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Green sex : on dit oui à l’éco-orgasme
Texte Camille Vernin
Photos Lana Prins
GREEN SEX OUI À L’ÉCO-ORGASME !
Ne dites plus « Terre Mère » mais « Terre Maîtresse ». En réponse à la catastrophe écologique, certains ont décidé de conjuguer engagement environnemental et sexualité. Deux sujets finalement loin d’être antagonistes…
S
Atteindre l’orgasme green
ur internet, une vidéo de neuf minutes intitulée « Ecosex : pour l’amour de la planète» nous emmène à la rencontre d’une communauté pas comme les autres: des écoamoureux. Réunis sur l’île d’Orcas dans l’État de Washington, ces adeptes de la nature préfèrent parler de Terre Maîtresse plutôt que de Terre Mère. Chaque été, ils se retrouvent dans ce «pays des païens et des hippies» pour s’adonner à des pratiques absolument folles. Au menu? Ateliers érotiques, rituels avec la nature, câlins aux arbres ou encore initiation à la volupté d’un pistil…
Dans un extrait court mais intense, l’une de ses membres raconte comment une brise sur sa peau devient aussi érotique que les doigts d’un·e amant·e. Un homme conte quant à lui le plaisir procuré par le fait d’être fouetté avec une fougère. Cette nouvelle «way of life», ce sont les performeuses féministes Annie Sprinkle et Beth Stephens qui l’ont initiée. Elles inventent le terme d’écosexualité en 2008 et rédigent un manifeste. Elles vont même jusqu’à organiser des mariages symboliques avec les éléments naturels comme le vent, le charbon et la terre. En tout, il y aurait entre 12.000 et 15.000 écosexuels dans le monde.
Si on ne compte pas s’y mettre tout de suite, ce mouvement a au moins le mérite de sortir de l’anthropocentrisme, de repenser le rapport de l’humain à la nature et de replacer l’écologie au centre des préoccupations. Loin de ce remake délirant du «Jardin des délices » de Jérôme Bosch, j’ai décidé de m’intéresser au lien singulier entre nature et sexualité au travers de rencontres avec des individus qui se sont penchés sur la question. L’écologie serait-elle devenue le nouveau sexy? Oui, aujourd’hui, poster les photos de son potager est devenu un «turn-on» plus efficace qu’une photo en maillot. Ce mouvement écologique va plus loin que la simple drague et s’immisce jusque dans notre intimité. En 2002 déjà, Greenpeace publiait non sans humour son «guide de la sexualité écologique » dans lequel elle listait une série d’habitudes à adopter : faire l’amour la lumière éteinte, manger sans OGM, prendre une douche à deux plutôt que seul… De son côté, le mouvement Générations Cobayes a publié ses « 7 commandements de l’éco-orgasme » pour alerter sur les composants toxiques de nos lubrifiants, sex-toys et préservatifs.
De nouvelles normes écologiques sont depuis passées par là. L’industrie de l’érotisme s’est aussi adaptée aux nouvelles exigences des consommateurs et surfe aujourd’hui sur le nouveau créneau du « green sex » : préservatifs vegan, lubrifiants à base d’ingrédients naturels, sex-toys en bois ou en verre recyclé. « Ce genre de changements passe par un rejet du consommateur. Côté sex-toys par exemple, la plupart contenaient du phtalate, un perturbateur endocrinien présent dans le plastique », explique Marc Dannam («Osez le sexe bio et écolo»). «Les gens l’ont compris et ont commencé à refuser de mettre ces substances en contact avec leurs muqueuses. Les fabricants ont dû suivre.»
Si ce dernier concède volontiers que ce n’est pas «en utilisant un vibromasseur biodégradable ou des lubrifiants éthiques qu’on sauvera la planète », il insiste néanmoins sur l’importance d’un « mouvement général » vers une plus grande exigence du public vis-à-vis de ses habitudes de consommation, et ce, quel que soit le domaine.
Trouver son alter-éco Être végétarien ou trier ses cartons, des atouts charme ? C’est ce que suggèrent les données récoltées par OKCupid. En deux ans, la célèbre app américaine de rencontre a observé une hausse de 240% des termes tels que «réchauffement climatique», «recyclage» ou «environnement» dans les bios des célibataires. En 2019, le nombre d’utilisateurs à avoir cité Greta Thunberg a augmenté de 800%.
À tel point que l’app a inventé le terme « thunberging» (du nom de la célèbre adolescente suédoise engagée) pour décrire le phénomène. D’ailleurs, les apps dédiées à l’écologie se multiplient, et trouvent preneurs, comme MyGreenLovers, premier réseau social green qui compte aujourd’hui près de 15.000 membres actifs. L’objectif? Rencontrer son « alter-éco » bien sûr! « AUJOURD’HUI, POSTER LES PHOTOS
PHOTO EN MAILLOT » Déguster des aphrodisiaques bio Pour se reconnecter à sa sensualité, certains auteurs préconisent l’alimentation. Pour inciter à manger local, bio et de saison, Natacha Duhaut, auteure de «La cuisine bio de l’amour», explique à quel point «la consommation de produits ultra-transformés et les carences alimentaires épuisent l’organisme et impactent les
De l’activisme joyeux
perceptions sensorielles». À l’inverse, «une alimentation vivante et savoureuse dynamise nos organes, excite nos sens et alimente notre désir». Elle va plus loin: «On sait que les aliments bio sont plus riches en nutriments, et surtout dépourvus de résidus nocifs tels que les pesticides, qui vont accumuler des toxines dans l’organisme et nuire à la vitalité sexuelle. »
Ce n’est pas un hasard non plus si la plupart des aphrodisiaques, ces célèbres stimulants sexuels, sont à puiser dans la nature. Dans « Aphrodisiaques naturels», Gabriela Nedoma s’est intéressée à ce qu’elle nomme la « médecine érotique de Dame Nature». Elle insiste sur l’importance du traçage lorsqu’on les consomme. Pour une viande rouge aphrodisiaque riche en zinc, on opte pour du bleu blanc belge. Pour jouir des bénéfices de la phényléthylamine (aussi appelée la molécule de l’amour), présente dans le chocolat, on achète Fairtrade. Elle tempère cependant: «Il n’existe aucun raccourci magique qui mène à l’orgasme. Les aphrodisiaques sont juste des catalyseurs du désir : ils affinent les sensations et ouvrent de nouvelles dimensions à l’érotisme.»
Se déshabiller responsable Et comment parler de sexualité green sans faire un tour au rayon lingerie? L’offre de sous-vêtements bio s’est développée de façon exponentielle, prenant soin d’éviter perturbateurs endocriniens et autres substances potentiellement nuisibles à notre intimité (pesticides, teintures chimiques, métaux lourds…). Le textile
étant aujourd’hui la deuxième industrie la plus polluante dans le monde, les nouveaux créateurs ont compris l’urgence d’imaginer des solutions durables, sans jamais lésiner sur le plaisir des yeux. En 2008, Stella McCartney faisait office de pionnière avec sa guêpière éthique. Plus récemment, la marque belge La Fille d’O, imaginée par la créatrice Murielle Victorine Scherre, propose aux femmes de la lingerie faite main, dans des matériaux issus du commerce équitable, et produite localement. Pour elle, «se sentir bien dans son corps passe avant tout par se sentir bien avec ce que l’on porte». «Être en accord avec soi-même commence par entretenir une relation saine avec notre environnement, et cet état d’harmonie a quelque chose de carrément sexy.» Plus simple encore, une marque française a décidé de ne plus nous faire porter de culotte. Lancée il y a un peu plus d’un an par la créatrice Emma Reynaud, la marque Marcia Wear fait vite un carton sur les réseaux grâce à son modèle Tchikiboum, une robe ultra-sexy ET écologique. Ici, fini le décolleté poitrine trop tradi, on dévoile les hanches grâce à sa longue échancrure. C’est la robe que toutes les modeuses s’arrachent. Fabriquée de A à Z en France, elle est conçue en nylon régénéré ECONYL® à partir des déchets des décharges et des océans. Selon les principes de l’économie circulaire, elle peut être recyclée et recréée encore et encore. L’exemple ultime que l’écologie peut devenir ultra-désirable. Pourtant, éteindre la lumière en faisant l’amour ou prendre sa douche à deux ne permettra évidemment pas de diminuer nos émissions annuelles par miracle. Clément Fournier, rédacteur en chef de «Youmatter », explique : « La vérité, c’est que les gestes qui comptent, ceux qui ont un impact, sont aussi ceux qui sont les plus difficiles à mettre en oeuvre : se passer de sa « L’ÉCOSEXE EST UNE FAÇON LUDIQUE voiture, faire la rénovation
DE MOTIVER LES PERSONNES ENCORE thermique des logements, changer radicalement sa façon
RÉTICENTES À ENTREPRENDRE DES de consommer. » L’énergie, la
DÉMARCHES ÉCOLOGIQUES » voiture, l’avion, l’agriculture de masse... sont les domaines qui posent le plus problème. «La réduction de notre impact environnemental ne peut pas attendre que l’on ait trouvé le bon modèle, celui qui permettrait de s’en tirer sans effort», ajoute-t-il. Une transition écologique en douceur, sans vraies contraintes, « sexy » en somme, trop beau pour être vrai ? Selon Stefanie Iris Weiss («Écosexe: devenez écolo sous les draps et optez pour une vie amoureuse durable»), l’écosexe n’est qu’un pis-aller. «Il reste cependant une façon ludique de motiver les personnes encore réticentes à entreprendre des démarches écologiques. » Et quand je lui demande finalement si l’écologie est devenue le nouveau sexy, l’auteure new-yorkaise me répond: «Ça a intérêt à l’être, parce que notre avenir sexuel en dépend (rires)! Il est temps de se bouger si, demain, on ne veut pas être plus occupés à fuir les ouragans qu’à faire l’amour.»
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