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Hermès, les dessous de la soie
Texte Elisabeth Clauss
HERMÈS
LES DESSOUS DE LA SOIE
e n’est pas parce qu’un accessoire d’art est devenu un classique qu’il n’évolue pas. Depuis près d’un siècle, les foulards de soie Hermès explorent à la fois les frontières roulottées d’une expertise renouvelée et les techniques de fabrication. Le carré est devenu un paradoxal support d’expression aux angles illimités. Dans la région lyonnaise, un ambitieux programme de renforcement des activités de production de la fi lière soie et textile vient d’être fi nalisé, tandis que des artistes aux infl uences du monde entier enrichissent avec passion et sans répétition les séries de dessins qui recto, verso et avec esprit, racontent des histoires d’émotion. Ils se posent sur la peau, frôlent les cheveux, caressent la nuque, s’imprègnent des parfums et des souvenirs. Cécile Pesce, directrice de création de la soie féminine, évoque ces transmissions qui dépassent le tissage expert, et mettent jusqu’à quarante-huit couleurs dans nos vingt-quatre heures.
CC’est le luxe au carré, l’excellence illustrée : si la maison emblématique du haut artisanat français reste liée peau à peau à la maroquinerie la plus durable imaginable, tout aussi solide mais plus fluide, la soie enroule harmonieusement son destin créatif à celui du cuir. ça n’existait pas. Nous avons soumis ce défi à nos ingénieurs, aux responsables de la recherche et du développement, à nos imprimeurs à Lyon, et le temps est passé. Sans cesse, ce fantasme d’un carré qui pourrait être imprimé en double face revenait, nous avons pu lancer le concept abouti en 2020. Exactement le même grammage, le même porté fl uide, un toucher aussi soyeux, avec l’avantage de pouvoir le porter d’un côté ou de l’autre. Du point de vue créatif, on peut élaborer sur un côté un dessin très académique et multicolore, de l’autre, une version bandana. C’est très excitant, ça nous ouvre un double support d’expression sur un même objet. » Cécile Pesce
ERIC TRAORÉ, STUDIO DES FLEURS
Les routes qui l’ont menée à la soie
« Je viens de l’univers des bureaux de style, où j’avais la charge de cahiers couleurs, de projets de prêt-à-porter et de lingerie. J’ai rencontré Hermès en 2005 grâce à Bali Barret qui m’avait demandé de collaborer avec elle sur le projet Soie Belle, collection créée à l’initiative de Pierre Alexis Dumas qui souhaitait dynamiser la soie. J’y suis restée, travaillant avec elle jusqu’à son départ en 2020. Nous étions très complices, humainement et créativement. Vers 2008, j’ai commencé à intervenir sur le prêtà-porter féminin, pour faire le lien entre le dessin et la couleur. J’ai pris par la suite la direction de la collection plage, ligne que je coordonne toujours, avec la soie. »
Les innovations qu’elle a portées
« Un projet s’est dessiné, tout au début. Quand on démarre une collaboration, on e ectue des recherches, on ouvre des caisses, on explore de nouvelles sources d’inspiration. J’ai eu l’idée d’un carré qui serait imprimé di éremment des deux côtés. C’était assez fascinant, parce que
1 Chevaloscope en twill de soie Objets PE23 Hermes par Elias Kafouros
CÔTÉS » CÉCILE PESCE
Fantasie d’Etriers en twill de soie par Virginie Jamin Les rencontres qui l’ont inspirée
Le dialogue entre la soie et le cuir
« Le lien entre le cuir et la soie, deux signatures Hermès très fortes, s’organise en échanges créatifs très organiques. Ces matières cultivent une forme de connivence, d’entente secrète, comme deux univers et deux métiers qui se répondent à la perfection. Aujourd’hui, un carré s’enroule par exemple très naturellement autour de la poignée d’un sac en cuir. Après toutes ces années, pour moi, le twill de soie reste la matière absolue, incontournable, extrêmement surprenante, solide, qui répond très bien à l’impression au cadre, un élément central. On peut laver ce twill, le surteindre, le broder, l’imprimer, il est multiple. On peut aussi, et surtout, le transmettre. » « J’ai envie d’évoquer Virginie Jamin, une dessinatrice arrivée chez Hermès au même moment que moi, avec un trait vraiment original, et qui signe aujourd’hui plus de vingt-cinq dessins de carrés. Au fi l de nos collaborations, elle a développé un talent inouï, des compétences de création, d’imagination, la capacité de faire évoluer sa main, de raconter des histoires autrement. Elle a constitué un patrimoine qui va marquer vingt années de carrés, et j’espère qu’elle continuera longtemps encore. Il y a un autre dessinateur, Elias
Kafouros, que j’admire beaucoup. Je l’ai rencontré à l’occasion d’un séminaire à Athènes. Nous avons visité son atelier – je crois qu’il n’y a rien de tel que d’aller voir un dessinateur dans son lieu, on découvre souvent ce qu’il ne nous a pas encore montré, on peut tirer un fi l ensemble. On entre dans une proximité, une intimité, qui valorise la création. Elle a parfois besoin de temps silencieux, de ne pas être exposée. Il nous a proposé pour l’été 2023 un dessin sur le thème Chevaloscope, qui décline des croquis amusants de chevaux musicaux, botaniques, sportifs. Ce sont des moments de création intense, forte et joyeuse. C’est toujours intelligent, toujours bienveillant. Nous avons beaucoup de chance. »
Le fil des histoires de transmission
« Il y a une douzaine d’années, j’ai passé une journée à la boutique du Faubourg Saint Honoré, un samedi animé, pour vendre. Parce que j’avais envie de savoir ce que les clients venaient chercher. Ils arrivent tous avec une histoire, c’est systématique et incroyable. Ils souhaitent parfois remplacer un carré perdu, ou enrichir une série qu’ils ont commencé à o rir à leurs enfants et veulent poursuivre cette connivence avec le même dessinateur… J’ai dû répondre à leurs demandes en m’impliquant dans leur récit, j’ai réalisé à quel point le carré de soie est un objet de désir. Certaines personnes héritent d’une collection de carrés de leur grand-mère ou de leur tante, et la considère comme un véritable butin, un trésor parfois dont elles ne savent pas trop quoi faire, mais, en LE CARRÉ EN CHIFFRES RONDS tout cas, le lien est immédiat. Comme on a des livres de chevet, on peut avoir des carrés qui nous sont très proches, même si on ne les porte pas tous les jours. Moi, par exemple, je n’aime 90 cm de côté pas qu’on m’en prête, parce qu’ils sont miens, 3.000 dessins dans la carréothèque avec leur sens et leurs souvenirs. » 40 nouveaux dessins de carrés par an 75.000 teintes disponibles 300 dessinateurs depuis 1937
STUDIO DES FLEURS