype des femmes au foulard, elles se découvrent opiniâtres telles Antigone, créatrices, actrices, conteuses… Et leurs histoires nous permettent de comprendre le monde.

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Mise en scène : Omar Abusaada Dramaturgie : Mohammad Al Attar Préparation des actrices : Hala Omran Lumières : Hasan Al Balkhi Première européenne à la Friche de la Belle de Mai, A Hambourg lundi 1er février et mardi 2 à 15h et à 20h, théâtre Thalia. Réservations : http://www.thalia-theater.de Si nous apprenons d’autres dates nous le signalerons sur le carnet. Traduction (les didascalies en langue française s’affichent sur les deux côtés de la scène pendant le spectacle) : Lise Alchami, Khadija Fadel avec le soutien de Simon Dubois. Actrices : Fatema Al Hasan, Faten Al Hasan, Aicha Al Khalaf, Muntaha Al Shahadat, Israa Alabdou, Fadoa Alaoyete, Zarifa Aljafar, Zakieh Alkhalaf, Heba Alsahly, Reem Meselmani, Esraa Shahror, Walaa Sokare, Wessam Soukari. Crédits photographiques : Merci à Didier Nadeau (Atelier Pan, Marseille) de m’avoir autorisée à diffuser ses images pour ce billet. Véronique Ginouvès

1 : Omar Abusaada est un metteur en scène syrien qui a créé la troupe Studio Theatre. Son premier spectacle Insomnia en 2004 a été joué à Damas et au Contact Theatre Festival de Manchester. Il enchaîne ensuite les productions en Syrie : Poster (2006), Samah (2008) – une improvisation collective réalisée avec un groupe de jeunes prisonniers – puis Al Merwad wa Al Mekhala (2009) – joué à l’opéra national de Syrie à Damas – et Look at the Streets. This is how Hope looks like (2011). Il quitte la Syrie en 2011 et continue son travail de metteur en scène comme Can You Please Look at the Camera?

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8 réfugiées syriennes ou libanaises passent de la peur de la destruction au désir d’exister, avec Antigone of Shatila

Ces femmes…là ! • 5 février 2016 •

Sur le plateau de la Friche et pour clôturer des Rencontres à l’échelle particulièrement vives cette année un événement : la première en Europe d’Antigone of Shatila qui met en scène le vécu de huit femmes aux prises avec la violence des temps… Scène vide, ce sont d’abord les chaussures un peu fatiguées posées de guingois au pied du micro qui attirent l’attention ; on sait qu’elle(s) (re)viennent de loin et vont y retourner ; réfugiées de Syrie au Liban, accueillies avec leur famille ou ce qu’il en reste dans le tristement célèbre camp de Chatila, elles ont rencontré tout à la fois le metteur en scène Omar Abusaada et la figure de résistance universelle d’Antigone. De cet engagement qui aurait pu relever « banalement » de la thérapie par le jeu dramatique en atelier (60 jours de répétitions, 200 femmes puis 35 engagées dans le projet puis 17 puis ..) la collaboration avec le dramaturge Mohammad Al Attar a fait une aventure de théâtre qui ne cède rien aux exigences d’un spectacle de qualité. Une scénographie minimale - prises de parole individuelles et interventions chorales où l’on entend le texte de Sophocle, lecture à la table du journal de bord de l’expérience - ciselée par une lumière rigoureuse ; un écran- mur du fond sobrement utilisé et surtout une tenue exceptionnelle de chacune des actrices dont

la voix assurée porte un fragment de tragédie, la sienne propre dans la crudité du vécu. Avec finesse et non sans humour (le vrai, celui qui borde parfois la mort) le récit se fait de l’impossibilité de jouer la pièce de Sophocle car qui voudrait endosser le rôle du méchant Créon ou comment jouer l’amour immense d’Hémon… et puis au fond elles sont toutes des Antigones avec leurs cadavres à enterrer, leurs décisions à défendre et leurs lois à transgresser. En buttant sur Sophocle ces femmes se redressent et c’est ce mouvement-là que donne à voir et à entendre la mise en scène ; « j’ai fait une lessive et le vent a emporté mon voile ! » raconte tranquillement l’une des plus jeunes et lorsque au final la parole tragique devient inquiétude tendre « c’est fini ; vous allez nous oublier » on mesure la distance parcourue pour passer de la peur de la destruction au désir d’exister. Quelle force, quelle liberté au-delà de l’émotion partagée !!! Les oublier ? MARIE JO DHO

Antigone of Shatila a été créé en mai 2015 au théâtre AlMadina de Beyrouth et présenté pour la première européenne au grand plateau de la Friche dans le cadre des 10e Rencontres à l’échelle. Photo © Didier Nadeau


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PAR NIZAR IDRISSI ZOUGGARI / 8 FÉVRIER 2016

ANTIGONE OF SHATILA, LE DRAME RECRÉÉ PAR DES RÉFUGIÉES SYRIENNES

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ans Antigone of Shatila, le dramaturge Syrien Omar Abusaada revisite Sophocle et donne une nouvelle dimension à son œuvre, jouée par 8 réfu-

giées Syriennes, dont les histoires personnelles se mêlent à celle d’Antigone, qu’elles incarnent toutes à leur manière. pièce poignante qui, pour sa première européenne dans le cadre des Rencontres à l’échelle, Uneà Marseille les 29 et 30 janvier, a fait salle pleine et a conquis le public. Pour resituer l’histoire originelle d’Antigone, rappelons qu’alors que ses deux frères, Polynice et Etéocle meurent en s’affrontant pour la conquête du pouvoir, Antigone brave l’interdiction émise par le roi Créon, son grand-oncle, d’enterrer et d’offrir une cérémonie funéraire à Polynice. Son affrontement avec Créon, sa fougue et son caractère en font un des personnages de théâtre les plus emblématiques de la lutte contre l’ordre établi et de la rébellion. Chez Sophocle, elle était l’amour contre la raison d’Etat, chez Anouilh la Résistance face à l’occupation.

Antigone of Shatila, porteuse d’espoir Chez Omar Abusaada, c’est l’espoir qui est porté par ces Antigone du quotidien qui s’approprient le texte ; pour raconter leurs histoires, leurs drames, mais également leurs bonheurs, leurs espérance de jours meilleur ; et qui, tout au long de leur parcours, ont eu face à eux des Créon, à leur côté des Polynice.

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A travers un journal intime nous est racontée la genèse de la pièce, le combat de ces femmes pour devenir Antigone. De leur réserve initiale à l’identification quotidienne au personnage. A sa remise en cause, aussi.

« Si Antigone n’avait pas été une princesse, aurait-elle eu le courage de faire ce qu’elle a fait ? » Si la fonction cathartique du théâtre joue à plein dans Antigone of Shatila, c’est bien parce que, plus que jamais, l’histoire de la princesse de Thèbes reste d’actualité et résonne dans l’histoire et le parcours de ces femmes qui ont tout laissé derrière elles pour se réfugier à Chatila ou ailleurs dans les camps qui bordent Beyrouth.

« J’adore ce texte. J’ai toujours voulu l’adapter, même avant 2011. Je pense que la signification de ce texte est restée vivante à travers les époques. L’histoire d’Antigone a en trame de fond une guerre civile menée par deux frères ennemis, ça ressemble à la Syrie. Je voulais également travailler et me concentrer sur un personnage féminin, oppressées et qui essayent de se battre contre cela. »

Remettre les réfugiés au centre de leur histoire Derrière leur parcours individuel se dressent, en vue d’ensemble, les ravages collectifs du carnage syrien. Du quotidien fait de bombardements, d’enlèvements, du deuil d’un frère, resté en Syrie, qu’on ne peut pas enterrer. Pour 8 Antigone sur la scène, combien d’Antigone, en Syrie ou en exil ? En pleine « crise des migrants », Omar Abusaada est conscient de l’enjeu porté par les représentations européennes de la pièce.

« Ça donne une image différente des réfugiés, la pièce présente un récit différent de leurs histoires que celle que l’on voit et que l’on entend tous les jours. Il s’agit, ni plus ni moins, de remettre les réfugiés au centre du récit, qu’ils soient, non plus une formulation médiatique mais leur propre média et d’en maîtriser la narration. » Née d’un travail collectif de partage et d’échanges entre Omar Abusaada et Mohamed El Attar (metteur en scène de la pièce) et les participantes au projet, Antigone of Shatila est d’une puissance saisissante, porté par des actrices littéralement habitées par leur texte.

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Antigone de Syrie Mohammad Al Attar - Par Tamara Saade Le dramaturge Mohammad Al Attar a d’abord fui la Syrie pour le Liban avant de s’installer à Berlin. Il collabore une nouvelle fois avec Omar Abussada, qui a mis en scène Les Troyennes d’Euripide avec des réfugiées palestiniennes et syriennes en Jordanie, pour porter à la scène Antigone avec des réfugiées syriennes. Il raconte comment s’est élaboré Antigone of Shatila, dont la création a eu lieu en janvier dernier à Marseille dans le cadre des Rencontres à l’échelle, depuis les camps de Sabra et Chatila au Liban jusqu’en France en passant par le théâtre Madina de Beyrouth.

Antigone of Shatila d’Omar Abussada. Photo : Didier Nadeau.

Comme dans Les Troyennes, vous avez choisi de travailler uniquement avec des femmes dans Antigone of Shatila. Comment les avez-vous choisies ? « Il n’y avait absolument aucun critère à avoir, à part celui de l’âge (préférablement pas moins de 18 ans). Le travail était simplement ouvert à toutes celles qui souhaitaient y participer. Dans un premier temps au Liban, j’ai fait un travail qu’on peut qualifier d’expérimental et qui s’étendait sur de courtes durées, à Tripoli, Sabra et Chatila. Les projets duraient une semaine ou dix jours. Pendant cette période je découvrais sur le terrain la situation personnelle des individus avec qui je voulais travailler à travers les outils du théâtre. J’ai graduellement établi des contacts grâce à des groupes de personnes à l’intérieur des camps qui travaillaient généralement dans l’humanitaire ou l’éducation. Elles m’ont d’ailleurs énormément aidé. On a fixé cinq rencontres ouvertes dans le camp de Chatila avec des groupes de femmes où tout le monde pouvait participer librement. Ces rencontres qui ont précédé le travail étaient essentielles pour comprendre les conditions des réfugiées et se faire une idée de l’aspect logistique du travail. Pendant le processus de travail, avez-vous été confronté au danger de l’exploitation émotionnelle de ces femmes réfugiées et quelle a été votre manière d’en éviter les répercussions ? « D’habitude dans des cas pareils, le travail se fait graduellement. Le but est toujours de construire un sentiment de confiance au sein du groupe. Cette confiance s’instaure avec le temps. Au tout début, on ne demandait pas aux femmes de parler de choses qui paraissaient dures, on leur laissait le choix et le temps. Les exercices étaient plus centrés sur le mouvement, sur le fait de trouver des moyens de faire connaissance de manière globale et de construire un espace de sécurité (« safe space »), entre toutes et avec nous. Le sentiment de confiance n’est pas uniquement à construire entre le metteur en scène et les actrices, mais aussi entre elles, qui ne se connaissaient pas auparavant et viennent de différentes régions de la Syrie et des camps. Naturellement, elles portent parfois des opinions politiques opposées concernant le conflit en Syrie. Je pense que le fait de construire à partir d’un texte a été un facteur important : quand il y a une référence fixe, il devient plus facile d’extérioriser, de découvrir les histoires de chacune et de partager des points de vue. Il ne faut pas oublier le désir de chacune de participer à ce genre de processus. Ces femmes sont marginalisées et leurs voix ne sont pas entendues, encore plus en temps de guerre. L’espace théâtral a donc été une plateforme pour qu’elles puissent exprimer ce qu’elles n’auraient pas pu dire autrement, que ce soit dans ces conditions politiques précises ou plus généralement dans des conditions oppressantes. Antigone oppose à la brutalité des lois humaines, les lois divines – soit le droit d’honorer les corps dans la mort. On peut parler entre autre du « droit au rituel » ou du « droit du deuil », qui dans l’immédiateté de la

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guerre peine à se réaliser pleinement. Comment ces femmes ont-elles reçu la figure d’Antigone ? Ce travail théâtral les a-t-elle aidées à créer une sorte de rituel ? « Je pense que le travail les a aidé à pleurer leurs pertes, à faire part de manière forte de leur tristesse. Un deuil nonaccompli est une catastrophe. La plupart de ces femmes ont perdu des personnes chères, des enfants, des parents dans des conditions très dures. Dans certains cas, notamment dans celui des disparus, les corps ne sont pas enterrés. Avant ce travail, elles n’avaient pas le temps de s’arrêter sur ces catastrophes, de s’y confronter pleinement, d’avoir le temps de faire le deuil ou de ressentir de la pitié envers leur propre situation. Impossible de s’arrêter s’il faut continuer à vivre et faire vivre leurs familles. C’est instinctivement qu’elles ont ressenti que ce travail était une opportunité de faire le deuil et de donner à la tristesse le poids qu’elle mérite. Je ne pense pas avoir développé quelque chose de l’ordre du rituel ou de l’alternative au rituel mais plutôt de l’ordre de l’accomplissement d’un sentiment humain dans la volonté de partager des expériences, et de mettre en évidence la nécessité d’honorer les morts pour conserver une certaine dignité. Il existe chez les artistes syriens aujourd’hui un questionnement autour de la manière de parler de la guerre, comment la « traduire », comment « mesurer la douleur ». Une des hypothèses serait de passer par l’abstraction – et entre autre le mythe – pour ne pas tomber dans l’image brute du massacre, qui est celle des médias et qui provoque un détachement immédiat de la part de celui qui regarde. Comment avez-vous pensé, en tant que metteur en scène, cette problématique-là ? « Cette question est très pertinente mais je n’ai pas de réponse. Ce questionnement s’applique surtout aux personnes dont le travail est lié à la réalité socio-politique de manière directe. Omar [Abusaada, le metteur en scène. Ndlr] et moi n’avons pas fait le choix de passer par la fiction pour parler de la Syrie. Le but de ce théâtre n’est pas de procurer des réponses, mais d’essayer de comprendre et de mettre les choses en perspective. Notre choix a été de parler de la condition politique clairement et sans images, non pour brusquer, mais pour parler des choses telles qu’elles se présentent, ici et maintenant. La question du « comment » revient, puisque le réel se montre difficile à assimiler et à traduire. Je n’ai pas de réponse exacte quant à la manière dont il faudrait appréhender le réel. Ce que je ne fais pas par contre, c’est prétendre, ou même vouloir reproduire l’image ou le sentiment exact de la dureté des horreurs. Je n’en ai ni le désir ni les moyens. Le challenge véritable est de retrouver le rire et la légèreté dans ces conditions dures, et de comprendre que dans des situations pareilles, les choses ne sont pas peintes d’une seule couleur, même pour ceux qui sont le plus durement touchés. C’est ce paradoxe qui est intéressant. Le rire se mêle aux pleurs. Le but n’est pas seulement de pleurer sur notre situation mais également de prendre de la distance vis-à-vis d’elle pour pouvoir la penser. Antigone of Shatila d’Omar Abussada. Photo : Didier Nadeau. Quelles sont les différences majeures que vous avez ressenties entre la représentation à Beyrouth et celle en France, au niveau de la réception ? « C’est une question qui me travaille. Cette pièce a été construite organiquement à Beyrouth, l’influence de cette ville est très présente dans le travail. Au départ, je pensais que les ateliers allaient principalement tourner autour des souffrances liées aux évènements en Syrie. Puis je me suis vite rendu compte que la question de la survie quotidienne au Liban était encore plus cruciale, qu’elle constituait même une passerelle pour comprendre des traumatismes précédents en Syrie. Le véritable challenge est celui de la possibilité de rester au Liban, le quotidien dans les camps malgré le racisme, le rejet ou la situation économique. Je pensais fortement que le lieu le plus valide de la pièce était Beyrouth, de part son symbolisme, et son rapport au public. Quand on a joué au théâtre Madina, on a été confronté à un public assez varié du point de vue des classes sociales, ce qui est rare dans le cercle théâtral là-bas. La particularité de la pièce et sa résonance au Liban n’a pas d’équivalent. Sa force résidait dans la remise en cause des clichés et des stéréotypes des classes moyennes et aisées vis-à-vis des réfugiés syriens, des problématiques inclues dans le contenu du travail. Hier, pour notre première en France, l’accueil a été positivement surprenant. Je comprends de mieux en mieux l’importance de ce genre de travail en Europe. Toutefois je remarque que malgré le fait qu’on ait joué à Marseille, le public était assez uniforme ; dans


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la mesure où il s’agit principalement de spectateurs venus de milieux relativement aisés, ce qu’on pourrait appeler la « white middle class ». Je prends cette expérience comme une métaphore, celle de spectateurs rencontrant des migrants au moment qui précède le périple, avant de prendre la mer et la traverser pour arriver en Europe. Les spectateurs comprennent la cause de ce déplacement, de cette migration. Pour une fois, ils les voient avant le parcours en soi, et non pas en tant que noyés ou arrivants. La salle était une confrontation entre la rive sud de la Méditerranée et la rive nord. Des femmes qui faisaient partie du projet n’ont pas pu venir jouer en France, en quoi leur absence a-t-elle affecté la représentation et le processus en général ? « Ça nous a rendu tristes. Ce n’est pas facile pour elles de voyager, parce que certaines viennent d’un environnement très conservateur et défavorisé. L’effort qu’elles avaient fait pour monter sur scène à Beyrouth et défier les normes patriarcales était déjà énorme. Ne pas les avoir avec nous aujourd’hui est une réelle tristesse. À Beyrouth on s’était organisé de sorte à ce qu’une absence puisse être vite remplacée. C’est sur que les choses auraient étés différentes, plus intenses et plus intéressantes si toutes les femmes avaient étés présentes. Si on considère que le but de Créon est de construire la cité, tandis qu’Assad incarne aujourd’hui la destruction et la désintégration de la ville, comment expliquez vous la superposition de ces deux figures d’un point de vue dramaturgique ? « Cette question n’a pas du tout constitué un point de départ pour notre travail. Il y a une femme, par exemple, qui a décidé de jouer le rôle de Créon et de défendre sa position. D’autres ont décidé de s’identifier à la position d’Ismène, celle de la nonconfrontation. Le pacte était de ne pas cacher nos positions politiques, sans pour autant les imposer dans le travail. J’ai remarqué que la figure de Créon pouvait représenter plusieurs choses à la fois, et non pas uniquement Assad. Créon est aussi le système patriarcal. L’oppression des femmes se trouvent partout et est universelle. Qu’on soit avec ou contre le régime, on reste opprimé par le pouvoir patriarcal. Créon peut aussi incarner les autorités libanaises et le racisme au Liban. Le mérite revient à la pièce elle-même, à sa richesse et son universalité au-delà de nous. Antigone of Shatila d’Omar Abussada. Photo : Didier Nadeau. En quoi la figure d’Antigone a-t-elle, en 2016, encore une pertinence pour appréhender les réalités de notre monde ? « Je préfère ne pas la voir comme une figure d’héroïne tragique. Je préfère garder de l’espoir, et j’ai appris cela des femmes avec qui j’ai travaillé. Leur volonté de vivre est très puissante. Aucune n’a envie de mourir en martyr ou en héroïne sacrificielle. La volonté de rester en vie est la particularité de l’Antigone contemporaine. C’est comme cela que je le lis contrairement au texte originel qui propose la mort comme salut ultime et comme fin. Je vois chez ces femmes à la fois une volonté de se confronter à l’oppression et un désir ardent de continuer à vivre. Raconter des histoires pour continuer à vivre. Propos recueillis par Tamara Saade

Antigone of Shatila, mes par Omar Abussada, a été présentée les 29 et 30 janvier à la Friche la Belle de Mai dans le cadre des Rencontres à l’échelle, Marseille.

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Antigone de Chatila : «Nous sommes des Antigone, mais nous mourrons sans un bruit» 13.03.2016

Fin janvier, à Marseille, des réfugiées syriennes ont joué une adaptation d’Antigone, de Sophocle, dans le cadre d’un atelier d’aide par le théâtre. Récit d’une tragédie antique qui fait écho à une tragédie d’aujourd’hui. Antigone of Shatila • Crédits : Dalia Khamissy

Fin janvier dernier, neuf réfugiées syriennes jouent Antigone à Marseille. Elles viennent de Damas, d’Alep, ou d’autres contrées syriennes où le fracas de la guerre a frappé, les forçant à l’exil, souvent à leur corps défendant, en laissant derrière elles, leurs frères, leurs enfants, leurs pierres. Elles ont répondu à l’appel de deux metteurs en scène syriens : Omar Abusaada & Mohamed El Attar. Elles ont accepté, en mai dernier, à Beyrouth où elles sont réfugiées dans le tristement célèbre camp de Chatila, de participer à leur atelier d’ « aide par le théâtre ». Elles ont réinterprété Antigone de Sophocle, pour en faire Antigone of Shatila. Elles l’ont jouée à Beyrouth, puis elles ont survolé la forêt de cèdres libanaise, survolé ceux qui entreprennent le voyage sur un bateau de fortune au péril de leur vie, et l’ont joué « ici » : à Marseille et à Hambourg. Elles sont neuf sur scène, dix-sept initialement, mais certaines n’ont pas pu faire le voyage. Pour cause de maternité, de refus d’un mari ou encore pour des problématiques de visa… Dès les prémisses du voyage, le présent, le conflit syrien et la « crise des migrants » se rappellent à elles. On n’obtient pas un visa allemand ou français aisément. Elles sont neuf sur une scène vide, le décor est minimaliste, quelques chaises disposées à droite de la scène, un bureau dans un coin, où la narratrice, Israa, jeune réfugiée syrienne de 23 ans, trône, cigarette au bec, son regard défiant l’auditoire. Dès les premiers instants, elles irradient la scène du théâtre de la Friche de la Belle de mai. Le même jour à Genève, l’opposition syrienne se fait attendre, on essaie de négocier une trêve. Les négociations seront vaines. Depuis, on a négocié un cessez-le-feu, fragile et mal respecté, les Syriens ne sont pas davantage maitres de leur destin. Depuis mai 2011, le conflit syrien a fait

260 000 morts, plusieurs millions de déplacés, ceux qui sont vivants survivent parfois dans des villes assiégées, meurent de faim, attendent désespérément dans des camps, de la nourriture, des vêtements, de retourner à l’école, de retourner travailler, de retourner à la vie.

« Cette pièce est politique car elle donne la parole à des femmes » Programmée dans le cadre du festival Les Rencontres à l’échelle, produit par les Bancs Publics, la pièce d’Omar Abusaada et Mohammad El Attar est une œuvre qui documente, extraordinairement, le présent. Elle vient donner chair au décompte macabre, les morts, les naufragés, les apatrides, cette mélodie lancinante de nos radios et de nos télévisions, qui, à force d’être entendue, devient une abstraction.


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Elles sont là, toutes les neuf, jeunes, vieilles, mères, sœurs, femmes. Leur douleur sublimée. Omar Abusaada, le metteur en scène, a dit : « Cette pièce est politique car elle donne la parole à des femmes quand habituellement ceux qui la prennent sont des hommes. C’est dans ce sens-là. » L’Antigone de Sophocle ne le sait que trop bien, mais elle s’y refuse. C’est sa sœur Ismène qui désespérément tente de le lui rappeler :

«Il faut nous pénétrer de l’idée que nous sommes nées femmes, Que nous ne sommes pas à même d’affronter des hommes De plus nous sommes soumises à ceux qui sont nos maîtres, Il nous faut obéir à ces ordres, et à d’autres encore plus douloureux.» Antigone désobéit, obstinée, elle fait ce qu’elle croit juste, quoi qu’il en coûte. Israa, la narratrice, nous raconte « les coulisses » de l’Antigone de Chatila. Elles entendent parler début 2015, de cette « aide par le théâtre » proposée par Omar Abusaada et Mohammed El Attar, qui n’en sont pas à leur coup d’essai. Ils ont déjà œuvré auprès de réfugiés irakiens, de populations opprimées ou dans les prisons, auprès de mineurs. Omar Abusaada croit au « pouvoir salvateur du théâtre », Mohamed El Attar veut leur donner une tribune, les faire parler. Et c’est ce qu’elles font. Tour à tour, souvent seules, parfois en binôme, elles viennent se raconter. Le texte de Sophocle vient ponctuer leurs récits, il est déclamé en chœur, en arabe, par les comédiennes, face au public. Difficile distribution des rôles La plus âgée, qui incarnera Créon, raconte comment elle a perdu ses deux fils, une autre raconte son départ précipité, le bus qui s’arrête, ils doivent tous être contrôlés. La question tant redoutée : « Qui soutenez-vous ? » Ils ne portent pas d’uniforme, rien n’indique qui ils sont. Mauvaise réponse. Les hommes sont roués de coups. Israa raconte comme il a été difficile, au début, de s’approprier le texte de Sophocle. Beaucoup d’entre elles ne comprenaient pas l’entêtement d’Antigone, ne comprenaient pas qu’elle s’insurge ainsi contre la loi. La distribution des rôles a été difficile. Israa le confesse, elle avait des a priori sur Antigone. Ismène est appréciée, pour sa mesure, sa réserve, sa peur qui n’est pas de la lâcheté, qui est humaine. Aïcha sera Hémon, le fiancé d’Antigone. Il incarne l’homme idéal, elles le dessinent, les dessins sont projetés face public sur un écran géant, leur Hémon est grand, beau, brun, bien habillé. Il meurt par amour. Elles pouffent à l’idée de jouer un homme, se demandent si elles ont le droit. Comment se porter volontaire pour jouer Créon ? Le tyran, entêté, autiste, dont l’obsession pour « l’ordre » mènera tous les siens à leur perte ? C’est la doyenne, Fadwa, qui dit finalement le comprendre : lui aussi pensait être « juste », qu’en offrant une sépulture à son frère Polynice, le traitre à ses yeux, Antigone trahissait sa patrie. Créon lui-même finira par reconnaître « son moment d’égarement ». Antigone a-t-elle eu raison de se rebeller ? Elles s’interrogent : « Aurions-nous eu le courage d’Antigone ? En serions-nous dignes ? » C’est finalement Hiba qui jouera Antigone. Elle est d’origine palestinienne, vient du camp de Yarmouk, près de Damas, et du haut de ses 24 ans, elle ne connaît que trop bien la vie de réfugiée, Chatila et ses coupures d’électricité incessantes, la hiérarchie entre les habitants du camp, entre les réfugiés de 1ère, 2ème ou 3ème génération … La vie


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entre rescapés n’est pas exempte d’inégalités. Elle a perdu ses deux frères. Les fils de Fadwa, qui incarne Créon. Hiba est la fille de Fadwa. Elle a cherché son frère au début de la guerre, sans relâche, persuadée qu’il était en vie. Il fallait qu’elle sache, elle a pris des risques, bravé des interdits. Mohammad El Attar, rencontré avant la représentation, explique que pour ce qui est de l’issue du conflit, elles sont loin d’être d’accord, certaines auraient tendance à soutenir Bachar El Assad, d’autres seraient plus proches de l’opposition… Toutes, surtout, ont l’impression que l’avenir de leur pays ne leur appartient plus, et voient cette tournée européenne comme une manière de montrer que la Syrie n’est pas uniquement peuplée de fanatiques endoctrinés. Mais quand elles se demandent si Antigone avait raison de se rebeller, s’il fallait ainsi se soulever, l’interrogation est douloureuse, et la réponse, impossible. Lors des répétitions, elles ont amené leurs histoires à la tragédie grecque, et peu à peu, elles ont amené Antigone à elles. Israa se souvient s’être réveillée en pleine nuit, et avoir déclamée, seule, le monologue de fin d’Antigone, celui des Adieux à la vie. Elle s’en sentait enfin « digne ». « Nous sommes toutes des Antigone… » finit-elle par dire, dans un souffle. « Mais, même si nous étions des Antigone, nous, nous ne sommes pas filles de roi, nous mourrons sans un bruit ». Mohammed El Attar, le dramaturge, insiste : l’aspect politique n’est pas là où on croit. Ou pas seulement.

« On a tendance à l’oublier mais la Syrie était une nation prospère : sans dette extérieure. Et c’est aussi ce qu’incarnent ces femmes, la diversité de la Syrie : des enseignantes, une prof d’aérobic, des lettrées… et un tiers d’analphabètes qui ont eu à mémoriser leurs textes par cœur. On pense à la guerre en Syrie, mais pour elles, c’est surtout une révolte contre le patriarcat, pour elles, l’angoisse première en tant que femmes, ce n’était pas de jouer une métaphore de la guerre - ce que ce spectacle n’est pas -, loin de là. C’était angoissant à Beyrouth de jouer devant leurs maris, devant des hommes, c’est aussi pour ça qu’elles sont toutes voilées ». Certaines ont voulu changer leurs récits, ne plus tout dire. Omar et Mohammed refusent. Une transcription de leur conversation avant la première représentation est projetée sous nos yeux. Elles demandent « - Et après ? On ne vous reverra plus ? … » Pas de réponse. La guerre en Syrie, c’est peut-être nous, dans le public, qui y pensons constamment. Parce que c’est la mélodie lancinante de nos postes de radio. Que ça fait 5 ans. Alors que l’on est là, immobiles, presque prostrés, à les écouter se mettre à nu. Se raconter, nous raconter, à nous spectateurs figés, leur tragédie, cette tragédie de notre temps. Clémence Allezard CulturesMonde


Thalia pfadfinder février 2016

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ANTIGONE OF SHATILA Von Julia Lange Mohammad Al-Attar und Omar Abusaadas „Antigone of Shatila“ stellt die große Frage nach dem Zusammenhang zwischen Kunst und Leben. Wie kann eine antike griechische Tragödie zur Sinnstiftung und Auseinandersetzung mit aktueller Geopolitik und individueller Leiderfahrung beitragen? Und was ist beziehungsweise kann vielmehr die Funktion des Theaters auf die aktuelle Krise in Syrien sein? „Antigone“ gibt eine kluge Antwort auf diese Fragen, indem sie sie an den Zuschauer weiterreicht. Bereits vor Beginn der Aufführung fragt man sich: weshalb Sophokles Antigone und aktuelle Flüchtlingskrise zusammen denken? Anstelle Sophokles Tragödie mit professionellen Schauspielern besetzt (mehr oder minder) originalgetreu aufzuführen, kreiert der junge Regisseur Omar Abusadaa eine Setting, in der wir zu Zeugen werden, wie sich neun Frauen, die auf der Flucht aus ihrer syrischen Heimat Schutz im Camp Shatila in Beirut fanden und schließlich dem Theaterprojekt beitraten, zur mythischen Figur der Antigone in Bezug setzen. Die Bühne verwandelt sich somit zu einem Resonanzraum, in dem individuelle Flucht- und Gewalterfahrungen durch die Folie eines antiken Stoffes neu perspektiviert und einem westeuropäischen Publikum zugänglich gemacht werden. Was wir an Erfahrungsberichten zu hören bekommen, ist dabei oftmals schockierend, empörend und herzzerreißend. Die Suche nach verschollenen Geschwistern, das Einrennen geschlossener Türen auf der Suche nach Familienangehörigen – letzten Endes ohne Erfolg. Entmutigt wirken diese Frauen trotz ihrer leidvollen Erfahrungen jedoch keineswegs. Ganz im Gegenteil, allein durch ihre Präsenz auf der Bühne bejahen sie das Leben. Was sie allerdings zurückreflektieren, ist unsere eigene Untätigkeit – unser, im wahrsten Sinne des Wortes, stilles Dasitzen. Auch sie selbst bewegen sich kaum. Abwechselnd

treten sie ans Mikrofon und beginnen zu erzählen. Ihr Aktionsradius und Handlungsspielraum, so wird suggeriert, ist eingeschränkt. Oder ist es vielmehr das Trauma, das sie in ihrer Bewegung lähmt? Als Zuschauer kommt uns in diesem dokumentarischen Theater die Rolle des Zeugen zu. Durch den Akt des Erzählens ihrer traumatischen Erinnerungen teilen die syrischen Frauen ihre individuellen Geschichten einem größeren Publikum mit und lenken damit unseren Blick auf das ihnen widerfahrene Unrecht. Was letztlich den Mehrwert der Inszenierung gegenüber einer arte-Dokumentation mit Zeitzeugenberichten ausmacht, ist die Verquickung mit der antiken Erzählung, die bezeichnenderweise eine originär westliche ist. Die syrischen Frauen müssen sich Sophokles Antigone gleichsam kulturell aneignen und in ihre eigene Erfahrungswelt übersetzen. Gleiches gilt für uns, die wir uns mit den auf syrisch vorgetragenen Inhalten, die eine Erfahrung in einer Bürgerkriegssituation behandeln, im Theater auseinandersetzen und das Gehörte ebenfalls vor dem Hintergrund unseres Erfahrungs- und Wissensschatzes in unsere eigene Lebenswelt einordnen und übersetzen. Zum Ende des Stückes werden auf einer Leinwand Fragen eingeblendet, die die Frauen der Projektleitung offenbar während der Proben stellten. Darunter folgende: „Werdet ihr uns nach Abschluss des Projekts genauso fallen lassen wie die anderen Hilfsorganisationen?“ Das darauf folgende Schweigen ist verstörend. Die Wirkmacht des Theaters hat Grenzen, so realisiert man (ein weiteres Mal). Dass al-Attars und Abusaada dennoch bedeutende Grenzen, nämlich die unserer Wahrnehmung, verschoben haben, ist jedoch unbestreitbar. Orpheus‘ Eurydike mag hoffnungslos im Totenreich des Hades verloren sein – Antigone und ihr Gerechtigkeitsdrang existiert dank des Gastspiels in der Gaußstraße, nicht nur in den Gedanken von neun tapferen syrischen Frauen, seit heute auch in Hamburg und vor neuem Deutungshorizont weiter fort.


hamburgtheater février 2016

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Antigone von Shatila, Lessingtage Wie viel Antigone steckt in mir? Diese Frage stellen sich die neun Frauen auf der Bühne. In einer geraden Stuhlreihe sitzen sie vor der großen Leinwand. Barfüßig sind sie. Sie haben keine Schuhe mehr, mit denen sie sich auf den Weg machen können. Schwach fühlen sie sich angesichts der Umstände, die sie so hilflos machen. Die eigentlich siebzehn Frauen, von denen nur neun zum Gastspiel nach Hamburg kommen durften, sind Syrerinnen, die vor dem Krieg geflohen sind. Gestrandet sind sie im libanesischen Lager Shatila, das hauptsächlich von palästinensischen Flüchtlingen bewohnt wird. Auch hier sind sie das schwächste Glied; als Neuankömmlinge haben sie sich in der Hierarchie des Lagers ganz unten einzuordnen. Doch im Theaterprojekt von Mohammad al-Attar und Omar Abusaada lernen sie neue Seiten an sich kennen. Antigone heißt das Stück, das sie spielen sollen. Auch sie haben wie Antigone Angehörige verloren, die sie nicht begraben konnten. Ihre Väter, Söhne und Brüder liegen gefallen und unbegraben irgendwo in Syrien, während sie nach Beirut fliehen mussten. So mutig wie Antigone kämpften die wenigsten von ihnen. Viele bekennen, dass sie sich oft den Machtverhältnissen beugten. Doch einige entdeckten eine ungewohnte Stärke in sich. So erzählt eine der Frauen von ihrer Suche nach ihrem Bruder. Bei der Polizei, der syrischen Armee, bei der Al Nusra Front, bei den Aufständischen - überall wagte sie sich ohne Begleitung vor und fragte unermüdlich nach. Eine andere begehrte gegen ihren zwangsverheirateten Ehemann auf, als er ihr den Vollschleier vorschreiben wollte. Die anderen berichten von den alltäglichen Zumutungen der Flucht, die gerade ihnen als Frauen eine ohnmächtige Rolle

aufzwingen, aber ihnen auch durch das Fehlen der Männer neue Freiräume ermöglichen. Die Regie bleibt im Hintergrund. Sie gibt den Frauen schlicht den Raum für ihre Sichtweise. Immer eine von ihnen tritt aus der langen Stuhlreihe an eines der Mikros und erzählt ihren Teil der Geschichte. Kaum Emotionen zeigen die Frauen. Sehr gefasst begegnen sie den Herausforderungen ihres Lebens. Diese Zurückhaltung beeindruckt und distanziert zugleich. Doch diese Frauen wollen nicht rühren sondern interessieren. Birgit Schmalmack vom 6.2.16


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Hamburger Abendblatt 3 fĂŠvrier 2016

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ndr kultur 2 février 2016

Viele spannende Produktionen bei Lessingtagen von Katja Weise

Szene aus dem Stück «Antigone of Shatila» von Mohammad al-Attar. © Tabitha Ross Der Antigone-Stoff dient bei dem Stück «Antigone of Shatila» nur als Folie - die Geschichte der Frauen aus Beirut ist noch nicht zu Ende erzählt. Flucht, Migration und Vertreibung - diese Themen stehen in diesem Jahr im Mittelpunkt der Internationalen Lessingtage am Hamburger Thalia Theater. Beleuchtet wurden und werden sie aus vielen Perspektiven. Eine besonders eindrückliche Arbeit war am Montag auf der kleinen Bühne in der Gaußstraße zu sehen: die Deutschlandpremiere von «Antigone of Shatila», einer sehr freien Version des «Antigone»-Stoffes mit Frauen aus dem Flüchtlingslager Shatila in Beirut. Was heißt es, eine Frau zu sein in Zeiten des Bürgerkriegs? Nur acht Stühle stehen vor der großen Leinwand. «Nicht alle Frauen konnten nach Hamburg kommen - teilweise aus familiären Gründen, teilweise, weil die entsprechenden Papiere fehlten», erklärt Mohammad al-Attar, der das Stück zusammen mit den Frauen in dem Flüchtlingslager entwickelt hat. Er ist einer der derzeit bekanntesten syrischen Nachwuchsdramatiker und will mit diesem Projekt

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zeigen: «Was heißt es, eine Frau zu sein in Zeiten des Bürgerkriegs? Was bedeutet es, eine so schwere Last tragen zu müssen, das heißt, konfrontiert zu sein mit den politischen Autoritäten einerseits und denen der patriarchalen Gesellschaft andererseits? Und alle diese Kämpfe führen zu müssen, während du gleichzeitig deine Kinder aufziehen und in manchen Fällen auch noch die Familie ernähren musst?» Berührende Geschichten von Flucht, Vertreibung, Verlust Szene aus dem Stück «Antigone of Shatila» von Mohammad al-Attar. © Tabitha Ross Nicht alle Frauen, die in «Antigone of Shatila» mitwirken, konnten nach Hamburg kommen. Davon erzählen die Frauen an diesem Abend selbst. Es sind berührende Geschichten von Flucht, Vertreibung, Verlust. Der «Antigone»-Stoff dient dabei nur als Folie. Antigone, die ihren aufrührerischen, in der Schlacht gefallenen Bruder Polyneikes bestattet, obwohl Kreon es verboten hat, und dafür mit dem Leben bezahlt, ist Heldin und Opfer zugleich. Eine Figur, an der sich die Frauen reiben, in der sie sich wiederfinden. «Antigone ist wie ich in Trauer», sagt eine von ihnen, «auch ich habe meinen Bruder verloren.» Und dann erzählt sie die bewegende Geschichte, wie sie sich in Syrien auf die Suche nach ihm machte - und doch nie herausfinden konnte, was mit ihm passiert war. Die Frauen sprechen ruhig, ringen um Fassung, wenn sie vom Tod der Söhne, den Strapazen der Flucht sprechen. Nichts wird bebildert oder dargestellt, das Wort steht im Mittelpunkt. Das sei für viele eine ganz neue Erfahrung gewesen, sagt Mohammad al-Attar. Und auch für ihn. «Viele von ihnen können weder lesen noch schreiben, das war eine große Herausforderung. Und auch für die Frauen war das alles sehr aufregend. Denn sie haben das Theater nicht nur entdeckt als einen Raum, in dem sie spielen, sich bewegen können, sondern auch gemerkt, dass sie diesen Raum nutzen können, um frei zu sprechen und zu diskutieren, auch über politische Themen. Ein Recht, das vielen von ihnen vorher noch nie zugestanden worden war.» Ein eindrücklicher, bewegender Abend mit offenem Ausgang. Denn anders als die Geschichte der Antigone sind die der Frauen noch nicht zu Ende erzählt. (...)


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