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Godefroy Vujicic, directeur général de Pictanovo, en Hauts-de-France
HEntretien avec le directeur général de Pictanovo, association qui promeut et appuie la production audiovisuelle et cinématographique dans les Hauts-de-France, région de plus en plus prisée par les producteurs.
Pour faire face à la crise pandémique, un budget d’aide exceptionnel a été mis en place. A quoi était-il destiné ?
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Un plan de 1,3 Md€ a été mobilisé par la région Hauts-de-France, qui a été suivi d’un plan de relance. Durant cette période, Pictanovo a bénéficié d’un soutien indéfectible de la part de la Région, de l’Etat et des collectivités territoriales.
Grâce au passage au numérique, que nous avions anticipé, et à l’activation, fin 2019, de notre plateforme de dépôt dématérialisée, nous avons pu tenir tous les comités de lecture prévus.
A quel niveau les fonds de soutien ont-ils été reconduits en 2021 ?
C’est rigoureusement le même montant qu’en 2020. Inclus dans le contrat Etat-région, il s’articule de la manière suivante : 6,38 M€ pour la région et 2,28 M€ pour le CNC (l’Etat). Sachant que dans le cadre de la politique “1 euro pour 2”, près de 1,8 M€ est abondé, exclusivement, par la région, en plus de ces obligations. L’ensemble de l’enveloppe a été consommée, permettant d’aider plus de 235 projets en écriture, en développement et en production pour l’année 2020. Nous attendons près de 40 M€ de retombées économiques.
Quel a été l’impact de l’arrêt des tournages ?
La seule suspension a eu lieu entre le 16 mars et le 2 juin. Des protocoles ont été mis en place avec le concours du ministère du Travail. L’activité a repris normalement avec de nombreux de tournages. Ainsi, de 750 jours de fiction tournée (tous les formats cinéma et audiovisuel confondus) en 2019, on est passé, en 2020, à 649 jours.
La série HPI, produite par Septembre Productions et Itinéraire Productions a été tournée chez vous. Comment avezvous accompagné ce tournage ?
Notre implication est double : il s’agit d’un projet déposé au comité, lequel l’a soutenu – financièrement, puisque nous sommes entrés en coproduction –, puis il a été accompagné par le bureau d’accueil des tournages: contacts avec des techniciens régionaux et des prestataires spécialisés, propositions de décors… Ils ont tourné, avec le résultat et le succès que l’on connaît. Le rendez-vous est déjà pris avec les spectateurs de TF1 pour la saison 2. Cela a donné envie à d’autres producteurs de venir tourner dans la région et nous avons reçu beaucoup d’appels. Les audiences spectaculaires pour une fiction de TF1 – les meilleures depuis 2006– y sont pour quelque chose!
Godefroy Vujicic
« Etre au plus près des professionnels »
Après HPI, c’est en animation, au Festival d’Annecy, que deux productions de votre région sont distinguées…
Nous nous impliquons de la même façon dans tous les genres, animation comprise : les deux projets ont été proposés au comité de lecture, qui a décidé de les soutenir financièrement, en coproduction. L’animation dans les Hauts-de-France, c’est 23 entreprises et 9 écoles. Et de nouveaux studios s’implantent, comme La Factorie de Philippe Alessandri ou l’école ArtFx.
A Cannes, vous avez deux films, l’un en compétition officielle, France, l’autre, Tromperie, dans Cannes Premières.
Pictanovo est partenaire de presque tous les films de Bruno Dumont. La seule fois où, pour Twentynine Palms, il est parti tourner ailleurs, c’est parce qu’il n’y a pas moyen de planter des palmiers californiens dans les Hauts-de-France!
Les Hauts-de-France viennent à Cannes avec des films qui impriment une “marque Pictanovo”, ou en tout cas régionale…
Cette marque est avant tout le fruit de nombreuses années d’implication dans le cinéma et de l’audiovisuel. Je poursuis ainsi un travail initié de longue date. Depuis 1985, la région a construit un écosystème de la filière Image. Nos techniciens sont reconnus pour leurs compétences ; nos décors surprennent par leur diversité; notre situation géographique séduit. Les comités de lecture de Pictanovo, totalement indépendants, sont constitués de représentants de toute la profession, qui ont un regard artistique professionnel, décisif au moment de l’analyse et du choix des projets. Nous évoquions HPI, mais on peut également parler de la saison 3 des Petits
Les tournages dans les Hauts-de-France Longs métrages
• Chœur de rockers, de Luc Bricault et Ida Techer (Les Films du 24) : avril-mai • Tempête, de Christian Duguay (Nolita Films) : avril-mai • Saint-Omer, d’Alice Diop (Srab Films) : juin-juillet • Les Pires, de Lise Akoka et Romane Gueret (Les Films Velvet) : fin juillet à mi-septembre • Tropiques, d’Edouard Salier (Rezo Productions ): août • La Guerre des Lulus, d’Yann Samuell (Superprod Films) : août à octobre • The Wildflower, de Carolyn Carlson (Flair Productions/Portrait et Cie) : été ou second semestre • La Vie des hommes infâmes, de Gilles Deroo et Marianne Pistone (Shellac Sud : septembre) • Frère et sœur, d’Arnaud Desplechin (Why Not Productions) : octobre • L’Empire, de Bruno Dumont (3B Productions) : septembre-octobre • Le Bal des folles, d’Arnaud des Pallières (Prélude : octobre-novembre
Séries TV
• VTC, de Julien Bittner (Bridges/Canal+) : printemps • Les Papillons noirs, d’Olivier Abbou (GMT Productions/Arte) : jusqu’à mijuin • Les Petits Meurtres d’Agatha Christie, de Nicolas Picard-Dreyfus (Escazal / France 2) : en cours • Les Combattantes, d’Alexandre Laurent (Quad Drama/TF1) : octobre-novembre
Meurtres d’Agatha Christie. Ils ont changé de décors, d’époque et de studios: un pari artistique largement gagné.
Parlez-nous de la formation…
Nous voulons permettre aux jeunes auteurs, comme aux plus confirmés, d’approfondir leurs connaissances. J’ai souhaité que Pictanovo redevienne un organisme de formation continue afin d’être au plus près des besoins des professionnels et d’offrir une grande réactivité. Nous avons travaillé en concertation avec les associations régionales, pour construire, ensemble, une offre pertinente. Prochainement, nous organisons une formation dédiée au métier de storyboarder, en collaboration avec l’association Noranim, qui regroupe les professionnels de l’animation.
Quelles sont vos priorités pour Séries Mania, fin août 2021?
Accueillir les professionnels sur notre stand à l’occasion Séries Mania Forum et des Dialogues de Lille. Nous organisons un “salon des tournages” le 30 août, afin de mettre en lumière le dispositif “Film Friendly”, un partenaire privilégié avec les villes qui souhaitent accueillir les tournages et productions sur leurs territoires (Dunkerque a déjà accueilli Baron noir et Chœur de rockers Dunkirk). C’est une des villes qui s’est dotée d’équipes dédiées à l’accueil des tournages. Nous agrégeons un réseau avec Dunkerque, Lille, Douai, Tourcoing et Roubaix, mais aussi avec Saint-Quentin, Chantilly, Amiens ou encore Arras.
HAvec deux coproductions en sélection officielle à Cannes, Film Fund Luxembourg voit confirmée une nouvelle fois la pertinence de sa stratégie. Son directeur imagine un nouveau cadre pour la territorialisation des dépenses.
Comment la production audiovisuelle luxembourgeoise a-t-elle traversé la crise du Covid-19? Quelles mesures particulières les pouvoirs publics ont-ils prises?
Nous avons connu au Luxembourg les mêmes problèmes qu’ailleurs. D’abord au niveau de la production proprement dite, en ne pouvant pas tourner les films prévus, puis en appliquant un régime sanitaire spécifique. On s’est rendu compte qu’il y avait un surcoût de 10 à 15 % à couvrir. S’est aussi posée la question du maintien en vie des sociétés pendant qu’elles ne produisent pas; des aides structurelles mais remboursables leur ont été accordées. Nous avons aussi pris en considération les productions qui ont dû s’arrêter pour cause de contamination. Dans le secteur de la distribution, la fermeture des salles a été difficile comme partout, bien qu’au Luxembourg elles aient été ouvertes avec une jauge spécifique à partir de novembre dernier. Il y a eu des retards au niveau des sorties des films, ce qui crée aujourd’hui un embouteillage. Pour la promotion et le marketing, bien des festivals ont eu lieu en ligne, ou pas du tout, alors que le secteur audiovisuel est surtout basé sur les relations humaines.
Le Fonds luxembourgeois a dû soutenir tous ces acteurs sans budget supplémentaire du gouvernement; c’est lui qui a garanti les tournages en couvrant les frais qui s’imposaient. Aujourd’hui, on demande aux producteurs d’inclure les frais sanitaires dans le budget prévisionnel, le Fonds garantissant l’arrêt d’une production pour cause de cas Covid.
Le Luxembourg est une terre de coproduction; l’activité n’a-t-elle pas trop souffert des restrictions en matière de voyage, de transfert des équipes…
Les tournages ont pu reprendre vers août-septembre, mais nous sommes très dépendants des coproducteurs internationaux. L’Irlande, avec laquelle nous produisons deux à trois longs métrages par an, a été entièrement fermée ; idem pour le Québec et le Canada, avec qui nous produisons beaucoup en réalité virtuelle. Avec nos voisins, la France, la Belgique ou la Suisse, c’était plus faisable.
Je pense que l’on doit trouver une solution intermédiaire : au lieu de faire bouger les équipes d’un pays à l’autre, on pourrait envisager de tourner davantage dans un pays tout en ayant le même retour financier. Ainsi, avec les Pays-Bas, nous avons un accord pour ne pas retrouver nos dépenses en territorialisation au Luxembourg film par film, mais sur une période de deux à trois ans et sur plusieurs films. Banging or Loony Porn), deux œuvres en sélection à Cannes (Les Intranquilles et Where is Anne Franck?), des films à Annecy, une œuvre VR à South By Southwest, des films à Sundance, des nominations aux Oscars… Bref, 2021 est l’année où le Luxembourg récolte le plus de sélections dans les festivals dans le monde; nos producteurs ont choisi les bons partenaires et les bons films. Notre but aujourd’hui est de faire majoritairement des œuvres majoritaires. Quand on voit de plus en plus de réalisateurs luxembourgeois aux commandes de leurs propres œuvres, je crois que l’on est sur le bon chemin.
Guy Daleiden
Ce que l’on cède d’un côté, on pourrait le retrouver sur un prochain film.
Le plus important est de voir comment organiser les films dans un cadre spécifique de pandémie. Il est quelque peu curieux de forcer toujours les productions à se déplacer de pays à pays pour effectuer des dépenses en économie nationale. Certains pays ou certaines régions demandent des retours beaucoup trop élevés. On peut aussi développer des systèmes d’échange différents; il est possible maintenant d’organiser des rencontres par internet et cela fonctionne. On doit profiter de la situation actuelle pour être innovants et inventifs.
Le Fonds opère une nouvelle sélection de projets fin juillet. En recevez-vous toujours autant?
Il n’y a pas de baisse, au contraire. Le fait de faire face à beaucoup plus de demandes démontre que le secteur est très actif ; mais cela rend la délibération des jurys beaucoup plus difficile. Le ratio de sélection qui tournait autour de 45-50 % est passé à 35-40 % et comme les moyens financiers n’augmentent pas, il va encore diminuer. Même si on fait autour de 20 longs métrages par an, on ne doit pas oublier que le Luxembourg dispose d’un secteur relativement restreint; nous n’avons pas envie de le gonfler artificiellement. Je crois qu’il nous faut rester au même niveau de production. Il ne sert à rien de vouloir trop embrasser.
Quels sont vos critères de choix?
Il s’agit d’une aide clairement sélective. Le premier critère de sélection est celui de la qualité artistique, scénario compris; suivi naturellement par celui du budget et du plan de financement, ainsi que du retour dans l’économie cinématographique luxembourgeoise.
Notre choix s’opère en fonction des moyens à disposition et de l’intérêt artistique du projet. Nous avons introduit cette sélectivité artistique il y a 7 ans lorsque nous avons abandonné le régime fiscal, quasi automatique. Les résultats que nous obtenons actuellement démontrent que c’était une bonne décision :un Ours d’or à Berlin (Bad Luck
C’est une tendance aussi dans le secteur des séries…
Il y a de l’activité chez nous avec des séries comme Capitani, ou les liens développés avec la RTBF pour des séries belges comme Unité 42, Coyotes ou Baraki, avec une participation technique et artistique luxembourgeoise [notamment les réalisateurs Christophe Wagner, Jacques Molitor et Adolf El Assal, Ndlr]. Film Fund a un accord qui crée un lien direct avec le fonds des séries belges. Capitani a été développée avec le soutien de Film Fund, de la chaîne luxembourgeoise RTL et de coproducteurs belges. Voyez le résultat: Netflix a acheté la série pour une diffusion dans le monde entier, et on est en train de terminer la deuxième saison. Cela démontre qu’il existe aussi en télévision un intérêt pour la diversification culturelle.
Vous êtes aussi très attentifs aux œuvres immersives (VR et AR). Pourquoi cet intérêt pour ce marché de niche?
C’est vrai qu’il n’y a pratiquement pas de marché pour l’instant, mais nous nous y intéressons parce que ces œuvres mobilisent une technologie différente, qui va évoluer dans le futur. C’est une autre façon de travailler – ce sont les “nouvelles écritures”. Je suis sûr et certain que même si ces œuvres VR, AR ou XR ne sont pas une fin en soi, il ne faut pas rater le train de l’évolution technologique. Développer de nouveaux genres d’œuvres nous amènera vers quelque chose de différent. De plus, je crois qu’à terme, cela va entraîner une influence sur les écritures des œuvres “classiques”. Il faut donc s’y intéresser.
Quelles sont vos attentes à Cannes?
D’abord, nous serons tous très heureux de nous revoir après deux ans ! Et puis, nous avons plusieurs réunions très importantes avec nos partenaires internationaux, où nous parlerons promotion, fonds de financement, francophonie. Nous finalisons aussi des accords de coproduction avec Israël et le Portugal. Il y a bien sûr par ailleurs du travail autour de la promotion de nos deux films en sélection. Nous sommes enfin présents pour tous ces producteurs internationaux qui veulent s’informer sur l’évolution des systèmes d’aide et des soutiens au Luxembourg.